EN FAIT
Les sœurs requérantes, Z. et T., nées au Pakistan en 1973 et en 1965 respectivement, sont des citoyennes pakistanaises qui résident actuellement à Hull. Elles sont représentées devant la Cour par Me D. Foster, solicitor à Guildford.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.
Les requérantes sont chrétiennes. Leurs parents, M. et Mme M., étaient actifs dans la communauté chrétienne de Bahawalpur et M. M. fut pasteur méthodiste pendant trente-huit ans. En 1990, T., la seconde requérante, épousa son cousin, également chrétien et enfant de pasteur. Elle partit vivre à Peshawar et à partir de 1999 enseigna dans cette même ville, au couvent de la Présentation. En 1997, Z., la première requérante, épousa elle aussi un chrétien et s'installa à Sukkur.
Le 28 octobre 2001, donc après les attentats ayant frappé les Etats-Unis le 11 septembre 2001, l'église méthodiste de Bahawalpur fut l'objet d'une attaque. Des tirs de mitrailleuse à l'intérieur de l'édifice blessèrent ou tuèrent de nombreux fidèles. L'un des policiers qui étaient de faction à l'église trouva la mort. Mme M. fit partie des personnes grièvement blessées. M. et Mme M., ainsi que leur fils, le docteur H., s'enfuirent au Royaume-Uni, Mme M. ayant besoin de soins médicaux. I., le fils de M. et Mme M., se trouvait déjà dans ce pays. Tous obtinrent le droit d'asile. A., la sœur des requérantes, se vit elle aussi accorder le droit d'asile à la date du 3 septembre 2004.
Le 28 avril 2004, la première requérante se rendit au Royaume-Uni avec ses enfants munie d'un visa de visiteur, afin de voir sa mère, qui demeurait souffrante.
Le 17 mai 2004, Mme M. décéda.
Le 27 mai 2004, la seconde requérante se rendit au Royaume-Uni avec ses proches pour assister aux obsèques.
La première requérante
Le 29 avril 2004, soit le lendemain de son arrivée, la première requérante demanda l'asile, de même que son mari et sa fille, invoquant les articles 2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12 et 14 de la Convention. Elle déclara que leur église, à Sukkur, avait été le théâtre d'une alerte à la bombe au courant de l'année 2002, que la police avait alors désactivé un engin explosif, et qu'en octobre 2003 son mari et son frère avaient été attaqués par des extrémistes. Au cours de ce dernier incident, personne n'avait été blessé malgré des tirs d'arme à feu, et les agresseurs s'étaient enfuis sur la moto de son époux. Par ailleurs, elle affirma qu'elle et son mari avaient reçu des menaces par téléphone.
Par une lettre datée du 25 juin 2004, le ministre de l'Intérieur indiqua les motifs de son refus. Il estima que la requérante n'avait jamais fait l'objet d'agressions ou de mauvais traitements physiques en raison de ses convictions et nota qu'elle n'avait pas été présente durant l'alerte à la bombe, à l'église, où la police était intervenue avec succès. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur releva que les chrétiens étaient un groupe minoritaire reconnu en vertu de la Constitution pakistanaise, que l'Etat prenait des mesures pour endiguer les actes de violence sectaire et qu'il avait la volonté et la capacité d'agir aux fins de protéger les églises et communautés chrétiennes.
Par une décision du 18 février 2005, l'adjudicator rejeta le recours de la requérante, estimant que les autorités protégeaient les églises puisqu'elles avaient, notamment, condamné six hommes pour un attentat contre une église chrétienne. Il releva que la requérante n'avait pas été personnellement ou directement menacée de violence, qu'elle avait vécu à une certaine distance de Bahawalpur et n'avait pas de lien direct avec l'épisode qui s'y était produit. Il nota que l'agression subie par son époux en 2003 avait été signalée comme un vol qualifié, sans nulle mention d'une motivation religieuse. Pour lui, aucun problème ne se posait sur le terrain de l'article 9 dès lors qu'aucune interdiction ne frappait le christianisme, comme en attestait le fait que le père de l'intéressée avait été pasteur pendant trente-huit ans. L'adjudicator concluait que la requérante n'avait pas démontré l'existence d'un risque pesant sur elle.
Le 26 mars 2005, la Commission de recours en matière d'immigration refusa à l'intéressée l'autorisation de former un recours. Signalant un précédent récent de la Chambre des lords, l'affaire Ullah (R. (on the application of Ullah) v. Special Adjudicator [2004] INLR 381), elle constata, dans le droit fil de cette jurisprudence, que la situation des chrétiens du Pakistan – lesquels par exemple avaient leurs propres représentants au Parlement – n'était pas manifestement mauvaise au point de permettre à titre exceptionnel l'examen d'une affaire sous l'angle de l'article 9 lorsqu'il n'y avait pas de motif de l'examiner sous l'angle de l'article 3.
La seconde requérante
Le 13 août 2004, la seconde requérante sollicita l'asile, de même que ses enfants et son mari. Elle invoquait les articles 2, 3, 8, 9 et 14 de la Convention, affirmant craindre que si elle retournait au Pakistan elle s'exposerait aux attaques d'extrémistes musulmans parce qu'elle était chrétienne. Elle évoqua certains coups de fil anonymes qu'elle aurait reçus durant la nuit consécutive à l'attentat contre l'église de Bahawalpur.
Par une lettre en date du 6 octobre 2004, le ministre de l'Intérieur rejeta la demande d'asile, relevant notamment que les chrétiens étaient un groupe minoritaire reconnu en vertu de la Constitution pakistanaise, que l'Etat prenait des mesures pour endiguer les actes de violence sectaire et qu'il avait la volonté et la capacité d'agir aux fins de protéger les églises et communautés chrétiennes. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur considérait que la requérante n'était pas en danger en raison de l'épisode de Bahawalpur dès lors qu'elle résidait à Peshawar et que depuis ledit épisode elle n'avait rien subi de plus grave que des coups de fil anonymes. Il ne voyait aucune raison de constater un manquement à l'article 9, la requérante n'ayant pas établi l'existence d'un risque de déni flagrant de ses droits.
Par une décision du 18 janvier 2005, l'adjudicator rejeta le recours de la requérante, relevant que celle-ci n'avait pas demandé l'asile à l'époque de l'attentat de 2001 mais était restée au Pakistan trois ans de plus. Certes, elle affirmait avoir reçu des appels téléphoniques déplaisants ; elle aurait toutefois pu réagir en coupant le téléphone. L'adjudicator n'apercevait aucun élément indiquant que l'intéressée risquait d'être insuffisamment protégée par les autorités, qui avaient placé des gardes auprès des églises ainsi qu'à l'école où elle travaillait.
Le 1er mars 2005, la Commission de recours en matière d'immigration refusa à la requérante l'autorisation de former un recours. Elle observa que l'intéressée n'avait pas soulevé devant l'adjudicator son grief tiré de l'article 9 bien qu'elle eût été représentée par des avocats spécialisés, et jugea qu'il n'y avait aucune erreur dans la décision du juge.
B. La jurisprudence interne pertinente
Dans l'affaire R. (on the application of Ullah) v. Special Adjudicator ([2004] INLR 381), l'intéressé était arrivé au Royaume-Uni en provenance du Pakistan et avait demandé l'asile, affirmant avoir une crainte fondée d'être persécuté du fait de ses convictions religieuses. Le ministre de l'Intérieur rejeta sa demande, estimant qu'il ne remplissait pas les conditions requises pour se voir autoriser à demeurer dans le pays sur le fondement d'un article quelconque de la Convention. Le recours de l'intéressé fut rejeté, le special adjudicator considérant qu'il n'avait pas de crainte fondée d'être persécuté et que, même si l'article 9 de la Convention pouvait entrer en jeu en pareille situation, le ministre de l'Intérieur, en refusant l'autorisation de rester dans le pays, avait néanmoins agi de manière légale et proportionnée, et dans la poursuite du but légitime que constitue le contrôle de l'immigration.
La Cour d'appel rejeta le nouveau recours du demandeur, jugeant que lorsque la Convention était invoquée sur la seule base du traitement auquel un étranger risquait d'être soumis par l'Etat de destination et que ce traitement n'était pas suffisamment grave pour faire entrer en jeu l'article 3, le tribunal n'était pas tenu de reconnaître qu'un autre article de la Convention entrait ou pouvait entrer en jeu.
La Chambre des lords débouta le demandeur d'un nouveau recours. Cependant, s'écartant de l'opinion de la Cour d'appel, les lords considérèrent que lorsque, dans le contexte de l'éloignement d'un individu hors du Royaume-Uni, le traitement prévu ne répondait pas aux conditions minimales de l'article 3, d'autres dispositions de la Convention pouvaient être prises en compte. Il était difficilement concevable qu'une personne puisse avec succès s'opposer à son expulsion en s'appuyant sur l'article 9 alors qu'elle n'avait pas droit à l'asile en raison d'une crainte fondée d'être persécutée pour des questions d'opinions religieuses ou personnelles, ou qu'elle n'avait pas la faculté de s'opposer à son expulsion en se basant sur l'article 3, mais une telle possibilité ne pouvait néanmoins être écartée. Pour que les autres articles puissent entrer en jeu, le demandeur devait démontrer au moins l'existence d'un risque réel de violation flagrante de la substance même du droit concerné. La Chambre des lords estima que, dans le cadre du recours en question, la cause de l'intéressé ne relevait pas des critères possibles d'une atteinte à l'article 9 qui soit flagrante, grossière ou fondamentale au point de revenir à nier ou réduire à néant les droits conférés par cet article.
GRIEFS
Sous l'angle de l'article 9 de la Convention, les requérantes allèguent que si elles sont renvoyées au Pakistan elles connaîtront la crainte des attaques et ne pourront vivre ouvertement et librement en tant que chrétiennes.
Invoquant également l'article 8 de la Convention, elles se plaignent qu'on les ait empêchées de vivre au Royaume-Uni avec leurs parents, leurs frères et leur sœur.
EN DROIT
1. Les requérantes allèguent que si elles étaient renvoyées au Pakistan elles seraient dans l'incapacité de vivre ouvertement et librement en tant que chrétiennes. Elles invoquent l'article 9 de la Convention, qui dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour rappelle qu'un principe fondamental, en vertu de la règle de l'épuisement des voies de recours internes contenue à l'article 35 § 1 de la Convention, impose de soulever devant l'organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite devant la Cour (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51-52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, et Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-67, Recueil 1996-IV). La Cour observe qu'en l'espèce aucune des deux requérantes n'a demandé le contrôle juridictionnel de la High Court après s'être vu refuser l'autorisation de saisir la Commission de recours en matière d'immigration, et remarque que la seconde requérante n'a pas soulevé son grief tiré de l'article 9 devant l'adjudicator. Les requérantes soutiennent que la High Court aurait de toute façon été liée par l'approche de la Chambre des lords dans l'affaire Ullah (susmentionnée), qui à leur avis est trop étroite. Aucune explication n'a été fournie quant au fait que la seconde requérante n'ait pas invoqué l'article 9 devant l'adjudicator.
A supposer même que les requérantes aient satisfait aux exigences de l'article 35 § 1, la Cour considère que leurs griefs doivent être rejetés, et ce pour les raisons exposées ci-après.
La jurisprudence de la Cour indique que si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion, non seulement de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi, mais aussi individuellement et en privé (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 31, série A no 260-A). L'article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d'une religion ou d'une conviction, à savoir le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Néanmoins, il ne protège pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction. Du reste, un individu peut, dans l'exercice de sa liberté de manifester sa religion, avoir à tenir compte de sa situation particulière (Kalaç c. Turquie, 1er juillet 1997, § 27, Recueil 1997-IV).
Dans cette affaire, la violation alléguée découle de la thèse consistant à dire que, si le Royaume-Uni renvoyait les requérantes au Pakistan, ces dernières se trouveraient, vu la situation qui prévaut dans ce pays largement islamique, dans l'incapacité de vivre en tant que chrétiennes sans risquer d'être l'objet d'une attention hostile – voire pire – ou sans avoir à prendre des mesures pour dissimuler leur confession.
Il est vrai que la responsabilité d'un Etat contractant peut être engagée, indirectement, lorsqu'il fait peser sur un individu un risque réel de violation de ses droits dans un pays qui ne relève pas de sa juridiction. Cela a été établi pour la première fois dans le cadre de l'article 3 (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161). La jurisprudence qui s'est dégagée par la suite, et qui vaut également pour le risque de violation de l'article 2, repose sur l'importance fondamentale de ces dispositions, dont il faut impérativement rendre les garanties effectives en pratique (voir, par exemple, l'arrêt Soering précité, ibidem). Dans ce contexte, la Cour a souligné le caractère absolu de l'interdiction contenue à l'article 3 et le fait que celle-ci incarne une norme internationalement acceptée et une aversion pour la torture ; la Cour a également mis l'accent sur le caractère grave et irréparable de la souffrance risquée. Ces considérations impérieuses ne s'appliquent pas automatiquement sous l'angle des autres dispositions de la Convention. Sur un plan purement pragmatique, on ne saurait exiger que l'Etat contractant qui expulse renvoie l'étranger uniquement vers un pays où les conditions cadrent pleinement et effectivement avec chacune des garanties liées aux droits et libertés consacrés par la Convention (Soering, précité, § 86, et F. c. Royaume-Uni (déc.), no 17341/03, 22 juin 2004, affaire dans laquelle le requérant affirmait qu'il serait dans l'incapacité de vivre son homosexualité ouvertement s'il était renvoyé en Iran). Néanmoins, la Cour n'a pas exclu que des problèmes pouvaient également se poser sur le terrain de l'article 6, lorsque la personne visée par la mesure d'expulsion aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant dans le pays de destination, en particulier lorsqu'il y aurait un risque d'exécution (Soering, précité, § 113, et Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 91, CEDH 2005-I), ou éventuellement sur le terrain de l'article 5, si la perspective d'une détention arbitraire était suffisamment flagrante (Tomic c. Royaume-Uni (déc.), no 17837/03, 14 octobre 2003).
La présente affaire pose la question de savoir quelle approche il convient d'adopter s'agissant de droits protégés par l'article 9 qui sont prétendument menacés lors d'une expulsion. Les requérantes soutiennent que dans le contexte de l'article 9 il ne faut pas appliquer le critère du déni flagrant, comme l'a fait la Chambre des lords dans l'affaire Ullah, car en faisant cela on ne respecte pas la primauté des droits religieux ; de plus, elles affirment qu'exiger d'elles, en pratique, qu'elles changent de comportement en dissimulant leur adhésion au christianisme et en renonçant à la possibilité de parler de leur foi et d'en témoigner auprès des autres afin d'éviter toute attention hostile reviendrait à nier le droit en soi.
La jurisprudence de la Cour souligne en effet que la liberté de pensée, de religion et de conscience représente l'une des assises d'une société démocratique et que manifester sa religion, y compris en cherchant à convaincre son prochain, est une part essentielle de cette liberté (Kokkinakis, précité, § 31). Toutefois, il s'agit là avant tout de la norme appliquée au sein des Etats contractants, lesquels sont attachés aux idéaux démocratiques, à la prééminence du droit et des droits de l'homme. Les Etats contractants ont néanmoins des obligations envers les personnes relevant d'autres juridictions, obligations diversement imposées par la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et par les articles 2 et 3 de la Convention. Une protection est donc offerte aux personnes ayant un grief fondé selon lequel soit elles seront persécutées, notamment pour des motifs religieux, soit elles seront exposées à un risque réel de mourir ou de subir de graves mauvais traitements, et éventuellement un déni de justice flagrant ou une détention arbitraire, en raison de leur affiliation religieuse (ou pour toute autre raison). Lorsqu'un individu affirme qu'à son retour dans son propre pays il sera entravé dans son culte religieux, mais d'une manière qui se situe en deçà de ces niveaux prohibés, la Cour estime que l'article 9 en soi n'est guère, voire pas du tout, d'un grand secours. Dans le cas contraire, cette disposition obligerait en pratique les Etats contractants à agir comme des garants indirects de la liberté de culte pour le reste du monde. Si par exemple un pays non couvert par la Convention interdisait une religion, sans pour autant rien faire pour persécuter, poursuivre, priver de liberté ou infliger des mauvais traitements aux personnes concernées, la Cour doute que la Convention pourrait être interprétée comme exigeant d'un Etat contractant qu'il donne aux adhérents de ce courant religieux banni la possibilité de pratiquer leur religion librement et ouvertement sur leur propre territoire. La Cour n'écarte pas la possibilité que la responsabilité de l'Etat qui renvoie un individu puisse à titre exceptionnel être engagée en vertu de l'article 9 de la Convention si l'intéressé court un risque réel de violation flagrante de cet article dans le pays de destination ; elle partage cependant l'opinion formulée par la Chambre des lords dans l'affaire Ullah selon laquelle il est difficile d'imaginer une affaire dans laquelle une violation suffisamment flagrante de l'article 9 n'impliquerait pas également un traitement contraire à l'article 3 de la Convention.
Dans la présente affaire, les requérantes n'ont pas défendu la thèse de la persécution pour des motifs religieux ni étayé l'affirmation selon laquelle elles risquaient une violation de l'article 2 ou de l'article 3. Aucune des deux n'a personnellement fait l'objet d'une quelconque agression physique ni été empêchée d'adhérer à sa confession. Toutes deux ont affirmé avoir reçu des appels téléphoniques déplaisants et s'être senties en danger d'agression. Leur cause, en substance, repose sur la situation générale du Pakistan, où au cours des dernières années des églises et des personnes chrétiennes ont fait l'objet d'attaques. Or les autorités nationales ont mis l'accent sur le fait que la communauté chrétienne du Pakistan n'était frappée d'aucune interdiction officielle et avait d'ailleurs ses propres représentants au Parlement et que dans ce pays la force publique et les organes judiciaires prenaient des mesures aux fins de protéger les églises et les écoles et d'arrêter, de poursuivre et de sanctionner les auteurs d'attentats.
Les requérantes ont allégué que la police elle-même craignait les extrémistes islamiques et que les autorités avaient par le passé manqué à protéger les églises chrétiennes malgré la présence de gardes. Toutefois, il n'apparaît pas que les autorités soient inaptes ou non disposées à prendre des mesures adéquates pour faire face à la violence ou aux menaces de violence dirigées contre des cibles chrétiennes.
Dans ces conditions, la Cour estime que, même en admettant que l'article 9 de la Convention est en principe susceptible d'entrer en jeu dans le contexte de l'expulsion d'un individu par un Etat contractant, les requérantes n'ont pas démontré qu'elles étaient personnellement exposées à un pareil danger ou qu'en tant que chrétiennes elles faisaient partie d'un groupe vulnérable ou menacé ou se trouvaient dans une situation précaire au point que cela puisse révéler une apparence de violation flagrante de l'article 9 de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Les requérantes se plaignent que la décision des autorités britanniques d'accorder l'asile à la majeure partie des membres de leur famille mais de leur refuser, à elles-mêmes, le statut de réfugiées emporte violation de l'article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
La Cour observe qu'en matière d'immigration l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un Etat l'obligation générale de respecter le choix des immigrés quant à leur pays de résidence et de permettre le regroupement familial sur son territoire (Gül c. Suisse, 19 février 1996, § 38, Recueil 1996-I, Ahmut c. Pays-Bas, 28 novembre 1996, § 67, Recueil 1996-VI, et la décision P.R. c. Pays-Bas (déc.), no 39391/98, 7 novembre 2000). D'après un principe de droit international bien établi, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol. De plus, si le fait d'écarter quelqu'un du territoire d'un Etat où vit sa proche famille peut dans certaines circonstances poser un problème au regard de l'article 8, les rapports entre des proches adultes ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l'article 8 sans que soit démontrée l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux (Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 34, 13 février 2001).
La Cour observe que les requérantes en l'espèce sont adultes, qu'elles ont elles-mêmes des familles, et qu'elles ne vivaient pas auprès de leurs parents, de leurs frères et de leur sœur à l'époque de l'attentat de 2001 contre l'église de Bahawalpur. Après le départ de leurs parents et de leur frère, elles sont demeurées au Pakistan pendant trois ans. Dans ces conditions, la Cour n'aperçoit aucun élément de dépendance impliquant davantage que des liens affectifs ordinaires entre les requérantes et les membres de leur famille qui résident à présent au Royaume-Uni.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION Z. ET T. c. ROYAUME-UNI
DÉCISION Z. ET T. c. ROYAUME-UNI