PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GANCI c. ITALIE
(Requête no 41576/98)
ARRÊT
STRASBOURG
30 octobre 2003
DÉFINITIF
30/01/2004
En l'affaire Ganci c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président, Mmes F. Tulkens, N. Vajić, M. E. Levits, Mme S. Botoucharova, MM. A. Kovler, V. Zagrebelsky, juges, et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 41576/98) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Domenico Ganci (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 23 mars 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me D. La Blasca, avocat à Palerme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.
3. Le requérant alléguait en particulier la violation de l'article 6 de la Convention en se plaignant du régime de détention prévu par l'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire et des retards dans l'examen par le tribunal de surveillance des recours déposés contre les arrêtés du ministre de la Justice.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
Par une décision du 20 septembre 2001, la chambre a déclaré certains griefs irrecevables.
6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7. Par une décision du 3 octobre 2002, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable.
8. Le requérant a déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire, mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement). La Cour a décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience sur le fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9. Né en 1958, le requérant est un ressortissant italien détenu lors de l'introduction de la requête à la prison de Spolète.
Soumis entre autres à une détention provisoire pour avoir participé à l'assassinat du juge Falcone et de son escorte, le 26 septembre 1997 le requérant fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d'assises de Caltanissetta. Le 12 novembre 1997, il fut condamné une deuxième fois, pour d'autres accusations, à la même peine par la cour d'assises de Palerme. Cette peine est devenue définitive le 26 novembre 1999.
10. Arrêté le 4 juin 1993, le requérant a été assujetti au régime spécial de détention prévu par l'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire, qui déroge aux conditions ordinaires de détention fixées par ladite loi.
Pendant la période du 13 novembre 1996 au 31 décembre 2000, le ministre de la Justice a adopté neuf arrêtés introduisant chacun des limitations durant six mois pour les périodes suivantes : 13 novembre 1996 au 13 mai 1997 (arrêté no 1) ; 13 mai 1997 au 13 novembre 1997 (arrêté no 2) ; 14 novembre 1997 au 14 mai 1998 (arrêté no 3) ; 15 mai 1998 au 15 novembre 1998 (arrêté no 4) ; 12 novembre 1998 au 12 mai 1999 (arrêté no 5) ; 11 mai 1999 au 11 novembre 1999 (arrêté no 6) ; 8 novembre 1999 au 31 décembre 1999 (arrêté no 7) ; 28 décembre 1999 au 28 juin 2000 (arrêté no 8) ; 23 juin 2000 au 31 décembre 2000 (arrêté no 9).
Le requérant a indiqué avoir été soumis au même régime pour la période postérieure au 31 décembre 2000, mais sans fournir d'information précise.
11. Les arrêtés nos 2 à 9 ne constituaient pas formellement une prorogation du précédent arrêté mais de nouvelles décisions rappelant toutefois la décision antérieure.
12. En vertu de ces neuf arrêtés, le interdictions et restrictions suivantes ont été appliquées au requérant :
a) limitation des entrevues avec des membres de la famille : maximum d'une par mois d'une durée d'une heure ;
b) interdiction des entrevues avec des tierces personnes ;
c) interdiction d'utiliser le téléphone, sauf pour un appel – à enregistrer – par mois avec les membres de la famille si le requérant n'a pas eu d'entrevue ;
d) interdiction de recevoir ou d'envoyer vers l'extérieur des sommes d'argent dépassant un montant déterminé, à l'exception du paiement des frais de défense et des amendes ;
e) impossibilité de recevoir plus de deux paquets contenant du linge ;
f) interdiction d'organiser des activités culturelles, récréatives et sportives ;
g) interdiction de voter dans le cadre de l'élection du représentant des détenus et d'être élu comme tel ;
h) interdiction d'exercer des activités artisanales ;
i) interdiction de passer plus de deux heures en plein air.
13. Le requérant attaqua ces arrêtés devant le tribunal de surveillance. Les parties ont soumis les éléments de fait ci-dessous.
Arrêté no 1 – Le requérant introduisit son recours le 2 janvier 1997. Le tribunal de surveillance de Palerme tint une audience le 11 mars 1997. Par une ordonnance du 11 mars 1997, déposée au greffe le 15 mars 1997, le tribunal déclara le recours irrecevable car, sur la base d'une jurisprudence restrictive suivie à l'époque, la juridiction de jugement n'avait pas compétence pour examiner le bien-fondé des limitations ordonnées.
Arrêté no 2 – Par une ordonnance du 29 juillet 1997, déposée au greffe le 31 juillet 1997, le tribunal de surveillance de Florence déclara inefficaces les limitations citées aux alinéas a), e) et f) de la liste ci-dessus.
Arrêté no 3 – Le requérant saisit le tribunal de surveillance de Bologne à une date non précisée. Ce dernier tint une audience le 27 janvier 1998 et rejeta le recours par une ordonnance du même jour qui fut déposée au greffe le 30 janvier 1998.
Arrêté no 4 – Le requérant introduisit son recours le 19 mai 1998. Le 10 octobre 1998, le tribunal de surveillance de Pérouse fixa une audience au 12 novembre 1998. Le 30 mars 1999, le président du tribunal de surveillance déclara le recours irrecevable. En effet, il constata que la période d'application de l'arrêté avait expiré et que, de ce fait, le requérant avait perdu tout intérêt à son examen.
Arrêté no 5 – Le requérant n'introduisit aucune réclamation contre cet arrêté.
Arrêté no 6 – Le requérant introduisit son recours le 14 mai 1999. Le 9 juin 1999, l'unité de réinsertion de la prison de Spolète confirma un rapport qui avait été rendu auparavant dans le cadre d'un autre recours. Par une demande du 21 septembre 1999 adressée au tribunal de surveillance de Pérouse, l'avocat du requérant sollicita l'examen du recours. Le 4 décembre 1999, le président du tribunal de surveillance déclara le recours irrecevable. En effet, il constata que la période d'application de l'arrêté avait expiré et que, de ce fait, le requérant avait perdu tout intérêt à son examen.
Arrêté no 7 – Le requérant introduisit son recours le 12 novembre 1999. Le 12 février 2000, le président du tribunal de surveillance de Pérouse déclara le recours irrecevable. En effet, il constata que la période d'application de l'arrêté avait expiré et que, de ce fait, le requérant avait perdu tout intérêt à son examen.
Arrêté no 8 – Le 28 mars 2000, le président du tribunal de surveillance de Pérouse accorda l'assistance judiciaire au requérant. Le 10 avril 2000, il fixa une audience au 4 mai 2000. Par une ordonnance du même jour, déposée au greffe le 8 mai 2000, le tribunal accepta le recours quant à la limitation relative à la possibilité pour le requérant de recevoir des colis et le rejeta pour le surplus.
Arrêté no 9 – Le requérant introduisit son recours le 28 juin 2000. Le 8 janvier 2001, le président du tribunal de surveillance de Pérouse le déclara irrecevable pour absence d'intérêt, car le délai d'efficacité de l'arrêté attaqué avait expiré le 31 décembre 2000.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le régime spécial de détention
14. L'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire (loi no 354 du 26 juillet 1975), tel que modifié par la loi no 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l'application du régime pénitentiaire ordinaire prévu par la loi no 354 de 1975, et ce par un arrêté motivé et contrôlable par l'autorité judiciaire, pour des raisons d'ordre et de sûreté publics, pour le cas où le régime ordinaire de détention entrerait en conflit avec ces dernières exigences.
Le régime spécial découlant de l'article 41 bis ne peut être appliqué qu'aux détenus poursuivis ou condamnés pour les délits visés à l'article 4 bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia.
15. L'article 41 bis a été adopté à titre temporaire. Son applicabilité a été prorogée, à plusieurs reprises, jusqu'au 31 décembre 2002 (loi no 4 du 19 janvier 2001). La loi no 279 du 23 décembre 2002 en a fait une disposition d'application permanente.
16. L'article 41 bis ne contient aucune liste des restrictions autorisées, celle-ci devant être établie par un arrêté du ministre de la Justice.
17. Quant aux moyens dont dispose un détenu pour contester la décision du ministre de la Justice de lui appliquer des restrictions, l'article 14 ter de la loi sur l'administration pénitentiaire autorise à former une réclamation (reclamo) devant le tribunal de surveillance dans un délai de dix jours à compter de la date de la communication de l'arrêté à l'intéressé. La réclamation n'a pas d'effet suspensif. Le paragraphe 2 bis de l'article 41 bis, introduit par la loi no 11 du 7 janvier 1998, fixe les règles en matière de compétence territoriale. Il prévoit ce qui suit :
« Le tribunal de surveillance qui a juridiction sur la prison dans laquelle le condamné, l'interné ou l'accusé est écroué, est compétent pour statuer sur les recours contre les décisions du ministre de la Justice prises aux termes du paragraphe 2. Cette compétence ne change pas, même en cas de déplacement pour l'un des motifs indiqués à l'article 42. »
Le tribunal doit rendre sa décision dans un délai de dix jours. Il est possible de se pourvoir en cassation contre la décision du tribunal de surveillance.
B. Les voies de recours à la disposition des détenus
18. L'article 35 de la loi no 354 de 1975 précitée régit le droit de réclamation des détenus.
Par son arrêt no 26 du 11 février 1999, la Cour constitutionnelle a décidé que, en matière de restrictions aux droits garantis par la Constitution, cet article est inconstitutionnel dans la mesure où il ne prévoit pas de protection judiciaire contre les restrictions subies par les détenus. Ne pouvant pas indiquer le recours juridique dont les détenus peuvent bénéficier, la Cour constitutionnelle a invité le pouvoir législatif à remédier à cette situation.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
19. Le requérant se plaint des retards dans l'examen, par le tribunal de surveillance, des recours déposés contre les arrêtés du ministre de la Justice en application de l'article 41 bis de la loi sur l'administration pénitentiaire. Le requérant invoque l'article 6 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
La Cour note qu'en quatre circonstances (arrêtés nos 4, 6, 7 et 9) les recours au tribunal de surveillance ont été déclarés irrecevables parce que le requérant n'avait plus d'intérêt à la décision, la validité des arrêtés à l'origine des recours étant arrivée à son terme à cause des retards dans l'examen des recours.
La Cour rappelle qu'elle a déjà eu à conclure à la méconnaissance de l'article 13 de la Convention dans un cas similaire (Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, §§ 84-97, CEDH 2000-X). Toutefois, eu égard au grief du requérant, elle se doit de vérifier si l'article 6 s'applique en l'espèce et, dans l'affirmative, si le droit du requérant à un tribunal a été respecté.
A. Sur l'applicabilité de l'article 6
20. Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 dans la présente affaire. Après avoir rappelé que l'article 6 ne s'applique qu'aux procédures qui concernent le « bien-fondé de toute accusation en matière pénale », il soutient que cette disposition ne s'appliquerait pas à celles qui se déroulent devant un tribunal de surveillance. En effet, celui-ci tranche des différends qui concernent l'exécution de la peine déjà infligée par la juridiction qui s'est prononcée sur le bien-fondé de l'accusation pénale. En outre, le deuxième alinéa de l'article 41 bis de la loi no 354 de 1975 permet à l'administration pénitentiaire, en cas de raisons graves d'ordre et de sécurité publics liées à la lutte contre la criminalité organisée, de décider que les détenus condamnés pour les délits prévus par l'article 4 bis de ladite loi seront assujettis à un régime carcéral dérogatoire.
21. De son côté, le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Selon lui, soit le tribunal de surveillance n'est pas une juridiction – et dans ce cas il y aurait une violation intégrale de tous les droits de l'homme –, soit il est tenu au respect des obligations imposées par la loi et les conventions et, avant tout, au respect de l'article 6 de la Convention.
22. La Cour partage l'opinion du Gouvernement selon laquelle le volet pénal de l'article 6 ne saurait s'appliquer en l'espèce : en effet, les procédures litigieuses ne concernaient pas le bien-fondé d'une accusation pénale portée contre le requérant.
23. En revanche, la Cour se doit de contrôler si le volet civil de l'article 6 s'applique en l'espèce, car il était question d'une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil ».
La Cour note que les procédures de réclamation avaient trait à la contestation de la régularité des restrictions à une série de droits communément reconnus aux détenus. La question de l'applicabilité de l'article 6 § 1 se pose en conséquence sous deux angles : celui de l'existence d'une « contestation » sur un « droit » défendable en droit interne, et celui du « caractère civil » ou non dudit droit.
24. Quant à la première condition, la Cour rappelle que, d'après sa jurisprudence constante, l'article 6 § 1 de la Convention ne trouve à s'appliquer que s'il existe une « contestation » réelle et sérieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 30, § 81) portant sur des « droits et obligations de caractère civil ». La contestation peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice (voir notamment l'arrêt Zander c. Suède, 25 novembre 1993, série A no 279-B, p. 38, § 22), et l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, l'article 6 § 1 ne se contentant pas, pour entrer en jeu, d'un lien ténu ni de répercussions lointaines (voir notamment les arrêts Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, série A no 327-A, p. 17, § 44, et Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 45-46, § 56). En outre, « [l']article 6 § 1 vaut pour les « contestations » relatives à des « droits » (de caractère civil) que l'on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu'ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention » (voir notamment les arrêts Editions Périscope c. France, 26 mars 1992, série A no 234-B, p. 64, § 35, et Zander précité).
Or la Cour constate que, lors de l'examen des réclamations introduites contre les arrêtés nos 2 et 8 (paragraphe 13 ci-dessus), les juridictions saisies firent en partie droit aux demandes du requérant. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 26 de 1999 (paragraphe 18 ci-dessus), s'est prononcée sur la nécessité d'assurer une protection judiciaire contre les restrictions subies par les détenus.
25. Quant à la seconde condition, la Cour note que certaines au moins des limitations sérieuses établies par les arrêtés du ministre de la Justice au regard du requérant – comme celles visant ses contacts avec sa famille et celles ayant une retombée patrimoniale – relèvent assurément des droits de la personne et, partant, revêtent un caractère civil.
26. Par conséquent, la Cour constate que l'article 6 est applicable au cas d'espèce.
B. Sur l'observation de l'article 6
27. Le requérant soutient qu'un détenu doit pouvoir bénéficier d'une protection judiciaire effective et non purement formelle. Par conséquent, le tribunal de surveillance et la Cour de cassation – devant laquelle un détenu peut attaquer la décision de la première juridiction – doivent statuer pendant la période de validité de l'arrêté litigieux. Quant au détenu, il ne dispose à chaque fois que d'un délai de dix jours pour s'adresser aux deux juridictions.
28. De son côté, le Gouvernement rappelle que la Cour, statuant sur un grief analogue tiré de l'article 13 de la Convention, a affirmé que le simple dépassement d'un délai légal ne constitue pas une méconnaissance du droit invoqué (Messina (no 2), précité, § 94). En ce qui concerne le déroulement de chaque procédure, le Gouvernement soumet à la Cour une série de commentaires concernant, selon le cas, le nombre insuffisant de magistrats affectés à la juridiction saisie ou le fait que certains postes étaient vacants. Il souligne également l'augmentation du nombre de procédures dont la juridiction était saisie (arrêté no 9).
29. La Cour relève que, en ce qui concerne l'arrêté du ministre de la Justice imposant le régime spécial, un détenu dispose de dix jours à compter de la date de la communication de l'arrêté pour former une réclamation sans effet suspensif devant le tribunal de surveillance. A son tour, le tribunal doit statuer dans un délai de dix jours.
En l'occurrence, sur la base des informations dont la Cour dispose, le requérant aurait fait l'objet de neuf arrêtés au moins lui imposant un régime spécial, et il en a attaqué huit. Dans quatre cas, aucune décision n'est intervenue pendant la période de validité des arrêtés (arrêtés nos 4, 6, 7 et 9 – paragraphe 13 ci-dessus) et, par conséquent, les recours ont été par la suite déclarés irrecevables, car le requérant avait perdu tout intérêt à leur examen.
30. Dès lors, la Cour doit contrôler si le droit du requérant à un tribunal a été respecté dans l'examen des quatre recours qu'il a exercés.
Comme le Gouvernement l'a rappelé (paragraphe 28 ci-dessus), la Cour a reconnu que le simple dépassement d'un délai légal ne constitue pas une méconnaissance du droit garanti. Cependant, dans le même arrêt, elle a également affirmé que « le temps nécessaire à l'examen d'un recours [pouvait] en mettre en cause l'efficacité » (ibidem).
31. La Cour note d'emblée que la présente espèce comporte une caractéristique essentielle qui la différencie de l'affaire Messina (no 2) citée ci-dessus. En l'espèce, en effet, les juridictions n'ont jamais statué sur le fond des quatre réclamations du requérant tandis que, dans le cas de M. Messina, elles l'avaient fait hors délai.
Or la Cour ne peut que constater que l'absence de toute décision sur le fond des recours a annulé l'impact du contrôle exercé par les tribunaux sur les arrêtés du ministre de la Justice.
Par ailleurs, si la loi applicable prévoit un délai de décision de dix jours seulement, c'est, de l'avis de la Cour, en raison, d'une part, de la gravité de l'impact du régime spécial sur les droits du détenu et, d'autre part, de la validité limitée dans le temps de la décision attaquée.
Dans ces circonstances, la Cour estime que l'absence de décision par le tribunal de surveillance sur les recours déposés contre les arrêtés du ministre de la Justice a violé le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue par un tribunal.
Il y a donc eu violation de l'article 6 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
32. Lors de la communication de la requête au Gouvernement, la Cour avait également posé la question de savoir si les garanties de l'article 13 de la Convention – qui sont moins strictes que celles de l'article 6 – avaient été respectées en l'espèce. En cette circonstance, elle avait eu égard à sa jurisprudence dans un cas similaire (arrêt Messina (no 2) précité) où le requérant avait invoqué l'article 13 de la Convention.
33. La Cour rappelle que, lorsqu'une question d'accès à un tribunal se pose, les garanties de l'article 13 sont absorbées par celles de l'article 6 (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2957, § 41).
34. Dès lors, ayant conclu à la violation de l'article 6 de la Convention dans la présente affaire, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il y a eu violation de l'article 13 (Posti et Rahko c. Finlande, no 27824/95, § 89, CEDH 2002-VII).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
36. Le requérant réclame un million d'euros. Il justifie sa demande en invoquant les souffrances endurées par lui et sa famille en raison de l'application du régime de l'article 41 bis.
37. Le Gouvernement allègue l'absence de preuves étayant les demandes du requérant quant au préjudice matériel subi. Il considère en outre que le constat de violation peut représenter une satisfaction équitable suffisante quant au préjudice moral.
38. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice allégué. Elle rejette cette demande.
39. La Cour considère que, dans les circonstances de l'affaire, le constat de violation de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (arrêt Messina (no 2) précité).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit que l'article 6 de la Convention s'applique en l'espèce et qu'il y a eu violation de cette disposition ;
2. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
3. Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2003, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Christos Rozakis Greffier Président
ARRÊT GANCI c. ITALIE
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