PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KOUMOUTSEA ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 56625/00)
ARRÊT
STRASBOURG
6 mars 2003
DÉFINITIF
06/06/2003
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Koumoutsea et autres c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente, MM. C.L. Rozakis, G. Bonello, E. Levits, Mme S. Botoucharova, MM. A. Kovler, V. Zagrebelsky, juges, et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 13 décembre 2001 et 13 février 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 56625/00) dirigée contre la République hellénique et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mmes Maria Koumoutsea, Daphné Koumoutsea et Galini Koumoutsea ainsi que M. Georgios Koumoutseas (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 mars 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l'Etat et Mme V. Pelekou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l'Etat.
3. Les requérants alléguaient le dépassement du délai raisonnable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 13 décembre 2001, la Cour a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
7. Les requérants sont nés respectivement en 1934, 1966, 1968 et 1971 et résident à Athènes. La première requérante est la veuve d'Alexandros Koumoutseas, magistrat à la retraite, décédé le 14 juin 1994. Les trois autres requérants sont ses enfants.
8. Le 30 janvier 1989, Alexandros Koumoutseas fut mis à la retraite.
9. Le 25 juin 1990, il saisit le tribunal administratif de première instance d'Athènes d'une demande tendant à obtenir une allocation supplémentaire pour non-utilisation de voiture officielle de 18 000 drachmes (52,82 euros). Le tribunal rejeta son recours le 31 janvier 1991. L'intéressé interjeta alors appel de cette décision.
10. Le 12 février 1992, la cour administrative d'appel d'Athènes infirma la décision attaquée et fit droit à la demande d'Alexandros Koumoutseas.
11. Le 26 mai 1992, l'Etat se pourvut en cassation. Après plusieurs ajournements de l'affaire, l'audience eut lieu le 7 juin 1999.
12. Le 18 octobre 1999, le Conseil d'Etat déclara le pourvoi en cassation irrecevable au motif que l'Etat, qui avait signifié son pourvoi aux requérants, avait omis de déposer au greffe les documents attestant de leur qualité d'héritiers (acte de décès, testament, certificat d'héritage, etc.).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
13. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure et allèguent une violation de l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Période à prendre en considération
14. La Cour note que la procédure a débuté le 25 juin 1990, avec la saisine du tribunal administratif de première instance d'Athènes, et s'est terminée le 18 octobre 1999, lorsque le Conseil d'Etat rendit son arrêt. Elle a donc duré neuf ans, trois mois et vingt-trois jours, pour trois degrés de juridiction.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
15. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 824, § 57 ; Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, p. 39).
16. Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour observe que les requérants ont en général fait preuve de diligence dans la conduite de l'affaire. Force est alors de constater que, s'agissant d'une durée de plus de neuf ans, la lenteur de la procédure résulte essentiellement du comportement des autorités et juridictions saisies.
17. La Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable. Dès lors, la Cour ne saurait estimer « raisonnable » la durée globale écoulée en l'espèce.
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
18. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
19. Les requérants réclament conjointement 5 868 euros (EUR) au titre du préjudice moral.
20. Le Gouvernement estime qu'un arrêt de la Cour constituerait par lui-même une satisfaction équitable suffisante.
21. La Cour estime que la durée excessive de la procédure a provoqué chez les requérants anxiété et tension. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue conjointement aux requérants 1 000 EUR à ce titre.
B. Intérêts moratoires
22. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l'Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 mars 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Françoise Tulkens Greffier adjoint Présidente
ARRÊT KOUMOUTSEA ET AUTRES c. GRÈCE
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