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08/07/2008 | CEDH | N°9103/04

CEDH | AFFAIRE PARTI TRAVAILLISTE GEORGIEN c. GEORGIE


ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PARTI TRAVAILLISTE GÉORGIEN c. GÉORGIE
(Requête no 9103/04)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 2008
Définitif
08/10/2008
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Parti travailliste géorgien c. Géorgie,
La Cour européenne des droits de l'homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Riza Türmen,   Mindia Ugrekhelidze,   Vladimiro Zagrebelsky,   Antone

lla Mularoni,   Dragoljub Popović, juges,  et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délib...

ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PARTI TRAVAILLISTE GÉORGIEN c. GÉORGIE
(Requête no 9103/04)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 2008
Définitif
08/10/2008
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Parti travailliste géorgien c. Géorgie,
La Cour européenne des droits de l'homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Riza Türmen,   Mindia Ugrekhelidze,   Vladimiro Zagrebelsky,   Antonella Mularoni,   Dragoljub Popović, juges,  et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2007 et le 17 juin 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 9103/04) dirigée contre la Géorgie et dont le Parti travailliste géorgien (« le parti requérant ») a saisi la Cour le 16 décembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le parti requérant a été représenté devant la Cour par son président, M. Shalva Natelashvili. Son premier conseil juridique, Me Lia Mukhashavria, a été remplacé le 20 février 2007 par Mes Gogita Mamporia, Ketevan Utiashvili et Marine Tsutskiridze, avocats en Géorgie. Le 24 juin 2007, le parti requérant a mandaté Me Johanna Rinceanu, avocate en Allemagne, aux fins de la procédure orale devant la Cour.
3.  Le gouvernement géorgien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents M. Besarion Bokhashvili et M. Davit Tomadze, du ministère de la Justice.
4.  Le parti requérant soutenait en particulier que les mécanismes électoraux internes et l'écartement de facto du scrutin d'environ 60 000 électeurs dans deux districts électoraux lors de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 avaient emporté violation de ses droits garantis par les articles 3 du Protocole no 1 et 14 de la Convention.
5.  Le 18 septembre 2006, le Gouvernement a déposé ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Le parti requérant n'a pas formulé d'observations en réponse.
6.  Par une décision définitive du 22 mai 2007, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.
7.  Une audience consacrée au fond de l'affaire a eu lieu en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 4 septembre 2007 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. D. Tomadze,  agent,  M. G. Chalagashvili,  président de la Commission électorale centrale,  M. A. Anasashvili, juriste à la Commission électorale centrale ;
–  pour le parti requérant  Me J. Rinceanu,  conseil,  M. Sh. Natelashvili, président du Parti travailliste géorgien,  M. Bekov et Mme D. Chadadze-Pollman,  conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. D. Tomadze, M. G. Chalagashvili, M. A. Anasashvili et Me J. Rinceanu.
8.  Le parti requérant a présenté sa demande de satisfaction équitable à l'audience. Le 23 octobre 2007, le Gouvernement a soumis ses observations sur cette demande.
9.  Le 1er février 2008, la Cour a modifié la composition de ses sections, mais la présente affaire est restée attribuée à l'ancienne section II.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
10.  Le requérant est un parti politique.
1.  La révolution des roses
11.  Le 20 novembre 2003, la Commission électorale centrale (« la CEC ») annonça les résultats définitifs des élections parlementaires ordinaires du 2 novembre 2003. Selon ces résultats, sept partis avaient dépassé le seuil de 7 % des voix requis par l'article 105 § 6 du code électoral (« CE », paragraphe 44 ci-dessous). Le Mouvement national de M. Saakashvili, qui siégeait dans l'opposition sous l'ancienne législature, arrivait en troisième position, avec 18,04 % des voix (ce qui lui permettait d'avoir 32 sièges au Parlement). Venaient ensuite le parti requérant, qui avait recueilli 12,04 % des voix (20 sièges), et les Démocrates unis, un mouvement de coalition mené par la présidente du Parlement, Mlle N. Bourjanadze (8,79 % des voix, soit 15 sièges).
12.  Les observateurs des élections ayant signalé de nombreux cas de fraude, le Mouvement national de M. Saakashvili et les Démocrates unis refusèrent d'accepter les résultats du scrutin. Avec l'appui général de la population, ils appelèrent à la démission du président Chevardnadze. Lorsque le Parlement nouvellement élu se réunit pour la première fois, le 22 novembre 2003, les forces d'opposition investirent le bâtiment du Parlement, perturbèrent le discours inaugural du président et expulsèrent les députés.
13.  Le 23 novembre 2003, M. E. Chevardnadze démissionna et Mlle N. Bourjanadze devint présidente par intérim de la Géorgie, conformément à la Constitution. Par la suite, ces événements furent appelés la « révolution des roses ».
2.  L'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004
14.  Le Parlement élu en novembre 2003 ayant été expulsé par les forces révolutionnaires, les dirigeants par intérim rappelèrent l'ancien Parlement, élu en 1999 (voir l'article 50 § 4 de la Constitution, paragraphe 42 ci-dessous), afin qu'il siège jusqu'à ce qu'un nouveau parlement soit élu.
15.  Le 25 novembre 2003, la Cour suprême de Géorgie annula le décompte des voix établi par la CEC le 20 novembre 2003 en son volet concernant les résultats du scrutin proportionnel. Les résultats du scrutin uninominal restèrent valides.
16.  Le 28 novembre 2003, le président de la CEC, qui avait été nommé par le président Chevardnadze, démissionna. Le 30 novembre 2003, la présidente par intérim démit de leurs fonctions cinq membres de la CEC qui avaient également été nommés par l'ancien président, et le Parlement élit à la tête de la CEC un nouveau président, dont la candidature avait été proposée par la présidente par intérim.
17.  Eu égard à l'annulation partielle par la Cour suprême, le 25 novembre 2003, des résultats de l'élection parlementaire du 2 novembre 2003, le président de la CEC émit, le 2 décembre 2003, en vertu de l'article 106 § 4 du CE, une ordonnance (no 167/2003) qui fixait la date de l'élection parlementaire complémentaire (« l'élection complémentaire ») au 25 janvier 2004. Cependant, le même jour, il demanda (décret no 50/2003) à la présidente par intérim de la Géorgie de repousser le scrutin à une date ultérieure, estimant qu'il ne serait guère possible d'en assurer la bonne administration dans un délai aussi court. La présidente par intérim fit droit à sa demande le 9 janvier 2004 et fixa l'élection complémentaire au 28 mars 2004.
18.  Le parti requérant contesta en justice l'ordonnance no 167/2003 de la CEC, arguant que celle-ci aurait dû s'appuyer, lorsqu'elle avait fixé la date de l'élection complémentaire, non pas sur l'article 106 § 4 du CE, mais sur l'article 105-17). Par un jugement du 8 décembre 2003, le tribunal régional de Tbilissi rejeta cette action, estimant que le parti requérant n'avait pas la qualité de victime. Le 26 décembre 2003, la Cour suprême réforma cette décision, observant que, puisque le parti requérant présentait des candidats à l'élection, il y avait un lien de conséquence direct entre ses intérêts et les décisions de la CEC. Cependant, elle rejeta l'action du parti requérant pour défaut manifeste de fondement.
19.  Les 7, 9 et 12 décembre 2003, la CEC émit des ordonnances invitant les électeurs à se rendre à l'administration de leur secteur électoral pour y remplir des formulaires spéciaux afin de pouvoir voter à l'élection présidentielle du 4 janvier 2004.
20.  Avec d'autres partis d'opposition, le parti requérant contesta en justice la légalité de cette réglementation. Le 15 décembre 2003, le tribunal régional de Tbilissi rejeta le recours pour défaut de fondement. Il estima en effet que le parti requérant ne pouvait se voir reconnaître la qualité de victime car il n'avait pas montré quel préjudice direct et précis pouvait porter à ses intérêts la procédure d'inscription préliminaire des électeurs pour l'élection présidentielle.
21.  Le 15 janvier 2004, M. M. Saakashvili fut déclaré président de la Géorgie. Par une ordonnance du 31 janvier 2004, il nomma à la CEC cinq nouveaux membres, dont un fut mandaté pour nommer cinq membres des commissions électorales de district (« CED ») en vertu de l'article 128-1) § 4 du CE.
22.  Le 21 février 2004, la CEC enregistra la candidature à l'élection parlementaire complémentaire de dix-neuf partis et blocs politiques, parmi lesquels le parti requérant et la coalition au pouvoir formée par le Mouvement national du président et les Démocrates unis de Mlle Bourjanadze. Le Mouvement national présidentiel avait déjà remporté les élections municipales de 2002 à Tbilissi.
23.  Aux fins de l'élection complémentaire, la CEC adopta, le 27 février 2004, un autre décret (no 30/2004), en vertu duquel les commissions électorales de secteur (« CES ») devaient afficher dans leurs bureaux les listes électorales préliminaires établies à partir des données réunies dans le cadre de l'inscription préliminaire des électeurs qui avait été mise en place en vue de l'élection présidentielle. Les électeurs devaient quant à eux se rendre à nouveau à l'administration de leur secteur électoral, entre le 8 et le 21 mars 2004, pour vérifier que leur nom figurait bien sur les listes. Dans le cas contraire, il leur appartenait de demander à la CES correspondante de procéder aux rectifications nécessaires. Les CES devaient transmettre les versions corrigées des listes électorales préliminaires à la CED compétente pour le 21 mars 2004. Les CED devaient ensuite établir les listes électorales définitives et les remettre aux CES pour une nouvelle vérification publique. Les électeurs avaient encore du 23 au 27 mars 2004 pour vérifier les listes définitives et demander éventuellement les corrections nécessaires. Le décret prévoyait également l'ajout sur les listes, le jour même du scrutin, des noms des électeurs éventuellement omis au moment de l'inscription préliminaire.
24.  Le président de la CEC expliqua les motifs de l'introduction de ce nouveau système d'inscription des électeurs dans une déclaration publique où il s'exprima ainsi : « si un électeur ne veut pas participer au scrutin, ne s'intéresse pas à la politique, ne veut pas coopérer avec l'Etat, alors l'Etat n'a aucune obligation de s'assurer que cet électeur figure sur la liste électorale unifiée ».
25.  L'élection complémentaire, au scrutin proportionnel, se tint comme prévu le 28 mars 2004. Subséquemment, de nombreuses plaintes furent introduites, devant les commissions électorales (y compris la CEC) et les tribunaux, pour différentes irrégularités supposément commises le jour du scrutin.
26.  Le 2 avril 2004, la CEC adopta l'ordonnance no 82/2004, qui annulait les résultats des élections en République autonome d'Adjarie (« RAA ») pour tous les secteurs des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti (nos 81 et 84), où étaient inscrits respectivement 42 011 et 17 263 électeurs. Dans son ordonnance, la CEC n'indiquait pas sur quelle disposition légale elle s'était fondée pour prendre cette décision d'annulation. Elle notait simplement que des plaintes avaient été déposées au sujet d'irrégularités supposément commises dans ces deux districts. Les auteurs des plaintes en question avaient demandé à la CEC de prendre les mesures d'investigation prévues à l'article 105 § 13 du CE, mais elle avait considéré que « compte tenu de la nature des irrégularités alléguées dans ces plaintes », il était inutile de prendre de telles mesures, et qu'en conséquence il fallait annuler les résultats contestés des scrutins de Khulo et de Kobuleti  et, conformément à l'article 105 § 12 du CE, appeler à nouveau les électeurs aux urnes dans ces districts. La nouvelle date fut fixée au 18 avril 2004 (paragraphes 50 et 53 ci-dessous).
27.  Le 6 avril 2004, la CEC adopta des règles de procédure (décret no 45/2004) pour l'affichage des listes électorales dans les différents secteurs des districts de Khulo et de Kobuleti. Comme avant l'élection présidentielle du 4 janvier 2004 et l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004, les électeurs devaient se rendre avant le scrutin à l'administration de leur secteur pour vérifier que leur nom figurait bien sur les listes.
28.  Le 18 avril 2004, jour du scrutin, les bureaux de vote des districts de Khulo et de Kobuleti restèrent fermés (paragraphe 50 ci-dessous). Or le même jour la CEC consolida les résultats de l'élection complémentaire du 28 mars. Elle indiqua que sur 2 343 087 électeurs inscrits il y avait eu un total de 1 498 012 suffrages exprimés et que le parti requérant avait obtenu 6,01% des voix et n'avait donc pas atteint le seuil de 7 % requis pour obtenir des sièges au Parlement.
29.  Selon le procès-verbal de la réunion tenue par la CEC le 18 avril 2004, le représentant du parti requérant, qui faisait partie des 15 membres de la CEC, s'était opposé à la proclamation définitive des résultats du scrutin, arguant que la CEC ne pouvait légalement clore l'élection au niveau national sans avoir auparavant tenu un scrutin dans les districts de Khulo et de Kobuleti. Le président de la CEC avait répondu que le fait que les bureaux de vote n'y eussent pas ouvert était imputable aux autorités adjares, et il avait ajouté que même si l'élection avait eu lieu dans ces districts cela n'aurait pas eu d'incidence sur les résultats définitifs. La proposition du président d'approuver le décompte des voix avait été acceptée par un vote à la majorité, et l'ordonnance correspondante (no 94/2004) avait été adoptée sur le fondement des articles 64 et 105 du CE.
30.  Le 22 avril 2004, le Parlement nouvellement élu se réunit pour sa première session. Le 6 mai 2004, après plusieurs semaines de tensions, le chef de la RAA, M. A. Abashidze, quitta le pouvoir et s'enfuit du pays.
3. Les recours exercés par le parti requérant
a)  La procédure devant la Cour suprême
31.  Le 20 avril 2004, le parti requérant contesta devant la Cour suprême l'ordonnance no 94/2004 (paragraphe 29 ci-dessus). Au-delà de sa demande principale visant à l'annulation de l'ordonnance, il priait la cour d'appliquer une mesure provisoire interdisant au Parlement d'entamer sa première session tant que ce litige ne serait pas réglé. A cet égard, il arguait que si le Parlement se réunissait il deviendrait impossible d'exécuter la décision de la Cour suprême si celle-ci statuait en sa faveur. Le 20 avril 2004, la Cour suprême déclara le recours recevable mais refusa d'appliquer la mesure provisoire demandée. Elle considéra qu'eu égard à l'article 77 § 3 du CE ce recours ne pouvait avoir d'effet suspensif et elle rappela qu'en vertu de l'article 51 de la Constitution la première séance du Parlement devait avoir lieu dans les 20 jours suivant la proclamation définitive des résultats du scrutin.
32.  Le 26 avril 2004, la Cour suprême écarta le recours du parti requérant, qui reposait sur quatre arguments principaux.
33.  Premièrement, le parti requérant contestait les règles relatives à la composition des listes électorales, arguant que de nombreux électeurs qui remplissaient les conditions pour pouvoir voter mais n'avaient pas respecté la procédure d'inscription préliminaire s'étaient vu refuser le droit d'exprimer leur suffrage le jour du scrutin. Par ailleurs, l'obligation de procéder à cette préinscription avait créé selon lui une sorte de manège facilitant la fraude électorale, des électeurs ayant pu s'inscrire dans différents secteurs électoraux et ainsi voter plus d'une fois, ce qui lui aurait fait perdre des voix. En outre, la CEC n'aurait pas eu compétence pour modifier les règles régissant la composition des listes électorales, cette prérogative étant réservée au Parlement, seul investi du pouvoir d'apporter les modifications législatives correspondantes au CE. De nombreux électeurs se seraient vu refuser le droit d'exprimer leur suffrage en raison des nouvelles règles, et le Gouvernement aurait eu un contrôle total sur l'administration des élections, ce qui aurait permis de truquer les résultats du scrutin. En se basant sur des statistiques communiquées par ses représentants dans les commissions électorales des régions de Kvemo Kartli, de Meskhet-Javakheti et d'Adjarie, qui auraient fait état d'une forte participation dans tout le pays à des moments précis, le parti requérant affirmait qu'environ 500 000 bulletins frauduleux avaient été déposés en faveur du parti présidentiel et des partis pro-présidentiels à midi, à 17 heures et à 20 heures le jour de l'élection.
34.  La Cour suprême considéra que cette dernière allégation n'avait pas été étayée, le parti requérant n'ayant selon elle présenté aucune preuve pertinente à l'appui de ses dires. Quant aux règles d'inscription sur les listes électorales, elle estima que la CEC avait, par l'ordonnance no 30/2004 (paragraphe 23 ci-dessus), remédié au défaut de l'article 9 § 12 du CE, dont l'application avait été suspendue par la Cour constitutionnelle le 26 décembre 2003 (paragraphe 45 ci-dessous). La Cour suprême conclut que, dans la mesure où l'ordonnance en question permettait aux électeurs de s'inscrire le jour même de l'élection, l'allégation selon laquelle ceux qui n'avaient pu procéder à leur inscription préliminaire dans les délais s'étaient par la suite vu refuser pour cette raison le droit d'exprimer leur suffrage devait être déclarée mal fondée.
35.  Deuxièmement, le parti requérant affirmait que ses représentants dans les commissions électorales, à différents niveaux, avaient été empêchés par d'autres membres de s'acquitter convenablement de leur rôle. Ils auraient été menacés et sommés de ne pas rédiger de plaintes sur les violations observées par eux, lesquelles auraient consisté à attribuer au parti présidentiel et aux partis pro-présidentiels des voix exprimées en faveur du Parti travailliste. Les agissements en question auraient été facilités par la composition des commissions électorales, étant donné que dans toutes les commissions, à tous les niveaux, 8 des 15 membres étaient des représentants du parti présidentiel ou des partis pro-présidentiels.
36.  Troisièmement, le parti requérant arguait que, dans la mesure où elle ne précisait pas le nombre total d'électeurs et le nombre de suffrages exprimés dans chaque district, l'ordonnance litigieuse du 18 avril 2004 était contraire à l'article 105 § 19 du CE.
37.  En réponse à ces derniers arguments, la Cour suprême considéra que le parti requérant aurait d'abord dû dénoncer devant un tribunal de district les menaces faites à ses représentants. En revanche, elle ne répondit pas au grief relatif à la composition pro-présidentielle des commissions électorales. Quant au fait que la CEC n'avait pas précisé dans son ordonnance le nombre total d'électeurs et de suffrages exprimés dans chaque district, elle estima que ce n'était pas là une violation flagrante de la législation électorale, et que l'on ne pouvait donc y voir un motif d'annulation de l'acte administratif en question.
38.  Enfin, le parti requérant soutenait que la proclamation des résultats définitifs du scrutin à l'échelle nationale alors qu'il n'avait pas été tenu d'élections dans les districts de Khulo et de Kobuleti était illégale. Compte tenu du fait que ces districts comptaient au moins 60 000 électeurs et qu'il ne lui manquait que 16 000 voix pour atteindre le seuil légal de 7 %, il estimait avoir été illégalement privé d'une chance réelle d'obtenir des sièges au Parlement. Il rappela à cet égard qu'il bénéficiait d'un large soutien dans la circonscription adjare.
39.  La Cour suprême répondit en ces termes :
« Il est vrai que les résultats de l'élection parlementaire complémentaire ont été annulés dans les districts électoraux de Khulo et de Kobuleti et que la CEC a convoqué un nouveau scrutin par son ordonnance (...) [du 2 avril 2004]. Cependant, des circonstances factuelles liées à une situation bien connue [des tensions entre les autorités centrales et les autorités locales] ont empêché la tenue du scrutin (...) dans ces districts, ce qui constitue un motif d'annulation de l'acte administratif concerné [l'ordonnance de la CEC en date du 2 avril 2004] en vertu de l'article 60 § 1 g) du code administratif général de Géorgie. »
La Cour suprême, s'appuyant sur l'article 105 § 3 du CE, décida que l'on pouvait considérer que l'élection complémentaire avait eu lieu étant donné que, selon le décompte des voix, plus d'un tiers du nombre total des électeurs y avaient participé.
b)  La procédure constitutionnelle
40.  Agissant en qualité de particulier, le président du parti requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours dans lequel il contestait le décret no 30/2004 (relatif aux règles d'établissement des listes électorales) adopté par la CEC le 27 février 2004 et l'ordonnance no 94/2004 (décompte des voix) du 18 avril 2004. Il soutenait que le système d'inscription préliminaire des électeurs, le fait que ceux-ci eussent été privés du droit de vote dans les districts de Khulo et de Kobuleti, et l'emprise présidentielle sur l'administration électorale avaient porté atteinte au principe constitutionnel garantissant la tenue d'élections libres et équitables.
41.  Le 25 mai 2004, la Cour constitutionnelle déclara le recours irrecevable. Elle considéra que, n'étant pas un acte normatif, l'ordonnance litigieuse ne pouvait être contestée devant elle. Quant au décret, elle jugea, premièrement, que le parti requérant n'avait pas démontré en quoi cet acte normatif aurait porté atteinte à l'un quelconque de ses droits constitutionnels, et, deuxièmement, qu'en tant que particulier il n'avait pas qualité pour contester la constitutionnalité du scrutin, ce droit étant réservé, en vertu de l'article 37 de la loi sur la Cour constitutionnelle, au président de la Géorgie et à un nombre de députés déterminé.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
42.  La Constitution géorgienne, dans son libellé antérieur au 6 février 2004 :
Article 50 § 4
« Le mandat du Parlement sortant cesse dès que le Parlement nouvellement élu s'est réuni pour la première fois. »
Article 51
« La première séance du Parlement nouvellement élu a lieu dans les 20 jours suivant les élections. La date de la première séance est fixée par le président. Le Parlement commence ses travaux lorsque l'élection de deux tiers de ses membres est confirmée. »
43.  Le code administratif général, tel que libellé au moment des faits :
Article 60 § 1 c) – « Nullité des actes administratifs »
« Est nul ab initio tout acte administratif dont l'application est impossible pour des motifs factuels. »
44. Le code électoral (« CE »), tel que modifié le 28 août 2003 (version en vigueur au moment des faits) :
Article 9 – « La liste électorale générale et la procédure d'établissement de cette liste »
« 1.  La liste électorale générale est la liste des personnes jouissant de leurs droits électoraux qui ont été inscrites conformément à la loi (...)
5.  La liste électorale générale est établie (...) à partir des données disponibles dans les agences territoriales du ministère géorgien des Affaires intérieures (...), des données disponibles dans les agences correspondantes du ministère de la Justice (...), des données des administrations décentralisées et/ou des services administratifs déconcentrés (...), des données sur les personnes déplacées dans leur pays communiquées par le ministère des Réfugiés et du Logement ou par ses agences territoriales, (...) des données communiquées par les ministères de la Défense, des Affaires intérieures et de la Sécurité du territoire, par la Direction nationale de la protection des frontières et par le Service spécial de protection de l'Etat (...), [et] des données communiquées par les autorités consulaires géorgiennes (...)
7.  Les partis enregistrés (...) et les électeurs (...) peuvent consulter la version publique de la liste générale à la Commission électorale centrale, dans les commissions électorales de district et dans les commissions électorales de secteur (chaque électeur ne pouvant consulter que les données le concernant, lui ou les membres de sa famille, (...) et, en cas d'inexactitude, demander – 23 jours au plus tard avant la date de l'élection – la rectification des données personnelles correspondantes et de la liste électorale (...)
8.  L'administration électorale révise la liste électorale générale, d'office ou à la suite d'une demande formulée en vertu du paragraphe 7 du présent article (...) Lorsqu'elle rejette une [demande de] modification des données personnelles des électeurs ou de la liste électorale, la commission électorale de district motive sa décision et, sur demande, la communique à l'auteur de la réclamation à partir du lendemain de son adoption (...)
12.  La décision [susmentionnée] peut être attaquée devant le tribunal municipal ou le tribunal de district compétent dans un délai de deux jours à compter de son adoption. Si le tribunal statue en faveur du demandeur, la décision est signifiée dans un délai de trois jours et au plus tard 13 jours avant la date du scrutin à la commission électorale de district. Celle-ci transmet immédiatement les renseignements correspondants à la Commission électorale centrale (...) Les commissions électorales reportent immédiatement les modifications sur les listes électorales (...)
Il est interdit de modifier la liste électorale au cours des dix jours précédant la date du scrutin. Entre le 19e et le 10e jour avant [la date du scrutin], des modifications ne peuvent être faites que sur décision de justice. »
Le 26 décembre 2003, la Cour constitutionnelle suspendit l'application de plusieurs dispositions de l'article 9 qui fixaient les dates limite d'établissement et d'examen des listes électorales, notamment le paragraphe 12. En définitive, elle annula ce paragraphe le 24 janvier 2005 (paragraphe 45 ci-dessous).
Article 10 – « La liste électorale spéciale »
En vertu de l'article 10 § 1, la liste électorale spéciale comprenait a) les agents de l'administration électorale qui, le jour du scrutin, travaillaient dans un autre secteur électoral que celui où ils avaient leur résidence ; b) les électeurs qui, le jour du scrutin, séjournaient dans un hôpital ou un autre centre de soins ; c) les électeurs qui, le jour du scrutin, se trouvaient en garde à vue ou en détention provisoire ; d) les électeurs qui, le jour du scrutin, se trouvaient en mer (ils étaient alors inscrits au port d'immatriculation du navire correspondant) ; et e) les électeurs qui, le jour du scrutin, se trouvaient à l'étranger et étaient inscrits au consulat de Géorgie compétent, ainsi que ceux qui ne figuraient pas sur les registres consulaires mais qui s'étaient inscrits dans une CES constituée à l'étranger ou dans un consulat.
En vertu de l'article 10 §§ 2, 3, 4, 5, 6 et 7, le directeur de l'institution responsable des électeurs visés à l'article 10 § 1 devait établir la liste spéciale ; il était responsable de l'exactitude des informations qui y figuraient et devait en attester en signant la liste, qu'il était chargé de remettre à la commission électorale compétente.
Article 17 – « Statut et fonctionnement de l'administration électorale géorgienne »
« 1.  L'administration électorale géorgienne est une personne morale de droit public, constituée conformément à la présente loi, qui exerce la puissance publique dans les limites qu'elle définit. (...)
3.  L'administration électorale est indépendante, dans les limites de sa compétence, des autres institutions publiques.
4.  L'administration électorale est un système centralisé composé de la Commission électorale centrale de Géorgie [« la CEC »] (...), de commissions électorales de district [CED], [et] de commissions électorales de secteur [CES] (...) La CEC est l'organe suprême de l'administration électorale géorgienne. (...)
6.  La CEC est responsable devant le Parlement géorgien (...) »
Article 18 § 3 – « Composition de l'administration électorale »
« Les membres de l'administration électorale ne peuvent adhérer à aucun parti, et tout nouveau membre jusque-là affilié à un parti doit le quitter ou suspendre son adhésion pour le temps de son mandat à l'administration électorale (...)”
Article 22 – « Règles de travail des commissions électorales »
7.  La décision d'une commission électorale est adoptée si elle est approuvée à la majorité des voix exprimées (à moins que la loi ne requière une majorité qualifiée), sous réserve que ladite majorité représente au moins un tiers des membres de la commission.
8.  Si aucune majorité ne se dégage, la voix du président de séance est prépondérante. (...)
13.  La CEC adopte des décrets à la majorité des deux tiers de ses membres. Aucun décret ne peut être adopté moins de quatre jours avant la date du scrutin. »
En vertu des articles 34 § 2 f), 61 § 5, 62 et 63 §§ 1 et 4, les CED sont compétentes pour recevoir, examiner et trancher les demandes de recomptage et d'annulation du scrutin dans les secteurs concernés en cas d'irrégularités alléguées.
Article 64 – « Consolidation des résultats des élections par la CEC de Géorgie »
« 1.  Au plus tard dix-huit jours après la date du scrutin, la CEC, sur le fondement des procès-verbaux reçus des CED et des CES, consolide les résultats des élections parlementaires et présidentielles (...) et approuve par ordonnance le procès-verbal final du décompte des voix.
1-1)  La CEC ne peut proclamer les résultats définitifs des élections avant que les litiges relatifs au scrutin n'aient été résolus par les tribunaux de droit commun ou sans tenir compte de l'issue de ces litiges. (...)
La CEC consolide les résultats des élections et détermine : a) le nombre total d'électeurs ; b) le taux de participation ; c) le nombre de bulletins invalides ; (...) e) le nombre de voix recueillies par les différents candidats. »
Article 77 § 3 – « Délais et procédure d'examen des litiges »
« L'introduction d'un recours devant un tribunal n'a pas d'effet suspensif sur la décision. »
En vertu de l'article 100 § 2, un parti ou un bloc pouvait annuler la désignation de l'un de ses candidats même après que sa légitimité en tant que député avait été officiellement reconnue.
Article 105 – « Consolidation des résultats des élections par la CEC de Géorgie »1
« (...) 3.  Les élections au scrutin proportionnel sont considérées comme tenues si au moins un tiers du nombre total des électeurs y ont participé. (...)
6.  Seules les listes de partis ayant obtenu au moins 7 % des suffrages exprimés obtiennent des sièges au Parlement.
7.  Pour calculer le nombre de sièges obtenus par la liste d'un parti, on multiplie par 150 le nombre de voix recueillies par la liste en question et on le divise par le nombre total de voix recueillies par les partis [qui ont dépassé le seuil des 7 %] (...)
12.  Si, en raison d'une violation flagrante de la présente loi, les résultats du scrutin sont invalidés dans plus de la moitié des secteurs électoraux, ou dans (...) des secteurs où le nombre total d'électeurs représente plus de 50 % du nombre total d'électeurs du district électoral concerné, les résultats du scrutin sont invalidés dans l'ensemble du district électoral, et la CEC fixe une date pour la tenue d'une élection complémentaire.
13.  En présence de toute demande, plainte, ou opinion dissidente communiquée par un membre d'une CED aux fins de la révision ou de l'annulation des résultats du scrutin, la CEC décide par une ordonnance s'il convient ou non de procéder à l'ouverture et au recomptage des bulletins de vote (des enveloppes spéciales) reçus des CES concernées. Elle est habilitée à collationner les résultats du scrutin à partir des procès-verbaux des CES. (...)
16.  Il est tenu un deuxième scrutin à la proportionnelle lorsque le nombre total des électeurs des secteurs [où les résultats du scrutin ont été invalidés] est supérieur à 10 % du nombre total des électeurs de Géorgie. En pareil cas, le deuxième scrutin doit avoir lieu dans les deux semaines suivant l'élection.
17.  Si l'élection au scrutin proportionnel est déclarée tenue mais qu'aucun des partis ou blocs électoraux n'a dépassé le seuil requis, une élection complémentaire a lieu, sur ordonnance de la CEC, dans un délai de deux semaines à compter du premier scrutin.
18.  Seuls les partis et les blocs électoraux qui ont recueilli au moins 2 % des voix lors du premier scrutin peuvent prendre part au deuxième scrutin. Les listes de partis (...) restent inchangées. Elles ne peuvent être modifiées que conformément aux règles générales établies par la présente loi.
19.  Le procès-verbal sommaire des résultats de l'élection définitive doit faire apparaître les noms, les numéros et le nombre d'électeurs des districts et des secteurs électoraux dans lesquels le scrutin a été déclaré invalide, ainsi que les raisons de l'invalidation, le nombre total d'électeurs dans chaque district électoral, le taux de participation, le nombre de députés élus et leurs noms, par ordre alphabétique. »
Article 106 §§ 3, 4, et 7 – « (...) Élections intermédiaires et autres élections intervenant en cours de législature (...) procédure de succession des députés »
3.  Si une élection est déclarée « non tenue », ou si les résultats du scrutin sont invalidés dans un district électoral à sièges multiples, une élection complémentaire est organisée. Si le mandat d'un parlementaire élu dans un tel district est suspendu avant son terme, une élection intermédiaire est organisée.
4.  L'élection complémentaire doit avoir lieu dans un délai de deux mois (...) La CEC fixe par ordonnance la date du scrutin et les dates limite pour l'organisation de l'élection dans les sept jours suivant le premier scrutin (...)
7.  Si un député qui démissionne avait été élu au scrutin de liste en tant que candidat d'un parti prenant part aux élections de manière indépendante, son siège est occupé dans le délai d'un mois par le candidat qui figurait immédiatement après lui sur la même liste, sous réserve d'une acceptation de celui-ci dans les quinze jours de la date de vacance du siège. A défaut, le siège vacant est occupé par le candidat suivant sur la liste, et ainsi de suite. S'il ne reste plus aucun candidat sur la liste, le mandat parlementaire est annulé. »
Contrairement au cas de l'élection parlementaire au scrutin majoritaire, ni l'article 106 ni aucune autre disposition du CE ne prévoyait dans le cadre du système proportionnel la possibilité d'organiser des élections intermédiaires, des élections complémentaires ou d'autres types d'élections en cours de législature une fois les résultats définitifs de l'élection au niveau national proclamés par la CEC (paragraphe 118 ci-dessous).
Une modification du CE introduisant les articles transitoires 128, 128-1) et 128-2) fut adoptée le 5 août 2003 aux fins expresses de recomposer la CEC pour les élections parlementaires ordinaires de 2003.
En vertu de l'article 128 § 2, la CEC devait être composée de quinze membres, et plus de la moitié de ses membres devaient assister à ses sessions pour que celles-ci soient valides. L'article 128 § 3 prévoyait à l'origine que le président de la CEC était nommé par le Parlement sur proposition de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il a toutefois été modifié le 28 novembre 2003. Selon la nouvelle règle, le président est nommé par le président de la Géorgie avec l'approbation du Parlement. L'article 128 § 4 disposait en outre que cinq membres de la CEC devaient également être nommés par le président.
En vertu de l'article 128 § 5, les neuf autres membres de la CEC devaient être nommés comme suit :
a)  trois membres par le parti ou le bloc électoral arrivé en deuxième position à l'élection parlementaire de 1999 ;
b)  deux membres par le parti ou le bloc électoral arrivé en troisième position à l'élection parlementaire de 1999 ; et
c)  un membre par chacun des quatre partis ou blocs électoraux ayant obtenu les meilleurs résultats à l'élection locale tenue au scrutin proportionnel à Tbilissi en 2002, sauf si ces partis ou blocs électoraux étaient déjà censés nommer un membre de la commission en vertu des alinéas a) et b).
En vertu des articles 128-1) § 2 et 128-2) § 2, la composition des CED et des CES était semblable à celle de la CEC. Les présidents des CED étaient nommés par le président géorgien avec l'approbation du Parlement (article 128-1) § 3), et ceux des CES par les présidents des CED correspondantes (article 128-2) § 3). Cinq membres des CED étaient désignés par l'un des membres de la CEC nommés par le président géorgien et spécialement habilité par lui à cet effet (article 128-1) § 4). Cinq membres des CES étaient nommés par l'un des cinq membres respectifs des CED correspondantes nommés conformément à l'article 128-1) § 4.
Un amendement du 22 avril 2005 annula les règles transitoires, décrites ci-dessus, fixées par les articles 128, 128-1) et 128-2).
45.  La décision de la Cour constitutionnelle en date du 24 janvier 2005 :
Le 26 décembre 2003, la Cour constitutionnelle, saisie par deux électeurs, suspendit l'application de l'article 9 §§ 7, 8, 10 et 12 et de l'article 10 §§ 1 e) et 6 du CE en leurs dispositions régissant les délais de modification des listes électorales par ajout ou révision. Le 24 janvier 2005, la Cour constitutionnelle annula l'article 9 § 12 du CE et confirma la constitutionnalité des autres dispositions contestées. En sa partie pertinente, sa décision était ainsi libellée :
« (...) L'inscription des électeurs sur la liste électorale unifiée est ce qui fournit aux citoyens la base leur permettant d'exercer leur droit de vote. En conséquence, la disposition contestée a pour effet de priver du droit de vote les citoyens qui ne trouvent pas leur nom sur la liste et ne peuvent s'inscrire dans les dix jours précédant la date du scrutin, une décision de justice étant nécessaire pour une inscription entre le 19e et le 10e jour précédant l'élection (...).
L'inscription des électeurs relève de la responsabilité des autorités publiques compétentes. Lorsque le nom d'un citoyen ne se trouve pas sur la liste électorale, il s'agit d'une omission [des autorités publiques] qui ne devrait pas restreindre le droit de vote de la personne concernée. Le code électoral devrait garantir l'existence de mécanismes permettant réellement, et non pas seulement formellement, l'exercice de ce droit constitutionnel. »
III. TEXTES DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS
A.  La résolution 1363 (28 janvier 2004) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (« APCE ») – « Fonctionnement des institutions démocratiques en Géorgie »
46.  En ses dispositions pertinentes, cette résolution est ainsi libellée :
7.  (...) l'Assemblée demande aux autorités géorgiennes d'adopter sans délai un certain nombre de mesures, qui devront être pleinement mises en œuvre lors des prochaines élections législatives du 28 mars 2004, notamment :
i.  d'amender le Code électoral et les autres législations et réglementations électorales, (...) aux fins :
a)  de modifier la composition de la Commission électorale centrale et des commissions électorales des niveaux inférieurs, afin de promouvoir le principe d'une représentation équilibrée, équitable et paritaire de l'ensemble des forces politiques ;
c)  d'assurer une séparation claire entre les structures gouvernementales et l'administration électorale, et d'introduire un principe d'impartialité totale de cette dernière ; (...)
ii.  de réviser les listes électorales, en créant dans les meilleurs délais un registre centralisé, unique et informatisé des électeurs, et de mettre définitivement fin à la pratique de l'enregistrement le jour même de l'élection sur des listes supplémentaires, laquelle engendre un risque de fraude considérable.
8.  L'Assemblée se déclare en outre préoccupée par la recomposition en cours de la vie politique géorgienne et le risque de voir disparaître toute opposition parlementaire à l'issue des prochaines élections et, par contrecoup, tout contrepoids institutionnel véritable. Si les élections devaient aboutir à la représentation au sein du Parlement de la seule coalition au pouvoir, l'Assemblée pourrait nourrir des craintes sur le devenir du pluralisme démocratique en Géorgie. Elle recommande donc aux autorités géorgiennes d'amender la Constitution et la législation correspondante de sorte à ramener le seuil de représentativité du scrutin de liste proportionnel de 7 à au moins 5 %. »
B.  La Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise »)
47.  Le Code de bonne conduite en matière électorale a été adopté par la Commission de Venise lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l'APCE le 6 novembre 2002. En ses dispositions pertinentes, il est ainsi libellé :
2.  « Niveaux normatifs et stabilité du droit électoral »
« a)  A l'exception des règles techniques et de détail – qui peuvent avoir un caractère réglementaire –, les règles du droit électoral doivent avoir au moins rang législatif.
b)  Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d'un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire. »
3.1   « L'organisation du scrutin par un organe impartial »
« a)  Un organe impartial doit être compétent pour l'application du droit électoral.
b)  En l'absence d'une longue tradition d'indépendance de l'administration face au pouvoir politique, des commissions électorales indépendantes et impartiales doivent être créées, du niveau national au niveau du bureau de vote.
c)  La Commission électorale centrale doit être permanente.
d)  La Commission électorale centrale devrait comprendre :
i. au moins un magistrat ;
ii. des délégués des partis déjà représentés au Parlement ou ayant obtenu au moins un certain nombre de suffrages ; ces personnes doivent avoir des compétences en matière électorale.
Elle peut comprendre :
iii. un représentant du ministère de l'Intérieur ;
iv. des représentants des minorités nationales.
e)  Les partis politiques doivent être représentés de manière égale dans les commissions électorales ou doivent pouvoir observer le travail de l'organe impartial. L'égalité peut se comprendre de manière stricte ou proportionnelle (...).
f)  Les membres des commissions électorales ne doivent pas pouvoir être révoqués par les organes qui les ont nommés.
g)  Une formation standardisée doit être assurée aux membres des commissions électorales.
h)  Il est souhaitable que les décisions des commissions électorales se prennent à la majorité qualifiée ou par consensus. »
48.  On trouve dans le rapport de la Commission de Venise sur le droit électoral et l'administration des élections en Europe, publié les 9 et 10 juin 2006, le passage suivant :
« 34.  Bien que, dans la plupart des pays, l'influence de l'exécutif sur la composition des commissions électorales ait été, en règle générale, sensiblement réduite, un nombre important de membres de ces organes sont encore désignés et nommés par l'exécutif en la personne du Président de la République ou du ministre de l'Intérieur ou de la Justice. La Géorgie constitue un bon exemple de ce point de vue, puisque cinq des quinze membres de la Commission électorale centrale sont nommés par le président, sans compter les membres nommés par les partis de la majorité au Parlement. Pour éviter le risque d'une ingérence gouvernementale dans le travail de la commission, il est généralement préférable que l'exécutif ne nomme aucun de ses membres ou alors un nombre très limité d'entre eux. »
C.  Le rapport de la mission d'observation électorale du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur l'élection parlementaire du 2 novembre 2003 (1re partie, Varsovie, 28 janvier 2004)
49.  On trouve dans ce rapport les observations suivantes :
« Les registres électoraux préliminaires publiés début octobre présentaient d'importantes erreurs et anomalies. Dans une série de districts, le nombre d'électeurs inscrits avait énormément changé depuis les élections précédentes (...).
L'imprécision des listes était préoccupante, non seulement parce que des erreurs pouvaient empêcher des électeurs d'exercer leur droit de vote, mais encore parce qu'elle (...) accroissait la possibilité de fraudes électorales.
Les erreurs signalées sur les listes électorales étaient les suivantes : omissions de blocs entiers d'appartements, voire de rues, électeurs inscrits dans le mauvais district, présence sur les listes de plusieurs personnes décédées, nombreuses entrées doubles. Malgré l'ampleur colossale de la tâche, de nombreuses CES se sont employées consciencieusement à rectifier les erreurs. Toutefois, certaines CED ne leur ont pas fourni de listes électorales, et nombre d'entre elles ont semblé ne pas connaître les nouvelles procédures d'inscription et ont appliqué des méthodes incohérentes. Beaucoup n'ont pas affiché les listes de manière systématique ou pratique (...).
Les autres problèmes relevés étaient les suivants : à Tbilissi, une liste de personnes décédées de 2 250 pages s'est révélée inutilisable car non ventilée par districts ou par secteurs ; les « déplacés internes » ne figuraient pas systématiquement sur les listes électorales ; un nombre important d'électeurs n'avaient pas de pièce d'identité (...).
Le 26 octobre, la CEC a décidé de manière inopinée de cesser complètement de travailler sur la base de données centrale, abandonnant ainsi la démarche d'amélioration de la précision et de la transparence des registres électoraux. Les CES ont été autorisées à utiliser aussi bien les listes manuscrites que les listes informatisées. Cette décision a modifié radicalement le cadre régissant l'inscription des électeurs et a mis à mal l'uniformité des listes utilisées. »
D.  Le rapport de la mission d'observation électorale du BIDDH de l'OSCE sur l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 (2e partie, Varsovie, 23 juin 2004)
50.  Le texte de ce rapport a été incorporé par le gouvernement défendeur dans ses observations. Son résumé comporte le passage ci-après :
« Une fois encore, les conditions qui prévalaient en République autonome d'Adjarie n'étaient pas propices à la tenue d'élections démocratiques. L'intimidation et les agressions physiques de journalistes et de sympathisants de l'opposition ont fait apparaître un déficit démocratique évident en Adjarie au cours de ces élections, de sorte qu'en pratique les élections en Géorgie se sont déroulées à deux vitesses.
La CEC a fait preuve de sérieux et de professionnalisme dans l'administration de ces élections. Cependant, il est arrivé qu'elle semble outrepasser ses pouvoirs, par exemple en prolongeant des délais légaux ou en modifiant par décret d'autres dispositions légales. Le processus électoral a été amélioré à plusieurs égards depuis les précédentes élections, même si certaines des décisions adoptées par la CEC après le scrutin font peser un doute sur son impartialité.
Les registres électoraux ont été encore améliorés et ils ont été rassemblés dans une base de données informatisée (...). Cependant, il reste encore à compléter les listes électorales, à en améliorer la précision et à corriger les erreurs subsistantes.
Le manque d'équilibre politique des commissions électorales reste source de préoccupation. Certaines CED et CES n'ont pas conservé suffisamment de distance par rapport aux partis au pouvoir, et certaines autorités locales se sont ingérées dans les activités des commissions électorales de niveau inférieur. L'offre du président Saakashvili consistant à porter de cinq à trois le nombre de membres des CED et des CES nommés par lui a répondu à certaines de ces préoccupations. Cependant, ces changements sont intervenus à un stade avancé du processus électoral, et ils auraient dû être appliqués également à la CEC (...)
Le décompte des résultats au niveau des districts a été entaché d'irrégularités dans plusieurs CED. Dans certains cas, les documents électoraux ont été remis non scellés ou insuffisamment sécurisés ; des procès-verbaux ont été complétés ou modifiés au niveau des CED ; et, dans un cas au moins, les membres de la CED ont « négocié » les résultats. De plus, le traitement des plaintes sur le scrutin dans certaines CED a présenté des insuffisances.
Une analyse des résultats des CES communiqués par la CEC a fait apparaître de nombreux résultats anormaux ou aberrants dans une minorité importante de districts : une augmentation rapide du taux de participation dans les trois dernières heures du scrutin, un taux de participation aberrant, dépassant dans certains cas les 100% et parfois associé à un nombre de voix pour les partis au pouvoir supérieur à 95%, et des cas de pourcentage anormalement élevé de votes nuls.
Au total, les résultats de 52 bureaux de vote ont été invalidés par les CED en raison d'irrégularités. Par une décision qui semble reposer sur des arguments juridiques contestables, la CEC a annulé les résultats dans deux districts adjars (Khulo et Kobuleti) et ordonné la tenue d'une élection complémentaire le 18 avril, mais, pour des raisons de sécurité, celle-ci n'a pas eu lieu. (...)
Dans l'ensemble, les éléments ci-après montrent une évolution dans le bon sens du processus électoral :
• des améliorations dans l'administration des élections ;
• un accroissement du professionnalisme et de l'ouverture de la CEC ;
• des efforts louables pour améliorer, informatiser et consolider les listes électorales, même si elles restent incomplètes ;
• à l'exception de l'Adjarie, une période pré-électorale paisible et libre, marquée toutefois par une campagne tardive et très limitée ;
• une liberté d'expression des médias, sauf en Adjarie ; (...)
Toutefois, pour corriger des éléments qui restent préoccupants et pour continuer à progresser, il reste à améliorer certains aspects du processus électoral :
• le manque persistant d'une séparation claire entre l'administration publique et les appareils des partis politiques, et la subsistance d'une possibilité d'abus des ressources administratives de l'Etat ;
• une incapacité à assurer l'équilibre de la composition des commissions électorales à tous les niveaux ;
• une ingérence de certaines autorités locales dans le fonctionnement d'un certain nombre de commissions de niveau inférieur dont elles amenuisent ainsi l'indépendance ;
• la persistance dans certains bureaux de vote d'irrégularités, révélées par des résultats aberrants et anormaux ;
• des irrégularités concernant le décompte des voix dans un nombre relativement important de CED et un traitement non correct par certaines CED de plaintes consécutives au scrutin ;
• l'adoption par la CEC de certaines décisions, notamment l'annulation, dont la légalité semble contestable, des résultats dans deux districts entiers, et qui pourraient être perçues comme politiquement motivées (...) »
51.  En ce qui concerne le nouveau système d'inscription sur les listes électorales, le rapport formule les observations suivantes :
« La CEC a appliqué plusieurs recommandations faites par le BIDDH de l'OSCE dans de précédents rapports, et notamment : (...)
La consolidation des listes électorales dans une base de données centrale informatisée ;
L'allongement des délais d'inscription des citoyens sur les listes électorales et l'affichage périodique de nouveaux tirages de ces listes (...)
Le nombre d'électeurs inscrits était inférieur au nombre d'électeurs jouissant du droit de vote, en partie en raison de la mise en place d'un système d'inscription active des électeurs en décembre puis en mars. Dans un tel système, les citoyens qui ne peuvent ou ne veulent pas s'inscrire sont exclus des listes (...).
[L]a CEC a commencé à réunir les listes électorales manuscrites dans une base de données informatique unique. La précision des données correspondantes a été vérifiée, et de nombreuses erreurs ont été éliminées.
La CEC a émis des listes électorales classées en fonction de la langue dans laquelle elles avaient été établies à l'origine, ce qui a amélioré la transparence du processus pour les électeurs qui ne parlaient pas géorgien (...). Les observateurs ont déclaré estimer les listes électorales plus fiables, en particulier par rapport à novembre 2003 ; toutefois, des manquements ont été constatés (...).
Après les élections, la CEC a annoncé que 145 000 électeurs environ s'étaient inscrits sur la liste des électeurs le jour du scrutin, portant le nombre total d'électeurs inscrits à 2 343 087. »
52.  Le rapport relate les tensions qui ont opposé les autorités centrales et les autorités adjares à la veille de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 :
« La situation en [RAA] est restée tendue, en particulier après le 23 novembre, date à laquelle l'état d'urgence a été décrété, ce qui a eu pour conséquence de restreindre les libertés civiles et a donc limité encore plus les possibilités de campagne pour les partis d'opposition au leader adjar Aslan Abashidze. Les rapports entre le gouvernement géorgien et les autorités adjares se sont détériorés à la suite des événements de novembre. Le 14 mars, le président Saakashvili s'est vu refuser l'entrée en Adjarie, où il avait l'intention de faire campagne. Le gouvernement géorgien a réagi en imposant des sanctions économiques à l'Adjarie, et la situation est devenue encore plus tendue. Elle a semblé s'améliorer après un accord intervenu entre Saakashvili et Abashidze le 18 mars. Cependant, l'application partielle de cet accord n'a pas permis de réduire les tensions de manière significative avant les élections (...).
Les rassemblements de l'opposition ont été violemment réprimés ou attaqués par les sympathisants des autorités adjares (...). Les locaux des partis d'opposition aux autorités adjares et d'organisations non gouvernementales (ONG) ont été saccagés, des militants de l'opposition et des journalistes ont été agressés ou enlevés, et des membres des commissions électorales ont fait l'objet d'intimidations. Si les précédentes élections en Adjarie avaient déjà été le théâtre de violences et d'intimidations, l'intensité et la fréquence de ces incidents a été plus élevée pour ces dernières élections. Dans l'ensemble, et une fois encore, la situation en Adjarie s'est révélée peu propice à une compétition démocratique véritable au cours de ces élections. »
53.  Le rapport commente également les circonstances qui ont entouré la décision par laquelle la CEC a, le 2 avril 2004, annulé le résultat du scrutin dans les districts de Khulo et de Kobuleti et y a convoqué une élection complémentaire :
« Le 2 avril, la CEC a décidé d'annuler les résultats du scrutin pour l'intégralité des districts de Khulo et de Kobuleti et d'y tenir une élection complémentaire le 18 avril. En outre, elle a démis de leurs fonctions tous les membres des deux CED correspondantes et créé pour organiser l'élection complémentaire deux groupes temporaires composés de personnes choisies parmi ses propres membres et employés.
Le 12 avril, les groupes temporaires de la CEC ont été envoyés en Adjarie, mais ils y ont rapidement rencontré une résistance active. Les 13 et 14 avril, la foule les a contraints à quitter le territoire adjar. Le même jour, le président de la CEC a été empêché d'entrer en Adjarie au point de contrôle de Choloki, à la frontière administrative. Le 16 avril, lors d'une conférence de presse, il a déclaré que, pour des raisons de sécurité, le scrutin prévu le 18 avril à Khulo et à Kobuleti n'aurait pas lieu. Ce scrutin n'a toutefois jamais été officiellement annulé.
La décision de la CEC d'annuler les résultats du scrutin à l'échelle du district à Khulo et à Kobuleti et d'y tenir une élection complémentaire était fondée sur les articles 105 § 13 et 105 § 12 du CE.
Avant le jour du scrutin, la mission d'observation électorale a tenté d'éclaircir avec le président de la CEC le point de savoir si celle-ci était compétente pour annuler les résultats de la CED. Pendant ces entretiens, le président de la CEC a indiqué que ce point était certainement discutable : si l'art. 105 § 13 du CE donne à la CEC le droit d'examiner les documents des CES, de recompter les bulletins et d'additionner les résultats à partir des procès-verbaux des CES, il ne lui confère pas expressément le pouvoir d'annuler les résultats dans un district entier.
De fait, la CEC a purement et simplement annulé les résultats de l'ensemble du district sans entendre de témoignages ni enquêter sur les circonstances dans chaque CES, et sans établir avec la moindre certitude si le nombre de suffrages exprimés dans les bureaux de vote pour lesquels les résultats avaient été annulés était ou non suffisant pour répondre aux critères énoncés à l'article 105 § 12. De plus, elle n'a pas examiné les documents électoraux, alors que dans les autres endroits où les résultats ont été annulés la CED ou les juridictions locales l'ont fait.
Même si des violations avaient eu lieu dans les districts de Khulo et de Kobuleti, la décision d'y annuler les résultats et d'appeler une élection complémentaire semble ne pas cadrer avec le fait que des violations importantes intervenues dans d'autres districts n'avaient pas donné lieu à l'annulation des résultats des CED de ces autres districts. En outre, les arguments juridiques avancés et la base légale de cette décision étaient fragiles. De l'avis de la mission, l'article 105 § 12 porte sur les élections au scrutin majoritaire et non sur les élections au scrutin proportionnel, et le fait de citer cet article plutôt que l'article 105 § 16 (dans lequel il est expressément indiqué que ses dispositions s'appliquent au scrutin proportionnel) pose la question de savoir si la Géorgie constitue électoralement, aux fins du scrutin proportionnel, un tout unique ou 75 « fragments ». Le CE ne répond pas de manière suffisamment claire à cette question (...). Si l'article 105 § 16 trouvait à s'appliquer, alors une élection complémentaire devait aussi être organisée ailleurs, puisque plus de 10% des électeurs d'un district étaient touchés par l'annulation des résultats. Ainsi, il apparaît que la CEC a adopté des procédures différentes et juridiquement contestables pour ces deux seuls districts.
[Les observateurs électoraux] ont formé un recours contre la décision de la CEC d'invalider les résultats des élections et de convoquer une élection complémentaire à Khulo et à Kobuleti. Dans le cadre de l'audience, il est apparu que l'ordonnance no 82/2004 de la CEC avait été adoptée selon des procédures discutables. La CEC n'a pas pu prouver qu'elle avait pris la décision d'annuler les résultats de ces districts en examinant les cas de chaque CES séparément. Le tribunal de district de Tbilissi a confirmé la décision de la CEC et mis en cause la qualité des observateurs électoraux pour introduire l'instance. Il a décidé que leurs recours étaient [ir]recevables au motif qu'il n'avait pas été porté atteinte à leurs droits et intérêts légitimes. [Les observateurs] ont contesté cette décision devant la Cour suprême, qui, statuant à huis clos, a rejeté leur recours.
La décision de rejet du recours fondée sur l'absence de qualité des plaignants à contester la décision litigieuse était hautement discutable. Si le CE ne prévoit pas clairement que les observateurs peuvent contester une décision de la CEC invalidant les résultats d'une CED, c'est pour la simple raison qu'aucune de ses dispositions ne prévoit non plus que la CEC peut annuler les décisions des CED en pareil cas. C'est donc bien la décision de la CEC qui devait être remise en cause, et non les droits des observateurs. Le fait qu'un recours aussi important et fondé sur un dossier aussi solide ait été rejeté (...) a contribué à donner l'impression que le droit [électoral] était appliqué sans transparence ni cohérence. »
IV.  DROIT COMPARÉ
A.  L'inscription sur les listes électorales en Europe (note de synthèse du Sénat français, Études de législation comparée, mars 2006)
54.  On trouve dans l'une des notes de synthèse du Sénat français un exposé des systèmes d'inscription sur les listes électorales des pays suivants : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas et Portugal.
55.  La première inscription sur les listes électorales est effectuée d'office, et la révision des listes est automatique dans tous ces pays sauf au Portugal et en Grande-Bretagne, grâce à l'obligation de déclaration domiciliaire.
56.  Au Portugal, l'établissement et la modification des listes électorales ne se font qu'à la demande des électeurs concernés. En droit portugais, la responsabilité pénale des électeurs qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour se faire inscrire sur les listes électorales est même engagée.
57.  En Grande-Bretagne, le système est mixte. L'inscription sur les listes électorales est effectuée d'office, à partir des déclarations domiciliaires et du recensement général de la population. En revanche, toutes les modifications ultérieures des listes se font à la demande des électeurs concernés.
B.  L'administration des élections en Europe
58.  A la faveur d'un examen des systèmes d'administration des élections en Allemagne, en Belgique, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Espagne, en Hongrie, en Italie, au Moldova, au Portugal, en République tchèque, au Royaume-Uni, en Serbie et en Suède, la Cour a constaté qu'il n'y avait pas de système uniforme d'administration des élections en Europe.
59.  Comme l'a souligné la Commission de Venise (Code de bonne conduite en matière électorale, Rapport explicatif, 18-19 octobre 2002, §§ 69 à 71), « [d]ans les Etats où existe une longue tradition d'indépendance de l'administration face au pouvoir politique, (...) [i]l est (...) admissible (...) que les opérations électorales soient organisées par l'administration, et notamment qu'elles soient supervisées par le ministère de l'Intérieur ». En revanche, là où l'expérience de l'organisation d'élections pluralistes est récente, des commissions électorales indépendantes du pouvoir ont été mises en place pour garantir des élections régulières.
60.  L'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA) a dégagé trois grands types ou modèles d'administration électorale : le modèle indépendant, le modèle gouvernemental et le modèle mixte (voir l'ouvrage International IDEA Handbook: Election Management Design). Le modèle indépendant d'administration électorale est celui des pays où les élections sont organisées et administrées par un organe d'administration électorale dont les institutions garantissent l'indépendance et l'autonomie par rapport au pouvoir exécutif. Ces organes ont leur propre budget, qu'ils gèrent eux-mêmes. Ils peuvent être responsables devant le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire ou le chef de l'Etat, mais non devant le gouvernement. Le modèle gouvernemental est celui des pays où les élections sont organisées et administrées par le pouvoir exécutif, par l'intermédiaire d'un ministère (par exemple le ministère de l'Intérieur) et/ou par les autorités locales. Dans le modèle mixte, la structure est double, et on trouve généralement deux organes : un organe d'établissement des normes, de contrôle ou de supervision, indépendant du pouvoir exécutif, et un organe d'application des normes relevant d'une administration nationale ou locale.
61. En vertu du système de classification adopté par l'IDEA, sur les quarante-sept Etats membres du Conseil de l'Europe, vingt-deux, essentiellement d'Europe centrale et orientale, suivent le modèle indépendant. Seize ont adopté le modèle gouvernemental et neuf le modèle mixte. Parmi les treize Etats contractants dont le guide (Handbook) de l'IDEA a examiné le cas, quatre suivaient le modèle indépendant (Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Moldova et Serbie), six le modèle gouvernemental (Allemagne, Belgique, Italie, République tchèque, Royaume-Uni et Suède) et trois le modèle mixte (Espagne, Hongrie et Portugal).
62.  Il n'existe pas de normes communes aux Etats contractants quant à la composition des commissions électorales et à la nomination de leurs membres. Dans certains pays, l'autorité à laquelle est attribuée la compétence pour nommer officiellement les membres des commissions est une institution unique (le Parlement en Bosnie-Herzégovine, en Hongrie et en Serbie, le chef de l'Etat en Bulgarie et au Royaume-Uni, le gouvernement en Suède). Toutefois, même dans ce cas, les autres institutions et acteurs peuvent intervenir dans le processus de sélection. En Bulgarie, par exemple, les membres de la Commission électorale centrale sont nommés après consultation des partis et coalitions parlementaires. En Hongrie, les membres de la Commission électorale nationale sont élus sur une motion présentée par le ministre de l'Intérieur, qui tient compte des recommandations des partis. Au Royaume-Uni, la Reine nomme les membres des commissions sur recommandation de la Chambre des communes, après consultation des dirigeants des partis enregistrés.
63.  Il existe d'autres systèmes, qui prévoient un mode de nomination mixte par différents organes de l'Etat, notamment des organes judiciaires. En Moldova, un membre est nommé par le président, un autre par le gouvernement et sept par le Parlement. Au Portugal, la Commission nationale des élections est composée d'un juge nommé par le pouvoir judiciaire, de citoyens désignés par le Parlement et de trois spécialistes désignés par des administrations gouvernementales. Les commissions électorales espagnoles ont une composition quasi judiciaire : le Conseil général de la magistrature nomme directement la majorité de leurs membres parmi les juges en exercice, les membres restants étant sélectionnés parmi des experts proposés par les partis politiques.
64.  Dans des systèmes que l'on peut considérer comme gouvernementaux du point de vue de l'administration des élections, par exemple en Allemagne ou en Belgique, la majorité des assesseurs des commissions électorales sont nommés parmi les électeurs par les présidents de ces commissions (un juge en Belgique ; l'Officier électoral fédéral nommé par le ministère de l'Intérieur en Allemagne). En Allemagne, la plupart des assesseurs sont proposés par les partis politiques. En Italie, des commissions électorales responsables de la régularité des listes électorales et des candidatures sont créées au sein de la Cour de cassation et d'autres juridictions. La différence avec les pays mentionnés ci-dessus est que, dans les cas qui viennent d'être évoqués, les organes électoraux sont mis en place aux fins exclusives d'une élection déterminée.
65.  Dans certains Etats, par exemple en Bosnie-Herzégovine, en Espagne, en Hongrie, au Portugal et en Suède, les commissions électorales peuvent être considérées comme étant composées d'experts. Dans d'autres, par exemple en Bulgarie, en Moldova ou en Serbie2, elles sont composées d'experts et de représentants de partis politiques (composition mixte). En Hongrie et en Serbie, la législation électorale permet d'inclure parmi les membres des commissions des représentants de partis politiques ayant présenté des listes.
66.  La tendance générale veut que les décisions se prennent à la majorité simple (Allemagne, Espagne, Hongrie, Moldova, Portugal, Serbie, Suède). Une majorité qualifiée n'est requise qu'en Bosnie-Herzégovine (majorité des deux tiers, sauf pour les commissions municipales), en Bulgarie (majorité des deux tiers) et en République tchèque (majorité absolue). En Bosnie-Herzégovine, si on ne peut parvenir à une décision à la première séance, la décision est prise à la deuxième séance par un vote à la majorité.
67.  Si aucune majorité ne se dégage, le président a voix prépondérante en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Suède. Ce mode de fonctionnement permet d'éviter d'éventuels blocages. En République tchèque, à l'inverse, en l'absence de majorité la proposition est considérée comme rejetée. Le fait qu'un président ayant voix prépondérante soit directement nommé par le président de la République ou par l'exécutif, comme c'est le cas en Géorgie, est bien entendu un facteur à prendre en compte pour évaluer l'indépendance d'un organe électoral. Une telle situation ne peut être comparée qu'au cas de l'Officier électoral fédéral (à la Commission électorale fédérale) ou de l'officier électoral du Land (à la commission électorale de Land) en Allemagne, qui sont nommés respectivement par le ministère fédéral de l'Intérieur et par l'administration du Land. Dans les deux cas, l'officier est le président de la commission et a voix prépondérante. En revanche, dans la majorité des pays examinés, le président de la commission électorale est élu par la commission elle-même (Bosnie-Herzégovine, Espagne, Hongrie, Moldova et Serbie).
68.  L'un des impératifs en matière d'indépendance des commissions électorales est que les personnes qui pourraient apparaître comme prises dans un conflit d'intérêts objectif, en particulier les candidats aux élections, ne doivent pas pouvoir être nommées dans les commissions électorales. On trouve semblable règle dans la majorité des Etats contractants examinés (Allemagne, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Espagne, Hongrie, Moldova, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni et Serbie). Hormis les candidats à l'élection, des normes d'incompatibilité peuvent s'appliquer aux membres des partis politiques ou des organisations ayant présenté des candidats (Hongrie et Moldova), aux membres ou aux employés des partis enregistrés (Royaume-Uni), aux députés, aux juges à la Cour suprême, aux membres des forces armées, aux agents du ministère de l'Intérieur (Bulgarie), au président de la République, aux dirigeants de services administratifs, aux fonctionnaires et aux maires (Hongrie).
69.  Afin de parvenir à un bon équilibre entre les représentants des diverses tendances politiques au sein de la commission, certains systèmes prévoient des règles spécifiques. Ainsi, en Bulgarie et en Serbie, aucun parti politique et aucune coalition ne peuvent être majoritaires au sein de la commission. En Bulgarie, le président et le secrétaire doivent appartenir à des partis politiques différents. En République tchèque, le président et le vice-président de la commission électorale ne peuvent représenter le même parti ou la même coalition politique.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
70.  Le parti requérant se plaint, sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1, du système d'inscription sur les listes électorales établi par le décret no 30/2004 de la CEC en date du 27 février 2004, du contrôle exercé par le pouvoir présidentiel sur les commissions électorales à tous les niveaux au moment de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004, et de ce que les résultats définitifs de l'élection au niveau national aient été arrêtés avec le décompte des voix du 18 avril 2004, sans qu'un scrutin n'ait été tenu dans les districts électoraux de Khulo et de Kobuleti.
71.  L'article 3 du Protocole no 1 est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  Sur la qualité de victime du parti requérant
72.  La Cour rappelle que selon sa jurisprudence les notions de « droits individuels » (Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 25, CEDH 2004-V, et Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 102, CEDH 2006-IV) et de « droits subjectifs » (Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 54, CEDH 2004-X) de se porter candidat à des élections, garantis par l'article 3 du Protocole no 1, sont essentiellement limitées aux personnes physiques. Cela étant, il a été admis récemment que lorsque la législation électorale ou les mesures prises par les autorités nationales restreignent le droit des candidats pris individuellement de se présenter à une élection sur la liste d'un parti le parti concerné peut, en cette qualité, se prétendre victime d'une violation de l'article 3 du Protocole no 1, indépendamment de ses candidats (Parti conservateur russe des entrepreneurs et autres c. Russie, nos 55066/00 et 55638/00, §§ 53-67, CEDH 2007-I).
73.  En ce qui concerne les circonstances de la présente espèce, la Cour observe que l'article 106 § 7 du CE prévoyait que si un député élu sur la liste d'un parti démissionnait, son siège devait être occupé par le candidat suivant sur la même liste. De plus, par l'effet de l'article 100 § 2 du CE, un parti ou un bloc pouvait annuler la désignation de son candidat même après l'élection et l'intronisation officielle de celui-ci comme député. En d'autres termes, une fois qu'un parti obtenait des sièges au Parlement par le système proportionnel, ces sièges, selon la législation interne en vigueur au moment des faits, ne conféraient pas un statut parlementaire immuable aux membres du parti à titre individuel, et en cas de cessation par l'un d'eux de ses activités parlementaires, lesdits sièges restaient acquis au parti jusqu'à l'expiration de la législature.
74.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère qu'en l'espèce le requérant, en tant que parti politique, peut valablement se prétendre victime d'une violation de l'article 3 du protocole no 1 aux fins de l'article 34 de la Convention.
B.  Sur l'inscription sur les listes électorales
1.  Thèse du Gouvernement
75.  Le Gouvernement explique que le décret no 30/2004 de la CEC du 27 février 2004 portant modification du système d'inscription sur les listes électorales visait à garantir que chacun puisse voter. Il indique que l'état où se trouvaient avant la première élection parlementaire du 2 novembre 2003 les listes électorales, qui d'après lui avaient été établies à partir de différentes listes manuscrites d'origine douteuse et comportaient des inexactitudes, avait été la principale raison des falsifications massives des résultats de cette élection. En mettant en place un système d'inscription active des électeurs, la CEC aurait réussi à corriger le problème d'imprécision des listes électorales et serait parvenue à créer une liste électorale unifiée. Il y aurait lieu de tenir compte du peu de temps dont la CEC aurait disposé pour mener à bien ce travail, les résultats de la précédente élection parlementaire ayant été annulés alors que l'élection présidentielle et l'élection parlementaire complémentaire devaient se tenir seulement quelques semaines plus tard. La CEC n'aurait eu d'autre choix que de prendre la responsabilité de modifier le système d'inscription sur les listes électorales, le Parlement ne l'ayant pas fait, faute de temps. Le Gouvernement argue également à cet égard que, après la suspension par la Cour constitutionnelle, le 26 décembre 2003, des dispositions du CE régissant les délais d'établissement des listes électorales (paragraphe 45 ci-dessus), le décret en question de la CEC était simplement une mesure d'urgence visant à combler le vide législatif qui avait été créé.
76.  Selon le Gouvernement, la mise en place du système actif d'inscription sur les listes électorales encourageait des électeurs autrement passifs à s'impliquer de manière plus dynamique dans le processus électoral. Grâce à ce transfert partiel de la responsabilité de l'inscription aux électeurs, les autorités auraient apporté d'importantes corrections à la liste électorale générale, et en conséquence, l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 aurait été tenue de manière plus équitable que la précédente. Le Gouvernement invite la Cour à tenir compte des appréciations des observateurs électoraux internationaux à cet égard (paragraphe 50 ci-dessus).
77.  Le Gouvernement ajoute que le parti requérant n'a présenté aucune preuve à l'appui de ses allégations selon lesquelles la modification du système d'inscription sur les listes électorales aurait porté atteinte à l'un quelconque de ses droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1. Enfin, il argue que les autorités doivent se voir accorder une ample marge d'appréciation dans le choix du système d'inscription sur les listes électorales.
2.  Thèse du parti requérant
78.  Le parti requérant répond à cela que le système d'inscription sur les listes électorales tel que modifié par le décret no 30/2004 de la CEC en date du 27 février 2004 a mis à mal l'application pratique et effective de la garantie du droit à des élections libres énoncée à l'article 3 du Protocole no 1.
79.  Le parti requérant soutient par ailleurs que le décret susmentionné était contraire aux articles 9 et 10 du CE. Il indique en particulier que l'article 9 § 5 du code prévoyait que les listes électorales devaient être établies non pas à l'initiative des électeurs, mais à partir des données disponibles dans les administrations concernées, et que l'article 9 § 8 disposait qu'il incombait à l'administration électorale, et non aux électeurs, de réviser la liste électorale générale. Enfin, le décret litigieux aurait exclu d'emblée tous les électeurs mentionnés à l'article 10 du CE, par exemple ceux qui, le jour du scrutin, se trouvaient en garde à vue ou en détention provisoire, étaient hospitalisés, etc., dans la mesure où ils étaient dans l'incapacité d'accomplir les démarches nécessaires pour obtenir leur inscription préliminaire.
80.  Selon le parti requérant, la CEC, en introduisant un système d'inscription sur les listes électorales contraire aux dispositions du CE et délibérément aberrant, a non seulement facilité diverses sortes de fraude électorale – certains électeurs ayant pu, par exemple, s'inscrire dans différents secteurs électoraux et ainsi voter plusieurs fois, tandis que d'autres, faute d'avoir procédé à leur inscription préliminaire, n'auraient pas pu voter du tout – mais elle a en outre transféré la responsabilité de l'inscription de l'Etat aux électeurs, en méconnaissance des obligations positives incombant à l'Etat contractant en vertu de l'article 3 du Protocole no 1. De plus, ce changement soudain dans les règles d'inscription auxquelles les électeurs étaient habitués par une législation électorale inchangée de longue date aurait donné lieu à un recul de leur activité électorale.
81.  Enfin, le parti requérant conteste la véracité des propos du Gouvernement selon lesquels les contraintes de temps auraient empêché le Parlement de fonctionner normalement, et il indique qu'en février 2004 le corps législatif a examiné et approuvé une vaste série de modifications constitutionnelles importantes.
3.  Appréciation de la Cour
82.  La Cour considère que la bonne gestion des listes électorales est une condition indispensable à la liberté et à l'équité du scrutin. La mise en place d'un système propre à permettre l'inscription de tous les électeurs jouissant du droit de vote est propice à la préservation des principes d'universalité et d'égalité du scrutin, ainsi qu'au maintien de la confiance générale dans l'administration publique et le processus électoral. Aux yeux de la Cour, l'imprécision des listes électorales peut entacher sérieusement la jouissance pratique et effective des droits électoraux garantis par l'article 3 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Melnitchenko, précité, § 59).
83. En particulier, un registre électoral défectueux porterait atteinte a priori aux droits des électeurs. S'il est constant que ce ne sont pas ces droits qui sont en jeu en l'espèce, il reste que l'effectivité du droit de se porter candidat à des élections est indubitablement liée à l'exercice équitable du droit de vote. Ainsi, si un registre électoral omet de mentionner certains électeurs et/ou permet à d'autres de s'inscrire plusieurs fois, non seulement un tel dysfonctionnement porte atteinte aux intérêts de l'électorat, mais il est aussi de nature à fausser la possibilité pour les candidats de briguer les suffrages des électeurs dans des conditions d'égalité et d'équité. La Cour considère donc qu'un lien de causalité suffisamment étroit existait entre le droit pour le parti requérant de présenter des candidats à l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 et son grief relatif au système d'inscription sur les listes électorales qui était en vigueur à l'époque.
84.  Le parti requérant fait principalement grief à la CEC d'avoir outrepassé ses pouvoirs et violé le CE en publiant le décret litigieux (décret no 30/2004 du 27 février 2004). Or il faut rappeler que la Cour ne jouit que d'une compétence limitée pour vérifier si les autorités nationales ont respecté le droit interne dans leurs décisions (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 47, série A no 171-A). De plus, elle n'a pas, à cet égard, à se substituer aux juridictions internes, qui sont les mieux placées pour résoudre les problèmes d'interprétation de la législation nationale (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Sa véritable tâche, en l'espèce, n'est pas de se prononcer sur la compatibilité du décret de la CEC avec le droit interne, mais d'examiner si le système actif d'inscription sur les listes électorales était, au vu de l'ensemble des circonstances, compatible avec le droit pour le parti requérant de présenter des candidats à l'élection (voir, mutatis mutandis, Melnitchenko, précité, § 60).
85.  Compte tenu des conclusions du rapport de la mission d'observation électorale du BIDDH de l'OSCE sur l'élection parlementaire du 2 novembre 2003 (paragraphe 49 ci-dessus), la Cour souscrit à la thèse du Gouvernement selon laquelle l'une des principales raisons de l'échec de l'élection parlementaire du 2 novembre 2003 était le défaut de listes électorales exactes. Ainsi qu'il ressort dudit rapport, les listes électorales dans l'état où elles se trouvaient à l'époque omettaient des « blocs entiers d'appartements, voire de rues », comportaient le nom de plusieurs personnes décédées et de nombreuses entrées doubles ; des électeurs y étaient inscrits dans le mauvais district, etc. Un autre problème résidait dans le fait que les CES n'avaient « pas affiché les listes de manière systématique ou pratique ». A cet égard, la Cour est particulièrement frappée par le fait que la CEC s'était montrée incapable de créer une liste électorale centrale, ce qui avait entraîné un manque total d'uniformité des listes utilisées par les CES dans le cadre de cette élection parlementaire.
86.  En revanche, comme l'a reconnu le BIDDH de l'OSCE dans le rapport de sa mission d'observation électorale sur l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 (« le rapport sur l'élection du 28 mars 2004 », paragraphes 50 et 51 ci-dessus), la situation relative aux listes électorales s'était quelque peu améliorée après l'adoption du décret litigieux (décret no 30/2004 du 27 février 2004), qui mettait en place un nouveau système, « actif », d'inscription sur les listes électorales. Les électeurs ayant dû se rendre à l'administration de leur secteur électoral à plusieurs reprises, pour s'inscrire et pour vérifier leur inscription, « de nombreuses erreurs [avaient] été éliminées » et la CEC avait pu « réunir les listes électorales manuscrites dans une base de données informatique unique ». Le décret litigieux offrait également aux électeurs la possibilité de s'inscrire le jour même du scrutin, ce qui, ainsi qu'il ressort du rapport sur l'élection du 28 mars 2004, permit à 145 000 électeurs supplémentaires de voter. La Cour note en outre qu'en modifiant le système d'inscription sur les listes électorales, la CEC appliquait en fait les recommandations qui avaient été formulées par différents observateurs électoraux internationaux, lesquels louèrent par la suite les efforts déployés par les autorités pour améliorer, informatiser et consolider les listes électorales (paragraphes 46, 50 et 51 ci-dessus).
87.  Certes, le rapport sur l'élection du 28 mars 2004 pointait aussi plusieurs failles dans le nouveau système d'inscription sur les listes électorales (paragraphe 51 ci-dessus). Cependant, compte tenu des contraintes de temps, on ne saurait considérer que les autorités auraient dû apporter, entre le 25 novembre 2003, date à laquelle les résultats des élections parlementaires ordinaires furent annulés, et le 28 mars 2004, date de l'élection complémentaire, une solution idéale au chaos qui régnait dans les listes électorales. Pareille charge eût été pour elles excessive et exorbitante. De l'avis de la Cour, il est plus important que, tenant compte des raisons de l'échec des élections ordinaires, elles eussent reconnu l'existence du problème des listes électorales et que, comme le montre le rapport sur l'élection du 28 mars 2004, elles eussent tout mis en œuvre pour y remédier de manière à ce que l'élection complémentaire fût plus équitable.
88.  En ce qui concerne l'argument du parti requérant relatif au caractère déroutant qu'aurait eu pour les électeurs la modification soudaine du système d'inscription, la Cour considère que, d'une manière générale, il est effectivement préférable d'assurer la stabilité du droit électoral (voir également la recommandation de la Commission de Venise à cet égard, paragraphe 47 ci-dessus). Si un Etat modifie trop souvent les règles électorales fondamentales, telles que celles qui concernent l'inscription sur les listes électorales, ou s'il les modifie à la veille d'un scrutin, il risque de saper le respect du public pour les garanties censées assurer des élections libres ou sa confiance dans leur existence.
89.  Toutefois, il faut rappeler qu'aux fins de l'application de l'article 3 du Protocole no 1 toute loi électorale doit toujours s'apprécier à la lumière de l'évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d'un système déterminé peuvent se justifier dans celui d'un autre (voir notamment Py c. France, no 66289/01, § 46, CEDH 2005-I). Comme indiqué plus haut, les autorités électorales se trouvaient en l'espèce confrontées à la difficulté de remédier à des défaillances manifestes des listes électorales dans un temps très limité et dans une situation politique que l'on peut qualifier de postrévolutionnaire (paragraphes 11 à 13 et 19 à 23 ci-dessus). Aussi la Cour conclut-elle que la modification inopinée des règles d'inscription sur les listes électorales un mois avant l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 était, dans les circonstances très particulières de l'espèce, une démarche que l'on ne peut critiquer sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1.
90.  En ce qui concerne le point de savoir si le système d'inscription active sur les listes électorales, qui a partiellement transféré des autorités aux électeurs la responsabilité de l'exactitude des listes, était compatible avec l'obligation positive pour chaque Etat contractant d'assurer la libre expression de l'opinion du peuple (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 57, CEDH 2005-IX), la Cour considère que l'Etat défendeur doit se voir accorder une ample marge d'appréciation en la matière.
91.  Il est à noter par ailleurs que l'Etat défendeur n'est pas le seul à avoir opté pour un tel système d'inscription sur les listes électorales : plusieurs démocraties d'Europe occidentale, notamment le Portugal et le Royaume-Uni, se reposent aussi dans une mesure considérable sur les déclarations faites par les électeurs eux-mêmes lorsqu'elles établissent les listes électorales nationales. En droit portugais, les électeurs qui n'accomplissent pas les démarches nécessaires à leur inscription sur les listes électorales engagent leur responsabilité pénale (paragraphes 54 à 57 ci-dessus). Ainsi, de multiples choix sont possibles quant au système d'inscription sur les listes électorales. Aucun cependant ne devrait être considéré comme plus valable qu'un autre, l'essentiel étant de garantir l'expression de la volonté du peuple à travers des élections libres, honnêtes et périodiques (voir, mutatis mutandis, Parti conservateur russe des entrepreneurs et autres c. Russie, précité, § 49).
92.  En conséquence, la Cour considère que le système actif d'inscription sur les listes électorales ne peut en lui-même s'analyser en une violation du droit du parti requérant de présenter des candidats aux élections. Contrairement à ce qu'il soutient, ce système, dans les circonstances particulières de la présente espèce, n'était pas la cause du problème de fraude électorale, mais au contraire une tentative raisonnable d'y remédier, même s'il ne s'agissait pas d'une solution parfaite.
93.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut en définitive que, compte tenu des circonstances particulières liées à la situation politique de l'Etat défendeur, la mise en place, le 27 février 2004, du nouveau système d'inscription sur les listes électorales n'a pas emporté violation dans le chef du parti requérant du droit à des élections libres garanti par l'article 3 du Protocole no 1.
C.  Sur la composition des commissions électorales
1.  Thèse du Gouvernement
94.  Le Gouvernement soutient que les règles transitoires relatives à la composition des commissions électorales (articles 128, 128-1) et 128-2) du CE) n'ont pas été introduites à la veille de l'élection parlementaire complémentaire mais le 5 août 2003, c'est-à-dire avant même les élections parlementaires ordinaires du 2 novembre 2003. Il souligne que le parti requérant s'en satisfaisait avant les élections parlementaires et présidentielles ordinaires, et qu'il n'a commencé à s'en plaindre qu'après la proclamation des résultats définitifs, légitimes mais défavorables à ses candidats, de l'élection parlementaire complémentaire.
95.  Selon le Gouvernement, l'article 18 § 3 du CE fournissait une garantie suffisante pour assurer l'indépendance et l'impartialité de l'administration électorale, dans la mesure où, si les candidats à un siège au sein d'une commission électorale étaient des représentants de partis politiques, ils devaient, en vertu de cette disposition, quitter leur parti une fois nommés à la commission.
96.  Enfin, le Gouvernement estime que le parti requérant n'a avancé des preuves tangibles ou cité des faits précis ni à l'appui de ses allégations selon lesquelles les commissions électorales manquaient d'indépendance ou d'impartialité, ni au soutien de sa thèse selon laquelle ses représentants auraient été illégalement empêchés de s'acquitter comme ils le devaient de leurs fonctions administratives. Quant à la composition de l'administration électorale elle-même, le Gouvernement soutient que les Etats doivent se voir accorder une marge d'appréciation particulièrement large dans ce domaine.
2.  Thèse du parti requérant
97.  Le parti requérant reconnaît que les règles transitoires litigieuses relatives à la composition des commissions électorales, qui permettaient au président géorgien de nommer cinq des quinze membres de la CEC, ont été adoptées avant les élections parlementaires ordinaires du 2 novembre 2003. Une autre modification importante, opérée le 28 novembre 2003, c'est-à-dire immédiatement après la « révolution des roses », et expressément en vue de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004, aurait toutefois conféré au chef de l'Etat le pouvoir de nommer aussi le président de la CEC. Le chef de l'Etat se serait ainsi retrouvé, en définitive, investi du droit de nommer directement six des quinze membres de la CEC, dont son président, deux des autres membres de cette commission étant par ailleurs des représentants d'un parti pro-présidentiel. Le parti requérant ajoute que la composition des CED et des CES était similaire à celle de la CEC.
98.  Il considère qu'une telle composition des commissions électorales à tous les niveaux créait pléthore de possibilités de fraude électorale. Ses représentants auraient du reste été menacés et sommés de ne pas rédiger de plaintes sur les violations observées par eux, à savoir sur l'attribution au parti présidentiel par les commissions électorales, à majorité pro-présidentielle, des suffrages exprimés en sa faveur. D'autres exemples d'abus figureraient dans le rapport sur l'élection du 28 mars 2004 (paragraphe 50 ci-dessus).
99.  Pour le parti requérant, les commissions électorales telles qu'elles étaient composées au moment de l'élection parlementaire complémentaire n'étaient pas indépendantes et impartiales, ce qui aurait emporté violation de l'article 3 du Protocole no 1.
3.  Appréciation de la Cour
100.  La Cour a souvent souligné la nécessité d'assurer la neutralité politique des fonctionnaires, des magistrats et des autres personnes au service de l'Etat investies de l'autorité publique, de manière à garantir que tous les citoyens bénéficient d'un traitement égal et équitable qui ne soit pas entaché par des considérations politiques (Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, §§ 41 et 46, CEDH 1999-III, Briķe c. Lettonie (déc.), no 47135/99, 29 juin 2000, et Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 58, série A no 323).
101.  A titre de corollaire au principe ci-dessus exposé, la Cour, rappelant que les droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l'établissement et le maintien des fondements d'une démocratie véritable (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113), juge particulièrement important pour un organisme chargé de l'administration des élections qu'il fonctionne de manière transparente et qu'il reste impartial et indépendant face aux manipulations politiques.
102.  La Cour note que le grief du parti requérant repose pour l'essentiel sur des arguments tirés de la composition des commissions électorales et de leurs processus décisionnels, aspects qui seraient censés faire conclure à une violation de l'article 3 du Protocole no 1.
103.  Après avoir examiné la législation électorale pertinente de plusieurs Etats contractants, la Cour parvient à la conclusion qu'il n'existe pas un système uniforme pour la composition et le fonctionnement des organes administratifs électoraux en Europe (paragraphes 58 à 69 ci-dessus). Les choix possibles en la matière sont divers, et ils varient en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat. La Cour considère donc que les Etats contractants doivent se voir accorder une ample marge d'appréciation dans le domaine de l'organisation de l'administration électorale, pourvu que le système choisi offre des conditions qui assurent « la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (voir, mutatis mutandis, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II).
104.  Cela étant, si elle reconnaît que l'Etat défendeur jouissait d'une grande latitude pour organiser son administration électorale, la Cour doit déterminer si des actes précis des commissions électorales ont en l'espèce porté atteinte au droit du parti requérant de briguer les suffrages des électeurs lors de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004. Il lui appartient en effet de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences de l'article 3 du Protocole no 1 (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, pp. 22-23, § 52).
105.  La Cour observe qu'en vertu des articles transitoires 128, 128-1) et 128-2) du CE, cinq des quinze membres des commissions électorales à tous les niveaux, ainsi que les présidents desdites commissions, étaient nommés soit directement, soit indirectement, par le président géorgien. De plus, en vertu de l'article 128 § 5, au moins un membre de ces commissions électorales était un représentant du parti présidentiel, le Mouvement national, dès lors que celui-ci avait remporté les élections locales à Tbilissi en 2002 (paragraphe 22 ci-dessus, in fine). Les forces pro-présidentielles disposaient donc dans les commissions électorales de chaque niveau d'une majorité relative par rapport aux représentants des autres partis politiques.
106.  S'il ne peut y avoir de système idéal ou uniforme de freins et de contrepoids entre les différents pouvoirs de l'Etat au sein des organes d'une administration électorale, la Cour considère que cette proportion de sept membres sur les quinze que comprenaient les commissions électorales, dont les présidents, qui avaient voix prépondérante (article 22 § 8 du CE) et qui étaient nommés par le président géorgien et son parti, est particulièrement élevée en comparaison de ce que l'on peut observer dans les autres ordres juridiques européens (voir également l'opinion de la Commission de Venise à cet égard, paragraphe 48 ci-dessus).
107.  De plus, compte tenu du fait que le parti présidentiel – le Mouvement national – présentait lui aussi des candidats à l'élection parlementaire complémentaire, la Cour estime plausible que d'autres partis, notamment le parti requérant, aient pu se trouver placés dans une position défavorable du fait de la majorité pro-présidentielle au sein de l'administration électorale. L'argument du Gouvernement selon lequel, une fois nommés, les membres des commissions électorales devaient quitter leur parti politique ou suspendre leur adhésion n'apporte aucune garantie à cet égard : la Cour doute que le représentant d'un parti au sein d'une commission électorale, qui a selon toute vraisemblance été désigné à raison de sa loyauté aux valeurs et à la discipline de son camp, puisse devenir automatiquement et immédiatement un fonctionnaire raisonnant de manière indépendante et impartiale simplement parce qu'il a fait une déclaration officielle en ce sens.
108.  La Cour observe encore qu'à la différence des commissions électorales de l'Etat défendeur, celles des Etats contractants dont elle a examiné le système présentent, sous une forme ou sous une autre, des garanties contre la nomination en leur sein de personnes dont on pourrait raisonnablement considérer qu'elles risquent d'avoir à gérer un conflit d'intérêts. Par ailleurs, en Bulgarie, en Hongrie, en Moldova, au Royaume-Uni et en Serbie, ce critère d'incompatibilité s'applique directement aux membres des partis politiques ou des organisations désignant des candidats à l'élection. En Bulgarie et en Serbie, aucun parti politique ni aucune coalition ne peut détenir de majorité au sein de l'administration électorale. Ces règles d'incompatibilité visent à garantir l'indépendance et l'impartialité des organes électoraux (paragraphes 68-69 ci-dessus). En définitive, la raison d'être d'une commission électorale est de garantir la bonne administration d'élections libres et équitables de manière impartiale, ce qui, de l'avis de la Cour, est impossible à réaliser si la commission devient elle aussi le théâtre d'un combat politique entre les candidats à l'élection.
109.  La Cour note toutefois que le parti requérant n'a produit aucun élément propre à démontrer que la majorité pro-présidentielle dans les commissions électorales se serait indûment attribué des voix exprimées en sa faveur ou aurait d'une autre manière limité ses droits et intérêts légitimes au cours de l'élection parlementaire complémentaire. Elle juge insuffisante à cet égard la référence faite par le parti requérant au rapport sur l'élection du 28 mars 2004. Il est vrai que ce rapport critique le manque d'équilibre politique des commissions électorales et relève quelques cas de dysfonctionnement de ces organes (paragraphe 50 ci-dessus), mais à aucun moment il n'indique expressément que les droits et intérêts du parti requérant ont été directement limités par l'action ou l'inaction des commissions électorales. La Cour ne peut conclure à une violation de l'article 3 du Protocole no 1 sur le seul fondement d'une allégation, aussi plausible soit-elle, selon laquelle le système a créé des possibilités de fraude électorale. Il eût fallu pour cela que le parti requérant communique des preuves d'incidents précis démontrant les violations alléguées.
110.  Tenant dûment compte de ce qui précède, la Cour conclut que la composition incriminée des commissions électorales à tous les niveaux n'offrait certes pas les freins et contrepoids nécessaires face au pouvoir présidentiel, et que ces commissions ne pouvaient guère être indépendantes des pressions politiques extérieures, mais qu'en l'absence de toute preuve d'actes précis d'abus de pouvoir ou de fraude électorale commis par elles au détriment du parti requérant, aucune atteinte au droit dudit parti de participer à la lutte électorale ne peut être établie.
111.  En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 3 du Protocole no 1.
D.  Sur l'exclusion du décompte national des voix des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti
1.  Thèse du Gouvernement
112.  Le Gouvernement explique que les autorités adjares ont falsifié les résultats de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 dans les districts électoraux de Khulo et de Kobuleti, qu'en conséquence la CEC a, le 2 avril 2004, annulé les résultats du scrutin dans ces districts, mis fin aux fonctions des commissions électorales correspondantes et chargé un groupe différent d'administrateurs électoraux d'organiser un nouveau scrutin le 18 avril 2004, que les autorités adjares n'ont pas permis à ce groupe de traverser la frontière administrative de la République autonome et que, le jour venu, les bureaux de vote n'ont pas ouvert.
113.  Les tensions entre les autorités centrales et les autorités locales au moment des faits auraient dégénéré en un conflit armé avec « des criminels armés à la solde de M. A. Abashidze [le chef des autorités locales] ». M. G. Chalagashvili, l'un des représentants du Gouvernement devant la Cour, a ainsi déclaré qu'alors qu'il faisait partie du groupe électoral mandaté par la CEC pour organiser un nouveau scrutin à Khulo et à Kobuleti le 18 avril 2004, il avait vu une centaine d'individus armés ouvrir le feu sur le groupe à la frontière administrative. Le Gouvernement affirme que ces individus ont ultérieurement été reconnus coupables de l'infraction d'obstruction au processus électoral, mais il n'a communiqué copie ni du verdict ni de quelconques autres documents relatifs à la procédure pénale correspondante. Pour toute preuve des tensions entre les autorités centrales et les autorités adjares, il se réfère aux circonstances de l'affaire Assanidze c. Géorgie ([GC], no 71503/01, CEDH 2004-II).
114.  Le Gouvernement demande également à la Cour de tenir compte tout particulièrement de la situation politique qui régnait en Géorgie au moment des faits. Il soutient à cet égard que, dans la mesure où le Parlement de l'époque avait pratiquement suspendu ses activités dans l'attente de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004, tout retard supplémentaire dans la proclamation des résultats définitifs du scrutin au niveau national aurait porté atteinte à l'ordre public et abouti à l'effondrement du processus législatif normal. Dès lors, en ne proclamant pas les résultats le 18 avril 2004 les autorités auraient méconnu le principe de l'article 3 du Protocole no 1 selon lequel des élections doivent être organisées « à des intervalles raisonnables ».
115.  Le Gouvernement argue encore que les voix des électeurs privés du droit de vote dans les deux districts adjars peuvent être considérées comme des « voix perdues », phénomène qui serait inévitable dans tout pays démocratique. Il considère que l'exclusion du scrutin d'une fraction de l'électorat « même à hauteur de plusieurs millions d'électeurs » ne fait pas obstacle à l'émergence d'alternatives politiques au sein de la société et ne porte donc pas atteinte aux processus démocratiques de l'Etat. Il ajoute que, du point de vue juridique, dans la mesure où plus d'un tiers du nombre total des électeurs inscrits y avaient participé (article 105 § 3 du CE), l'élection parlementaire complémentaire pouvait être considérée comme s'étant tenue nonobstant l'absence des voix de Khulo et Kobuleti. En sa qualité de président de la CEC, M. Chalagashvili considère en outre que, dès lors que l'exclusion des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti du décompte des voix était conforme au droit interne applicable, le Gouvernement n'a pas à présenter à la Cour de justification particulière pour cette décision.
116.  Le Gouvernement soutient par ailleurs que, de toute façon, le parti requérant n'a pas étayé son affirmation selon laquelle il aurait pu obtenir suffisamment de voix dans ces districts pour dépasser le seuil légal de 7 %. S'appuyant sur les données statistiques disponibles, il relève qu'à l'issue des deux précédentes élections, tenues le 2 novembre 2003 et le 28 mars 2004, le parti requérant n'avait obtenu que 703 et 600 voix respectivement dans les deux districts adjars en question. Il estime donc inconcevable que ce même parti eût pu recueillir plus de 16 000 voix (le nombre nécessaire pour atteindre le seuil de 7 %) à sa troisième tentative le 18 avril 2004.
2.  Thèse du parti requérant
117.  Le parti requérant estime quant à lui que l'article 105 § 3 du CE ne doit pas pouvoir être interprété comme justifiant la privation du droit de vote d'une partie de l'électorat dès lors que plus d'un tiers du nombre total des électeurs ont pu voter. Affirmant que les autorités centrales avaient écarté les autorités locales et regagné le contrôle complet de la région adjare le 6 mai 2004, il soutient en outre que rien ne les empêchait plus de tenir une autre élection parlementaire complémentaire à Khulo et à Kobuleti. Selon lui, le fait que les électeurs de ces deux districts aient été totalement privés de toute possibilité de voter a porté atteinte à l'essence même de leur droit à des élections libres garanti par l'article 3 du Protocole no 1, et il a non seulement méconnu le principe du suffrage universel, mais aussi violé son propre droit de présenter des candidats à une élection.
3.  Appréciation de la Cour
a)  Considérations générales
118.  La Cour note que les résultats définitifs de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 au niveau national reposent sur le décompte des voix du 18 avril 2004, établi sans que le scrutin n'eût été tenu à Khulo et Kobuleti, deux districts électoraux importants de la RAA. En conséquence, quelque 60 000 électeurs inscrits dans ces districts n'ont pas pu exprimer leur suffrage. Ce chiffre représente environ 2,5 % de l'ensemble des électeurs inscrits dans le pays (paragraphes 26, 28 et 38 ci-dessus).
119.  La Cour considère que l'impossibilité dans laquelle les électeurs de Khulo et de Kobuleti se sont trouvés de participer à l'élection parlementaire complémentaire tenue au scrutin proportionnel soulève une question au regard du principe du suffrage universel. Elle rappelle à cet égard que l'exclusion de groupes ou catégories quelconques de la population doit se concilier avec les principes qui sous-tendent l'article 3 du Protocole no 1, notamment celui du suffrage universel (voir, mutatis mutandis, Aziz, précité, § 28). Une dérogation injustifiée à ce principe risquerait de saper la validité démocratique du corps législatif ainsi élu et des lois promulguées par lui (voir Hirst, précité, § 62).
120.  La Cour ne peut fonder son raisonnement sur l'argument du Gouvernement selon lequel le parti requérant n'a pas prouvé qu'il aurait pu recueillir dans les districts de Khulo et de Kobuleti un nombre de voix suffisant pour franchir le seuil légal de 7 %. Elle considère que l'intention de voter pour un parti donné est essentiellement une démarche intellectuelle intervenant dans le for intérieur de l'électeur et que son existence ne peut être ni prouvée ni réfutée tant qu'elle ne s'est pas manifestée par l'acte consistant à voter (Parti conservateur russe des entrepreneurs et autres, précité, § 76). Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel le parti requérant n'avait pas recueilli beaucoup de suffrages dans les districts adjars au cours des deux précédents scrutins, la Cour rappelle que les préférences des électeurs ne sont pas figées mais peuvent évoluer avec le temps, sous l'influence des événements politiques et de la campagne électorale. Un changement soudain et radical des intentions de vote des électeurs est un phénomène politique et social bien souvent observé (ibidem).
121.  En toute hypothèse, ce qui est en jeu en l'espèce, ce n'est pas le droit qu'aurait eu le parti requérant de remporter l'élection parlementaire complémentaire mais son droit de s'y présenter, librement et effectivement. L'article 3 du Protocole no 1 lui garantissait le droit de briguer les suffrages de l'électorat de Khulo et de Kobuleti, indépendamment de ses chances d'obtenir une majorité dans ces districts (voir également, à cet égard, les paragraphes 73 et 74 ci-dessus). Le fait de priver des électeurs du droit de vote, en particulier s'il s'agit d'un acte arbitraire, peut faire obstacle à l'exercice effectif par un candidat à l'élection de son droit de s'y présenter.
122.  La Cour ne partage pas l'analyse du Gouvernement selon laquelle les voix de l'électorat privé du droit de vote à Khulo et à Kobuleti peuvent être considérées comme des « voix perdues ». Cette notion repose sur l'idée que si tous les citoyens doivent se voir offrir des chances égales d'exprimer leur suffrage dans n'importe quel système électoral, aucun système ne peut garantir que toutes les voix aient un poids égal quant au résultat du scrutin (Bompard c. France (déc.), no 44081/02, CEDH 2006-IV). Cela étant, en l'espèce c'est l'essence même du principe de l'égalité de traitement de tous les citoyens dans l'exercice de leur droit de vote qui est en jeu. Logiquement, on ne peut discuter de la légitimité d'une « perte » de voix qui n'ont jamais été exprimées.
123.  Le Gouvernement se méprend encore lorsqu'il affirme que dès lors que l'impossibilité pour les électeurs de Khulo et Kobuleti de voter était, selon lui, compatible avec le droit interne, il n'est pas nécessaire de la justifier devant la Cour (paragraphe 115 in fine ci-dessus). Même si l'Etat géorgien jouit d'une ample marge d'appréciation en matière électorale, il appartient toujours à la Cour de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences de l'article 3 du Protocole no 1 (Mathieu-Mohin, précité, § 52). Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il ne s'agit pas simplement d'un cas isolé de limitation du droit de voter ou de se porter candidat à une élection, mais que l'Etat reste en défaut de lever les éventuels obstacles au maintien de l'intégrité et de l'effectivité d'une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l'intermédiaire du suffrage universel (Hirst, précité, § 62).
124.  Quant au point de savoir si la privation du droit de vote litigieuse était ou non conforme aux principes de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour doit essentiellement se demander si cette restriction n'était pas arbitraire ou disproportionnée au regard du but légitime visé par l'Etat défendeur. Compte tenu de la notion de « limitation implicite » qui se dégage de l'article 3 du Protocole no 1, les Etats défendeurs sont toujours libres de se fonder sur un but légitime dont on puisse démontrer la compatibilité, dans les circonstances particulières d'une affaire donnée, avec les principes de l'état de droit et les objectifs généraux de la Convention (Ždanoka, précité, § 115).
125.  En l'espèce, la Cour doit donc déterminer si les autorités nationales ont fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles pour assurer la participation des électeurs de Khulo et de Kobuleti à l'élection parlementaire complémentaire avant le décompte définitif des voix. A cet égard, l'argument du parti requérant selon lequel l'Etat aurait pu tenir un scrutin dans ces districts après le décompte des voix du 18 avril 2004 n'est pas pertinent, dans la mesure où ni l'article 106 ni aucune autre disposition du CE n'envisageait la possibilité d'organiser en cours de législature une élection ponctuelle au scrutin proportionnel après la proclamation par la CEC des résultats définitifs au niveau national (paragraphe 44 ci-dessus).
b)  Sur l'annulation des résultats du scrutin dans les districts électoraux de Khulo et de Kobuleti le 2 avril 2004
126.  De l'avis de la Cour, on ne peut pas dire que l'exclusion de l'électorat de Khulo et de Kobuleti de l'élection parlementaire complémentaire est uniquement la conséquence du décompte des voix fait par la CEC le 18 avril 2004. Cette exclusion trouve plutôt son origine dans l'annulation par l'ordonnance de la CEC en date du 2 avril 2004 des résultats du scrutin dans ces deux districts électoraux (paragraphe 26 ci-dessus). Aussi la Cour ne peut-elle, en examinant l'impossibilité de voter à laquelle les électeurs de ces circonscriptions se sont trouvés confrontés, ignorer la manière dont la CEC a adopté l'ordonnance en question. A cet égard, elle s'appuiera largement sur le rapport relatif à l'élection du 28 mars 2004 incorporé par le Gouvernement à ses observations et auquel se réfère également le parti requérant pour étayer sa thèse (paragraphes 50 et 98 ci-dessus).
127.  Reprenant les conclusions dudit rapport, la Cour note que la légalité de la décision de la CEC annulant les résultats du scrutin à Khulo et à Kobuleti était discutable (paragraphe 53 ci-dessus). En effet, cette décision reposait uniquement sur les articles 105 § 13 et 105 § 12 du CE, qui ne conféraient pas à la CEC le pouvoir d'annuler les résultats des districts électoraux, mais prévoyaient les conditions dans lesquelles elle pouvait exercer son droit d'organiser de nouveaux scrutins et de prendre des mesures d'investigation en réponse à des plaintes relatives au scrutin (paragraphe 44 ci-dessus). L'opinion exprimée par le président de la CEC est très importante à cet égard. Le rapport sur l'élection du 28 mars 2004 (paragraphe 53 ci-dessus) comporte le passage suivant :
« Avant le jour du scrutin, la mission d'observation électorale a tenté d'éclaircir avec le président de la CEC le point de savoir si celle-ci était compétente pour annuler les résultats de la CED. Pendant ces entretiens, il a indiqué que ce point était certainement discutable. Si l'art. 105 § 13 du CE donne à la CEC le droit d'examiner les documents des CES, de recompter les bulletins et d'additionner les résultats à partir des procès-verbaux des CES, il ne lui confère pas expressément le pouvoir d'annuler les résultats dans un district entier. »
128.  La Cour est particulièrement préoccupée par le fait que la CEC a annulé les résultats des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti dans leur intégralité sans entendre de témoignages, sans enquêter sur les circonstances dans chaque secteur et sans déterminer si le nombre de voix des bureaux de vote dont les résultats étaient annulés était ou n'était pas suffisant pour répondre aux critères énoncés à l'article 105 § 12 du CE. Elle n'a même pas examiné les documents électoraux, ce qu'ont fait, conformément à la loi (articles 34 § 2 f), 61 § 5, 62 et 63 §§ 1 et 4 du CE et paragraphes 50 et 53 ci-dessus), les CED ou les juridictions locales dans les autres circonscriptions où les résultats ont été annulés.
129.  Ces considérations amènent la Cour à conclure qu'en annulant les résultats du scrutin à Khulo et à Kobuleti, la CEC n'a pas seulement semblé outrepasser ses pouvoirs : elle a aussi agi d'une manière qui excluait la possibilité de recourir à des mesures d'investigation ou voies de redressement légales.
130.  La Cour ne conteste pas la véracité de l'affirmation du Gouvernement selon laquelle des irrégularités avaient eu lieu dans des bureaux de vote de Khulo et de Kobuleti. Sa préoccupation vient plutôt du fait que la CEC a écarté les résultats de ces districts électoraux dans leur ensemble sans base légale adéquate ni garanties procédurales, laissant ainsi à penser que les autorités électorales agissaient de manière arbitraire (voir, mutatis mutandis, Babenko c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999). La décision d'annuler ces résultats et d'organiser de nouveaux scrutins paraît difficilement conciliable avec le fait que des violations importantes constatées dans d'autres secteurs n'ont pas donné lieu à l'annulation des résultats de districts électoraux entiers (paragraphe 53 ci-dessus). Aucune explication convaincante pour la décision d'annulation prise par la CEC n'a été livrée à la Cour, l'ordonnance litigieuse du 2 avril 2004 ne contenant pas d'autre motivation que la référence à la « nature des irrégularités » alléguées dans les plaintes concernant le déroulement du scrutin dans ces districts (paragraphe 25 ci-dessus). Le gouvernement défendeur n'a pas non plus expliqué les raisons pour lesquelles la CEC, sans avoir examiné les documents électoraux de chaque CES ni entendu de témoins, est parvenue à la conclusion que l'ensemble des résultats communiqués par les CED de Khulo et de Kobuleti devaient être annulés. De l'avis de la Cour, le choix de la CEC de ne pas prendre les mesures d'investigation prévues par l'article 105 § 13 – ouverture et recomptage des bulletins de vote – et d'annuler les résultats du scrutin en se fondant seulement sur des allégations d'irrégularités (paragraphe 26 ci-dessus) prête le flanc à des soupçons d'arbitraire.
c)  Sur la non-tenue de l'élection complémentaire à Khulo et à Kobuleti et sur le décompte des voix du 18 avril 2004
131.  Le principal argument du Gouvernement consiste à dire que si les élections n'ont pas eu lieu à Khulo et Kobuleti le 18 avril 2004, c'est uniquement à cause des autorités adjares, qui seraient responsables de la montée des tensions dans la région (paragraphes 112 et 113 ci-dessus). La Cour note toutefois que l'Etat géorgien n'a pas fait usage du droit de dérogation prévu par l'article 15 de la Convention au moment de la situation d'urgence alléguée en RAA. Cet élément suffit à lui seul pour que la Cour considère que l'Etat défendeur ne peut valablement prétendre qu'il se trouvait exempté de ses obligations au titre de l'article 3 du Protocole no 1.
132.  De plus, dans son arrêt fondateur Assanidze, auquel le Gouvernement s'est lui-même référé, la Cour a conclu qu'au regard de la Convention les autorités centrales de l'Etat géorgien étaient objectivement responsables de la conduite des autorités adjares (Assanidze, précité, §§ 144-150). Ainsi, même à supposer que la non-participation des électeurs de Khulo et de Kobuleti à l'élection parlementaire complémentaire ait été entièrement imputable aux autorités locales, l'Etat défendeur ne peut être exonéré de sa responsabilité au titre de l'article 3 du Protocole no 1 combiné avec l'article 1 de la Convention. Le devoir général incombant à l'Etat en vertu de l'article 1 de la Convention implique et exige la mise en œuvre d'un système étatique de nature à garantir le respect de la Convention sur tout son territoire et à l'égard de chaque individu (ibid., § 147).
133.  Les dysfonctionnements de certains rouages de l'Etat en Géorgie et l'absence de subordination effective des autorités adjares aux autorités centrales qui en est résultée ne signifient pas que les faits à l'origine des allégations de violation formulées en l'espèce ne relèvent pas de la juridiction de l'Etat géorgien (ibid., § 143). En particulier, la Cour ne décèle pas, à partir des éléments dont elle dispose, de différence significative entre la situation qui prévalait en RAA au moment des faits et celle décrite dans l'affaire Assanidze. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas étayé par des éléments concrets (rapports officiels, documents vidéo, publications dans la presse, etc.) son allégation selon laquelle des tensions entre les autorités centrales et les autorités locales avaient dégénéré en un conflit armé : dans ces conditions, la Cour ne peut déterminer le poids à attacher à cet élément en particulier ou aux événements historiques pertinents en général. De plus, il est frappant qu'aucun document pénal pertinent n'ait été communiqué à la Cour à l'appui de l'allégation selon laquelle les individus armés supposés avoir attaqué le groupe électoral ont été reconnus coupables d'obstruction au processus électoral (paragraphe 113 ci-dessus). Le dossier de l'affaire ne contient aucun rapport ni aucune note du groupe électoral en question où figurerait un récit des faits censés s'être déroulés à la frontière administrative de la RAA.
134.  Le seul élément dont la Cour dispose pour apprécier les tensions entre les autorités centrales et les autorités adjares est le rapport sur l'élection du 28 mars 2004, qui fait état de cas d'intimidation de la part des autorités adjares à l'égard de représentants de partis d'opposition, notamment de partisans du président Saakashvili, qui auraient été empêchés de faire campagne librement dans la région. La Cour note en outre qu'en réponse les autorités centrales avaient imposé à la RAA des sanctions économiques, et qu'un accord était finalement intervenu entre M. A. Abashidze et le président Saakashvili à la veille de l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004. En ce qui concerne les événements s'étant déroulés en avril 2004, qui sont plus pertinents pour le cas d'espèce, le rapport indique ce qui suit :
« Le 12 avril, les groupes temporaires de la CEC ont été envoyés en Adjarie, mais ils y ont rapidement rencontré une résistance active. Les 13 et 14 avril, la foule les a contraints à quitter le territoire adjar. »
135.  Si elle reconnaît que les circonstances ci-dessus mentionnées n'étaient guère propices à la bonne tenue des élections en Adjarie, la Cour ne peut pour autant conclure, sur le seul fondement des bribes d'informations figurant dans le rapport susmentionné, que la situation en RAA au moment du scrutin complémentaire du 18 avril 2004 se distinguait à un point tel de celle sur laquelle elle a eu à se prononcer dans l'affaire Assanidze que l'on pût considérer que la RAA ne relevait pas de la juridiction de l'Etat géorgien.
136.  En bref, les éléments présentés par l'Etat défendeur n'ont pas convaincu la Cour qu'il peut être absous de sa responsabilité au titre de l'article 3 du Protocole no 1 relativement à l'absence de scrutin à Khulo et à Kobuleti le 18 avril 2004.
137.  Les circonstances de la présente espèce font en outre apparaître que, contrairement aux obligations positives lui incombant en vertu de l'article 3 du Protocole no 1 (voir Hirst, précité, § 57), l'Etat défendeur n'a pris aucune mesure visant à tenir compte des électeurs de Khulo et de Kobuleti dans les résultats de l'élection au niveau national après la non-ouverture des bureaux de vote le 18 avril 2004. Au contraire, la CEC décida brutalement de proclamer les résultats définitifs de l'élection parlementaire complémentaire le jour même. Une telle hâte ne s'explique pas à la lecture de l'article 64 § 1 du CE, qui prévoit apparemment un délai de dix-huit jours pour la proclamation des résultats définitifs du scrutin (paragraphe 44 ci-dessus).
138.  Compte tenu de la notion de « limitation implicite » qui se dégage de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour pourrait, en principe, accepter l'argument du Gouvernement selon lequel la proclamation des résultats définitifs de l'élection le 18 avril 2004 répondait à l'intérêt légitime d'assurer la poursuite du processus législatif normal (paragraphe 114 ci-dessus). Cependant, le Gouvernement n'a pas expliqué en quoi le Parlement de 1999, auquel les plus hautes autorités du pays avaient en novembre 2003 décidé de confier l'intérim dans l'attente de l'élection d'un nouveau Parlement (paragraphe 14 ci-dessus), était devenu incapable de siéger quelque temps encore après le 18 avril 2004.
139.  Eu égard au caractère vague des arguments du Gouvernement, la Cour ne peut, compte tenu de l'importance du principe du suffrage universel, accepter que l'intérêt légitime de renouveler le corps législatif « à des intervalles raisonnables » justifie de manière suffisante que l'Etat défendeur n'ait pas pu, ou pas voulu, prendre d'autres mesures raisonnables visant à permettre aux 60 000 électeurs adjars d'exprimer leurs suffrages après la non-ouverture des bureaux de vote le 18 avril 2004.
140.  Enfin, il convient de noter qu'à la suite de cette non-ouverture des bureaux de vote, la CEC n'a pas adopté d'acte annulant l'ordonnance du 2 avril 2004 supprimant l'élection complémentaire à Khulo et à Kobuleti (voir également le paragraphe 53 ci-dessus). De l'avis de la Cour, l'article 105 § 3 du CE ne saurait remplacer une décision officielle de la CEC à cet égard. S'il était réellement impossible d'appliquer l'ordonnance du 2 avril 2004, il eût été plus compatible avec les principes fondamentaux de l'état de droit que la CEC supprimât le scrutin prévu à Khulo et à Kobuleti par une décision claire et officielle justifiant de manière pertinente et suffisante l'exclusion du processus électoral de quelque 60 000 électeurs.
d) Conclusion
141.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la décision par laquelle la CEC a, le 2 avril 2004, annulé les résultats du scrutin des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti manquait de transparence et de cohérence. La CEC n'a pas justifié sa décision de manière pertinente et suffisante et ne l'a pas entourée de garanties procédurales suffisantes pour parer à tout abus de pouvoir. En outre, sans prendre d'autres mesures propres à permettre la tenue d'un nouveau scrutin dans les districts de Khulo et de Kobuleti après le 18 avril 2004, elle a décidé à la hâte et sans justification valable de clore l'élection au niveau national. L'exclusion de ces deux districts du processus de l'élection parlementaire était contraire à plusieurs des garanties de l'état de droit et elle a eu pour effet de priver une fraction importante de la population de son droit de vote (voir, mutatis mutandis, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, §§ 64-65, CEDH 1999-I).
142.  Partant, il y a eu violation dans le chef du parti requérant, à raison de l'exclusion de facto du processus électoral des électeurs de Khulo et de Kobuleti, du droit découlant pour lui de l'article 3 du Protocole no 1 de présenter des candidats aux élections.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
143.  Invoquant l'article 14 de la Convention, le parti requérant se plaint que l'inéquité du processus électoral incriminé sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1 l'ait empêché d'obtenir des sièges au Parlement et qu'il lui ait fait ainsi subir une discrimination reposant sur ses opinions politiques. L'article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
144.  La Cour rappelle que l'article 14 n'a pas d'existence autonome mais qu'il joue un rôle important de complément des autres dispositions de la Convention et des Protocoles, puisqu'il protège les individus placés dans des situations analogues contre toute discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans ces autres dispositions (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 67, série A no 45, et Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 89, CEDH 1999-III).
145. A la lumière de l'ensemble des éléments dont elle dispose, la Cour ne décèle rien qui pourrait suggérer que les mécanismes électoraux litigieux, à savoir le système d'inscription sur les listes électorales et la composition des commissions électorales, ou les événements qui se sont déroulés à Khulo et à Kobuleti, étaient exclusivement dirigés contre le parti requérant et n'ont pas porté préjudice à d'autres candidats à cette élection.
146.  Elle conclut donc à l'absence de violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
147.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
148.  Le parti requérant demande 212 306,30 euros (EUR) pour dommage matériel. Cette somme couvre selon lui les dépenses qu'il a engagées dans le cadre de ses campagnes électorales pour l'élection ordinaire et l'élection complémentaire en 2003-2004, les émoluments que ses membres auraient reçus s'ils avaient été élus au Parlement et les fonds qui auraient dû lui être versés sur le budget national pour 2007-2008, conformément à la législation interne sur le financement des groupements politiques.
149.  Le Gouvernement estime quant à lui qu'il n'y a pas de lien de causalité entre ces demandes et les violations alléguées.
150.  La Cour considère pour sa part que la référence faite par le parti requérant aux dépenses engagées dans le cadre de l'élection parlementaire du 2 novembre 2003 n'est pas pertinente, dans la mesure où seules les circonstances ayant entouré l'élection complémentaire du 28 mars 2004 sont en jeu. En ce qui concerne ladite élection complémentaire, la Cour rappelle que la présente requête porte sur le droit du parti requérant de présenter des candidats à l'élection, et non sur un quelconque droit de la remporter (paragraphe 121 ci-dessus). On ne saurait présumer que si l'électorat de Khulo et de Kobuleti avait voté le parti requérant aurait nécessairement obtenu des sièges au Parlement. La Cour ne peut donc spéculer sur la question de savoir si les membres du parti requérant auraient perçu des émoluments de parlementaires ni se prononcer sur celle de savoir si les dépenses liées à la campagne électorale du parti doivent être considérées comme un dommage matériel. Enfin, elle n'aperçoit aucun lien entre les fonds supposément impayés sur le budget national 2007-2008 et la violation constatée relativement à l'élection complémentaire du 28 mars 2004.
151.  En conclusion, la Cour ne décèle aucun lien de causalité entre la seule violation constatée en l'espèce et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc les demandes du parti requérant à ce titre.
B. Dommage moral
152.  Estimant avoir fait l'objet d'un harcèlement, d'une répression et d'une discrimination sévères en raison de ses opinions politiques, le parti requérant demande 2 000 000 EUR pour dommage moral. Cette somme compenserait l'impossibilité dans laquelle il se serait trouvé d'obtenir des sièges au Parlement, de participer à la vie politique et de jouir de ses droits démocratiques.
153.  Le Gouvernement considère quant à lui que le parti requérant n'a pas prouvé avoir subi la moindre discrimination en raison de ses opinions politiques.
154.  La Cour observe pour sa part que la demande d'indemnisation pour dommage moral formulée par le parti requérant repose pour l'essentiel sur ses allégations de discrimination et qu'elle n'est donc pas pertinente pour la violation du seul article 3 du Protocole no 1 constatée en l'espèce.
155.  La Cour n'exclut pas que le parti requérant, en tant que personne morale (voir Parti conservateur russe des entrepreneurs et autres, précité, § 102, et Kommersant Moldovy c. Moldova, no 41827/02, § 52, 9 janvier 2007), puisse avoir subi un certain dommage moral à raison de la privation de leur droit de vote des électeurs de Khulo et de Kobuleti. Toutefois, elle considère que la nature de la violation constatée, à savoir la dérogation arbitraire au principe du suffrage universel, est telle que le constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante pour l'atteinte portée au droit de présenter des candidats à l'élection que le parti requérant puisait dans l'article 3 du Protocole no 1.
C.  Frais et dépens
1. Relativement aux procédures internes
156.  Le parti requérant demande 1 832 EUR pour le remboursement des frais de justice qu'il dit avoir engagés dans le cadre de procédures internes relatives à différents litiges électoraux, sans rapport pour la plupart avec la présente affaire. A l'appui de sa demande, il joint copie de nombreuses décisions de justice lui ordonnant de verser diverses sommes.
157.  Le Gouvernement considère que cette demande est infondée.
158.  La Cour rappelle que lorsqu'elle constate une violation de la Convention elle peut accorder à un requérant le paiement des frais et dépens qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, parmi d'autres arrêts, Papon c. France, no 54210/00, § 115, CEDH 2002-VII).
159.  En l'espèce, la violation constatée se rapporte à la privation du droit de vote subie pas les électeurs de Khulo et de Kobuleti. L'examen des circonstances de l'espèce a fait apparaître que la seule procédure qui était apte à permettre de prévenir ou de corriger cette violation est celle que le parti requérant a intentée devant la Cour suprême le 20 avril 2004 (paragraphes 31 et 38 ci-dessus). Pour cette procédure, les seuls dépens justifiés devant la Cour sont ceux étant résultés d'une ordonnance de la Cour suprême en vertu de laquelle le parti requérant devait verser 100 laris géorgiens (environ 43 EUR) de frais de justice.
160.  En conséquence, la Cour octroie au parti requérant 43 EUR de ce chef et rejette pour le surplus la demande présentée par lui au titre des frais et dépens engagés dans le cadre des procédures internes.
2. Relativement à la procédure devant la Cour
161.   Me J. Rinceanu a communiqué à la Cour un contrat d'avocat daté du 28 août 2007, signé par elle et par le président du parti requérant, M. Sh. Natelashvili, en vertu duquel le parti requérant devait lui verser, à la signature, 4 165 EUR, dont 19 % de TVA conformément au droit fiscal allemand, pour « tous types d'activités » réalisées par elle pour la défense des intérêts de son client. Elle a également communiqué copie d'une facture datée du 3 septembre 2007 selon laquelle le parti requérant doit lui verser 21 420 EUR pour sa représentation devant la Cour, somme correspondant à 61,6 heures de travail au taux horaire de 300 EUR, TVA (19 %) comprise.
162.  Le Gouvernement estime que compte tenu de la brièveté de la période pendant laquelle le parti requérant a été représenté par Me Rinceanu (paragraphe 2 ci-dessus), cette somme est déraisonnable. Il considère également qu'un taux horaire de 300 EUR pour un contrat d'avocat est exorbitant.
163.  La Cour juge que dès lors qu'aucune demande n'a été soumise relativement aux autres représentants du parti requérant (paragraphe 2 ci-dessus), aucune somme ne doit être accordée pour leur participation à la procédure.
164.  En ce qui concerne la représentation du parti requérant par Me Rinceanu, la Cour rappelle tout d'abord qu'elle n'est pas liée par les barèmes et pratiques internes (Assanidze, précité, § 206). Par ailleurs, il n'a pas été démontré que la somme de 21 420 EUR corresponde à une dépense qu'il aurait été nécessaire ou raisonnable d'engager pour le compte du parti requérant (voir, parmi beaucoup d'autres arrêts, Assanidze, précité, § 206, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 77, série A no 316-B, Malama c. Grèce (satisfaction équitable), no 43622/98, § 17, 18 avril 2002). La Cour ne peut donc accueillir cette partie de la demande en entier.
165. Statuant en équité, la Cour alloue au parti requérant la somme de 10 000 EUR pour sa représentation devant elle par Me Rinceanu.
C.  Intérêts moratoires
166.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, à l'unanimité, que le parti requérant peut se prétendre « victime », au sens de l'article 34 de la Convention, des violations alléguées de l'article 3 du Protocole no 1 ;
2.  Dit, à l'unanimité, que l'introduction, le 27 février 2004, d'un nouveau système d'inscription sur les listes électorales pour l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 n'a pas emporté violation de l'article 3 du Protocole no 1 ;
3.  Dit, par cinq voix contre deux, que la composition des commissions électorales au moment des faits n'a pas emporté violation de l'article 3 du Protocole no 1 ;
4.  Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 à raison de l'impossibilité pour les électeurs de Khulo et de Kobuleti de voter ;
5.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 ;
6.  Dit, à l'unanimité, que le constat d'une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le parti requérant ;
7.  Dit, à l'unanimité,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au parti requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, 10 043 EUR (dix mille quarante-trois euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par le parti requérant à titre d'impôt sur cette somme ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 8 juillet 2008, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens   Greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
a)  opinion en partie dissidente de la juge Mularoni ;
b)  opinion en partie dissidente du juge Popović.
F.T.   S.D.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE MULARONI
Je suis totalement d'accord avec la majorité pour ce qui est de son raisonnement et de ses conclusions quant à la qualité de victime du parti requérant et quant au premier grief soulevé par lui, à savoir celui dirigé contre le système d'inscription sur les listes électorales.
Mon opinion porte donc sur les deux autres griefs, relatifs à la composition des commissions électorales et à l'exclusion des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti du décompte national des voix.
A.  Sur la composition des commissions électorales
Comme le reconnaît la majorité, il n'existe pas de système uniforme de composition et de fonctionnement des organes administratifs électoraux en Europe (voir les paragraphes 58 à 69 et 103 de l'arrêt). Les Etats contractants jouissent donc d'une ample marge d'appréciation dans ce domaine, pourvu que le système choisi par eux n'entrave pas la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif.
En conséquence, l'élément crucial pour l'appréciation de la Cour réside dans le point de savoir si les manquements constatés sont assez importants pour s'analyser en une violation de l'article 3 du Protocole no 1.
Comme la majorité, j'observe que le nombre total des membres des commissions électorales qui étaient censés être nommés par le président géorgien était particulièrement élevé en comparaison de ce que l'on peut voir dans d'autres ordres juridiques européens (voir les paragraphes 105 et 106 de l'arrêt). Je considère toutefois que cet élément ne suffit pas à lui seul pour faire conclure à une violation de l'article 3 du Protocole no 1, dès lors que :
–  d'une part, les membres nommés par le président géorgien n'étaient pas majoritaires au sein des commissions, et que
–  d'autre part, je considère que la Cour a pour tâche d'examiner les circonstances particulières de l'affaire portée devant elle, et non des questions théoriques.
Cela étant posé, j'estime, contrairement à la majorité, qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 en l'espèce. Je ne partage pas la vue selon laquelle la référence faite par le parti requérant au rapport de la mission d'observation électorale du BIDDH de l'OSCE sur l'élection parlementaire complémentaire du 28 mars 2004 (paragraphes 50-53 de l'arrêt) était insuffisante.
Dans ce rapport, incorporé par le Gouvernement à ses observations, on trouve notamment les passages suivants :
La CEC a fait preuve de sérieux et de professionnalisme dans l'administration de ces élections. Cependant, il est arrivé qu'elle semble outrepasser ses pouvoirs, par exemple en prolongeant des délais légaux ou en modifiant par décret d'autres dispositions légales. Le processus électoral a été amélioré à plusieurs égards depuis les précédentes élections, même si certaines des décisions adoptées par la CEC après le scrutin font peser un doute sur son impartialité.
Les registres électoraux ont été encore améliorés et ils ont été rassemblés dans une base de données informatisée (...). Cependant, il reste encore à compléter les listes électorales, à en améliorer la précision et à corriger les erreurs subsistantes.
Le manque d'équilibre politique des commissions électorales reste source de préoccupation. Certaines CED et CES n'ont pas conservé suffisamment de distance par rapport aux partis au pouvoir, et certaines autorités locales se sont ingérées dans les activités des commissions électorales de niveau inférieur. L'offre du président Saakashvili consistant à porter de cinq à trois le nombre de membres des CED et des CES nommés par lui a répondu à certaines de ces préoccupations. Cependant, ces changements sont intervenus à un stade avancé du processus électoral, et ils auraient dû être appliqués également à la CEC (...)
Le décompte des résultats au niveau des districts a été entaché d'irrégularités dans plusieurs CED. Dans certains cas, les documents électoraux ont été remis non scellés ou insuffisamment sécurisés ; des procès-verbaux ont été complétés ou modifiés au niveau des CED ; et, dans un cas au moins, les membres de la CED ont « négocié » les résultats. De plus, le traitement des plaintes sur le scrutin dans certaines CED a présenté des insuffisances.
Une analyse des résultats des CES communiqués par la CEC a fait apparaître de nombreux résultats anormaux ou aberrants dans une minorité importante de districts : une augmentation rapide du taux de participation dans les trois dernières heures du scrutin, un taux de participation aberrant, dépassant dans certains cas les 100% et parfois associé à un nombre de voix pour les partis au pouvoir supérieur à 95%, et des cas de pourcentage anormalement élevé de votes nuls.
Au total, les résultats de 52 bureaux de vote ont été invalidés par les CED en raison d'irrégularités. Par une décision qui semble reposer sur des arguments juridiques contestables, la CEC a annulé les résultats dans deux districts adjars (Khulo et Kobuleti) et ordonné la tenue d'une élection complémentaire le 18 avril, mais, pour des raisons de sécurité, celle-ci n'a pas eu lieu. (...)
De fait, la CEC a purement et simplement annulé les résultats de l'ensemble du district sans entendre de témoignages ni enquêter sur les circonstances dans chaque CES, et sans établir avec la moindre certitude si le nombre de suffrages exprimés dans les bureaux de vote pour lesquels les résultats avaient été annulés était ou non suffisant pour répondre aux critères énoncés à l'article 105 § 12. De plus, elle n'a pas examiné les documents électoraux, alors que dans les autres endroits où les résultats ont été annulés la CED ou les juridictions locales l'ont fait.
Même si des violations avaient eu lieu dans les districts de Khulo et de Kobuleti, la décision d'y annuler les résultats et d'appeler une élection complémentaire semble ne pas cadrer avec le fait que des violations importantes intervenues dans d'autres districts n'avaient pas donné lieu à l'annulation des résultats des CED de ces autres districts. (...)
J'estime que ces éléments sont plus que suffisants pour faire conclure à la violation de l'article 3 du Protocole no 1 de ce chef.
B.  Sur l'exclusion des districts électoraux de Khulo et de Kobuleti du décompte national des voix du 18 avril 2004
Sur ce point, je partage la conclusion de la majorité, selon laquelle il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1. Cependant, je parviens à cette conclusion pour des motifs partiellement différents de ceux retenus par mes éminents collègues.
Je précise d'emblée que mon analyse se limite à la non-organisation d'un scrutin complémentaire dans les districts électoraux de Khulo et de Kobuleti avant le décompte des voix du 18 avril 2004.
Je ne partage pas l'analyse de la majorité relative à l'annulation des résultats de l'élection dans ces districts par l'ordonnance de la CEC en date du 2 avril 2004 (paragraphes 126 à 130 de l'arrêt). Je considère que cet aspect est hors du champ de notre appréciation, le requérant ne l'ayant jamais soulevé devant notre Cour (voir l'exposé de ses griefs au paragraphe 70 ci-dessus) ni devant les juridictions internes, et ce pour une raison bien simple et compréhensible : à l'issue du scrutin du 28 mars 2004, il n'avait pas atteint le seuil de 7 % nécessaire pour obtenir des sièges au Parlement. Il avait donc tout intérêt à ce qu'une élection complémentaire soit organisée.
Le rôle de notre Cour étant d'examiner les griefs soulevés par les requérants, je ne vois pas de raison convaincante d'examiner d'office un point qui a été étudié et critiqué de manière approfondie par d'autres organes internationaux.
En ce qui concerne le manquement de l'Etat défendeur à assurer la tenue d'une élection complémentaire à Khulo et à Kobuleti, je voudrais faire les observations suivantes.
Le Gouvernement a reconnu le manquement en question, mais il a considéré qu'il était imputable uniquement aux autorités adjares (paragraphes 112-113 et 131 de l'arrêt).
L'existence de tensions entre les autorités centrales et les autorités adjares à la veille des élections parlementaires complémentaires du 18 mars et du 18 avril 2004 a été confirmée par le rapport de la mission d'observation électorale du BIDDH de l'OSCE susmentionné (paragraphes 50-53). Ce rapport expose en outre clairement les difficultés rencontrées pendant la période préélectorale en Adjarie, où seule une campagne tardive et très limitée avait pu avoir lieu, et où les médias n'avaient eu aucune liberté d'expression.
Je n'ai donc pas de mal à suivre le Gouvernement lorsqu'il argue que la situation était difficile et dangereuse et que les autorités adjares portent une grande part de responsabilité dans ce qui s'est passé.
Il n'en reste pas moins que l'élection n'a pas eu lieu dans ces deux districts électoraux.
J'observe que le gouvernement défendeur n'a pas notifié au Secrétaire général du Conseil de l'Europe de dérogation au titre de l'article 15 de la Convention. Or c'est là la seule manière valable pour les Etats contractants de déroger aux obligations qui leur incombent en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle s'accompagne de contrôles stricts du Conseil de l'Europe et des organes de la Convention quant à la légalité, la nécessité et la proportionnalité de la mesure adoptée.
Dans ces conditions, je n'ai pas besoin d'autres raisons pour conclure à la violation de l'article 3 du Protocole no 1 de ce chef également.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE POPOVIĆ
Je souscris à l'opinion dissidente de la juge Mularoni en sa partie A, relative à la composition des commissions électorales.
1 Les articles 64 et 105 ont le même titre dans leur version originale.
2.  Cette classification repose sur celle du guide (Handbook) de l’IDEA, pp. 304-323.
ARRÊT PARTI TRAVAILLISTE GÉORGIEN c. GÉORGIE
ARRÊT PARTI TRAVAILLISTE GÉORGIEN c. GÉORGIE 
ARRÊT PARTI TRAVAILLISTE GEORGIEN c. GÉORGIE – OPINIONS SÉPARÉES
ARRÊT PARTI TRAVAILLISTE GEORGIEN c. GÉORGIE – OPINIONS SÉPARÉES 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 9103/04
Date de la décision : 08/07/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de P1-3 ; Violation de P1-3 ; Non-violation de l'art. 14+P1-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) OPINIONS POLITIQUES OU AUTRES, (Art. 34) VICTIME, (P1-3) DROIT A DES ELECTIONS LIBRES


Parties
Demandeurs : PARTI TRAVAILLISTE GEORGIEN
Défendeurs : GEORGIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-07-08;9103.04 ?

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