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28/02/2012 | CEDH | N°001-109294

CEDH | CEDH, AFFAIRE SAMARAS ET AUTRES c. GRECE, 2012, 001-109294


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SAMARAS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 11463/09)

ARRÊT

STRASBOURG

28 février 2012

DÉFINITIF

28/05/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Samaras et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska, r>Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SAMARAS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 11463/09)

ARRÊT

STRASBOURG

28 février 2012

DÉFINITIF

28/05/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Samaras et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11463/09) dirigée contre la République hellénique, par laquelle douze ressortissants de cet Etat et un ressortissant somalien (no 8) dont les noms figurent en annexe (« les requérants ») ont saisi la Cour le 5 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérants dénoncent une violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de détention dans la prison d’Ioannina.

4. Le 11 janvier 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants furent incarcérés à différentes dates à la prison d’Ioannina pour une durée moyenne supérieure à quinze mois. Certains d’entre eux y sont toujours détenus.

A. Le cas particulier de chaque requérant

6. M. Dimitrios Samaras fut détenu à la prison d’Ioannina du 1er août 2007 au 30 août 2010 (trois ans et un mois environ), puis il fut transféré à la prison de Grevena. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er juin 2008 au 1er septembre 2008, du 1er novembre 2008 au 1er février 2009, du 1er mai 2009 au 1er août 2009, du 1er septembre 2009 au 1er décembre 2009 et du 1er juillet 2010 au 30 août 2010 (soit seize mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises.

7. M. Danis Ramadanoglou fut détenu du 1er mars 2007 au 4 juin 2009 (deux ans et trois mois environ), date à laquelle il fut libéré après avoir racheté le reliquat sa peine. Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises et il ne travailla pas car il n’avait pas déposé de demande à cet égard. A la date de son admission, il subit un examen médical, fut reconnu comme étant en bonne santé et fut vacciné contre l’hépatite A.

8. M. Ioannis Karapanos fut détenu du 10 avril 2007 au 23 décembre 2008 (un an et huit mois environ), date à laquelle il fut libéré sous condition. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er juin 2007 au 1er novembre 2007 et du 1er juin 2008 au 1er décembre 2008 (soit onze mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Lors d’un examen médical à l’hôpital Hadjicosta d’Ioannina, on diagnostiqua une insuffisance respiratoire, pour laquelle un traitement adéquat fut administré.

9. M. Giounay Housein fut détenu du 31 décembre 2007 au 9 avril 2009 (un an et trois mois environ), puis il fut transféré à la prison de Patras. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er janvier 2009 au 1er avril 2009 (soit trois mois). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Il suivit un traitement pour troubles psychiatriques.

10. M. Stylianos Aspiotis fut détenu du 28 octobre 2007 au 3 avril 2009 (un an et cinq mois environ). Pendant son incarcération, il travailla du 1er novembre 2008 au 1er février 2009 et du 1er avril 2009 au 3 avril 2009 (soit trois mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Il suivit un traitement pour dépendance aux stupéfiants et à l’alcool ainsi que pour un syndrome cervical. Le 9 novembre 2007, il subit un examen neurologique à l’hôpital d’Ioannina qui ne révéla aucune pathologie. Il fut vacciné contre l’hépatite A et B.

11. M. Konstantinos Zygouris fut détenu du 25 avril 2007 au 20 février 2009 (un an et dix mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er octobre 2007 au 1er février 2008, du 1er juillet 2008 au 1er octobre 2008 et du 1er janvier 2009 au 1er mars 2009 (soit neuf mois au total). Il bénéficia d’une permission de sortie.

12. M. Andreas Papazoglou fut détenu du 2 mars 2007 au 5 juin 2009 (deux ans et trois mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla du 1er septembre 2007 au 1er juin 2009 (soit vingt et un mois au total). Il bénéficia de deux permissions de sortie.

13. M. Abdel Moneim Al Abid el Hilal fut détenu du 2 avril 2008 au 18 juin 2009 (un an et deux mois environ), puis il fut transféré à la prison de Patras. Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises et il ne travailla pas car il n’avait pas déposé de demande à cet égard.

14. M. Daniil Garnavos fut détenu du 22 février 2008 au 21 janvier 2009 (onze mois). Pendant son incarcération, il travailla du 1er septembre 2008 au 1er décembre 2008 et du 1er janvier 2009 au 1er février 2009 (soit six mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Toxicomane, il présenta, lors de son admission, un syndrome de sevrage. Un traitement pharmaceutique provisoire lui fut administré jusqu’à ce qu’un traitement plus adapté lui fût prescrit après un examen au dispensaire psychiatrique de la prison de Korydallos à Athènes.

15. M. Kosmas Bazakas fut détenu du 26 septembre 2007 au 27 février 2009 (un an et cinq mois environ), puis il fut transféré à la prison de Grevena. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er novembre 2007 au 1er janvier 2008 et du 1er mai 2008 au 1er août 2008 (soit quatre mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises.

16. M. Antonios Boulios fut incarcéré le 29 décembre 2007 à la prison d’Ioannina et y est toujours détenu à ce jour. Il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er août 2008 au 1er novembre 2008, du 1er janvier 2009 au 1er mars 2009, du 1er avril 2009 au 1er juillet 2009 et du 1er septembre 2009 au 1er novembre 2009 (soit onze mois au total). Il bénéficia d’une permission de sortie.

17. M. Aggelos Bikas fut détenu du 7 avril 2008 au 19 février 2009 (dix mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla du 1er août 2008 au 1er novembre 2008 (soit trois mois). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises.

18. M. Alexios Dimitriadis fut détenu du 1er août 2007 au 20 février 2009 (un an et six mois environ), puis il fut transféré à la prison agricole de Kassandra pour y travailler. Il fut libéré le 27 janvier 2010. Lors de son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er novembre 2008 au 1er février 2009 (soit trois mois). Il bénéficia d’une permission de sortie. Il fut traité pour des troubles de la digestion et des douleurs épigastriques ainsi que pour des manifestations d’angoisse et des insomnies.

B. Les démarches entreprises par les détenus à la prison d’Ioannina au sujet de leurs conditions de détention

19. Le 28 janvier 2009, soixante-quatorze détenus adressèrent au conseil de la prison, sur le fondement de l’article 6 de la loi no 2776/1999 (code pénitentiaire), une requête dans laquelle ils exposaient leurs doléances quant à leurs conditions de détention. Ils soulignaient que celles-ci étaient contraires tant à la loi no 2776/1999 qu’à la Convention européenne. Ils mentionnaient en particulier ce qui suit :

« L’article 21 § 4 de la loi [no 2776/1999] n’est pas appliqué. Selon cet article, les dortoirs doivent avoir une superficie d’au moins 6 m² pour chaque détenu et être équipés de tables et de chaises en nombre proportionnel à celui des détenus. Mais, en raison de la surpopulation, chaque détenu ne dispose que d’environ 1 m² d’espace personnel. Certains d’entre nous n’ont pas de place dans les dortoirs et sont installés dans les couloirs, sans les chaises et les tables prévues par la loi.

En raison de l’entassement des détenus dans un espace réduit, nous courons le risque de contracter une maladie, compte tenu du fait que plusieurs codétenus souffrent de maladies contagieuses, et ceux qui sont malades courent le risque de voir leur état de santé se détériorer.

Enfin, il n’existe aucune possibilité de nous occuper de manière constructive, de développer et d’exercer des activités en accord avec nos préférences et intérêts, de nous instruire, de nous former professionnellement et de nous distraire. »

20. Il ressort du dossier que le conseil de la prison ne répondit pas à cette requête.

21. Le 3 février 2009, ces mêmes soixante-quatorze détenus saisirent le procureur près le tribunal correctionnel d’Ioannina d’une requête ayant le même contenu que celle du 28 janvier 2009. A nouveau, aucune suite ne fut donnée à cette requête.

C. La version des requérants

22. Dans leur requête, les requérants soulignent qu’ils séjournent et dorment dans des dortoirs et des cellules exigus et surpeuplées. Aucun dortoir ne dispose de chaises ou de table et du moindre espace libre ; les détenus, qui passent dix-huit heures confinés dans les dortoirs, sont obligés de rester sur leurs lits ; plusieurs d’entre eux souffrent de maladies graves pour lesquelles ils ne sont pas traités et ceux qui sont encore en bonne santé risquent d’être contaminés du fait de la promiscuité régnant à la prison d’Ioannina. Quant aux malades, ils ne bénéficient pas de soins satisfaisants à l’intérieur de la prison ; les toxicomanes, les détenus qui souffrent de maladies chroniques et ceux dont l’état nécessite une opération ne font l’objet d’aucun soin.

23. Les requérants exposent en outre que tant le ministère de la Justice que la direction de la prison connaissaient déjà la situation par le biais de requêtes antérieures et d’un mouvement des détenus qui, en novembre 2008, avaient, dans toutes les prisons grecques, décidé de boycotter le réfectoire.

24. De plus, par une lettre du 19 janvier 2008, le médecin de la prison d’Ioannina avait informé le directeur de la prison que les détenus couraient un risque accru de troubles psychiatriques et de maladies physiques à cause de la surpopulation carcérale et du manque d’exercice physique.

D. La version du Gouvernement

25. Le Gouvernement expose les conditions de détention dans la prison d’Ioannina. D’après lui, cette prison accueille des détenus hommes condamnés à des peines d’emprisonnement et non de réclusion. Toutefois, certains détenus condamnés à des peines de réclusion y séjourneraient avant d’être transférés vers d’autres prisons.

26. Selon le Gouvernement, chaque dortoir serait équipé de deux toilettes, de trois urinoirs et d’un évier avec cinq robinets. Les dortoirs seraient suffisamment aérés et éclairés par la lumière naturelle. La prison disposerait d’un dispensaire fonctionnant avec un médecin généraliste, un médecin stagiaire, trois infirmiers diplômés et deux gardiens. Pendant la période considérée en l’espèce, le médecin aurait donné 1 501 consultations et ordonné 211 transferts dans les hôpitaux de la région. La prison collaborerait avec l’hôpital universitaire et l’hôpital Hadjicosta d’Ioannina, ce dernier disposant d’une salle spécialement aménagée pour les détenus malades.

27. Toujours selon le Gouvernement, la prison, d’une capacité de 85 détenus, en accueillait 225 les derniers mois de l’année 2009, dont 121 dans les dortoirs. Aujourd’hui, elle en accueillerait 211, dont 57 travailleraient dans les ateliers et les cuisines. Ces derniers passeraient une grande partie de la journée sur les lieux de travail.

28. Le Gouvernement précise que les conditions de détention à la prison d’Ioannina ont fait à deux reprises l’objet de rapports du médiateur de la République.

29. En ce qui concerne le premier rapport, du 4 avril 2000, il indique ce qui suit : pour le médiateur, le problème le plus important était la surpopulation et l’entassement des détenus, ce qui rendait les conditions de détention dégradantes notamment pour les détenus qui vivaient dans les couloirs de la prison ; le médiateur constatait en outre que les soins médicaux prodigués aux détenus étaient satisfaisants, malgré l’absence d’un psychiatre, ce qui obligeait à transférer les détenus souffrant des problèmes psychiatriques vers d’autres prisons ; les lieux étaient en général propres, y compris les douches et les toilettes, et la nourriture suffisante et de bonne qualité ; il y avait aussi un espace destiné à la formation professionnelle et à l’initiation à l’informatique.

30. Le Gouvernement indique ensuite que le deuxième rapport, du 23 septembre 2009, réitérait de manière plus critique les constats quant à la surpopulation et à l’entassement des détenus, notamment ceux vivant dans les couloirs. Ce rapport aurait constaté que 57 des 248 détenus travaillaient, que la nourriture et les soins médicaux étaient bons, et qu’il n’y avait en revanche pas d’espace permettant de faire de l’exercice physique. Pendant les neuf premiers mois de 2009, 220 demandes de permission de sortie auraient été déposées, dont 143 auraient été accueillies. Quant aux détenus étrangers, ils se verraient accorder plus difficilement de telles permissions dès lors qu’ils ne remplissaient pas les conditions requises par la loi, notamment l’existence d’une famille installée en Grèce de manière durable.

31. Parmi les requérants, onze ont séjourné dans les dortoirs et seulement deux dans les couloirs (MM. Karapanos et Al Abid el Hilal). Onze ont travaillé pendant la plus grande partie de leur incarcération et deux n’ont pas déposé de demande en ce sens.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne et la pratique nationale

1. Le droit national

32. L’article 572 du code de procédure pénale dispose :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il rencontre les détenus qui ont préalablement demandé à être entendus. »

33. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et à des intervalles raisonnables au Conseil de la prison, en cas d’actes ou d’ordres illégaux pris à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...) »

Article 21

« 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs, de préférence d’une capacité maximum de six personnes.

(...)

4. Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 mètres carrés pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires et de tables d’une surface suffisante ainsi que du nombre suffisant de chaises.

5. Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations de chauffage et d’hygiène (lavabos, toilettes). Chaque installation sanitaire doit servir au maximum à trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et chaude, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.

(...) »

Article 86

« (...)

2. Chaque tribunal de l’exécution des peines est compétent pour les affaires concernant les détenus dans sa juridiction (...) »

34. Il ressort de la jurisprudence que tant la demande devant le conseil de la prison que l’appel devant le tribunal d’exécution des peines peuvent porter sur les conditions d’incarcération dans l’établissement pénitentiaire, telles que, à titre d’exemple, la surface de la cellule, le caractère adéquat des systèmes d’aération et de chauffage et les modalités de communication de l’intéressé avec des tierces personnes (voir, parmi d’autres, les décisions nos 2075/2002 et 175/2003 de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée).

35. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’arrêté ministériel no 58819/2003, du 7 avril 2003, se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Le contrôle de légalité sur l’exécution des peines privatives de liberté (...) est exercé par le procureur-superviseur compétent.

2. Ce contrôle comprend (...) b) la garantie d’un juste traitement et de la protection judiciaire pour l’ensemble des détenus et c) l’information des autorités judiciaires et administratives compétentes sur le contenu des auditions ou des rapports de détenus ou de membres du personnel pénitentiaire qui font apparaître des indices que des actes répréhensibles ou des infractions disciplinaires ont été commis par ceux-ci. »

Article 7

« 1. Dans le cadre de la supervision, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des différents secteurs de l’établissement pénitentiaire et fait des recommandations sur des questions qui concernent l’exécution des peines.

2. Le procureur-superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle.

En particulier, le procureur :

1. Veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales relatives à l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté. (...)

9. Entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande. (...)

10. Examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) »

Article 25

« Afin d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, les jours et heures d’audition des détenus sont fixés comme suit :

a. Le procureur-superviseur auditionne des détenus pendant au moins deux heures une fois par semaine afin de garantir leur traitement équitable et leur protection judiciaire.

b. Le directeur auditionne les détenus, si besoin, pour des questions qui relèvent de sa compétence. »

Article 32

« En sus des droits mentionnés à l’article précédent, l’exercice par les détenus de leurs droits est facilité par l’adoption de mesures qui visent à réduire les effets négatifs de l’exécution des peines privatives de liberté. En particulier les détenus peuvent :

(...) 3. se procurer auprès de la direction de la maison pénitentiaire tout produit nécessaire à leur hygiène et propreté personnelles ainsi que les vêtements nécessaires. »

Article 37 § 10

« Le directeur de l’établissement pénitentiaire prend les mesures nécessaires pour réduire les conséquences négatives résultant de l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. »

2. Le rapport annuel du médiateur de la République pour l’année 2009

36. Dans son rapport annuel de 2009 (pp. 37-38), le médiateur de la République soulignait, dans le chapitre « Aggravation des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires », ce qui suit :

(Traduction du greffe)

« La raison principale de l’aggravation des conditions de détention est certainement le problème de la surpopulation. Un exemple représentatif est fourni par la prison d’Ioannina, où les conditions pour qualifier la situation de « traitement inhumain et dégradant » selon la Convention européenne des droits de l’homme (affaire no 20503/2008) se trouvent remplies.

Le problème le plus important est celui du nombre de détenus par rapport aux infrastructures existantes. Les détenus sont amassés dans les dortoirs, les cellules et les couloirs, ce qui a pour résultat de créer une atmosphère étouffante. Les exigences pour l’espace minimum prévu (6 m² par détenu et jusqu’à 6 détenus par dortoir) ne sont pas respectées car les dortoirs accueillent un nombre de détenus de loin supérieur. Les cellules d’isolement (...) ne sont pas utilisées pour l’exécution des peines disciplinaires mais pour le placement du surplus de détenus ou pour la protection de certains détenus contre des agressions éventuelles de leurs codétenus.

Un cas emblématique, auquel il faut remédier immédiatement, est le fameux « couloir » de la prison d’Ioannina. La situation y est vraiment intenable du fait que des dizaines de détenus vivent dans des conditions absolument étouffantes dans les couloirs du bâtiment, où il n’existe même pas un mètre carré disponible pour qu’ils puissent se tenir debout. Des lits sont placés des deux côtés du couloir, de sorte qu’il reste très peu d’espace pour le passage de ceux qui se rendent à leurs cellules. Il n’existe pas de sanitaires dans les couloirs et les détenus font leurs besoins dans ceux des cellules attenantes. »

37. Le rapport soulignait aussi que, si l’alimentation ne présentait pas de problème particulier quant à sa qualité et sa quantité, il manquait pour les détenus un espace approprié pour manger (un réfectoire) ou du moins pourvu des équipements indispensables, tels que des chaises et des tables. Selon le rapport, les détenus ne pouvaient manger que sur leur lit en tenant leur assiette entre les mains. Par ailleurs, la proportion de détenus autorisés à travailler par rapport à l’ensemble de la population carcérale (57/248) était jugée non satisfaisante dans le rapport. A cet égard, il était indiqué qu’aucun détenu étranger ne travaillait car il ne disposait pas des garanties de sécurité requises pour être placé à un poste de travail. Enfin, en raison du manque d’espace, il n’existait pas non plus de cour permettant l’exercice physique.

38. Le rapport concluait que, compte tenu du nombre des détenus, les dortoirs et les cellules étaient « absolument insuffisants », et que la proportion espace/nombre des détenus était « absolument intolérable ». Il indiquait par conséquent que les conditions de vie des détenus pouvaient être considérées comme constituant « un traitement inhumain et dégradant et une dégradation de leur dignité ».

39. Les constatations du médiateur de la République sont corroborées par le rapport du 10 avril 2008 de la Commission nationale pour les droits de l’homme relatif aux droits des détenus et aux conditions de détention dans les prisons grecques.

B. Les normes du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT)

1. Extrait du 2e rapport général d’activités du CPT (CPT/Inf(92)3) du 13 avril 1992

« 46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant.

47. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé.

48. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries.

(...)

Les prisonniers devraient aussi avoir un accès régulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient équipés de l’eau courante.

50. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers. »

2. Extraits du 7e rapport général d’activités (CPT/Inf(97)10) du 22 août 1997

« 13. Ainsi que le CPT l’a souligné dans son [2e Rapport général](http://www.cpt.coe.int/fr/annuel/rap-02.htm), la question du surpeuplement relève directement du mandat du Comité (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46).

Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive.

A plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. »

3. Extraits du 11e rapport général d’activités (CPT/Inf(2001)16) du 3 septembre 2001

« Surpeuplement carcéral

28. Le phénomène du surpeuplement carcéral continue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pour améliorer les conditions de détention. Les effets négatifs du surpeuplement carcéral ont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents.

(...)

Grands dortoirs

29. Dans un certain nombre de pays visités par le CPT, et notamment en Europe centrale et orientale, les détenus sont souvent hébergés dans des grands dortoirs comportant la totalité ou la plupart des installations dont se servent quotidiennement les détenus, comme les aires pour dormir et de séjour ainsi que les installations sanitaires. Le CPT a des objections quant au principe même de telles modalités d’hébergement dans des prisons fermées et, ses objections sont encore plus fortes lorsque, comme cela est fréquemment le cas, les dortoirs en question hébergent des détenus dans des espaces extrêmement exigus et insalubres. A n’en point douter, divers facteurs – dont ceux d’ordre culturel – peuvent rendre préférables, dans certains pays, des lieux de détention collectifs plutôt que des cellules individuelles. Toutefois, il n’y a pas grand-chose à dire en faveur – et il y a beaucoup de choses à dire en défaveur – d’un système qui fait vivre et dormir ensemble dans le même dortoir des dizaines et des dizaines de détenus.

De grands dortoirs impliquent inévitablement un manque d’intimité dans la vie quotidienne des détenus. En outre, le risque d’intimidation et de violence est élevé. De telles modalités d’hébergement peuvent faciliter le développement de sous-cultures criminogènes et faciliter le maintien de la cohésion d’organisations criminelles. Elles peuvent également rendre le contrôle effectif par le personnel extrêmement difficile, voire impossible ; en particulier, en cas de troubles en prison, il est extrêmement difficile d’éviter des interventions extérieures impliquant un recours considérable à la force. Avec de telles modalités, une répartition appropriée des détenus, basée sur une évaluation au cas par cas des risques et des besoins, devient également un exercice quasiment impossible. Tous ces problèmes sont exacerbés lorsque le nombre de détenus dépasse un taux d’occupation raisonnable ; en outre, dans une telle situation, la charge excessive pesant sur les installations communes comme les lavabos et les toilettes ainsi qu’une aération insuffisante pour un si grand nombre de personnes mènera souvent à des conditions de détention déplorables.

Le CPT doit cependant souligner que le passage de grands dortoirs vers des unités de vie plus petites doit être accompagné de mesures visant à garantir que les détenus passent une partie raisonnable de la journée en dehors de leur unité de vie, occupés à des activités motivantes de nature variée.

(...)

Maladies transmissibles

31. La propagation des maladies transmissibles et, notamment, de la tuberculose, de l’hépatite et du VIH/SIDA est devenue une préoccupation de santé publique majeure dans un certain nombre de pays européens. Bien que ces maladies affectent aussi la population en général, elles sont devenues un problème dramatique pour certains systèmes pénitentiaires. A cet égard, le CPT s’est vu, à plusieurs reprises, contraint d’exprimer de sérieuses préoccupations sur l’inadéquation des mesures mises en œuvre pour traiter ce problème. De plus, il a souvent été constaté que les conditions matérielles dans lesquelles les détenus étaient hébergés ne pouvaient que favoriser la propagation de ces maladies.

Le CPT reconnaît qu’en période de difficultés économiques – comme celles que connaissent aujourd’hui nombre de pays visités par le CPT – il faut faire des sacrifices, y compris dans les établissements pénitentiaires. Cependant, quelles que soient les difficultés rencontrées à un moment donné, le fait de priver une personne de sa liberté implique toujours l’obligation de la prendre en charge ; cette obligation impose des méthodes efficaces de prévention, de dépistage et de traitement. Le respect de cette obligation par les autorités publiques est d’autant plus important lorsqu’il est question de traiter des maladies risquant d’être fatales.

L’utilisation de méthodes actualisées de dépistage, l’approvisionnement régulier en médicaments et autres produits connexes, la disponibilité du personnel pour veiller à ce que les détenus prennent les médicaments prescrits aux bonnes doses et aux bons intervalles, ainsi que, le cas échéant, des régimes alimentaires spécifiques, constituent les éléments essentiels d’une stratégie efficace visant à combattre les maladies susmentionnées et à prodiguer des soins appropriés aux détenus concernés. De même, les conditions matérielles d’hébergement des détenus atteints de maladies transmissibles doivent être propices à l’amélioration de leur état de santé ; outre la lumière du jour et une bonne aération, il doit y avoir des conditions d’hygiène satisfaisantes, et absence de surpeuplement.

De plus, les détenus concernés ne doivent pas être séparés du reste de la population carcérale, à moins qu’une telle mesure ne soit rendue strictement nécessaire pour des raisons médicales ou autres. A cet égard, le CPT tient à souligner plus particulièrement qu’il n’y a aucune justification médicale à la ségrégation d’un détenu au seul motif qu’il est séropositif au VIH.

Afin de dissiper tout malentendu sur ces questions, il incombe aux autorités nationales de faire en sorte qu’un programme complet d’éducation au sujet des maladies transmissibles soit en place tant à l’intention des détenus que du personnel. Un tel programme devrait traiter des modes de transmission et des moyens de protection ainsi que de la mise en œuvre de mesures préventives adéquates. Il convient, plus particulièrement, de mettre l’accent sur les risques de transmission du VIH et des hépatites B/C par voie sexuelle et la toxicomanie intraveineuse, et d’expliquer le rôle des fluides corporels comme vecteurs du VIH et des virus de l’hépatite.

Il faut également souligner que des informations et conseils adéquats avant – et en cas de résultat positif après – tout test de dépistage doivent être donnés. En outre, il va de soi que les informations relatives aux patients doivent être couvertes par le secret médical. Par principe, toutes interventions en ce domaine doivent être fondées sur le consentement éclairé des personnes concernées.

En outre, pour que le contrôle des maladies susmentionnées soit effectif, tous les ministères et organismes travaillant dans ce domaine dans un pays donné doivent veiller à une coordination optimale de leurs efforts. A cet égard, le CPT tient à souligner que la continuité des traitements doit être garantie après la libération. »

C. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

40. Les parties pertinentes de la Recommandation du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006 lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) disposent :

« Principes fondamentaux

1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.

2. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.

3. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.

4. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.

5. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison.

(...)

18.1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération.

(...)

18.4 Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral.

18.5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus.

18.6 Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter.

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

41. Les requérants allèguent avoir été victimes d’un traitement inhumain et dégradant en raison de leurs conditions de détention. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement soutient, à titre principal, que ce grief est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que, s’agissant des griefs relatifs aux conditions de détention dans les prisons grecques, les organes de la Convention ont déjà jugé que le requérant doit d’abord saisir le procureur d’une plainte pour dénoncer les conditions de sa détention (Bejaoui c. Grèce, no 23916/94, décision de la Commission du 6 avril 1995 ; Mehiar c. Grèce, no 21300/93, décision de la Commission du 10 avril 1996, Décisions et Rapports (DR), volume 85, p. 47, et Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, § 19, 4 juin 2009) ou, du moins, alerter les autorités d’une façon ou d’une autre sur ses problèmes, pour leur donner ainsi l’occasion, le cas échéant, de remédier à sa situation (Kaja c. Grèce, no 2927/03, § 40, 27 juillet 2006).

43. En l’espèce, le Gouvernement affirme qu’il ne ressort pas des archives de la prison d’Ioannina que les requérants aient soumis une quelconque plainte relative à leurs conditions de détention. Selon le Gouvernement, la requête par laquelle certains détenus de la prison ont saisi le procureur près le tribunal correctionnel d’Ioannina pour se plaindre de leurs conditions de détention n’a été signée par aucun des requérants de la présente affaire.

44. Les requérants affirment quant à eux qu’ils étaient bien parmi ceux qui ont dénoncé les conditions de détention à la prison d’Ioannina.

45. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 141, CEDH 2006-V). Elle rappelle aussi que, néanmoins, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Elle réaffirme que ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues, et qu’il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 45, CEDH 2006-II).

46. Dans la présente affaire, la Cour note que, le 28 janvier 2009, soixante-quatorze détenus ont adressé au conseil de la prison, sur le fondement de l’article 6 de la loi no 2776/1999 (code pénitentiaire), une requête dans laquelle ils exposaient leurs doléances quant à leurs conditions de détention. Ils soulignaient qu’elles étaient contraires tant à la loi no 2776/1999 qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour relève que le conseil de la prison n’a pas répondu à cette requête. Le 3 février 2009, ces mêmes soixante-quatorze détenus ont saisi le procureur près le tribunal correctionnel d’Ioannina d’une requête ayant le même contenu que celle du 28 janvier 2009 et à laquelle, à nouveau, aucune suite n’a été donnée.

47. La Cour observe qu’il ressort du dossier que les noms des treize requérants de la présente affaire figurent parmi ceux des soixante-quatorze détenus qui ont introduit les requêtes susmentionnées.

48. Elle rappelle que, s’agissant des conditions de détention, dans les arrêts Vaden c. Grèce (no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007) et Tsivis c. Grèce (no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007), elle a conclu que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du code de procédure pénale (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité), aux articles 6 et 86 de la loi 2776/1999 (saisine du procureur-superviseur de la prison, saisine du conseil disciplinaire de la prison et appel devant le tribunal d’exécution des peines) et à l’arrêté ministériel no 58819/2003. Toutefois, dans ces affaires, les requérants se plaignaient des circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles ils estimaient que les autorités pénitentiaires pouvaient mettre un terme en prenant les mesures appropriées : dans la première affaire, le requérant se plaignait notamment d’être, en tant que non-fumeur, exposé au tabagisme passif dans la cellule dans laquelle il vivait ; dans la seconde, le requérant se plaignait d’être obligé de partager les locaux de la prison avec des personnes malades ou ayant été condamnées pour des crimes odieux. La Cour souligne qu’en l’espèce les requérants ne se plaignent pas uniquement de leur situation personnelle, mais allèguent être personnellement affectés par les conditions prévalant dans l’enceinte de la prison (voir, mutatis mutandis, A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 47, 22 juillet 2010).

49. Dès lors, la Cour estime que les requérants ont invoqué devant les autorités compétentes le problème dont ils saisissent actuellement la Cour et qu’ils ont donc épuisé valablement les voies de recours mis à leur disposition par le droit grec.

50. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement à ce sujet. Elle relève par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

51. Le Gouvernement critique l’approche adoptée par la Cour dans certains de ses arrêts (Melnik c. Ukraine, no 72286/01, 28 mars 2006, Kadikis c. Lettonie (no 2), no 62393/00, 4 mai 2006, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, 29 mars 2007, et Nisiotis c. Grèce, no 34704/08, 10 février 2011), consistant à diviser le superficie du dortoir d’une prison par le nombre des détenus et à conclure à la violation de l’article 3 si le résultat de cette division est inférieur à 6 m² pour chaque détenu. Selon le Gouvernement, cette approche présente le défaut de partir de l’hypothèse que les détenus séjournent en permanence dans l’espace obtenu par cette division. Il faudrait, selon lui, tenir compte d’autres éléments et, notamment, de la liberté dont disposent les détenus de circuler en dehors de leur cellule, critère que la Cour aurait pris en compte dans l’arrêt Valasinas c. Lituanie (no 44558/98, § 103, CEDH 2001-VIII).

52. Le Gouvernement souligne qu’en l’espèce les requérants travaillant pendant la durée de leur détention ne vivaient pas exclusivement dans les dortoirs, mais également dans les ateliers, le réfectoire et la cour de la prison. De la sorte, et du fait des autres conditions de détention (qualité de l’alimentation, aération et éclairage, hygiène, soins médicaux, occupation, permissions de sortie), les requérants n’auraient pas subi les conséquences de l’état de surpopulation de la prison à un degré tel que leur séjour pût être considéré comme ayant enfreint l’article 3 de la Convention. Le Gouvernement ajoute que, lors de leur admission à la prison, les détenus ont été soumis à un examen médical et qu’ils ont été vaccinés, et qu’aucun d’entre eux ne s’est plaint d’une détérioration de son état de santé ou d’un manque de soins médicaux appropriés.

53. Enfin, le Gouvernement attache à ses observations une longue liste de dispositions législatives et d’autres mesures qui ont pour but d’améliorer les conditions dans les prisons grecques : la loi no 3011/2009, limitant le nombre de cas prévus pour placer les suspects en détention provisoire ; la loi no 3904/2010, introduisant des mesures alternatives à l’emprisonnement ; la loi no 3860/2010, prévoyant que les mineurs sont condamnés à des peines d’emprisonnement uniquement lorsqu’ils ont commis des crimes ; des mesures spéciales, prises pour réduire les peines des toxicomanes qui participent à des programmes de désintoxication ou pour augmenter les possibilités de travail au sein de la prison ; enfin, la construction de nouvelles prisons, achevée ou en cours, pour désengorger les prisons existantes.

54. Les requérants, quant à eux, se prévalent de la Recommandation du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes, des normes du CPT, de la législation grecque pertinente et de la jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires (ils se réfèrent notamment à l’arrêt Sulejmanovic c. Italie, no 22635, § 43, 16 juillet 2009). Ils allèguent que les conditions de vie dans la prison d’Ioannina sont loin de correspondre aux standards internationaux et nationaux et qu’elles sont de nature à provoquer chez les détenus des souffrances psychologiques et physiques sévères. Ils soulignent que l’arrêt Valasinas précité, invoqué par le Gouvernement, n’est pas similaire à la présente affaire : dans la première, la Cour aurait, selon eux, constaté que le requérant disposait d’un espace de 5 m², alors qu’en l’espèce la moyenne de la surface disponible pour chaque détenu serait de 1 m², voire moins.

55. Les requérants affirment par ailleurs que les nouvelles mesures et lois mentionnées par le Gouvernement ne sont pas pertinentes dans les circonstances de la cause car elles n’auraient pas contribué à apaiser la souffrance des requérants.

56. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention, qui consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soit la nature des agissements reprochés à la personne concernée (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 127, 28 février 2008, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV). Il impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92-94, CEDH 2000-XI).

57. La Cour rappelle également qu’une surpopulation carcérale grave pose en soi un problème sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 97, CEDH 2002-VI). Cependant, la Cour ne saurait donner la mesure, de manière précise et définitive, de l’espace personnel qui doit être octroyé à chaque détenu aux termes de la Convention, cette question pouvant dépendre de nombreux facteurs, tels que la durée de la privation de liberté, les possibilités d’accès à la promenade en plein air ou la condition mentale et physique du prisonnier (Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 92, 19 juillet 2007).

58. Il n’en demeure pas moins que dans certaines affaires le manque d’espace personnel pour les détenus était tellement flagrant qu’il justifiait, à lui seul, le constat de violation de l’article 3. Dans ces affaires, les requérants disposaient individuellement de moins de 3 m² (Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07, § 93, 12 mars 2009 ; Lind c. Russie, no 25664/05, § 59, 6 décembre 2007 ; Kantyrev c. Russie, no 37213/02, 21 juin 2007, §§ 50-51 ; Andreï Frolov, précité, §§ 47-49 ; Labzov c. Russie, no 62208/00, § 44, 16 juin 2005, et Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 40, 20 janvier 2005).

59. En revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour rappelle avoir noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, le mode d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Aussi, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moisseiev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine, précité, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001-III). De plus, la Cour a souvent considéré qu’un exercice en plein air d’une durée très limitée consituait un facteur qui aggravait la situation du requérant qui était confiné dans sa cellule pour le reste de la journée sans aucune liberté de mouvement (Gladkiy c. Russie, no 3242/03, § 69, 21 décembre 2010 et Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, no 41833/04, § 88, 27 janvier 2011). Dans un cas, la situation du requérant était encore plus grave car la cour de la prison était fermée pour travaux et il était obligé de rester à l’intérieur pour plus d’un mois (Trepachkine c. Russie, précité, §§ 32 et 94

60. S’agissant de la présente affaire, la Cour estime devoir souligner d’emblée certains des constats contenus dans le rapport établi par le médiateur de la République à la suite de sa visite à la prison d’Ioannina en 2009. Le médiateur relevait que, compte tenu du nombre des détenus, les dortoirs et les cellules étaient « absolument insuffisants », et que la proportion espace/nombre des détenus était « absolument intolérable ». Il observait que les détenus ne disposaient même pas d’un espace de 1 m² pour se tenir debout ; que, faute de réfectoire, de chaises et de tables, ils étaient obligés de manger assis sur leurs lits ; qu’il n’y avait pas non plus d’espace pour l’exercice physique et que les étrangers n’avaient pas la possibilité de travailler ; que, enfin, la proportion de détenus autorisés à travailler par rapport à l’ensemble de la population carcérale (57/248) n’était pas satisfaisante. A cet égard, la Cour note de surcroît que, par une lettre du 19 janvier 2008, le médecin de la prison d’Ioannina avait informé le directeur de la prison que les détenus encouraient un risque accru de présenter des troubles psychiatriques et des maladies physiques à cause de la surpopulation carcérale et du manque d’exercice physique.

61. La Cour rappelle en outre qu’elle a déjà eu à se prononcer sur les conditions de vie des détenus à la prison d’Ioannina. Dans l’affaire Nisiotis (précitée, § 44), elle a constaté qu’il a pu être établi, au-delà de tout doute raisonnable, que pendant une période considérable le requérant avait dû subir à la prison d’Ioannina une grande promiscuité étant donné que l’espace personnel dont il pouvait disposer – 1,65 m² – comme tous les détenus du reste – était inférieur au minimum « humanitaire » de 6 m² par détenu, garanti tant au niveau interne par l’article 21 § 4 de la loi 2776/1999 qu’au niveau européen, selon les normes fixées par le Comité européen pour la prévention de la torture. Elle est parvenue au même constat dans l’arrêt Taggatidis et autres c. Grèce (no 2889/09, 11 octobre 2011).

62. La seule différence de la présente affaire par rapport aux arrêts Nisiotis et Taggatidis précités – et le Gouvernement le relève à juste titre – consiste dans le fait que onze des treize requérants travaillaient dans les ateliers de la prison et échappaient ainsi pendant une partie de la journée à la promiscuité régnant dans les dortoirs et les cellules.

63. La Cour n’entend pas mettre en question sa jurisprudence selon laquelle des éléments autres que la surpopulation ou l’espace personnel dont dispose un détenu peuvent être pris en compte dans l’examen du respect des exigences de l’article 3 en la matière. La possibilité de circuler en dehors du dortoir ou de la cellule constitue certes un de ces éléments. Toutefois, de l’avis de la Cour, ce facteur ne saurait être considéré en soi si déterminant qu’il suffirait à lui seul, s’il était avéré, à faire pencher la balance dans le cadre de l’examen susmentionné en faveur de la non-violation de l’article 3. La Cour doit aussi examiner les modalités et la durée de cette liberté de mouvement par rapport à la durée globale de la détention et aux conditions générales régnant dans l’enceinte de la prison. Elle estime que des facteurs ayant contribué à atténuer la rigueur des conditions de détention pourraient être pris en considération au titre de la satisfaction équitable dans la fixation du montant susceptible d’être accordé aux requérants à la suite d’un constat éventuel de violation.

64. En l’espèce, la Cour relève que onze des treize requérants ont travaillé pendant leur détention pour des périodes allant de trois à seize mois. Plus particulièrement, M. Samaras a travaillé seize mois sur une période de trente-six mois de détention ; M. Karapanos onze mois sur vingt ; M. Hussein trois mois sur quinze ; M. Aspiotis trois mois sur dix-sept ; M. Zygouris neuf mois sur vingt-deux ; M. Papazoglou vingt et un mois sur vingt-sept ; M. Garnavos six mois sur onze ; M. Bazakas quatre mois sur dix-sept ; M. Boulios onze mois sur quarante-deux ; M. Bikas trois mois sur dix et M. Dimitriadis trois mois sur dix-huit. M. Ramadanoglou et M. Al Abid el Hilal, détenus pendant vingt-sept et quatorze mois respectivement, n’ont pas du tout travaillé, le deuxième étant de nationalité somalienne et n’ayant pour cette raison pas la possibilité de travailler, comme le souligne le médiateur dans son rapport.

65. La Cour note que, dans la plupart des cas susmentionnés, la période pendant laquelle les requérants ont travaillé était une fraction limitée de la durée totale de leur incarcération. Le reste de la durée s’est écoulée dans les mêmes conditions que celles prévalant pour l’ensemble des détenus, cantonnés dans leurs dortoirs et cellules. A supposer même que la journée de travail était de huit heures, tous les requérants se retrouvaient après la fin de celle-ci pour le reste de la journée, vivaient dans les cellules surpeuplées, étaient obligés de manger sur leur lit et étaient privés de toute intimité, ainsi que de tout espace leur permettant de se distraire ou de faire de l’exercice.

66. Dans ces circonstances, la Cour estime que les conditions dans lesquelles les requérants ont été détenus ont atteint le niveau minimum de gravité requis pour constituer un traitement « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention.

Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION

67. Les articles 41 et 46 de la Convention disposent comme suit :

Article 41

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

Article 46

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

A. Dommage

68. Les requérants soutiennent avoir subi un préjudice moral, car leurs conditions de détention leur auraient causé une souffrance mentale et physique considérable, auraient porté atteinte à leur dignité et provoqué des sentiments d’humiliation et de dégradation. Ils demandent diverses sommes calculées en fonction de la durée de détention de chacun. MM. Karapanos et Al Abid el Hilal réclament des montants plus substantiels au motif qu’ils étaient détenus dans les couloirs de la prison dans des conditions encore plus extrêmes.

69. Plus précisément, ils réclament les sommes suivantes : M. Samaras, 25 000 euros (EUR) ; M. Ramadanoglou, 19 000 EUR ; M. Karapanos, 49 000 EUR ; M. Housein, 10 000 EUR ; M. Aspiotis, 14 000 EUR ; M. Zygouris, 17 000 EUR ; M. Papazoglou, 19 000 EUR ; M. Al Abid el Hilal, 20 000 EUR ; M. Garnavos, 8 000 EUR ; M. Bazakas, 11 000 EUR ; M. Boulios, 30 000 EUR ; M. Bikas, 8 000 EUR, et M. Dimitriadis, 14 000 EUR.

70. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions des requérants en vertu des paragraphes 2 et 3 de son règlement, au motif que les intéressés ne précisent pas le mode de calcul du dommage moral allégué. Il soutient que les sommes réclamées, allant de 8 000 à 49 000 EUR, sont exorbitantes et injustifiées et que la seule indication de la durée de la détention ne constitue pas un mode concret de calcul et de justification de ces sommes. Il souligne que la majorité des requérants ont travaillé pendant des périodes assez longues et que certains d’entre eux ont obtenu des permissions de sortie, sans toutefois fournir de précision à cet égard. Enfin, il affirme que l’allocation aux requérants des sommes, selon lui exorbitantes, qu’ils ont demandées au titre du dommage moral limiterait pour l’Etat concerné les ressources utilisables pour faire face aux problèmes qui sont à l’origine du constat de violation dans des cas similaires à ceux de la présente espèce, et ce d’autant plus dans la situation économique actuelle de la Grèce, qu’il invite la Cour à prendre en compte. Enfin, le Gouvernement estime que l’éventuel constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

71. La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de leurs conditions de détention et qu’ils ont ainsi droit à une indemnité. Pour déterminer le montant de cette indemnité, elle note, comme le soulignent d’ailleurs les requérants, qu’ils ne se trouvent pas tous dans une situation identique. Pour calculer l’indemnité à verser à chacun d’entre eux, elle estime devoir tenir compte de la durée totale de la détention de ceux-ci mais aussi de la période pendant laquelle ils ont travaillé. Sur la base de ces éléments et statuant en équité, elle accorde 15 000 EUR à MM. Ramadanoglou, Boulios et Samaras, 10 000 EUR à MM. Al Abid el Hilal, Housein, Aspiotis, Bazakas, Dimitriadis et Zygouris, et 7 000 EUR à MM. Bikas, Karapanos, Papazoglou et Garnavos.

72. En outre, la Cour souligne qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’Etat défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (De Clerck c. Belgique, no 34316/02, § 97, 25 septembre 2007). Il est entendu en outre que l’Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], no 39221/98 et 41963/98, CEDH 2000-VIII).

73. La Cour relève que non seulement le médiateur de la République mais aussi le médecin de la prison ont alerté à plusieurs reprises (le premier déjà en 2000) les autorités de la situation régnant au sein de la prison d’Ioannina. Elle rappelle également que, dans les arrêts Nisiotis et Taggatidis et autres précités, elle a eu l’occasion de se prononcer sur les conditions de détention dans la prison en cause et que, ayant conclu à la violation de l’article 3, elle a été amenée à accorder des sommes importantes pour le dommage moral subi par les requérants. La Cour partage le souci du Gouvernement au sujet de la nécessité d’améliorer les conditions de vie dans les prisons. Pour cette raison, la Cour considère qu’une intervention rapide des autorités s’impose afin que soient prises les mesures propres à rendre les conditions de détention dans cette prison conformes aux exigences de l’article 3 et éviter ainsi à l’avenir des violations comme celle constatée en l’espèce.

B. Frais et dépens

74. Les requérants demandent également 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, notamment les honoraires de leurs deux avocats, tout en précisant qu’ils paieront ceux-ci à l’issue de la procédure.

75. Le Gouvernement souligne qu’il s’agit là d’une prétention sur une dépense future que la Cour devrait déclarer irrecevable et rejeter comme vague.

76. La Cour juge établi que les requérants ont réellement exposé des frais dont ils réclament le remboursement dès lors que, en leur qualité de clients, ils ont contracté l’obligation juridique de payer leurs représentants en justice sur une base convenue (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, no 38224/03, § 110, 31 mars 2009, et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 414, 21 janvier 2011). Elle estime raisonnable de leur accorder la somme de 1 500 EUR conjointement à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 15 000 EUR (quinze mille euros) chacun à MM. Ramadanoglou, Boulios et Samaras, 10 000 EUR (dix mille euros) chacun à MM. Housein, Al Abid el Hilal, Aspiotis, Bazakas, Zygouris et Dimitriadis, et 7 000 EUR (sept mille euros) chacun à MM. Bikas, Karapanos, Papazoglou et Garnavos, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 février 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenNina Vajić
GreffierPrésidente


Liste des requérants

1. SAMARAS Dimitrios
2. RAMADANOGLOU Danis
3. KARAPANOS Ioannis
4. HOUSEIN Giounay
5. ASPIOTIS Stylianos
6. ZYGOURIS Konstantinos
7. PAPAZOGLOU Andreas
8. AL ABID EL HILAL Abdel Moneim
9. GARNAVOS Daniil
10. BAZAKAS Kosmas
11. BOULIOS Antonios
12. BIKAS Aggelos
13. DIMITRIADIS Alexios


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-109294
Date de la décision : 28/02/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : SAMARAS ET AUTRES
Défendeurs : GRECE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSITSELIKIS K. ; SPATHIS A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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