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15/06/2006 | CEDH | N°58822/00

CEDH | AFFAIRE CHEVANOVA c. LETTONIE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CHEVANOVA c. LETTONIE
(Requête no 58822/00)
ARRÊT
STRASBOURG
15 juin 2006
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT   LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
7 décembre 2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chevanova c. Lettonie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mm

es F. Tulkens,    E. Steiner,   MM. K. Hajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,   Mme J. Briede, j...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CHEVANOVA c. LETTONIE
(Requête no 58822/00)
ARRÊT
STRASBOURG
15 juin 2006
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT   LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
7 décembre 2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chevanova c. Lettonie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mmes F. Tulkens,    E. Steiner,   MM. K. Hajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,   Mme J. Briede, juge ad hoc,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mai 2005 et le 23 mai 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58822/00) dirigée contre la République de Lettonie et dont une ressortissante russe, Mme Nina Chevanova, avait saisi la Cour le 28 juin 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante a été représentée devant la Cour par M. G. Kotovs, juriste et membre du conseil municipal de Riga. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Reine.
3.  La requérante alléguait notamment que la décision des autorités lettonnes de l’expulser de Lettonie constituait une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision partielle du 15 février 2001, la Cour a déclaré la requête irrecevable pour autant qu’elle émanait également du fils de la requérante, M. Jevgeņijs Ševanovs.
6.  Par une décision du 28 février 2002, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Le 12 mai 2002, la requérante a déposé sa demande de satisfaction équitable (article 41 de la Convention). Le 19 juin 2002, le Gouvernement a présenté ses observations sur cette demande.
8.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section, remaniée en conséquence (article 52 § 1).
9.  Le siège du juge au titre de la Lettonie s’étant trouvé vacant, par une lettre du 20 décembre 2004 le Gouvernement a désigné Mme J. Briede pour siéger en qualité de juge ad hoc dans la présente affaire (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
10.  Par une lettre du 3 février 2005, le Gouvernement a informé la Cour des développements intervenus entre-temps dans l’affaire et a demandé que la requête fût rayée du rôle, en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Le 25 avril 2005, la requérante a présenté ses observations sur cette lettre. Le 13 mai 2005, le Gouvernement a déposé ses observations en réplique.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
11.  La requérante est une ressortissante russe née en Russie en 1948 et résidant à Riga (Lettonie).
A.  Genèse de l’affaire et procédure relative à l’expulsion de la requérante
12.  En 1970, à l’âge de vingt-deux ans, la requérante s’installa sur le territoire letton pour raisons professionnelles. De 1973 à 1980 (année de son divorce), elle fut mariée à un homme résidant en Lettonie. En 1973, elle donna naissance à son fils, Jevgeņijs Ševanovs, qui a vécu avec elle jusqu’à présent.
En 1981, après avoir perdu le passeport soviétique qui lui avait été délivré en 1978, l’intéressée en reçut un nouveau. En 1989, elle retrouva le passeport perdu mais ne le rendit pas aux autorités compétentes.
13.  En août 1991, l’indépendance de la Lettonie fut pleinement rétablie. En décembre 1991, l’Union soviétique, l’Etat dont l’intéressée avait précédemment la nationalité, éclata. La requérante se retrouva donc sans aucune nationalité. En août 1992, elle fut inscrite sur le registre des résidents (Iedzīvotāju reģistrs) en tant que résidente permanente. Quant à son fils, il obtint plus tard le statut de « non-citoyen résident permanent » de Lettonie.
14.  En 1994, la requérante reçut d’une entreprise lettonne de construction de ponts une offre d’emploi portant sur un travail d’opérateur de grue au Daguestan et en Ingouchie, régions caucasiennes de la Fédération de Russie limitrophes de la Tchétchénie. Eu égard aux difficultés dues au contrôle renforcé de ces régions par les autorités russes, à cause des troubles sur le territoire tchétchène, l’entreprise lui conseilla d’obtenir la nationalité russe et un enregistrement officiel de résidence en Russie préalablement à la conclusion du contrat de travail. En mai 1994, l’intéressée consulta un intermédiaire, qui apposa sur son premier passeport soviétique, retrouvé et dissimulé, un faux cachet attestant l’annulation de son enregistrement (pieraksts ou dzīvesvietas reģistrācija, en letton) en Lettonie.
15.  En juin 1994, la requérante fut enregistrée à Choumanovo (région de Koursk, en Russie), au domicile de son frère. En août 1994, elle obtint la nationalité russe. En 1995 et en 1996, elle se rendit en Russie, où elle travailla pendant deux périodes de 100 et 120 jours respectivement.
16.  En mars 1998, l’intéressée sollicita un passeport de « non-citoyen résident permanent » auprès de la Direction chargée des questions de nationalité et de migration du ministère de l’Intérieur (Iekšlietu ministrijas Pilsonības un migrācijas lietu pārvalde, la « Direction »). Conformément aux dispositions réglementaires en vigueur, elle joignit à sa demande son deuxième passeport soviétique, délivré en 1981. En examinant son dossier, la Direction découvrit qu’elle avait fait enregistrer une seconde résidence en Russie et qu’elle avait effectué des démarches avec son ancien passeport, perdu puis retrouvé. Par une décision du 9 avril 1998, la Direction annula en conséquence l’inscription de la requérante sur le registre des résidents. Le même jour, le chef de la Direction prit à son encontre un arrêté d’expulsion (izbraukšanas rīkojums) lui enjoignant de quitter le territoire letton pour la Russie avant le 19 juin 1998. Cet arrêté était assorti d’une interdiction de territoire d’une durée de cinq ans. Il fut notifié à l’intéressée le 11 juin 1998.
17.  Après avoir en vain attaqué l’arrêté d’expulsion par voie de recours gracieux devant le chef de la Direction, la requérante saisit d’un recours en annulation le tribunal de première instance de l’arrondissement du Centre de la ville de Riga. Dans son mémoire, elle soutenait qu’ayant ignoré l’apposition du faux cachet sur son passeport, effectuée à son insu, elle n’avait pas à en supporter les conséquences et que, comme l’enregistrement de sa résidence en Russie n’avait qu’un caractère provisoire, il ne pouvait avoir d’incidence sur son enregistrement existant en Lettonie. De même, elle faisait valoir qu’aucune disposition législative ni réglementaire en vigueur ne lui interdisait d’avoir deux domiciles dans deux Etats différents. Dès lors, elle demandait au tribunal d’annuler l’arrêté d’expulsion pris à son égard et d’enjoindre à la Direction de lui délivrer un permis de séjour permanent.
18.  Par un jugement contradictoire du 3 décembre 1998, le tribunal rejeta le recours en constatant la légalité et le bien-fondé de l’arrêté d’expulsion. Quant à la demande de la requérante aux fins de se voir délivrer un permis de séjour, le tribunal déclara cette partie du recours irrecevable, au motif que l’intéressée n’avait pas sollicité de permis de séjour auprès des autorités compétentes, ni tenté un recours hiérarchique préalablement à la saisine des tribunaux, comme le voulait l’article 34 de la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers et des apatrides en République de Lettonie (ci-après la « loi sur les étrangers »).
19.  Le 13 juillet 1999, à la demande de la requérante, les autorités russes annulèrent l’enregistrement de sa résidence en Russie.
20.  La requérante interjeta appel du jugement du 3 décembre 1998 devant la cour régionale de Riga. Par un arrêt contradictoire du 29 septembre 1999, celle-ci débouta la requérante au motif que, comme elle avait séjourné illégalement en Lettonie depuis son retour de Russie, son expulsion était conforme à l’article 38 de la loi sur les étrangers. En outre, la cour régionale confirma les arguments de la juridiction inférieure quant à l’irrecevabilité de la demande de permis de séjour.
21.  Le pourvoi en cassation de la requérante fut rejeté par un arrêt du sénat de la Cour suprême du 28 décembre 1999, concluant à la légalité et à la proportionnalité de l’ingérence dénoncée. En particulier, le sénat fit remarquer que dans cette affaire le droit de l’intéressée d’avoir deux domiciles ou lieux de résidence dans deux Etats différents n’était nullement contesté, et que l’arrêté d’expulsion reposait uniquement sur le fait qu’elle avait résidé en Lettonie sans permis de séjour.
22.  Au moment du prononcé de l’arrêt du sénat, l’arrêté d’expulsion contre la requérante entra en vigueur et devint exécutoire.
23.  Par deux lettres expédiées le 21 janvier et le 3 février 2000, l’intéressée et son fils demandèrent au chef de la Direction d’annuler l’arrêté d’expulsion et de délivrer à la première un permis de séjour permanent. A l’appui de leur demande, ils soutinrent qu’ils n’avaient pas d’attaches familiales ailleurs qu’en Lettonie et que l’expulsion de la requérante hors du territoire letton, où ils avaient vécu ensemble pendant vingt-six ans, constituerait une atteinte sérieuse à leur droit au respect de la vie familiale. A cet égard, ils évoquèrent expressément l’article 8 § 1 de la Convention ainsi que des dispositions analogues de la Constitution lettonne.
24.  Par des lettres en date du 28 janvier et du 15 février 2000, le chef de la Direction refusa de faire droit à cette demande et rappela à la requérante son obligation de quitter immédiatement le territoire letton, sous peine d’expulsion forcée.
25.  Après avoir tenté, en vain, de contester ce refus par voie de recours hiérarchique devant le ministre de l’Intérieur, Mme Chevanova et son fils saisirent le tribunal de l’arrondissement du Centre de la ville de Riga d’un nouveau recours en annulation. Par une ordonnance du 3 mars 2000, le tribunal déclara ce recours irrecevable. Le 24 mai 2000, la cour régionale de Riga confirma l’ordonnance susmentionnée. Le pourvoi en cassation de la requérante et de son fils fut rejeté par une ordonnance du sénat de la Cour suprême en date du 29 novembre 2000.
26.  Le 12 février 2001, l’intéressée fut arrêtée par la police de l’immigration (Imigrācijas policija) et placée au centre de détention pour immigrés illégaux. Le 21 février 2001, les fonctionnaires de la Direction lui notifièrent une décision d’expulsion forcée (lēmums par piespiedu izraidīšanu no valsts).
27.  Le 26 février 2001, la requérante fut hospitalisée à la suite d’une crise d’hypertension. Le 28 février 2001, le chef de la Direction suspendit dès lors l’exécution de la décision d’expulsion forcée et demanda à la police de l’immigration d’ordonner officiellement que l’intéressée fût libérée du centre de détention. Parallèlement, l’arrêté d’expulsion du 9 avril 1998 fut également suspendu.
28.  L’exécution de la décision d’expulsion forcée ayant été ajournée sine die, la requérante continua à résider en Lettonie en situation irrégulière.
B.  Développements postérieurs à la décision sur la recevabilité de la requête
29.  Le 7 janvier 2005, le chef de la Direction adressa à l’agente du Gouvernement une lettre rédigée en ces termes :
« (...) [L]a (...) Direction (...) a reçu votre lettre portant sur la requête introduite par Nina Chevanova devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (...) et [nous] invitant à considérer la possibilité d’accorder à l’intéressée un permis de séjour permanent (...) en vertu de l’article 24 § 2 de la loi sur l’immigration. Vous motivez votre demande en arguant qu’il existe un risque assez sérieux qu’une violation de l’article 8 de la Convention soit constatée dans l’affaire. Or, si N. Chevanova se voyait octroyer un statut juridique suffisamment stable en Lettonie, le gouvernement letton serait fondé à demander à la CEDH de rejeter la requête.
Je voudrais tout d’abord attirer votre attention sur le fait que l’article 24 § 3 de la loi sur l’immigration ne s’applique pas aux circonstances de l’affaire Chevanova. La Direction a donc examiné d’autres solutions possibles.
Eu égard (...) aux circonstances pertinentes de l’affaire Chevanova, en particulier au fait que l’intéressée a longtemps vécu et travaillé sur le territoire letton – ce qui atteste, sans aucun doute, l’existence de liens privés et sociaux suffisamment forts (...) – la Direction admet qu’il est possible, après avoir obtenu de N. Chevanova les documents nécessaires (...), d’adresser au ministre de l’Intérieur un avis proposant de lui accorder un permis de séjour temporaire d’une validité de cinq ans, conformément à l’article 23 § 3 de la loi sur l’immigration (...).
Aux termes de la directive 2003/109/CE du Conseil [de l’Union européenne] du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, les Etats membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause. Dès lors, après l’expiration du délai de validité de son permis de séjour temporaire, N. Chevanova aurait le droit de solliciter et d’obtenir le statut de résident permanent et un permis de séjour de la CE. En remédiant ainsi à la situation de N. Chevanova, on éliminerait de manière adéquate l’éventuelle violation de ses droits au titre de l’article 8 de la Convention.
Pour ce faire, la Direction a déjà préparé, à l’intention de N. Chevanova, une invitation à déposer à la Direction les documents requis pour solliciter un permis de séjour ; cette lettre sera envoyée dans les prochains jours. Précisons que conformément à l’article 61 du règlement no 213 (...) relatif aux permis de séjour, en pareil cas [l’intéressé] doit présenter une note écrite émanant d’une personne morale et attestant la nécessité (...) de demeurer en République de Lettonie. A cet égard, la Direction note que, selon toute probabilité, N. Chevanova ne sera pas en mesure de présenter un tel document. En tout état de cause, un règlement (...) positif de l’affaire ne sera possible que si N. Chevanova elle-même se montre intéressée par une telle solution.
Dans l’hypothèse où N. Chevanova ne prendrait elle-même aucune initiative dans le sens de la solution proposée par le gouvernement letton, [rappelons] que la CEDH a déjà reconnu qu’en refusant sciemment de suivre la voie adéquate indiquée par les autorités (...) une requérante ne pouvait pas se prétendre victime d’une violation du droit au respect de sa vie privée et familiale (...). La référence à l’article 8 de la Convention (...), contenue dans la requête de N. Chevanova, serait alors dénuée de fondement. »
30.  Par le décret no 75 du 2 février 2005, le conseil des ministres chargea le ministre de l’Intérieur de délivrer à la requérante un permis de séjour permanent, « après réception des documents nécessaires pour solliciter » un tel permis (article 1er du décret).
31.  Par une lettre du 24 février 2005, la Direction expliqua à l’intéressée la possibilité de régulariser son séjour en obtenant un permis de séjour permanent, et l’invita à déposer les documents requis à cet effet par la réglementation pertinente. Il ressort toutefois du dossier qu’à ce jour la requérante n’a pas suivi les indications de la Direction.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.  Généralités
32.  La législation lettonne en matière de nationalité et d’immigration distingue plusieurs catégories de personnes qui ont chacune un statut spécifique :
a)  les citoyens lettons (Latvijas Republikas pilsoņi), dont le statut juridique est régi par la loi sur la nationalité (Pilsonības likums) ;
b)  les « non-citoyens résidents permanents » (nepilsoņi), c’est-à-dire les ressortissants de l’ex-URSS ayant perdu la nationalité soviétique à la suite de la disparition de l’URSS, en 1991, mais n’ayant obtenu aucune autre nationalité depuis lors ; ces personnes relèvent de la loi sur les non-citoyens (paragraphe 33 ci-dessous) ;
c)  les demandeurs d’asile et les réfugiés, qui relèvent de la loi du 7 mars 2002 relative à l’asile (Patvēruma likums) ;
d)  les « apatrides » (bezvalstnieki) au sens étroit et spécifique du terme. Avant le 2 mars 2004, leur statut était régi par la loi relative au statut d’apatride en République de Lettonie, lue conjointement avec la loi sur les étrangers (paragraphes 34 ci-dessous), et, après le 1er mai 2003, avec la loi sur l’immigration (paragraphe 36 ci-dessous). Depuis le 2 mars 2004, les apatrides relèvent de la nouvelle loi sur les apatrides, elle aussi lue conjointement avec celle sur l’immigration ;
e)  les « étrangers » au sens large du terme (ārzemnieki), catégorie qui comprend les ressortissants étrangers (ārvalstnieki) et les apatrides (bezvalstnieki) relevant uniquement de la loi sur les étrangers (avant le 1er mai 2003) ou de la loi sur l’immigration (depuis cette date).
B.  Les « non-citoyens résidents permanents »
33.  L’article 1 § 1 de la loi du 12 avril 1995 relative au statut des citoyens de l’ex-URSS n’ayant pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat (Likums « Par to bijušo PSRS pilsoņu statusu, kuriem nav Latvijas vai citas valsts pilsonības ») est ainsi libellé :
[Version en vigueur avant le 25 septembre 1998] « Relèvent de la présente loi les citoyens de l’ex-URSS qui résident en Lettonie (...), qui résidaient sur le territoire letton avant le 1er juillet 1992 et dont le lieu de résidence y est enregistré, quel que soit le statut de leur logement, s’ils n’ont pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat, de même que les enfants mineurs de ces personnes, s’ils n’ont pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat. »
[Version en vigueur depuis le 25 septembre 1998] « Les personnes relevant de la présente loi, les « non-citoyens », sont les citoyens de l’ex-URSS résidant en Lettonie (...) ainsi que leurs enfants, répondant aux conditions cumulatives suivantes :
1) au 1er juillet 1992, leur lieu de résidence était enregistré sur le territoire letton, quel que soit le statut de leur logement ; ou leur dernier lieu de résidence enregistré au 1er juillet 1992 se trouvait en République de Lettonie ; ou bien il existe un jugement constatant qu’avant ladite date ils ont résidé sur le territoire letton pendant dix ans au moins ;
2) ils n’ont pas la nationalité lettonne ;
3) ils n’ont pas et n’ont pas eu la nationalité d’un autre Etat. (...) »
C.  Le statut général des étrangers
34.  Les dispositions pertinentes de la loi du 9 juin 1992 relative à l’entrée et au séjour des étrangers et des apatrides en République de Lettonie (Likums « Par ārvalstnieku un bezvalstnieku ieceļošanu un uzturēšanos Latvijas Republikā »), en vigueur jusqu’au 1er mai 2003, se lisaient ainsi :
Article 11
« Tout étranger (...) a le droit de séjourner en République de Lettonie pendant plus de trois mois [version en vigueur depuis le 25 mai 1999 : « plus de quatre-vingt-dix jours au cours d’un semestre »], sous réserve qu’il obtienne un permis de séjour conformément aux dispositions de la présente loi. (...) »
Article 12
(modifié par la loi du 15 octobre 1998)
« Il peut être délivré à un étranger (...) :
1) un permis de séjour temporaire ;
2) un permis de séjour permanent. (...) »
Article 23-1
(ajouté par la loi du 18 décembre 1996, en vigueur depuis le 21 janvier 1997)
« Peuvent obtenir un permis de séjour permanent les étrangers qui, au 1er juillet 1992, avaient leur lieu de résidence officiellement enregistré pour une durée illimitée en République de Lettonie si, lors du dépôt de la demande de permis de séjour permanent, ils ont leur lieu de résidence officiellement enregistré en République de Lettonie et s’ils sont inscrits sur le registre des résidents.
Les citoyens de l’ex-URSS ayant acquis la nationalité d’un autre Etat avant le 1er septembre 1996 doivent déposer leur demande de permis de séjour permanent au plus tard le 31 mars 1997. Les citoyens de l’ex-URSS ayant acquis la nationalité d’un autre Etat après le 1er septembre 1996 doivent déposer leur demande dans le délai de six mois à partir de la date à laquelle ils ont acquis la nationalité étrangère. (...) »
Article 34
« L’intéressé peut, dans un délai de un mois à compter de la notification du refus de permis de séjour, attaquer ce refus par voie de recours devant le chef de la Direction. Celui-ci examine le recours dans un délai de un mois.
Le ministre de l’Intérieur peut, par voie d’arrêté, annuler une décision illégale de la Direction ou du chef de la Direction ordonnant ou refusant la délivrance d’un permis de séjour.
La décision ou l’arrêté susmentionnés peuvent faire l’objet d’un recours devant un tribunal :
1) de la part de l’intéressé, dès lors qu’il séjourne légalement sur le territoire de la République de Lettonie ;
2) de la part de la personne qui réside en Lettonie et qui a invité l’étranger (...) auquel le permis de séjour a été refusé, lorsque l’invitation est liée au regroupement familial. (...) »
Article 35
« Aucun permis de séjour n’est délivré à une personne qui :
5)  a été expulsée hors de Lettonie au cours des cinq années ayant précédé la demande ;
6)  a sciemment fourni de fausses informations pour obtenir un tel permis ;
7)  est en possession d’une pièce d’identité ou d’un titre d’entrée faux ou non valables ;
Article 38
« Le chef de la Direction ou le chef de l’unité régionale de la Direction délivre un arrêté d’expulsion (...) :
2) lorsque l’étranger (...) se trouve sur le territoire national  sans être en possession d’un visa ou d’un permis de séjour valable (...) »
Article 40
« L’intéressé doit quitter le territoire national dans le délai de sept jours à compter du moment où l’arrêté d’expulsion lui a été notifié, si toutefois cet arrêté n’est frappé d’aucun recours au sens du présent article.
La personne visée par l’arrêté d’expulsion a la faculté de s’y opposer dans le délai de sept jours par voie de recours devant le chef de la Direction, lequel est tenu de prolonger le permis de séjour pendant la durée de l’examen du recours.
La décision du chef de la Direction peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal du lieu du siège de la Direction dans le délai de sept jours à partir du moment de sa notification. »
35.  A l’époque des faits, les modalités pratiques de l’enregistrement du lieu de résidence étaient régies par le règlement no 76 du 12 février 1993 sur l’enregistrement du domicile des résidents de la République de Lettonie et sur son annulation (Iedzīvotāju pierakstīšanas un izrakstīšanas noteikumi Latvijas Republikā). L’article 4 de ce texte subordonnait l’obtention d’un nouvel enregistrement en Lettonie à l’annulation d’un enregistrement existant.
36.  Depuis le 1er mai 2003, la loi précitée sur les étrangers n’est plus en vigueur ; elle a été abrogée et remplacée par la loi du 31 octobre 2002 sur l’immigration (Imigrācijas likums). Les articles pertinents de cette nouvelle loi se lisent comme suit :
Article 1er
« La présente loi utilise les notions suivantes :
1) un étranger [ārzemnieks] – une personne qui n’est ni citoyen letton ni « non-citoyen [résident permanent] » de Lettonie ; (...). »
Article 23 § 3
«  Dans les cas non prévus par la présente loi, un permis de séjour temporaire est accordé par le ministre de l’Intérieur, lorsque cela correspond aux dispositions du droit international ou aux intérêts de l’Etat, ou est lié à des considérations d’ordre humanitaire. »
Article 24 § 2
«  Dans les cas non prévus par la présente loi, un permis de séjour permanent est accordé par le ministre de l’Intérieur, lorsque cela correspond aux intérêts de l’Etat. »
Article 33 § 2
« (...) Lorsque le délai fixé [pour former une demande de permis de séjour] a été dépassé, le chef de la Direction peut autoriser [l’intéressé] à déposer les documents [requis] lorsque cela correspond aux intérêts de l’Etat letton ou est lié à la force majeure ou à des considérations d’ordre humanitaire. »
Article 47
« 1o Dans un délai de dix jours à compter de la date du constat des circonstances factuelles énumérées par le présent paragraphe, (...) le fonctionnaire [compétent] de la Direction prend une décision d’expulsion forcée (...), lorsque :
1) l’étranger n’a pas quitté la République de Lettonie dans le délai de sept jours suivant la réception de l’arrêté d’expulsion (...), et qu’il n’a pas attaqué l’arrêté par voie de recours devant le chef de la Direction (...), ou que le chef de la Direction a rejeté le recours ;
2o Dans le cas visé par le paragraphe 1, point 1, du présent article, la décision d’expulsion forcée (...) est insusceptible de recours.
4o En cas de changement des circonstances, le chef de la Direction peut annuler une décision d’expulsion forcée. »
D.  Le droit administratif général
37.  Aux termes de l’article 360 § 4 de la loi sur la procédure administrative (Administratīvā procesa likums), en vigueur depuis le 1er février 2004,
« Un acte administratif ne peut être exécuté si plus de trois ans se sont écoulés depuis qu’il est devenu exécutoire. Lors du calcul de la prescription, la période pendant laquelle la mise en œuvre de l’acte administratif avait été suspendue est déduite. »
38.  A l’époque des faits relatés par la requérante, les dispositions pertinentes du code des contraventions administratives (Administratīvo pārkāpumu kodekss) se lisaient ainsi :
Article 187, quatrième alinéa
« L’utilisation d’un passeport à la place duquel un nouveau passeport a été délivré est punie d’une amende dont le montant peut aller jusqu’à cent lati [soit environ 150 euros]. »
Article 190-3
« Le fait de ne pas fournir aux divisions du Département chargé des questions de nationalité et d’immigration (...), dans le délai prévu, les renseignements à inscrire sur le registre des résidents est puni d’une amende d’un montant compris entre dix et vingt-cinq lati [soit environ 38 euros]. »
EN DROIT
I.  SUR L’EXCEPTION DU GOUVERNEMENT
A.  Arguments des parties
39.  Dans sa lettre du 3 février 2005, le Gouvernement informe la Cour des mesures pratiques adoptées par les autorités en vue de régulariser le séjour de la requérante en Lettonie (paragraphes 29-31 ci-dessus). Il explique qu’en réunion du conseil des ministres, le 2 février 2005, il a été décidé de remédier directement au grief de la requérante en offrant à celle-ci un permis de séjour permanent. Compte tenu de ces mesures, le Gouvernement estime que le litige à l’origine de la présente affaire a été résolu et que la requête doit être rayée du rôle en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention. A cet égard, le Gouvernement se réfère en particulier aux affaires Pančenko c. Lettonie (déc., no 40772/98, 28 octobre 1999) et Mikheyeva c. Lettonie (déc., no 50029/99, 12 septembre 2002), dans lesquelles la Cour a considéré que la régularisation du séjour des intéressées était suffisante pour qu’elles ne puissent plus se prétendre victimes d’une violation de l’article 8 de la Convention.
40.  La requérante fait remarquer qu’elle ne dispose pas de toutes les pièces requises pour obtenir un permis de séjour permanent ; ainsi, elle n’a aucun document susceptible d’attester le caractère légal de ses revenus. Elle se déclare prête, en principe, à « accepter la proposition du Gouvernement », mais uniquement à condition que celui-ci répare le dommage qu’elle a subi du fait de la violation alléguée et qu’il lui rembourse les frais et dépens encourus dans la procédure devant la Cour. A cet égard, elle réclame une somme globale de 14 626,86 lati (LVL).
41.  Dans ses observations présentées en réplique, le Gouvernement rétorque que la régularisation du séjour de la requérante ne peut pas intervenir de façon unilatérale ; Mme Chevanova doit en pratique se présenter et manifester elle-même sa volonté de recevoir le permis de séjour qui lui a été accordé. Or, à ce jour, elle n’a pas suivi la voie indiquée par la Direction. Pour ce qui est de l’attestation de revenus légaux, le Gouvernement fournit une copie de la lettre du chef de la Direction en date du 12 mai 2005, dont il ressort qu’une garantie écrite du fils de la requérante, qui pour sa part réside régulièrement en Lettonie, suffirait à cet effet. Quant à la somme réclamée par l’intéressée, le Gouvernement la juge injustifiée.
B.  Appréciation de la Cour
42.  La Cour estime qu’en l’occurrence l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la question de savoir si, du fait des développements postérieurs à la décision sur la recevabilité de la requête, la requérante a effectivement perdu son statut de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention. Certes, dans l’arrêt Pisano c. Italie ([GC] (radiation), no 36732/97, 24 octobre 2002), la Cour a examiné cette question séparément de celle de l’application de l’article 37 § 1 b), puisqu’elle a conclu à la persistance du statut de « victime » dans le chef du requérant, tout en décidant ultérieurement que le litige avait été résolu (loc.cit., §§ 38-39). Cependant, la présente requête porte sur une mesure d’éloignement d’une ressortissante étrangère et sur sa situation irrégulière sur le territoire national ; or, dans les affaires de ce type, où la régularisation du séjour de l’intéressé était intervenue au cours de l’examen de la requête par la Cour, celle-ci a généralement analysé l’opportunité de poursuivre cet examen sous l’angle de l’article 34 de la Convention, en se fondant justement sur la notion de « victime » (voir, par exemple, les décisions Pančenko et Mikheyeva, précitées, ainsi que Maaouia c. France (déc.), no 39652/98, CEDH 1999-II, Aristimuño Mendizabal c. France (déc.), no 51431/99, 21 juin 2005, et Yildiz c. Allemagne (déc.), no 40932/02, 13 octobre 2005). La Cour considère qu’en l’espèce il y a lieu d’examiner l’exception du Gouvernement sous l’angle des articles 34 et 37 lus conjointement ; en effet, la perte éventuelle, par la requérante, de son statut de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention conduirait la Cour à la conclusion que le litige a été résolu, au sens de l’article 37 § 1 b).
43.  La Cour rappelle tout d’abord que, pour pouvoir conclure que le litige a été résolu au sens de l’article 37 § 1 b) et que le maintien de la requête par la requérante ne se justifie donc plus objectivement, elle doit se demander, d’une part, si les faits dont l’intéressée se plaint directement persistent ou non et, d’autre part, si les conséquences qui pourraient résulter d’une éventuelle violation de la Convention à raison de ces faits ont été effacées (Pisano précité, § 42). Par ailleurs, sur le terrain de l’article 34, la Cour a toujours jugé qu’en règle générale une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 846, § 36, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI , Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000-IV, et Guisset c. France, no 33933/96, § 66, CEDH 2000-IX).
44.  Lorsque l’intéressé se plaint en particulier de son expulsion ou de son statut irrégulier sur le territoire national, les mesures adéquates minimales à prendre sont, premièrement, l’annulation de la mesure d’éloignement, et, deuxièmement, la délivrance ou la reconnaissance d’un titre de séjour (voir la décision Mikheyeva précitée). Toutefois, dans chaque affaire il faut encore déterminer si ces mesures sont suffisantes pour remédier complètement au grief en question.
45.  En l’occurrence, la Cour relève que jusqu’en 1998 la requérante résidait en Lettonie à titre régulier. En avril 1998, elle fut radiée du registre des résidents et fit l’objet d’un arrêté d’expulsion. Bien que cet arrêté n’ait jamais été exécuté, nul ne conteste que son existence a placé l’intéressée dans une situation très précaire et instable sur le territoire letton. Ce n’est qu’en janvier et février 2005, donc après que la présente requête a été déclarée recevable par la Cour, que les autorités lettonnes ont pris des mesures concrètes visant à régulariser le séjour de la requérante. Or, il y a lieu d’observer que près de sept ans se sont écoulés entre la radiation du registre et l’adoption des mesures susvisées.
46.  La Cour note qu’aucune des autorités lettonnes concernées n’a expressément reconnu l’existence d’une violation de l’article 8 de la Convention. Elle observe cependant que la lettre de la Direction datée du 7 janvier 2005 se référait à la décision de la Cour sur la recevabilité de la présente requête. Elle admet donc que cette prise en compte du grief porté par la requérante devant la Cour pourrait être assimilée à une reconnaissance implicite de l’existence d’un problème sur le terrain de l’article 8.
47.  Cela étant, et eu égard à toutes les circonstances pertinentes de la cause, la Cour considère que les mesures prises par les autorités ne constituent pas une réparation adéquate dudit grief. Certes, il ressort des explications du Gouvernement, non démenties par l’intéressée, que la voie de régularisation proposée permettrait à cette dernière de vivre en Lettonie sans entrave et à titre permanent. Toutefois, cette solution n’a pas effacé la longue période d’incertitude et de précarité légale que la requérante a vécue sur le territoire letton. En résumé, même si l’on admet qu’il y a eu réparation, celle-ci ne peut être que partielle (voir la décision Aristimuño Mendizabal, précitée, et, mutatis mutandis, Chevrol c. France, no 49636/99, § 42, CEDH 2003-III).
48.  La Cour estime par ailleurs que l’espèce se distingue des affaires Maaouia, Pančenko, Mikheyeva et Yildiz, précitées, ainsi que de l’affaire Mehemi c. France (no 2) (no 53470/99, CEDH 2003-IV), où l’octroi d’un titre de séjour a valu réparation. En effet, dans les affaires Maaouia, Mehemi (no 2) et Yildiz, la violation alléguée de l’article 8 résidait dans des mesures d’éloignement ou d’expulsion. Dans les affaires Pančenko et Mikheyeva, les griefs étaient similaires à celui de Mme Chevanova, mais la durée du séjour irrégulier sur le territoire national était nettement plus courte (près de trois ans pour Mme Pančenko ; environ six ans pour Mme Mikheyeva). En l’espèce, la violation alléguée tient à la situation de précarité et d’incertitude que la requérante a connue pendant environ sept ans. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les conséquences défavorables résultant pour l’intéressée des faits dénoncés n’ont pas été entièrement effacées.
49.  Il s’ensuit que, les autorités n’ayant pas intégralement réparé la violation alléguée par la requérante, celle-ci peut toujours se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention. Le litige n’est donc pas encore résolu et la Cour n’a aucune raison d’appliquer l’article 37 § 1 b) de la Convention.
50.  Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
51.  La requérante soutient que la mesure d’expulsion du territoire letton dont elle a été l’objet constitue une ingérence injustifiée et disproportionnée dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention. Les passages pertinents de l’article 8 sont ainsi libellés :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A.  Arguments des parties
1.  Le Gouvernement
52.  Le Gouvernement nie l’existence d’une ingérence dans les droits de la requérante au titre de l’article 8. Il rappelle tout d’abord qu’en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une « famille », cette dernière notion englobant, d’un côté, les relations établies par un mariage, et, de l’autre, les relations entre les parents et leurs enfants. En particulier, les rapports entre les parents et leurs enfants adultes ne bénéficient pas nécessairement de la protection de cet article si l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance n’est pas démontrée. Or, selon le Gouvernement, la requérante n’a pas fait état de tels éléments permettant de conclure à un lien de dépendance particulier entre elle et son fils majeur. De même, le Gouvernement rappelle qu’en matière d’immigration l’article 8 ne comporte pour un Etat aucune obligation générale de permettre le regroupement familial sur son territoire.
53.  En l’occurrence, le Gouvernement insiste sur le fait que, lors de sa demande de statut de « non-citoyen résident permanent », la requérante a délibérément dissimulé le fait qu’elle avait la nationalité russe depuis quatre ans. Or, la disposition pertinente de la loi sur les non-citoyens (paragraphe 33 ci-dessus) est libellée suffisamment clairement, de sorte que l’intéressée ne pouvait ignorer l’inapplicabilité de ce texte aux personnes possédant la nationalité d’un Etat. Le Gouvernement se rallie également aux conclusions du sénat de la Cour suprême, selon lesquelles le droit d’une personne d’avoir deux domiciles dans deux Etats différents ne constitue pas l’objet du litige, le seul fait reproché à la requérante étant celui de vivre en Lettonie sans visa ni permis de séjour valable.
54.  A cet égard, le Gouvernement rappelle que la fonction principale du registre des résidents, tel qu’il a été établi en 1991, était d’identifier les personnes qui résidaient en Lettonie à titre légal et permanent. La condition sine qua non de l’inscription d’un étranger sur ce registre était l’existence d’un enregistrement officiel sur le sol letton (il s’agissait en effet d’un système hérité de la période soviétique et appelé alors propiska). La logique de ce système permettait l’existence d’une seule résidence enregistrée, et ce sans considération de frontières ; ainsi, un enregistrement similaire obtenu à l’étranger invalidait celui que l’intéressé avait en Lettonie, et vice versa.
55.  En outre, le Gouvernement fait remarquer qu’en tant que citoyenne russe, la requérante avait la possibilité de demander à l’administration lettonne de lui délivrer un permis de séjour permanent en vertu de l’article 23-1 de la loi sur les étrangers, ce qu’elle n’a pas fait. Selon le Gouvernement, cette disposition a été spécialement conçue pour permettre aux citoyens de l’ex-URSS ayant acquis la nationalité d’un autre Etat de résider sans entrave sur le territoire letton. Au lieu de former une demande et de faire régulariser son séjour conformément à la loi, elle a choisi de bafouer celle-ci, d’induire les autorités lettonnes en erreur et de demeurer en Lettonie illégalement.
56.  A supposer toutefois que la mesure dénoncée puisse s’analyser en une ingérence dans les droits de la requérante au titre de l’article 8 de la Convention, le Gouvernement est convaincu que cette ingérence remplissait les exigences du second paragraphe du même article. Premièrement, elle était « prévue par la loi » : elle avait pour fondement l’article 38 de la loi sur les étrangers, qui était rédigé en des termes suffisamment clairs et prévisibles et qui permettait à la Direction ou à son chef de prendre un arrêté d’expulsion à l’encontre d’un étranger résidant irrégulièrement sur le territoire national.
57.  Deuxièmement, l’ingérence poursuivait au moins deux « buts légitimes », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir la prévention du crime et la protection de l’ordre. Le Gouvernement rappelle que la fonction principale du registre des résidents est d’identifier les personnes qui résident en Lettonie à titre légal et permanent et à l’égard desquels l’Etat peut avoir certaines obligations – par exemple en matière de sécurité sociale. Dans ces circonstances, l’intérêt de l’Etat et de la société est de ne pas permettre à des personnes en situation régulière de jouir des droits et des garanties qui ne leur appartiennent pas. En outre, les objectifs de la mesure critiquée étaient liés aux objectifs globaux que poursuivait la législation sur l’immigration : la protection du territoire national, des citoyens, du système démocratique, etc.
58.  S’agissant enfin de la question de savoir si la mesure litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but visé, le Gouvernement répond par l’affirmative. Selon lui, l’expulsion d’un étranger pour infraction à la législation en matière d’immigration constitue une mesure généralement acceptée dans le droit interne des Etats contractants. De même, dans la présente affaire, l’ingérence en cause a été soumise au contrôle des juridictions de tous les degrés, qui se sont penchées avec attention sur l’arrêté d’expulsion en cause et l’ont déclaré régulier et conforme à la loi. Le Gouvernement souligne que la requérante est de nationalité russe, qu’elle est née en Russie, qu’elle est d’origine ethnique russe, que sa langue maternelle est le russe et qu’elle a un frère qui réside en Russie. Elle a donc des liens suffisamment forts avec ce pays. En revanche, le Gouvernement fait état de ses doutes quant au degré d’intégration de la requérante dans la société lettonne.
59.  Enfin, le Gouvernement rappelle que la requérante n’a pas été éloignée du territoire letton immédiatement après l’entrée en vigueur de l’arrêté d’expulsion, mais qu’un certain délai s’est écoulé avant que le chef de la Direction prît à son encontre une décision d’expulsion forcée. Qui plus est, la mesure dénoncée n’a jamais été exécutée et l’intéressée a continué à vivre en Lettonie et y vit encore à ce jour.
2.  La requérante
60.  La requérante fait valoir que son éloignement du territoire letton constitue indubitablement une ingérence dans sa vie privée et familiale, puisqu’en cas d’exécution de l’arrêté d’expulsion elle serait contrainte de se séparer de son fils, avec lequel elle vit en Lettonie. Elle insiste sur le fait que la Lettonie est son seul pays de résidence depuis plus de trente-cinq ans et que jusqu’à l’an 2000 son lieu de résidence y était régulièrement enregistré. Pour ce qui est de son travail en Russie, au cours des années 1995 et 1996, l’intéressée souligne que ses deux missions professionnelles dans ce pays n’ont duré que cent jours et cent vingt jours respectivement. Par ailleurs, elle soutient que l’obtention de la nationalité russe et l’enregistrement officiel de lieu de résidence en Russie lui étaient indispensables pour éviter d’éventuelles difficultés, dans une région instable proche de la Tchétchénie. En d’autres termes, elle n’a jamais voulu ni quitter la Lettonie ni s’établir en Russie.
61.  Ensuite, la requérante fait part de ses doutes quant à la « légalité » de l’ingérence. En premier lieu, l’article 38 de la loi sur les étrangers doit à son avis être lu en combinaison avec l’article 49 du même texte, établissant la primauté des traités internationaux sur la législation interne. Les autorités lettonnes devaient donc prendre en considération l’article 8 de la Convention, qui garantissait à l’intéressée le droit au respect de sa vie privée et familiale et s’opposait à son expulsion. En deuxième lieu, l’intéressée combat la thèse du Gouvernement d’après laquelle un enregistrement de résidence en Russie aurait automatiquement annulé – ou « invalidé » – celui qu’elle avait sur le territoire letton. Au contraire, son titre de séjour était effectif jusqu’au 9 avril 1998, date à laquelle la Direction annula son inscription sur le registre des résidents et prit un arrêté d’expulsion à son encontre ; dès lors, son séjour en Lettonie avant cette date était parfaitement légal. Enfin, et en troisième lieu, la requérante conteste la prévisibilité des dispositions en cause. Selon elle, il n’est pas si facile de comprendre qui entre et qui n’entre pas dans le champ d’application de la loi sur les non-citoyens ; de nombreux procès judiciaires portant sur cette question précise en témoignent.
62.  Enfin, quant aux prétendues infractions à la législation nationale en matière d’immigration, la requérante reconnaît qu’elle a omis de solliciter en vertu de la loi un permis de séjour permanent. Toutefois, elle estime que ce fait ne saurait servir de fondement à l’annulation de son statut de résidente permanente en Lettonie et à son éloignement du territoire national ; qui plus est, cette omission ne l’empêchait pas de demander un permis de séjour postérieurement à la date limite fixée par la disposition susvisée. A l’appui de cet argument, la requérante fournit copie de deux arrêts du sénat de la Cour suprême, rendus dans deux affaires différentes concernant des ressortissants de l’ex-URSS qui avaient temporairement quitté la Lettonie pour y revenir. Dans les deux affaires, le sénat a constaté que l’intéressé ne perdait pas automatiquement et impérativement son droit de demeurer en Lettonie.
63.  De même, la requérante reconnaît qu’elle avait formé une demande de statut de « non-citoyen résident permanent » en dissimulant sa nationalité russe. A cet égard, elle soutient que, n’étant pas juriste, elle ignorait que seules les personnes dépourvues de toute nationalité pouvaient obtenir ce statut. A supposer même que la dissimulation de l’information eût été commise délibérément, l’intéressée estime que son expulsion est en tout état de cause une mesure manifestement disproportionnée à tout but légitime poursuivi. Elle souligne notamment qu’en droit letton un tel acte constitue une simple contravention administrative, non qualifiée de pénale et passible d’une amende de 100 lati (soit environ 150 euros) ; dès lors, le Gouvernement n’est pas fondé à soutenir que son comportement a été suffisamment dangereux pour justifier son éloignement. Dans ces conditions, la requérante est d’avis que l’ingérence litigieuse ne saurait être considérée comme nécessaire et justifiée dans une société démocratique.
B.  Appréciation de la Cour
1.   Sur l’existence d’une ingérence
64.  La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne garantit pas, en tant que tel, le droit d’entrer ou de résider dans un Etat dont on n’est pas ressortissant, et que les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d’un principe de droit international bien établi, l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, El Boujaïdi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1992, § 39, Baghli c. France, no 34374/97, § 45, CEDH 1999-VIII, et Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 39, CEDH 2001-IX).
65.  D’autre part, les décisions prises par les Etats en matière d’immigration peuvent, dans certains cas, constituer une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 § 1 de la Convention, notamment lorsque les intéressés possèdent, dans l’Etat d’accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui risquent d’être gravement affectés en cas d’application d’une mesure d’éloignement. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou plusieurs buts légitimes au regard du second paragraphe dudit article et apparaît « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (voir, par exemple, Moustaquim c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, série A no 193, p. 18, § 36 ; Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 91, § 52, et Amrollahi c. Danemark, no 56811/00, § 33, 11 juillet 2002).
66.  Dans la présente affaire, la Cour constate que la requérante est arrivée en Lettonie en 1970, c’est-à-dire à l’âge de vingt-deux ans. Il ressort des pièces du dossier que, depuis 1970, elle a toujours vécu sur le territoire letton, et que ses missions professionnelles au cours des années 1995 et 1996 ont été ses sorties les plus longues. Qui plus est, elle a vécu mariée pendant sept ans en Lettonie, où elle a donné naissance à son fils. De fait, il ne prête pas à controverse qu’au cours de son séjour sur le territoire letton elle a noué et développé des relations personnelles, sociales et économiques qui sont constitutives de la vie privée de tout être humain. Force est à la Cour de conclure que la mesure d’éloignement hors de Lettonie imposée à la requérante a représenté une ingérence dans sa « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 96, CEDH 2003-X).
67.  En revanche, la Cour estime que la requérante ne peut pas invoquer l’existence d’une « vie familiale » au regard de son fils majeur. En effet, il est de jurisprudence constante que les rapports entre les enfants adultes et leurs parents, qui ne font pas partie du noyau familial, ne bénéficient pas nécessairement de la protection de l’article 8 si l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, n’est pas démontrée (voir notamment Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas (déc.), no 31519/96, 7 novembre 2000). Or, dans la présente affaire, la Cour a déjà conclu à l’absence de lien spécifique de ce type entre la requérante et son fils (voir Chevanova et Ševanovs c. Lettonie (déc.), no 58822/00, 15 février 2001). Toutefois, la Cour prendra en considération les relations entre l’intéressée et son fils majeur sous le volet de la vie « privée » (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Slivenko, précité, § 97, ainsi que Kolosovskiy c. Lettonie (déc.), no 50183/99, 29 janvier 2004, et Ivanov c. Lettonie (déc.), no 55933/00, 25 mars 2004).
68.  Enfin, la Cour relève que l’arrêté d’expulsion notifié à la requérante le 11 juin 1998 n’a jamais été exécuté. Elle note de surcroît que l’article 360 § 4 de la loi sur la procédure administrative rend impossible la mise en œuvre d’un acte administratif si plus de trois ans se sont écoulés depuis qu’il est devenu exécutoire (paragraphe 37 ci-dessus). Dès lors, l’intéressée ne court plus aucun risque réel d’éloignement du territoire letton. Qui plus est, par son décret no 75 du 2 février 2005, le conseil des ministres a chargé le ministre de l’Intérieur de délivrer à la requérante un permis de séjour permanent « après réception des documents nécessaires pour [le] solliciter ». La Cour observe que cette solution permettrait à l’intéressée de rester en Lettonie de façon légale et permanente et, dès lors, de mener une vie sociale normale et d’entretenir des relations normales avec son fils ainsi que, éventuellement, les autres personnes de son entourage. La requérante pourrait donc exercer librement son droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est compris par la jurisprudence de la Cour.
69.  La Cour rappelle cependant qu’au même titre que toute autre disposition de la Convention ou de ses Protocoles, l’article 8 doit s’interpréter de façon à garantir des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33, et Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 34, § 87). En outre, si l’article 8, consacré au droit au respect de la vie privée et familiale, tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’Etat à s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale (voir, par exemple, Gül c. Suisse, arrêt du 19 février 1996, Recueil 1996-I, pp. 174-175, § 38 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I, et Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 45, 2003-IV). En d’autres termes, il ne suffit pas que l’Etat d’accueil s’abstienne d’expulser l’intéressé ; encore faut-il qu’il lui assure, en prenant au besoin des mesures positives, la possibilité d’exercer sans entrave les droits en question. Or, comme la Cour vient de le relever, toutes les mesures prises par le Gouvernement n’ont pas effacé la longue période de précarité et d’incertitude vécue par la requérante en Lettonie.
70.  En résumé, le fait que l’intéressée n’ait pas été expulsée de Lettonie et qu’elle puisse maintenant y régulariser son séjour n’est pas de nature à infléchir le raisonnement de la Cour quant à l’existence d’une ingérence dans la vie privée de la requérante.
2.  Sur la justification de l’ingérence
71.  Il reste à déterminer si l’ingérence que la Cour vient de constater est conforme au second paragraphe de l’article 8 de la Convention, c’est-à-dire si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou des buts légitimes qui sont énumérés dans cette disposition et était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le ou les buts en question.
72.  S’agissant tout d’abord de la légalité de l’ingérence, la Cour rappelle que les mots « prévue par la loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, signifient en premier lieu que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne. Cependant, l’existence d’une base légale ne suffit pas : il faut également que la loi en cause soit accessible à la personne concernée et soit formulée avec suffisamment de précision pour lui permettre – en s’entourant, au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Une loi qui confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire. Le niveau de précision requis dépend toutefois du domaine considéré ; lorsqu’il s’agit des droits garantis par l’article 8 de la Convention, la loi doit user de termes clairs pour indiquer à tous en quelles circonstances et sous quelles conditions la puissance publique est habilitée à opérer des atteintes à ces droits (voir, parmi beaucoup d’autres, Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 135, 28 novembre 2002).
73.  En l’espèce, la Cour constate que l’autorité nationale compétente a fait application de l’article 38 de la loi sur les étrangers telle qu’en vigueur à l’époque des faits, qui permettait au chef de la Direction de prendre un arrêté d’expulsion à l’encontre d’un étranger se trouvant sur le territoire letton sans visa ou permis de séjour valable. Quant à l’article 35 de la même loi, il excluait du bénéfice d’un permis de séjour les personnes qui avaient été expulsées hors de Lettonie au cours des cinq dernières années ou qui avaient sciemment fourni de fausses informations afin d’obtenir un tel permis. A la lumière des principes énoncés ci-dessus, la Cour estime que ces dispositions étaient libellées suffisamment clairement pour que toute personne concernée pût prévoir, à un degré raisonnable de certitude, les conséquences juridiques pouvant résulter du comportement visé par ces articles (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, arrêt du 22 juin 1989, série A no 156, p. 24, § 59, et Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995, série A no 323, p. 25, § 48). Il en est de même de l’article 1 § 1 de la loi sur les non-citoyens, dont il ressort très clairement que l’applicabilité du texte en question est réservée aux seules personnes « n’[ayant] pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat ». L’ingérence était donc « prévue par la loi ».
74.  De même, la Cour estime que le droit de contrôler l’entrée et le séjour des non-nationaux sur son territoire suppose, pour l’Etat, la possibilité d’appliquer des sanctions dissuasives contre les personnes ayant enfreint la législation en matière d’immigration. En conséquence, la mesure d’éloignement qui visait la requérante poursuivait au moins un des buts invoqués par le Gouvernement, à savoir la défense de l’ordre.
75.  Reste à savoir si la mesure critiquée était « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, la Cour constate que la radiation de la requérante du registre des résidents et l’arrêté d’expulsion pris à son encontre étaient motivés par le comportement malhonnête de l’intéressée : alors qu’elle avait retrouvé son passeport soviétique, perdu huit ans auparavant et remplacé par une nouvelle pièce d’identité, la requérante avait omis de le remettre aux autorités compétentes. En possession de ses deux passeports, elle avait effectué un certain nombre de démarches frauduleuses, faisant apposer un faux cachet sur le premier passeport formellement invalidé et utilisant ce document pour obtenir un enregistrement du lieu de résidence en Russie ainsi que la nationalité russe. De même, elle avait dissimulé cette nationalité dans ses échanges avec l’autorité chargée des questions d’immigration, lui faisant croire que sa situation légale était inchangée. La Cour observe notamment qu’en tant que citoyenne russe, la requérante aurait pu régulariser son séjour en Lettonie en sollicitant un permis de séjour en vertu de l’article 23-1 de la loi sur les étrangers, ce qu’elle n’a pas fait. Au contraire, au lieu de suivre cette voie légale, elle a préféré adopter une conduite frauduleuse, dont elle admet elle-même l’illégalité.
76.  Comme la Cour l’a dit ci-dessus, le droit souverain de l’Etat de contrôler l’entrée et le séjour des non-nationaux sur son territoire implique nécessairement la possibilité d’appliquer des sanctions dissuasives contre ceux qui transgressent les dispositions applicables en la matière ; sinon, cette prérogative ne serait qu’illusoire. Parmi ces sanctions, l’éloignement de l’intéressé semble être la mesure la plus logique, vu le caractère spécifique des droits en cause. En effet, dans beaucoup de cas, infliger au contrevenant une peine de prison ou une amende et ne pas l’expulser équivaudrait à dire que l’emprisonnement ou l’amende libère la personne de l’obligation de se conformer à la loi. Cependant, même dans une telle situation, l’éloignement de l’intéressé peut s’avérer disproportionné au regard de l’article 8 § 2 de la Convention, notamment lorsque l’individu concerné a, sur le territoire national, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts.
77.  La Cour rappelle que la plupart des requêtes similaires qu’elle a jusqu’à présent examinées sous l’angle de l’article 8 de la Convention concernaient des cas où l’étranger expulsé ou en voie d’expulsion avait commis des crimes ou des délits graves (voir, parmi d’autres, les arrêts Moustaquim, El Boujaïdi, Dalia et Baghli, précités, ainsi que Beldjoudi c. France, arrêt du 26 mars 1992, série A no 234-A ; Nasri c. France, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 320-B ; Boughanemi c. France, arrêt du 24 avril 1996, Recueil 1996-II ; Bouchelkia c. France, arrêt du 29 janvier 1997, Recueil 1997-I ; Mehemi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI ; Boujlifa c. France, arrêt du 21 octobre 1997, Recueil 1997-VI, et Ezzouhdi c. France, no 47160/99, 13 février 2001). Dans une partie de ces affaires, la Cour a constaté une violation de l’article 8 de la Convention nonobstant la gravité des condamnations pénales prononcées contre les intéressés. En l’espèce en revanche, les faits imputés à la requérante ne constituaient pas une infraction pénale au sens strict du terme, mais une simple contravention administrative passible d’une amende relativement modérée qui, de surcroît, ne lui a jamais été infligée.
78.  En résumé, et après avoir mis en balance, d’un côté, la gravité du comportement reproché à l’intéressée et, de l’autre côté, celle de la mesure appliquée à son égard, la Cour conclut que les autorités lettonnes ont outrepassé la marge d’appréciation dont jouissent les Etats contractants dans le domaine en question, et qu’elles n’ont pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le but légitime que constitue la défense de l’ordre et, d’autre part, l’intérêt de la requérante à voir protéger son droit au respect de la vie privée. La Cour ne saurait donc conclure que l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique ».
Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
79.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage matériel
80.  La requérante soutient qu’à cause de sa détention « en février et en mars 2001 », elle n’a pu percevoir la totalité de son salaire ; pendant ces deux mois, elle n’a touché que 32 lati (LVL), alors qu’en 2002 son salaire mensuel moyen était de 129,28 LVL. En conséquence, elle estime que le Gouvernement devrait lui verser un montant correspondant à la différence entre la première somme et le double de la seconde, soit 226,56 LVL. Ensuite, pendant la période comprise entre le 27 février et le 5 mars 2001, l’intéressée a fait l’objet d’une hospitalisation, qui lui a coûté 10,30 LVL. Enfin, pour les médicaments qu’elle a dû acheter pendant quinze mois, elle a déboursé environ 20 LVL par mois, soit au total 300 LVL (elle n’a toutefois fourni aucune pièce justifiant ce dernier montant). Ainsi, la somme globale qu’elle demande au titre du dommage matériel s’élève à 536,86 LVL (soit environ 812 euros (EUR)).
81.  Le Gouvernement conteste l’existence d’un lien de causalité entre la violation alléguée et les montants réclamés par la requérante. En premier lieu, il conteste la réalité de la perte partielle de son salaire par l’intéressée : en effet, celle-ci a quitté le centre de détention des immigrés illégaux le 28 février 2001, puis a été hospitalisée jusqu’au 5 mars 2001. Cependant, elle a pu travailler après cette dernière date, et la prétendue perte de son salaire du mois de mars ne peut en aucun cas être liée à la procédure d’expulsion diligentée contre elle. Il en est de même pour les deux autres montants. Se référant au dossier médical de la requérante, le Gouvernement fait valoir que ses problèmes cardiaques se sont certes aggravés à cette époque, mais qu’ils existaient déjà auparavant. Enfin, pour ce qui est du prétendu achat de médicaments, le Gouvernement souligne l’absence de justificatifs susceptibles de démontrer la réalité de cet achat, d’indiquer pendant quelle période l’intéressée a dû prendre ces remèdes, etc.
82.  La Cour estime que la requérante n’a pas démontré, à un niveau suffisant de certitude, l’existence d’un lien de causalité direct entre le préjudice matériel allégué et la violation constatée (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 40, CEDH 1999-I, et Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 73, CEDH 1999-II). Partant, elle rejette les prétentions formulées à ce titre.
B.  Dommage moral
83.  La requérante réclame 10 000 LVL (soit environ 15 000 EUR) à titre de réparation pour l’angoisse qu’elle a subie pendant près de quatre ans, notamment à cause du risque d’expulsion qui a pesé sur elle pendant toute cette période. Son arrestation et sa détention, en février 2001, ont encore aggravé son état psychique ; qui plus est, cette détention a gravement enfreint l’article 5 de la Convention. Certificat médical à l’appui, l’intéressée affirme que son état de santé s’est détérioré à cause du traumatisme psychique qu’elle a subi lors de son internement.
84.  Le Gouvernement juge excessive la somme sollicitée par la requérante. En premier lieu, il rappelle que la requête ne concerne que la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, l’article 5 n’étant invoqué pour la première fois que dans la demande de satisfaction équitable présentée par l’intéressée. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que l’anxiété éprouvée par la requérante résultait de son propre comportement, et non des mesures adoptées en l’espèce par les autorités lettonnes. En troisième lieu, le Gouvernement rappelle que l’arrêté d’expulsion pris contre Mme Chevanova n’a jamais été exécuté, que celle-ci réside toujours en Lettonie et qu’elle peut à tout moment obtenir la régularisation de son séjour, comme cela lui a été indiqué. Dans ces circonstances, le Gouvernement estime qu’un constat de violation constituerait en soi une réparation suffisante pour tout préjudice moral éventuellement subi par la requérante ; à l’appui de cette thèse, il cite plusieurs arrêts de la Cour et plusieurs décisions des juridictions lettonnes.
85.  La Cour estime que l’intéressée a subi un certain préjudice moral du fait de son statut irrégulier sur le territoire letton, qui a donné lieu au constat d’une violation dans son chef de l’article 8 de la Convention. Statuant en équité comme le veut l’article 41 précité, la Cour lui alloue 5 000 EUR à ce titre.
C.  Frais et dépens
86.  Au titre des frais et dépens, la requérante réclame une somme de 1 525,45 LVL (soit environ 2 300 EUR), dont :
a)  1 420 LVL pour les travaux d’une organisation non gouvernementale, « Latvijas Cilvēktiesību komiteja » (Comité letton des droits de l’homme) ; cette somme, indiquée dans une facture globale émise le 26 avril 2002, se décompose ainsi :
– 350 LVL pour la rédaction de plaintes et de requêtes devant les autorités administratives lettonnes (70 heures de travail, à raison de 5 LVL par heure) ;
– 250 LVL pour la représentation de la requérante devant les juridictions et les autres autorités lettonnes (10 heures de travail, à raison de 25 LVL par heure) ;
– 300 LVL pour la préparation de la requête (60 heures de travail, à raison de 5 LVL par heure) et 60 LVL pour la traduction des décisions des pièces du dossier destinées à y être jointes ;
– 250 LVL pour la correspondance avec le greffe de la Cour après l’enregistrement de la requête (50 heures de travail, à raison de 5 LVL par heure) ;
– 210 LVL pour les frais de bureau (téléphone, télécopie, Internet, etc.) :
b)  150,45 LVL pour les autres dépenses (frais de justice engagés par la requérante dans le cadre du second procès en annulation de l’arrêté d’expulsion (paragraphe 25 ci-dessus) ; traduction en russe de la décision partielle de la Cour sur la recevabilité de la requête, etc.).
87.  Le Gouvernement conteste les sommes indiquées par l’intéressée. En particulier, il estime que celle-ci n’est pas fondée à demander le remboursement des frais encourus dans la seconde procédure devant les tribunaux lettons, le but effectif de cette procédure étant la mise en cause d’une décision passée en force de chose jugée ; il s’agit donc d’une procédure extraordinaire n’entrant pas en ligne de compte aux fins de l’épuisement des voies de recours internes. De même, le Gouvernement rappelle que, dans sa décision partielle du 15 février 2001, la Cour n’a retenu qu’un seul des griefs de la requérante – celui tiré de l’article 8 de la Convention – et a rejeté les autres. Aux yeux du Gouvernement, cet élément est à prendre en considération dans la fixation du montant à rembourser en application de l’article 41 de la Convention.
88.  La Cour rappelle que, pour être remboursés, les frais doivent se rapporter à la violation ou aux violations constatées et être d’un montant raisonnable. De plus, l’article 60 § 2 du règlement prévoit que les prétentions soumises au titre de l’article 41 de la Convention doivent être chiffrées et ventilées par rubrique et être accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (voir, par exemple, Lavents, précité, § 154). Par ailleurs, la Cour peut accorder à la partie lésée le paiement non seulement des frais et dépens encourus devant elle, mais aussi de ceux qui ont été engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger une violation constatée par la Cour (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 86, CEDH 2000-V).
89.  La Cour constate une certaine confusion quant aux pièces justifiant l’assistance juridique fournie à la requérante. Elle relève d’emblée qu’aucune pièce du dossier ne fait apparaître la participation de l’association « Latvijas Cilvēktiesību komiteja » à la procédure devant elle. Toutefois, il ressort du libellé de certains documents, notamment d’un contrat de représentation juridique datant du 6 juin 2000, que la représentation de l’intéressée a été assurée par M. G. Kotovs, qui œuvre au sein de ladite association. Quant aux dépenses concrètes indiquées dans la facture du 26 avril 2002, la Cour note qu’elles sont désignées de manière très générale et ne précisent pas le coût de chaque service juridique pris individuellement. En tout état de cause, la somme réclamée par la requérante – 2 300 EUR – est quelque peu excessive, eu égard à la nature et à la complexité juridique de l’affaire. Dans ces conditions, la Cour, statuant en équité, juge raisonnable d’octroyer à l’intéressée la somme de 1 000 EUR, tous frais confondus. Cette somme est à compléter par tout montant éventuellement dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (Lavents, précité, loc.cit.).
D.  Intérêts moratoires
90.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, par six voix contre une, l’exception du Gouvernement ;
2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3.  Dit, à l’unanimité,
a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en lati lettons au taux applicable à la date du versement :
i.  5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;
ii.  1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juin 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion en partie concordante de M. Spielmann ;
–  opinion dissidente de Mme Briede.
C.L.R.  S.N. 
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE  DE M. LE JUGE SPIELMANN
1.  Je partage l’opinion de la majorité concernant la violation de l’article 8 de la Convention sous le volet « vie privée ». Cependant, je ne partage pas l’avis de la majorité selon lequel la requérante ne peut invoquer l’existence d’une « vie familiale » entre elle-même et son fils majeur, les rapports entre les enfants adultes et leurs parents, qui ne font pas partie du noyau familial, ne bénéficiant pas nécessairement de la protection de l’article 8 si l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, n’est pas démontrée (paragraphe 67 de l’arrêt).
2.  Il est vrai que cette conception très restrictive de la notion de vie familiale correspond – dans le domaine spécifique de l’entrée, du séjour et de l’éloignement des non-nationaux – à la jurisprudence Slivenko (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 97, CEDH 2003-X). A cela s’ajoute, et j’en suis tout à fait conscient, que dans la présente affaire, la Cour a conclu, dans sa décision partielle sur la recevabilité du 15 février 2001, à l’absence d’un lien allant au-delà d’un lien affectif normal entre la requérante et son fils, en s’exprimant comme suit :
« Dans le cas d’espèce, la Cour constate qu’au moment de la notification de l’arrêté d’expulsion à sa mère, le deuxième requérant était âgé de vingt-cinq ans et qu’il n’a fait état d’aucun lien spécifique de dépendance, financière ou autre, entre sa mère et lui-même. Il se peut que, du fait de leur cohabitation continue, le deuxième requérant préférerait maintenir des relations affectives avec sa mère à ses côtés en Lettonie. Toutefois, ainsi qu’il se dégage des principes consacrés par la jurisprudence de la Cour, l’article 8 ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale (voir, mutatis mutandis, arrêt Ahmut c. Pays-Bas du 28 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-VI, § 71). En l’espèce, le deuxième requérant ne fait état d’aucun obstacle qui l’empêcherait de rendre visite à sa mère en Russie ou de la recevoir en Lettonie sous couvert d’un visa et la Cour n’estime pas que le séjour de la première requérante sur le territoire letton constituerait, pour son fils, le seul moyen de développer une vie familiale avec elle.
Dans ces circonstances, et pour autant que ce grief est soulevé par le deuxième requérant, il doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. »
3.  Cela étant, et tout en ayant à l’esprit l’arrêt Slivenko du 9 octobre 2003, que je me dois de respecter, je ne peux, en toute conscience, que marquer mon désaccord avec cette approche trop restrictive de la notion de vie familiale.
4.  Traditionnellement, la Cour – d’ailleurs dans des domaines très variés –, a donné une interprétation large à la notion de « vie familiale ». Déjà dans l’affaire Marckx, elle avait souligné que « la « vie familiale » au sens de l’article 8 englobe pour le moins les rapports entre proches parents,  
lesquels peuvent y jouer un rôle considérable, par exemple entre grands-parents et petits-enfants », pour conclure : « Le « respect » de la vie familiale ainsi entendue implique, pour l’Etat, l’obligation d’agir de manière à permettre le développement normal de ces rapports » (Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, p. 21, § 45 ; voir aussi Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 221, CEDH 2000-VIII).
5.  A titre d’exemple, je citerai l’arrêt L. du 1er juin 2004, où la Cour a admis que la vie familiale peut également exister entre un enfant et un parent n’ayant jamais vécu ensemble si d’autres facteurs peuvent servir à démontrer qu’une telle relation a suffisamment de constance pour créer des liens familiaux de facto (L. c. Pays-Bas, no 45582/99, § 36, CEDH 2004-IV)1. La Cour est même allée jusqu’à qualifier de « vie familiale » des relations de facto, en dehors de tout lien de parenté (X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrêt du 22 avril 1997, Recueil 1997-II, pp. 629-630, §§ 36-37)2. Ce qui est essentiel, c’est l’existence d’« éléments juridiques ou factuels indiquant l’existence d’une relation personnelle étroite » (L., arrêt précité, § 37).
6.  En l’espèce, le gouvernement défendeur, dans le contexte d’une éventuelle régularisation du séjour de la requérante, a affirmé, pour ce qui est de l’attestation de revenus légaux, qu’une garantie écrite du fils de la requérante suffirait (paragraphe 41 de l’arrêt) en admettant ainsi, au moins implicitement, l’hypothèse d’une dépendance de la mère à l’égard de son fils. La Cour, dans sa décision partielle sur la recevabilité du 15 février 2001, a retenu que le fils de la requérante n’a fait état d’aucun lien de dépendance à l’égard de sa mère. La Cour a encore ajouté qu’elle n’estime pas que le séjour de la requérante sur le territoire letton constituerait, pour son fils, le seul moyen de développer une vie familiale avec elle. Tout en admettant qu’il « se peut que le deuxième requérant préférerait maintenir des relations affectives avec sa mère à ses côtés en Lettonie », la Cour, sur le fondement de l’ensemble de ces éléments factuels, a refusé de reconnaître l’existence d’une « vie familiale ».
7.  Je ne partage pas ce point de vue.
8.  Privilégier le critère du lien de dépendance au détriment du critère des liens affectifs normaux me semble, pour déterminer l’existence d’une « vie familiale », très artificiel. Il me paraît inconcevable d’accorder si peu de poids aux relations affectives existant entre une mère et son fils en écartant de telles relations de l’orbite de la « vie familiale ».
9.  Une telle jurisprudence, qui certes semble se limiter au domaine des expulsions, appauvrit singulièrement la notion de « vie familiale ». 
OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE BRIEDE
1.  Je regrette de ne pas pouvoir souscrire aux conclusions et au raisonnement de la majorité dans cette affaire. Pour ma part, je suis absolument persuadée que, vu les mesures de régularisation prises par les autorités lettonnes en 2005, la requérante ne peut plus se prétendre « victime » de la violation alléguée de l’article 8 de la Convention. J’exposerai ci-dessous les raisons qui m’amènent à cette conclusion.
2.  Je souhaiterais tout d’abord faire deux remarques liminaires. En premier lieu, j’estime que cette affaire, telle qu’elle se présente au moment de l’adoption de cet arrêt, est très similaire à l’affaire Syssoyeva et autres c. Lettonie (no 60654/00, arrêt du 16 juin 2005), dans laquelle Mme la juge Vajić et moi-même avons exprimé une opinion dissidente commune. Je me permettrai dès lors de me référer à cette opinion, tout en y ajoutant quelques réflexions.
3.  En second lieu, bien que dans la présent affaire – qui se distingue en cela de l’affaire Syssoyeva – cette question ne semble pas se situer au cœur du problème, je voudrais néanmoins rappeler que l’article 8 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour. Lorsque la législation interne en prévoit plusieurs, la Cour doit analyser les conséquences de droit et de fait découlant d’un titre de séjour donné. S’il permet à l’intéressé de résider sur le territoire de l’Etat d’accueil et d’y exercer librement les droits garantis par l’article 8 § 1 de la Convention, l’octroi d’un tel titre de séjour constitue en principe une mesure suffisante pour que les exigences de cette disposition soient remplies (voir, mutatis mutandis, Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 55, CEDH 2003-IV). En pareil cas, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur l’opportunité d’accorder à l’étranger concerné tel statut juridique plutôt que tel autre, ce choix relevant de l’appréciation souveraine des autorités nationales.
4.  Dès lors, je voudrais passer directement au problème principal en jeu dans la présente affaire, à savoir la définition du statut de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention. Certes, en rejetant l’exception préliminaire du Gouvernement, la majorité n’a fait que suivre une voie jurisprudentielle bien établie ; toutefois, à mon sens, cette voie est erronée.
5.  Ainsi, aux paragraphes 43-44 de l’arrêt, la majorité déclare :
« 43.  (...) Par ailleurs, sur le terrain de l’article 34, la Cour a toujours jugé qu’en règle générale une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (...).
44.  Lorsque l’intéressé se plaint en particulier de son expulsion ou de son statut irrégulier sur le territoire national, les mesures adéquates minimales à cet effet sont, premièrement, l’annulation de la mesure d’éloignement, et, deuxièmement, la  
délivrance ou la reconnaissance d’un titre de séjour (...). Toutefois, dans chaque affaire, il faut encore déterminer si ces mesures sont suffisantes pour remédier complètement au grief en question. »
6.  En outre, dans sa récente décision dans l’affaire Fjodorova et autres c. Lettonie (no 69405/01, 6 avril 2006), la Cour a dit :
« La Cour rappelle que ne peut pas se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, celui qui, au plan national, a obtenu un redressement adéquat des violations alléguées de la Convention (...). Cette règle vaut même si l’intéressé obtient satisfaction alors que la procédure est déjà engagée devant la Cour ; ainsi le veut le caractère subsidiaire du système des garanties de la Convention. (...) En règle générale, dans la mesure où l’intéressé se plaint de son expulsion et, en conséquence, de son statut irrégulier sur le territoire national, l’annulation de la mesure d’éloignement et la délivrance d’un titre de séjour sont suffisants pour qu’il ne puisse plus se prétendre « victime » (...). »
7.  L’approche habituelle de la Cour peut donc être résumée ainsi :
1)  en règle générale, pour que le requérant perde son statut de « victime », le Gouvernement doit remplir deux conditions cumulatives : a)  reconnaître l’existence d’une violation de la Convention et b) la réparer ;
2)  dans des cas particuliers, le redressement effectif du grief suffit pour que le requérant ne puisse plus se prétendre « victime ». Les affaires d’expulsion et d’extradition constitueraient ainsi une catégorie particulière, dans laquelle la régularisation du séjour de l’intéressé serait en principe suffisante, sans que le gouvernement défendeur eût encore à « reconnaître » l’existence d’une violation.
8.  Laissant de côté le caractère peu cohérent de cette approche (comme on le voit bien dans la décision Fjodorova, la première de ces conditions n’est pas toujours mentionnée, de sorte qu’il n’est pas aisé de voir où et quand la reconnaissance s’impose vraiment), je voudrais toutefois en rappeler la genèse. La règle citée ci-dessus est apparue pour la première fois dans l’affaire Eckle c. Allemagne (arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, pp. 30-31, § 66-67) :
« 66.  (...) [L]’atténuation d’une peine et l’arrêt de poursuites, décidés en raison de la durée excessive d’une procédure, ne privent pas en principe l’intéressé de la qualité de victime (...) ; il ne faut les prendre en considération que pour apprécier l’étendue du dommage prétendument subi par lui (...).
La Cour n’exclut pas que cette règle générale puisse souffrir une exception lorsque les autorités nationales ont reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention (...). Dans une telle hypothèse, doubler la procédure interne d’une instance devant la Commission et la Cour paraît peu compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention. (...) »
67.  (...) Dès lors, il y a lieu de rechercher si, comme le prétend le Gouvernement, les juridictions allemandes ont constaté une violation de l’article 6 § 1 et, dans l’affirmative, si elles y ont remédié. »
9.  Je tiens à rappeler que, dans l’affaire Eckle, le requérant dénonçait la durée d’une procédure pénale diligentée à son encontre. Cependant, la formule précitée – « d’abord reconnaître, puis réparer » – parut si effective que la Cour commença à l’utiliser dans toutes sortes d’affaires examinées par elle. Par exemple : détention d’une personne en vue de son éloignement du territoire (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, § 36 ; liberté d’expression (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI) ; droit à un procès équitable devant le Conseil d’Etat (Chevrol c. France, no 49636/99, § 36, CEDH 2003-III) ; droit au respect des biens (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII) ; droits électoraux (Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 69, CEDH 2006-...), etc.
10.  Je ne conteste pas que, dans certaines affaires, l’application de cette formule était justifiée. Ce qui m’inquiète, c’est le fait que, à cause d’un recours excessif à ce principe, la Cour a fini par oublier son caractère d’exception. En d’autres termes, elle a peu à peu érigé en règle générale ce qui ne devait pas l’être, tout en ramenant le principe général à une exception.
11.  Rappelons-nous que dans l’affaire Eckle, la Cour était confrontée à une situation exceptionnelle : le requérant se plaignait de la durée de deux procédures pénales, qui s’étaient étendues sur des périodes d’environ dix-sept ans et dix ans respectivement (voir l’arrêt précité, § 79). Or, comme la Cour l’a fait remarquer tout au début de son raisonnement, « [p]areil laps de temps est certes exorbitant et devra, en règle générale, être regardé comme dépassant le « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 » (ibidem, § 80) ; il s’agissait donc d’une affaire où un constat de violation s’imposait a priori. Il existe certainement beaucoup d’autres affaires de ce type – concernant, par exemple, des allégations de torture ou de mauvais traitements – dans lesquelles l’existence d’une violation grave de la Convention est plus ou moins évidente dès le début (voir, parmi bien d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, CEDH 1999-V). Dans de tels cas, il n’est pas déraisonnable de dire que, vu la gravité et la nature des violations alléguées, le Gouvernement doit d’abord reconnaître qu’il y a eu violation des droits fondamentaux de la personne. Toutefois, je voudrais insister sur le fait que les affaires de cette catégorie restent minoritaires et exceptionnelles ; la présente affaire n’en relève certainement pas.
12.  Certes, on pourrait me rétorquer que la Cour est parvenue au raisonnement litigieux par la voie d’une interprétation dynamique et évolutive de la Convention. Toutefois, à mon sens, aussi dynamique soit-elle, l’interprétation des normes juridiques ne doit pas aboutir à un résultat absurde ou illogique ; or, c’est exactement à une impasse logique que nous mène la formule en cause. On sait bien que le statut de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention (locus standi), est fort distinct de la question de savoir s’il y a ou non violation des droits au titre de cette dernière. Puisqu’il en est ainsi, comment la Cour peut-elle exiger de l’Etat qu’il reconnaisse l’existence d’une violation de la Convention lorsqu’elle n’en est pas encore sûre elle-même ?
13.  A mon avis, la présente affaire aurait pu être une excellente occasion de remettre les choses en ordre ; malheureusement, la majorité ne l’a pas saisie. Quoi qu’il en soit, je reste convaincue qu’en règle générale, en mettant effectivement fin à la situation faisant grief et en offrant un redressement adéquat, les autorités nationales enlèvent au requérant son statut de victime. Ce n’est que dans des cas exceptionnels (dont la présente affaire ne relève pas) que la gravité et l’évidence de l’atteinte alléguée exigent de l’Etat qu’il reconnaisse d’abord une violation.
14.  Pour finir, je voudrais exprimer mon désaccord au sujet du paragraphe 47 (et également du paragraphe 48) de l’arrêt. Pour rejeter l’exception du Gouvernement, la majorité s’est référée à la décision rendue dans l’affaire Aristimuño Mendizabal c. France (no 51431/99, 21 juin 2005 ; voir également l’arrêt du 17 janvier 2006). Or, à mon avis, l’affaire Aristimuño Mendizabal est fondamentalement différente de l’espèce : Mme Aristimuño Mendizabal dénonçait la situation d’incertitude engendrée par le fait que, malgré l’existence des dispositions du droit communautaire qui lui reconnaissaient le droit de résider en France à titre permanent, elle avait dû obtenir une régularisation temporaire de son séjour tous les trois mois, et ce, pendant quatorze ans. Dès lors, je ne vois aucune similitude, même lointaine, avec la situation de Mme Chevanova, et je ne crois pas que l’affaire précitée puisse en l’occurrence servir de précédent.
15.  Eu égard à ce qui précède, contrairement à la majorité, j’aurais jugé que, vu les mesures de régularisation proposées à la requérante, celle-ci ne pouvait plus se prétendre « victime » d’une violation de l’article 8 de la Convention. Pour cette raison, j’aurais conclu que le litige à l’origine de la présente requête avait été résolu et que l’affaire devait être rayée du rôle en vertu de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Cette solution aurait aussi été juste du point de vue de la requérante, car en rayant sa requête du rôle nous aurions pu lui accorder le remboursement des frais et dépens, en application de l’article 44 § 3 du règlement (Pisano c. Italie [GC] (radiation), no 36732/97, §§ 51-56, 24 octobre 2002). C’est pour cette raison que j’ai voté avec la majorité au sujet de la satisfaction équitable, en précisant toutefois que mon accord ne concerne que les mille euros que la Cour vient d’accorder au titre des frais et dépens.
1 Voir également les développements de F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, 3ème éd., Paris, PUF, Coll. Thémis Droit, 2003, p. 474.
2 Voir également les développements de F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, 7ème éd., Paris, PUF, Coll. Droit fondamental, 2005, p. 429.
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE 
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE 
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE – OPINION EN PARTIE CONCORDANTE
DE M. LE JUGE SPIELMANN
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE – OPINION DISSIDENTE
DE Mme LA JUGE BRIEDE
ARRÊT CHEVANOVA c. LETTONIE– OPINION DISSIDENTE 
DE Mme LA JUGE BRIEDE


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 58822/00
Date de la décision : 15/06/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (victime) ; Violation de l'art. 8 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédures nationale et de la Convention

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) DEFENSE DE L'ORDRE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PREVISIBILITE


Parties
Demandeurs : CHEVANOVA
Défendeurs : LETTONIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-06-15;58822.00 ?

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