DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
de la requête no 73359/10 Ziya ERGEZEN et Mehmet ERGEZEN contre la Turquie
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 7 février 2012 en une Chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 29 septembre 2010,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. Ziya Ergezen et Mehmet Ergezen, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1950 et 1983 et résidant à Tekirdağ. Ils ont été représentés devant la Cour par Me M. Erbil, avocat à Istanbul. M. Ziya Ergezen est décédé le 23 octobre 2010.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant Mehmet Ergezen fut arrêté le 5 octobre 2005 pour appartenance à l’organisation armée illégale PKK et possession de produits explosifs.
Le requérant Ziya Ergezen fut arrêté le 7 octobre 2005 pour aide à ladite organisation.
Le 8 octobre 2005, ils furent mis en détention provisoire par la cour d’assises au vu de la nature et de la qualification de l’infraction en cause, de l’état des preuves, du contenu du dossier, du fait qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 de la loi sur la procédure pénale et de la persistance des conditions prévues par l’article 100 de la loi sur la procédure pénale.
Le 18 octobre 2005, le procureur de la République inculpa les requérants pour appartenance et aide à l’organisation armée illégale PKK ainsi que pour possession de produits explosifs.
Entre le 14 février et le 16 novembre 2006, la cour d’assises tint quatre audiences. Au terme de chaque audience, elle décida de maintenir la détention provisoire des requérants au vu de la peine encourue, de l’existence de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées, de l’état des preuves et du fait qu’il était impossible d’appliquer une mesure alternative à la détention provisoire.
Le 26 décembre 2006, la cour d’assises condamna les requérants à dix ans d’emprisonnement.
Le 18 juin 2007, la Cour de cassation annula le jugement de condamnation de la cour d’assises.
Le 20 novembre 2007, la cour d’assises réitéra sa décision initiale du 28 décembre 2006.
Le 24 février 2009, la Cour de cassation cassa également le jugement du 20 novembre 2007 au motif que la juridiction de première instance avait résisté à l’arrêt de cassation.
Lors d’audiences du 25 mars et 5 août 2010, la cour d’assises décida de maintenir la détention provisoire des requérants au vu de la peine encourue, de l’existence de forts soupçons, de l’état des preuves et du fait qu’il était impossible d’appliquer une mesure alternative à la détention provisoire.
Le 5 août 2010, l’avocat des requérants forma un recours en opposition contre la décision de maintien en détention provisoire rendue le même jour.
Le 13 août 2010, après avoir obtenu l’avis écrit du procureur de la République, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta l’opposition.
Le 30 septembre 2010, la cour d’assises décida de mettre en liberté M. Ziya Ergezen compte tenu du fait qu’il souffrait d’un cancer et que son pronostic vital était engagé selon les rapports médicaux.
Le 21 décembre 2010, la cour d’assises condamna M. Mehmet Ergezen. Elle prononça également la mise en liberté de celui-ci compte tenu de la durée écoulée en détention provisoire.
Le 31 décembre 2010, suite au décès de M. Ziya Ergezen le 23 octobre 2010, le tribunal d’instance civil désigna son épouse Mme Dindar Ergezen, et ses enfants, Ilken Ergezen Bağır, Miyase Ergezen Başbuğ, Mehmet Ergezen et Tuncay Ergezen comme héritiers.
Ainsi qu’il ressort de la consultation du dossier sur le site Internet de la Cour de cassation turque (http://www.yargitay.gov.tr/), le 14 décembre 2011, la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation.
B. Le droit interne pertinent
Selon l’article 100 de la loi sur la procédure pénale, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons quant à la commission par la personne concernée de l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 de la loi indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.
GRIEFS
Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la détention provisoire et des longs intervalles entre chaque audience. Ils dénoncent, en outre, l’usage par la cour d’assises de motivations insuffisantes et stéréotypées pour rejeter les demandes d’élargissement de leur avocat.
Invoquant l’article 5 § 4, les requérants soutiennent que l’examen sur dossier par la cour d’assises de leur recours en opposition, sans avoir tenu d’audiences, est contraire au principe d’égalité des armes et à leur droit à une procédure contradictoire.
Invoquant l’article 5 § 5, les requérants se plaignent en outre de ne pas disposer d’un recours en indemnisation.
Invoquant l’article 6 § 1, les requérants considèrent, d’une part, que leur cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable. Ils allèguent, d’autre part, une méconnaissance de leur droit à un procès équitable, et aussi un manque d’indépendance et d’impartialité des instances pénales du fait que les preuves avaient été recueillies de façon contraire à la loi.
Enfin, invoquant l’article 13, ils se plaignent de ne pas disposer d’un recours effectif pour contester la violation de l’article 5 §§ 3, 4, 5, et de l’article 6 § 1 de la Convention.
EN DROIT
1. Invoquant l’article 5 §§ 3, 4, 5 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la détention provisoire, et de l’absence de recours pour contester la légalité de la détention provisoire et obtenir réparation.
Invoquant en outre les articles 6 § 1 et 13, les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale et de l’absence d’un recours effectif pour contester cette mesure.
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs. Elle juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Concernant les autres griefs soulevés sous l’angle de l’article 6 § 1 relatifs à l’iniquité de la procédure pénale et au manque d’impartialité et d’indépendance des instances internes, la Cour observe cependant que la procédure pénale engagée à l’encontre des requérants est toujours pendante devant les juridictions nationales. Or, pour statuer sur sa conformité aux prescriptions de l’article 6 de la Convention, la Cour estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la procédure pénale engagée. Les requérants ne sauraient donc, à ce stade, se plaindre d’une quelconque violation de la Convention sur ce point. Il leur est loisible de saisir de nouveau la Cour s’ils estiment toujours, à l’issue de la procédure interne, qu’ils sont victimes de la violation alléguée. Il s’ensuit que cette partie de la requête est prématurée et doit être rejetée au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de l’article 5 §§ 3, 4, 5 et des articles 6 § 1 (durée de la procédure pénale) et 13 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Stanley Naismith Françoise Tulkens Greffier Présidente
DÉCISION ERGEZEN c. TURQUIE
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