TROISIÈME SECTION
AFFAIRE KURIĆ ET AUTRES c. SLOVÉNIE
(Requête no 26828/06)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 11 janvier 2011
STRASBOURG
13 juillet 2010
Renvoi devant la Grande Chambre
21/02/2011
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kurić et autres c. Slovénie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président, Elisabet Fura, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Ineta Ziemele, juges, et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 juin 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26828/06) dirigée contre la République de Slovénie et dont MM. Milan Makuc, ressortissant croate, Mustafa Kurić, apatride, Ljubomir Petreš, apatride, Jovan Jovanović, ressortissant de Bosnie-Herzégovine, et Velimir Dabetić, apatride, Mmes Ana Mezga, ressortissante croate, et Ljubenka Ristanović, ressortissante serbe, et MM. Tripun Ristanović, ressortissant de Bosnie-Herzégovine, Ali Berisha, ressortissant serbe, Ilfan Sadik Ademi, apatride, et Zoran Minić, ressortissant serbe (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 juillet 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Mes A.G. Lana et A. Saccucci, avocats à Rome, et par Mes A. Ballerini et M. Vano, avocats à Gênes (Italie).
3. Le gouvernement slovène (« le gouvernement défendeur ») a été représenté par son agent, M. L. Bembič, procureur général, et par Mme Ž. Cilenšek Bončina, coagente.
4. M. Milan Makuc est décédé le 2 juin 2008. Sa cousine, Mme Marija Ban, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure devant la Cour et de s’y faire représenter par Mes A.G. Lana et A. Saccucci. Pour des raisons de commodité, le présent arrêt continuera de désigner M. Makuc comme le requérant en tant que de besoin.
5. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignaient notamment d’avoir été arbitrairement privés de la possibilité d’acquérir la nationalité du nouvel Etat slovène instauré en 1991 et/ou de conserver le statut de résident permanent. En conséquence, leurs noms auraient été illégalement effacés du registre des résidents permanents le 26 février 1992, et un grand nombre d’entre eux seraient de fait devenus apatrides. Malgré les décisions de la Cour constitutionnelle, la situation de la plupart des requérants serait demeurée inchangée. Sur le terrain des articles 13 et 14 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, les intéressés dénonçaient l’absence de tout recours effectif à cet égard, un traitement discriminatoire et la perte de leurs droits à pension.
6. Le 10 novembre 2006, la Cour a décidé de communiquer en urgence la présente requête au gouvernement défendeur en vertu de l’article 40 du règlement de la Cour (« le règlement ») et de traiter celle-ci par priorité en application de l’article 41 du règlement.
7. Le 31 mai 2007, la Cour a décidé de porter à la connaissance du gouvernement défendeur les griefs concernant la situation générale des requérants sous l’angle de l’article 8, pris isolément et combiné avec les articles 13 (absence de tout recours effectif à cet égard) et 14 (interdiction de la discrimination), et la perte des droits à pension sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Elle a également décidé que les questions de recevabilité et de fond devaient être examinées conjointement (article 29 § 1). Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
8. Tant les requérants que le gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Chaque partie a ensuite répondu par écrit aux observations de l’autre. En outre, le président de la chambre a invité les requérants (article 54 § 2 a) du règlement) à informer la Cour de tout fait nouveau concernant leurs demandes tendant à l’obtention de permis de séjour permanent et à soumettre de nouveaux éléments de preuve à cet égard. Le gouvernement défendeur a déposé des observations sur les demandes de satisfaction équitable des requérants.
9. Par ailleurs, le gouvernement serbe, exerçant son droit d’intervenir (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement), a présenté des observations. En outre, des observations ont été reçues de The Equal Rights Trust, d’Open Society Justice Initiative, de l’Institut pour la paix – institut d’études politiques et sociales contemporaines (« l’Institut pour la paix »), et du Centre d’information juridique des organisations non gouvernementales, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Tant le gouvernement défendeur que les requérants ont répondu aux observations du gouvernement serbe.
10. Le gouvernement croate et le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine, qui ont reçu communication de la requête (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement), n’ont pas souhaité exercer leur droit d’intervenir dans la procédure.
11. Le 13 janvier 2009, la chambre a invité le gouvernement défendeur à lui indiquer (article 54 § 2 a) du règlement) si des permis de séjour seraient délivrés aux requérants. Ceux-ci ont répondu aux observations du Gouvernement.
12. Le 24 juillet 2009, le président de la chambre a invité le gouvernement défendeur et les requérants à lui faire savoir (article 54 § 2 a) du règlement) si des permis de séjour complémentaires avaient été délivrés à MM. Petreš et Jovanović. Les deux parties ont répondu.
13. Le 11 mars 2010, le gouvernement défendeur a informé la Cour que des amendements et des ajouts à la loi sur le statut juridique avaient été adoptés le 8 mars 2010. Au moment de l’examen du présent arrêt, ils n’étaient pas encore entrés en vigueur.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
14. Le premier requérant, M. Milan Makuc, ressortissant croate né en 1947, résidait à Portorož. Il est décédé pendant la procédure devant la Cour. Le deuxième requérant, M. Mustafa Kurić, est né en 1935 et réside à Koper. Il est apatride. Le troisième requérant, M. Ljubomir Petreš, est né en 1940 et réside à Piran. Il allègue être apatride, mais le gouvernement défendeur soutient qu’il est citoyen de Bosnie-Herzégovine. Le quatrième requérant, M. Jovan Jovanović, ressortissant de Bosnie-Herzégovine, est né en 1959 et réside à Ljubljana. Le cinquième requérant, M. Velimir Dabetić, est né en 1969 et réside en Italie. Il est apatride. La sixième requérante, Mme Ana Mezga, ressortissante croate, est née en 1965 et réside à Portorož. La septième requérante, Mme Ljubenka Ristanović, ressortissante serbe, est née en 1968 et réside en Serbie. Le huitième requérant, M. Tripun Ristanović, fils de la septième requérante, est né en 1988 et réside en Serbie. C’est un ressortissant de Bosnie-Herzégovine. Le neuvième requérant, M. Ali Berisha, est né en 1969 au Kosovo. D’après les dernières informations communiquées à la Cour, c’est un ressortissant serbe. Le dixième requérant, M. Ilfan Sadik Ademi, est né en 1952. Apatride, il réside en Allemagne. Le onzième requérant, M. Zoran Mini , est né en 1972. D après le gouvernement défendeur, il a la nationalité serbe.
A. Les circonstances propres à chaque requérant
15. Avant le 25 juin 1991, date à laquelle la Slovénie déclara son indépendance, les requérants étaient citoyens à la fois de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (« la RSFY ») et de l’une de ses républiques constitutives autres que la Slovénie. Ils acquirent le statut de résident permanent en Slovénie en qualité de citoyens de la RSFY, statut qu’ils conservèrent jusqu’au 26 février 1992. A cette date, ils tombèrent sous le coup de la loi sur les étrangers (Zakon o tujcih) et leurs noms furent effacés du registre des résidents permanents (Register stalnega prebivalstva, « le registre ») (paragraphe 39 ci-dessous).
16. En 2009, à la suite d’un changement de politique, MM. Petreš et Jovanović, qui étaient déjà titulaires de permis de séjour permanent valables depuis la date de leur délivrance en 2006, se virent accorder, sur le fondement de la décision de la Cour constitutionnelle (paragraphes 103 et 118 ci-dessous), des permis de séjour complémentaires leur octroyant le statut de résident à compter du 26 février 1992. M. Makuc, qui décéda le 2 juin 2008, aurait également eu droit à un tel permis. Mme Mezga, qui est maintenant titulaire d’un permis de séjour temporaire valable jusqu’au 13 septembre 2012, n’a pas droit à un permis de séjour complémentaire.
17. MM. Kurić et Dabetić et Mme et M. Ristanović n’ont pas sollicité de permis de séjour en vertu de la législation en vigueur.
18. Enfin, MM. Berisha, Sadik et Minić n’ont pas demandé de permis de séjour et les procédures les concernant respectivement sont pendantes.
B. Le contexte des affaires
1. La période de 1918 à 1990
19. De la Première Guerre mondiale jusqu’à 1991, le territoire comprenant l’actuelle République de Slovénie fit partie d’une union de nations slaves de l’Europe du Sud-Est (essentiellement les Balkans occidentaux). Le 1er décembre 1918, la première union – l’Etat des Slovènes, Croates et Serbes – fusionna avec le Royaume des Serbes. Le nouvel Etat ainsi constitué devint le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes et, en 1929, le Royaume de Yougoslavie.
20. Une nouvelle entité fut créée durant la Seconde Guerre mondiale. D’abord dénommé Yougoslavie fédérale démocratique, cet Etat devint ensuite la République populaire fédérale de Yougoslavie puis, en 1963, la RSFY. Il s’agissait d’un Etat fédéral composé de six républiques : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie (avec deux régions autonomes, le Kosovo et la Voïvodine), la Slovénie, le Monténégro et la Macédoine.
21. Les ressortissants de la RSFY avaient la « double nationalité » à l’intérieur du pays, étant citoyens à la fois de la RSFY et de l’une des six républiques (paragraphes 193-207 ci-dessous).
22. La première Constitution après la Seconde Guerre mondiale fut adoptée en 1946. En 1974, en vertu de la nouvelle Constitution de la RSFY et de celle de ce qui était alors la République socialiste de Slovénie, l’ensemble du système d’administration passa d’un centralisme strict à une autonomie accrue des républiques constitutives. Le préambule de la Constitution de la RSFY introduisit le droit de chaque nation à l’autodétermination, y compris à la sécession. Jusqu’en 1974, la nationalité fédérale primait la citoyenneté de la république : seul un citoyen yougoslave pouvait détenir la citoyenneté d’une république (paragraphes 194-198 ci-dessous).
23. Les règles régissant la citoyenneté étaient les mêmes dans toutes les républiques de la RSFY, le principe de base étant l’acquisition de la citoyenneté en vertu du droit du sang (jus sanguinis). En principe, un enfant avait la même citoyenneté que ses parents ; si ceux-ci n’étaient pas citoyens de la même république, ils décidaient ensemble de la citoyenneté de leur enfant. A ce principe fondamental d’acquisition de la citoyenneté s’ajoutait celui de l’acquisition par le lieu de naissance (jus soli) ou lieu de résidence (jus domicilii), celui de l’octroi de la citoyenneté d’une république à un citoyen d’une autre république à la demande de l’intéressé, et l’acquisition par la naturalisation ou en vertu d’un accord international. En outre, à la date de l’octroi de la citoyenneté d’une autre république, la personne en question perdait la citoyenneté de la république qu’elle avait précédemment.
24. A partir de 1947, des registres distincts de citoyens furent tenus au niveau des républiques, mais non au niveau de l’Etat fédéral. Il ressort des documents fournis à la Cour que ces registres n’étaient pas toujours exacts, étant donné que différentes autorités étaient chargées de leur tenue, que les règles régissant la nationalité n’étaient pas toujours strictement respectées et que la citoyenneté d’une république n’était pas considérée comme déterminante durant l’existence de la RSFY puisque tous les citoyens d’une république avaient également la nationalité de la RSFY. En outre, dans un nombre restreint de cas, la citoyenneté de la république ne fut pas même inscrite dans le registre des citoyens.
25. Les ressortissants de la RSFY jouissaient de la liberté de circulation dans l’Etat fédéral et pouvaient faire enregistrer leur résidence permanente là où ils s’installaient. La jouissance par les citoyens de la RSFY de divers droits civils, économiques, sociaux, voire politiques, était liée à la résidence permanente.
26. Les citoyens de la RSFY qui vivaient dans ce qui était alors la République socialiste de Slovénie, mais qui avaient la nationalité de l’une des autres républiques, comme les requérants, firent enregistrer leur résidence permanente dans cette république de la même façon que les citoyens slovènes. Les ressortissants étrangers pouvaient également devenir résidents permanents en RSFY en vertu d’une procédure distincte (paragraphe 208 ci-dessous).
2. Vers l’indépendance de la Slovénie
27. Dans les années 1980, la RSFY connut une grave crise politique et économique, associée à de nombreuses tensions ethniques, qui aboutit finalement à la chute du régime communiste et à la dissolution de la RSFY (Kovačić et autres c. Slovénie, nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 44, 6 novembre 2006).
28. A la suite de cette crise, de nombreuses modifications furent apportées à la Constitution de la République socialiste de Slovénie entre 1989 et 1991 en vue d’assurer la dissolution pacifique de l’Etat fédéral et l’établissement d’une Slovénie démocratique indépendante. En particulier, l’amendement X soulignait le droit de la nation slovène à l’autodétermination et fournissait la base légale d’un plébiscite et de la sécession de la Slovénie (paragraphe 206 ci-dessous).
29. Le 6 décembre 1990, au cours des préparatifs du plébiscite sur l’indépendance de la Slovénie, l’Assemblée de la république de Slovénie (Skupščina Republike Slovenije) adopta la « Déclaration de bonnes intentions » (Izjava o dobrih namenih) qui garantissait que l’ensemble des résidents permanents sur le territoire slovène pourraient obtenir la nationalité slovène s’ils le souhaitaient (paragraphe 212 ci-dessous).
30. Le 23 décembre 1990, le plébiscite eut lieu. Tous les adultes enregistrés comme résidents permanents en Slovénie eurent le droit de voter. 1 361 369 électeurs sur 1 457 020 participèrent au scrutin. 88,5 % s’exprimèrent en faveur de l’indépendance et 4 % contre.
3. La République de Slovénie
31. Le 25 juin 1991, la Slovénie déclara son indépendance. Pour instituer le cadre juridique du nouvel Etat souverain, l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie (Temeljna ustavna listina o samostojnosti in neodvisnosti Republike Slovenije) (paragraphe 213 ci-dessous) et une série de lois dénommées « législation sur l’indépendance » (osamosvojitvena zakonodaja) furent adoptés.
32. Parmi ces textes figuraient la Loi constitutionnelle de 1991 relative à l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie (Ustavni zakon za izvedbo Temeljne ustavne listine o samostojnosti in neodvisnosti Republike Slovenije, « la loi constitutionnelle de 1991 »), la loi sur la nationalité de la République de Slovénie (Zakon o državljanstvu Republike Slovenije, « la loi sur la nationalité »), la loi sur les étrangers (paragraphes 221-223 ci-dessous), la loi sur le contrôle des frontières nationales (Zakon o nadzoru državne meje), et la loi sur les passeports des citoyens slovènes (Zakon o potnih listinah državljanov Republike Slovenije).
33. A l’époque, contrairement à certaines autres républiques de l’ex-RSFY, la population slovène était relativement homogène, environ 90 % des deux millions de résidents ayant la nationalité slovène. Quelque 200 000 résidents slovènes (soit 10 % de la population), dont les requérants, étaient des citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY. Cette proportion reflète également plus ou moins l’origine ethnique de la population slovène à l’époque.
34. Conformément à la Déclaration de bonnes intentions, l’article 13 de la loi constitutionnelle de 1991 énonçait que les citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY qui, au 23 décembre 1990, date du plébiscite, étaient enregistrés comme résidents permanents en République de Slovénie et y vivaient effectivement, avaient les mêmes droits et obligations que les citoyens de la République de Slovénie, à l’exception du droit d’acquérir des biens, jusqu’à l’obtention de la nationalité de la République de Slovénie en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité ou jusqu’à l’expiration du délai fixé à l’article 81 de la loi sur les étrangers (paragraphe 214 ci-dessous).
35. D’après l’article 40 de la loi sur la nationalité, entrée en vigueur le 25 juin 1991, les citoyens de républiques de l’ex-RSFY qui n’étaient pas citoyens slovènes (« les citoyens de républiques de l’ex-RSFY ») pouvaient acquérir la nationalité slovène s’ils satisfaisaient aux conditions suivantes : avoir acquis le statut de résident permanent en Slovénie au 23 décembre 1990 (date du plébiscite), résider effectivement en Slovénie et solliciter la nationalité slovène dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi sur la nationalité (paragraphe 217 ci-dessous). Ce délai expira le 25 décembre 1991.
36. Selon le gouvernement défendeur, aucun document officiel des autres républiques de l’ex-RSFY n’était nécessaire aux premiers stades de la procédure de demande de la nationalité. Les requérants soutiennent toutefois que dans la pratique ces documents étaient exigés d’emblée.
37. D’après les chiffres officiels, 171 132 citoyens de républiques de l’ex-RSFY résidant en Slovénie demandèrent et obtinrent la nationalité du nouvel Etat en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité. On estime que 11 000 personnes quittèrent la Slovénie.
38. L’article 81 § 2 de la loi sur les étrangers précisait que les citoyens de républiques de l’ex-RSFY qui ne demandaient pas la nationalité slovène dans le délai prescrit ou dont la demande était rejetée devenaient des étrangers. Ces dispositions s’appliquaient aux citoyens de l’ex-RSFY à l’issue d’une période de deux mois à compter de l’expiration du délai fixé pour le dépôt des demandes de nationalité en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité, soit le 26 février 1992, ou de la date de la décision définitive de rejet de la demande de nationalité dans le cadre d’une procédure administrative (paragraphe 221 ci-dessous).
39. Le 26 février 1992 ou peu après, les autorités municipales effacèrent les noms des personnes visées par l’article 81 § 2 de la loi sur les étrangers du registre des résidents permanents et, d’après le gouvernement défendeur, les inscrivirent sur le registre des étrangers non titulaires d’un permis de séjour.
40. Le 27 février 1992, le ministère de l’Intérieur (Ministrstvo za notranje zadeve, « le ministère ») adressa aux autorités municipales des « Instructions sur la mise en œuvre de la loi sur les étrangers », précisant qu’il faudrait régulariser le statut juridique des personnes touchées par la loi sur les étrangers après l’expiration du délai fixé à l’article 81. Il attirait l’attention des autorités municipales sur le fait qu’il fallait s’attendre à des problèmes concernant les personnes d’autres républiques de l’ex-RSFY qui deviendraient des étrangers le 26 février 1992 et qui n’avaient pas demandé la nationalité slovène. En outre, il soulignait que les papiers d’identité de ces personnes, même s’ils avaient été délivrés par les autorités slovènes et étaient officiellement valables, ne seraient en fait plus valables en raison du changement de statut de ces personnes ex lege. Il précisait que certaines des personnes concernées devraient quitter la Slovénie, en application des articles 23 et 28 de la loi sur les étrangers.
41. D’après les requérants, les personnes dont le nom avait été effacé du registre ne reçurent pas officiellement notification de cette décision. Aucune procédure spéciale n’aurait été prévue à cet effet et aucun document officiel n’aurait été délivré. C’est seulement par la suite que les intéressés auraient appris être devenus des étrangers lorsque, par exemple, ils auraient cherché à faire renouveler leurs papiers (carte d’identité, passeport, permis de conduire). En revanche, le gouvernement défendeur soutient qu’outre la publication de la nouvelle législation au Journal officiel, la population slovène fut informée par les médias et par des avis. Dans certaines communes, les intéressés auraient même été avertis en personne.
42. Les chiffres officiels de 2002 dont on disposait jusqu’à récemment indiquaient que le nombre de citoyens de l’ex-RSFY ayant perdu leur statut de résident permanent au 26 février 1992 s’élevait à 18 305 (paragraphe 65 ci-dessous), dont environ 2 400 s’étaient vu refuser la nationalité. Les noms de ces personnes furent effacés, ex lege, du registre des résidents permanents le 26 février 1992 et transférés sur le registre des étrangers non titulaires d’un permis de séjour. Ces personnes furent ensuite connues sous l’appellation « personnes effacées » (izbrisani), qui incluaient les requérants en l’espèce.
43. Les « personnes effacées » devinrent en conséquence des étrangers ou des apatrides résidant illégalement en Slovénie. En général, elles rencontrèrent des difficultés pour conserver leur emploi et leur permis de conduire et pour obtenir leur pension de retraite. En outre, elles ne purent quitter le pays, car elles ne pouvaient pas y revenir sans pièce d’identité valable. De nombreuses familles furent divisées, certains membres étant demeurés en Slovénie et d’autres dans l’un des autres Etats successeurs de l’ex-RSFY. Parmi les « personnes effacées » figuraient aussi un certain nombre de mineurs, qui, pour la plupart, se virent retirer leurs papiers d’identité. Certaines des « personnes effacées » quittèrent la Slovénie de leur plein gré. Enfin, certaines se virent notifier des ordonnances d’expulsion et furent renvoyées de Slovénie.
44. Après l’expiration du délai de six mois fixé par l’article 40 de la loi sur la nationalité, les citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY se virent également appliquer les conditions moins favorables d’acquisition de la nationalité par naturalisation posées par l’article 10 de la loi (paragraphe 217 ci-dessous).
45. Après le 26 février 1992, il fut impossible aux citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY de se faire enregistrer comme résidents permanents s’ils n’avaient pas obtenu un nouveau permis de séjour. Par ailleurs, en vertu de l’article 82 de la loi sur les étrangers, les permis de séjour permanent délivrés aux étrangers ayant la nationalité d’un Etat autre qu’une république de l’ex-RSFY demeurèrent valables après l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers (paragraphe 221 ci-dessous).
46. Le gouvernement défendeur soutient que, eu égard au grand nombre de personnes d’autres républiques de l’ex-RSFY qui vivaient en Slovénie et dont la situation n’était pas régularisée, le gouvernement décida, le 3 septembre 1992, de tenir compte également de la période ayant précédé l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers aux fins du calcul de la durée de résidence de trois ans en Slovénie requise pour la délivrance d’un permis de séjour permanent en vertu de l’article 16 de la loi sur les étrangers (paragraphe 222 ci-dessous). Au total, 4 893 permis de séjour permanent furent ainsi délivrés de 1992 à 1997.
47. Le 28 juin 1994, la Convention entra en vigueur à l’égard de la Slovénie.
48. Par ailleurs, le 20 novembre 1995, la Cour constitutionnelle jugea inconstitutionnelle la demande du Parlement tendant à la tenue d’un référendum sur la question de savoir s’il fallait déchoir ou non les citoyens de l’ex-RSFY de la nationalité qui leur avait été accordée sur le fondement de l’article 40 de la loi sur la nationalité.
49. Par la suite, de nombreuses organisations non gouvernementales, dont Amnesty International et Helsinki Monitor, ainsi que le médiateur slovène des droits de l’homme ont publié des rapports attirant l’attention sur la situation des « personnes effacées ».
4. La décision de la Cour constitutionnelle du 4 février 1999 et l’évolution ultérieure
50. Le 24 juin 1998, la Cour constitutionnelle (Ustavno sodišče) déclara recevable un recours en inconstitutionnalité des articles 16 § 1 et 81 de la loi sur les étrangers formé en 1994 par deux personnes dont les noms avaient été effacés du registre en 1992 (paragraphe 236 ci-dessous).
51. Le 4 février 1999, la Cour constitutionnelle déclara l’article 81 de la loi sur les étrangers inconstitutionnel, mais non l’article 16 § 1. Elle ordonna au législateur de régler, dans un délai de six mois, le statut juridique spécial des ressortissants des républiques de l’ex-RSFY qui étaient résidents permanents en Slovénie avant l’indépendance du pays et résidaient effectivement dans ce pays, mais n’avaient pas demandé la nationalité slovène ou ne l’avaient pas obtenue.
52. En conséquence, la loi réglementant le statut juridique des citoyens des autres Etats successeurs de l’ex-RSFY résidant en République de Slovénie (Zakon o urejanju statusa državljanov drugih držav naslednic nekdanje SFRJ v Republiki Sloveniji, « la loi sur le statut juridique ») fut adoptée pour régler le statut juridique des « personnes effacées ». Elle simplifia les conditions d’acquisition d’un permis de séjour permanent. En particulier, l’article 13 de la loi sur les étrangers cessa de s’appliquer aux « personnes effacées ». En vertu de cette loi, des permis de séjour furent accordés ex nunc à ceux qui remplissaient les conditions (paragraphes 225-226 ci-dessous).
53. Statuant sur un autre recours, le 18 mai 2000, la Cour constitutionnelle annula certaines dispositions de la loi sur le statut juridique, les jugeant inconstitutionnelles. Elle estima que les conditions d’acquisition d’un permis de séjour permanent énoncées dans ces dispositions étaient plus strictes que les critères d’annulation d’un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur les étrangers (paragraphes 248-249 ci-dessous).
54. D’après le gouvernement défendeur, 13 355 demandes avaient été introduites en vertu de la loi sur le statut juridique au 30 juin 2007 et 12 236 permis de séjour permanent furent ensuite délivrés.
55. En 2002, des modifications ayant pour objet de permettre l’acquisition de la nationalité slovène dans des conditions plus favorables à l’ensemble des étrangers qui étaient résidents permanents en Slovénie au 23 décembre 1990 et y résidaient sans interruption depuis lors furent également apportées à la loi sur la nationalité (paragraphe 220 ci-dessous). Le délai d’introduction des demandes expira le 29 novembre 2003. A cette date, 2 959 demandes avaient été introduites et au 30 juin 2007 1 747 personnes avaient acquis la nationalité slovène.
5. La décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003 et les événements récents
56. Le 3 avril 2003, statuant sur un recours en inconstitutionnalité de la loi sur le statut juridique, la Cour constitutionnelle (décision no U-I-246/02) jugea de nouveau que cette loi n’était pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants. Premièrement, ce texte ne reconnaissait pas aux personnes dont le nom avait été effacé du registre le statut de résident permanent avec effet rétroactif à compter de la date de l’effacement. Deuxièmement, la loi ne prévoyait pas de permis de séjour permanent pour les ressortissants de républiques de l’ex-RSFY qui avaient été déplacés de force. Troisièmement, la loi ne définissait pas le sens de l’expression « résidant effectivement » qui figurait à l’article 1. La Cour constitutionnelle déclara également inconstitutionnel le délai de trois mois fixé pour l’introduction d’une demande de permis de séjour permanent. Elle ordonna au législateur de corriger les dispositions inconstitutionnelles dans un délai de six mois.
57. Au point 8 du dispositif de cette décision, la Cour constitutionnelle ordonnait au ministère de rendre d’office en faveur des personnes déjà titulaires de permis (non rétroactifs) des décisions complémentaires établissant leur statut de résident permanent en Slovénie à partir du 26 février 1992, date à laquelle le nom des intéressés avait été effacé du registre (paragraphes 250-255 ci-dessous). En 2004, le ministère délivra 4 093 permis avec effet rétroactif aux personnes effacées, uniquement sur le fondement de la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle.
58. A la suite de la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 3 avril 2003, le gouvernement élabora deux lois qui ne furent finalement jamais adoptées.
59. Le 25 novembre 2003, le Parlement adopta la loi sur l’application du point 8 de la décision de la Cour constitutionnelle no U-I-246/02-28 (Zakon o izvršitvi 8. točke odločbe Ustavnega sodišča Republike Slovenije št. U-I-246/02-28), également dénommée « loi technique » (paragraphe 57 ci-dessus).
60. Cette loi définissait la procédure de délivrance d’un permis de séjour permanent aux ressortissants de républiques de l’ex-RSFY qui étaient enregistrés comme résidents permanents en Slovénie, à la fois au 23 décembre 1990 et au 25 février 1992, et avaient déjà obtenu un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique, de la loi sur les étrangers ou de la loi de 1999 sur les étrangers.
61. Toutefois, les députés qui votèrent contre la loi technique demandèrent un référendum, qui eut lieu le 4 avril 2004, sur le point de savoir si la loi devait être mise en œuvre ou non. Le taux de participation fut de 31,54 % ; 94,59 % des électeurs s’exprimèrent contre la mise en œuvre de la loi, laquelle n’entra donc jamais en vigueur.
62. Outre la « loi technique », une « loi sur le séjour permanent en Slovénie d’étrangers ayant la nationalité d’autres Etats successeurs de la RSFY et enregistrés comme résidents permanents en Slovénie aux 23 décembre 1990 et 25 février 1992 (Zakon o stalnem prebivanju tujcev z državljanstvom drugih držav naslednic nekdanje SFRJ v Republiki Sloveniji, ki so imeli na dan 23.12.1990 in 25.02.1992 v Republiki Sloveniji prijavljeno stalno prebivališče) – « la loi systémique » – fut rédigée mais jamais adoptée par le Parlement.
63. En novembre 2007, le gouvernement adressa au Parlement un projet de loi constitutionnelle portant modification de l’article 13 de la loi constitutionnelle de 1991. Toutefois, cette loi – qui fit l’objet d’un débat politique passionné, étant donné qu’elle était considérée par l’opposition parlementaire d’alors comme une tentative de passer outre les décisions de la Cour constitutionnelle – ne fut jamais adoptée et la procédure parlementaire prit fin avec l’achèvement du mandat du Parlement.
64. Un nouveau gouvernement fut nommé en novembre 2008, après les élections législatives tenues le 21 septembre 2008. Une de ses priorités déclarées fut la régularisation du statut des « personnes effacées », conformément aux décisions de la Cour constitutionnelle.
65. A la suite d’une modernisation du système informatique, le ministère recueillit de nouvelles données sur les « personnes effacées » et publia un rapport indiquant qu’au 24 janvier 2009 le nombre de personnes effacées du registre des résidents permanents le 26 février 1992 s’élevait à 25 671, dont 7 899 avaient par la suite acquis la nationalité slovène ; 7 313 de ces personnes étaient toujours en vie. En outre, 3 630 autres personnes avaient obtenu un permis de séjour. Le statut de 13 426 « personnes effacées » n’était toujours pas réglé à cette date, et l’on ne savait pas où elles résidaient.
66. Le 23 février 2009, le ministère, donnant suite au point 8 de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, commença à rendre d’office des décisions complémentaires en faveur de ceux qui étaient déjà en possession d’un permis ou qui avaient acquis la nationalité slovène (paragraphe 57 ci-dessus). Selon le ministère, environ 3 000 de ces permis auraient été délivrés. Le 3 mars 2009, MM. Petreš et Jovanović obtinrent des permis de séjour permanent complémentaires (paragraphes 103 et 118 ci-dessous).
67. Le 1er avril 2009, l’Assemblée nationale vota sur une motion de censure déposée contre le ministre de l’Intérieur en raison de la délivrance de permis de séjour avec effet rétroactif à compter de 1992. Le ministre remporta le vote.
68. Par la suite, le ministère rédigea des amendements et ajouts à la loi sur le statut juridique en vue de régler, conformément à la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, les incompatibilités restantes entre la loi sur le statut juridique et la Constitution. Ces amendements et ajouts furent adoptés le 8 mars 2010.
69. Le 12 mars 2010, un groupe de députés demanda la tenue d’un référendum sur la mise en œuvre des amendements et ajouts à la loi sur le statut juridique, ce qui en reporta l’entrée en vigueur. Le 10 juin 2010, la Cour constitutionnelle déclara que le rejet de la loi dans le cadre d’un référendum aurait des conséquences non conformes à la Constitution. Au moment de l’examen du présent arrêt, la nouvelle loi n’est pas encore entrée en vigueur.
C. Les circonstances particulières des requérants
1. M. Milan Makuc
70. M. Makuc est né le 11 février 1947 à Raša, Croatie. C’était un ressortissant croate. Sa famille s’installa en Slovénie lorsqu’il avait sept ans. Il fut enregistré comme résident slovène du 1er janvier 1955 au 26 février 1992, et se considérait comme slovène. Le requérant aurait travaillé en Slovénie pendant vingt et un ans et cotisé aux régimes nationaux d’assurance-maladie et de retraite.
71. Pendant la guerre de dix jours qui eut lieu après la déclaration d’indépendance en 1992, M. Makuc fut engagé dans les forces de défense slovènes. Il pensait, d’après ses dires, obtenir la nationalité slovène, mais ne reçut aucune communication à cet effet.
72. A la suite de l’effacement de son nom du registre, le 26 février 1992, M. Makuc aurait perdu son emploi et le bénéfice de ses cotisations retraite. Il n’aurait plus été en mesure de payer le loyer de l’appartement appartenant à son ancien employeur, International Shipping and Chartering Ltd. (Splošna plovba), une société d’Etat, ou de l’acquérir dans le cadre de la privatisation. Il aurait été expulsé du logement en 1994 ou 1995, et aurait perdu tous ses biens personnels, notamment tous ses papiers. Il aurait vécu ensuite dans des abris et des parcs municipaux. Son état de santé se serait considérablement détérioré, étant donné qu’il n’aurait plus eu accès aux soins médicaux.
73. M. Makuc aurait tenté à plusieurs reprises de régulariser sa situation auprès des services administratifs de Piran (Upravna enota v Piranu), mais aurait toujours été renvoyé.
74. Le 1er mars 2006, il sollicita un permis de séjour permanent en vertu des dispositions de la loi sur le statut juridique.
75. Le 15 mai 2006, le centre d’action sociale de Piran (Center za socialno delo Piran) invita le ministère à accélérer l’examen de la demande du requérant, compte tenu de sa situation sociale difficile et de son état de santé.
76. Le 12 juillet 2006, le ministère délivra un permis de séjour à l’intéressé, qui lui fut notifié le 28 juillet 2006.
77. D’après le gouvernement défendeur, le requérant ne sollicita jamais la nationalité slovène.
78. Le 20 décembre 2006, le requérant obtint une allocation mensuelle d’un montant de 205,57 euros (EUR) avec l’aide du centre d’action sociale de Piran.
79. A la suite d’une demande du médecin du requérant, le 20 septembre 2005, l’agence de Koper de la caisse d’assurance vieillesse et invalidité (Zavod za pokojninsko in invalidsko zavarovanje Slovenije, Območna enota Koper) rendit une décision déclarant le requérant invalide de première catégorie, ce qui lui donna droit, à partir du 3 septembre 2007, à une pension d’invalidité mensuelle s’élevant à 351,73 EUR.
80. M. Makuc décéda le 2 juin 2008.
81. Les représentants des requérants demandèrent d’abord au frère de M. Makuc s’il souhaitait poursuivre la procédure devant la Cour. Celui-ci n’exprima pas une telle intention.
82. Le 16 janvier 2009, la cousine de M. Makuc, Mme Marija Ban, informa la Cour de son souhait de poursuivre la procédure devant elle. D’après les renseignements dont dispose la Cour, la procédure relative à la succession est toujours pendante.
2. M. Mustafa Kurić
83. M. Kurić est né le 8 avril 1935 à Šipovo (Bosnie-Herzégovine). D’après le gouvernement défendeur, la nationalité de l’intéressé n’est pas connue. Celui-ci arriva en Slovénie à l’âge de vingt ans et s’installa à Koper en 1965. Il est cordonnier de son état. En 1976, il loua à la commune de Koper (Občina Koper) un petit atelier, où il établit une entreprise privée. Il fut enregistré comme résident permanent en Slovénie du 23 juillet 1970 au 26 février 1992.
84. En 1991, il tomba gravement malade, fut hospitalisé pendant trois mois et, pour cette raison, n’aurait pas déposé sa demande tendant à l’obtention de la nationalité slovène. Le gouvernement défendeur confirme que l’intéressé fut hospitalisé. Toutefois, il était déjà sorti de l’hôpital le 15 juin 1991.
85. En 1993, la maison du requérant prit feu et il perdit la plupart de ses papiers. Lorsqu’il sollicita de nouveaux papiers auprès de la commune de Koper, on l’informa que son nom avait été effacé du registre.
86. Le requérant continua son activité professionnelle et paya son loyer jusqu’à ce qu’il connût des difficultés financières, à la fin des années 1990. N’étant plus en mesure d’acquitter le loyer, il dut quitter les locaux. Sans papiers, il risquait d’être expulsé s’il sortait de la commune, où la police tolérait sa présence.
87. Par la suite, le requérant aurait tenté à diverses occasions de régulariser sa situation auprès des services administratifs de Koper, notamment en octobre 2006, mais n’aurait pas reçu de réponse. En revanche, d’après le gouvernement défendeur, M. Kurić n’a jamais demandé de permis de séjour en Slovénie.
88. En 2006, le requérant aurait engagé une procédure concernant ses droits à pension devant la caisse d’assurance vieillesse et invalidité qui, le 14 mai 2006, lui aurait adressé une lettre mentionnant ses années de travail et lui demandant de fournir un certificat de nationalité. Toutefois, en réponse à la demande de l’agent du gouvernement défendeur, la caisse d’assurance vieillesse et invalidité déclara, le 29 octobre 2007, que le requérant ne l’avait pas officiellement saisi.
89. Le 7 mai 2007, le requérant demanda la nationalité slovène en tant que personne apatride. Sa demande fut rejetée le 27 juillet 2007.
90. D’après le gouvernement défendeur, le requérant sollicita de nouveau, le 29 janvier 2008, la nationalité slovène, en vertu de l’article 10 de la loi sur la nationalité. Cette procédure est toujours pendante.
3. M. Ljubomir Petreš
91. M. Petreš est né le 15 septembre 1940 à Laktaši (Bosnie-Herzégovine). Il vint en Slovénie à l’âge de dix-huit ans à la recherche d’un travail. Dans un premier temps, il se déplaça constamment dans le pays, mais en 1963 il s’installa à Piran, où il fut enregistré comme résident permanent du 4 mars 1964 au 26 février 1992.
92. Le requérant est inscrit comme demandeur d’emploi en Slovénie depuis 1983. Entre 1971 et 1992, il aurait occasionnellement travaillé en Allemagne et en Italie.
93. En 1991, il aurait demandé à la commune de Piran (Občina Piran) s’il devait solliciter la nationalité slovène. On lui aurait répondu qu’il n’avait pas besoin de déposer une demande puisqu’il était enregistré comme résident permanent. Il aurait commencé à avoir des soupçons début 1992, n’ayant pas reçu sa convocation pour voter aux élections locales. En mars 1992, lorsqu’il demanda le renouvellement de sa carte d’identité, on lui perfora celle qu’il avait, si bien qu’elle ne fut plus valable.
94. Après l’effacement de son nom du registre en 1992, le requérant n’aurait plus eu le droit de demeurer dans le centre où il résidait. Sans-logis depuis lors, il vivrait dans un abri fait de bois et de carton sur un terrain appartenant à la commune. N’ayant pas de papiers d’identité valables, il ne pourrait ni sortir de Slovénie ni chercher un travail en Italie ni même rendre visite à ses parents en Bosnie-Herzégovine. Il risquerait également d’être expulsé s’il se déplaçait dans le pays. En outre, il aurait des problèmes de santé et aurait sérieusement besoin de soins médicaux.
95. Le 6 mai 1993, le requérant demanda la nationalité slovène en vertu de l’article 10 de la loi sur la nationalité. Le 29 novembre 1996, le ministère l’informa que son dossier n’était pas complet et lui accorda un délai de deux mois pour fournir les documents manquants justifiant qu’il avait un logement et une source permanente de revenus suffisante, qu’il n’avait jamais été condamné et qu’aucune procédure pénale n’était pendante contre lui, qu’il avait payé tous ses impôts et qu’il maîtrisait la langue slovène. Le délai de dépôt des documents manquants fut prolongé plusieurs fois jusqu’au 19 juin 2000, date à laquelle l’intéressé se vit impartir un dernier délai de trois mois.
96. Le 10 octobre 2000, le ministère mit fin à la procédure conduite au titre de l’article 38 de la loi sur la nationalité, en raison de l’inactivité du requérant. Selon les dires de celui-ci, ce ne serait pas par mauvaise volonté ou par négligence qu’il n’avait pas soumis les documents requis mais parce qu’il lui était tout simplement impossible de les produire.
97. En outre, en 2002, le requérant aurait tenté en vain d’obtenir la nationalité de Bosnie-Herzégovine auprès de la commune de Laktaši. Le gouvernement défendeur soutient en revanche que M. Petreš est citoyen de Bosnie-Herzégovine.
98. Le 24 décembre 2003, M. Petreš sollicita le statut de résident permanent en vertu de la loi sur le statut juridique. Le 29 décembre 2006, il obtint un permis de séjour permanent, qui lui fut notifié le 22 janvier 2007.
99. En février 2007, avec l’assistance du centre d’action sociale de Piran, il se vit octroyer une allocation sociale mensuelle d’un montant de 205,57 EUR.
100. En réponse aux demandes de renseignements qui lui furent adressées par l’agent du gouvernement défendeur, la caisse d’assurance vieillesse et invalidité déclara, le 18 octobre 2007, n’avoir aucune information dans ses fichiers concernant l’emploi du requérant, et que celui-ci n’avait engagé aucune procédure devant lui.
101. Le 24 juillet 2009, le président de la chambre demanda au gouvernement défendeur et au requérant, en vertu de l’article 54 § 2 a) du règlement, d’indiquer à la Cour si, à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, un permis de séjour complémentaire avait été délivré à M. Petreš.
102. Le gouvernement défendeur confirma qu’un permis de séjour complémentaire avait été octroyé d’office au requérant le 3 mars 2009 sur le fondement du point 8 du dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, accordant à l’intéressé le statut de résident depuis le 26 février 1992.
103. Le requérant répondit d’abord qu’aucune décision complémentaire n’avait été rendue le concernant. Toutefois, le 24 septembre 2009, il confirma avoir obtenu le permis en question. En raison d’obstacles à la signification de la décision au requérant en personne, celle-ci lui fut notifiée par affichage sur les panneaux du ministère.
4. M. Jovan Jovanović
104. M. Jovanović est né le 30 août 1959 à Lopare (Bosnie-Herzégovine). Il est citoyen de Bosnie-Herzégovine. Il arriva en Slovénie en 1976, à la recherche d’un travail, et s’installa à Ljubljana. Il fut enregistré comme résident permanent en Slovénie du 1er octobre 1976 au 26 février 1992.
105. En 1995, il n’aurait pas demandé la nationalité slovène car il lui aurait été impossible de se procurer les documents requis en Bosnie-Herzégovine. Par la suite, il aurait été arrêté par la police dans le cadre d’un contrôle de routine et son passeport et sa carte d’identité lui auraient été confisqués. Il n’aurait pas quitté la Slovénie depuis 1992, car il n’aurait pas pu y revenir, faute de papiers d’identité.
106. Du 30 avril 1978 au 31 mars 1992, le requérant travailla à la brasserie de Pivovarna. Par la suite, il souhaita créer sa propre entreprise, mais ses projets échouèrent car il n’avait aucun statut. Il perdit également l’appartement qu’il louait à son ancien employeur, mais fit l’acquisition d’une nouvelle résidence avec sa compagne, L.N., qui était d’origine bosniaque mais avait acquis la nationalité slovène. Le couple a un fils, S.J., qui a la nationalité slovène.
107. Le 31 mars 2004, M. Jovanovi demanda la nationalité slovène en vertu de l article 10 de la loi sur la nationalité, ainsi qu un permis de séjour permanent.
108. Le 14 avril 2004, le ministère l informa que son dossier de demande de nationalité n’était pas complet. Il l’invita en particulier à produire, entre autres, des éléments prouvant qu’il jouissait d’un revenu suffisant, qu’il n’avait pas de dettes fiscales, et qu’il avait le statut juridique d’étranger.
109. Le 18 janvier 2006, M. Jovanovi fut informé par le ministère qu il n avait pas déposé sa demande de permis de séjour permanent auprès des services administratifs compétents sur le formulaire requis. Il fut donc invité à acquitter des frais administratifs dans un délai de quinze jours, ce qu’il fit.
110. D’après le gouvernement défendeur, le 27 juin 2006, le requérant sollicita une nouvelle fois la nationalité slovène en vertu de l’article 10 de la loi sur la nationalité.
111. Dans l’intervalle, le 19 juin 2006, le requérant avait de nouveau demandé un permis de séjour permanent. Le 22 septembre 2006, il retira sa demande. Le 3 octobre 2006, les services administratifs de Ljubljana (Upravna enota Ljubljana) mirent fin à la procédure.
112. Le 21 novembre 2006, le requérant se vit délivrer un permis de séjour permanent dans le cadre de la procédure qu’il avait engagée précédemment. La décision lui fut notifiée le 8 janvier 2007.
113. Le 1er décembre 2006, la nationalité slovène lui fut refusée.
114. D’après le gouvernement défendeur, le requérant obtint par la suite, le 9 mai 2007, la nationalité slovène par naturalisation, étant donné qu’il était marié à une ressortissante slovène.
115. A la demande de l’agent du gouvernement défendeur, le 8 octobre 2007, la caisse d’assurance vieillesse et invalidité indiqua qu’elle avait des informations dans ses fichiers concernant l’emploi du requérant en Slovénie. L’intéressé n’engagea pas de procédure devant cette caisse.
116. Le 24 juillet 2009, le président de la chambre invita le gouvernement défendeur et le requérant, en vertu de l’article 54 § 2 a) du règlement, à indiquer à la Cour si, à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, un permis de séjour complémentaire avait été délivré à M. Jovanović.
117. Le gouvernement défendeur confirma que, le 3 mars 2009, un permis de séjour complémentaire avait été octroyé d’office au requérant sur le fondement du point 8 du dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, accordant à l’intéressé le statut de résident permanent depuis le 26 février 1992.
118. Le requérant répondit d’abord qu’aucune décision complémentaire n’avait été rendue le concernant. Toutefois, le 24 septembre 2009, il confirma avoir obtenu un nouveau permis de séjour. Pour diverses raisons, il n’avait toutefois pas eu connaissance de cette décision auparavant, celle-ci ayant été signifiée à un membre de sa famille, qui ne l’aurait pas informé.
5. M. Velimir Dabetić
119. M. Dabetić est né le 22 septembre 1969 à Koper (Slovénie). D’après le gouvernement défendeur, il avait la nationalité yougoslave. Il fut enregistré comme résident permanent en Slovénie du 29 septembre 1971 au 26 février 1992. Ses parents et ses deux frères sont nés au Monténégro et, leurs noms, comme le sien, furent effacés du registre en 1992. La mère du requérant obtint la nationalité slovène en 1997 et son père en 2004.
120. Le requérant se serait rendu en Italie en 1991, mais serait demeuré enregistré comme résident permanent à Koper (Slovénie) jusqu’aux événements de 1992. Il aurait reçu des informations erronées des services administratifs de Koper. D’après le gouvernement défendeur, le requérant n’a pas seulement vécu en Italie en 1991 mais il y vit depuis 1989. L’intéressé n’aurait donc pas résidé en Slovénie lors de la tenue du plébiscite et à la date de l’indépendance du pays.
121. Le requérant travailla en Italie jusqu’en 2002, son ancien passeport de la RSFY étant alors venu à expiration et les autorités italiennes ayant refusé de renouveler son permis de séjour. Il demeura ensuite illégalement en Italie et, le 20 avril 2006, reçut l’ordre de quitter le pays dans les cinq jours. Finalement, il fut autorisé à rester, puisqu’il avait demandé à être reconnu comme apatride et que la procédure à cet égard était pendante.
122. Dans l’intervalle, le 25 novembre 2003, à la suite du prononcé par la Cour constitutionnelle de sa décision du 3 avril 2003 (paragraphes 56-57 ci-dessus et 250-255 ci-dessous), le requérant aurait pressé le ministère slovène de rendre une décision concernant son statut. D’après le gouvernement défendeur, le requérant n’a jamais demandé en bonne et due forme un permis de séjour en Slovénie.
123. Le 29 novembre 2003, le requérant sollicita la nationalité slovène en vertu de l’article 19 de la loi sur la nationalité, telle que modifiée en 2002.
124. Le 9 février 2004, le requérant engagea une action pour se plaindre du silence des autorités administratives (tožba zaradi molka upravnega organa) devant l’unité de Nova Gorica du tribunal administratif (Upravno sodišče, Oddelek v Novi Gorici) car il n’avait pas obtenu de nouvelle décision (paragraphe 57 ci-dessus).
125. Le 20 mai 2005, le tribunal administratif débouta le requérant.
126. Le 14 novembre 2005, le ministère rejeta la demande de nationalité introduite par le requérant, celui-ci n’ayant pas prouvé avoir résidé en Slovénie pendant dix ans et y avoir vécu en permanence durant les cinq dernières années.
6. Mme Ana Mezga
127. Mme Mezga est née le 4 juin 1965 à Čakovec (Croatie). Elle a la nationalité croate. En 1979, elle s’installa à Ljubljana (Slovénie), où elle trouva un emploi ultérieurement. Elle fut enregistrée comme résidente permanente en Slovénie du 28 juillet 1980 au 26 février 1992.
128. En 1992, après la naissance de son second enfant, la requérante se serait rendu compte que son nom avait été effacé du registre. Son employeur aurait écourté son congé de maternité et l’aurait licenciée. En outre, en mars 1993, elle aurait été arrêtée par la police lors d’un contrôle de routine. N’ayant pas de papiers d’identité, elle aurait été détenue au poste de police puis dans un centre de transit pour étrangers (prehodni dom za tujce), mais aurait été libérée après avoir payé une amende.
129. Elle s’installa ultérieurement à Piran, où elle rencontra H.Š., un citoyen slovène, avec lequel elle eut deux enfants, qui ont la nationalité slovène.
130. Le 13 décembre 1999, Mme Mezga sollicita un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique. Le ministère l’invita à cinq reprises à compléter son dossier et l’informa qu’elle aurait également pu demander un permis de séjour permanent dans le cadre du regroupement familial.
131. Le 14 avril 2004, la requérante demanda au ministère de rendre une décision complémentaire en vertu du point 8 du dispositif de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003 (paragraphe 57 ci-dessus).
132. Le 29 avril 2004, la requérante demanda la nationalité slovène en vertu de l’article 19 de la loi sur la citoyenneté, telle que modifiée.
133. Le 15 octobre 2004, elle participa à une réunion des services administratifs de Piran dans le cadre d’une procédure de demande d’un permis de séjour permanent. Le 25 octobre 2004, elle fut invitée à compléter son dossier.
134. Le 5 novembre 2004, la caisse d’assurance vieillesse et invalidité déclara que les emplois occupés par la requérante en Slovénie étaient consignés dans ses fichiers.
135. Le 6 décembre 2004, le ministère mit fin à la procédure relative à la demande de la requérante tendant à l’obtention d’un permis de séjour permanent, en raison de l’inactivité de l’intéressée.
136. Dans le cadre de la procédure concernant la nationalité, le 18 novembre 2005, le ministère accorda à la requérante un délai de deux mois pour compléter son dossier. Il l’invita notamment à prouver qu’elle résidait effectivement en Slovénie depuis le 23 décembre 1990.
137. Le 13 juin 2006, le ministère écarta la demande de nationalité introduite par la requérante.
138. Le 10 août 2007, la requérante sollicita un permis de séjour temporaire en tant que membre d’une famille de citoyens slovènes.
139. Le 13 septembre 2007, elle obtint un permis de séjour temporaire, valable jusqu’au 13 septembre 2012.
7. Mme Ljubenka Ristanović et M. Tripun Ristanović
140. Mme Ristanović est née le 19 novembre 1968 à Zavidovići (Bosnie-Herzégovine). Elle a actuellement la nationalité serbe. En 1986, elle se rendit à Ljubljana (Slovénie), à la recherche d’un travail. Elle s’y maria et, le 20 août 1988, son fils, Tripun Ristanović, naquit. Celui-ci est citoyen de Bosnie-Herzégovine. Tous deux furent enregistrés comme résidents permanents à Ljubljana avant les événements de 1992 : Mme Ristanović du 6 août 1986 au 20 novembre 1991, et son fils du 20 août 1988 au 26 février 1992.
141. Mme Ristanović déclare qu’elle pensait acquérir la nationalité slovène automatiquement en tant que résidente permanente. Toutefois, en 1994, elle-même et son fils furent expulsés de Slovénie. Le mari de Mme Ristanović, qui détenait un permis de travail et un permis de séjour temporaire à l’époque des faits, resta en Slovénie. Il obtint par la suite un permis de séjour permanent.
142. Selon le gouvernement défendeur, Mme Ristanović quitta la commune sans se désinscrire comme résidente permanente et, de ce fait, sa carte d’identité fut transférée du registre des résidents permanents à celui des personnes ayant « émigré sans s’être désinscrites ».
143. En 2004, Mme Ristanović obtint une carte d’identité serbe et en 2005 un passeport serbe. En 2004, les autorités de Bosnie-Herzégovine délivrèrent une carte d’identité et un passeport à M. Ristanović. N’ayant pas de papiers d’identité serbes, ce dernier vivrait en Serbie dans la crainte constante d’être expulsé.
144. Mme Ristanović et son fils n’auraient jamais demandé ni de permis de séjour permanent ni la nationalité slovène puisqu’ils ne remplissaient pas la condition posée par la législation en vigueur, à savoir résider effectivement en Slovénie.
8. M. Ali Berisha
145. M. Berisha est né le 23 mai 1969 à Peć (Kosovo) dans une communauté ethnique rom. D’après le gouvernement défendeur, il a la nationalité serbe. M. Berisha s’installa en Slovénie en 1985. Il travailla à l’usine « Elektrokovina » à Maribor jusqu’au 31 mai 1991. Il fut enregistré comme résident permanent en Slovénie du 6 octobre 1987 au 26 février 1992.
146. En 1991, il aurait séjourné pendant quelque temps au Kosovo avec sa mère malade. Il semblerait que ce soit la raison pour laquelle il n’avait pas demandé la nationalité slovène à l’époque.
147. Le requérant aurait été détenu par la police des frontières slovène en 1993, lorsqu’il revint dans le pays après avoir rendu visite à des parents en Allemagne. On lui aurait pris son passeport de la RSFY et on l’aurait placé dans un centre de transit pour étrangers pendant dix jours. Le 3 juillet 1993, il aurait été expulsé vers Tirana (Albanie), prétendument sans aucune décision. La police albanaise l’aurait renvoyé en Slovénie car il n’avait pas de passeport. Il aurait à nouveau été placé dans un centre de transit, d’où il se serait échappé durant la nuit.
148. En 1993, le requérant s’enfuit en Allemagne, où il obtint un permis de séjour temporaire pour raisons humanitaires, compte tenu de l’instabilité qui régnait au Kosovo à l’époque.
149. Le 9 août 1996, il épousa M.M., née au Kosovo, également d’origine ethnique rom. Quatre enfants naquirent entre 1997 et 2003, alors que la famille vivait en Allemagne, où elle percevait des prestations sociales.
150. En 2005, les autorités allemandes refusèrent de renouveler le permis de séjour du requérant, jugeant la situation globale au Kosovo suffisamment stable pour que l’intéressé pût y retourner. Celui-ci reçut l’ordre de quitter l’Allemagne avec sa famille avant le 30 septembre 2005.
151. A une date non précisée, le requérant et sa famille demandèrent l’asile en Allemagne.
152. Par la suite, ils se rendirent en Slovénie.
153. Le 13 juillet 2005, le requérant et sa famille sollicitèrent des permis de séjour temporaire et, le 25 juillet 2005, des permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique.
154. En outre, le 26 septembre 2005, ils demandèrent l’asile. Le requérant réclama également le statut de réfugié.
155. A la suite du retrait par les intéressés de leur demande d’asile, le 19 octobre 2005, le ministère mit fin à la procédure. Il ordonna le renvoi du requérant et de sa famille en Allemagne. Le 28 octobre 2005, l’arrêté d’expulsion fut pris mais non exécuté. Le 10 novembre 2005, un nouvel arrêté d’expulsion fixant la date de l’expulsion au 18 novembre 2005 fut délivré. Le requérant engagea alors une procédure devant le tribunal administratif. Le 15 novembre 2005, sa demande fut accueillie.
156. A l’époque, l’affaire eut un retentissement considérable aux niveaux national et international grâce aux efforts déployés par Amnesty International.
157. Le 27 février 2006, la famille demanda une nouvelle fois l’asile en Slovénie. Elle vivait alors dans un centre pour demandeurs d’asile (azilni dom).
158. Le 28 avril 2006, le requérant introduisit une action devant le tribunal administratif pour se plaindre du silence des autorités administratives dans le cadre de la procédure relative aux permis de séjour permanent sollicités pour lui-même, son épouse et ses quatre enfants. Cette procédure est toujours pendante.
159. Le 19 juillet 2006, les autorités allemandes informèrent les autorités slovènes que l’Allemagne était responsable, en vertu du règlement de Dublin, de l’examen des demandes d’asile de la famille Berisha.
160. Le 28 juillet 2006, le cinquième enfant du requérant naquit en Slovénie.
161. Le 30 octobre 2006, à la suite de la décision susmentionnée des autorités allemandes, le ministère déclara qu’il n’était pas compétent pour examiner les demandes d’asile du requérant et de sa famille et que ceux-ci seraient remis à l’Allemagne. Il avait également obtenu de nouveaux éléments indiquant que M. Berisha et sa famille étaient demandeurs d’asile en Allemagne, où ils bénéficiaient d’une aide financière à cette fin.
162. Le 5 novembre 2006, le requérant et sa famille contestèrent la décision du ministère devant le tribunal administratif. Le même jour, ils demandèrent que la décision attaquée ne fût pas exécutée et retirèrent leur demande d’asile.
163. D’après le requérant, le 7 novembre 2006, le ministère tenta une nouvelle fois de le transférer avec sa famille en Allemagne et, le 15 novembre 2006, le tribunal administratif annula l’arrêté d’expulsion.
164. Le 28 décembre 2006, la Cour suprême (Vrhovno sodišče) confirma la décision du ministère du 30 octobre 2006 selon laquelle l’Allemagne était compétente en vertu du règlement de Dublin pour connaître de la demande d’asile du requérant.
165. Le 1er février 2007, le requérant et sa famille furent remis à l’Allemagne.
166. Ni le requérant ni sa famille ne demandèrent la nationalité slovène.
167. Le 22 mars 2007, le requérant forma un recours constitutionnel. La procédure devant la Cour constitutionnelle est toujours pendante.
9. M. Ilfan Sadik Ademi
168. M. Ademi est né le 28 juillet 1952 à Skopje (« l’ex-République yougoslave de Macédoine ») dans une communauté ethnique rom. D’après le gouvernement défendeur, la nationalité de l’intéressé n’est pas connue. En 1977, celui-ci s’installa en Slovénie, où il travailla jusqu’en 1992. Il y fut enregistré comme résident permanent du 27 septembre 1977 au 26 février 1992.
169. Le requérant aurait été arrêté au cours d’un contrôle de routine en 1993. N’ayant pas de papiers valables, lui-même et sa famille auraient été expulsés vers la Hongrie. Peu après, ils se seraient rendus en Croatie, d’où ils seraient à nouveau entrés en Slovénie, illégalement.
170. Le 23 novembre 1992, le requérant, assisté d’un avocat, avait déposé une demande d’obtention de la nationalité slovène.
171. Par la suite, il se rendit en Allemagne où, s’étant déclaré apatride, il obtint un permis de séjour temporaire et un passeport pour étrangers.
172. Le 9 février 1999, il sollicita un passeport auprès de l’ambassade de « l’ex-République yougoslave de Macédoine », mais reçut une réponse négative, n’étant pas citoyen de cette république.
173. Le 16 février 2005, le requérant demanda un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique. Le 20 avril 2005, le ministère l’invita à compléter son dossier en prouvant sa nationalité.
174. Le 26 mai 2005, le requérant vit sa demande rejetée au motif qu’il était apatride. Le ministère déclara que la loi sur le statut juridique ne s’appliquait qu’aux ressortissants des républiques de l’ex-RSFY.
175. Le 11 juillet 2005, le ministère répondit à la lettre du requérant qui sollicitait un nouvel examen de la demande tendant à l’obtention de la nationalité slovène, qu’il avait déposée en 1992. Etant donné qu’il apparaissait que l’intéressé n’avait pas vécu en Slovénie pendant les dix années précédentes, le ministère l’informa qu’il ne satisfaisait pas aux conditions d’octroi de la nationalité slovène en vertu de la loi sur la nationalité, telle que modifiée.
176. Le 9 septembre 2005, le requérant vit sa demande de nationalité rejetée.
177. Le 31 juillet 2007, il sollicita derechef un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique. Le 31 mars 2008, sa demande fut rejetée, de nouveau au motif qu’il n’était pas citoyen de l’une des républiques de l’ex-RSFY.
178. Le requérant engagea devant le tribunal administratif une procédure, qui est toujours pendante.
179. Il vit maintenant en Allemagne.
10. M. Zoran Minić
180. M. Minić est né le 4 avril 1972 à Podujevo (Kosovo). D’après le gouvernement défendeur, il a la nationalité serbe. L’intéressé s’installa avec sa famille en 1977 en Slovénie, où il fut enregistré comme résident du 1er août 1984 au 26 février 1992.
181. Le requérant et sa famille auraient demandé la nationalité slovène en vertu de la loi sur la nationalité. Toutefois, ils auraient dépassé d’un mois le délai de dépôt de la demande, la guerre au Kosovo ayant rendu difficile la collecte des documents requis. D’après les informations fournies par le gouvernement défendeur, rien n’indique que M. Minić ait demandé la nationalité slovène en 1991. Enfin, la mère de M. Minić obtint la nationalité slovène en 2000 et les frères et sœurs de l’intéressé en 2003.
182. D’après le gouvernement défendeur, il ressort des certificats de travail de l’intéressé qu’il fut employé à Podujevo de 1992 à 1999. Il épousa une ressortissante serbe, avec laquelle il eut quatre enfants. Le requérant affirme en revanche avoir vécu à Ljubljana en 1992.
183. En 2002, M. Minić fut arrêté par la police en Slovénie car il travaillait sans permis. Il fut poursuivi, se vit infliger une amende et, le 5 juin 2002, fut expulsé vers la Hongrie, malgré la décision de la Cour constitutionnelle du 4 février 1999 (paragraphes 51 ci-dessus et 243 ci-dessous), sans aucune décision officielle.
184. Le 15 septembre 2003, le requérant sollicita la nationalité slovène en vertu de l’article 19 de la loi sur la nationalité, telle que modifiée.
185. Entre le 26 avril et le 9 octobre 2004, le ministère invita l’intéressé à cinq reprises à compléter son dossier en fournissant des éléments prouvant notamment qu’il vivait de façon ininterrompue en Slovénie depuis le 23 décembre 1990. Ne s’étant pas exécuté, le requérant fut cité à comparaître à une audience au ministère.
186. A l’audience tenue le 17 décembre 2004, le requérant confirma les informations relatives à ses antécédents professionnels, à savoir qu’il avait travaillé à Podujevo (Kosovo) du 8 juillet 1992 au 6 avril 1999 et qu’il n’avait donc pas vécu en Slovénie sans interruption depuis le 23 décembre 1990.
187. Le 21 février 2006, sa demande de nationalité fut par conséquent rejetée. Cette décision lui fut notifiée entre le 28 juin et le 2 juillet 2006, lors d’un voyage en Slovénie.
188. Le 17 juillet 2006, le requérant engagea devant le tribunal administratif une procédure, qui est toujours pendante.
189. Le 30 juin 2006, l’intéressé sollicita un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique.
190. Le 29 mars 2007, une audience eut lieu au ministère. Le 14 juillet 2007, le requérant soumit des documents supplémentaires à l’appui de sa demande.
191. Le 18 juillet 2007, le ministère rejeta la demande, l’intéressé n’ayant pas prouvé qu’il satisfaisait à la condition de résidence effective en Slovénie.
192. Le 19 septembre 2007, le requérant engagea devant le tribunal administratif une procédure, qui est toujours pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit et la pratique internes
1. La législation yougoslave
193. En ex-Yougoslavie, la nationalité était régie par des lois fédérales et des lois des différentes républiques (paragraphes 194-207 ci-dessous).
a) La loi sur la nationalité de la Yougoslavie fédérale démocratique (Zakon o državljanstvu Demokratične federativne Jugoslavije – Journal officiel de la YFD, no 64/45 de 1945)
194. L’article 1 de la loi sur la nationalité de la Yougoslavie fédérale démocratique prévoyait l’uniformité de la nationalité yougoslave, qui comprenait la nationalité fédérale et la citoyenneté d’une république : tout citoyen d’une république était également un citoyen fédéral et tout citoyen fédéral était un citoyen d’une république.
195. Après l’adoption de la Constitution en 1946, cette loi fut confirmée par la loi sur la nationalité de la République populaire fédérale de Yougoslavie.
b) La loi sur la citoyenneté de la République populaire de Slovénie (Zakon o državljanstvu Ljudske Republike Slovenije – Journal officiel de la RPS, no 20/50 de 1950)
196. L’article 1 de cette loi énonçait que seuls les citoyens de la République populaire fédérale de Yougoslavie pouvaient être citoyens de la République populaire de Slovénie.
c) La loi sur la nationalité yougoslave (Zakon o jugoslovanskem državljanstvu – Journal official de la RSFY, no 38/64 de 1964)
197. La loi sur la nationalité yougoslave fut adoptée en 1964, à la suite de l’adoption de la Constitution de 1963. D’après son article 2, pour avoir la citoyenneté d’une république, il fallait avoir la nationalité yougoslave, ce qui donnait la primauté à la nationalité fédérale. Une personne qui perdait la nationalité fédérale perdait également la citoyenneté de la république.
198. En conséquence, fut adoptée en 1965 la nouvelle loi sur la citoyenneté de la République socialiste de Slovénie.
d) La Constitution de la RSFY (Ustava SFRJ – Journal officiel de la RSFY, no 9/74 de 1974)
199. Le préambule de la Constitution de la RSFY se lisait ainsi :
« Partant du droit de chaque peuple à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession, en vertu de leur volonté librement exprimée dans la lutte commune de toutes les nations et nationalités au cours de la guerre de libération nationale et de la révolution socialiste et en conformité avec leurs aspirations historiques, conscients que le raffermissement de leur fraternité et de leur unité est de leur intérêt commun, les peuples de Yougoslavie, de concert avec les nationalités avec lesquelles ils vivent, se sont unis en une république fédérale de nations et nationalités libres et égales en droits, en une communauté socialiste fédérative de travailleurs – la République socialiste fédérative de Yougoslavie – dans laquelle, dans l’intérêt de chaque nation et nationalité considérée isolément ainsi que dans l’intérêt d’elles toutes considérées ensemble, ils réalisent et garantissent :
Le peuple travailleur et les nations et nationalités exercent leurs droits souverains dans les républiques socialistes et dans les régions autonomes socialistes conformément à leurs droits constitutionnels et – lorsque la Constitution le prévoit dans l’intérêt commun – dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie. (...) »
200. La Constitution définissait la RSFY comme un Etat fédéral composé de nations qui s’étaient unies volontairement (article 1) et les différentes républiques comme des Etats fondés sur la souveraineté nationale et sur le pouvoir et l’autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs (article 3).
201. L’article 294 de la Constitution énonçait que la nationalité de la RSFY était commune à l’ensemble des résidents de Yougoslavie, chaque citoyen d’une république étant également citoyen de la RSFY.
202. A la suite de l’adoption de la Constitution de 1974, une nouvelle loi sur la nationalité de la RSFY fut adoptée, la dernière datant de 1976.
e) La Constitution de la République socialiste de Slovénie (Ustava Socialistične republike Slovenije – Journal officiel de la RSS, nos 6/74 et 32/89 de 1974 et 1989)
203. L’article 2 de la Constitution slovène énonçait les obligations de la république : garantir et exercer la souveraineté, l’égalité et la liberté nationale, garantir l’indépendance et l’intégrité territoriale, garantir les droits de l’homme ; assurer les conditions pour le développement et le progrès de la nation slovène ; renforcer les relations internationales en matière politique, économique, culturelle et dans d’autres domaines dans le cadre de la politique étrangère de la RSFY ; exercer toutes autres fonctions importantes pour les activités politiques, économiques et culturelles ainsi que pour la défense et l’autogestion socialiste d’un environnement social démocratique.
204. En outre, d’après la même disposition, seules les obligations qui étaient définies par la Constitution de la RSFY comme étant dans l’intérêt commun des nations et des nationalités et sur la base d’un accord des républiques et des régions autonomes devaient être assumées au sein de la RSFY.
205. En ce qui concerne la nationalité, la Constitution disposait que tout citoyen de la République socialiste de Slovénie était également citoyen de la RSFY.
206. En 1989, l’amendement X à la Constitution de 1974 modifia l’article 2 comme suit :
Article 2
« La République de Slovénie existe dans le cadre de la RSFY sur la base du droit permanent, intégral et inaliénable du peuple slovène à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession. »
f) La loi sur la citoyenneté de la République socialiste de Slovénie (Zakon o državljanstvu Socialistične republike Slovenije – Journal officiel de la RSS, no 23/76 de 1976)
207. D’après l’article 1 de cette loi, tout citoyen de la République socialiste de Slovénie était également citoyen de la RSFY, ce qui établissait la primauté de la citoyenneté de la république.
g) La loi sur la circulation et le séjour des étrangers (Zakon o gibanju in prebivanju tujcev – Journal officiel de la RSFY, no 56/80 de 1980), dans sa teneur modifiée
208. Cette loi établissait clairement une distinction entre un permis de séjour temporaire ou permanent octroyé à un étranger sur le territoire de l’Etat et le permis de séjour temporaire ou permanent d’un ressortissant de la RSFY, qui indiquait son véritable lieu de résidence.
h) La loi sur le registre de la population et des justificatifs de résidence des habitants (Zakon o evidenci nastanitve občanov in o registru prebivalstva – Journal officiel de la RSFY, nos 6/83, 11/91 de 1983 et 1991)
209. Cette loi régissait l’enregistrement et la désinscription de la résidence permanente et temporaire et la tenue des registres de population sur le territoire slovène.
210. En 1991, son article 5, qui avait été modifié, se lisait ainsi :
« L’enregistrement de la résidence permanente et de tout changement d’adresse est obligatoire pour tout habitant, chaque fois qu’il s’installe de façon permanente dans un lieu ou change d’adresse. La désinscription de la résidence permanente est obligatoire pour tout habitant qui quitte le territoire de la République de Slovénie ».
i) Les règles sur la tenue et la gestion du registre des résidents permanents (Pravilnik o vodenju in vzdrževanju registra prebivalstva – Journal officiel de la RSFY, no 18/84 de 1984)
211. Les dispositions pertinentes de cette loi étaient ainsi libellées :
Article 4
« Les fiches personnelles contiennent les renseignements suivants sur les habitants :
le numéro d’identification personnelle propre à chacun (enotna matična številka občana)
l’affiliation nationale, la nationalité ou le groupe ethnique,
la citoyenneté d’une république socialiste,
Article 6
« Si l’autorité compétente décide qu’il n’y a plus lieu de conserver la fiche d’un habitant dans le fichier des résidents permanents, elle la retire de ce fichier et la transfère dans l’un des fichiers spéciaux. »
Article 9
L’autorité compétente est tenue de modifier et de compléter les dossiers en ce qui concerne les événements suivants :
la perte de la citoyenneté d’une république socialiste et de la nationalité de la RSFY et un changement concernant la citoyenneté d’une république socialiste,
2. La législation de la République de Slovénie
a) La déclaration de bonnes intentions (Izjava o dobrih namenih – Journal officiel de la RS, no 44/90-I de 1990)
212. La Déclaration de bonnes intentions, adoptée le 6 décembre 1990 au cours de la préparation du plébiscite sur l’indépendance de la Slovénie, avait pour objet d’exprimer l’engagement de l’Etat à respecter certaines valeurs dans la quête de l’indépendance. La disposition pertinente de ce document se lit ainsi :
« (...) L’Etat slovène (...) garantit à tous les membres des autres nations et nationalités le droit au développement complet de leurs culture et langue et aux résidents permanents de la Slovénie le droit d’obtenir la nationalité slovène s’ils le souhaitent (...) »
b) L’acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie (Temeljna ustavna listina o samostojnosti in neodvisnosti Republike Slovenije – Journal officiel de la RS no 1/91-I de 1991)
213. Les passages pertinents de l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie, publié le 25 juin 1991, disposent :
Article III
« La République de Slovénie garantit la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toutes les personnes se trouvant sur le territoire de la République de Slovénie, sans distinction d’appartenance nationale et sans aucune discrimination, conformément à la Constitution de la République de Slovénie et aux traités internationaux en vigueur (...) »
c) La loi constitutionnelle de 1991 relative à l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie (Ustavni zakon za izvedbo Temeljne ustavne listine o samostojnosti in neodvisnosti RS – Journal officiel de la RS no 1/91-I de 1991)
214. Les dispositions pertinentes de la loi constitutionnelle de 1991 se lisent ainsi :
Article 13
« Les citoyens des autres républiques [de l’ex-RSFY] qui, au 23 décembre 1990, date de la tenue du plébiscite sur l’indépendance de la République de Slovénie, étaient enregistrés comme résidents permanents en République de Slovénie et y vivaient effectivement jouiront, jusqu’à l’acquisition de la nationalité slovène en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité de la République de Slovénie ou jusqu’à l’expiration du délai fixé à l’article 81 de la loi sur les étrangers, des mêmes droits et obligations que les citoyens de la République de Slovénie (...) »
d) La Constitution de la République de Slovénie (Ustava Republike Slovenije – Journal officiel no 33/91-I de 1991)
215. Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Slovénie énoncent :
Article 8
« Les lois et les autres actes juridiques réglementaires doivent être conformes aux principes du droit international partout en vigueur et aux traités internationaux qui obligent la Slovénie. Les traités internationaux ratifiés et promulgués sont appliqués directement.
Article 14
« En Slovénie, les mêmes droits de l’homme et libertés fondamentales sont garantis à chacun, sans distinction de nationalité, de race, de sexe, de langue, de religion, de conviction politique ou autre, de situation matérielle, de naissance, d’instruction, de situation sociale, ou bien quelque autre condition personnelle.
Tous sont égaux devant la loi. »
Article 90
« L’Assemblée nationale peut, sur des questions déterminées par la loi, fixer la date d’un référendum. L’Assemblée nationale est liée par le résultat du référendum.
L’Assemblée nationale peut fixer la date d’un référendum comme mentionné à l’alinéa précédent de sa propre initiative, et elle doit en fixer la date si au moins un tiers des députés, le Conseil national ou quarante mille électeurs l’exigent.
Tous les citoyens possédant le droit de vote ont le droit de voter lors d’un référendum.
La proposition est adoptée lors du référendum, si la majorité des électeurs qui se sont prononcés ont voté en sa faveur.
Le référendum est réglé par une loi que l’Assemblée nationale adopte à la majorité des deux tiers des suffrages des députés présents. »
e) La loi sur la Cour constitutionnelle (Zakon o Ustavnem sodišču – Journal officiel de la RS, no 15/94 de 1994, dans sa teneur modifiée)
216. Les dispositions pertinentes de la loi sur la Cour constitutionnelle sont ainsi libellées :
Article 1
« 1. La Cour constitutionnelle est la juridiction suprême en matière de protection de la constitutionnalité, de la légalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
2. La Cour constitutionnelle est un organe de l’Etat autonome et indépendant dans ses relations avec les autres organes de l’Etat.
3. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont juridiquement contraignantes. »
Article 59
« 1. La Cour constitutionnelle soit refuse un recours comme non fondé soit l’accepte et annule l’acte contesté en tout ou en partie et renvoie l’affaire à l’organe compétent. (...) »
Article 60
« 1. Si la Cour constitutionnelle annule un acte individuel, elle peut également se prononcer sur le droit ou la liberté en cause si cela est nécessaire pour éliminer les conséquences déjà survenues du fait de cet acte ou si la nature de ce droit constitutionnel ou de cette liberté le requiert, et si les informations contenues dans le dossier rendent possible la prise de décision.
2. La décision visée à l’article précédent est exécutée par l’organe compétent pour l’application de l’acte individuel annulé par la Cour constitutionnelle et remplacé par sa décision. Si les textes en vigueur ne déterminent pas l’organe compétent, la Cour constitutionnelle en désigne un. »
f) La loi sur la nationalité de la République de Slovénie (Zakon o državljanstvu Republike Slovenije – Journal officiel nos 1/91-I, 30/91 et 96/2002 de 1991 et 2002)
217. Les dispositions pertinentes de la loi sur la nationalité se lisent ainsi :
Article 10
« L’autorité compétente peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, accorder la naturalisation à une personne qui la sollicite si cette mesure est conforme à l’intérêt national. Le demandeur doit remplir les conditions suivantes :
1. être âgé de 18 ans ;
2. être libéré de la nationalité qu’il possède au moment de la demande ou prouver qu’il en sera libéré s’il acquiert la nationalité de la République de Slovénie ;
3. vivre effectivement en Slovénie depuis dix ans, dont cinq ans sans interruption avant le dépôt de la demande ;
4. avoir une source de revenus permanente et garantie, au moins d’un montant permettant d’assurer une sécurité matérielle et sociale ;
5. maîtriser la langue slovène aux fins d’une communication courante ;
6. n’avoir pas été condamné à une peine d’emprisonnement de plus d’un an dans le pays dont il est ressortissant, ou n’avoir pas été condamné en Slovénie pour une infraction réprimée par le droit pénal, étant entendu que cette infraction est passible de sanction en vertu du droit de son pays et de celui de la République de Slovénie ;
7. ne pas être interdit de séjour en République de Slovénie ;
8. la naturalisation de la personne ne doit pas menacer l’ordre public, la sécurité ou la défense de l’Etat ;
Article 38
« Si la procédure d’établissement de la nationalité ou d’acquisition ou de perte de la nationalité de la République de Slovénie est introduite à la demande de la personne concernée, et s’il est impossible de la mener à terme sans sa coopération, son silence vaudra retrait de la demande si, en dépit des rappels de l’autorité compétente, elle n’accomplit pas, dans le délai requis, les actes nécessaires pour poursuivre la procédure ou y mettre fin, ou si l’on peut conclure de cette omission qu’elle n’est plus disposée à continuer la procédure.
Il ne peut être mis fin à la procédure pour les motifs énoncés au paragraphe précédent que dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle des rappels auront été adressés. »
Article 39
« Sont citoyens de la République de Slovénie en vertu de la présente loi toutes les personnes qui avaient la citoyenneté de la République de Slovénie et la nationalité de la République socialiste fédérative de Yougoslavie en vertu des dispositions alors en vigueur. »
Article 40
« Tout citoyen d’une autre république [de l’ex-RSFY] qui, au 23 décembre 1990, date du plébiscite sur l’indépendance de la République de Slovénie, était enregistré comme résident permanent en République de Slovénie et qui continue effectivement d’y résider peut acquérir la nationalité de la République de Slovénie s’il introduit, dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, une demande auprès des services administratifs chargés des affaires intérieures de sa commune de résidence (...) »
218. Le 14 décembre 1991, la loi sur la nationalité fut modifiée, les deux paragraphes suivants ayant été ajoutés à l’article 40 susmentionné :
« Même si le demandeur satisfait aux conditions énoncées au paragraphe précédent, sa demande sera rejetée si, après le 26 juin 1991, il a commis une infraction (...) contre la République de Slovénie ou porté atteinte à des valeurs protégées par le droit pénal conformément à l’article 4 de la loi constitutionnelle sur l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie, quel que soit le lieu où le crime a été commis. Si une procédure pénale est pendante, la procédure d’acquisition de la nationalité est suspendue jusqu’à ce que la décision rendue dans la procédure susmentionnée devienne définitive.
Même si le demandeur remplit les conditions d’acquisition de la nationalité énoncées au premier paragraphe, sa demande peut être rejetée [si l’octroi de la nationalité risque de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité ou à la défense de l’Etat]. »
219. Dans sa décision U-I-89/99 du 10 juin 1999, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la disposition citée au paragraphe ci-dessus, mentionnant l’« ordre public » comme motif de refus de la nationalité.
220. Le 14 novembre 2002, la loi sur la nationalité de la République de Slovénie fut de nouveau modifiée. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article 19
« Un adulte qui, au 23 décembre 1990, était enregistré comme résident permanent sur le territoire de la République de Slovénie et y réside de façon ininterrompue depuis cette date peut demander la nationalité de la République de Slovénie dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi s’il remplit les conditions énoncées dans (...) la présente loi.
Lorsqu’elle décide au regard du paragraphe précédent si le demandeur remplit les conditions énoncées dans (...) la présente loi, l’autorité compétente peut tenir compte de la durée du séjour de l’intéressé dans l’Etat, de ses liens personnels, familiaux, professionnels, sociaux et autres avec la République de Slovénie et des conséquences qu’aurait un refus pour le demandeur.
g) La loi sur les étrangers (Zakon o tujcih – Journal officiel no 1/91-I de 1991)
221. Les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers se lisent ainsi :
Article 13
« Tout étranger qui entre sur le territoire de la République de Slovénie en possession d’un passeport valide peut y séjourner pendant trois mois ou pendant la période de validité du visa qui lui aura été délivré, sauf disposition contraire d’un accord international (...)
Tout étranger qui souhaite rester sur le territoire de la République de Slovénie au-delà du délai prévu au paragraphe précédent pour des raisons d’études, de spécialisation, de travail, de traitement médical, d’expérience professionnelle ou parce qu’il est marié à un ressortissant de la République slovène, possède des biens immobiliers sur le territoire de la République de Slovénie ou jouit de droits attachés à un emploi dans cet Etat, ou pour toute autre raison valable exigeant qu’il réside sur le territoire de l’Etat, doit solliciter (...) un permis de séjour temporaire.
Article 14
« Un permis de séjour peut être délivré
i. à titre temporaire ; ou
ii. à titre permanent. »
Article 16
« Un permis de séjour permanent peut être délivré à un étranger qui réside de manière ininterrompue sur le territoire de la République de Slovénie depuis trois ans au moins sur la base d’un permis de séjour temporaire et qui remplit les conditions énoncées à l’article 13 de la présente loi pour l’octroi d’un permis de séjour permanent sur le territoire de la République de Slovénie (...) »
Article 23
« Un étranger qui réside sur le territoire de la République de Slovénie au titre d’un passeport étranger, d’un visa ou d’un permis d’entrée, ou encore d’un accord international (...) ou qui s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire (...) peut se voir refuser l’autorisation de demeurer dans le pays :
i. lorsque des raisons d’ordre public, de sécurité ou de défense de l’Etat l’exigent ;
ii. s’il refuse de se conformer à une décision des autorités de l’Etat ;
iii. s’il commet de manière répétée des infractions à l’ordre public, à la sécurité des frontières nationales ou aux dispositions de la présente loi ;
iv. s’il est condamné par une juridiction étrangère ou nationale pour un crime emportant une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois ;
v. s’il n’a plus des moyens de subsistance suffisants et que sa subsistance n’est pas garantie d’une autre manière ;
vi. pour la protection de la santé publique. »
Article 28
« Lorsqu’un étranger ne quitte pas de son propre chef le territoire de la République de Slovénie alors qu’il y est invité par l’autorité compétente ou les services administratifs chargés des affaires intérieures, ou lorsqu’il séjourne sur le territoire de la République de Slovénie au-delà de la période prévue par l’article 13 § 1 de la présente loi ou fixée par une décision octroyant une autorisation de séjour temporaire, un agent habilité des affaires intérieures peut le conduire à la frontière de l’Etat ou à la représentation consulaire ou diplomatique de l’Etat dont l’intéressé est ressortissant, et lui demander de franchir la frontière ou le remettre au représentant d’un pays étranger.
Lorsqu’un étranger ne quitte pas le territoire de la République de Slovénie conformément aux dispositions du paragraphe ci-dessus et ne peut être renvoyé immédiatement pour une raison quelconque, l’autorité concernée chargée des affaires intérieures ordonne son maintien dans un centre de transit pour étrangers pendant une période n’excédant pas trente jours s’il y a lieu de soupçonner que l’intéressé cherchera à se soustraire à la mesure de renvoi.
Lorsqu’un étranger ne peut quitter le territoire de la République de Slovénie immédiatement mais a des moyens de subsistance suffisants, l’autorité chargée des affaires intérieures peut désigner un autre lieu de résidence. »
Article 81
« Les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas aux ressortissants de la RSFY qui sont citoyens d’autres républiques et qui demandent la nationalité slovène en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité de la République de Slovénie dans le délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi tant que la décision rendue dans le cadre de la procédure administrative concernant la demande de nationalité n’est pas définitive.
En ce qui concerne les ressortissants de la RSFY qui sont citoyens d’autres républiques mais qui ne demandent pas la nationalité de la République de Slovénie dans le délai fixé au paragraphe précédent ou se voient refuser la nationalité, les dispositions de la présente loi s’appliqueront à l’issue d’une période de deux mois à compter de l’expiration du délai imparti pour demander la nationalité ou après que la décision rendue relativement à leur demande sera devenue définitive. »
Article 82
« (...) Un permis de séjour permanent délivré en vertu de la loi sur la circulation et le séjour des étrangers (...) demeure valable si l’étranger titulaire d’un tel permis réside de façon permanente sur le territoire de la République de Slovénie à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. »
222. Afin de faciliter l’acquisition de permis de séjour permanent aux citoyens des autres républiques de l’ex-RSFY qui n’avaient pas demandé la nationalité slovène ou qui avaient obtenu des permis de séjour en vertu de la loi sur les étrangers, le gouvernement adopta, le 3 septembre 1992, la décision suivante :
« (...) lors de l’examen des demandes de permis de séjour permanent soumises par les étrangers visés à l’article 16 de la loi sur les étrangers (...), le ministère de l’Intérieur considèrera que la condition d’un séjour permanent sur le territoire de la République de Slovénie est remplie lorsque l’étranger est enregistré comme résident permanent depuis trois ans au moins et résidait effectivement sur le territoire de la République de Slovénie avant l’application à son égard des dispositions de la loi sur les étrangers. »
223. En 1997, l’article 16 de la loi sur les étrangers fit l’objet d’une modification en vertu de laquelle une personne devait avoir résidé de façon ininterrompue pendant huit ans au titre d’un permis de séjour temporaire pour prétendre à un permis de séjour permanent.
h) La loi de 1999 sur les étrangers (Zakon o tujcih – Journal officiel nos 61/99 et 107/2006 de 1999 et 2000)
224. La loi de 1999 sur les étrangers remplaça celle de 1991. Plusieurs modifications y furent ensuite apportées en 2002, 2005 et 2006. La disposition pertinente de la loi de 1999 sur les étrangers, dans sa teneur modifiée, se lisait ainsi :
Article 36
« Les étrangers enregistrés comme résidents permanents en Slovénie et ceux qui y résident depuis un an en tant que résidents temporaires et détiennent un permis de séjour temporaire valable pour une période d’un an au moins ont droit, dans les conditions énoncées dans la présente loi, à la protection de leur vie familiale et au regroupement familial (...)
Toute demande de permis de séjour doit être introduite auprès d’une représentation consulaire ou diplomatique de Slovénie à l’étranger ou auprès de l’autorité compétente en Slovénie.
Aux fins de la présente loi, les membres de la famille proche d’un étranger sont :
i. son conjoint ;
ii. ses enfants mineurs non mariés ;
iii. les enfants mineurs non mariés de son conjoint ;
iv. ses parents, lorsque l’intéressé est mineur ;
v. ses enfants adultes non mariés et ses parents ou ceux de son conjoint qui sont à sa charge ou à celle de son conjoint conformément à la loi de l’Etat dont il a la nationalité.
i) La loi réglementant le statut juridique de citoyens des autres Etats successeurs de l’ex-RSFY résidant en République de Slovénie (Zakon o urejanju statusa državljanov drugih držav naslednic nekdanje SFRJ v Republiki Sloveniji – Journal officiel nos 61/99 et 54/2000 de 1999 et 2000)
225. Les dispositions pertinentes de cette loi qui fut adoptée à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 4 février 1999 (paragraphes 51-52 ci-dessus et 237-244 ci-dessous) énonçaient :
Article 1
« Tout citoyen d’un autre Etat successeur de l’ex-RSFY (« un étranger ») qui était enregistré comme résident permanent sur le territoire de la République de Slovénie le 23 décembre 1990 et réside effectivement en République de Slovénie, et tout étranger qui résidait effectivement en République de Slovénie le 25 juin 1991 et y réside sans interruption depuis lors se verra délivrer un permis de séjour permanent, nonobstant les dispositions de la loi sur les étrangers (...), s’ils remplissent les conditions énoncées dans la présente loi. »
Article 2
« Une demande de permis de séjour permanent doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi (...)
Un étranger qui a introduit une demande de permis de séjour permanent en vertu de l’article 40 de la loi sur la nationalité de la République de Slovénie (...) mais a essuyé un refus peut déposer une demande sur le fondement du paragraphe précédent dans un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ou de la date à laquelle la décision est devenue définitive, si une telle décision a été rendue après l’entrée en vigueur de la présente loi (...) »
Article 3
« Le demandeur ne se verra pas délivrer de permis de séjour permanent :
i. s’il a commis des infractions à la paix ou à l’ordre public en ayant recours à la violence après le 25 juin 1991 ; ou
ii. s’il a été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à un an après le 25 juin 1991 ; ou
iii. s’il a été condamné au total à plus de trois ans d’emprisonnement après le 25 juin 1991 ; ou
226. Cette loi fut modifiée en 2001 à la suite de la décision rendue par la Cour constitutionnelle du 18 mai 2000 (paragraphes 53 ci-dessus et 248-249 ci-dessous). L’article 3 originel fut remplacé par une nouvelle disposition ainsi libellée :
« Le ministère [de l’Intérieur] peut refuser un permis de séjour permanent à un étranger qui, par un jugement définitif :
i. a été condamné pour une infraction pénale à trois ans d’emprisonnement au moins ;
ii. a été condamné au total à plus de cinq ans d’emprisonnement ;
Lorsqu’il prend une décision sur la base du paragraphe précédent, le ministère tient compte de la durée du séjour du demandeur dans le pays, de ses liens personnels, familiaux, professionnels, sociaux et autres avec la République de Slovénie, et des conséquences éventuelles pour l’intéressé du refus de lui octroyer un permis de séjour permanent. »
j) Règlement sur les fiches d’enregistrement et de désinscription de la résidence permanente, sur la fiche personnelle et familiale et sur les modalités de tenue et de gestion du registre des résidents permanents (Pravilnik o obrazcu za prijavo oziroma odjavo stalnega prebivališča, o obrazcu osebnega kartona in kartona gospodinjstev ter o načinu vodenja in vzdrževanja registra stalnega prebivalstva – Journal officiel no 27/92 de 1992)
227. La disposition pertinente du règlement est ainsi libellée :
Article 5
« Le registre des résidents permanents contient des renseignements sur les citoyens de la République de Slovénie qui ont fait enregistrer leur résidence permanente sur le territoire de la commune.
Dans le registre des résidents permanents, l’autorité compétente identifie les citoyens de la République de Slovénie qui se rendent temporairement à l’étranger pour plus de trois mois, et les personnes que l’autorité compétente a refusé d’enregistrer comme résidents permanents (...) »
k) La loi sur l’emploi (Zakon o delovnih razmerjih – Journal officiel no 17/91 de 1991)
228. Les dispositions pertinentes de cette loi énoncent :
Article 80
« 1. Durant la grossesse et après la naissance de l’enfant, une femme qui travaille a droit à un congé de maternité et un congé parental d’une durée totale de 365 jours.
La femme qui travaille utilisera son droit au congé de maternité sous la forme d’une absence de son travail pendant 105 jours et, à l’issue de ce congé, utilisera son droit à un congé parental sous la forme d’une absence de son travail pendant 260 jours ou d’un travail à mi-temps jusqu’à ce que l’enfant ait dix-sept mois. »
229. L’accord d’autogestion sur le congé de maternité (Samoupravni sporazum o porodniškem dopustu, Journal officiel de la RSS, no 36/87, dans sa teneur modifiée), qui régissait auparavant le congé de maternité, renfermait des dispositions similaires.
l) La loi sur l’emploi des étrangers (Zakon o zaposlovanju tujcev – Journal officiel no 33/92 de 1992)
230. La disposition transitoire de l’article 23 de cette loi permettait à tout citoyen d’une république de l’ex-RSFY d’obtenir un permis de travail d’un an si, à la date de l’entrée en vigueur de la loi, il était officiellement employé en Slovénie pour une durée indéterminée et avait travaillé pendant moins de dix ans, ou s’il avait un emploi pour une durée déterminée ou une relation de travail pour une durée déterminée ou indéterminée en tant que migrant journalier, ou s’il était enregistré à l’agence pour l’emploi et percevait des prestations en vertu du règlement sur l’emploi et l’assurance-chômage. Tout citoyen de l’une des autres républiques de l’ex-RSFY (avec quelques exceptions) qui, à la date de l’entrée en vigueur de la loi, entretenait une relation de travail d’une durée indéterminée en Slovénie et avait travaillé au moins dix ans pouvait obtenir un permis de travail pour une durée indéterminée. Les deux catégories de demandeurs devaient avoir sollicité un permis de travail dans un délai de 90 jours à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi.
m) La loi sur l’assurance vieillesse et invalidité (Zakon o pokojninskem in invalidskem zavarovanju – Journal officiel no 106/99 de 1999)
231. Les dispositions suivantes de la loi sont pertinentes en l’espèce :
Article 1
« En République de Slovénie, le régime d’assurance vieillesse et invalidité comprend :
– un régime d’assurance vieillesse et invalidité obligatoire fondé sur la solidarité entre les générations ;
– des régimes d’assurance vieillesse et invalidité complémentaires, obligatoires et volontaires ; et
– un régime d’assurance vieillesse et invalidité fondé sur des comptes épargne-retraite personnels. »
Article 4
« 1. Les droits au titre de l’assurance obligatoire sont les suivants :
a) le droit à une pension :
– pension de retraite,
– pension d’invalidité,
– pension de veuvage,
– pension de survivant,
– pension partielle ;
Article 7
« 1. L’assurance obligatoire couvre les ressortissants de la République de Slovénie et les ressortissants étrangers, sous réserve qu’ils remplissent les conditions énoncées dans la présente loi ou dans le traité pertinent. (...) »
Article 13
« 1. L’assurance obligatoire couvre les personnes employées sur le territoire de la République de Slovénie. (...) »
n) La loi sur la procédure administrative générale (Zakon o splošnem upravnem postopku – Journal officiel no 80/99 de 1999, tel que modifié)
232. L’article 222 § 1 de cette loi énonce que dans les affaires simples, qui n’appellent pas de procédure d’examen séparée, un organe administratif est tenu de rendre une décision dans un délai d’un mois à compter du dépôt d’une demande. Dans toutes les autres affaires, l’organe administratif est tenu de rendre sa décision dans un délai de deux mois.
233. L’article 222 § 4 autorise une partie dont la demande n’a pas fait l’objet d’une décision dans les délais fixés à l’alinéa 1 à former un recours, comme si sa demande avait été refusée.
o) La loi sur le contentieux administratif (Zakon o upravnem sporu – Journal officiel no 105/2006 de 2006)
234. Les dispositions pertinentes de cette loi énoncent :
Article 28
« 1. L’action doit être introduite dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle l’acte administratif concluant la procédure a été pris. Le représentant de l’intérêt public peut introduire une action, même s’il n’était pas partie à la procédure dans laquelle l’acte administratif a été pris, dans le même délai que celui applicable à la partie à laquelle l’acte administratif est favorable.
2. Si l’instance d’appel ne statue pas sur le recours du demandeur contre la décision de première instance dans un délai de deux mois ou, le cas échéant, dans un délai plus court prévu par un règlement spécial, et n’octroie pas d’indemnité à la suite d’une demande ultérieure dans un délai supplémentaire de sept jours, le demandeur peut introduire une action administrative, comme si sa demande avait été refusée. »
Article 33
« 1. Une action peut être introduite pour solliciter :
– l’annulation d’un acte administratif (action en contestation),
– la prise ou la notification d’un acte administratif (action découlant de l’absence de réponse d’une autorité),
– la modification d’un acte administratif (action dans le cadre d’un contentieux de pleine juridiction). »
235. Des dispositions similaires figuraient aux articles 26 et 31 de la loi sur le contentieux administratif, en vigueur précédemment (Journal officiel no 50/97, dans sa teneur modifiée).
3. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la République de Slovénie
a) Décision du 4 février 1999 (U-I-284/94)
236. Le 24 juin 1998, la Cour constitutionnelle déclara en partie recevable le recours par lequel deux personnes dont les noms avaient été effacés du registre en 1992 contestaient la constitutionnalité de la loi sur les étrangers.
237. Par une décision du 4 février 1999 (U-I-284/94), la Cour constitutionnelle jugea que l’article 81 de la loi sur les étrangers n’était pas conforme à la Constitution, au motif qu’il ne prévoyait pas, pour les personnes visées en son second paragraphe, les conditions d’acquisition du statut de résident permanent. Elle releva que les autorités avaient effacé du registre les noms de citoyens des républiques de l’ex-RSFY qui n’avaient pas sollicité la nationalité slovène et les avaient inscrits d’office dans le registre des étrangers, sans avertir les intéressés. Elle estima en outre que cette mesure était dépourvue de base légale, la loi sur le registre de la population et des justificatifs de résidence des habitants ne prévoyant pas de mesure de radiation ex lege.
238. La Cour constitutionnelle déclara que les dispositions de la loi sur les étrangers visaient, de manière générale, à régler le statut des étrangers qui étaient entrés en Slovénie après l’indépendance, et non celui des étrangers qui y vivaient déjà. Si l’article 82 de la loi sur les étrangers régissait le statut juridique des étrangers non originaires de l’une des républiques de l’ex-RSFY, il n’existait aucune disposition concernant les ressortissants de l’ex-RSFY. Par conséquent, ces derniers se trouvaient dans une situation juridique moins favorable que les étrangers qui résidaient déjà en Slovénie avant l’indépendance. L’absence de réglementation du statut juridique de ces personnes était contraire à l’article 14 § 2 de la Constitution.
239. La Cour constitutionnelle nota à cet égard qu’en 1991, au cours du processus législatif, une proposition avait été formulée en vue de l’adoption d’une disposition spéciale réglant la situation temporaire des citoyens de l’ex-RSFY qui résidaient en Slovénie mais n’avaient pas demandé la nationalité slovène. Le corps législatif avait estimé que la situation de ces personnes ne devait pas être réglée par la loi sur les étrangers mais plutôt par un accord entre les Etats successeurs de l’ex-RSFY. Ces accords n’ayant pas été conclus, notamment en raison de la guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, la situation de ces personnes n’avait pas été traitée. De l’avis de la Cour constitutionnelle, eu égard à l’évolution récente en matière de protection des droits de l’homme, la situation des personnes qui détenaient la nationalité d’un Etat prédécesseur, mais non de l’Etat successeur, et résidaient de façon permanente sur le territoire d’Etats divisés après 1990, devait être réglée dans le cadre d’accords internationaux.
240. En outre, il n’était pas possible de s’appuyer sur les dispositions de la loi sur les étrangers réglementant l’acquisition du statut de résident permanent et de celui de résident temporaire (articles 13 et 16 de la loi) pour régler le statut des citoyens des républiques de l’ex-RSFY, la question de la résidence permanente et le point de savoir si le demandeur avait effectivement résidé en Slovénie étant des circonstances particulières qui exigeaient un examen spécial. Les citoyens des républiques de l’ex-RSFY pouvaient raisonnablement escompter que les nouvelles conditions à satisfaire pour qu’ils puissent conserver leur statut de résident permanent en Slovénie ne seraient pas plus strictes que celles posées à l’article 13 de la loi constitutionnelle relative à l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie et à l’article 40 de la loi sur la nationalité, et que leur statut serait déterminé conformément au droit international.
241. L’article 81 fut donc déclaré inconstitutionnel car il ne prévoyait pas, pour les personnes visées par cette disposition qui n’avaient pas demandé la nationalité slovène ou ne l’avaient pas obtenue, les conditions dans lesquelles elles pouvaient solliciter le statut de résident permanent après l’expiration du délai prescrit. Un vide juridique avait ainsi été créé et les principes de l’Etat de droit, de la sécurité juridique et de l’égalité avaient été méconnus.
242. La Cour constitutionnelle conclut en outre que l’article 16 § 1 de la loi sur les étrangers n’était pas contraire à la Constitution, car il s’appliquait uniquement aux étrangers qui étaient entrés en Slovénie après l’indépendance.
243. Elle accorda un délai de six mois au législateur pour modifier les dispositions inconstitutionnelles. Elle déclara que, dans l’intervalle, aucun citoyen de l’ex-RSFY qui était enregistré comme résident permanent en Slovénie au 23 décembre 1990, date de la tenue du plébiscite sur l’indépendance, et qui résidait en Slovénie à la date du prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, ne pouvait être renvoyé de force de Slovénie en vertu de l’article 28 de la loi sur les étrangers.
244. La Cour constitutionnelle souligna également que le manquement à régler le statut des citoyens des républiques de l’ex-RSFY qui se trouvaient dans une situation juridique précaire pouvait donner lieu à une violation du droit au respect de la vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention.
b) Décision du 1er juillet 1999 (Up-333/96)
245. Dans sa décision du 1er juillet 1999 (Up-333/96), la Cour constitutionnelle renvoya aux conclusions qu’elle avait formulées dans sa décision du 4 février 1999 et répéta que les citoyens des républiques de l’ex-RSFY se trouvaient dans une position moins favorable que d’autres ressortissants étrangers qui résidaient en Slovénie à la date de l’indépendance. Elle releva qu’à la suite de sa décision du 4 février 1999 un projet de loi – la loi sur le statut juridique – visant à traiter la question soulevée dans cette décision, avait été rédigé mais n’avait pas encore été adopté.
246. Dans l’affaire dont la Cour constitutionnelle était saisie, le plaignant, dont le nom avait été effacé du registre en 1992, s’était vu refuser le renouvellement de son permis de conduire, car il était considéré comme un étranger qui ne résidait pas légalement en Slovénie. La Cour constitutionnelle décida que, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi sur le statut juridique, l’intéressé devait bénéficier du statut qu’il aurait eu en vertu de l’article 13 de l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie avant l’expiration du délai fixé à l’article 81 de la loi de 1991. Elle ordonna aux autorités d’enregistrer l’intéressé comme résident permanent à l’adresse à laquelle il avait vécu avant que son nom fût illégalement effacé du registre, et de renouveler son permis de conduire.
c) Décision du 15 juillet 1999 (Up-60/97)
247. La décision du 15 juillet 1999 (Up-60/97) concernait des membres d’une même famille, citoyens de l’une des républiques de l’ex-RSFY, qui s’étaient vu refuser le statut de résident permanent en vertu de l’article 16 de la loi sur les étrangers, parce que le père avait perdu son emploi. Pour des motifs analogues à ceux invoqués dans la décision Up-333/96, la Cour constitutionnelle dit que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi sur le statut juridique les autorités devaient enregistrer les intéressés comme résidents permanents à l’adresse à laquelle ils avaient vécu avant que leurs noms fussent illégalement effacés du registre.
d) Décision du 18 mai 2000 (U-I-295/99)
248. Dans sa décision du 18 mai 2000 (U-I-295/99), la Cour constitutionnelle annula les premier, deuxième et troisième alinéas de l’article 3 de la loi sur le statut juridique. Elle estima que les conditions imposées pour l’acquisition du statut de résident permanent dans ces dispositions étaient plus strictes que les critères de révocation d’un permis de séjour permanent prévus par la loi sur les étrangers.
249. Elle ajouta qu’il fallait régulariser la situation juridique des citoyens des républiques de l’ex-RSFY en tenant compte du statut que les intéressés auraient eu, mais n’avaient pas eu, en raison du manquement du législateur à cet égard. Elle répéta que le statut juridique des citoyens des républiques de l’ex-RSFY ne devait pas être fondamentalement différent de celui dont jouissaient des ressortissants étrangers qui avaient acquis le statut de résident permanent en République de Slovénie avant l’indépendance.
e) Décision du 3 avril 2003 (U-I-246/02)
250. Dans l’affaire no U-I-246/02, la Cour constitutionnelle réitéra sa décision du 4 février 1999. Elle jugea la loi sur le statut juridique inconstitutionnelle car, premièrement, elle ne reconnaissait pas aux personnes dont le nom avait été effacé du registre le statut de résident permanent avec effet rétroactif à partir de la date de l’effacement ; deuxièmement, elle ne prévoyait pas de permis de séjour permanent pour les citoyens de républiques de l’ex-RSFY qui avaient été renvoyés de force de Slovénie en vertu de l’article 28 de la loi sur les étrangers ; et, troisièmement, elle ne définissait pas le sens de l’expression « résidant effectivement » qui figurait à l’article 1. La Cour constitutionnelle déclara également inconstitutionnel le délai de trois mois fixé pour l’introduction d’une demande d’obtention du statut de résident permanent car il était déraisonnablement court. Elle ordonna au législateur de corriger les dispositions inconstitutionnelles de la loi litigieuse dans un délai de six mois.
251. Au point 8 du dispositif de la décision, elle déclara que les permis de séjour permanent déjà délivrés à des citoyens de républiques de l’ex-RSFY conformément à la loi sur le statut juridique, à la loi sur les étrangers ou à la loi de 1999 sur les étrangers prendraient effet le 26 février 1992, si les noms avaient été effacés du registre à cette date. Elle ordonna également au ministère de rendre d’office des décisions complémentaires établissant rétroactivement, à compter de cette date, le statut de résident permanent des intéressés. Une fois cela fait, les personnes qui avaient bénéficié du statut de résident permanent jusqu’au 26 février 1992 mais n’avaient pas pu jouir de certains droits après cette date puisque la question de leur statut juridique n’était pas réglée, pourraient revendiquer leurs droits conformément à la législation pertinente.
252. En outre, la Cour constitutionnelle estima que des dispositions spéciales s’imposaient pour régler la situation de ceux qui avaient été renvoyés de force de Slovénie, bien qu’elle soupçonnât que le nombre d’individus touchés serait probablement faible, étant donné que la situation illégale de ces personnes avait de manière générale été tolérée.
253. En outre, la Cour constitutionnelle déclara que, lors de la fixation d’un nouveau délai pour le dépôt de demandes du statut de résident permanent, si tant est qu’un tel délai dût être prévu, le législateur devait tenir compte des circonstances personnelles et autres qui avaient pu empêcher les personnes concernées d’introduire leur demande à temps. Elle ajouta que, jusqu’à la fixation d’un tel délai, les intéressés pouvaient continuer à déposer des demandes en vue de l’obtention du statut de résident permanent.
254. Enfin, la Cour constitutionnelle fit observer qu’à la date du 10 février 2003 11 746 citoyens des républiques de l’ex-RSFY avaient obtenu le statut de résident permanent sur le fondement de la loi sur le statut juridique, 385 demandes avaient été écartées ou rejetées, 980 demandes étaient pendantes et environ 4 300 ressortissants des républiques de l’ex-RSFY n’avaient pas demandé le statut de résident permanent. Les décisions concernant le premier groupe de personnes revêtaient un caractère constitutif et n’avaient donc qu’un effet ex nunc. La Cour constitutionnelle souligna en outre l’importance du statut de résident permanent pour la garantie de certains droits et prestations. Les citoyens des républiques de l’ex-RSFY qui n’avaient pas ce statut étaient privés de certains droits dont jouissaient les étrangers en bénéficiant – droit à une pension militaire et à certaines prestations de retraite et droit de renouveler leur permis de conduire, par exemple.
255. Par la suite, dans une décision rendue le 22 décembre 2003, la Cour constitutionnelle précisa que sa décision du 3 avril 2003 constituait la base légale pour la délivrance de permis de séjour complémentaires par le ministère et que celui-ci était tenu de l’exécuter.
f) Décision du 2 mars 2006 (Up-211/04)
256. Dans sa décision du 2 mars 2006, la Cour constitutionnelle annula les jugements de la Cour suprême et du tribunal administratif, rejetant la demande du plaignant tendant à l’obtention d’un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique, et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif. Elle invita celui-ci à évaluer de manière appropriée l’expression juridique figurant à l’article 1 de la loi sur le statut juridique, à savoir « réside effectivement sur le territoire de la République de Slovénie » depuis le 23 décembre 1990 et les motifs de l’absence du plaignant de Slovénie.
257. En particulier, la Cour constitutionnelle déclara que le fait que le législateur eût tardé à éliminer l’irrégularité n’empêchait pas les tribunaux de rendre en l’espèce une décision conforme à celle qu’elle avait rendue le 3 avril 2003 (paragraphes 250-255 ci-dessus).
B. Textes et documents internationaux
1. Union européenne
a) La Convention et le Règlement de Dublin
258. La Convention de Dublin (Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, 15 juin 1990) prévoyait des mesures destinées à veiller à ce que les demandes d’asile soient examinées par l’un des Etats membres. Les articles 4 à 8 énonçaient les critères à appliquer pour déterminer quel Etat membre était seul responsable de l’examen de la demande d’asile.
259. La Convention fut remplacée par le Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (« Dublin II », « le Règlement de Dublin »). Le Règlement de Dublin s’applique à l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, à la Norvège et à l’Islande. Son article 3 § 1 prévoit l’examen des demandes d’asile par un seul Etat membre, qui est déterminé selon les critères énoncés au chapitre III. Si la responsabilité d’un Etat membre ne peut être définie sur la base de ces critères, c’est le premier Etat membre dans lequel la demande d’asile a été introduite qui est responsable de l’examen (article 11).
b) La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, Journal Officiel L 158 du 30 avril 2004
Article 8
« (...) pour des séjours d’une durée supérieure à trois mois, l’Etat membre d’accueil peut imposer aux citoyens de l’Union de se faire enregistrer auprès des autorités compétentes. (...) »
Article 9
« 1. Les Etats membres délivrent une carte de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un Etat membre lorsque la durée du séjour envisagé est supérieure à trois mois.
2. Le délai imparti pour introduire la demande de carte de séjour ne peut pas être inférieur à trois mois à compter de la date d’arrivée.
3. Le non-respect de l’obligation de demander la carte de séjour peut être passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées. »
Article 10
« 1. Le droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un Etat membre est constaté par la délivrance d’un document dénommé « Carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union » au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande. Une attestation du dépôt de la demande de carte de séjour est délivrée immédiatement.
2. Pour la délivrance de la carte de séjour, les Etats membres demandent la présentation des documents suivants :
a) un passeport en cours de validité ;
b) un document attestant l’existence d’un lien de parenté ou d’un partenariat enregistré ;
c) l’attestation d’enregistrement ou, en l’absence d’un système d’enregistrement, une autre preuve du séjour dans l’Etat membre d’accueil du citoyen de l’Union qu’ils accompagnent ou rejoignent ;
d) dans les cas visés à l’article 2, paragraphe 2, points c) et d), les pièces justificatives attestant que les conditions énoncées dans cette disposition sont remplies ;
e) dans les cas visés à l’article 3, paragraphe 2, point a), un document délivré par l’autorité compétente du pays d’origine ou de provenance attestant qu’ils sont à la charge du citoyen de l’Union ou font partie de son ménage, ou une preuve de l’existence de raisons de santé graves qui exigent que le citoyen de l’Union s’occupe personnellement du membre de la famille concerné ;
f) dans les cas relevant de l’article 3, paragraphe 2, point b), une preuve de l’existence d’une relation durable avec le citoyen de l’Union. »
Article 11
« 1. La carte de séjour prévue à l’article 10, paragraphe 1, a une durée de validité de cinq ans à dater de sa délivrance ou une durée correspondant à la durée du séjour envisagée du citoyen de l’Union si celle-ci est inférieure à cinq ans.
2. La validité de la carte de séjour n’est pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas six mois par an, ni par des absences d’une durée plus longue pour l’accomplissement des obligations militaires ou par une absence de douze mois consécutifs au maximum pour des raisons importantes, telles qu’une grossesse et un accouchement, une maladie grave, des études ou une formation professionnelle, ou un détachement pour raisons professionnelles dans un autre Etat membre ou d’un pays tiers. »
Article 16
« 1. Les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’Etat membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire. Ce droit n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III.
2. Le paragraphe 1 s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un Etat membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’Etat membre d’accueil.
3. La continuité du séjour n’est pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas au total six mois par an, ni par des absences plus longues pour l’accomplissement d’obligations miliaires ou par une absence ininterrompue de douze mois consécutifs au maximum pour des raisons importantes, telles qu’une grossesse et un accouchement, une maladie grave, des études ou une formation professionnelle, ou le détachement pour raisons professionnelles dans un autre Etat membre ou un pays tiers.
4. Une fois acquis, le droit de séjour permanent ne se perd que par des absences d’une durée supérieure à deux ans consécutifs de l’Etat membre d’accueil. »
Article 20
« 1. Les Etats membres délivrent une carte de séjour permanent aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un Etat membre et qui bénéficient du droit de séjour permanent, dans les six mois du dépôt de la demande. La carte de séjour permanent est renouvelable de plein droit tous les dix ans.
2. La demande de carte de séjour permanent est introduite avant l’expiration de la première carte de séjour. Le non-respect de l’obligation de demander la carte de séjour permanent est passible de sanctions non discriminatoires et proportionnées.
3. Les interruptions de séjour d’une durée inférieure ou égale à deux ans consécutifs n’affectent pas la validité de la carte de séjour permanent. »
2. Conseil de l’Europe
a) Les Conventions relatives à la nationalité
260. Le principal texte du Conseil de l’Europe concernant la nationalité est la Convention européenne sur la nationalité, qui fut adoptée le 6 novembre 1997 et entra en vigueur le 1er mars 2000. La Slovénie ne l’a pas signée.
Article 18
« 1. S’agissant des questions de nationalité en cas de succession d’Etats, chaque Etat Partie concerné doit respecter les principes de la prééminence du droit, les règles en matière de droits de l’homme et les principes qui figurent (...) de cette Convention (...), notamment pour éviter l’apatridie.
2. En se prononçant sur l’octroi ou la conservation de la nationalité en cas de succession d’Etats, chaque Etat Partie concerné doit tenir compte notamment :
a) du lien véritable et effectif entre la personne concernée et l’Etat ;
b) de la résidence habituelle de la personne concernée au moment de la succession d’Etats ;
c) de la volonté de la personne concernée ;
d) de l’origine territoriale de la personne concernée.
261. Le 15 mars 2006, le Conseil de l’Europe adopta la Convention sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats qui entra en vigueur le 1er mai 2009. La Slovénie ne l’a pas signée.
Article 5
« 1. L’Etat successeur accorde sa nationalité aux personnes qui, au moment de la succession d’Etats, possédaient la nationalité de l’Etat prédécesseur, et qui sont ou deviendraient apatrides par suite de la succession d’Etats si, à ce moment-là :
a) elles résident habituellement sur le territoire devenu territoire de l’Etat successeur ; ou
b) elles ne résident habituellement dans aucun des Etats concernés mais ont un lien de rattachement avec l’Etat successeur.
2. Au sens du paragraphe 1, alinéa b, un « lien de rattachement » inclut notamment :
a) un lien juridique avec une unité territoriale d’un Etat prédécesseur devenue territoire de l’Etat successeur ;
b) naissance sur le territoire devenu territoire de l’Etat successeur ;
c) une dernière résidence habituelle sur le territoire de l’Etat prédécesseur devenu territoire de l’Etat successeur. »
Article 11
« Les Etats concernés prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir que les personnes concernées seront suffisamment informées des règles et procédures relatives à l’acquisition de leur nationalité ».
b) La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
262. Le 26 mai 2005, le Comité consultatif sur la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales adopta son deuxième avis sur la Slovénie. Le 1er décembre 2005, les autorités slovènes soumirent leurs commentaires écrits. Les parties pertinentes de l’Avis sont ainsi libellées :
« Situation juridique des personnes rayées de la liste des résidents permanents
Constats du premier cycle
54. Dans son premier Avis, le Comité consultatif s’inquiétait de la situation problématique d’un certain nombre d’anciens ressortissants d’autres républiques de l’ex-Yougoslavie (RSFY), qui se sont retrouvées étrangers sur le territoire où ils vivaient et dépourvus d’un statut juridique confirmé, suite à leur suppression du registre des résidents permanents, en 1992.
Situation actuelle
a) Evolutions positives
55. Le Comité consultatif relève que certaines évolutions positives ont été enregistrées dans ce domaine. Ainsi, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur ces questions en affirmant clairement la nécessité de restaurer, sans tarder et avec effet rétroactif, les droits des anciens citoyens yougoslaves non Slovènes qui ont été, selon la Cour, illégalement effacés des registres des résidents permanents. Le Comité consultatif note en outre que des efforts ont été faits sur le plan législatif pour régulariser la situation juridique de ces personnes et qu’une bonne partie d’entre elles se sont vu accorder, ces dernières années, sur la base de décisions individuelles issues par le ministère de l’Intérieur, le statut de résidents permanents.
b) Questions non résolues
56. Le Comité consultatif note avec préoccupation que, malgré les décisions de la Cour constitutionnelle portant sur leur situation, plusieurs milliers de personnes dont les noms ont été rayés, le 26 février 1992, des registres des résidents permanents pour être transférés d’office dans ceux des étrangers, continuent à attendre, depuis plus de dix ans, une clarification de leur statut juridique. Il s’agit de citoyens d’anciennes républiques yougoslaves, y compris un certain nombre de Rom, qui vivaient légalement sur le territoire de la Slovénie et qui, pour différentes raisons, n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu obtenir la citoyenneté slovène, dans le bref délai imparti à cette fin par les autorités après l’indépendance du pays.
57. L’absence de citoyenneté ou d’autorisation de séjour a entraîné dans de nombreux cas des conséquences particulièrement négatives sur la situation de ces personnes. Elle a notamment ouvert la voie à la violation de leurs droits économiques et sociaux, certains ayant perdu leur logement, leur travail ou encore le droit à la pension de retraite et a entraîné de graves difficultés dans l’exercice de leur droits à la vie de famille ou à la liberté de circulation.
58. Le Comité consultatif note que des initiatives plus récentes du Gouvernement ont visé, en conformité avec les décisions afférentes de la Cour constitutionnelle, à rétablir les droits de ces personnes avec effet rétroactif. Il trouve préoccupant que ces initiatives aient été bloquées depuis plus d’un an et que le climat social slovène n’ait pas été favorable à un règlement plus rapide de ces problèmes. Lors du référendum organisé en avril 2004 sur la loi relative à l’application du point no 8 de la Décision de la Cour constitutionnelle no U-I-246/02 (la loi dite « loi technique sur les personnes rayées de la liste des résidents permanents »), 94,7 % des personnes y ayant participé (représentant 31,45 % des votants) se sont prononcées contre cette loi (voir également les observations relatives à l’article 6 ci-dessous).
59. Le Comité consultatif note que les autorités sont en train de préparer, au niveau gouvernemental, un nouveau texte normatif censé apporter des solutions aux problèmes ci-dessus mentionnées. Dans la mesure où cette nouvelle initiative ne relève pas encore du domaine public, il est difficile d’apprécier, à ce stade, si les mesures envisagées, législatives ou autres, seront de nature à conduire à un règlement global et définitif de la situation.
Recommandations
60. Les autorités devraient apporter sans plus tarder des solutions aux problèmes rencontrés par les non-Slovènes originaires de l’ex-Yougoslavie (RSFY) ayant été rayés du registre des résidents permanents en ce qui concerne la régularisation de leur situation juridique, y compris l’accès à la citoyenneté ainsi qu’aux droits sociaux et économiques.
61. Les autorités devraient en même temps accorder leur soutien à ces personnes pour faire face aux difficultés résultant de cette situation et faciliter par des mesures ciblées leur participation effective et leur intégration dans la société slovène. »
263. Le 14 juin 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta la résolution ResCMN(2006)6 sur la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par la Slovénie, dans laquelle il se préoccupait notamment de la situation des non-Slovènes originaires de l’ex-Yougoslavie (RSFY), dont le statut juridique n’avait toujours pas été réglé, ce qui posait des problèmes en termes d’accès aux droits socio-économiques, y compris éducationnels, et de participation effective. Le Comité invitait les autorités slovènes à trouver des solutions pour régler sans tarder la situation des non-Slovènes de l’ex-Yougoslavie (RSFY) dont le statut juridique sur le territoire slovène n’avait toujours pas été régularisé et à prendre des mesures spécifiques d’accompagnement, sur le plan social et économique, à l’égard de ces personnes.
c) Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
264. Le 29 mars 2006 fut publié le rapport de suivi sur la Slovénie (2003–2005) : Evaluation des progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Les parties pertinentes se lisent ainsi :
« 46. Le sort des personnes radiées est une question politiquement sensible, qui continue à diviser l’opinion et à soulever des débats très animés en Slovénie. Malheureusement, certains partis politiques utilisent régulièrement ce thème comme une arme électorale. Dans la période précédant les élections législatives d’octobre 2004, notamment, de nombreux responsables politiques ont tenu des propos xénophobes au sujet des personnes radiées ou d’autres personnes, considérées comme non slovènes ou différentes de quelque façon que ce soit.
47. En avril 2003, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt déclarant que la loi de 1999 visant à résoudre le cas des personnes radiées était anticonstitutionnelle. Selon la Cour, ceux qui avaient déjà acquis le statut de résident permanent conformément à cette loi devaient bénéficier de ce statut de façon rétroactive à compter du 26 février 1992. La Cour a également enjoint au législateur de modifier la loi dans les six mois afin de fixer un nouveau délai applicable à d’éventuelles nouvelles demandes de résidence permanente.
48. En application de cet arrêt, le ministère de l’Intérieur devait émettre des décisions supplémentaires donnant valeur rétroactive à tous les permis de résidence permanente déjà obtenus par des ressortissants d’anciennes Républiques yougoslaves qui avaient été rayés du registre des résidents le 26 février 1992. La Cour constitutionnelle a confirmé sa position dans un autre arrêt rendu en décembre 2003, selon lequel l’arrêt d’avril 2003 pouvait être considéré comme une base juridique suffisante pour accorder la résidence permanente avec un effet rétroactif, sans avoir à adopter de législation spécifique. Conformément aux décisions de la Cour, après un laps de temps, le ministère de l’Intérieur a commencé à prendre des arrêtés de résidence permanente à valeur rétroactive. Environ 4 100 arrêtés de ce type avaient été pris depuis lors ; cependant, au moment de la visite de suivi, la délivrance de ces décisions était semble-t-il suspendue.
49. Selon les informations fournies par l’Association des personnes radiées, sur les 18 305 personnes rayées de la liste des résidents, environ 12 000 possèdent aujourd’hui soit la nationalité, soit un permis de résidence permanente. Conformément à l’arrêt de la Cour de 2003, le statut de résident permanent de l’ensemble de ces 12 000 personnes aurait dû être déclaré rétroactif.
50. L’adoption de la loi réglementant le statut des personnes radiées qui ont été expulsées de Slovénie ou qui en sont parties demeure une question non résolue. Cette loi fait toujours l’objet de discussions animées, qui se concentrent sur les critères à retenir pour définir l’absence légitime de Slovénie et la situation des personnes expulsées, mais aussi sur le caractère de la loi : devrait-elle être adoptée par la procédure législative normale ou en tant que loi constitutionnelle.
Conclusions
51. Le Commissaire demande au ministère de l’Intérieur de recommencer à prendre les décisions supplémentaires donnant un effet rétroactif aux permis de résidence permanente de toutes les personnes y ayant droit.
52. Concernant l’adoption de la loi régissant et restaurant le statut des personnes radiées demeurées en Slovénie, le Commissaire demande au gouvernement slovène de résoudre définitivement cette question de bonne foi et conformément aux arrêts de la Cour constitutionnelle. Quelle que soit la solution juridique appropriée, l’impasse actuelle reflète peu l’état de droit et les arrêts de la Cour Constitutionnelle de Slovénie.
53. Le Commissaire est extrêmement préoccupé par les manifestations publiques et répétées de haine et d’intolérance de la part de certains politiciens. Le Commissaire invite les responsables politiques et les médias à plus de responsabilité à cet égard et au plein respect des droits et valeurs reconnus par la Convention européenne des Droits de l’Homme et les autres instruments internationaux. »
265. Le Commissaire se rendit en Slovénie les 6 et 7 octobre 2009, et aborda, entre autres, avec les autorités slovènes, la question des « personnes effacées ».
d) Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
266. Le 13 février 2007, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (« ECRI ») publia son troisième rapport sur la Slovénie, qui avait été adopté le 30 juin 2006. Ce rapport décrit la situation des « personnes effacées » comme suit :
« 109. Dans son second rapport, l’ECRI a traité de manière approfondie la situation des citoyens des pays de l’ex-Yougoslavie dont les noms ont été supprimés d’office du registre des résidents permanents de la Slovénie en 1992, et qui depuis, sont souvent désignés comme étant les « effacés ». Comme il est expliqué dans ledit rapport, suite au conflit armé qui a eu lieu en Slovénie en 1991 et à l’indépendance consécutive du pays, plus de 170 000 des quelque 200 000 résidents permanents de Slovénie originaires des autres pays de l’ex-Yougoslavie ont obtenu la citoyenneté slovène en vertu de la loi de 1991 sur la nationalité. Cette loi leur accordait un délai de six mois pour soumettre leur demande de naturalisation. Sur les 30 000 personnes restantes, environ 11 000 ont quitté la Slovénie vers ce moment-là. Cependant, pour diverses raisons comprenant la guerre entre les Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie, la situation incertaine prévalant dans les autres Etats de l’ex-Yougoslavie et la destruction, la perte ou l’inaccessibilité à des documents personnels, 18 305 résidents permanents n’ont pas demandé la nationalité slovène ou ont été empêchés de le faire, ou l’avaient demandée et ne l’avaient pas obtenue. Comme indiqué, ces personnes ont été effacées du registre de résidents permanents le 26 février 1992. La plupart de ces personnes dont beaucoup seraient peu éduquées, vivaient en Slovénie depuis longtemps, certaines y étant même nées. Pourtant, du fait de l’effacement de leur nom sur les registres, elles sont devenues étrangères et se sont retrouvées privées de statut juridique en Slovénie, du jour au lendemain, et dans bien des cas sans même le savoir. La perte de leur statut juridique a entraîné la perte de l’accès aux droits fondamentaux liés au statut de résident, notamment le droit au travail, l’accès aux soins de santé et aux autres droits sociaux, mais aussi l’invalidation de leurs documents d’identité et le risque d’être expulsées.
110. Dans son second rapport, l’ECRI a noté l’adoption d’une loi en 1999 accordant aux « effacés » la possibilité de demander le statut de résidents permanents. Toutefois, elle a également noté que le délai de trois mois imparti pour présenter la demande et la condition que les demandeurs prouvent qu’ils vivent en Slovénie depuis 1991 sans interruption de plus de trois mois limitaient sérieusement l’efficacité de cette loi. L’ECRI note le fait que 12 000 personnes environ ont obtenu un permis de séjour permanent en application de cette loi. Cependant, ces permis de séjour ne prenaient effet qu’à la date de leur délivrance (dans la plupart des cas, en 1999) et non à la date de l’effacement du registre (le 26 février 1992).
111. L’ECRI note qu’en avril 2003, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la loi de 1999, notamment parce que : elle ne prévoit pas que les permis prennent effet rétroactivement ; elle ne règle pas la question de l’obtention d’un permis de séjour par les personnes « effacées » qui ont été expulsées de Slovénie ; et elle ne contient aucun critère permettant de définir la notion de résidence continue en Slovénie. La Cour constitutionnelle a donc établi que le ministère de l’Intérieur devait rendre des décisions administratives complémentaires déclarant que les permis de séjour déjà accordés prenaient effet rétroactivement le 26 février 1992. Elle a également établi que la loi de 1999 devait être modifiée sous six mois afin de déterminer un nouveau délai de dépôt d’éventuelles nouvelles demandes de naturalisation.
112. Quant au premier point, l’ECRI note qu’avec un certain retard, le ministère de l’Intérieur du gouvernement précédent a commencé à rendre des décisions administratives complémentaires à la fin de l’année 2004 donnant effet rétroactif aux permis de séjour. L’ECRI note, cependant, que seules 4 100 décisions de ce type ont été rendues. Les représentants du ministère de l’Intérieur du présent gouvernement ont déclaré considérer que les fondements juridiques de ces décisions complémentaires n’étaient pas assez solides et qu’il convenait tout d’abord de faire passer une loi de portée générale établissant les conditions et les critères d’octroi du permis de séjour. L’ECRI note, cependant, qu’en décembre 2003, la Cour constitutionnelle a clairement indiqué que son arrêt d’avril 2003 constituait un fondement juridique suffisant pour rendre de telles décisions et qu’en fait, les 4 100 décisions administratives déjà rendues l’avaient été en vertu de son arrêt. L’ECRI se déclare vivement préoccupée du fait qu’environ les deux tiers des « effacés » qui sont nationaux ou titulaires d’un permis de séjour permanent en Slovénie depuis le 26 février 1992 ne peuvent toujours pas être réintégrés dans leurs droits liés au statut de résident permanent rétroactivement à compter de la date de l’effacement de leur nom sur le registre en question.
113. En ce qui concerne la mise en œuvre des autres parties de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, la situation semble extrêmement confuse et incertaine à l’heure de la rédaction du présent rapport, et ceci préoccupe sérieusement l’ECRI. Le problème porte essentiellement sur l’adoption d’une loi régissant le statut d’environ 6 000 « effacés » qui n’ont pas encore obtenu la nationalité slovène ou un permis de séjour permanent et dont la situation actuelle est variable : certains sont titulaires d’un permis de séjour temporaire (environ 2 500 personnes), d’autres vivent en Slovénie sans statut juridique, d’autres encore ont quitté la Slovénie et certains ont été expulsés. Les autorités slovènes ont fait savoir à l’ECRI qu’elles avaient décidé d’adopter cet acte normatif sous la forme d’une loi constitutionnelle. L’ECRI note que cette décision a été largement contestée, tant par le parlement que par la société civile, parce que ce choix conduit effectivement et délibérément à empêcher la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, notamment parce qu’il implique le recours à des moyens et des procédures constitutionnels (une majorité qualifiée au parlement, entre autres) pour traiter des questions qui devraient être réglées par les voies législatives habituelles. L’ECRI ignore la teneur exacte de cette loi, qui serait en cours de rédaction, et il n’a pas été possible de savoir quand elle devrait être adoptée. Quoi qu’il en soit, l’ECRI déplore le fait qu’en n’appliquant pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle, les autorités slovènes empêchent environ 6 000 personnes de réintégrer des droits dont elles ont été privées illégalement il y a de cela plus de quinze ans.
114. Plus généralement l’ECRI est profondément préoccupée par le ton dominant dans le débat public et politique en Slovénie à l’égard des « effacés » depuis l’établissement de son dernier rapport. Elle regrette que cette frange de la population slovène ait, en de nombreuses occasions, fait l’objet de considérations purement politiques, que leur situation ait été exploitée pour attirer les suffrages et que le débat sur la situation de ces personnes se soit progressivement écarté des considérations de droits de l’homme. Il est particulièrement regrettable que ce contexte ait encouragé et favorisé le racisme et la xénophobie, notamment par le biais de généralisations et de déformations au sujet de la loyauté de ces personnes envers l’Etat slovène ou du fardeau économique que ferait peser la réintégration dans leurs droits.
Recommandations :
115. L’ECRI exhorte les autorités slovènes à réintégrer dans leurs droits les personnes dont le nom a été effacé des registres des résidents permanents le 26 février 1992. A cette fin, elle leur recommande vivement de mettre en œuvre, de bonne foi et sans plus tarder, l’arrêt rendu en avril 2003 par la Cour constitutionnelle. Il s’agit ainsi de relancer et mener à bien la procédure de délivrance de décisions complémentaires accordant rétroactivement les droits attachés au permis de séjour permanent, et d’adopter un cadre juridique permettant aux personnes « effacées » qui n’ont pas encore un droit de séjour permanent ou la nationalité slovène d’être réintégrées dans leurs droits de la manière la plus juste et la plus généreuse possible.
116. L’ECRI exhorte les autorités slovènes à montrer l’exemple en ancrant solidement le débat public sur la situation des « effacés » sur le plan des droits de l’homme et en s’abstenant de recourir à des généralisations et des déformations à leur sujet qui nourrissent le racisme et la xénophobie. »
3. Nations unies
267. En 1961, les Nations unies adoptèrent la Convention sur la réduction de l’apatridie. La Slovénie ne l’a pas ratifiée.
268. Le 2 juin 2003, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale publia ses conclusions conformément à l’article 9 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont les passages pertinents se lisent ainsi :
« 13. Le Comité est encouragé par les mesures prises par l’Etat partie en vue de régler la question déjà ancienne des personnes vivant en Slovénie qui n’ont pas pu obtenir la nationalité slovène. Il déplore néanmoins que bon nombre des personnes qui n’ont pas acquis cette nationalité risquent de se heurter à des difficultés administratives en voulant s’acquitter des obligations particulières prévues par la loi. Le Comité recommande à l’Etat partie de régler cette question à titre prioritaire et, compte tenu des difficultés qui sont apparues, de faire en sorte que la nouvelle loi sur la nationalité soit appliquée de façon non discriminatoire.
14. Le Comité déplore le fait qu’un nombre important de personnes qui vivent en Slovénie depuis l’indépendance sans être de nationalité slovène puissent avoir été privées dans certaines circonstances de leurs droits à pension, des appartements qu’elles occupaient, et de soins de santé et autres droits. Il prend note des efforts engagés pour régler ces problèmes et prie l’Etat partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des renseignements précis sur ces questions et les recours accordés. »
269. Lors de sa séance tenue le 30 janvier 2004, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies adopta ses observations finales au titre de l’article 44 de la Convention relative aux droits de l’enfant dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« 26. Le Comité prend note des arrêts de la Cour constitutionnelle (U-I-284/94 du 4 février 1999 et U-I-246/02 du 3 avril 2003) dans lesquels cette juridiction a considéré que la décision de rayer environ 18 300 personnes originaires d’autres entités de l’ex-République socialiste fédérale de Yougoslavie du registre des résidents permanents en 1992 n’avait pas de base légale et que le statut de résident permanent devait être restitué rétroactivement à ces personnes. Le Comité constate avec préoccupation que de nombreux enfants ont été touchés par cette mesure étant donné qu’eux-mêmes et les membres de leur famille ont cessé d’avoir droit aux soins de santé, à l’assistance sociale et aux allocations familiales à cause de la perte de leur statut de résident permanent et que les enfants nés en Slovénie après 1992 étaient devenus apatrides.
27. Le Comité recommande à l’Etat partie d’appliquer rapidement et pleinement les arrêts de la Cour constitutionnelle, de dédommager les enfants qui ont été lésés par cette mesure et de veiller à ce qu’ils jouissent de tous les droits inscrits dans la Convention de la même manière que les autres enfants vivant dans l’Etat partie. »
270. Le 25 juillet 2005, le Comité des droits de l’homme des Nations unies publia ses observations finales sur le deuxième rapport périodique présenté par la Slovénie conformément à l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« 10. S’il reconnaît les efforts déployés par l’Etat partie pour accorder le statut de résident permanent en Slovénie ou la nationalité slovène aux citoyens des autres républiques de l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie vivant en Slovénie, le Comité reste toutefois préoccupé par le cas des personnes qui n’ont pas encore réussi à régulariser leur situation dans l’Etat partie (art. 12 et 13).
L’Etat partie devrait s’efforcer de régler le statut juridique de tous les citoyens des Etats successeurs de l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie qui vivent en Slovénie et de faciliter l’acquisition de la nationalité slovène par toutes les personnes résidant en Slovénie qui souhaitent devenir des citoyens de la République de Slovénie. »
271. Le 25 janvier 2005, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels publia ses observations finales conformément aux articles 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans lesquelles il précisait notamment :
« 16. Le Comité juge préoccupante la situation de certains ressortissants de l’ex-Yougoslavie, dits «effacés», qui ont été rayés des registres de la population en 1992, et qui, en conséquence, ont perdu la nationalité slovène et ont été privés de leur droit de résidence en Slovénie. Il observe que cette situation entraîne des violations des droits économiques et sociaux de ces personnes, notamment de leurs droits au travail, à la sécurité sociale, à la santé et à l’éducation. Il regrette par ailleurs l’absence de renseignements concernant la situation concrète de ces individus s’agissant de la jouissance des droits énoncés dans le Pacte
32. Le Comité prie instamment l’Etat partie de prendre les mesures législatives et autres nécessaires pour remédier à la situation des ressortissants de l’ex-Yougoslavie, dits « effacés », qui ont été rayés des registres de la population en 1992. Tout en prenant note du fait que des accords bilatéraux ont été conclus à cet égard, il recommande vivement à l’Etat partie de restituer le statut de résidents permanents à tous les individus concernés, en conformité avec les décisions pertinentes de la Cour constitutionnelle. Ces mesures devraient permettre que les droits de ces personnes leur soient à nouveau reconnus, et qu’elles puissent avoir de nouveau accès aux services de santé, à la sécurité sociale, à l’éducation et au travail. Le Comité prie l’Etat partie de rendre compte, dans son prochain rapport périodique, des progrès accomplis à cet égard. (...) »
272. En 1999, la Commission du droit international des Nations unies adopta un projet d’articles sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’Etats, dont l’article 6 énonçait :
« Chaque Etat concerné devrait adopter sans retard injustifié une législation sur la nationalité et les questions connexes en relation avec la succession d’Etats qui corresponde aux dispositions des présents articles. Il devrait prendre toutes les mesures appropriées pour que les personnes concernées soient informées, dans un délai raisonnable, de l’effet de cette législation sur leur nationalité, des options qu’elle peut leur offrir ainsi que des conséquences que l’exercice de ces options aura pour leur statut ».
EN DROIT
I. SUR LA QUALITÉ POUR AGIR DE Mme MARIJA BAN
273. La Cour doit d’abord examiner si Mme Marija Ban a qualité pour poursuivre la procédure initialement introduite par M. Milan Makuc, qui est décédé le 2 juin 2008 au cours de la procédure.
274. Elle observe que les représentants des requérants ont d’abord demandé au frère de M. Makuc s’il souhaitait ou non poursuivre la procédure devant elle, mais celui-ci n’a pas exprimé une telle intention (paragraphe 81 ci-dessus). A l’époque, le gouvernement défendeur a estimé qu’il fallait respecter le souhait du frère du requérant et qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure au nom du défunt. En revanche, invoquant l’arrêt Karner c. Autriche (no 40016/98, § 25, CEDH 2003-IX), les représentants du requérant ont soutenu que la présente affaire dépassait la personne et les intérêts du seul requérant et que le respect des droits de l’homme garanti par la Convention exigeait de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1).
275. Par la suite, le 16 janvier 2009, la cousine de feu le requérant, Mme Marija Ban, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure devant la Cour. Elle a informé ultérieurement celle-ci que la procédure relative à la succession était pendante.
276. La Cour relève que dans plusieurs affaires dans lesquelles le requérant est décédé après l’introduction de sa requête, elle a tenu compte de l’intention des héritiers ou parents proches du défunt de poursuivre la procédure (voir, par exemple, Malhous c. République tchèque (déc.), no 33071/96, CEDH 2000-XII, et Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, §§ 189-192, 3 octobre 2008). Dans ce contexte elle a recherché si les personnes qui souhaitaient poursuivre la procédure étaient ou non des parents proches du requérant (Thevenon c. France (déc.), no 2476/02, CEDH 2006-III, et Scherer c. Suisse, 25 mars 1994, §§ 31-32, série A no 287). En outre la Cour a appliqué un second critère, la transmissibilité des droits en cause. D’une part, elle a poursuivi l’examen d’affaires concernant des créances de nature patrimoniale qui étaient transmissibles aux héritiers du requérant défunt (voir, par exemple, Ahmet Sadık c. Grèce, 15 novembre 1996, § 26, Recueil des arrêts et décisions 1996-V ; et, mutatis mutandis, Karner, précité, § 25). D’autre part, elle a estimé que certains autres droits, tels que ceux garantis par les articles 5 et 8 (Thevenon, précité) ou les articles 2, 3, 5, 8, 9 et 14 (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI) étaient éminemment personnels et non transférables (Vääri c. Estonie (déc.), no 8702/04, 8 juillet 2008, avec les références qui y sont citées).
La Cour a également examiné si l’affaire en question soulevait d’importantes questions d’intérêt général dépassant la personne et les intérêts du requérant (Karner, précité, §§ 25-27 ; Marie-Louise Loyen et Bruneel c. France, no 55929/00, § 29, 5 juillet 2005 ; et Biç et autres c. Turquie, no 55955/00, § 23, 2 février 2006).
277. Quant au cas d’espèce, la Cour observe d’emblée que Mme Ban cherche à poursuivre la procédure concernant les violations alléguées des droits de son cousin, M. Makuc, le requérant initial. Elle note que les représentants du requérant ont d’abord demandé au frère de M. Makuc s’il souhaitait continuer la procédure devant elle, ce qui n’a pas été le cas. Elle relève donc que Mme Ban n’est pas l’une des plus proches parentes de M. Makuc et note que la procédure relative à la succession ouverte à la suite du décès du requérant est toujours pendante et que, à sa connaissance, les héritiers du défunt n’ont pas encore été déterminés. En outre, elle est d’avis que l’affaire concerne des questions relevant pour l’essentiel de l’article 8 de la Convention, qui sont étroitement liées à la personne de M. Makuc. Enfin, considérant que la requête a été introduite par onze requérants et que la procédure devant elle continue en ce qui concerne dix requérants, elle estime que la question de savoir si la protection de l’intérêt général appelle un examen des griefs de M. Makuc est sans objet. Dès lors, la Cour estime que la cousine de M. Makuc n’a pas d’intérêt juridique à poursuivre la procédure. Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
II. SUR LA RECEVABILITÉ
1. Les thèses des parties
a) Les exceptions préliminaires du gouvernement défendeur
278. Le gouvernement défendeur soutient que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, la réglementation de la nationalité et du séjour ne relevant pas de la Convention (il invoque à cet égard l’arrêt Üner c. Pays-Bas ([GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006-XII). En outre, le droit à la nationalité n’aurait jamais été refusé aux requérants, puisqu’ils n’auraient pas demandé la nationalité. De même, la plupart d’entre eux n’auraient jamais sollicité de permis de séjour permanent en Slovénie.
279. Quoi qu’il en soit, les griefs des requérants échapperaient à la compétence ratione temporis de la Cour, les actes instantanés qui seraient, d’après les requérants, à l’origine des violations alléguées – l’entrée en vigueur de la législation sur l’indépendance et l’effacement ultérieur du nom des intéressés du registre des résidents permanents – ayant eu lieu en 1992, soit avant le 28 juin 1994, date de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 à l’égard de la Slovénie (le Gouvernement invoque à cet égard l’arrêt Malhous, précité).
280. La Cour ne serait pas non plus compétente pour examiner la procédure ultérieure, qui serait indissociable du premier événement, lequel échapperait à la compétence de la Cour (Moldovan et autres et Rostaş et autres c. Roumanie (déc.), nos 41138/98 et 64320/01, 13 mars 2001 ; Voroshilov c. Russie (déc.), no 21501/02, 8 décembre 2005 ; et Kadiķis c. Lettonie (déc.), no 47634/99, 29 juin 2000).
281. En particulier, pour autant que Mme Ana Mezga allègue avoir été privée de son droit à un congé de maternité, le gouvernement défendeur indique que ce congé aurait dû prendre fin le 26 juillet 1992 au plus tard, c’est-à-dire également avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Slovénie.
282. En outre, le gouvernement défendeur excipe du non-respect de la règle des six mois posée par l’article 35 § 1 de la Convention. Invoquant l’arrêt Posti et Rahko c. Finlande (no 27824/95, § 40, CEDH 2002-VII), il soutient que la situation en cause ne peut être interprétée comme une « situation continue » aux fins de la règle des six mois. La jurisprudence de la Cour exigerait d’établir une distinction entre une situation de violation continue et ses conséquences, qui peuvent s’étaler dans le temps bien que la violation en soi ait eu lieu à un moment précis.
283. En outre, les requérants seraient dès le début restés en défaut d’épuiser les voies de recours internes, au mépris de l’article 35 § 1 de la Convention, que ce soit en ce qui concerne la nationalité slovène au regard de la loi sur la nationalité ou en ce qui concerne les nouveaux permis de séjour délivrés en vertu de la loi sur les étrangers. Le transfert de leurs noms d’un registre à l’autre résulterait uniquement de leur omission, l’inscription dans un registre revêtant un caractère purement déclaratoire.
284. D’après le Gouvernement, les requérants auraient dû solliciter un permis de séjour permanent en vertu de la loi de 1999 sur les étrangers ou de la loi sur le statut juridique et, finalement, après l’épuisement des voies de recours à leur disposition dans le cadre de la procédure administrative, ils auraient dû former un recours constitutionnel. Compte tenu des décisions rendues par la Cour constitutionnelle, en particulier celle du 3 avril 2003, les requérants auraient pu faire effectivement protéger leurs droits par la Cour constitutionnelle, qui aurait eu plénitude de juridiction en vertu de l’article 60 de la loi sur la Cour constitutionnelle, disposition qui aurait déjà été appliquée à plusieurs occasions (paragraphe 216 ci-dessus). Dans un certain nombre de procédures introduites par les « personnes effacées », la Cour constitutionnelle aurait fait droit à de tels recours et comblé le vide juridique créé par l’inexécution de la décision de la Cour constitutionnelle par le législateur (paragraphes 245-257 ci-dessus).
285. En particulier, M. Kurić, M. Dabetić et Mme et M. Ristanović n’auraient jamais sollicité de permis de séjour permanent. Mme Mezga aurait engagé une procédure qui aurait toutefois été clôturée en raison de son manque de coopération. En outre, la demande de M. Ademi aurait été rejetée, faute d’éléments de preuve. Ni Mme Mezga ni M. Ademi n’auraient formé de recours administratif. Les demandes de MM. Berisha et Minić tendant à l’obtention de permis de séjour auraient été refusées et ils auraient engagé une procédure administrative, qui serait toujours pendante. Huit requérants n’auraient donc pas engagé de procédure ni correctement épuisé les voies de recours internes à leur disposition.
286. En outre, le Gouvernement soutient que MM. Petreš et Jovanović ne peuvent plus se prétendre « victimes », au regard de l’article 34 de la Convention, des violations alléguées puisqu’ils ont obtenu des permis de séjour permanent. Il en serait de même pour Mme Mezga, qui se serait vu délivrer un permis de séjour temporaire de cinq ans.
287. En outre, en ce qui concerne leur grief relatif à leurs droits à pension sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, MM. Ljubomir Petreš, Mustafa Kurić et Jovan Jovanović seraient également restés en défaut d’épuiser les voies de recours internes, le droit à une pension étant imprescriptible et inaliénable en vertu de la loi sur l’assurance vieillesse et invalidité. Dès lors, les allégations des requérants relatives à la perte de leurs cotisations de sécurité sociale seraient infondées ; les périodes de cotisation retenues pour le droit à pension des intéressé n’auraient jamais été effacées des registres de la caisse d’assurance vieillesse et invalidité slovène. Les requérants auraient donc toujours la faculté d’engager une procédure, puisqu’ils auraient droit à une pension dès lors qu’ils rempliraient les conditions prévues par la loi (voir, par exemple, Müller c. Autriche, no 5849/72, Rapport de la Commission du 1er octobre 1975, Décisions et rapports, DR 3, p. 25).
288. Quant aux observations soumises par le gouvernement serbe en sa qualité de tiers intervenant (paragraphes 298-302 ci-dessous), le gouvernement défendeur les conteste.
289. Enfin, il soutient que la requête est quoi qu’il en soit manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
b) Les requérants
290. En ce qui concerne l’existence d’une violation continue, les requérants soutiennent que la décision du gouvernement défendeur de transférer leurs noms d’un registre à l’autre a certes eu lieu à un moment bien précis, mais que leurs griefs ne sont pas fondés sur cet acte mais plutôt sur la situation de droit et de fait née de l’« effacement », à laquelle il n’a toujours pas été remédié. La situation s’analyserait donc indubitablement en une violation continue (les requérants invoquent les arrêts Hutten-Czapska c. Pologne ([GC], no 35014/97, §§ 152-153, CEDH 2006-VIII), et Skrzyński c. Pologne, (no 38672/02, §§ 39-42, 6 septembre 2007).
291. Ce constat aurait inévitablement des incidences sur la compétence ratione temporis de la Cour. Conforment à la jurisprudence susmentionnée, à compter de la date de ratification, tous les actes et omissions prétendument imputables à l’Etat devraient être conformes à la Convention et à ses Protocoles et les faits postérieurs relèveraient de la juridiction de la Cour, quand bien même ils ne seraient que le prolongement d’une situation préexistante.
292. D’après la jurisprudence de la Cour, le délai de six mois ne s’appliquerait pas aux violations revêtant un caractère continu. En particulier, le gouvernement défendeur n’aurait rien fait pour exécuter la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 3 avril 2003. En outre, les recours à la disposition des requérants ne seraient pas effectifs. Ceux-ci estiment être dispensés de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes car leur situation serait née de pratiques administratives illégales et en raison de leur extrême vulnérabilité (les intéressés invoquent l’arrêt Aksoy c. Turquie (18 décembre 1996, §§ 52-57, Recueil 1996-VI)).
293. Quant à l’épuisement des voies de recours internes, aucun des recours internes disponibles ne pourrait passer pour effectif, étant donné l’absence de loi systémique visant à remédier à la situation des « personnes effacées ». Dès lors, pour les requérants, il serait illusoire d’utiliser des recours, tels que la procédure administrative, dans l’espoir que le tribunal administratif applique les recommandations de la Cour constitutionnelle, étant donné le silence des autorités. Quand bien même une décision favorable serait rendue, elle serait probablement rapidement annulée par une loi ultérieure. Quoi qu’il en soit, la plupart des requérants auraient engagé une procédure judiciaire pour contester les décisions pertinentes rendues en première instance, mais il serait illusoire d’attendre une issue favorable. La charge que le gouvernement défendeur souhaiterait faire peser sur les requérants serait totalement disproportionnée ; il chercherait à faire porter l’entière responsabilité de l’« effacement » par les victimes.
294. Quant aux quatre requérants qui n’auraient jamais demandé de permis de séjour, deux d’entre eux, MM. Kurić et Dabetić, auraient utilisé les voies de recours internes accessibles alors que les deux autres, Mme et M. Ristanović, n’auraient pas rempli les conditions posées par la législation en vigueur, la décision de la Cour constitutionnelle n’ayant pas été appliquée. En ce qui concerne Mme Mezga, qui a vu sa demande rejetée en raison de son inactivité, les requérants soutiennent que les personnes dont la situation n’est pas régularisée ont des difficultés à réunir des documents prouvant qu’elles ont séjourné sans interruption en Slovénie. Enfin, la procédure engagée par MM. Berisha et Minić serait toujours pendante. En tout état de cause, ces procédures ne pourraient passer pour effectives (paragraphes 158 et 189-192 ci-dessus).
295. D’après les requérants, ceux d’entre eux qui ont obtenu des permis de séjour permanent ex nunc continuent d’être victimes des violations alléguées de la Convention. Contrairement à ce qu’exigerait la jurisprudence pertinente (Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, série A no 51), le gouvernement défendeur n’aurait pas reconnu l’existence d’une violation et aucune réparation sous forme d’indemnisation n’aurait été offerte aux requérants.
296. Quant à la violation alléguée de leurs droits à pension, MM. Ljubomir Petreš, Mustafa Kurić et Jovan Jovanović soutiennent que, dans le contexte rare de la succession d’Etats, l’Etat successeur a l’obligation d’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit au respect des biens, d’ouvrir les droits au titre des cotisations déjà versées et d’accorder aux intéressés, pour les périodes antérieures et postérieures à l’« effacement », des droits à pension qui soient au moins proportionnés à la rente à laquelle ils auraient pu prétendre sur la base de leur salaire réajusté au moment de l’« effacement ».
297. Quant aux arguments du Gouvernement selon lesquels leurs allégations sont quoi qu’il en soit manifestement mal fondées, les requérants invoquent l’obligation de notification du gouvernement défendeur, en particulier dans le cas d’une succession d’Etats, et l’illégalité de l’« effacement » d’office, également reconnue par la Cour constitutionnelle.
c) Le gouvernement intervenant
298. Le gouvernement serbe déclare avoir soumis des observations en qualité de tiers intervenant en raison de l’importance des questions en jeu et du contexte originel des violations alléguées, à savoir la dissolution de la RSFY.
299. En vertu d’un principe de droit international généralement accepté, un traité international ne serait pas applicable à des actes ou faits survenus ou à des situations ayant pris fin avant l’entrée en vigueur dudit traité et sa ratification par l’Etat en question. Il en serait de même pour la Convention et la compétence ratione temporis de la Cour pour connaître de l’affaire.
300. Toutefois, le « concept de violation continue » pourrait jouer un rôle important dans la protection des droits garantis par la Convention, puisque les requérants ne demanderaient pas réparation pour un effet instantané du manquement de l’Etat défendeur à réglementer leur statut juridique mais pour les graves conséquences qu’auraient eues les lacunes juridiques sur la jouissance par eux du droit à la vie privée et familiale pendant un certain nombre d’années. En tout état de cause, les violations alléguées perdureraient depuis la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Slovénie, le 28 juin 1994.
301. Quant aux exceptions soulevées par le gouvernement défendeur relativement au non-épuisement des voies de recours internes par les requérants, le gouvernement intervenant soutient que les voies de droit offertes se sont révélées à la fois ineffectives et inadéquates dans les circonstances de l’espèce.
302. Les requérants n’ayant disposé d’aucun recours interne effectif quant à leurs griefs, le point de départ du délai de six mois ne pourrait être que l’acte ou l’omission litigieux des autorités. D’après la jurisprudence de la Cour, des violations de la Convention étant résultées d’une disposition juridique – en l’occurence une série de lois n’ayant pas réglé la question de manière adéquate – engendreraient une « situation continue ». En l’espèce, le maintien en vigueur de dispositions législatives ayant été déclarées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle, en raison de l’inactivité des autorités de l’Etat, s’analyserait en une ingérence continue dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie privée et familiale.
2. Appréciation de la Cour
303. En ce qui concerne l’exception préliminaire du gouvernement défendeur selon laquelle les griefs formulés par les requérants sur le terrain de l’article 8 de la Convention sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, la Cour estime, eu égard aux observations des parties, que ce volet de la requête soulève des questions complexes de fait comme de droit qui ne peuvent être résolues sans un examen au fond. Il s’ensuit que cette partie de la requête ne saurait être considérée comme manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Par ailleurs, aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé (Makuc et autres (déc.), no 26828/06, §§ 166-169, 31 mai 2007, et Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 88, CEDH 2002-II).
304. Quant à sa compétence ratione temporis, la Cour rappelle qu’elle ne couvre que la période postérieure à la date de ratification de la Convention et de ses Protocoles par l’Etat défendeur. A compter de la date de la ratification, tous les actes imputables à l’Etat doivent se conformer à la Convention ou à ses Protocoles, et les faits postérieurs n’échappent pas à la compétence de la Cour, même lorsqu’ils ne sont que les prolongements d’une situation préexistante (voir, par exemple, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, § 43, CEDH 2000-I). Dès lors, la Cour n’est compétente pour examiner la compatibilité des faits de l’espèce avec la Convention que dans la mesure où ils se sont produits après le 28 juin 1994, date de la ratification de la Convention et du Protocole no 1 par la Slovénie. Elle peut cependant avoir égard aux faits antérieurs à la ratification pour autant que l’on puisse les considérer comme étant à l’origine d’une situation qui s’est prolongée au-delà de cette date ou importants pour comprendre les faits survenus après cette date (voir Hutten-Czapska, précité, §§ 147-153).
305. La Cour observe que les griefs des requérants ont trait à la situation générale qui est la leur en raison du non-respect de la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 3 avril 2003, laquelle a jugé l’« effacement » inconstitutionnel. Cette situation existait le 28 juin 1994 et perdure depuis plus de quinze ans, depuis l’entrée en vigueur de la Convention et de ses Protocoles à l’égard de la Slovénie (voir, a contrario, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 140, 9 avril 2009). Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence ratione temporis soulevée par le gouvernement défendeur.
306. La Cour rappelle en outre que la règle des six mois n’est pas applicable en cas de violations continues. L’exception du gouvernement défendeur relative au non-respect du délai de six mois doit donc être rejetée.
307. Pour autant que le gouvernement défendeur excipe de l’incompatibilité ratione temporis avec les dispositions de la Convention des griefs soulevés par Mme Mezga sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour relève que la requérante était en congé de maternité en 1992 (paragraphe 128 ci-dessus), soit avant la ratification du Protocole no 1 par la Slovénie. Il s’ensuit que les griefs de l’intéressée doivent être déclarés incompatibles ratione temporis avec les dispositions de la Convention et être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
308. En ce qui concerne l’exception soulevée par le gouvernement défendeur relativement au non-épuisement des voies de recours internes par les requérants, la Cour rappelle que la Cour constitutionnelle a jugé l’« effacement » inconstitutionnel à diverses occasions et que les requérants se plaignent essentiellement du non-respect de ces décisions. Dès lors, cette exception doit être rejetée (Tokić et autres c. Bosnie-Herzégovine, nos 12455/04, 14140/05, 12906/06 et 26028/06, §§ 57-58, 8 juillet 2008).
309. Enfin, le gouvernement défendeur formule une exception concernant MM. Petreš et Jovanović, lesquels, d’après lui, ne peuvent plus se prétendre « victimes » au regard de l’article 34 de la Convention des violations alléguées puisqu’ils ont obtenu des permis de séjour permanent. Il en serait de même pour Mme Mezga, laquelle s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire valable cinq ans.
310. La Cour relève que le 3 mars 2009, MM. Petreš et Jovanović se sont vu octroyer d’office des permis de séjour complémentaires sur le fondement du point 8 du dispositif de la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 3 avril 2003, ce qui leur donnait le statut de résident à compter du 26 février 1992 (paragraphes 57, 101-103 et 116-118 ci-dessus).
311. La Cour estime que les faits matériels dénoncés par les requérants ont cessé d’exister et que la délivrance de permis de séjour rétroactifs, conformément à la décision de la Cour constitutionnelle, constitue un redressement adéquat et suffisant de leurs griefs tirés des articles 8, 13 et 14 de la Convention. Il s’ensuit que les intéressés ne peuvent plus se prétendre « victimes » des violations alléguées (voir, mutatis mutandis, Chevanova c. Lettonie (radiation) [GC], no 58822/00, §§ 48-50, 7 décembre 2007).
312. En revanche, Mme Mezga n’a jamais obtenu un tel permis. L’exception du gouvernement défendeur la concernant doit donc être rejetée.
313. Quant à la violation alléguée des droits à pension de MM. Ljubomir Petreš, Mustafa Kurić et Jovan Jovanović, la Cour rappelle que dès lors qu’un Etat contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale – que l’octroi de cette prestation dépende ou non du versement préalable de cotisations –, cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 54, CEDH 2005-X ; Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 77, CEDH 2009-... ; et Predojević et autres c. Slovénie (déc.), nos 43445/98, 49740/99, 49747/99, 54217/00, 7 juin 2001).
314. La Cour note toutefois qu’aucun des trois requérants n’a engagé de procédure devant la caisse d’assurance vieillesse et invalidité pour faire valoir ses droits à pension. Ils n’ont donc pas correctement épuisé les voies de recours internes, contrairement à ce qu’exige l’article 35 § 1 de la Convention.
315. Par conséquent, la Cour déclare les griefs tirés des articles 8, 13 et 14 de la Convention recevables en ce qui concerne M. Mustafa Kurić, M. Velimir Dabetić, Mme Ana Mezga, Mme Ljubenka Ristanović, M. Tripun Ristanović, M. Ali Berisha, M. Ilfan Sadik Ademi et M. Zoran Minić.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
316. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, les requérants allèguent avoir été arbitrairement privés de la possibilité d’acquérir la nationalité slovène et/ou de conserver leur statut de résident permanent après que la Slovénie eut déclaré son indépendance en 1991, parce qu’ils n’ont pas pu soumettre de demande officielle tendant à l’obtention de la nationalité dans le court délai fixé par la loi. En conséquence, le 26 février 1992, leurs noms auraient été illégalement « effacés » du registre des résidents permanents.
317. Par la suite, les requérants n’auraient pas été en mesure de demander la nationalité slovène ou un permis de séjour permanent en Slovénie. En outre, certains d’entre eux n’auraient pas pu obtenir la nationalité d’un autre Etat successeur de l’ex-RSFY et seraient devenus apatrides de facto. Ces événements auraient eu de graves répercussions sur la vie privée et familiale des requérants, en violation de l’article 8 de la Convention. Cette situation serait demeurée pour l’essentiel inchangée, même à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle de 1999 déclarant l’« effacement » inconstitutionnel, de l’adoption ultérieure de la loi sur le statut juridique et de la décision de la Cour constitutionnelle de 2003 jugeant certaines dispositions de cette dernière loi inconstitutionnelles.
318. L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Thèses des parties
a) Les requérants
319. Les requérants, dont bon nombre vivent en Slovénie depuis des décennies, allèguent que l’« effacement » de leurs noms du registre des résidents permanents le 26 février 1992 a fait d’eux des « étrangers » du jour au lendemain et les a privés de tous les droits civils, politiques, sociaux et économiques conférés par le statut de résident permanent. Le gouvernement défendeur aurait méconnu l’article 8 de la Convention par une série d’actes (refus d’octroyer le statut de résident permanent ou la nationalité, expulsions) et d’omissions (défaut de notification, inexécution des arrêts de la Cour constitutionnelle, manquement à légiférer pour réglementer le statut juridique des « personnes effacées ») liés entre eux, qui auraient eu pour conséquence directe une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie privée et familiale (les intéressés invoquent l’affaire Botta c. Italie, 24 février 1998, § 32, Recueil 1998-I).
320. Quant aux arguments du gouvernement défendeur selon lesquels les autorités ont mis en œuvre des moyens adéquats pour avertir les requérants du délai fixé par la loi sur la nationalité pour demander la nationalité slovène et du transfert des noms d’un registre à l’autre en 1992, les requérants soutiennent qu’aucun d’eux n’a jamais été dûment informé. L’allégation relative au caractère suffisant des moyens employés serait en contradiction avec le nombre extrêmement élevé de « personnes effacées ». Par la suite, certains requérants auraient été invités à « régulariser leur statut », mais à ces occasions les autorités locales leur auraient pris leurs documents. De fait, il leur aurait été plus difficile encore dans une procédure ultérieure de remplir l’une des conditions posées par la loi sur le statut juridique, à savoir prouver qu’ils résidaient effectivement en Slovénie de manière ininterrompue depuis 1991. Le gouvernement défendeur aurait donc méconnu le droit des requérants au respect de leur vie privée, sous les aspects procédural et matériel, en raison d’une mauvaise notification et de l’« effacement » (les intéressés invoquent l’arrêt Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, Recueil 1998-I). Enfin, ce serait au gouvernement défendeur qu’il incomberait de prouver que les autorités ont procédé à une notification en bonne et due forme et ont conservé les documents des intéressés.
321. En outre, les dispositions de la loi sur les étrangers, devenues applicables aux requérants le 26 février 1992, n’auraient été ni accessibles ni prévisibles, puisque cette loi aurait visé à régulariser le statut des étrangers en situation illégale. De plus, la conduite générale des autorités slovènes aurait été arbitraire. De l’avis des requérants, l’ingérence de l’Etat défendeur n’était pas proportionnée à un quelconque but légitime poursuivi.
322. Les requérants contestent en outre l’argument du gouvernement défendeur selon lequel leurs griefs reposent sur un « simple malentendu quant à la différence entre l’enregistrement d’une résidence permanente à l’époque des faits et l’acquisition d’un permis de séjour permanent ». Certes, l’enregistrement d’une résidence permanente revêtirait un caractère purement déclaratif. Toutefois, le retrait du nom d’une personne du registre des résidents permanents aurait de toute évidence un effet constitutif négatif, équivalent au retrait à un « véritable » étranger de son permis de séjour permanent. C’est ce qu’aurait souligné la Cour constitutionnelle dans sa décision du 4 février 1999, jugeant les dispositions de la loi sur les étrangers discriminatoires à l’égard des « personnes effacées » car elles établissaient une différence entre les « véritables » étrangers détenteurs de permis de séjour obtenus dans l’ex-RSFY et les « personnes effacées » qui étaient en revanche traitées comme des migrants en situation illégale.
323. Pour autant que le gouvernement défendeur soutient que le transfert des noms d’un registre à l’autre n’empêche pas les requérants de continuer à résider sur le territoire slovène et que la présence des « personnes effacées » est largement tolérée, il suffit, d’après les requérants, de préciser que beaucoup de ces personnes, dont cinq d’entre eux, ont été expulsées de force de Slovénie.
324. Le gouvernement défendeur déclare également que le terme « effacement » est utilisé à tort, réfutant ainsi l’existence d’un problème structurel en Slovénie. Selon les requérants, si tel était le cas, la situation des « personnes effacées » ne ferait pas l’objet de critiques sévères de la part d’un certain nombre d’organisations internationales de défense des droits de l’homme en raison des violations graves et systémiques des droits fondamentaux qui continuent de découler de ce phénomène. A l’appui de son argument, le gouvernement défendeur invoque simplement des documents internationaux publiés au début des années 1990, lorsque le problème n’était pas connu du public.
325. Par la suite, le Comité consultatif du Conseil de l’Europe sur la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, le Comité des Ministres, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance et le Commissaire aux droits de l’homme ainsi que des comités des Nations unies, notamment le Comité des droits de l’homme, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité des droits de l’enfant auraient tous estimé que le défaut de régularisation du statut juridique des « personnes effacées » et l’inexécution de la décision de la Cour constitutionnelle énonçant cette obligation de régularisation emportaient une série d’incidences graves sur la pleine jouissance des droits fondamentaux. Cela étant, le gouvernement défendeur aurait dû intervenir rapidement pour résoudre la situation, en reconnaissant aux intéressés le statut de résident permanent avec effet rétroactif et en élaborant des mesures appropriées pour réparer les dommages occasionnés (paragraphes 262-271 ci-dessus).
326. Les requérants soutiennent que l’existence d’un problème structurel revêt une importance essentielle en l’espèce. La situation ne pourrait passer pour pleinement redressée avant que les autorités slovènes aient fait le nécessaire pour adopter des mesures générales concernant les « personnes effacées ». Les requérants estiment que leur affaire n’est pas « un incident isolé ni n’est imputable au tour particulier qu’ont pris les événements dans le cas [des] intéressé[s] » mais, comme dans l’affaire Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 189, CEDH 2004-V), « [elle] résulte d’un comportement administratif et réglementaire de la part des autorités » à l’égard d’un groupe précis de personnes : des ressortissants de l’ex-RSFY qui n’ont pas acquis la nationalité slovène. D’après les données récentes publiées par le ministère de l’Intérieur, ces personnes étaient au nombre de 25 671 au moment de l’« effacement » ; le statut en Slovénie de 13 426 d’entre elles ne serait pas régularisé et leur résidence actuelle ne serait pas connue.
327. En réponse à l’argument du gouvernement défendeur selon lequel la législation en vigueur a, en tout état de cause, été interprétée en faveur des requérants après l’« effacement » et que des lois permettant aux « personnes effacées » de régulariser leur statut ont été adoptées, les requérants indiquent que la Cour constitutionnelle a conclu en 1999 que le gouvernement, en adoptant sa décision du 3 septembre 1992, avait dépassé sa compétence au motif que ce texte n’avait pas permis au corps législatif de combler le vide juridique (paragraphe 222 ci-dessus). Certes, la loi sur le statut juridique serait la seule loi sur laquelle les « personnes effacées » pourraient se fonder, mais elle ne serait pas suffisante pour régler le statut juridique des requérants car elle inclurait une condition de séjour ininterrompu sur le territoire slovène à compter de la date de l’« effacement », ce qui serait difficile à démontrer, même pour ceux qui n’ont jamais quitté le pays. En outre, les permis de séjour permanent n’auraient qu’un effet ex nunc. De l’avis des requérants, à la suite de la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 4 avril 2003, l’adoption d’une loi générale serait le seul moyen effectif de régler la situation des « personnes effacées ».
328. Les requérants, combattant l’argument du gouvernement défendeur, soutiennent que la présente affaire se distingue clairement de l’affaire Syssoyeva et autres c. Lettonie ([GC], no 60654/00, CEDH 2007-II), dans laquelle les requérants, qui vivaient en Lettonie, avaient sollicité des permis de séjour permanent dans ce pays, alors qu’ils avaient également obtenu des passeports russes par la suite. Les autorités lettones avaient annulé les permis de séjour des intéressés, uniquement en raison de leur comportement illégal. En revanche, les requérants en l’espèce n’auraient pas activement créé la situation dans laquelle ils se trouvent (ils invoquent ici l’arrêt Syssoyeva et autres, précité, § 94). En outre, ils précisent que dans l’affaire Syssoyeva les autorités lettones avaient envoyé plusieurs lettres aux requérants, leur expliquant la procédure à suivre pour régulariser leur séjour en Lettonie, mais les intéressés ne s’étaient pas conformés à ces instructions. Par contre, les requérants en l’espèce n’auraient jamais été directement avertis. De surcroît, tous se seraient efforcés de régulariser leur statut, dix d’entre eux ayant sollicité un permis de séjour permanent ou engagé une procédure judiciaire.
329. Dans son arrêt Syssoyeva et autres, la Cour aurait attaché une importance considérable au fait que si les requérants avaient suivi les mesures indiquées par le gouvernement défendeur, ils auraient pu exercer librement leur droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention. En l’espèce, la législation slovène n’aurait au contraire offert aux requérants aucun recours effectif qui leur eût permis de recouvrer ces droits.
330. Enfin, après l’expiration du délai fixé pour demander la nationalité, quatre des requérants seraient devenus des « apatrides » et pas seulement des « étrangers ». La République de Slovénie aurait présumé à tort que toutes les personnes originaires des autres républiques de la RSFY qui résidaient en permanence en Slovénie avaient la citoyenneté de l’une de ces républiques et pouvaient donc obtenir la nationalité de l’un des nouveaux Etats successeurs. Les obligations internationales concernant les apatrides auraient dû être appliquées en conséquence (paragraphes 260-261, 267 et 272 ci-dessus).
b) Le gouvernement défendeur
331. Le gouvernement défendeur déclare d’emblée qu’au moment de son indépendance, la République de Slovénie a accordé dans des conditions exceptionnellement favorables, tant par la Déclaration de bonnes intentions que par la législation sur l’indépendance, la nationalité slovène par naturalisation aux citoyens des autres républiques de l’ex-RSFY qui résidaient en permanence en Slovénie. En outre, la loi constitutionnelle de 1991 aurait garanti l’égalité de traitement entre ces personnes et les citoyens slovènes jusqu’à l’acquisition de la nationalité slovène ou l’expiration du délai fixé par la loi sur les étrangers (paragraphe 214 ci-dessus). Toutefois, eu égard à la nécessité de constituer un corps de citoyens slovènes – compte tenu en particulier des élections législatives de 1992 – cette égalité de traitement n’aurait pu durer indéfiniment. Dès lors, il n’aurait tenu qu’aux résidents permanents qui n’avaient pas la nationalité slovène de saisir cette occasion pour acquérir la nationalité de la Slovénie indépendante ; celle-ci n’aurait pas été accordée automatiquement, car cela aurait été contraire au droit des intéressés de choisir s’ils souhaitaient ou non devenir citoyens slovènes.
332. L’établissement d’un nouvel Etat aurait appelé une prise de décision rapide. Toutefois, de l’avis du gouvernement défendeur, tous les résidents permanents ont disposé d’un délai suffisant pour régulariser leur situation et ont été correctement informés de la nouvelle législation, qui était assez prévisible (le Gouvernement renvoie à l’arrêt Slivenko c. Lettonie ([GC], no 48321/99, § 107, CEDH 2003-X). Outre leur publication au Journal officiel, les informations en question auraient été diffusées par les médias publics et des avis dans les communes. Certaines d’entre elles, par exemple Ljubljana, Maribor et Koper, auraient averti personnellement les intéressés. Les résidents auraient été contactés en personne ou par téléphone, mais la plupart l’auraient été par lettre simple et certains auraient reçu une notification conformément à la loi sur la procédure administrative générale. Quoi qu’il en soit, on aurait raisonnablement pu attendre des personnes concernées à l’époque qu’elles aient à cœur de régler leur situation, en demandant soit la nationalité soit la régularisation de leur statut de résident. Enfin, mais ce n’est pas négligeable, il importerait de réitérer un principe juridique universellement reconnu : ignorantia juris nocet (l’ignorance du droit porte préjudice).
333. Le gouvernement répète que les dispositions transitoires de la loi sur la nationalité, qui étaient principalement motivées par le souci d’éviter l’apatridie, prévoyaient la naturalisation d’un grand nombre de citoyens des autres républiques de l’ex-RSFY ayant le statut de résident permanent en Slovénie (paragraphes 35 et 37 ci-dessus). Quant à la régularisation de la situation des étrangers, il y aurait lieu d’établir une distinction, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers, entre les « étrangers originaires d’une autre république de l’ex-RSFY », visés à l’article 81, qui s’étaient précédemment fait enregistrer comme résidents permanents en Slovénie de la même façon que les citoyens slovènes, et les « véritables » étrangers, titulaires d’un permis de séjour permanent délivré en vertu de la loi sur la circulation et le séjour des étrangers (paragraphes 208 et 221 ci-dessus).
334. Le 26 février 1992, après l’expiration du délai fixé par le second paragraphe de l’article 81 de la loi sur les étrangers, il n’y aurait plus eu de base légale pour l’inscription au registre des résidents permanents des citoyens de l’ex-RSFY qui n’avaient pas demandé la nationalité slovène au titre de la loi sur la nationalité. La législation alors en vigueur prévoyant une mise à jour quotidienne d’office des registres (paragraphe 211 ci-dessus), le ministère de l’Intérieur aurait ordonné le transfert des noms des personnes concernées sur un registre spécial d’« étrangers qui n’avaient pas régularisé leur statut ». Etant donné que ce transfert aurait simplement reflété la situation réelle des intéressés au regard des dispositions de la loi sur les étrangers, on ne pourrait le qualifier d’« effacement ». De plus, les personnes concernées ne se seraient pas vu refuser le droit de continuer à vivre là où elles résidaient alors.
335. Les requérants allégueraient à tort que le statut de résident permanent était presque automatiquement acquis par les citoyens de la RSFY. La nationalité de la RSFY aurait certes constitué la base légale pour l’enregistrement comme résident permanent mais cette mesure aurait exigé la radiation de la résidence permanente antérieure et la production de preuves adéquates. Par ailleurs, les « véritables » étrangers auraient dû se voir délivrer un permis de séjour permanent avant de pouvoir enregistrer leur résidence permanente. En pareil cas, l’enregistrement serait donc une simple conséquence de l’acquisition par un étranger d’un permis de séjour et ne serait pas constitutif d’un droit. En revanche, la délivrance d’un permis de séjour (permanent ou temporaire) serait un acte constitutif. Le gouvernement défendeur soutient que le malentendu en l’espèce résulte du mauvais emploi par les requérants de ces deux expressions. Si l’on interprète ces deux notions correctement, l’usage des expressions « effacement » et « effacées » ne se justifierait pas. Enfin, la réglementation du séjour des étrangers par un système de permis de séjour serait chose courante dans tous les Etats, notamment dans les pays de l’Union européenne (paragraphes 259 et suivants ci-dessus).
336. Dans les années suivantes, le gouvernement défendeur aurait tenté à plusieurs reprises de régler le statut des citoyens de l’ex-RSFY qui n’avaient pas régularisé leur situation. Eu égard au grand nombre de personnes concernées, le 3 septembre 1992, le gouvernement aurait décidé de tenir compte de surcroît, aux fins du calcul de la période de trois ans de résidence en Slovénie requise pour l’octroi d’un permis de séjour temporaire en vertu de l’article 13 de la loi sur les étrangers, de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi. Un grand nombre de « retardataires » auraient ainsi eu la possibilité d’obtenir un permis de séjour permanent ; un total de 4 893 permis auraient ainsi été délivrés entre 1992 et 1997. En outre, en 1994, le ministère de l’Intérieur aurait introduit un système informatique pour la tenue des registres et toutes les personnes dont la situation n’était pas réglée auraient été averties, par lettre simple, des possibilités qui s’offraient à elles. De plus, les dispositions transitoires de la loi sur l’emploi des étrangers auraient permis à ces personnes d’obtenir un permis de travail dans certaines conditions (paragraphe 230 ci-dessus). Enfin, les autorités slovènes auraient largement toléré le séjour illégal sur le territoire slovène de personnes qui n’avaient pas régularisé leur situation.
337. Le Gouvernement répète que les requérants n’ont pas pris les mesures voulues en 1991 et dans les années suivantes pour régulariser leur situation. Quoi qu’il en soit, après la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003 déclarant inconstitutionnelles certaines dispositions de la loi sur le statut juridique (paragraphes 56-57 et 250-255 ci-dessus), le délai fixé pour demander un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique aurait été prolongé et les requérants auraient pu se prévaloir de cette possibilité. Quant au point 8 du dispositif de ladite décision, dans lequel la Cour constitutionnelle ordonne au ministère de délivrer aux personnes déjà détentrices de permis non rétroactifs des permis complémentaires ex tunc – cette mesure n’aurait été applicable qu’à trois requérants en l’espèce. En effet, le 3 mars 2009, MM. Petreš et Jovanović auraient obtenu des permis complémentaires (paragraphes 103 et 118 ci-dessus). Avant cette date, les requérants auraient pu engager une action pour manquement de l’autorité administrative à agir, la Cour constitutionnelle ayant dit que le tribunal administratif aurait pu appliquer sa décision du 3 avril 2003 malgré l’absence de modifications à la législation (paragraphe 257 ci-dessus).
338. Le gouvernement défendeur soutient que l’approche adoptée par la Slovénie pour traiter cette question complexe et sensible, qui était également nouvelle pour l’Europe dans son ensemble, a fait l’objet d’une appréciation extrêmement positive de la part d’organisations internationales. Le 1er décembre 1993, le Comité d’experts sur la nationalité du Conseil de l’Europe aurait estimé que la Slovénie s’était à cet égard pleinement conformée aux normes régissant la nationalité dans les Etats successeurs. En 1995, le Comité des droits de l’homme des Nations unies aurait partagé cet avis et le sixième comité de l’Assemblée générale des Nations unies aurait confirmé la conformité de la législation slovène avec les normes internationales. Le gouvernement défendeur souligne également que la Slovénie a toujours complété sa législation pertinente par une coopération entre toutes les institutions du gouvernement. S’inspirant de textes juridiques européens, tels que la Convention européenne sur la nationalité adoptée par le Conseil de l’Europe, la Slovénie aurait intégré dans sa législation les principes consacrés au chapitre 6 de cette Convention régissant la nationalité en cas de succession d’Etats, en particulier le principe de la volonté des personnes concernées.
339. Invoquant l’arrêt Syssoyeva et autres (précité, § 91), le gouvernement défendeur déclare que l’article 8 de la Convention ne peut pas être interprété comme garantissant, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour. Lorsque la législation interne en prévoit plusieurs, la Cour doit analyser les conséquences de droit et de fait découlant d’un titre de séjour donné. S’il permet à l’intéressé de résider sur le territoire de l’Etat d’accueil et d’y exercer librement ses droits au respect de la vie privée et familiale, l’octroi d’un tel titre de séjour constitue en principe une mesure suffisante pour que les exigences de cette disposition soient remplies. Cela présupposerait, bien entendu, que l’étranger ait sollicité un permis – il n’incomberait pas au pays hôte de lui en délivrer un de sa propre initiative.
340. Quand bien même la Cour jugerait les mesures de l’Etat défendeur contraires à l’article 8 de la Convention, le gouvernement défendeur est d’avis que dans les domaines de la nationalité et de la condition des étrangers la législation sur l’indépendance et les mesures ultérieures visaient à assurer le respect des lois en matière d’immigration et remplissaient les exigences du second paragraphe de cette disposition. Il serait urgent de réglementer la nationalité et la condition des étrangers pour chaque nouvel Etat, mais les mesures prises doivent être proportionnées au but légitime poursuivi (le Gouvernement invoque l’arrêt Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, série A no 130). D’après la jurisprudence de la Cour, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée des non-nationaux sur leur sol (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94). Pour le gouvernement défendeur, l’ingérence alléguée était prévue par la loi, visait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique. Chaque étranger serait tenu de régulariser sa situation dans le pays dont il n’est pas ressortissant. Une telle exigence serait toujours légitime et nécessaire à la sécurité publique, sous réserve que la mesure soit proportionnée aux buts légitimes poursuivis, comme en l’espèce. En outre, la Slovénie n’aurait pas agi arbitrairement, puisqu’elle aurait traité de la même façon des situations identiques.
341. La situation des requérants ne résulterait pas d’un « problème structurel » (tel que défini dans l’arrêt Broniowski (précité, § 189). Après l’indépendance, la Slovénie aurait offert aux citoyens de l’ex-RSFY la possibilité d’acquérir la nationalité du nouvel Etat. Par ailleurs, ces personnes n’auraient pas ignoré que les dispositions de la loi sur les étrangers leur étaient applicables. Chaque citoyen aurait donc été à même de décider s’il souhaitait ou non demander la nationalité ou régulariser sa situation en tant qu’étranger.
342. Enfin, lorsque la loi sur les étrangers devint applicable aux requérants, aucun d’entre eux n’aurait été apatride ; à l’époque, ils auraient tous été citoyens de la RSFY et de leur république d’origine. Ce serait en raison de leur propre inactivité qu’ils n’auraient pas réussi à réunir les documents requis aux fins de la procédure en Slovénie. En outre, l’Etat défendeur ne serait pas responsable de l’adoption par les autres anciennes républiques de la RSFY d’une législation plus stricte en matière de nationalité, qui aurait empêché les requérants d’acquérir la nationalité de ces Etats. Quant au projet d’articles de 1999 sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’Etats invoqué par les requérants, le gouvernement défendeur précise qu’il n’est pas encore entré en vigueur.
c) Les tiers intervenants
343. Le gouvernement serbe déclare avoir limité ses observations aux questions préliminaires (paragraphes 298-302 ci-dessus), étant donné que les autres parties intervenantes avaient soumis des observations sur le fond.
344. The Open Society Justice Initiative soutient que les violations dénoncées en l’espèce relèvent assurément de la protection de la vie privée garantie par l’article 8. Certes, la Convention ne garantirait pas en tant que tel le droit à une nationalité donnée, mais le refus arbitraire d’octroyer une nationalité pourrait dans certaines circonstances emporter violation de l’article 8 en raison des conséquences qu’il emporterait sur la vie privée de la personne concernée. La Cour aurait également reconnu que dans certaines circonstances l’expulsion de non-ressortissants ou le rejet de leur demande de regroupement familial dans des Etats parties à la Convention emportaient violation du droit au respect de la vie familiale. Elle aurait estimé en outre que le droit au respect de la vie privée était lié aux « relations personnelles, sociales et économiques qui sont constitutives de la vie privée de tout être humain » et qui sont nouées en cas de résidence habituelle de longue durée. Les affaires Slivenko (arrêt précité, §§ 95-96 et 122-128) et Syssoyeva et autres (précité, §§ 105 et 110) seraient particulièrement pertinentes en l’espèce.
345. En particulier, ainsi qu’il ressortirait de la décision partielle sur la recevabilité rendue par la Cour en l’espèce, les requérants n’auraient toujours pas de statut juridique en raison de l’« effacement » de leur nom le 26 février 1992. Après cette date, les procédures qui avaient permis aux personnes qui résidaient légalement depuis longtemps en Slovénie et qui étaient citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY d’acquérir la nationalité slovène au moment de l’indépendance ou de résider légalement en Slovénie auraient été plus compliquées, les délais fixés pour se conformer aux exigences légales auraient été courts et les modalités de notification aux personnes visées par ces lois et procédures auraient été déficientes. En outre, le gouvernement défendeur n’aurait pas respecté la décision rendue par la Cour constitutionnelle en 2003 qui ordonnait aux autorités, parmi d’autres mesures, d’octroyer rétroactivement le statut de résident permanent aux « personnes effacées ». Enfin, la plupart des requérants seraient devenus apatrides en raison de l’« effacement » même et de l’impossibilité pour eux de régulariser leur statut juridique en Slovénie.
346. A la lumière des précédents susmentionnés de la Cour (paragraphe 344 ci-dessus), la situation que continueraient de connaître les « personnes effacées », sans nationalité, sans statut juridique ni possibilité de recours depuis plus de quinze ans et qui vivraient dans l’insécurité juridique, s’analyserait en une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée. Le cas d’espèce présenterait non seulement l’obligation négative de la Slovénie en vertu de l’article 8 de s’abstenir d’une ingérence arbitraire, mais également l’obligation positive de faire en sorte que les « personnes effacées » jouissent d’un droit effectif d’obtenir le statut de résident permanent, qui les mettrait sur la voie de la nationalité (The Open Society Justice Initiative cite à cet égard l’arrêt Cılız c. Pays-Bas, no 29192/95, § 61, CEDH 2000-VIII). Les « personnes effacées » auraient tout particulièrement intérêt à obtenir le statut de résident légal en Slovénie, car il s’agit d’une condition préalable dans ce pays à l’acquisition de la nationalité par naturalisation. Les moyens employés par la Slovénie seraient disproportionnés à tout but légitime poursuivi par les mesures (The Open Society Justice Initiative invoque à cet égard l’arrêt Slivenko, précité, § 122).
347. Les conséquences durables de la perte du statut juridique emporteraient violation des droits fondamentaux inhérents à l’article 8 de la Convention, transcenderaient cette disposition et seraient contraires au droit international. Le Conseil de l’Europe aurait élaboré des normes exhaustives sur la nationalité et le statut juridique portant principalement sur les complexités surgissant dans le contexte de la succession d’Etats (paragraphes 260-261 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice par les requérants de leurs droits garantis par l’article 8 § 1 de la Convention
348. Les requérants déclarent avoir été arbitrairement privés de la possibilité d’acquérir la nationalité slovène. Ils se plaignent de l’« effacement » de leur nom du registre des résidents permanents le 26 février 1992 et des graves répercussions en résultant pour leur vie privée et familiale qui, d’après eux, emportent violation de l’article 8 de la Convention, ainsi que de la perte du bénéfice de diverses prestations et de la jouissance de nombreux droits. Ils dénoncent en particulier le refus des autorités internes de se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003 et de leur octroyer le statut de résident permanent avec effet rétroactif.
349. La Cour doit d’abord rechercher si les requérants peuvent prétendre avoir une vie privée ou familiale en Slovénie au sens de l’article 8 § 1 de la Convention et, le cas échéant, si leur situation globale soulève une question sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
350. La Cour rappelle d’emblée que, d’après un principe de droit international bien établi, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée et le séjour des non-nationaux sur leur sol (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali, précité, § 67 ; Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 39, CEDH 2001-IX ; et Üner, précité, § 54).
351. Néanmoins, les décisions prises par les Etats en matière d’immigration peuvent, dans certains cas, constituer une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention, notamment lorsque les intéressés ont, dans l’Etat d’accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui risquent d’être gravement compromis en cas d’application de la mesure en question. Pareille ingérence méconnaît l’article 8, sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou plusieurs buts légitimes au regard du second paragraphe dudit article et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (voir, par exemple, Moustaquim c. Belgique, 18 février 1991, § 36, série A no 193 ; Dalia c. France, 19 février 1998, § 52, Recueil 1998-I ; et Amrollahi c. Danemark, no 56811/00, § 33, 11 juillet 2002).
352. A cet égard, la Cour rappelle que l’article 8 protège également le droit au développement personnel et le droit d’établir et d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III) et peut parfois englober des aspects de l’identité sociale d’un individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I). Il faut accepter que la totalité des liens sociaux entre les immigrés installés et la communauté dans laquelle ils vivent font partie intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8. Indépendamment de l’existence ou non d’une « vie familiale », dès lors, la Cour considère que l’expulsion d’un immigré installé s’analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. C’est en fonction des circonstances de l’affaire portée devant elle que la Cour décidera s’il convient de mettre l’accent sur l’aspect « vie familiale » plutôt que sur l’aspect « vie privée » (Üner, précité, § 59, et, mutatis mutandis, Slivenko, précité, § 95).
353. La Cour rappelle en outre que le droit d’acquérir ou de conserver une nationalité particulière n’est garanti, comme tel, ni par la Convention ni par ses Protocoles. Néanmoins, elle n’exclut pas qu’un refus arbitraire d’octroyer la nationalité puisse, dans certaines conditions, poser un problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention en raison de l’impact d’un tel refus sur la vie privée de l’individu (X. c. Autriche, no 5212/71, décision de la Commission du 5 octobre 1972, DR 43, p. 69, Karassev c. Finlande (déc.), no 31414/96, CEDH 1999-II, Slivenko et autres (déc.), précitée, § 77, et Kuduzović c. Slovénie (déc.), no 60723/00, 17 mars 2005).
354. Enfin, si l’article 8, consacré au droit au respect de la vie privée et familiale, tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareille ingérence : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale (voir, par exemple, Gül c. Suisse, 19 février 1996, § 38, Recueil 1996-I ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; et Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 45, CEDH 2003-IV).
355. Premièrement, en ce qui concerne les allégations des requérants concernant l’impossibilité pour eux d’acquérir la nationalité slovène en 1991, la Cour se réfère à sa décision sur la recevabilité et rappelle que ces griefs ont été déclarés incompatibles ratione temporis avec les dispositions de la Convention et rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention (Makuc et autres (déc.), précité, § 165).
356. Deuxièmement, elle relève qu’avant le 26 février 1992, date à laquelle les passages pertinents de la législation sur l’indépendance sont devenus applicables aux requérants et à laquelle leurs noms ont été transférés du registre des résidents permanents à celui des étrangers non détenteurs d’un permis de séjour (paragraphes 38-39 ci-dessus), les intéressés résidaient sur le territoire de la République de Slovénie depuis plusieurs années, et, pour la plupart, depuis des décennies. Certains requérants y sont même nés. Avant cette date, ils résidaient tous en permanence et légalement sur le territoire slovène en vertu de la législation de la RSFY applicable à l’époque.
357. Il importe de noter que les requérants ne sont pas entrés comme étrangers en Slovénie avant 1991 mais qu’ils s’y sont installés en tant que citoyens de la RSFY et s’y sont fait enregistrer comme résidents permanents de la même façon que les citoyens de la République socialiste de Slovénie d’alors (paragraphes 25-26 ci-dessus). Au moment de l’« effacement », le 26 février 1992, les requérants avaient donc un statut de résident plus solide que des immigrés de longue durée, dont le statut est protégé dans un certain nombre d’Etats contractants, et que des étrangers cherchant à entrer et à demeurer dans un Etat après une courte période de séjour seulement (Üner, précité, §§ 55-56 ; Moustaquim, précité, § 73 ; Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 73, 23 juin 2008 ; et Radovanovic c. Autriche, no 42703/98, § 73, 22 avril 2004).
358. Troisièmement, bien que l’« effacement » ait été effectué avant le 28 juin 1994, date de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 à l’égard de la Slovénie, les requérants subissaient à cette date – et continuent de subir – les effets de la mesure litigieuse, qui a été jugée illégale pour la première fois par la Cour constitutionnelle dans sa décision du 4 février 1999, tant dans le chef des cinq requérants qui vivaient encore en Slovénie en 1994 qu’à l’égard de ceux qui avaient été expulsés ou qui avaient quitté le pays (paragraphes 51, 56 et 236-244 ci-dessus).
359. Eu égard à la situation personnelle de chacun des requérants, qui ont tous passé une grande partie de leur vie en Slovénie (paragraphes 83-86, 91-92, 104-106, 119, 127-129, 140-141, 145, 168, 180-181 ci-dessus), il est évident qu’ils y ont noué des relations personnelles, sociales, culturelles et économiques qui constituent la vie privée de tout être humain (Slivenko, arrêt précité, § 96). Certains ont également construit une vie familiale en Slovénie ou maintiennent des liens avec leur famille qui y vit (Moustaquim, arrêt précité, § 36). La Cour conclut que les requérants jouissaient d’une vie privée et/ou familiale en Slovénie à l’époque des faits, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.
360. Au moment de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 à l’égard de la Slovénie, les requérants se trouvaient donc dans une situation précaire résultant de l’éclatement de la RSFY, tout comme l’avaient été de nombreuses personnes qui s’étaient trouvées dans des situations analogues au lendemain de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale ou de la modification des frontières en Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin1.
361. Par conséquent, la Cour estime que le refus persistant des autorités slovènes de régler tous les aspects de la situation des intéressés conformément aux décisions de la Cour constitutionnelle et, en particulier, leur manquement à promulguer la législation requise (paragraphes 237-257 ci-dessus) et à délivrer aux différents requérants des permis de séjour permanent constituent une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie privée et/ou familiale, surtout dans le cas de ceux devenus apatrides. Il reste à examiner si cette ingérence est compatible avec le second paragraphe de l’article 8 de la Convention, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes qu’il énumère et, de plus, est « nécessaire », « dans une société démocratique » pour le ou les réaliser.
b) Sur la justification de l’ingérence
362. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cet article, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes qui sont énumérés dans cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le ou les buts en question.
363. D’après la jurisprudence constante de la Cour, les mots « prévue par la loi » imposent non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible (Slivenko, arrêt précité, § 100).
364. La Cour rappelle que l’« effacement » du nom des requérants du registre des résidents permanents, tout comme celui de plus de 25 000 autres citoyens de l’ex-RSFY, a eu lieu le 26 février 1992, date à laquelle le second paragraphe de l’article 81 de la loi sur les étrangers est devenu applicable (paragraphes 38 et 65 ci-dessus).
365. Les requérants allèguent que les dispositions de la loi sur les étrangers n’étaient ni accessibles ni prévisibles, puisque cette loi visait à régulariser le statut des étrangers en situation illégale, alors qu’eux-mêmes étaient titulaires de permis de séjour permanent à l’époque des faits. Ils soutiennent également n’avoir jamais été convenablement informés de l’« effacement » (paragraphes 319-320 ci-dessus). Le gouvernement défendeur conteste ces allégations (paragraphe 332 ci-dessus).
366. La Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, §§ 52-54, CEDH 2000-II, et Slivenko, précité, § 105).
367. A cet égard, la Cour relève que dans sa décision du 4 février 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré l’article 81 de la loi sur les étrangers inconstitutionnel, puisqu’il n’énonçait pas les conditions d’obtention d’un permis de séjour permanent pour les personnes visées par son second paragraphe, à savoir pour les citoyens d’autres républiques de l’ex-RSFY qui avaient leur résidence permanente en Slovénie, vivaient sur le territoire slovène à l’époque et soit avaient négligé de demander la nationalité slovène soit avaient été déboutés de leur demande. La Cour constitutionnelle a estimé que le principe de la prééminence du droit avait été enfreint car ni la loi sur les étrangers ni une loi distincte ne régissaient la transition du statut juridique de ces personnes vers un statut d’étranger vivant en Slovénie. Après l’expiration des délais fixés au second paragraphe, ces personnes se sont trouvées dans une situation juridique précaire, ce qui, en soi, constitue une violation de l’article 8 de la Convention.
368. La Cour constitutionnelle a également considéré que ces personnes, citoyennes de l’ex-RSFY qui avaient le statut de résident permanent en Slovénie, se trouvaient dans une situation juridique moins favorable que les « véritables » étrangers qui vivaient déjà en Slovénie avant l’indépendance et dont les permis de séjour permanent demeuraient valables en vertu de l’article 82 de la loi sur les étrangers. D’après la Cour constitutionnelle, aucune raison objective ne justifiait une telle différence de traitement. De plus, selon elle, cette différence enfreignait le principe de l’égalité garanti par l’article 14 de la Constitution, non seulement dans le chef des citoyens slovènes mais aussi dans celui de toutes les personnes dont la situation juridique est régie par la loi.
369. En outre, la Cour constitutionnelle a jugé inapproprié d’appliquer l’article 13 combiné avec l’article 16 de la loi sur les étrangers pour l’octroi d’un permis de séjour temporaire ou permanent (paragraphe 221 ci-dessus) en vue de régler la situation de ces personnes ; en effet, d’après elle, celles-ci étaient traitées comme des étrangers qui étaient entrés seulement récemment en Slovénie munis d’un passeport en cours de validité et d’un visa et qui souhaitaient demeurer sur le territoire slovène au-delà de la période de validité de leur visa. La Cour constitutionnelle a également estimé que ces personnes n’avaient pas pu régulariser leur situation dans les années qui ont suivi en raison notamment des difficultés qu’elles rencontraient pour se procurer des documents dans leurs Etats d’origine, à cause de la guerre qui y sévissait.
370. La Cour constitutionnelle releva également que le défaut de réglementation du statut juridique de ces personnes avait d’abord eu pour conséquence le transfert de leurs noms sur le registre des étrangers, sans qu’elles en fussent avisées. Elle a conclu que cette mesure était dépourvue de base légale ; ni la loi sur les étrangers ni la loi sur le registre de la population et des justificatifs de résidence des habitants ne prévoyaient de mesure de radiation du registre et de transfert ex lege (paragraphes 39, 209, 221 et 237 ci-dessus).
371. A la suite de la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 4 février 1999, la loi sur le statut juridique, censée régler la situation des « personnes effacées », fut adoptée. Toutefois, le 3 avril 2003, la Cour constitutionnelle réitéra sa décision du 4 février 1999. Elle déclara cette loi inconstitutionnelle, en particulier parce qu’elle n’accordait pas aux « personnes effacées » des permis de séjour permanent rétroactifs et ne réglait pas la situation des personnes qui avaient été expulsées. Elle jugea également inconstitutionnel le délai de trois mois fixé pour l’introduction d’une demande de permis de séjour permanent, au motif qu’il était trop court (paragraphe 250 ci-dessus).
372. La Cour constitutionnelle a donc par deux fois jugé la mesure dénoncée illégale – le 4 février 1999 et le 3 avril 2003 – car la loi sur les étrangers ne réglait pas la situation des « personnes effacées », qui n’avaient pas été officiellement avisées de leur changement de statut (paragraphes 51, 56-57, 237-244 et 250-255 ci-dessus).
373. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter des décisions de la Cour constitutionnelle (Janković c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 5172/03, 16 mai 2006). Elle estime que cette illégalité, qui existait le 28 juin 1994, au moment de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 à l’égard de la Slovénie, a perduré pendant plus de quinze ans pour la majorité des requérants, faute pour les autorités législatives et administratives de s’être conformées aux décisions judiciaires (voir, mutatis mutandis, Taşkın et autres c. Turquie, no 46117/99, §§ 123-126, CEDH 2004-X).
374. La Cour reconnaît en outre les efforts déployés par les autorités slovènes, au moment de la déclaration d’indépendance, pour permettre à une large majorité de citoyens de l’ex-RSFY vivant en Slovénie d’acquérir la nationalité slovène dans des conditions favorables, ainsi que dans les années qui ont suivi, en particulier après les décisions de la Cour constitutionnelle, pour adopter des lois remédiant à la situation du groupe des « personnes effacées » auquel appartiennent les requérants. Un grand nombre des « personnes effacées » ont pu soit acquérir la nationalité slovène soit obtenir des permis de séjour (paragraphes 29, 32-37, 46, 54, 55, 57, 66 et 254).
375. Toutefois, malgré les multiples efforts déployés par les autorités législatives et administratives, la situation juridique de la majorité des requérants, qui résidaient habituellement en Slovénie à l’époque des faits, n’est toujours pas réglée. A cet égard, il y a lieu de noter que le 8 mars 2010 des modifications et ajouts à la loi sur le statut juridique ont été adoptés par le Parlement, mais ils n’étaient pas encore entrés en vigueur au moment de l’examen du présent arrêt (paragraphes 43 et 49-69 ci-dessus).
376. La Cour note que la dissolution de la RSFY et le fait que le registre des citoyens de la RSFY n’était pas toujours exact ont créé une situation spéciale et complexe (paragraphes 24, 27, 97, 174, 239 et 253 ci-dessus). Toutefois, à la lumière des normes pertinentes du droit international visant à éviter l’apatridie, en particulier en situation de succession d’Etats (paragraphes 260-261, 267 et 272 ci-dessus), et eu égard à son constat ci-dessus, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 8.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8
377. Sur le terrain de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8, les requérants soutiennent qu’ils n’ont disposé d’aucun recours effectif pour obtenir l’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003.
L’article 13 de la Convention se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Thèses des parties
a) Les requérants
378. Les requérants se plaignent en particulier que le corps législatif n’ait pas, conformément à la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, adopté une loi systémique, indispensable à leur pleine réintégration.
379. Ils allèguent que, faute de tout document concernant leur « effacement », il leur est difficile de prouver dans le cadre d’une procédure qu’ils réunissent les conditions posées par la législation slovène pour l’obtention d’un permis de séjour permanent et/ou de la nationalité.
b) Le gouvernement défendeur
380. Contestant cet argument, le gouvernement défendeur soutient que les recours disponibles dans le système slovène sont effectifs tant en théorie qu’en pratique (paragraphes 283-284 et 337 ci-dessus).
c) Les tiers intervenants
381. L’Institut pour la paix et le Centre d’information juridique des organisations non gouvernementales soutiennent que les « personnes effacées » ont, dans l’ensemble, épuisé les voies de recours dont elles disposaient, y compris celles devant la Cour constitutionnelle. L’Etat ne s’étant pas conformé à la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, qui est juridiquement contraignante, le droit des requérants à un recours effectif aurait été méconnu. Les autorités auraient élaboré trois projets de loi en vue de l’exécution de la décision de la Cour constitutionnelle – la loi technique, la loi systémique et le projet de loi constitutionnelle – mais tous auraient été bloqués. En tout état de cause, aucun de ces projets de loi n’aurait correctement traité la situation des « personnes effacées ». Il s’ensuivrait que, faute de volonté politique, le système juridique slovène n’offrirait aucun recours effectif aux « personnes effacées ».
382. Pour Open Society Justice Initiative, les circonstances entourant « l’effacement » se trouvent caractérisées par l’arbitraire, tant matériel que procédural ; il n’existerait aucune voie civile ou administrative individualisée pour faire contrôler cette mesure. En outre, la décision de la Cour constitutionnelle n’aurait pas été respectée. Ces éléments montreraient que les requérants n’ont pas eu accès à un recours effectif, au mépris de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.
2. L’appréciation de la Cour
383. La Cour répète que l’article 13 exige d’une partie à la Convention qu’elle fournisse un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, §§ 86-88, CEDH 2005-X).
384. La Cour rappelle qu’en dépit des efforts déployés par les autorités législatives et administratives pour se conformer aux décisions de principe rendues par la Cour constitutionnelle en 1999 et 2003, ces textes ne sont pas encore pleinement appliqués.
385. Eu égard à son constat sur le terrain de l’article 8 de la Convention (paragraphes 371-376 ci-dessus), la Cour estime que l’Etat défendeur n’a pas démontré que les recours à la disposition des requérants pouvaient passer pour effectifs.
386. Dès lors, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8
387. Invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, les requérants allèguent avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur leur origine nationale dans la jouissance de leurs droits par rapport à d’autres étrangers qui continuent de résider en Slovénie sur la base de permis de séjour temporaire ou permanent.
388. L’article 14 énonce :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
1. Thèses des parties
a) Les requérants
389. Les requérants soutiennent également sur le terrain de l’article 14 de la Convention qu’ils sont victimes d’une discrimination dans la jouissance de leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention.
390. Ils allèguent en particulier avoir fait l’objet d’un traitement moins favorable que les étrangers dont le nom n’avait pas été « effacé » du registre en 1992 parce qu’ils avaient acquis la nationalité slovène en vertu de la loi sur la citoyenneté, que ceux qui n’avaient que le statut de résident temporaire en Slovénie avant l’indépendance mais qui ont conservé ce statut ultérieurement, et que ceux dont le nom avait été « effacé » mais qui ont obtenu par la suite un permis de séjour permanent en vertu de la loi sur le statut juridique ou la nationalité slovène sur le fondement de la loi sur la nationalité, dans sa teneur modifiée.
391. Enfin, les requérants contestent l’argument du gouvernement défendeur selon lequel ils ont fait l’objet d’une discrimination positive puisqu’ils n’ont pas été expulsés. Cinq d’entre eux auraient en fait été expulsés.
b) Le gouvernement défendeur
392. De l’avis du gouvernement défendeur, les requérants lient à tort leur situation au transfert de leur nom d’un registre à l’autre, alors qu’elle découle plutôt du fait qu’en tant qu’étrangers ils n’ont pas acquis de permis de séjour permanent. Les intéressés seraient traités comme les autres étrangers non détenteurs de permis de séjour. Par ailleurs, les permis de séjour permanent délivrés aux « véritables étrangers » mentionnés à l’article 82 de la loi sur les étrangers n’auraient jamais été révoqués. Les requérants et les véritables « étrangers » ne se seraient donc jamais trouvés dans une situation comparable.
393. En outre, les requérants ont dans l’ensemble fait l’objet d’une discrimination positive, puisqu’en principe ils n’ont pas été expulsés de Slovénie. Cela ressortirait également de la décision susmentionnée rendue par le Gouvernement le 3 septembre 1992, qui tiendrait compte de la période de résidence antérieure à l’entrée en vigueur de la loi sur les étrangers pour la délivrance d’un permis de séjour permanent (paragraphe 222 ci-dessus).
c) Les tiers intervenants
394. L’Institut pour la paix et le Centre d’information juridique pour les organisations non gouvernementales déclarent que les « personnes effacées » ont fait et continuent de faire l’objet d’une discrimination directe au motif qu’elles n’obtiennent pas la nationalité slovène, ainsi que d’une discrimination directe et indirecte fondée sur l’origine ethnique. Les dispositions des projets de loi imposeraient des conditions plus strictes aux « personnes effacées » qu’aux autres étrangers et demeureraient discriminatoires, au mépris de la directive 2000/43/CE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. L’« effacement » et toutes ses conséquences auraient été intentionnels et systématiquement prévus et mis en œuvre : en 1991, la classe politique aurait été manifestement consciente du vide juridique concernant les ressortissants de l’ex-RSFY qui ne demanderaient pas la nationalité slovène ; pourtant les autorités slovènes n’auraient pas convenablement informé les intéressés des conséquences du manquement à solliciter la nationalité et auraient constamment nié l’« effacement » jusqu’à la publication des premiers chiffres en 2002.
395. Open Society Justice Initiative soutient que l’« effacement » est une mesure discriminatoire, contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. Cette mesure traiterait les ressortissants des républiques de l’ex-RSFY résidant en Slovénie moins favorablement que les étrangers qui y résidaient légalement avant l’indépendance, d’où une discrimination fondée sur l’origine nationale. L’« effacement » aurait également des incidences disproportionnées sur les personnes qui ne sont pas d’origine ethnique slovène, sur les minorités de l’ex-RSFY et sur les Roms, d’où une discrimination entre les résidents, également fondée sur l’origine ethnique.
396. Pour Equal Rights Trust, la présente affaire offre la possibilité de développer des interprétations juridiques de la discrimination au regard de l’article 14 de la Convention fondée sur l’origine nationale, la nationalité et l’apatridie, en particulier à la suite de la succession d’Etats, relativement au droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) et au droit à la propriété (article 1 du Protocole no 1).
397. Les distinctions établies à la suite de l’« effacement » en l’espèce pourraient aboutir à une discrimination à long terme et continue à l’égard de certaines personnes. De nombreuses « personnes effacées » auraient perdu leur travail, leur statut professionnel et leur domicile. Certaines d’entre elles n’auraient pas de logement correct, seraient détenues ou se trouveraient dans des centres de transit, et auraient perdu toute possibilité d’acquérir le logement dans lequel elles vivaient, faute de statut juridique. L’« effacement » serait discriminatoire à l’égard non seulement des ressortissants de l’ex-RSFY mais également des membres des communautés roms.
398. La jurisprudence de la Cour, le droit de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, y compris la Slovénie, et le droit international reconnaîtraient l’importance fondamentale de l’interdiction de la discrimination. Celle-ci couvrirait clairement la discrimination tant directe qu’indirecte (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007-...). En outre, d’autres organes du Conseil de l’Europe auraient interprété le droit à la non-discrimination comme exigeant des mesures positives de la part des Etats membres. En l’espèce, cela signifierait l’adoption de mesures législatives positives pour régler le statut juridique des « personnes effacées » et l’exécution des décisions de la Cour constitutionnelle.
399. En outre, le manquement à fournir une protection aux requérants devenus apatrides le 26 février 1992 aurait entraîné une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. L’apatridie serait de manière générale considéré comme l’une des principales sources de désavantage et de discrimination tant en droit international qu’en vertu des instruments du Conseil de l’Europe.
2. Appréciation de la Cour
400. Eu égard à son constat de violation de l’article 8 de la Convention (paragraphes 368 et 371-376 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les griefs des requérants sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8 (Slivenko, arrêt précité, § 134).
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
401. L’article 46 de la Convention énonce :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
402. Les conclusions de la Cour impliquent en soi que la violation des droits des requérants garantis par les articles 8 et 13 de la Convention tire son origine du manquement des autorités législatives et administratives slovènes à régler la situation des requérants, qui est représentative de celle du groupe plus large des « personnes effacées », conformément aux décisions de la Cour constitutionnelle, et en particulier à la décision du 3 avril 2003 (paragraphes 56-57 et 250-255 ci-dessus).
403. L’existence de ce problème et l’inconstitutionnalité et l’illégalité de la législation ont été reconnues par les autorités judiciaires slovènes – pour la première fois par la Cour constitutionnelle dans sa décision du 4 février 1999 – et ont été confirmées par la suite dans un certain nombre de décisions exposées en détail dans le présent arrêt (paragraphes 236-257 ci-dessus).
404. Souscrivant à cette appréciation, la Cour conclut que les faits de la cause révèlent l’existence dans l’ordre juridique slovène d’une défaillance, en conséquence de laquelle le groupe restant des « personnes effacées » se voient toujours privées de leurs droits au respect de leur vie privée et/ou familiale en Slovénie et à des recours effectifs à cet égard. Elle estime en outre que les lacunes du droit et de la pratique internes décelées dans le cas des requérants sont susceptibles de donner lieu à l’avenir à de nombreuses requêtes bien fondées (paragraphe 65 ci-dessus).
405. La Cour rappelle que, dans le cadre de l’exécution d’un arrêt en application de l’article 46 de la Convention, un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de cette disposition de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder à la partie lésée s’il y a lieu la satisfaction qui lui semble appropriée. Il en découle notamment que l’Etat défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004-II ; Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 47, CEDH 2004-I ; et Viaşu c. Roumanie, no 75951/01, § 79, 9 décembre 2008).
406. En outre, l’Etat demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta, précité, § 249, et Broniowski, précité, § 192). Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, § 34, série A no 330-B).
407. Bien qu’en principe il n’appartienne pas à la Cour de définir quelles peuvent être les mesures de redressement appropriées pour que l’Etat défendeur s’acquitte de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, la Cour observe que, par sa nature même, la violation constatée en l’espèce à raison du manquement des autorités législatives et administratives slovènes à se conformer aux décisions de la Cour constitutionnelle indique clairement les mesures à caractère général et individuel qu’il y a lieu d’adopter dans l’ordre juridique slovène pour redresser les violations en cause : il y a nécessité de légiférer et de régulariser la situation des différents requérants en leur délivrant des permis de séjour permanent rétroactifs (voir, mutatis mutandis, L. c. Lituanie, no 27527/03, § 74, CEDH 2007-X, et Viaşu, précité, § 83).
VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
408. Les requérants demandent que le statut de résident permanent leur soit octroyé rétroactivement, sur la base de la décision de la Cour constitutionnelle du 3 avril 2003, et sollicitent des indemnités pour préjudice matériel et moral ainsi que le remboursement des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure.
409. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Dommage matériel
a) Les requérants
410. Les requérants soutiennent qu’ils ont subi un important préjudice matériel et qu’il existe un lien direct entre les violations établies et les divers types de dommages. Ceux d’entre eux qui n’ont pas de revenus réclament chacun une somme correspondant au montant total de l’allocation sociale mensuelle qu’ils auraient dû percevoir, y compris, le cas échéant, les allocations familiales et de logement, majorée des intérêts. En outre, en 1991, les titulaires de « baux spécialement protégés » auraient eu le droit d’acquérir dans des conditions favorables les appartements dans lesquels ils vivaient. Les requérants qui auraient eu un tel droit mais n’auraient pas pu l’exercer réclament une indemnité correspondant à la valeur marchande actuelle de leurs appartements.
411. M. Kurić sollicite au total 54 559, 24 EUR, dont 145,43 EUR pour les frais administratifs afférents à sa demande d’obtention de la nationalité slovène.
M. Dabetić demande au total 92 351,35 EUR, dont 70 000 EUR pour l’appartement.
Mme Mezga réclame au total 82 140,51 EUR, notamment au titre des allocations de maternité.
Mme et M. Ristanović demandent au total 77 757,24 EUR, dont 5 500 EUR pour les frais de scolarité de M. Ristanović en Serbie et 265 EUR pour les frais engagés pour l’obtention de documents bosniaques et pour l’assurance-maladie pendant le séjour en Slovénie.
M. Berisha sollicite au total 112 679,22 EUR pour lui-même et sa famille, dont 5 200 EUR pour les honoraires d’avocat.
M. Sadik demande au total 72 798,44 EUR, dont 70 000 EUR pour l’appartement, 1 750 EUR pour des dépenses de santé, 108 EUR pour les frais administratifs d’une demande de visa et 136 EUR pour les frais administratifs d’une demande de passeport.
M. Minić réclame au total 23 230,51 EUR, dont 500 EUR pour les frais administratifs de demande de visa, 145,43 EUR pour les frais administratifs afférents à la demande de nationalité et 20,86 EUR pour les frais de justice exposés dans le cadre de la procédure administrative.
b) Le gouvernement défendeur
412. Le Gouvernement soutient que les demandes des requérants pour préjudice matériel sont relativement approximatives et exagérées. A son avis, la Cour ne saurait spéculer sur l’issue de la procédure concernant, par exemple, les droits à l’assistance sociale ou au logement.
413. En outre, les demandes formulées par Mustafa Kurić, Ljubenka et Tripun Ristanović, Ilfan Ademi Sadik et Zoran Minić en vue du remboursement des frais engagés pour l’obtention d’un visa, d’un passeport, de la nationalité ou d’un permis de séjour permanent, etc., sont totalement infondées.
2. Préjudice moral
a) Les requérants
414. Les requérants allèguent que l’« effacement » a emporté des conséquences extrêmement graves pour eux et a engendré des bouleversements sérieux et importants dans leur vie : leur situation n’est pas régularisée, ils ont perdu leur emploi, ils vivent dans des conditions indignes d’un être humain, et bon nombre d’entre eux ont de graves problèmes de santé. En résumé, ils auraient enduré diverses formes de souffrance reconnues par la jurisprudence de la Cour : douleur et sentiments d’instabilité et d’insécurité profondes quant à l’avenir, pendant une période extrêmement longue, anxiété causée par le risque d’expulsion, sentiment intense d’angoisse et de tristesse en raison des attitudes xénophobes et de l’absence de recours effectifs.
415. Les requérants proposent à la Cour d’examiner leurs demandes de satisfaction équitable séparément, en vertu de l’article 75 du règlement de la Cour.
416. Ils estiment que le versement d’un montant de 200 000 EUR à chacun d’eux constituerait une indemnité appropriée pour dommage moral.
417. En outre, contrairement à l’argument du gouvernement défendeur selon lequel une réparation ne peut être demandée que si la Cour a constaté une violation, les requérants soutiennent qu’en vertu de l’article 43 § 4 du règlement de la Cour « lorsqu’une requête a été rayée du rôle, les dépens sont laissés à la discrétion de la Cour (...) » (les requérants invoquent l’arrêt Chevanova, précité, §§ 53-56).
b) Le gouvernement défendeur
418. D’après le gouvernement défendeur, cette somme est totalement exagérée, eu égard à la jurisprudence de la Cour (il invoque l’arrêt Slivenko, précité, § 167) et au revenu mensuel moyen en Slovénie, et n’est étayée par aucun justificatif.
3. Frais et dépens
a) Les requérants
419. Les requérants sollicitent la somme de 62 272,50 EUR, à majorer de taxes et autres frais, soit 76 798,54 EUR, pour les frais et dépens afférents à la procédure devant la Cour. Ils auraient été représentés par un certain nombre d’avocats, qui auraient effectué une grande quantité de travail préparatoire et juridique. En particulier, cette somme couvrirait l’étude de la législation et de la jurisprudence relativement complexes concernant les « personnes effacées », l’analyse des situations des différents requérants, les contacts avec ceux-ci, les déplacements, la préparation des dossiers, etc.
420. En outre, étant donné les circonstances exceptionnelles de l’affaire et l’extrême pauvreté dans laquelle les requérants vivraient, les représentants de ceux-ci auraient accepté de renoncer à leurs honoraires au cas où la Cour ne constaterait pas de violation en l’espèce et, au cas où la Cour conclurait à une violation des droits des requérants garantis par la Convention, de n’être indemnisés qu’à la fin de la procédure et du montant alloué de ce chef, les requérants n’ayant encore effectué aucun paiement.
b) Le gouvernement défendeur
421. Quant aux frais engagés par les requérants pour leur représentation devant la Cour, le gouvernement défendeur indique que les représentants des intéressés ont déclaré à la presse slovène qu’ils représentaient les requérants gratuitement. Le cabinet d’avocats n’aurait donc pas droit au remboursement des frais et dépens.
4. Appréciation de la Cour
422. Dans les circonstances de l’espèce et considérant que la Cour a indiqué au gouvernement défendeur quelles mesures générales et individuelles il devait adopter dans l’ordre juridique interne pour mettre fin aux violations constatées, la Cour estime que la question de l’indemnisation pour préjudice matériel et/ou moral ne se trouve pas en état. Dès lors, il y a lieu de la réserver et de fixer la procédure ultérieure, en tenant dûment compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et les requérants (article 75 § 1 du règlement de la Cour) et à la lumière de toute mesure que le gouvernement défendeur pourrait prendre en exécution du présent arrêt.
423. Enfin, quant aux frais et dépens déjà réclamés pour la procédure menée devant la Cour jusqu’ici, celle-ci estime que les représentants des requérants n’ont pas soumis les documents pertinents à l’appui de leur demande de remboursement, par exemple un relevé d’heures et des copies de factures. Il s’ensuit que la Cour ne peut pas procéder à une estimation adéquate et que la question du remboursement des frais et dépens doit en conséquence également être réservée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L’UNANIMITÉ,
1. Dit que Mme Marija Ban n’a pas qualité pour poursuivre la procédure au nom de M. Makuc ;
2. Déclare recevables les griefs de M. Mustafa Kurić, M. Velimir Dabetić, Mme Ana Mezga, Mme Ljubenka Ristanović, M. Tripun Ristanović, M. Ali Berisha, M. Ilfan Sadik Ademi et M. Zoran Minić sur le terrain des articles 8, 13 et 14 de la Convention et déclare la requête irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article ;
6. Dit que l’Etat défendeur doit, par des mesures générales et individuelles appropriées, garantir le droit des requérants au respect de leur vie privée et/ou familiale et à des recours effectifs à cet égard ;
7. Dit, en ce qui concerne l’indemnité à allouer aux requérants pour tout préjudice matériel ou moral pouvant résulter des violations constatées en l’espèce ainsi que le remboursement des frais et dépens engagés aux fins de la procédure, que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état et, par conséquent,
a) réserve ladite question dans son ensemble ;
b) invite le Gouvernement et les requérants à lui soumettre, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt deviendra définitif2, leurs observations écrites sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la Cour le soin de la fixer au besoin.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall Greffier Président
1. Voir Incidences de la succession d’Etats sur la nationalité : Déclaration de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (adoptée lors de sa 28e réunion plénière, Venise, 13-14 septembre 1996), §§ 40-70.
2. Rectifié le 11 janvier 2011 : le texte se lisait ainsi : « dans un délai de six mois à compter de la date de communication du présent arrêt ».
ARRÊT KURIĆ ET AUTRES c. SLOVÉNIE
ARRÊT KURIĆ ET AUTRES c. SLOVÉNIE