DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ANAKOMBA YULA c. BELGIQUE
(Requête no 45413/07)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 2009
DÉFINITIF
10/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Anakomba Yula c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président, Françoise Tulkens, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Nona Tsotsoria, juges, et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45413/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante congolaise, Mme Cécile Anakomba Yula (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 octobre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me I. de Viron, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Daniel Flore, Directeur général au Service public fédéral de la Justice.
3. La requérante alléguait en particulier une violation des articles 6 § 1 et 14 combinés de la convention.
4. Le 28 avril 2008, le vice-président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1972 et réside à Koekelberg.
6. La requérante réside de manière irrégulière en Belgique. Elle introduisit une demande de régularisation de séjour, d’une part, en raison de sa séparation d’avec son mari, M.L., de nationalité congolaise, qui bénéficiait d’un séjour étudiant, et, d’autre part, du fait que les enfants du couple vivaient avec elle et bénéficiaient d’un séjour régulier. Sa demande se fondait également sur le fait que le père biologique de son dernier enfant était de nationalité belge et ne pouvait reconnaître l’enfant, du fait que la requérante était mariée avec M.L. au moment de la naissance. La requérante devait donc introduire une action en contestation de paternité contre M.L., dans un délai d’un an à compter de la date de la naissance de l’enfant (articles 318 et 322 du code civil).
7. Par une lettre du 21 juin 2006 adressée au bourgmestre, la requérante sollicita la régularisation de son séjour. Elle soulignait qu’elle était séparée de son mari, qu’elle était enceinte d’un enfant dont le père avait la nationalité belge et désirait reconnaître l’enfant et que sa demande était introduite alors qu’elle était en séjour régulier.
8. Bénéficiant de l’aide juridique de seconde ligne (article 508/13 du code judiciaire), la requérante introduisit une requête auprès du tribunal de première instance de Bruxelles en exécution des articles 664 et suivants du code judiciaire, afin de pouvoir bénéficier de l’assistance judiciaire. Elle souhaitait éviter ainsi d’avoir à payer, le cas échéant, les frais de mise au rôle pour l’introduction de la demande (82 euros (EUR)), les frais d’une requête en désignation d’un tuteur ad hoc représentant l’enfant mineur (82 EUR), les frais relatifs à une expertise sanguine éventuelle (1 000 EUR) et les frais de signification par huissier de justice (200 EUR minimum).
9. Le requérante se vit débouter de sa demande au motif qu’elle n’était pas en séjour régulier, que l’action ne portait pas sur une procédure visant à régulariser le séjour et n’entrait donc pas dans les conditions d’octroi de l’article 668 du code judiciaire. Elle introduisit alors, le 8 juin 2007, un appel devant la cour d’appel de Bruxelles.
10. Dans sa requête d’appel, la requérante, invoquant la jurisprudence de la Cour, demandait à la cour d’appel d’écarter l’article 668 du code judiciaire, au motif que cet article violait les articles 6 et 14 de la Convention. Elle soulignait que l’article 668 créait une discrimination fondée sur la nationalité, qui n’avait pas de justification acceptable.
11. Par un arrêt du 12 juin 2007, la cour d’appel confirma la décision de refus. Elle releva que la différence de traitement découlant de l’article 668 du code judiciaire se fondait dans le cas d’espèce sur un critère objectif, à savoir la résidence « régulière » sur le territoire belge ; que dès lors que cette différence de traitement était raisonnable, puisqu’elle avait pour but d’assurer l’existence d’un point de rattachement concret minimal avec la Belgique dans le respect de la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. La cour d’appel affirma que cette différence de traitement était proportionnée à l’objectif poursuivi parce qu’elle ne s’appliquait qu’en l’absence de conventions par lesquelles les Etats non membres du Conseil de l’Europe auraient stipulé pour leurs ressortissants l’accès à l’assistance judiciaire et en dehors des procédures prévues par la loi précitée. Il appartenait à la requérante de régulariser sa situation, pour laquelle elle pouvait éventuellement bénéficier d’une assistance judiciaire, avant de prétendre à une quelconque assistance judiciaire pour lancer une procédure en désaveu de paternité.
12. Le 19 juin 2007, la requérante demanda au parquet général de se pourvoir en cassation contre cet arrêt, l’article 668 du code judiciaire ne lui offrant pas un tel recours. Elle soutenait que la cour d’appel avait méconnu, entre autres, les articles 6 et 14 de la Convention. Elle se plaignait également du fait que la cour d’appel, considérant que le droit d’accès aux tribunaux n’était pas absolu, avait refusé de poser une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage. Enfin, elle alléguait que, dès lors qu’il n’était ouvert qu’au seul parquet, le pourvoi en cassation était aussi incompatible avec les articles précités de la Convention.
13. Par un courrier du 25 juin 2007, le parquet près la cour d’appel de Bruxelles estima qu’il n’y avait pas lieu de se pourvoir en cassation.
14. Afin d’éviter que l’action en contestation de paternité ne soit prescrite, la requérante déposa, le 4 juin 2007, conjointement avec son époux, un procès-verbal de comparution volontaire devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Les frais de mise au rôle s’élevèrent à 82 EUR.
15. Par un jugement du 27 novembre 2007, le tribunal de première instance donna gain de cause à la requérante, considérant qu’elle avait apporté la preuve de la non-paternité exigée par le droit congolais. En revanche, sans donner de motivation spécifique, il condamna la requérante aux dépens en précisant que ceux-ci étaient non liquidés par les parties.
16. Le jugement fut signifié au mari de la requérante par un exploit d’huissier le 29 février 2008. Les frais de la signification s’élevèrent à un montant de 206,17 EUR.
17. La requérante n’interjeta pas appel du jugement.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
18. Les articles pertinents du code judiciaire disposent :
Article 508/1
« Pour l’application du présent livre, il faut entendre par :
2o aide juridique de deuxième ligne : l’aide juridique accordée à une personne physique sous la forme d’un avis juridique circonstancié ou l’assistance juridique dans le cadre ou non d’une procédure ou l’assistance dans le cadre d’un procès y compris la représentation au sens de l’article 728. »
Article 508/13
« L’aide juridique de deuxième ligne peut être partiellement ou entièrement gratuite pour les personnes dont les ressources sont insuffisantes ou pour les personnes y assimilées. »
Article 664
« L’assistance judiciaire consiste à dispenser, en tout ou en partie, ceux qui ne disposent pas des revenus nécessaires pour faire face aux frais d’une procédure, même extrajudiciaire, de payer les droits divers, d’enregistrement, de greffe et d’expédition et les autres dépens qu’elle entraîne. Elle assure aussi aux intéressés la gratuité du ministère des officiers publics et ministériels, dans les conditions ci-après déterminées (...)
Elle permet également aux intéressés de bénéficier de la gratuité de l’assistance d’un conseiller technique lors d’expertises judiciaires. »
Article 668
« Le bénéfice de l’assistance judiciaire peut être accordé dans les mêmes conditions :
a) aux étrangers conformément aux traités internationaux ;
b) à tout ressortissant d’un Etat membre du Conseil de l’Europe ;
c) à tout étranger qui a, de manière régulière, sa résidence en Belgique ;
d) à tout étranger dans les procédures prévues par la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. »
Article 688
« Les décisions des juges de paix, des tribunaux de police et des bureaux d’assistance judiciaire d’un tribunal de première instance, d’un tribunal de travail ou d’un tribunal de commerce peuvent être frappées d’appel par le requérant.
Le procureur général près la cour d’appel peut déférer à la Cour de cassation uniquement pour contravention à la loi, les décisions du bureau d’appel. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 14 DE LA CONVENTION
19. La requérante se plaint de s’être vu refuser l’assistance judiciaire pour introduire une action en contestation de paternité et d’avoir dû ainsi supporter les frais de la procédure. Elle y voit une violation de son droit d’accès à un tribunal. Elle invoque les articles 6 et 14 combinés de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment (...) l’origine nationale ou sociale (...) ou toute autre situation. »
A. Sur la recevabilité
20. A titre principal, le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. La requérante n’aurait invoqué, dans le cadre de la procédure de contestation de paternité, aucun des griefs soumis à la Cour. Or, en application de l’article 1017 alinéa 3 du code judiciaire, elle aurait dû discuter devant le tribunal de la compensation des dépens avec son époux, défendeur à la cause. De même, elle aurait pu et dû discuter devant le juge de la prise en charge des frais afférents à la signification du jugement à intervenir. Enfin, elle se serait abstenue de faire appel de la décision en faisant valoir que la mise à sa charge des frais de la procédure avait emporté violation de son droit d’accès à un tribunal.
21. La requérante soutient qu’elle ne disposait plus du recours utile en droit interne contre le refus de lui accorder l’assistance judiciaire gratuite.
22. La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées. Celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement - et non de façon détournée - à la situation litigieuse n’est pas tenu d’en engager d’autres qui peuvent lui être ouverts mais dont l’efficacité est improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). Dès lors qu’il existe au niveau national un recours permettant aux juridictions internes d’examiner, au moins en substance, l’argument relatif à la violation d’un droit protégé par la Convention, c’est ce recours qui doit être exercé. Si le grief présenté devant la Cour n’a pas été soumis – explicitement ou en substance – aux juridictions nationales au moment où il aurait pu leur être exposé dans l’exercice d’un recours qui s’offrait au requérant, l’ordre juridique national a été privé de la possibilité d’examiner la question tirée de la Convention que la règle de l’épuisement des voies de recours internes est censée lui donner (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, ECHR 2004-III).
23. La Cour note que lorsque la requérante s’est vu débouter de sa demande d’assistance judiciaire, elle a saisi la cour d’appel de Bruxelles. Invoquant la jurisprudence de la Cour, elle souhaitait voir écarter l’article 668 du code judiciaire, au motif que cette disposition violait les articles 6 et 14 de la Convention. Elle soutenait que l’article 668 créait une discrimination fondée sur la nationalité qui n’avait pas de justification acceptable. Le parquet près la cour d’appel de Bruxelles estima qu’il n’y avait pas lieu de se pourvoir en cassation.
24. La Cour relève en outre que si la requérante a pu finalement saisir le tribunal de première instance et obtenir une décision favorable, elle se plaint d’avoir dû supporter les frais de procédure.
25. Indépendamment de la question de savoir si l’intéressée a dû les acquitter personnellement, ce que le Gouvernement semble mettre en doute, la Cour souligne qu’en tout état de cause la question du poids des frais ne se serait pas posée si la requérante avait obtenu l’assistance judiciaire pour la procédure, dans laquelle elle a par ailleurs épuisé les voies de recours et invoqué les griefs qu’elle présente maintenant devant la Cour.
26. La Cour rejette donc l’objection du Gouvernement à cet égard.
27. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
28. Le Gouvernement souligne que le droit d’accès à un tribunal n’implique pas comme tel la gratuité d’une procédure. Il estime qu’il n’est possible ni pour lui ni pour la Cour d’apprécier le caractère restrictif pour le droit en question du montant auquel la requérante a dû faire face par rapport à sa situation concrète. L’intéressée n’évoquerait pas sa situation financière et l’aide subséquente qu’aurait pu apporter le père biologique de l’enfant ; elle privilégierait une approche in abstracto de l’article 668 du code judiciaire, qu’elle soumettrait à un contrôle abstrait de « conventionnalité ». Elle ne démontrerait pas concrètement une ingérence dans son droit d’accès à un tribunal : son action en contestation de paternité aurait abouti, moyennant le paiement de frais de justice relativement abordables.
29. De plus, le Gouvernement soutient que les conditions du bénéfice de l’assistance judiciaire posées par l’article 668, qui relèveraient d’une large marge d’appréciation de l’Etat, sont objectives et raisonnables. La condition relative à la régularité du séjour, qui serait au cœur de la discrimination dont se plaint la requérante, ne serait pas un critère « suspect » au sens de la jurisprudence de la Cour. Cette condition serait utilisée par le droit européen dans le cadre de l’aide judiciaire (directive 2002/8/CE du Conseil du 27 janvier 2003 visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières) et la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis. De surcroît, ces conditions poursuivraient des objectifs légitimes : réserver les deniers publics à ceux des étrangers qui ont un certain degré de rattachement avec la Belgique, décourager l’immigration illégale et assurer la réciprocité du bénéfice de l’assistance judiciaire entre les Belges à l’étranger et les étrangers en Belgique. Enfin, elles seraient proportionnées aux objectifs poursuivis : chacune des quatre conditions permettrait de prendre en considération un très large éventail de situations possibles, et même les étrangers privés de l’assistance judiciaire pourraient bénéficier de l’aide juridique gratuite d’un avocat, qui serait plus précieuse que la gratuité des frais de procédure.
30. La requérante soutient quant à elle que le fait que les autorités lui aient imposé un délai d’un mois après la naissance de sa fille pour introduire sa demande de contestation de paternité, alors même que sa carte de séjour n’était plus valide, est totalement arbitraire, sachant qu’en dehors de ce volet financier, cette action pouvait être introduite dans un délai d’un an. Elle ajoute que l’intervention à sa place du père biologique – de nationalité belge – de l’enfant reviendrait à la faire dépendre du bon vouloir d’un tiers. Elle reproche par ailleurs au Gouvernement de n’indiquer aucune donnée chiffrée permettant d’apprécier l’ampleur du surcoût financier que représenterait l’octroi de l’assistance judiciaire à toute personne indigente résidant sur le territoire. L’Etat ne ferait en réalité qu’avancer au justiciable indigent les fonds nécessaires pour mener son procès de manière équitable, et il pourrait toujours récupérer ces frais auprès de l’intéressé une fois celui-ci revenu à meilleure fortune.
31. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’État. L’article 6 § 1, s’il garantit aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil », laisse à l’Etat le choix des moyens à employer à cette fin. Toutefois, alors que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, série A no 32, et Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 91-93, CEDH 2001-V). Une limitation de l’accès au tribunal ne saurait restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que son droit d’accès à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. Elle ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 31, série A no 333-B).
32. La limitation en question peut être de caractère financier (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 54, CEDH 2001-VI). L’obligation de payer aux juridictions civiles des frais afférents aux demandes dont elles ont à connaître ne saurait passer pour une restriction au droit d’accès à un tribunal incompatible en soi avec l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances particulières d’une affaire donnée, y compris la solvabilité du requérant et la phase de la procédure à laquelle la restriction en question est imposée, sont des facteurs à prendre en compte pour déterminer si l’intéressé a bénéficié de son droit d’accès et si sa cause a été « (...) entendue par un tribunal » (Kreuz, précité, § 60, Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 37, CEDH 2006-... (extraits), et Iorga c. Roumanie, no 4227/02, 25 janvier 2007, § 39).
33. En outre, la Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 14 de la Convention entre en jeu dès lors que « la matière sur laquelle porte le désavantage (...) compte parmi les modalités d’exercice d’un droit garanti » (Syndicat national de la police belge c. Belgique, 27 octobre 1975, série A no 19, § 45) ou que les mesures critiquées « se rattachent à l’exercice d’un droit garanti » (Schmidt et Dahlström c. Suède, 6 février 1976, série A no 21, § 39).
34. En l’espèce, la Cour note que le tribunal de première instance de Bruxelles a rejeté la demande de la requérante visant à l’obtention de l’assistance judiciaire pour les frais de procédure qui pouvaient être occasionnés par l’action en contestation de paternité qu’elle envisageait d’introduire, notamment les frais de mise au rôle, les frais d’une requête en désignation d’un tuteur ad hoc représentant l’enfant mineur, les frais relatifs à une expertise sanguine éventuelle et les frais de signification par huissier de justice. Le tribunal a constaté que la requérante ne séjournait plus régulièrement sur le territoire belge, que son action ne portait pas sur une procédure visant à régulariser le séjour et n’entrait donc pas dans les conditions d’octroi de l’article 668 du code judiciaire.
35. Cet article accorde le bénéfice de l’assistance judiciaire aux ressortissants d’un Etat ayant conclu une convention internationale avec la Belgique à propos de l’assistance judiciaire, aux ressortissants d’un Etat membre du Conseil de l’Europe, à ceux qui ont de manière régulière leur résidence habituelle en Belgique ou dans un Etat membre de l’Union européenne et à ceux qui demandent l’assistance pour une procédure en matière d’accès au territoire, de séjour, d’établissement et d’éloignement des étrangers. La Cour ne doute pas que ces conditions poursuivent les buts légitimes mentionnés par le Gouvernement.
36. La cour d’appel, saisie par la requérante, a confirmé la décision de refus, relevant que la différence de traitement découlant de l’article 668 se fondait sur un critère objectif, la résidence régulière sur le territoire belge, et était raisonnable car elle exigeait un point de rattachement concret minimal avec la Belgique, dans le respect de la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. La requérante devait, d’après le dispositif du jugement, s’acquitter d’un montant de 288,17 EUR correspondant aux frais de mise au rôle de son action et aux frais de signification du jugement, alors qu’elle était indigente.
37. La Cour relève que les questions en jeu devant les tribunaux internes en l’espèce étaient des questions graves liées au droit de la famille. Les décisions que les tribunaux allaient rendre marqueraient de manière définitive la vie privée et familiale non seulement de la requérante elle-même mais de plusieurs autres personnes. Il fallait donc des raisons particulièrement impérieuses pour justifier une différence de traitement entre la requérante, qui ne possédait pas de carte de séjour, et les personnes qui en possédaient une (voir, mutatis mutandis, Niedzwiecki c. Allemagne, no 58453/00, 25 octobre 2005). Cette conclusion est en outre renforcée par le fait que l’article 508/13 du code judiciaire ne prévoyait pas le critère de la régularité du séjour pour bénéficier de l’aide juridique d’un avocat (aide juridique de seconde ligne – article 508/13 du code judiciaire), dont la requérante a d’ailleurs pu bénéficier.
38. De plus, la Cour ne perd pas de vue que la carte de séjour de la requérante avait expiré un mois et demi après la naissance de sa fille et qu’elle avait déjà avant l’expiration de sa carte, comme cela ressort de la lettre du 21 juin 2006 au bourgmestre, entrepris des démarches pour être régularisée eu égard à la vie familiale qu’elle menait en Belgique, le père de son enfant étant de nationalité belge. Enfin, il y avait urgence à agir, le délai pour introduire une action en contestation de paternité étant d’un an à compter de la date de la naissance de l’enfant (articles 318 et 322 du code civil).
39. Au vu de ces éléments, la Cour considère que l’Etat a manqué à son obligation de réglementer le droit d’accès à un tribunal d’une manière conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 14.
40. Il y a donc eu violation de ces dispositions.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
41. Invoquant l’article 8 combiné avec l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint de ne pas disposer d’un recours effectif pour établir le lien de filiation entre sa fille et son père biologique. De plus, elle voit une violation de l’article 6 de la Convention dans le fait qu’en l’espèce seul le parquet général pouvait se pourvoir devant la Cour de cassation.
42. La Cour relève que le grief tiré de l’article 8 combiné avec l’article 13, outre le fait qu’il n’a pas été invoqué devant les juridictions nationales, se confond en fait avec le précédent, car, sans accès au tribunal, la requérante ne pouvait pas agir en contestation de paternité et établir ainsi le lien de filiation entre sa fille et le père de celle-ci. La Cour estime donc qu’il n’est pas nécessaire de l’examiner séparément.
43. Quant au grief relatif à l’article 6 (tiré de ce que seul le parquet général peut se pourvoir en cassation contre les décisions concernant l’assistance judiciaire), la Cour rappelle que la manière dont l’article 6 § 1 s’applique devant les juridictions d’appel et de cassation dépend des particularités de la procédure en cause. Pour en juger, il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction de cassation, les conditions de recevabilité d’un pourvoi pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (voir, parmi d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 37, Recueil 1997-VIII, et Mohr c. Luxembourg (déc.), no 29236/95, 20 avril 1999). La Cour estime que la disposition de l’article 688 du code judiciaire qui prévoit que seul le procureur général près la cour d’appel peut déférer à la Cour de cassation, et uniquement pour contravention à la loi, les décisions du bureau d’appel, ne méconnaît pas l’article 6 de la Convention.
Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
45. La requérante demande le remboursement des sommes auxquelles elle aurait eu droit si l’assistance judiciaire lui avait été accordée.
46. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
47. La Cour considère que la requérante a droit au remboursement des frais de requête et des frais de signification dont elle a dû s’acquitter. Elle lui accorde donc la somme de 288,17 EUR. Etant donné que la requérante ne lui a soumis aucune prétention quant aux frais relatifs à la procédure suivie à Strasbourg, elle estime qu’il n’y a pas lieu de lui allouer une somme supplémentaire à ce titre.
C. Intérêts moratoires
48. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des articles 6 § 1 et 14 combinés de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 et 14 combinés de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 288,17 EUR (deux cent quatre-vingt huit euros et dix-sept cents) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Ireneu Cabral Barreto Greffière Président
ARRÊT ANAKOMBA YULA c. BELGIQUE
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