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10/02/2005 | CEDH | N°33173/02

CEDH | AFFAIRE KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 33173/02)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2005
DÉFINITIF
10/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kalliri-Giannikopoulou et autres c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,    C.L. Rozakis,   Mme F. Tulkens

,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,  et de M. S. Nielsen, greffie...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 33173/02)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2005
DÉFINITIF
10/05/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kalliri-Giannikopoulou et autres c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,    C.L. Rozakis,   Mme F. Tulkens,   M. P. Lorenzen,   Mme N. Vajić,   MM. D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 janvier 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33173/02) dirigée contre la République hellénique par six ressortissantes de cet Etat, Mmes Efthalia Kalliri-Giannikopoulou, Stamatina Balaktsi, Despoina Vintzilaiou, Aristoula Stergiou, Vassiliki Feida-Vyniou et Athina Mamopoulou-Kotsana (« les requérantes »), qui ont saisi la Cour le 2 septembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérantes sont représentées par le cabinet d’avocats G. K. Stefanakis et associés, ayant son siège à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Skiani, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.
3.  Le 22 octobre 2003, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4.  Les requérantes sont membres à la retraite du personnel administratif des tribunaux grecs.
5.  Le 12 décembre 1994, elles saisirent le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat grec à leur verser diverses sommes au titre des dommages intérêts, faute pour celui-ci de les avoir admises à un échelon salarial supérieur.
6.  Le 30 avril 1997, le tribunal rejeta leur demande (décision no 5492/1997). Le 30 juin 1997, les requérantes interjetèrent appel de la décision susmentionnée.
7.  Le 22 juin 1998, la cour administrative d’appel d’Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 3003/1998). Le 30 novembre 1998, les requérantes se pourvurent en cassation.
8.  Le 6 mars 2002, par un acte no 910/2002, le Conseil d’Etat constata que le litige avait un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (5 870 euros environ). Dès lors, la haute juridiction prononça l’annulation de la procédure, conformément à la loi no 2944/2001 : cette dernière, publiée au Journal Officiel le 8 octobre 2001, exclut l’accès au Conseil d’Etat pour les litiges dont l’objet financier est inférieur à la somme susmentionnée.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
9.  Les requérantes allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
10.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il procède à une analyse détaillée et chronologique de la procédure pour démontrer que chaque étape de celle-ci fut menée avec célérité. Il se réfère en outre à la grève des avocats du barreau d’Athènes qui s’étala sporadiquement du 23 janvier 1989 au 30 juin 1994, événement qui échappe au contrôle des tribunaux. Il ajoute que les requérantes n’ont pas cherché à accélérer la procédure et estime que les juridictions saisies ont statué dans des délais raisonnables.
11.  La période à considérer a débuté le 12 décembre 1994, avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes et s’est terminée le 6 mars 2002, avec l’acte no 910/2002 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré sept ans, deux mois et vingt-cinq jours pour trois instances.
A.  Sur la recevabilité
12.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B.  Sur le fond
13.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérantes et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
14.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’affaire Frydlender précitée).
15.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. S’agissant, entre autres, de la grève des avocats du barreau d’Athènes invoquée par le Gouvernement pour justifier certains retards qu’aurait connus la procédure, la Cour observe que cette grève prit fin avant l’introduction de l’instance. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE L’EQUITÉ DE LA PROCÉDURE
16.  Les requérantes se plaignent, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable du fait que la question soumise aux tribunaux nationaux a été définitivement tranchée par le législateur et non par le pouvoir judiciaire. En particulier, elles affirment que la loi no 2944/2001 influa directement sur le dénouement du litige ; or, cette loi fut adoptée alors que leur pourvoi était déjà pendant devant le Conseil d’Etat.
Sur la recevabilité
17.  La Cour se réfère à l’affaire Brualla Gómez de la Torre, qui portait sur l’irrecevabilité d’un pourvoi en cassation en matière civile, en raison de l’applicabilité immédiate d’une nouvelle loi de procédure. Dans son arrêt du 19 décembre 1997, la Cour a considéré que « la solution adoptée en l’espèce par les juridictions espagnoles s’inspire d’un principe généralement reconnu selon lequel, sauf disposition expresse en sens contraire, les lois de procédure s’appliquent immédiatement aux procédures en cours ». Elle a jugé légitime « le but poursuivi par ce changement législatif : actualiser le taux du ressort applicable aux pourvois en cassation dans ce domaine, et cela dans le but d’éviter un encombrement excessif du rôle du Tribunal suprême par des affaires de moindre importance ». Elle a noté que la procédure litigieuse « succédait, en l’occurrence, à l’examen de la cause de la requérante par le tribunal de première instance (...) puis par [une] juridiction d’appel, tous deux disposant de la plénitude de juridiction » et a conclu que « vu la spécificité du rôle que joue le Tribunal suprême comme juridiction de cassation, l’on peut admettre qu’un formalisme plus grand assortisse la procédure suivie devant lui » (Brualla Gómez de la Torre, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997–VIII, p. 2956, §§ 35-39). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence (voir aussi, en dernier lieu, Lagouvardou-Papatheodorou c. Grèce (déc.), no 72211/01, 4 septembre 2003 ; Kozyris et autres c. Grèce (déc.), no 73669/01, 2 octobre 2003 ; Charmantas et autres c. Grèce (déc.), no 38302/02, 6 novembre 2003 ; Theodoropoulos et autres c. Grèce, no 16696/02, § 29, 15 juillet 2004).
18.  Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
19.  Les requérantes se plaignent également que le rejet de leur demande par les juridictions saisies a porté atteinte au droit au respect de leurs biens tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
Sur la recevabilité
20.  La Cour estime que la prétendue créance des requérantes ne peut passer pour un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, puisqu’elle n’a jamais été constatée et liquidée par une décision judiciaire ayant force de chose jugée. Telle est pourtant la condition pour qu’une créance soit certaine et exigible et, partant, protégée par l’article 1 du Protocole no 1 (voir, notamment, Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A, no 301-B).
21.  En particulier, la Cour estime que, tant que leur affaire était pendante devant les juridictions internes, leur action ne faisait naître, dans le chef des requérantes, aucun droit de créance, mais uniquement l’éventualité d’obtenir pareille créance. Dès lors, les arrêts ayant débouté les requérantes de leur demande n’ont pu avoir pour effet de les priver d’un bien dont elles étaient propriétaires.
22.  Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
23.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
24.  Les requérantes réclament 10 000 euros (EUR) chacune au titre du préjudice moral qu’elles auraient subi.
25.  Le Gouvernement affirme qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. Alternativement, il estime que la somme allouée à chacune des requérantes ne saurait dépasser 2 000 EUR.
26.  La Cour estime que les requérantes ont subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle leur accorde conjointement 6 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B.  Frais et dépens
27.  Les requérantes demandent également 2 917,47 EUR chacune pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. Elles ne produisent aucune facture ou note d’honoraires. Elles affirment qu’en vertu d’un accord oral conclu avec le cabinet d’avocats qui les représente devant la Cour, elles auront à s’acquitter de 2 580 EUR chacune à la fin de la procédure.
28.  Le Gouvernement affirme que les prétentions des requérantes à ce titre sont vagues et non justifiées.
29.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
30.  S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que les requérantes ne produisent aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies. Il y a donc lieu de rejeter cette partie de leurs prétentions. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation des requérantes devant elle, la Cour observe que les prétentions de ces dernières ne sont ni détaillées ni accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter leur demande sur ce point également.
C.  Intérêts moratoires
31.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides   Greffier Président
ARRÊT KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES c. GRÈCE
ARRÊT KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES c. GRÈCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 33173/02
Date de la décision : 10/02/2005
Type d'affaire : Arret (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 en ce qui concerne la durée de la procédure ; Irrecevable sous l'angle de l'art. 6-1 en ce qui concerne l'équité de la procédure, ainsi que sous l'angle de P1-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Frais et dépens (procédure de la Convention) - demande rejetée

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : KALLIRI-GIANNIKOPOULOU ET AUTRES
Défendeurs : GRECE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-02-10;33173.02 ?
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