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13/03/2012 | CEDH | N°001-109516

CEDH | CEDH, AFFAIRE ŞEGA c. ROUMANIE, 2012, 001-109516


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ŞEGA c. ROUMANIE

(Requête no 29022/04)

ARRÊT

STRASBOURG

13 mars 2012

DÉFINITIF

13/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Şega c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Egbert Myjer,

Ineta Ziemele,

Luis López Guerra,>
Mihai Poalelungi,

Kristina Pardalos, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,

Rend l’ar...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ŞEGA c. ROUMANIE

(Requête no 29022/04)

ARRÊT

STRASBOURG

13 mars 2012

DÉFINITIF

13/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Şega c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Alvina Gyulumyan,

Egbert Myjer,

Ineta Ziemele,

Luis López Guerra,

Mihai Poalelungi,

Kristina Pardalos, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29022/04) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, les époux, Titus et Ecaterina Şega (« les requérants »), ont saisi la Cour le 13 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. M. et Mme Şega sont décédés respectivement les 12 juin 2007 et 25 avril 2011, laissant comme héritiers leurs enfants, MM. Sorin Şega et Dan Laurentiu Şega, qui ont exprimé, le 23 mai 2011, le souhait de continuer l’instance devant la Cour.

3. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler M. et Mme Şega les « requérants », bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à leurs héritiers (voir, mutatis mutandis, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999-VI).

4. Les requérants et par la suite leurs héritiers ont été représentés par Me L. Iancovici, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le Président de la chambre a désigné M. Mihai Poalelungi pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement de la Cour).

6. Les requérants alléguaient une atteinte au droit d’accès à un tribunal et au droit à un délai raisonnable dans le cadre d’une procédure concernant l’indemnisation d’un accident de la route.

7. Le 27 janvier 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Les requérants étaient nés respectivement en 1925 et 1935 et résidaient à Bucarest.

9. Le 25 mai 1990, au cours d’un voyage en Allemagne, ils furent victimes d’un accident de la route provoqué par un tiers, également ressortissant roumain. Le véhicule des requérants fut détruit intégralement et ils subirent de graves blessures.

10. Par une lettre recommandée, postée le 24 mai 1993, les requérants introduisirent une action en dommages et intérêts contre les sociétés d’assurances des deux véhicules impliqués dans l’accident et contre l’autre conducteur et son épouse.

11. La lettre fut reçue au greffe du tribunal de première instance de Bucarest le lendemain, mais le juge délégué omit d’enregistrer l’action et leur retourna la lettre avec une mention manuscrite leur indiquant de payer le droit de timbre calculé par rapport à la valeur de l’indemnisation réclamée.

12. Estimant que l’action était exonérée du droit de timbre, le 2 juin 1993, les requérants réitérèrent la demande, en déposant une action identique au greffe du tribunal. Ils y joignirent la preuve de l’envoi de l’action par la poste le 24 mai 1993. Le juge délégué enregistra l’action, fixa la première audience au 7 décembre 1993 et rappela aux requérants de payer le droit de timbre. Les requérants soutinrent devant le tribunal que leur demande était exonéré du droit de timbre.

13. Le 4 septembre 1995, le dossier fut transféré au tribunal départemental de Bucarest. Par un jugement du 22 octobre 1996, ce tribunal annula l’action pour défaut de paiement du droit de timbre. L’appel des requérants fut rejeté par un arrêt du 9 février 1998 de la cour d’appel de Bucarest.

14. Le pourvoi des requérants fut accueilli par un arrêt définitif du 3 février 2000 de la Cour suprême de justice qui renvoya l’affaire au tribunal départemental, jugeant qu’en vertu de la loi no 47/1991 concernant les sociétés d’assurances, leur demande était exonérée du droit de timbre.

15. Par un jugement du 27 mars 2001, le tribunal annula l’action au motif qu’elle avait été introduite tardivement, le 2 juin 1993, alors que le délai de prescription de trois ans à compter de la date de l’accident était arrivé à échéance le 25 mai 1993.

16. Invoquant les conclusions de l’arrêt du 3 février 2000 de la Cour suprême de justice, les requérants interjetèrent appel. Ils exposèrent que leur action avait été introduite par la poste le 24 mai 1993, mais qu’elle n’avait pas été enregistrée en raison de l’erreur du juge délégué qui leur avait retourné la lettre en exigeant illégalement le paiement du droit de timbre. Ils estimèrent que cette erreur ne leur était pas imputable.

17. Par un arrêt du 16 novembre 2001, la cour d’appel confirma le jugement rendu en première instance. En outre, elle jugea que les requérants avaient omis de demander, le 2 juin 1993, le relevé de forclusion.

18. Les requérants formèrent un pourvoi alléguant qu’en annulant leur action pour cause de prescription, les juridictions internes avaient méconnu l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 3 février 2000 de la Cour suprême de justice qui avait constaté l’erreur du juge délégué et avait écarté l’obligation de payer le droit de timbre. Ils exposèrent que leur action étant introduite dans le délai légal, ils n’avaient aucune raison de croire que l’exception de tardivité leur serait opposée. En tout état de cause, ils estimèrent que, compte tenu de l’erreur du juge délégué et en vertu des dispositions du décret no 167/1958, les tribunaux avaient l’obligation d’examiner d’office le fond de leur demande en justice.

19. Par un arrêt du 20 janvier 2004, la Haute cour de cassation et de justice (l’ancienne Cour suprême de justice) rejeta le pourvoi considérant que l’erreur du juge délégué n’avait pas d’incidence sur le calcul du délai de prescription.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

20. Le décret no 167 du 21 avril 1958 concernant la prescription extinctive contient les dispositions pertinentes suivantes :

Article 1er

« Le droit à l’action concernant une valeur patrimoniale est prescrit s’il n’a pas été exercé dans le délai prescrit par la loi (...) »

Article 3

« Le délai de prescription est de trois ans (...) »

Article 16

« Le délai de prescription est interrompu (...) par une demande en justice même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ;

Le délai de prescription n’est pas interrompu lorsque (...) l’acte de saisine de la juridiction a été rejeté ou annulé (...) »

Article 17

« (...) Un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de l’interruption.

L’interruption résultant de la demande en justice (...) produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance (...) »

Article 18

« Si les juges estiment que l’intéressé a été empêché d’agir pour des motifs dûment justifiés, ils peuvent examiner d’office le fond de la demande en justice (...)

Le relevé de forclusion peut être demandé dans un délai d’un mois maximum à compter de la date de cessation des motifs qui ont empêché l’intéressé d’agir. »

21. Le code de procédure civile contient les dispositions pertinentes suivantes :

Article 104

« Pour les actes de procédure envoyés aux tribunaux par courrier, les délais légaux sont réputés respectés si la lettre recommandée a été déposée au bureau de poste avant le terme des délais. »

Article 114

« En recevant la demande introductive d’instance, le président ou le juge délégué vérifie si elle est conforme aux exigences légales. Le cas échéant, le demandeur est informé de la nécessité de la compléter ou de la modifier (...) Le demandeur procède à sa mise en conformité aussitôt. Si la mise en conformité immédiate n’est pas possible, la demande est enregistrée et le demandeur bénéficie à cette fin d’un bref délai. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

22. Les requérants estiment qu’ils ont été privés de l’accès à un tribunal en raison de l’annulation de leur demande en justice pour des motifs qui ne leur étaient pas imputables. Ils se plaignent également de la durée de la procédure et invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

23. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

24. Le Gouvernement considère que les requérants n’ont pas saisi la Cour dans le délai de six mois à partir de la décision interne définitive du 20 janvier 2004. Il expose que le formulaire de requête a été envoyé à la Cour le 2 octobre 2005, plus d’un an après leur première lettre adressée à la Cour, le 13 juillet 2004.

25. Les requérants estiment qu’ils ont saisi la Cour dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention dès lors qu’ils ont envoyé leur première lettre à la Cour le 13 juillet 2004 et qu’ils ont ensuite respecté les délais impartis par la Cour.

26. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 47 du Règlement, la requête est en règle générale réputée introduite à la date de la première communication du requérant exposant – même sommairement – son objet, à condition qu’un formulaire de requête dûment rempli ait été soumis dans les délais fixés par la Cour.

27. Lorsqu’un intervalle de temps important s’écoule avant qu’un requérant ne donne les informations complémentaires nécessaires à l’examen de la requête, il y a lieu d’examiner les circonstances particulières de l’affaire pour décider de la date à considérer comme date d’introduction de la requête (Gaillard c. France, (déc.) no47337/99, 11 juillet 2000, non publiée).

28. En l’espèce, la Cour constate que la première communication des requérants, postée le 13 juillet 2004, contenait les faits de l’espèce, la décision interne dont ils se plaignaient et leurs griefs accompagnés d’observations. Le 12 août 2004, en vertu du Règlement en vigueur à l’époque, la Cour leur a demandé de fournir la copie de l’ensemble des décisions avant dire droit et des procès-verbaux d’audience. L’attention des requérants a été attirée sur le fait que si ces renseignements ne seraient pas parvenus à la Cour dans un délai d’un an, elle pourrait décider de rayer la requête du rôle. Le 30 juillet 2005, les requérants ont envoyé les documents sollicités. Le 6 septembre 2005, la Cour leur a fait parvenir pour la première fois un formulaire de requête et les a invités à le remplir avant le 3 octobre 2005. A cette dernière date, les requérants ont retourné le formulaire qui a été reçu à la Cour le 19 octobre 2005.

29. Compte tenu du fait que la première lettre des requérants contenait déjà la description des faits, des griefs et leurs observations, repris ultérieurement dans leur formulaire de requête, et que les requérants ont respecté les délais impartis, la Cour estime que la requête a été introduite dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Paulescu c. Roumanie, no 34644/97, § 27, 10 juin 2003).

30. Partant, l’exception du Gouvernement tiré du non-respect du délai de six mois ne saurait être retenue.

31. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur la violation alléguée du droit d’accès à un tribunal

a) Arguments des parties

32. Les requérants allèguent une violation du droit d’accès à un tribunal, dans la mesure où les juridictions internes ont annulé leur action au motif qu’elle était prescrite. Ils soutiennent que le défaut d’enregistrement de leur demande introductive d’instance, le 24 mai 1993, était dû à une erreur du juge délégué qui avait arbitrairement refusé de l’enregistrer au motif qu’ils devaient s’acquitter du droit de timbre. Ils ajoutent que malgré la reconnaissance de cette erreur par l’arrêt du 3 février 2000 de la Cour suprême de justice qui avait établi que la demande était exonérée du droit de timbre, les juridictions internes ont annulé leur action, refusant de fixer au 24 mai 1993 la date d’introduction de leur action.

33. Quant à une éventuelle demande de relevé de forclusion, les requérants estiment qu’une telle demande n’était pas nécessaire dès lors qu’ils avaient agi dans le délai prescrit par la loi et que le défaut d’enregistrement, le 24 mai 1993, était dû à l’erreur du juge. En outre, ils précisent que le 2 juin 1993, la même demande introductive, accompagnée de la preuve de l’envoi, avait été inscrite au rôle du tribunal par le juge délégué et elle a fait l’objet de l’examen de plusieurs juridictions qui n’ont nullement évoqué une éventuelle tardivité de la demande. Dès lors, ils estiment qu’ils n’avaient aucune raison de croire que leur action était prescrite.

34. Le Gouvernement considère que les juridictions internes se sont livrées à un examen approfondi de l’affaire sur la base de la législation applicable. Il souligne qu’à l’issue de cet examen, les tribunaux ont conclu que l’action était prescrite et que les requérants ont omis de demander le relevé de forclusion le jour du dépôt de leur demande au greffe du tribunal. Dès lors, il estime que les requérants ont eu accès à un tribunal et considère que la Cour ne saurait remettre en question les conclusions des juridictions internes.

b) Appréciation de la Cour

35. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998-I). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII). La Cour a jugé que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (voir, Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 23, 11 avril 2002).

36. En l’espèce, la Cour constate que les requérants ont formulé et envoyé leur demande introductive d’instance par la poste, le 24 mai 1993, selon les formes et dans les délais prescrits par la loi. Cette demande n’a pas été enregistrée à cette date en raison de l’opposition du juge délégué qui leur a retourné la lettre, en leur enjoignant de s’acquitter du droit de timbre.

37. Or, à la lumière des arrêts des 3 février 2000 et 20 janvier 2004 de la Cour suprême, force est de constater que le refus d’enregistrement était entaché de deux erreurs : d’une part, il était contraire à l’article 114 du code de procédure civile qui dispose que si la mise en conformité immédiate d’une demande n’est pas possible, elle est enregistrée et le demandeur bénéficie à cette fin d’un bref délai et, d’autre part, ce refus n’avait pas de support légal, la demande des requérants étant exonérée du droit de timbre.

38. S’agissant de l’obligation à la charge des requérants, invoquée par le Gouvernement, de demander le relevé de forclusion le 2 juin 1993, à la date du dépôt de leur demande au greffe du tribunal, la Cour note que les requérants ont joint à leur demande la preuve de l’envoi de leur action par la poste le 24 juin 1993. Cette nouvelle demande a été acceptée et enregistrée par le juge délégué qui n’a fait aucune observation quant à un éventuel problème lié à la tardivité la requête. La Cour estime qu’il ne saurait être reproché aux requérants de ne pas avoir anticipé l’exception tirée de la prescription et d’avoir omis de demander le relevé pour remédier à une erreur qui ne leur était pas imputable.

39. En outre, la Cour constate que la question de la tardivité de la requête n’a été soulevé que plus de sept ans après le dépôt de la demande et après que l’affaire eût été examinée par plusieurs juridictions. Dès lors, compte tenu des conditions strictes qui régissent en droit interne le relevé de forclusion, la Cour estime qu’à la date à laquelle les requérants ont été pour la première fois confrontés à l’exception tirée de la tardivité de leur requête, ils ne disposaient plus d’une voie de recours pour remédier à l’erreur commise par le premier juge délégué.

40. Dans ces conditions, la Cour estime qu’en rejetant l’action des requérants comme tardive, au motif qu’elle était introduite le jour de son dépôt au greffe, et non de son premier envoi par la poste, les tribunaux internes ont privé les requérants du droit d’accès à un tribunal (voir paragraphe 21 ci-dessus).

41. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal.

2. Sur la durée de la procédure

a) Arguments des parties

42. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure qu’ils estiment excessive. Ils soutiennent que l’affaire ne présentait pas un caractère complexe et qu’ils n’ont pas contribué à son allongement. Au contraire, ils allèguent que les conflits de compétence et les erreurs des juridictions internes ont été la cause de la durée excessive de la procédure.

43. Le Gouvernement estime qu’il s’agissait d’une affaire complexe en raison des questions de droit controversées. Il ajoute qu’il n’y a pas eu de longues périodes d’inactivité imputables aux autorités et que les requérants ont demandé plusieurs fois des ajournements pour préparer leur défense ou pour l’administration des preuves.

b) Appréciation de la Cour

44. La Cour note d’emblée que la période à considérer a commencé avec la ratification de la Convention par la Roumanie, le 20 juin 1994 et s’est terminée le 20 janvier 2004 par l’arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de Justice. Elle a donc duré presque dix ans pour trois degrés de juridiction et deux cycles de procédure.

45. La Cour rappelle ensuite qu’elle a déjà conclu, dans maintes affaires qui soulevaient des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

46. En l’espèce, elle estime que la complexité de l’affaire n’explique pas la durée de la procédure, d’autant plus qu’elle n’a jamais été examinée sur le fond. S’agissant du comportement des requérants, la Cour considère qu’on ne saurait leur reprocher d’avoir demandé quelques renvois pour préparer leur défense ni d’avoir utilisé les recours internes pour défendre leurs droits.

47. La Cour relève surtout que le retard a été causé par l’arrêt de cassation du 3 février 2000 et par les renvois successifs de l’affaire. Or, ces retards sont imputables aux autorités (voir, mutatis mutandis, Cârstea et Grecu c. Roumanie, no 56326/00, § 42, 15 juin 2006).

48. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

49. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

51. Les requérants réclament, au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi, 50 000 euros (EUR), à savoir la valeur du véhicule détruit, ainsi que les dépens liés à l’assistance médicale rendue nécessaire à la suite de l’accident. Ils réclament également 50 000 EUR au titre du dommage moral pour les souffrances causées par le rejet de leur action et par la durée excessive de la procédure.

52. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage matériel allégué et la prétendue violation de la Convention. Il argue également du fait qu’un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions des requérants sont excessives.

53. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants 7 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

54. Pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, les requérants demandent 6 129 EUR, dont 5 000 EUR pour les honoraires de leur avocat. Ils fournissent la copie d’un contrat d’assistance judiciaire, ainsi que des copies des factures pour des frais de traduction et de poste.

55. Le Gouvernement estime excessive la demande. Il fait en outre remarquer que les requérants n’ont pas produit des justificatifs pour l’ensemble des frais réclamés.

56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’accès à un tribunal et de la durée de la procédure ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie nationale de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i) 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mars 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-109516
Date de la décision : 13/03/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Délai raisonnable);Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : ŞEGA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : IANCOVICI L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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