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21/03/2002 | CEDH | N°44797/98;44798/98

CEDH | AFFAIRE ETCHEVESTE c. FRANCE AFFAIRE BIDART c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ETCHEVESTE c. FRANCE
AFFAIRE BIDART c. FRANCE
(Requêtes nos 44797/98 et 44798/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mars 2002
DÉFINITIF
21/06/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Etcheveste et Bidart c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P.

Costa,    G. Bonello,    E. Levits,   Mmes S. Botoucharova,    E. Steiner, juges,  et de M. E. Fribergh, gre...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ETCHEVESTE c. FRANCE
AFFAIRE BIDART c. FRANCE
(Requêtes nos 44797/98 et 44798/98)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mars 2002
DÉFINITIF
21/06/2002
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Etcheveste et Bidart c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
M. C.L. Rozakis, président,   Mme F. Tulkens,   MM. J.-P. Costa,    G. Bonello,    E. Levits,   Mmes S. Botoucharova,    E. Steiner, juges,  et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 mai 2001 et 28 février 2002,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 44797/98 et 44798/98) dirigées contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Joseph Etcheveste et Filipe Bidart (« les requérants »), ont saisi la Cour le 28 octobre 1998 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Y. Molina Ugarte, avocate au barreau de Bayonne. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l’homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignaient notamment de la durée de la procédure pénale dont ils avaient fait l’objet (« la procédure »).
4.  Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
5.  Par décisions du 10 mai 2001, la Cour a déclaré les requêtes partiellement recevables.
6.  Les requérants ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire. Le Gouvernement a également déposé des observations complémentaires dans la requête n° 44798/98, comme il avait été invité à le faire par la Cour.
7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section dans sa nouvelle composition (article 52 § 1).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Le 7 août 1983, une fusillade eut lieu dans un camping des Landes entre quatre hommes en voiture et deux gendarmes qui tentaient de les interpeller. L’un des gendarmes fut tué, l’autre blessé à la main, et les quatre hommes s’enfuirent. Trois d’entre eux dérobèrent les armes des gendarmes et leur véhicule de service pour quitter les lieux, puis, sous la menace de leur arme, ils saisirent le véhicule d’un passant pour continuer leur fuite.
9.  Du 7 au 9 août 1983, les services de gendarmerie procédèrent aux premières constatations sur les lieux de la fusillade et entendirent les victimes, ainsi que de nombreux témoins directs des faits. Plusieurs objets furent découverts dans les divers véhicules abandonnés, et notamment des armes, des munitions et des explosifs. Un film super 8, tourné pendant les faits par un témoin, fut également saisi.
10.  Le 9 août 1983, une information judiciaire fut ouverte pour homicide volontaire, tentative d’homicide volontaire et complicité, détention, port et transport illégaux d’armes, munitions et explosifs, vols aggravés et coups et blessures volontaires. Le juge d’instruction F. fut désigné. Il donna immédiatement commission rogatoire aux services de police judiciaire de Bordeaux de poursuivre l’enquête, et ordonna plusieurs expertises (expertise balistique, expertise d’explosifs). Le premier rapport balistique fut déposé le 14 octobre 1983.
11.  Le 16 août 1983, la fusillade fut revendiquée par le groupe séparatiste basque IPARRETARRAK, auquel auraient appartenu les requérants.
12.  Le 24 août 1983, le juge d’instruction se transporta sur les lieux de la fusillade, aux fins de reconstituer les faits sur la base du témoignage du gendarme survivant.
13.  Le 1er septembre 1983, le juge délivra des mandats d’arrêt à l’encontre de deux personnes suspectées, J. Etcheveste et L. Le requérant étant introuvable, ce mandat d’arrêt ne fut jamais mis en œuvre.
14.  Deux armuriers experts furent commis par le juge d’instruction pour procéder à une étude balistique et technique complète des faits, et assister aux reconstitutions qui devaient être organisées. Leur rapport fut déposé le 23 novembre 1984.
15.  Le 2 septembre 1983, une expertise en écriture fut ordonnée par le juge d’instruction, pour comparer des spécimens d’écriture de la main de F. Bidart avec les annotations manuscrites figurant sur un agenda de 1983 retrouvé par les services de gendarmerie lors de l’enquête de flagrance.
16.  Le 26 septembre 1983, le juge d’instruction se transporta sur les lieux de la fusillade en présence de plusieurs témoins des faits, afin de procéder à une nouvelle reconstitution.
17.  De septembre à novembre 1983, plusieurs personnes proches des milieux séparatistes basques furent entendues.
18.  Le 6 novembre 1983, le juge d’instruction ordonna deux expertises (expertise en écriture, expertise en traduction).
19.  Une personne suspecte, J.-G. Mouesca, fut arrêté le 1er mars 1984. Le 7 mars 1984, le juge d’instruction l’inculpa et le plaça sous mandat de dépôt. Il fut incarcéré à la maison d’arrêt de Pau. Le 10 mars 1984, le juge d’instruction se déplaça à la maison d’arrêt pour procéder à son audition, mais il refusa de répondre à ses questions et de signer le procès-verbal d’audition.
20.  Le 16 avril 1984, une expertise graphologique fut ordonnée. Elle fut déposée le 2 juin 1984.
21.  Le 11 mai 1984, le juge se transporta, en présence de J.-G. Mouesca et de plusieurs témoins, tout d’abord au commissariat de Dax afin d’organiser une parade d’identification, puis sur les lieux de la fusillade, pour procéder à une reconstitution des faits. Les témoins non présents le 11 mai 1984 furent entendus le 15 mai suivant.
22.  Le 25 mai 1984, le juge se rendit de nouveau au commissariat de Dax afin de visionner le film saisi. Le 28 mai 1984, il demanda l’agrandissement de plusieurs vues extraites du film.
23.  Le 19 septembre 1984, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Dax se rendit à la maison d’arrêt de Tarbes pour entendre J.-G. Mouesca. Toutefois, celui-ci refusa de répondre aux questions, et indiqua qu’il entendait mener une « grève d’instruction » pour protester contre son transfert à Tarbes.
24.  Une contre-expertise en écriture fut ordonnée le 11 octobre 1984. Le rapport de contre-expertise fut déposé le 8 janvier 1985.
25.  Le 26 octobre 1984, le juge délivra un mandat d’arrêt à l’encontre de F. Bidart. Ce mandat d’arrêt ne fut cependant jamais mis en œuvre, le requérant étant introuvable.
26.  L’audition de J.-G. Mouesca fixée au 16 janvier 1985, fut annulée en raison de problèmes de santé de ce dernier, et eut lieu le 9 juillet 1985. A cette occasion, J.-G. Mouesca refusa de nouveau de s’expliquer sur les faits reprochés, et ne souhaita pas faire d’observations sur les résultats des expertises balistiques et graphologiques. Ces mêmes rapports d’expertises furent notifiés à la femme du gendarme décédé, qui s’était constituée partie civile.
27.  Le 16 juillet 1985, le juge ordonna une nouvelle expertise balistique, dont le rapport fut déposé le 27 juillet suivant.
28.  Le 5 septembre 1985, le juge demanda communication des pièces relatives à une autre procédure suivie contre J.-G. Mouesca à Bayonne.
29.  Le rapport de l’expertise des explosifs fut remis au juge le 30 janvier 1986. Le 26 mars 1996, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au doyen des juges d’instruction de Bobigny pour notification des résultats de l’expertise au gendarme survivant qui s’était porté partie civile.
30.  Le 3 juin 1986, le juge donna commission rogatoire au laboratoire de police scientifique de Toulouse afin d’établir les éventuelles compatibilités entre les armes saisies lors de la procédure et les projectiles retrouvés sur les lieux de la fusillade. Le rapport d’expertise, concluant négativement, fut déposé le 6 juin 1986.
31.  Le 6 novembre 1986, le juge délivra de nouveaux mandats d’arrêt contre J. Etcheveste, F. Bidart et L. Le 8 décembre 1986, il ordonna la transmission du dossier au procureur général près la cour d’appel de Pau.
32.  Le 13 décembre 1986, J.-G. Mouesca s’évada de la maison d’arrêt de Pau, où il était détenu.
33.  Le 19 juin 1987, le procureur général requit la mise en accusation et le renvoi de J. Etcheveste, de F. Bidart, de J.-G. Mouesca et de L. devant la cour d’assises des Landes.
34.  J.-G. Mouesca fut arrêté à nouveau le 11 juillet 1987 et écroué le 13 juillet suivant à la maison d’arrêt de la Santé à Paris.
35.  Par arrêt du 19 août 1987, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau mit les requérants, J.-G. Mouesca et L. en accusation. J. Etcheveste et F. Bidart furent respectivement accusés de vol avec arme, transport illégal d’armes et de munitions, détention d’explosifs et recel de vol pour le premier, et d’homicide volontaire, complicité d’homicide volontaire, vol avec arme, vol, transport illégal d’armes et de munitions et détention d’explosifs pour le second. Elle les renvoya, de même que leurs coïnculpés, devant la cour d’assises des Landes.
36.  J.-G. Mouesca forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt de renvoi le 6 septembre 1987. Par arrêt du 19 janvier 1988, la Cour de cassation cassa l’arrêt déféré, dans toutes ses dispositions le concernant, et renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Toulouse.
37.  Le 20 février 1988, J. Etcheveste fut arrêté à la suite d’une fusillade, au cours de laquelle il fut grièvement blessé par une balle tirée par les forces de police. Il est actuellement paraplégique. Le même jour, F. Bidart fut également interpellé. Tous deux furent incarcérés dans le cadre d’une procédure distincte de la présente affaire.
38.  Le renvoi des requérants devant la cour d’assises des Landes, prononcé par la chambre d’accusation de Pau dans son arrêt du 19 août 1987, fut signifié aux intéressés le 19 mai 1988. Ceux-ci formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision le 22 mai 1988.
39.  Le 4 octobre 1988, la chambre criminelle de la Cour de cassation constata l’absence de dépôt de mémoire exposant les moyens de cassation. En conséquence, elle déclara les requérants déchus de leur pourvoi, en application de l’article 574-1 du code de procédure pénale.
40.  Par arrêt du 7 mars 1989, la chambre d’accusation de Toulouse mit J.-G. Mouesca en accusation et prononça son renvoi devant la cour d’assises des Landes. Par ailleurs, elle annula plusieurs pièces de la procédure en indiquant que ces pièces continueraient à figurer au dossier, l’annulation ayant pour seul effet de les rendre inopposables à J.-G. Mouesca. Enfin, la chambre d’accusation refusa d’ordonner un supplément d’information.
41.  J.-G. Mouesca forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt le 24 mars 1989. Le 11 juillet 1989, la Cour de cassation cassa partiellement l’arrêt de la chambre d’accusation de Toulouse, et renvoya la cause et les parties devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Montpellier.
42.  Le 9 octobre 1989, le procureur général près la cour d’appel de Montpellier requit le renvoi de l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, dans le souci d’une bonne administration de la justice, en raison de ce que J.-G. Mouesca était détenu à Fleury-Mérogis en exécution de peine ainsi que de cinq mandats de dépôt délivrés à son encontre dans le cadre de plusieurs informations ouvertes contre lui à Paris.
43.  Le 25 octobre 1989, la Cour de cassation ordonna le dessaisissement de la chambre d’accusation de Montpellier au profit de la chambre d’accusation de Paris. Le 24 avril 1990, la chambre d’accusation de Paris prononça l’annulation d’un certain nombre de pièces de la procédure d’instruction, ordonna leur retrait du dossier et désigna le juge d’instruction R. pour poursuivre l’information.
44.  En mars 1991, des pièces d’autres procédures concernant des membres d’IPARRETARRAK furent communiquées au juge R. Le 24 mai 1991, celui-ci délivra commission rogatoire aux fins de transmission de l’ensemble des scellés de ces procédures. La commission rogatoire fut retournée au juge le 26 juin 1991, faisant état des difficultés pour localiser lesdits scellés.
45.  Les 8, 13, 14, 18 novembre 1991 et le 16 décembre 1991, le juge ordonna la jonction au dossier de J.-G. Mouesca de pièces émanant d’autres dossiers concernant des membres d’IPARRETARRAK, dont celui de F. Bidart, ainsi que d’un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 4 mars 1991 condamnant notamment F. Bidart et J.-G. Mouesca, pour des faits commis en 1987 après l’évasion de ce dernier.
46.  Les 15 et 19 novembre et le 17 décembre 1991, le juge ordonna la saisie d’armes et de munitions.
47.  Le 18 novembre 1991, J. Etcheveste fut inculpé des faits visés lors de l’ouverture de l’information par le parquet de Dax, le 9 août 1983. Il refusa de s’expliquer sur les infractions qui lui étaient reprochées.
48.  Le 19 décembre 1991, le juge ordonna une nouvelle expertise des armes et munitions saisies pendant la procédure, qui fut remise le 11 mai 1992, et conclut que l’arme découverte en possession de F. Bidart avait tiré plusieurs munitions retrouvées sur les lieux de la fusillade.
49.  Le 20 décembre 1991, le juge ordonna l’expertise des empreintes relevées pendant la procédure, dont le rapport fut déposé le 15 mars 1992.
50.  Le 26 décembre 1991, J.-G. Mouesca, interrogé par le juge d’instruction, refusa de répondre aux questions posées.
51.  Le 8 janvier 1992, le juge demanda l’établissement d’un dossier photographique complet comprenant les photographies des requérants ainsi que de J.-G. Mouesca et de L. Ce dossier lui fut adressé le 5 mai 1992.
52.  Le 1er juin 1992, les rapports d’expertises balistiques et des empreintes étaient notifiés à J.-G. Mouesca.
53.  Le 12 juin 1992, le juge ordonna la jonction au dossier de pièces figurant dans un dossier d’information concernant F. Bidart.
54.  Le 10 décembre 1992, l’audition des parties civiles, initialement prévue le 15 décembre, fut reportée. L’agent judiciaire du Trésor se porta partie civile le 2 septembre 1993. Le 9 décembre 1993, la veuve du gendarme tué pendant la fusillade et le gendarme survivant, parties civiles, furent entendues par le juge qui, le 21 décembre suivant, leur notifia les rapports d’expertises.
55.  Le 25 janvier 1994, le juge transmit le dossier au président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris. Le 22 février 1994, la chambre d’accusation constata l’empêchement du juge R. pour raisons de santé et désigna, pour le remplacer, le juge L.V.
56.  Le 15 juillet 1994, le juge avisa les parties de ce que l’instruction était terminée.
57.  Le 3 août 1994, l’avocat de J.-G. Mouesca demanda au juge que l’ensemble des scellés lui soient représentés. Le 23 novembre 1995, J.-G. Mouesca fut interrogé par le juge d’instruction, qui lui présenta une partie des scellés le concernant, ainsi que des scellés constitués dans d’autres affaires concernant des faits commis par des militants d’IPARRETARRAK.
58.  Le 26 janvier 1996, le juge d’instruction avisa à nouveau les parties de ce que l’instruction était terminée.
59.  Le 14 février 1996, J.-G. Mouesca saisit la chambre d’accusation d’une requête en nullité. Il invoquait, d’une part, l’irrégularité de la désignation du juge L.V. et, d’autre part, la nullité de l’ensemble des scellés comportant des anomalies, ainsi que la nullité des expertises dont ils avaient fait l’objet.
60.  Par arrêt du 16 octobre 1996, la chambre d’accusation déclara mal fondée la requête de J.-G. Mouesca. En revanche, elle prononça d’office la nullité des actes d’instruction concernant J. Etcheveste réalisés par le premier juge d’instruction parisien désigné dans cette affaire.
61.  Le 8 avril 1997, le président de la cour d’assises des Landes ordonna un supplément d’information au cours duquel J. Etcheveste et F. Bidart furent successivement mis en examen respectivement les 14 novembre 1997 et 19 septembre 1997, et interrogés par le juge d’instruction respectivement les 18 décembre 1997 et 28 novembre 1997.
62.  Le 17 mars 1998, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris prononça le renvoi de J.-G. Mouesca devant la cour d’assises des Landes.
63.  Le 31 mars 1998, F. Bidart forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu le 19 août 1987 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau.
64.  Le 30 avril 1998, le dossier de la procédure, après exécution du supplément d’information ordonné le 8 avril 1997, fut déposé au greffe de la cour d’assises des Landes.
65.  Le 24 juin 1998, la chambre criminelle déclara irrecevable le pourvoi formé par F. Bidart contre l’arrêt du 19 août 1987.
66.  Le 4 décembre 1998, le procureur général près la cour d’appel de Pau demanda, en application de l’article 665 du code de procédure pénale, le renvoi de la procédure concernant les requérants, J.-G. Mouesca, et L. devant la cour d’assises de Paris. Par arrêt du 6 janvier 1999 la Cour de cassation renvoya la connaissance de l’affaire à la cour d’assises de Paris, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
67.  Les requérants et J.-G. Mouesca comparurent devant la cour d’assises spéciale de Paris du 22 mars 2000 au 31 mars 2000. Par arrêt du 31 mars 2000, J. Etcheveste fut condamné à 4 ans d’emprisonnement, F. Bidart à 20 ans de réclusion criminelle et J.-G. Mouesca à 15 ans de réclusion criminelle. Cette décision n’a fait l’objet d’aucun recours.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le mandat d’arrêt
68.  Le mandat d’arrêt, qui émane du juge d’instruction, est l’ordre donné à la force publique (gendarmerie ou police), d’une part, de rechercher et d’arrêter la personne mentionnée, d’autre part, de la conduire à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat (article 122 al. 5 du code de procédure pénale). Un tel mandat intervient lorsque la personne se trouve en fuite ou réside à l’étranger
69.  Si la personne recherchée ne peut être saisie, un procès-verbal de recherches infructueuses est adressé au magistrat qui a délivré le mandat (article 134 al. 3 du code de procédure pénale).
70.  La personne saisie en vertu d’un mandat d’arrêt est certes incarcérée, mais seulement pour vingt-quatre heures. Car dans ce bref délai, après avoir interrogé la personne, le juge d’instruction doit statuer. S’il le croit nécessaire, il met en examen la personne, si ce n’est déjà fait, et prend une ordonnance à fin de placement en détention provisoire de la personne mise en examen (voir J.-C. Soyer, Droit pénal et procédure pénale 15e éd., 2000, p. 329).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
71.  Les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale dont ils ont fait l’objet. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
72.  La Cour relève avant toute chose que les organes de la Convention ont déjà été appelés à se prononcer sur certains aspects de la procédure en cause, dans le cadre de la requête n° 27873/95 introduite par J.-G. Mouesca. Dans cette requête, enregistrée le 17 juillet 1995, le Comité des Ministres a constaté, après adoption d’un Rapport de la Commission, la violation de l’article 6, par Résolution du 10 juillet 1998.
A.  Période à considérer
73.  Le point de départ de la période à considérer porte à controverse.
74.  Selon J. Etcheveste et F. Bidart, la procédure a eu des répercussions importantes à leur égard depuis les mandats d’arrêt délivrés par le juge d’instruction à leur encontre, à savoir depuis le 1er septembre 1983 pour le premier et le 26 octobre 1984 pour le second.
75.  Le Gouvernement expose quant à lui que le premier acte portant « accusation » des requérants au sens de la Convention, est constitué par l’arrêt de la chambre d’accusation les renvoyant devant la cour d’assises des Landes, en date du 19 août 1987. Il considère en conséquence que le point de départ de la procédure doit être fixé au jour de la signification aux requérants de cet arrêt, soit le 19 mai 1988.
76.  Les requérants affirment qu’en toute hypothèse ils furent à la disposition de la justice dès leur arrestation le 20 février 1988, soit douze ans et un mois avant l’audience du jugement.
77.  La Cour rappelle qu’ « en matière pénale, le délai raisonnable de l’article 6 § 1 débute dès l’instant qu’une personne se trouve accusée ; il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment de l’arrestation, de l’inculpation et de l’ouverture des enquêtes préliminaires. L’accusation, au sens de l’article 6 § 1, peut se définir comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale, idée qui correspond aussi à la notion de répercussions importantes sur la situation du suspect » (voir, notamment, l’arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A, n° 51, p. 33, § 73).
78.  Appliquant ces principes aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que les dates avancées par les requérants quant à la procédure engagée à leur égard ne sauraient entrer en ligne de compte. En effet, les requérants ne furent pas touchés par les mandats d’arrêt délivrés à leur encontre. Etant en fuite, ils n’étaient pas directement affectés par la procédure.
79.  La Cour constate que les requérants ont été arrêtés et incarcérés dans le cadre d’une procédure distincte le 20 février 1988. L’arrestation et l’incarcération des requérants n’ayant pas de lien direct avec la présente affaire, la date de leur arrestation ne saurait être retenue comme point de départ de la durée de la procédure.
80.  La première information des requérants concernant la procédure pénale diligentée à leur encontre fut la notification de l’arrêt du 19 août 1987 par lequel la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau les avait mis en accusation et renvoyés devant la cour d’assises des Landes. C’est à partir de la notification de cet arrêt le 19 mai 1988 que les intéressés ont eu officiellement connaissance de l’enquête et en ont ressenti les effets. En conséquence, la Cour adopte pour point de départ du « délai » la date du 19 mai 1988.
81.  La période à considérer a débuté le 19 mai 1988, et s’est achevée avec la condamnation définitive des requérants par arrêt de la cour d’assises du 31 mars 2000. Elle a donc duré 11 ans, 10 mois et 12 jours.
B.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure
82.  Pour l’appréciation de la durée de la procédure, le Gouvernement se réfère au rapport de la Commission rendu le 14 janvier 1998 dans le cadre de la requête Mouesca c. France précitée. Il admet cependant que le comportement des requérants n’a pas été de nature à allonger la procédure. En conséquence, il entend s’en remettre à la sagesse de la Cour.
83.  Les requérants affirment qu’on ne saurait leur reprocher une quelconque responsabilité dans la durée de la procédure car ils n’ont, selon eux, accompli aucun acte susceptible de l’allonger.
84.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999 [GC], n° 25444/94, CEDH 1999-II, § 67).
85.  La Cour rappelle que la durée de la procédure avait pour partie déjà été mise en cause dans l’affaire Mouesca c. France précitée, dans le cadre de laquelle la Commission avait adopté un Rapport concluant à la violation de l’article 6 § 1 le 14 janvier 1998, violation confirmée le 10 juillet 1998 par le Comité des Ministres.
86.  Dans son Rapport, la Commission relevait que l’affaire revêtait une complexité certaine. D’une part, elle estimait que le requérant avait contribué pour partie à l’allongement de la procédure. D’autre part, elle relevait des périodes d’inactivité imputables à l’Etat. La Commission fut cependant d’avis que ni la complexité de l’affaire, ni le comportement de J.-G. Mouesca, ne suffisaient à expliquer la durée de la procédure.
87.  La Cour relève que les requérants n’ont, contrairement à J.-G. Mouesca, aucunement contribué à l’allongement de la procédure par leur comportement.
88.  La Cour note que si les présentes procédures chevauchent pour partie la procédure considérée dans l’affaire Mouesca, il n’en demeure pas moins qu’elles ne peuvent être confondues. En effet, la procédure litigieuse dans l’affaire Mouesca avait débuté le 1er mars 1984 avec l’arrestation de J.-G. Mouesca, et était encore pendante au bout de 13 ans et plus de 10 mois au jour du Rapport, alors que la procédure concernant les requérants a débuté le 19 mai 1988, et s’est achevée le 31 mars 2000.
89.  Néanmoins, la Cour constate que trois des sept périodes d’inactivité imputées à l’Etat par la Commission concernent également les requérants. Il s’agit des périodes allant du 25 octobre 1989 (date de l’arrêt renvoyant l’affaire devant la chambre d’accusation de Paris) au 24 avril 1990 (date de l’arrêt de la chambre d’accusation de Paris), du 24 avril 1990 à mars 1991 (date de la transmission de pièces au juge d’instruction R.), et de juin 1992 à décembre 1993, soit une durée globale de plus de deux ans et dix mois.
90.  La Cour relève en l’espèce d’autres périodes pendant lesquelles aucun acte d’instruction n’a été effectué : du 24 juin 1998 (date de l’arrêt d’irrecevabilité du pourvoi de F. Bidart) au 4 décembre 1998 (date du réquisitoire de renvoi de la procédure devant la cour d’assises de Paris), et du 6 janvier 1999 (date de l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises de Paris) au 22 mars 2000 (date de comparution devant la cour d’assises), soit une durée globale de plus d’un an et sept mois.
91.  Les requérants semblent mettre aussi en cause certaines périodes au cours desquelles les autorités se sont consacrées exclusivement à l’examen des multiples demandes et recours de J.-G. Mouesca, s’abstenant de tout acte à l’égard des requérants. L’usage systématique des voies de recours par J.-G. Mouesca, et le nécessaire examen subséquent de ses demandes par les autorités, expliquent que celles-ci aient, à plusieurs reprises, négligé d’agir à l’égard des requérants. Ces périodes d’inactivité couvrent une durée totale de plus trois ans et dix mois pour ce qui est de F. Bidart, et près de trois ans et cinq mois pour ce qui est de J. Etcheveste. En dépit du comportement de J.-G. Mouesca qui avait sans conteste pour effet de retarder le déroulement de la procédure à l’égard des requérants, les autorités judiciaires, usant de leur pouvoir discrétionnaire, ont pourtant décidé de ne pas disjoindre la procédure à l’égard de J.-G. Mouesca. En agissant de la sorte, elles ont pris le risque de retarder davantage encore le renvoi en jugement des requérants. Toutefois, la gravité des infractions incriminées et l’interdépendance des accusations relevées par la chambre d’accusation dans son arrêt du 19 août 1987, pouvaient raisonnablement paraître imposer pareille évolution en parallèle des dossiers des coaccusés. L’article 6 de la Convention prescrit la célérité des procédures judiciaires, mais il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice. Dans les circonstances de la cause, la décision des autorités de ne pas disjoindre la procédure à l’égard de J.-G. Mouesca se révèle compatible avec le juste équilibre à ménager entre les divers aspects de cette exigence fondamentale (voir mutatis mutandis l’arrêt Boddaert c. Belgique du 12 octobre 1992, série A n° 235-D, § 39).
92.  Sur la base de l’ensemble des éléments considérés, et eu égard à la durée globale de la procédure, à savoir presque douze ans pour un degré de juridiction, la Cour est d’avis que la procédure litigieuse n’a pas répondu aux exigences du « délai raisonnable ».
93.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
94.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
95.  Les requérants réclament chacun pour leur préjudice moral la somme de 120 000 FRF.
96.  Le Gouvernement propose le versement de la somme de 50 000 FRF, pour chaque requérant, toutes causes de préjudice confondues.
97.  La Cour estime que la durée des procédures litigieuses au-delà du délai raisonnable a sans nul doute causé aux requérants un désagrément notable et une incertitude prolongée justifiant l’octroi d’une indemnité au titre du préjudice moral. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue à chaque requérant la somme de 10 700 €.
B.  Frais et dépens
98.  Les requérants sollicitent le paiement de la somme de 12 060 FRF, soit 1 838,54 €, au titre des frais et dépens qu’ils ont exposés devant la Cour.
99.  F. Bidart réclame en outre 11 960 FRF, au titre des frais occasionnés par les déplacements de son avocate sur les lieux de sa détention pendant les années 2000 et 2001.
100.  Par ailleurs, F. Bidart sollicite le paiement de la somme de 13 869 FRF, au titre des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales.
101.  La Cour estime que le montant réclamé par les requérants au titre de leurs frais et dépens devant la Cour est raisonnable et l’accorde en entier.
102.  En revanche, la Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle ne rembourse les frais, que pour autant qu’il soit établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés, et sont d’un montant raisonnable (voir, notamment, Bottazzi c. Italie [GC], n°34884/97, § 30, CEDH 1999-V). La Cour estime qu’il n’est pas établi que les frais réclamés au titre des déplacements de l’avocate de F. Bidart aient été « nécessairement » exposés, et qu’il n’y a donc pas lieu d’en ordonner le remboursement.
103.  Enfin, la Cour rappelle que lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales, que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, notamment, l’arrêt Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998, § 63, et Arvois c. France du 23 novembre 1999, § 21, non publié). Tel n’est à l’évidence pas le cas en l’espèce s’agissant des frais de représentation de F. Bidart devant les juridictions nationales. Enfin, ce dernier ne fait état d’aucune démarche entreprise de nature à accélérer la procédure. Cette partie de la demande de F. Bidart doit donc être rejetée.
C.  Intérêts moratoires
104.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1.  Joint les requêtes ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 700 € (dix mille sept cents euros) pour dommage moral, et 1 838,54 € (mille huit cent trente-huit euros et cinquante-quatre centimes) pour frais et dépens ;
b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mars 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Christos Rozakis   Greffier Président
ARRÊT ETCHEVESTE et BIDART c. FRANCE
ARRÊT ETCHEVESTE et BIDART c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 44797/98;44798/98
Date de la décision : 21/03/2002
Type d'affaire : Arrêt (Au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE


Parties
Demandeurs : ETCHEVESTE
Défendeurs : FRANCE AFFAIRE BIDART

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2002-03-21;44797.98 ?

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