DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE D.P. c. FRANCE
(Requête no 53971/00)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2004
DÉFINITIF
10/05/2004
En l'affaire D.P. c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président, J.-P. Costa, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, M. Ugrekhelidze, Mme A. Mularoni, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 mai et 2 décembre 2003 et le 20 janvier 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 53971/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. D.P. (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 novembre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me M.-A. Canu Bernard, avocate au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant se plaignait en particulier du défaut d'impartialité de la Cour de cassation.
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Par une décision du 6 mai 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
7. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2003 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, agent, Mmes L. Delahaye, rédactrice à la sous-direction des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, J. Vailhe, service des affaires européennes et internationales du ministère de la Justice, R. Koering-Joulin, conseillère à la chambre criminelle de la Cour de cassation, conseils ;
– pour le requérant Me M.-A. Canu Bernard, avocate au barreau de Paris, conseil, Mlle A. Perry, stagiaire.
La Cour a entendu en leurs déclarations et en leurs réponses aux juges Me Canu Bernard et M. Abraham.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Le requérant est né en 1951 et est actuellement détenu au centre de détention d'Eysses, Villeneuve-sur-Lot.
9. Le requérant, suspecté d'agressions sexuelles sur ses belles-filles, fut placé en garde à vue du 25 au 27 septembre 1994. Il reconnut globalement les faits et, à l'issue de sa garde à vue, fut mis en examen des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés. Il fut placé sous mandat de dépôt.
10. Interrogé par le juge d'instruction, le requérant rétracta ses aveux le 21 avril 1995, et contesta, le 5 mai 1995, l'ensemble des accusations portées à son encontre. Il indiqua avoir pris du valium lors de sa garde à vue et soutint que ce médicament avait pu altérer ses facultés mentales.
11. Le 7 septembre 1995, le juge d'instruction renouvela le mandat de dépôt. Par une ordonnance du 22 décembre 1995, il rejeta une demande de mise en liberté du requérant. Par un arrêt du 9 janvier 1996, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux confirma cette ordonnance. Le 30 avril 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. La formation de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui statua pour cet arrêt était composée de M. Le Gunehec, président, d'un conseiller rapporteur et de six conseillers dont MM. Guilloux et Le Gall.
12. Le 9 février 1996, l'avis de fin d'information fut transmis aux parties. Par un arrêt du 2 juillet 1996, la chambre d'accusation renvoya le requérant devant la cour d'assises de la Gironde.
13. Le requérant se pourvut en cassation et invoqua deux moyens au soutien de son pourvoi : le premier faisait grief à la chambre d'accusation de ne pas avoir respecté les règles procédurales nécessaires au bon exercice des droits de la défense telles que prévues par l'article 197 du code de procédure pénale, relatif à la mise du dossier pénal à la disposition des parties avant l'audience ; le second moyen concernait un défaut de motivation de l'arrêt de mise en accusation et relevait que cet arrêt n'énonçait pas les faits objet de l'accusation et ne justifiait pas la qualification des crimes retenus.
14. La chambre criminelle de la Cour de cassation rendit un arrêt de rejet le 12 février 1997. La chambre qui statua était composée de M. Guilloux, faisant fonction de président en remplacement du président empêché, de M. Le Gall, conseiller rapporteur, et de six autres conseillers.
15. Par un arrêt du 3 avril 1998, la cour d'assises de la Gironde condamna le requérant à une peine de dix-neuf ans de réclusion criminelle ainsi qu'à l'interdiction des droits civiques, civils et familiaux pour une durée de dix ans.
16. Le même jour, le requérant se pourvut en cassation et invoqua six moyens au soutien de son pourvoi. Le premier portait sur la violation de l'article 362 du code de procédure pénale, au motif que la cour d'assises n'avait pas précisé à quelle majorité avait été acquis le vote sur la peine prononcée ; le deuxième était relatif au non-respect du principe de l'oralité des débats et en particulier de l'article 347 du code de procédure pénale, qui interdit de manière générale à la cour proprement dite et au jury de délibérer en disposant du dossier de la procédure ; par le troisième moyen, le requérant se plaignait de la violation de l'article 379 du code de procédure pénale, qui interdit la reproduction au procès-verbal des débats du contenu des dépositions à moins que le président n'en décide autrement ; les quatrième et cinquième moyens portaient sur la formulation des questions posées au jury ; le dernier moyen faisait état de la violation des droits de la défense au motif que l'accusé n'avait pas eu la parole en dernier sur la question du retrait de l'autorité parentale.
17. Le requérant fut provisoirement admis à l'aide juridictionnelle mais, par une décision du 8 avril 1999, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta sa demande, au motif « qu'aucun moyen sérieux » de cassation ne pouvait être relevé à l'encontre de l'arrêt du 3 avril 1998.
18. Par un arrêt du 9 juin 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarta le pourvoi du requérant. La chambre était composée de M. Gomez, président, de M. Guilloux, conseiller rapporteur, et de M. Le Gall, conseiller.
19. Le 7 juillet 1999, le premier président de la Cour de cassation repoussa le recours formé par le requérant contre la décision du bureau d'aide juridictionnelle.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
20. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables au moment des faits, sont les suivantes :
Article 370
« Après avoir prononcé l'arrêt, le président [de la cour d'assises] avertit, s'il y a lieu, l'accusé de la faculté qui lui est accordée de se pourvoir en cassation et lui fait connaître le délai de ce pourvoi. »
Article 567
« Les arrêts de la chambre d'accusation et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief, suivant les distinctions qui vont être établies.
Le recours est porté devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. »
Article 591
« Les arrêts de la chambre d'accusation ainsi que les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de jugement, lorsqu'ils sont revêtus des formes prescrites par la loi, ne peuvent être cassés que pour violation de la loi. »
Article 592
« Ces décisions sont déclarées nulles lorsqu'elles ne sont pas rendues par le nombre de juges prescrit ou qu'elles ont été rendues par des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences de la cause. Lorsque plusieurs audiences ont été consacrées à la même affaire, les juges qui ont concouru à la décision sont présumés avoir assisté à toutes ces audiences.
Ces décisions sont également déclarées nulles lorsqu'elles ont été rendues sans que le ministère public ait été entendu.
Sont, en outre, déclarées nulles les décisions qui, sous réserve des exceptions prévues par la loi, n'ont pas été rendues ou dont les débats n'ont pas eu lieu en audience publique. »
Article 593
« Les arrêts de la chambre d'accusation ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.
Il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public. »
Article 594
« En matière criminelle, l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation, devenu définitif, fixe la compétence de la cour d'assises et couvre, s'il en existe, les vices de la procédure antérieure. »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
21. Le requérant se plaint de la composition de la Cour de cassation ayant examiné son pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises et met en doute son impartialité. Il allègue la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) impartial, (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
A. Arguments des parties
1. Le requérant
22. Le requérant relève le fait que M. Guilloux, conseiller rapporteur dans la formation restreinte ayant statué le 9 juin 1999, présidait la chambre criminelle lorsqu'elle a rejeté, le 12 février 1997, son pourvoi contre l'arrêt de renvoi, et que M. Le Gall, conseiller de la chambre le 9 juin 1999, avait été conseiller rapporteur lorsque la chambre criminelle avait, le 30 avril 1996, rejeté son précédent pourvoi. Bien qu'il s'agît uniquement d'examiner la régularité de la procédure, le requérant souligne qu'il apparaît peu probable que des magistrats, ayant avalisé l'arrêt le renvoyant devant la cour d'assises, se déjugeraient ensuite en cassant l'arrêt de cette cour. Son conseil a également invoqué, à l'audience, pour la première fois, la composition de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui avait, le 30 avril 1996, rejeté son pourvoi formé contre un arrêt de maintien en détention provisoire.
23. Le requérant précise qu'il met en cause l'impartialité fonctionnelle de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a statué le 9 juin 1999 et rappelle qu'à cet égard même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il estime que la Cour de cassation, dès ses arrêts des 30 avril 1996 et 12 février 1997, avait pris position sur la probabilité de sa culpabilité et avait apprécié les faits. D'une part, il affirme en effet que la Cour de cassation est contrainte d'apprécier les faits pour dire le droit. D'autre part, il souligne le fait que, lorsqu'il a été condamné par la cour d'assises, la Cour de cassation était le deuxième niveau de juridiction en matière criminelle. Il insiste, finalement, sur l'importance des fonctions qu'occupaient MM. Guilloux et Le Gall dans la formation de la Cour de cassation ayant rendu l'arrêt du 12 février 1997.
24. En application de la démarche objective et de la théorie des apparences, le requérant estime que la Cour de cassation ne présentait pas un caractère impartial lorsqu'elle a statué le 9 juin 1999.
2. Le Gouvernement
25. Le Gouvernement rappelle, d'emblée, que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire et que le contrôle de la Cour de cassation est limité au respect du droit. Celle-ci a pour unique rôle d'examiner la régularité des décisions rendues par les juges du fond au regard du droit applicable, quelle qu'en soit la source. Le Gouvernement souligne également que le rôle de la Cour de cassation est différent selon qu'elle examine un pourvoi formé contre un arrêt de renvoi ou celui formé contre un arrêt de condamnation rendu par une cour d'assises, les deux décisions à examiner étant de nature différente et intervenant à des phases distinctes de la procédure. Ainsi, dans la première hypothèse, son contrôle juridique porte sur la procédure devant la chambre d'accusation et la motivation de l'arrêt, et se borne à vérifier que la qualification donnée aux faits décrits par l'arrêt justifie le renvoi devant la cour d'assises ; alors que, dans la seconde hypothèse, il est adapté à la particularité de la procédure suivie devant la cour d'assises et porte sur l'ensemble de cette procédure : la Cour de cassation contrôle, à partir de la mention du procès-verbal, le respect des formalités et la régularité formelle des questions posées et des réponses obtenues, vérifiant que la rédaction de ces questions a été factuelle, claire et sans ambiguïté, et que les réponses apportées sont cohérentes. Elle s'assure ensuite que les règles de majorité ont été respectées.
26. Ainsi, les questions traitées dans les deux pourvois sont de nature très différente, ce qui s'avère effectivement en l'espèce. Le Gouvernement estime, dès lors, que le fait que deux conseillers aient statué sur le premier pourvoi ne saurait conduire à affirmer leur partialité lors de l'examen du second pourvoi, puisque dans pareille hypothèse ils n'ont à aucun moment eu à connaître du fond de l'affaire.
27. Il soutient, ensuite, que s'il suffisait que ses décisions se rapportent à la même affaire pénale pour obliger la Cour de cassation à siéger à chaque fois dans une formation entièrement différente, cela rendrait sa tâche impossible.
28. Il relève, finalement, que le conseil du requérant n'a fait allusion à l'arrêt du 30 avril 1996 qu'à l'audience publique, et considère que cet argument est en réalité un nouveau grief, qui a été soulevé tardivement. De manière subsidiaire, il affirme que, même à cette occasion, la Cour de cassation ne s'était pas prononcée sur le fond, et estime que les doutes du requérant ne peuvent passer pour objectivement justifiés.
B. Appréciation de la Cour
29. En l'espèce, la Cour relève que le requérant met en doute l'impartialité de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en raison de la présence de deux magistrats dans les deux formations qui ont statué sur les pourvois qu'il avait introduits à deux stades différents de la procédure.
30. Elle note, d'emblée, que le conseil du requérant a également invoqué, lors de l'audience publique, la participation de ces deux magistrats à la formation de la chambre criminelle ayant statué sur le pourvoi contre un arrêt rejetant une demande de mise en liberté. Toutefois, elle estime que ce nouvel argument a été présenté tardivement et ne peut être pris en considération.
31. La Cour rappelle que l'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la Convention s'apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Gautrin et autres c. France, arrêt du 20 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1030-1031, § 58).
32. Quant à la première démarche, l'impartialité personnelle d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 26). En l'espèce, le requérant ne conteste pas l'impartialité subjective des juges.
33. Quant à la seconde démarche, elle conduit à se demander, lorsqu'une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l'attitude personnelle de l'un de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l'impartialité de celle-ci. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l'existence, dans une espèce donnée, d'une raison légitime de craindre d'une juridiction un défaut d'impartialité, le point de vue de l'intéressé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de celui-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres précité, loc. cit.).
34. En l'occurrence, la crainte d'un manque d'impartialité tenait au fait que deux des juges ayant siégé à la chambre criminelle, qui a statué le 9 juin 1999 sur le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt de condamnation, avaient auparavant siégé à la chambre qui s'était prononcée le 12 février 1997 sur le pourvoi formé contre l'arrêt renvoyant le requérant devant la cour d'assises. Pareille situation, la Cour en convient, pouvait susciter des doutes chez le requérant quant à l'impartialité de la Cour de cassation. Il lui appartient toutefois d'examiner si ces doutes se révèlent objectivement justifiés (Morel c. France, no 34130/96, § 44, CEDH 2000-VI).
35. A cet égard, la Cour rappelle que la réponse à cette question varie suivant les circonstances de la cause. Le simple fait, pour un juge, d'avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est la nature et l'étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n'implique pas nécessairement un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l'appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l'appréciation finale. Il importe que celle-ci intervienne avec le jugement et s'appuie sur les éléments produits et débattus à l'audience (voir, notamment, mutatis mutandis, Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, série A no 154, p. 22, § 50 ; Nortier c. Pays-Bas, arrêt du 24 août 1993, série A no 267, p. 15, § 33 ; Saraiva de Carvalho c. Portugal, arrêt du 22 avril 1994, série A no 286-B, p. 38, § 35 ; Morel, précité, § 45).
36. La Cour est, dès lors, appelée à décider si, compte tenu de la nature et de l'étendue du contrôle juridictionnel incombant à ces magistrats dans le cadre du pourvoi formé contre l'arrêt de renvoi, ces derniers ont fait preuve, ou ont pu légitimement apparaître comme ayant fait preuve, d'un parti pris quant à la décision à rendre par la Cour de cassation lors du pourvoi contre l'arrêt de condamnation. Ce serait notamment le cas si les questions qu'ils avaient eu à traiter à l'occasion du premier pourvoi avaient été analogues à celles sur lesquelles ils ont statué au sein de la chambre criminelle, lorsqu'elle examina le pourvoi contre l'arrêt de condamnation (Saraiva de Carvalho, précité, p. 39, § 38, et Morel, précité, § 47).
37. La Cour rappelle que le pourvoi en cassation constitue une voie de recours à finalité différente de celle de l'appel (Civet c. France [GC], no 29340/95, § 43, CEDH 1999-VI) et que le rôle de la Cour de cassation et le contrôle qu'elle exerce sont spécifiques. Les possibilités de cassation étant limitées, de par les dispositions de l'article 591 du code de procédure pénale, aux violations de la loi, il ne rentre pas dans les attributions de la Cour de cassation de revenir, comme le fait une cour d'appel, sur l'appréciation des éléments de pur fait. Le contrôle exercé par la Cour de cassation est un contrôle de légalité, mêlé à certains égards de fait lorsqu'elle exerce un contrôle juridique de l'appréciation des faits. La Cour de cassation « n'en a pas moins pour mission de contrôler l'adéquation entre, d'une part, les faits établis par les juges du fond et, d'autre part, la conclusion à laquelle ces derniers ont abouti sur le fondement de ces constatations » (Civet, précité, § 43). Au-delà d'un examen de la régularité de l'arrêt qui lui est déféré, elle vérifie que la décision est justifiée et adéquatement motivée.
38. Ainsi, en l'espèce, la Cour de cassation n'a pas pris la décision de renvoyer le requérant devant la cour d'assises. Elle a seulement, par son arrêt du 12 février 1997, contrôlé la régularité de l'instruction et la légalité de la décision de renvoi, prise par la chambre d'accusation, ainsi que la motivation de cette décision. La Cour remarque en particulier que la Cour de cassation eut, à cette occasion, à vérifier si la chambre d'accusation avait suffisamment justifié le fait qu'il existait en l'espèce des « charges suffisantes » contre le requérant, de nature à fonder légalement la décision de le renvoyer devant la juridiction de jugement qu'est la cour d'assises, laquelle peut, au terme du procès devant elle, déclarer l'accusé coupable ou au contraire prononcer son acquittement. Que des charges soient suffisantes pour justifier l'arrêt de renvoi n'implique naturellement pas que le requérant, qui bénéficiait comme tout accusé de la présomption d'innocence, ait été « présumé coupable » par la chambre d'accusation quand elle a pris sa décision.
39. De même et à plus forte raison, la Cour de cassation n'a évidemment pas elle-même déclaré le requérant coupable, et n'a pas décidé de le condamner à dix-neuf ans de réclusion criminelle. En examinant, par son arrêt du 9 juin 1999, le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de condamnation rendu par la cour d'assises, la Cour de cassation n'a traité que de la question de la régularité de la procédure de jugement et de la régularité formelle des questions posées et des réponses obtenues. Le requérant n'a d'ailleurs soulevé devant elle que des moyens de forme et la Cour de cassation n'a eu à apprécier que des éléments de pur droit.
40. La Cour estime qu'elle doit statuer en tenant compte de la particularité du rôle et de la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation. En effet, les juges de cette Cour qui sont intervenus à deux reprises dans la procédure ont statué, à chaque fois, sur la légalité et la motivation de décisions rendues par des juridictions du fond. Toutefois, les questions posées par le premier pourvoi portaient sur la légalité de l'instruction alors que celles posées dans le cadre du second pourvoi concernaient la légalité du jugement. Ainsi, ces juges n'ont jamais eu à apprécier le bien-fondé de l'accusation portée contre le requérant et ont été amenés à examiner des points de droit différents dans chacun des pourvois.
41. En d'autres termes, les questions soumises à l'appréciation de ces magistrats dans le cadre du second pourvoi n'étaient pas analogues aux questions qu'ils avaient eu à traiter lors du premier pourvoi.
42. Dès lors, la Cour admet que le requérant a pu nourrir des soupçons quant au caractère impartial de la Cour de cassation. Elle estime, cependant, en raison de la différence des questions soumises à la chambre criminelle dans le cadre des deux pourvois, qu'il n'avait pas de raisons objectives de craindre que celle-ci fasse preuve d'un parti pris ou de préjugés quant à la décision qu'elle devait rendre lors du pourvoi contre l'arrêt de condamnation.
43. En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en l'espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2004, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka Greffière Président
ARRÊT D.P. c. FRANCE
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