La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2009 | CEDH | N°22644/03

CEDH | AFFAIRE SIMALDONE c. ITALIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SIMALDONE c. ITALIE
(Requête no 22644/03)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mars 2009
DÉFINITIF
30/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Simaldone c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffi

ère adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2009,
Rend l'arrêt que voic...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SIMALDONE c. ITALIE
(Requête no 22644/03)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mars 2009
DÉFINITIF
30/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Simaldone c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 22644/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Francesco Simaldone (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me G. Romano, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. I.M. Braguglia, M. R. Adam et Mme E. Spatafora, ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3.  Le 20 novembre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1929 et réside à Bénévent.
A.  La procédure principale
5.  Le 6 octobre 1992, l'intéressé assigna le service local de santé publique (« Unità Sanitaria Locale », ci-après l'« U.S.L. »), dont il était salarié, devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») de Campanie (RG no 9633/92), afin d'obtenir le remboursement du prix des repas quotidiens (4,13 euros (EUR)) auquel il estimait avoir droit à partir du 1er janvier 1991.
6.  Le 21 octobre 1992, le requérant présenta une demande de fixation d'audience.
7.  Les parties n'ont fourni aucune information sur le déroulement de la procédure, qui était encore pendante le 27 janvier 2003, date du prononcé de la décision « Pinto » (paragraphe 9 ci-dessous).
B.  La procédure « Pinto »
8.  Le 17 avril 2002, le requérant saisit la cour d'appel de Rome sur le fondement de la loi « Pinto » en vue de faire constater une violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de se voir accorder, entre autres, une indemnité de 10 846 EUR au titre du dommage moral.
9.  Par une décision du 27 janvier 2003 (« la décision Pinto »), dont le texte fut déposé au greffe le 26 mars 2003, la cour d'appel jugea que la procédure – qui était encore pendante au moment du prononcé de cette décision – avait excédé un délai raisonnable. Statuant en équité, elle accorda au requérant 700 EUR en réparation du dommage moral ainsi que 1 000 EUR à son avocat pour frais et dépens, y compris ceux afférents à la procédure suivie devant la Cour. Non signifiée, cette décision devint définitive le 10 mai 2004.
10.  La somme accordée en exécution de la décision Pinto, majorée d'intérêts, fut payée le 6 avril 2004, après qu'une saisie eut été pratiquée. Le requérant reçut 723 EUR.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le droit et la pratique interne pertinents relatifs à la loi « Pinto »
11.  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-...).
12.  Les dispositions pertinentes de la loi « Pinto » sont ainsi libellées :
Article 2 – Droit à une satisfaction équitable
« 1.  (...)
3.  Le juge détermine le montant de la réparation conformément à l'article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :
a)  seul le préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable indiqué au paragraphe 1 peut être pris en compte ;
Article 3 – Procédure
« 1.  (...)
6.  La cour prononce, dans les quatre mois suivant la formation du recours, une décision susceptible de pourvoi en cassation. La décision est immédiatement exécutoire.
7.  Le paiement des indemnités aux ayants droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, à compter du 1er janvier 2002. »
Article 5 – Communication
« La décision qui fait droit à la demande est communiquée par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur général près la Cour des comptes afin de permettre l'éventuelle instruction d'une procédure en responsabilité, et aux titulaires de l'action disciplinaire des fonctionnaires concernés par la procédure. »
13.  La Cour de cassation plénière (Sezioni Unite), saisie de recours contre des décisions rendues par des cours d'appel dans le cadre de procédures « Pinto », a rendu le 27 novembre 2003 quatre arrêts de cassation avec renvoi (nos 1338, 1339, 1340 et 1341), dont les textes furent déposés au greffe le 26 janvier 2004 et dans lesquels elle a affirmé que « la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s'impose aux juges italiens en ce qui concerne l'application de la loi no 89/2001 ».
Elle a notamment affirmé dans son arrêt no 1340 le principe selon lequel :
« la détermination du dommage extrapatrimonial effectuée par la cour d'appel conformément à l'article 2 de la loi nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l'équité, doit intervenir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu'il faut se référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s'éloigner mais de façon raisonnable. »
B.  Le droit interne pertinent relatif à la publication, la communication, la notification et l'exécution des décisions judiciaires en matière civile
14.  Les passages pertinents des dispositions du code de procédure civile en la matière se lisent ainsi :
Article 133 – Publication et notification de l'arrêt
« L'arrêt est rendu public par dépôt auprès du greffe de la juridiction qui l'a rendu.
Le greffier certifie le dépôt au bas de la décision et y appose la date et sa signature; dans les cinq jours, il en informe les parties par un avis contenant le dispositif. (...) »
Article 136 – Notification
« Le greffier, par billet de greffe (biglietto di cancelleria) établi sur papier non timbré, procède aux notifications prescrites par la loi ou par le juge au parquet, aux parties, aux experts, aux autres auxiliaires de justice ainsi qu'aux témoins, et donne connaissance des décisions pour lesquelles la loi prescrit telle forme abrégée de communication. (...) »
Article 137 – Signification
« A moins qu'il n'en soit autrement disposé, les significations sont exécutées par huissier de justice, sur demande (istanza) de la partie ou sur requête (richiesta) du parquet ou du greffier. (...) »
Article 475 – Apposition de la formule exécutoire
« A moins que la loi n'en dispose autrement, les arrêts et les autres décisions de justice (...) doivent être revêtus de la formule exécutoire pour valoir titre exécutoire. (...) »
Article 479 – Signification du titre exécutoire et de la mise en demeure (precetto)
« A moins que la loi n'en dispose autrement, l'exécution forcée doit être précédée de la signification du titre revêtu de la formule exécutoire et de la mise en demeure. (...) »
15.  Les dispositions pertinentes de l'article 14 de la loi no 30 du 28 février 1997 sont ainsi libellées :
Article 14 – Exécution forcée contre les administrations publiques
« 1.  Les administrations de l'Etat et les organismes publics à caractère non économique se conforment aux décisions judiciaires et aux sentences arbitrales exécutoires emportant obligation de payer des sommes d'argent dans les cent vingt jours suivant la signification du titre revêtu de la formule exécutoire. Le créancier ne peut entamer de procédure d'exécution forcée ou faire signifier la mise en demeure avant l'expiration de ce délai. (...) »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
16.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure civile. Faisant observer qu'il a épuisé la voie de recours prévue par la loi « Pinto », il considère que le montant accordé par la cour d'appel au titre du dommage moral n'est pas suffisant pour réparer le préjudice causé par la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
17.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
18.  Les dispositions pertinentes de l'article 6 § 1 sont ainsi libellées :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Sur la recevabilité
1.  Qualité de « victime »
19.  Le Gouvernement avance que le requérant n'est plus « victime » de la violation alléguée de l'article 6 § 1 puisqu'il a obtenu de la cour d'appel de Rome un constat de violation ainsi qu'un redressement approprié et suffisant au regard de l'enjeu du litige, qui était très faible.
20.  Le Gouvernement soutient que la cour d'appel de Rome a statué en respectant les critères d'indemnisation qui se dégageaient de la jurisprudence de la Cour à l'époque pertinente. Il estime qu'il serait inapproprié de porter un jugement sur l'évaluation réalisée par la cour d'appel, quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi « Pinto », sur la base des critères énoncés par la Cour dans les arrêts de Grande Chambre rendus le 29 mars 2006 (ex pluribus, Cocchiarella c. Italie, précité). Il avance que l'application à des « affaires anciennes » de ces critères, conçus pour l'époque actuelle, conduirait à l'octroi d'indemnités au moins deux fois plus élevées – voire trois fois plus élevées dans certains cas – que celles accordées dans les affaires de durée de procédure dirigées contre l'Italie dont la Cour a eu à connaître par le passé.
21.  Les critères énoncés par la Grande Chambre, formulés de façon apodictique, aboutiraient à des résultats déraisonnables, injustes et incompatibles avec l'esprit et les buts de la Convention. L'application de ces critères par la Cour dans les affaires de durée de procédure mettant en cause l'Italie la conduirait à accorder des indemnités deux ou trois fois supérieures à celles octroyées par le passé dans des affaires similaires dirigées contre d'autres pays ne disposant même pas d'un remède interne contre la durée excessive des procédures.
22.  Par ailleurs, en application de la loi « Pinto », seules les années dépassant la durée « raisonnable » pourraient entrer en ligne de compte dans la détermination du montant de l'indemnisation à octroyer par la cour d'appel.
23.  Pour sa part, le requérant se considère toujours « victime » d'une violation de la Convention au motif que la procédure « Pinto » a eu une durée excessive. En outre, l'indemnité accordée, d'un montant dérisoire, aurait été versée tardivement. L'enjeu du litige ne serait pas pertinent aux fins de l'appréciation de la qualité de « victime » car toute personne aurait droit à ce que sa cause soit examinée dans un délai raisonnable, quel que soit l'enjeu de la procédure nationale.
24.  La Cour rappelle que, selon l'article 34 de la Convention, elle « peut être saisie d'une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. (...) ». A cet égard, elle reconnaît qu'il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. Il s'ensuit que la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002-III).
25.  Toutefois, une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, et réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suiv., série A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X).
26.  Il appartient à la Cour de vérifier, a posteriori, d'une part, s'il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d'une violation d'un droit protégé par la Convention et, d'autre part, si le redressement opéré peut être considéré comme approprié et suffisant (voir, notamment, Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars 2003 ; Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02, 25 novembre 2004).
27.  La première condition, à savoir la reconnaissance par les autorités nationales d'une violation de la Convention, ne prête pas à controverse.
28.  Quant à la seconde condition, voulant que le requérant ait bénéficié d'un redressement approprié et suffisant, la Cour a déjà indiqué que, même si un recours doit être regardé comme « effectif » dès lors qu'il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés, cette conclusion n'est valable que pour autant que l'action indemnitaire demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d'une procédure judiciaire (Paulino Tomas c. Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VIII).
29.  La Cour note d'abord que la procédure « Pinto » suivie devant la cour d'appel a duré du 17 avril 2002 au 26 mars 2003, soit onze mois pour un degré de juridiction, ce qui constitue une durée excessive eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto ».
30.  Elle estime par ailleurs que, en se bornant à octroyer une somme de 700 EUR au requérant pour dommage moral, la cour d'appel de Rome n'a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres, Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus de 7,8 % du montant qu'elle octroie généralement dans les affaires similaires dirigées contre l'Italie. Quant à l'incidence de l'enjeu du litige, elle observe que celui-ci figure sans nul doute parmi les critères utilisés par sa jurisprudence aux fins de l'appréciation du dépassement du délai raisonnable et du dommage moral subi, au même titre que la complexité de l'affaire ou le comportement de la partie requérante et des autorités compétentes (voir Aragosa c. Italie, no 20191/03, § 22, 18 décembre 2007). Toutefois, elle rappelle que, même lorsque cet enjeu est de faible importance, les procédures portant, comme en l'espèce, sur le droit du travail ainsi que celles concernant l'état et la capacité des personnes doivent être menées de manière particulièrement rapide. Cela posé, l'enjeu du litige pourra éventuellement justifier une réduction du montant à allouer au titre de l'article 41 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Aragosa c. Italie, précité, § 22). Quant à la circonstance que la loi « Pinto » ne permet pas d'indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais seulement pour ce qui concerne le préjudice pouvant se rapporter à la période excédant le « délai raisonnable » (article 2, alinéa 3, lettre a) de ladite loi) (paragraphe 12 ci-dessus), la Cour rappelle qu'un Etat partie à la Convention dispose d'une marge d'appréciation pour organiser une voie de recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (Cocchiarella c. Italie, précité, § 80). Le fait que le mode de calcul de l'indemnisation prévue en droit interne ne corresponde pas exactement aux critères énoncés par la Cour n'est pas décisif pourvu que les juridictions « Pinto » parviennent à octroyer des sommes qui ne soient pas déraisonnables par rapport à celles allouées par la Cour dans des affaires similaires (Cocchiarella c. Italie, précité, § 105).
31. Enfin, la Cour observe que l'indemnité allouée au requérant ne lui a été effectivement versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d'appel.
32.  Quant à la thèse du Gouvernement selon laquelle les critères d'indemnisation qui se dégagent des arrêts rendus par la Grande Chambre le 29 mars 2006 et ceux qui ont été appliqués antérieurement par la Cour dans les affaires italiennes de durée de procédure ainsi que dans les affaires similaires dirigées contre d'autres pays sont incohérents, la Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans l'arrêt Aragosa c. Italie (précité, §§ 17-24). Après avoir procédé à l'analyse de sa jurisprudence antérieure au 29 mars 2006 et postérieure à cette date ainsi qu'à un examen comparatif des sommes allouées à titre de satisfaction équitable dans les affaires italiennes de durée de procédure et les affaires similaires concernant d'autres Etats Contractants, la Cour avait observé que les montants octroyés par elle dans les affaires italiennes postérieures au 29 mars 2006 ne représentaient pas – loin s'en faut – le triple, ni même le double de ceux qu'elle avait auparavant alloués dans des affaires comparables mettant en cause d'autres pays que le Gouvernement avait citées pour illustrer ses propos. N'apercevant aucune raison de se départir de ses précédentes conclusions, la Cour rejette l'exception du Gouvernement.
33.  Au vu de ce qui précède et eu égard aux insuffisances du redressement opéré, la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre « victime » au sens de l'article 34 de la Convention.
2.  Conclusion
34.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Partant, il doit être déclaré recevable.
B.  Sur le fond
35.  En ce qui concerne le premier volet du grief, la Cour constate que la période litigieuse s'étend du 6 octobre 1992, jour de l'assignation de l'U.S.L. devant le TAR de Campanie, au 27 janvier 2003, date prise en considération par la cour d'appel « Pinto » et à laquelle, selon les informations contenues dans le dossier de la requête, la procédure principale était toujours pendante. La période en question a donc duré un peu plus de dix ans et trois mois pour un degré de juridiction.
36.  Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse a été excessive et qu'elle ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
37.  Quant au second volet du grief, la Cour rappelle avoir jugé ci-dessus que le montant accordé ne permettait pas de considérer le redressement offert comme suffisant, d'autant plus que la durée de la procédure « Pinto » a été excessive et que l'indemnisation à laquelle celle-ci a abouti a été payée avec retard.
38.  En conclusion, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II.  SUR La VIOLATION ALLÉGUÉE DE l'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET de l'article 1 DU PROTOCOLE No 1 à raison DU RETARD apporté au PAIEMENT DE L'INDEMNISATION « PINTO »
39.  Le requérant soutient que le retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision « Pinto » rendue par la cour d'appel de Rome porte atteinte à l'article 6 § 1 de la Convention, précité, et à l'article 1 du Protocole no 1, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) »
40.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
1.  Non-épuisement des voies de recours internes
41.  Excipant du non-épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement soutient que le retard litigieux ne saurait être interprété comme un refus des autorités de se conformer à l'obligation d'exécuter une décision de justice ou à un manquement grave à cette obligation et qu'il doit être examiné sous le seul angle du délai raisonnable. Il estime que le requérant aurait dû entamer une nouvelle procédure « Pinto » pour se plaindre du retard prétendument apporté à l'exécution de la décision « Pinto ».
42.  En ce qui concerne l' article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par cette disposition englobe le droit à l'exécution d'une décision judiciaire définitive et obligatoire et que l'exécution d'un jugement doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40 et suiv., Recueil 1997-II ; et Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 25, 27 mai 2004). L'exécution constituant la seconde phase de la procédure au fond, le droit revendiqué ne trouve sa réalisation effective qu'au moment de l'exécution (voir, entre autres, les arrêts Di Pede c. Italie et Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, §§  22, 24, 26 et 18, 20, 22 respectivement, Recueil 1996-IV ; et, mutatis mutandis, Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, § 33, série A no 286-A).
43.  Dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie, précité (§§ 36-107), la Cour a pris en considération le retard apporté au paiement de l'indemnisation « Pinto » afin de se prononcer sur la question de savoir si ce remède offrait un redressement adéquat et suffisant pour la violation du droit au « délai raisonnable ». Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, en premier lieu, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998-I), la Cour estime qu'il convient d'analyser ce grief sous l'angle du droit du requérant à un tribunal tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, et notamment de l'obligation de l'Etat de se conformer à une décision judiciaire exécutoire.
44.  Enfin, la Cour considère que la thèse du Gouvernement selon laquelle l'intéressé aurait dû exercer un nouveau recours « Pinto » pour faire valoir ses griefs relatifs à la durée d'exécution de la décision « Pinto » revient à enfermer le requérant dans un cercle vicieux où le dysfonctionnement d'un recours l'obligerait à en engager un autre. Une telle conclusion serait déraisonnable et constituerait un obstacle disproportionné à l'exercice efficace par le requérant de son droit de recours individuel, tel que défini à l'article 34 de la Convention (voir en ce sens Vaney c. France, no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004 et, mutatis mutandis, Kaić c. Croatie, no 22014/04, § 32, 17 juillet 2008).
45.  Quant à l'article 1 du Protocole no 1, la Cour rappelle que l'impossibilité pour une personne d'obtenir l'exécution d'un jugement rendu en sa faveur constitue une ingérence dans le droit de celle-ci au respect de ses biens, tel qu'énoncé dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (voir Bourdov c. Russie, précité, § 40).
46.  Le grief du requérant pouvant être analysé aussi sous l'angle de cette disposition, la Cour estime que l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement de la voie de recours « Pinto » n'est pas pertinente et qu'il convient en conséquence de la rejeter.
2.  Conclusion
47.  La Cour constate que les griefs formulés par l'intéressé ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B.  Sur le fond
48.  En ce qui concerne l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle avoir déjà admis qu'une administration puisse avoir besoin d'un certain laps de temps pour procéder à un paiement. Néanmoins, s'agissant d'un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive de procédures, ce laps de temps ne devrait généralement pas dépasser six mois à compter du moment où la décision d'indemnisation est devenue exécutoire (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité, § 89).
49.  En outre, une autorité de l'Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice (voir Cocchiarella c. Italie, précité, § 90 ; Bourdov c. Russie, précité, § 35).
50.  La Cour note que la somme octroyée par la juridiction « Pinto » n'a été versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d'appel. Le versement est donc intervenu bien après le délai de six mois courant à partir du jour où la décision d'indemnisation est devenue exécutoire.
51.  Le Gouvernement considère que le délai de six mois imparti pour le paiement de l'indemnisation « Pinto » doit courir à partir du jour où le greffe notifie la décision de la cour d'appel « Pinto » à l'administration selon les modalités décrites à l'article 136 du code de procédure civile, ou à compter du jour où le requérant fait procéder à la signification de la décision en question à l'administration dans les conditions prévues aux articles 137, 475 et 479 du même code (paragraphe 14 ci-dessus).
52.  En ce qui concerne l'argument du Gouvernement relatif à la notification de la décision « Pinto » par le greffe de la cour d'appel, la Cour note d'abord que, en vertu de l'article 5 de la loi « Pinto » et de l'article 133 du code de procédure civile (paragraphes 12 et 14 ci-dessus), la notification en question doit intervenir dans les cinq jours suivant le dépôt de la décision au greffe. Or, même si le délai de six mois mentionné dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie devait commencer à courir cinq jours au plus tard après le dépôt de la décision « Pinto » au greffe, cette circonstance ne serait pas déterminante. Par ailleurs, une notification tardive de la décision « Pinto » par le greffe de la cour d'appel ne saurait être mise à la charge du requérant, pareil retard étant en toutes circonstances imputable à l'Etat défendeur.
53.  Quant à la thèse selon laquelle le requérant aurait dû faire signifier la décision « Pinto », la Cour constate que, en vertu de l'article 3 alinéa 6 de la loi « Pinto » (paragraphe 12 ci-dessus), la décision rendue par la cour d'appel est immédiatement exécutoire. Il s'ensuit que l'administration est tenue de la mettre à exécution dès son dépôt au greffe, en versant au bénéficiaire l'indemnité « Pinto » octroyée par la cour d'appel. La signification n'est requise que pour l'ouverture d'une procédure d'exécution forcée (article 479 du code de procédure civile). La Cour rappelle avoir jugé qu'il serait inopportun de demander à une personne reconnue créancière de l'Etat à l'issue d'une procédure judiciaire d'engager par la suite une procédure d'exécution forcée afin d'obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, précité, § 19 ; et Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 23, 11 décembre 2003) et que, dans le cadre du recours « Pinto », les intéressés n'ont pas d'obligation d'entamer une procédure d'exécution (voir Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03, §§ 23-24, 5 juin 2007, CEDH 2007-...).
54.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la thèse du Gouvernement quant à la détermination du dies a quo pour le calcul du retard apporté au paiement de l'indemnité « Pinto » ne saurait être accueillie et que le délai de six mois imparti pour le versement de celle-ci court, conformément à la jurisprudence Cocchiarella c. Italie, à partir de la date à laquelle la décision est devenue exécutoire, c'est-à-dire à compter du dépôt au greffe de la décision « Pinto » qu'aucune des parties à la présente affaire n'a attaquée devant la Cour de cassation.
55.  Dès lors, en s'abstenant pendant douze mois de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision « Pinto » rendue par la cour d'appel dans la présente affaire, les autorités italiennes ont privé les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.
56.  Il s'ensuit qu'il a été porté atteinte au droit à l'exécution des décisions judiciaires garanti par l'article 6 § 1, et qu'il y a eu violation de cette disposition.
57.  En ce qui concerne le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement soutient que cette disposition n'a pas été violée en l'espèce car le retard apporté à l'exécution de la décision « Pinto », qu'il qualifie de négligeable, a été compensé par l'octroi d'intérêts moratoires.
58.  Pour sa part, le requérant plaide que le dommage moral découlant de la violation du « délai raisonnable » ne saurait être compensé par l'octroi d'intérêts moratoires, qui visent à réparer le dommage matériel résultant de l'indisponibilité d'une somme d'argent.
59.  A la lumière de sa jurisprudence (voir Bourdov c. Russie, précité, § 40), la Cour estime que le retard litigieux s'analyse en une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens.  Elle constate que le Gouvernement n'a fourni aucune justification pour cette ingérence et rappelle qu'un éventuel manque de ressources ne saurait légitimer une telle omission (Bourdov c. Russie, précité, § 41).
60.  La Cour rappelle aussi avoir conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 dans l'affaire Chmalko c. Ukraine (no 60750/00, § 56, 20 juillet 2004), où était en cause une décision rendue en faveur du requérant et dont l'exécution était intervenue quinze mois après son prononcé.  Dans l'affaire Lupacescu et autres c. Moldova (nos 3417/02, 5994/02, 28365/02, 5742/03, 8693/03, 31976/03, 13681/03, et 32759/03, § 23, 21 mars 2006), où une décision d'indemnisation pour détention illégale avait reçu exécution douze mois après avoir été rendue, la Cour a observé que, même si ce délai pouvait être considéré en soi comme non excessif, la nature de la décision devait être prise en compte. Relevant que le retard apporté au paiement de la somme allouée devait avoir aggravé la frustration ressentie par le requérant du fait de sa détention illégale, la Cour a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 (ibidem, § 24).
61.  La Cour considère tout d'abord que ce raisonnement trouve à s'appliquer mutatis mutandis en l'espèce, car le requérant a exercé une action en réparation du préjudice découlant de la violation de son droit à un procès dans un « délai raisonnable » – ce que le Gouvernement ne conteste pas – qui l'a conduit à subir une nouvelle frustration du fait de la difficulté à obtenir le versement de l'indemnité.
62.  Quant au délai de versement dont le dépassement peut s'analyser en une violation de l'article 1 du Protocole no 1, la Cour estime là encore opportun d'en fixer la durée à six mois à compter du jour où la décision non frappée de pourvoi en cassation par l'une ou l'autre des parties est devenue exécutoire.
63.  Enfin, pour ce qui est de l'argument du Gouvernement selon lequel le retard a été compensé par l'octroi d'intérêts moratoires, la Cour relève que le requérant a reçu 23 EUR à ce titre pour le retard de douze mois apporté au paiement de la somme « Pinto ». Toutefois, eu égard à la nature de la voie de recours interne et au fait que l'intéressé n'était pas tenu d'entamer une procédure d'exécution, la Cour estime que le versement des intérêts ne saurait être déterminant en l'espèce.
64.  Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
III.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 13 ET 53 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L'INSUFFISANCE DE L'INDEMNIté « PINTO » OBTENUE PAR LE REQUéRANT ET DU RETARD apporté au PAIEMENT de celle-ci
65.  Sur le terrain des articles 13 et 53 de la Convention, le requérant allègue que le remède « Pinto » s'est trouvé privé d'effectivité en raison de l'insuffisance de la réparation octroyée par la cour d'appel de Rome. Il se plaint en outre du retard apporté au paiement de l'indemnité « Pinto ».
66.  Les articles 13 et 53 de la Convention sont ainsi libellés :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
Article 53
« Aucune des dispositions de la (...) Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »
A.  Sur la recevabilité
67.  La Cour estime d'abord que ces griefs doivent être examinés sous le seul angle de l'article 13 de la Convention.
68.  En ce qui concerne le volet du grief relatif à l'insuffisance de l'indemnité « Pinto », la Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant aux justiciables de s'y prévaloir des droits et libertés tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Cette disposition implique que l'instance nationale compétente soit habilitée, d'abord, à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et, ensuite, à offrir un redressement approprié dans les cas qui le méritent (voir Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, ECHR 2002-VIII ; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 77-79 ; Surmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, 8 juin 2006). Cela étant, le droit à un recours effectif au sens de la Convention ne saurait être interprété comme donnant droit à ce qu'une demande soit accueillie dans le sens souhaité par l'intéressé (Surmeli c. Allemagne, précité, § 98).
69.  La Cour rappelle aussi qu'en janvier 2004, la Cour de cassation, dans ses arrêts nos 1338, 1339, 1340 et 1341, a posé le principe selon lequel « la détermination du dommage extrapatrimonial effectuée par la cour d'appel conformément à l'article 2 de la loi nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l'équité, doit intervenir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu'il faut se référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s'éloigner mais de façon raisonnable » (voir paragraphe 13 ci-dessus, ainsi que Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 24-25). A la suite de ce revirement, la Cour a considéré qu'à partir du 26 juillet 2004 – date à laquelle ces arrêts, notamment celui rendu sous le numéro 1340, ne pouvaient plus être ignorés du public – il devait être exigé des requérants, aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention, qu'ils usent du recours en cassation au sens de la loi « Pinto » (Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004 ; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 42-44).
70.  La règle de l'épuisement préalable des voies de recours internes établie par l'article 35 § 1 de la Convention présente d'étroites affinités avec l'exigence d'effectivité des remèdes internes, inscrite dans l'article 13 (voir en ce sens Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV). Ayant considéré, dans sa décision Di Sante c. Italie (précitée), que le recours en cassation au sens de la loi « Pinto » était une voie de recours à épuiser, la Cour a implicitement reconnu le caractère effectif du remède « Pinto ».
71.  Qui plus est, la Cour a déjà déclaré, dans l'arrêt Delle Cave et Corrado c. Italie (précité, §§ 43-46), que la simple insuffisance du montant de l'indemnisation accordée à un requérant dans le cadre de la procédure « Pinto » ne constituait pas en soi un élément suffisant pour remettre en cause l'effectivité de celle-ci.
72.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu'il y a lieu de déclarer le volet du grief tiré de l'article 13 portant sur l'insuffisance de l'indemnité « Pinto » irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
73.  Pour ce qui est du volet du grief portant sur le retard dans le paiement de l'indemnité en question, le Gouvernement réitère l'exception que la Cour a rejetée aux paragraphes 41-46 ci-dessus.
74.  Le requérant n'a pas pris position sur ce point.
75.  Ce grief n'étant pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtant à aucun autre motif d'irrecevabilité, il y a lieu de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
76.  Selon le Gouvernement, un retard tel que celui qui est critiqué par le requérant ne saurait remettre en cause le caractère effectif du recours « Pinto », à plus forte raison lorsqu'il a été compensé par l'octroi d'intérêts moratoires. En outre, il serait paradoxal que l'Italie, qui s'est efforcée d'aménager un recours pour la violation du droit au « délai raisonnable », puisse se voir reprocher une violation de l'article 13 alors que de nombreux Etats parties à la Convention qui ne disposent pas de voie de recours interne en la matière n'ont pas été condamnés pour violation de cette disposition.
77.  Le requérant n'a pas pris position sur ce point.
78.  La Cour a déjà eu l'occasion de rappeler dans l'arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 154, CEDH 2000-XI) que, dans le respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant à la façon de garantir aux individus le recours exigé par l'article 13 et de se conformer à l'obligation que leur fait cette disposition de la Convention. Elle a également insisté sur le principe de subsidiarité afin que les justiciables ne soient plus systématiquement contraints de lui soumettre des requêtes qui auraient pu être instruites d'abord et, selon elle, de manière plus appropriée, au sein des ordres juridiques internes. La Cour a aussi estimé dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, § 80) que, lorsque les législateurs ou les juridictions nationales ont accepté de jouer leur véritable rôle en introduisant une voie de recours interne, la Cour doit en tirer certaines conséquences. Lorsqu'un Etat a fait un pas significatif en instituant un recours indemnitaire, la Cour se doit de lui laisser une plus grande marge d'appréciation pour qu'il puisse organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (ibidem). Les exigences de l'article 13 de la Convention ne sont toutefois respectées que si le recours que le droit national offre aux justiciables pour se plaindre d'une méconnaissance de l'article 6 § 1 demeure un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d'une procédure judiciaire (Paulino Tomas c. Portugal, précité ; Vidas c. Croatie, no 40383/04, § 36, 3 juillet 2008).
79.  Ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 31 ci-dessus, l'indemnité « Pinto » allouée au requérant lui a été effectivement versée le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d'appel. Le versement est donc intervenu bien après le délai de six mois courant à partir du jour où la décision d'indemnisation est devenue exécutoire. (Cocchiarella c. Italie, précité, § 89).
80.  De surcroît, la Cour souligne que, dans huit des neuf arrêts rendus par la Grande Chambre le 29 mars 2006 (Cocchiarella c. Italie, précité, § 100 ; Musci c. Italie, no 64699/01, § 101, CEDH 2006-... ; Riccardi Pizzati c. Italie, no 62361/00, § 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1), no 64705/01, § 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2), no 65102/01, § 98 ; Apicella c. Italie, no 64890/01, § 98 ; Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 102 ; Giuseppina et Orestina Procaccini c. Italie, no 65075/01, § 98), elle a relevé que certains des requérants avaient reçu avec retard les sommes octroyées par les cours d'appel « Pinto » et que certains autres n'avaient rien reçu du tout.
81.  En outre, la Cour a rendu, depuis le 29 mars 2006, plus de 50 arrêts contre l'Italie où elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 à raison de la durée excessive des procédures judiciaires nationales. Elle a relevé des retards apportés au paiement des indemnités « Pinto » dans tous ces arrêts et les a souvent considérés comme des circonstances aggravantes de la violation du droit au délai raisonnable (voir Cocchiarella c. Italie, précité, § 120) devant entrer en ligne de compte pour la détermination de la somme à octroyer aux requérants au titre de l'article 41 de la Convention.
82.  Enfin, la Cour signale que, depuis septembre 2007, un nombre très important de requêtes dirigées contre l'Italie et portant exclusivement sur les retards apportés au paiement des indemnités « Pinto » ont été introduites devant elle. Environ 500 de ces requêtes ont été récemment communiquées au Gouvernement, ce qui révèle l'existence d'un problème dans le fonctionnement du recours « Pinto ».
83.  Cependant, la Cour relève que les cours d'appel compétentes aux fins de la loi « Pinto » ont rendu environ 16 000 décisions de 2005 à 2007. Dans ces conditions, le nombre de requêtes introduites devant la Cour portant sur des retards dans le paiement des indemnités « Pinto », bien qu'important, ne décèle pas, pour l'instant, une inefficacité structurelle du remède « Pinto ».
84.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le retard de douze mois dans le paiement de l'indemnité « Pinto » constaté en l'espèce, bien qu'emportant violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1, n'est pas suffisamment important pour remettre en cause l'effectivité du remède « Pinto ».
85.  Cependant, la Cour estime devoir attirer l'attention du Gouvernement sur le problème des retards apportés au paiement des indemnités « Pinto » et sur la nécessité, pour les autorités nationales, de se doter de tous les moyens adéquats et suffisants en vue d'assurer le respect des obligations qui leur incombent en vertu de la Convention et d'éviter l'introduction devant la Cour d'un grand nombre d'affaires répétitives portant sur les indemnités accordées par des cours d'appel dans le cadre de procédures « Pinto » et/ou le retard dans le paiement des sommes en question qui engorgeraient son rôle, ce qui constituerait une menace pour l'effectivité à l'avenir du dispositif mis en place par la Convention (voir Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-107 et §§ 125-130 ; mutatis mutandis, Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no 43662/98, §§ 14-15, CEDH 2007-... ; Driza c. Albanie, no 33771/02, § 122, CEDH 2007-... (extraits) ; et Katz c  Roumanie, no 29739/03, § 9, 20 janvier 2009).
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
86.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
87.  Le requérant réclame 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il dit avoir subi.
88.  Le Gouvernement conteste cette prétention.
89.  La Cour estime que, en l'absence de voies de recours internes, elle aurait pu accorder au requérant 9 000 EUR, compte tenu du fait que l'affaire concerne le droit du travail sans pour autant toucher des aspects importants ou délicats de cette matière tels que la question du licenciement abusif. L'octroi, par la cour d'appel de Rome, d'une indemnité représentant environ 7,8 % de cette somme au requérant à l'issue d'une longue procédure constitue un résultat manifestement déraisonnable, d'autant plus que le paiement est intervenu 12 mois après le dépôt au greffe de la décision de cette juridiction. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques du recours « Pinto » et au fait que celui-ci ne l'a pas empêchée de parvenir à un constat de violation de l'article 6 – et à conclure à la violation du droit à l'exécution des décisions judiciaires garanti par l'article 6 § 1 et de l'article 1 du Protocole no 1–, la Cour, statuant en équité et compte tenu de la solution adoptée dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146), alloue au requérant 3 950 EUR.
B.  Frais et dépens
90.  Justificatifs à l'appui, le requérant demande 15 111 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
91.  Le Gouvernement conteste cette prétention.
92.  Selon la jurisprudence de la Cour, l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, § 22, 24 janvier 2008). La Cour observe que la préparation de la présente requête a entraîné certains frais. Elle relève aussi que la cour d'appel de Rome a accordé à l'avocat du requérant 1 000 EUR pour frais et dépens, y compris ceux relatifs à la procédure devant la Cour. Statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'octroyer 1 000 EUR à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure (article 6 § 1 de la Convention) et du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d'appel de Rome (articles 6 § 1, 13 et 1 du Protocole no 1), et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi que de l'article 1 du Protocole no 1, en raison du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d'appel de Rome ;
4.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention quant au retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d'appel de Rome ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i)  3 950 EUR (trois mille neuf cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral,
ii)  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mars 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens   Greffière adjointe de section Présidente
ARRÊT SIMALDONE c. ITALIE
ARRÊT SIMALDONE c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 22644/03
Date de la décision : 31/03/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1 ; Non-violation de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 34) VICTIME, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : SIMALDONE
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-03-31;22644.03 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award