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12/07/2001 | CEDH | N°25702/94

CEDH | AFFAIRE K. ET T. c. FINLANDE


AFFAIRE K. ET T. c. FINLANDE
(Requête no 25702/94)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juillet 2001
En l’affaire K. et T. c. Finlande,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
M. L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   MM. C.L. Rozakis,    G. Ress,    J.-P. Costa,    Gaukur Jörundsson,    G. Bonello,    W. Fuhrmann,    K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B. Zupančič,    M. Pellonpää,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. T. Panţîru,    R. Marus

te,    K. Traja,    A. Kovler, juges,  ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil...

AFFAIRE K. ET T. c. FINLANDE
(Requête no 25702/94)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juillet 2001
En l’affaire K. et T. c. Finlande,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
M. L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   MM. C.L. Rozakis,    G. Ress,    J.-P. Costa,    Gaukur Jörundsson,    G. Bonello,    W. Fuhrmann,    K. Jungwiert,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B. Zupančič,    M. Pellonpää,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. T. Panţîru,    R. Maruste,    K. Traja,    A. Kovler, juges,  ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 mars et 13 juin 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25702/94) dirigée contre la République de Finlande et dont deux ressortissants de cet Etat, K. et T. (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 26 octobre 1994 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants, qui avaient été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, étaient représentés par Mes J. Kortteinen et S. Heikinheimo, avocats exerçant au barreau d’Helsinki (Finlande), et par Mme A. Suomela, conseillère. Le gouvernement finlandais (« le Gouvernement ») était représenté par ses agents.
3.  Les requérants alléguaient initialement que les faits de la cause révélaient un manquement de l’Etat défendeur à ses obligations au titre des articles 5, 6 § 3 c), 8, 10 et 12 de la Convention pris isolément ou combinés avec l’article 13.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
5.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Le 11 mai 1999, le président de ladite section a décidé, en application des articles 33 §§ 3 et 4 et 47 § 3 du règlement, qu’aucun des documents du dossier ne serait accessible au public et que l’identité des requérants ne serait pas révélée. Le 8 juin 1999, après une audience à huis clos sur la recevabilité et le bien-fondé (article 54 § 4 du règlement), la requête a été déclarée en partie recevable (quant aux articles 8 et 13 de la Convention) par une chambre de cette section (« la chambre »), composée de M. G. Ress, président, M. M. Pellonpää, M. I. Cabral Barreto, M. V. Butkevych, Mme N. Vajić, M. J. Hedigan, Mme S. Botoucharova, juges, et de M. V. Berger, greffier de section [Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe].
6.  Le 27 avril 2000, la chambre a rendu son arrêt ; à l’unanimité, elle y constate une violation de l’article 8 de la Convention à raison de la prise en charge des enfants par l’autorité publique et du refus de prendre des mesures propres à réunir la famille. La chambre n’a pas jugé devoir examiner les restrictions aux visites séparément, si ce n’est quant à la situation telle qu’elle se présentait alors. A cet égard, elle n’a pas constaté de violation de l’article 8. La chambre a conclu à la non-violation de l’article 13 de la Convention. Elle a dit aussi que l’Etat défendeur devait verser aux requérants : i. 40 000 FIM (quarante mille marks finlandais) chacun, soit 80 000 FIM (quatre-vingt mille marks finlandais) au total, pour préjudice moral, et ii. 5 190 FIM (cinq mille cent quatre-vingt-dix marks finlandais) pour frais et dépens, moins 2 230 FRF (deux mille deux cent trente francs français) à convertir en marks finlandais au taux applicable à la date du 27 avril 2000. L’opinion concordante de M. le juge Pellonpää se trouvait jointe à l’arrêt.
7.  Le 24 juillet 2000, le Gouvernement a demandé, en vertu des articles 43 de la Convention et 73 du règlement, le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Un collège de celle-ci a accueilli sa demande le 4 octobre 2000.
8.  La composition de la Grande Chambre a été déterminée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Grande Chambre a résolu, le 24 janvier 2001, que l’ordonnance du 11 mai 1999 du président de section (paragraphe 5 ci-dessus) continuerait de s’appliquer devant la Grande Chambre.
9.  Le 30 janvier 2001, les requérants ont déposé leurs observations sur la demande de renvoi formée par le Gouvernement.
10.  Une audience devant la Grande Chambre s’est déroulée en public le 14 mars 2001 au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. A. Rotkirch, ministère des Affaires étrangères,   A. Kosonen, ministère des Affaires étrangères, agents,  Mmes P.-L. Heiliö,   A. Aho-Eagling,  M. J. Piha,  conseillers ;
–  pour les requérants  Me J. Kortteinen, conseil,  Mme A. Suomela, conseillère.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions de juges, Me Kortteinen, M. Rotkirch, M. Kosonen et M. Piha.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A.  Fluctuations de la condition mentale de la requérante jusqu’en 1993
11.  Au début des événements pertinents pour la présente requête, K. avait une fille, P., née en 1986 et ayant X pour père, ainsi qu’un fils, M., né en 1988 et dont le père est V. Entre mars et mai 1989, K. fut hospitalisée de son plein gré pendant trois mois environ pour schizophrénie. D’août à novembre 1989 et de décembre 1989 à mars 1990, elle fut à nouveau hospitalisée pour des séjours de trois mois environ pour le même motif. En 1991, elle passa moins d’une semaine à l’hôpital ; on diagnostiqua une psychose atypique et indéfinissable. Les services sanitaires et sociaux semblent avoir été en contact avec la famille depuis 1989.
12.  Les requérants cohabitèrent d’abord de l’été 1991 à juillet 1993. En 1991, P. comme M. vivaient avec eux. De 1991 à 1993, K. et X furent   en litige au sujet de la garde de P. et du droit de visite la concernant. En mai 1992, la garde de P. fut confiée à X.
13.  K. fut derechef internée du 22 avril au 7 mai 1992, du 13 mai au 10 juin 1992, puis du 11 au 17 janvier 1993 pour psychose. Elle fut internée sous contrainte du 15 mai au 10 juin 1992. D’après un rapport médical du 15 mai 1992, elle était paranoïaque et psychotique.
14.  Selon les dossiers des services sociaux, une assistante sociale et la mère de K. eurent une discussion le 19 mars 1993. La mère de K. déclara que sa fille était en très mauvaise santé et qu’elle avait détruit une photo de son enfance, une photo de mariage de sa mère, avait brisé un verre et « crevé les yeux » de toutes les personnes figurant sur les photographies. La mère de K. se dit fatiguée de la situation, les services psychiatriques ne lui apportant aucun soutien. Elle ajouta qu’elle était préoccupée et craignait que « quelque chose d’autre n’arrive si K. n’était pas soignée ».
Le 24 mars 1993, K. fut placée en observation ; il s’agissait de déterminer si elle devait être internée sous contrainte dans une unité psychiatrique, car l’on avait d’abord diagnostiqué une psychose. Les responsables estimèrent que les conditions d’un tel internement ne se trouvaient pas réunies mais l’intéressée demeura internée de son plein gré jusqu’au 5 mai 1993.
15.  X n’aurait pas permis que K., P. et M. se rencontrent. Le 11 mai 1993 – K. attendait alors un autre enfant – le tribunal de district de R. limita encore le droit pour K. de voir P. Se fondant sur un avis médical, il estima que le développement mental de l’enfant se trouverait compromis si les rencontres entre elle et sa mère se poursuivaient sans surveillance comme il en avait été décidé en 1992.
B.  Placement de M. dans un foyer pour enfants avec le consentement de ses parents
16.  D’après les dossiers des services sociaux, M. manifestait des troubles du comportement. Le 30 mars 1992, une psychologue rapporta la façon dont M. avait joué avec deux poupées ; l’enfant aurait dit – dans des termes très vulgaires – qu’elles accomplissaient des actes sexuels. Le 17 février 1993, K. aurait brisé un miroir en présence de M. qui ne cessa de répéter : « maman a cassé le miroir (...) »
Dans leurs notes des 24 et 30 mars 1993, entre autres, les services sociaux indiquent que M. se livrait à des jeux et faisait des dessins à caractère très destructeur. D’après les notes du 30 mars, il aurait peu auparavant témoigné d’une vive haine, menaçant de « tuer tout le monde », alors que les enfants de la garderie étaient en train de chanter ensemble. Lorsque K. venait le chercher, c’étaient des « scènes déplaisantes » ; M. criait et frappait sa mère qui ne réagissait pas. Les services sociaux relevèrent toutefois que les jeux à connotation sexuelle avec des poupées avaient cessé.
17.  D’après les dossiers des services sociaux, il y eut le 31 mars 1993 entre K., sa mère, T. et plusieurs fonctionnaires des services de protection sociale et d’hygiène mentale une discussion au cours de laquelle l’idée avait été avancée que les autorités devraient peut-être, dans le cadre de la protection de l’enfance, intervenir dans l’éducation de M. de manière plus radicale que cela n’avait été le cas jusque-là. A propos de la récente hospitalisation de K., il semble que T. l’eût fait sortir « de force » d’un restaurant, ce qui l’avait rendue furieuse ; elle avait alors jeté des objets par terre et c’est ainsi qu’un four à micro-ondes avait atterri sur le sol. T. avait déclaré que K. ne pouvait pas se maîtriser.
18.  Le lendemain, le groupe de soutien des services de protection de l’enfance, comprenant des représentants de diverses autorités sanitaires et sociales, estima qu’il fallait placer M. dans un foyer pour enfants pour une période de trois mois à titre de mesure de soutien à la famille en application de l’article 14 de la loi de 1983 sur la protection de l’enfance (lastensuojelulaki, barnskyddslag 683/1983 – « la loi de 1983 »), laps de temps pendant lequel on soumettrait l’enfant à des examens psychologiques.
19.  Le 3 mai 1993, une assistante sociale décida au nom du conseil de protection sociale (perusturvalautakunta, grundtrygghetsnämnden) de S. de placer M. dans un foyer pour enfants pendant trois mois. Il fallait y voir une mesure de soutien à court terme au titre de la loi de 1983. Les requérants avaient été consultés, de même que la mère et la sœur de K., le 8 avril 1993, afin que fût trouvée une mesure de soutien à la famille qui pût fonctionner. D’après les notes relatives à cette réunion, aucun des participants n’avait proposé une mesure pratique de ce genre. Les requérants avaient alors été entendus une nouvelle fois, le 21 avril 1993, et n’avaient élevé aucune objection au placement de M. dans un foyer pour enfants.
20.  A la demande du conseil de protection sociale, les docteurs M.L. et K.R. formulèrent un avis le 12 mai 1993 ; ils estimaient que K. n’était pas à ce moment-là à même de s’occuper de M., mais que sa condition mentale ne l’empêcherait pas nécessairement à jamais de s’occuper de lui. Les docteurs M.L. et K.R. exerçaient à l’hôpital de H. où la requérante avait été soignée depuis 1991 aux périodes indiquées plus haut.
21.  Les services sociaux signalèrent que le 7 juin 1993, lorsque K. et T. s’étaient rendus au foyer pour enfants où M. séjournait, le garçon avait totalement changé de comportement ; il avait notamment manifesté de la colère et de la haine et dit des gros mots. T. avait déclaré qu’il était vraiment fatigué de la situation et qu’à son avis K. devait être hospitalisée. Lorsqu’on lui avait suggéré de se présenter au centre de soins, elle était entrée dans une vive colère.
D’après une déclaration du 22 juin 1993 du foyer pour enfants, K. et T. étaient venus au foyer le 17 juin 1993. Alors que T. jouait avec M., d’autres enfants étaient allés dire au personnel que K. avait demandé à une petite fille de trois ans comment elle s’appelait. La fillette ne répondant pas, K. avait élevé la voix et secoué l’enfant ; elle ne la lâcha que lorsqu’une fillette plus âgée lui dit le nom de la petite. Le comportement de K. avait effrayé les autres enfants.
C.  Les décisions de prise en charge d’urgence
22.  Le 11 juin 1993, l’assistante sociale qui avait décidé le 3 mai 1993 de confier M. à un foyer pour enfants écrivit au centre hospitalier universitaire de T. et à l’hôpital local de S. pour leur faire part de ses vives préoccupations quant à la santé de K. et du bébé que celle-ci attendait. Elle demandait aux hôpitaux de prendre contact avec elle dès que K. arriverait à l’hôpital et plus particulièrement au moment de l’accouchement. Elle formula aussi le vœu que le personnel de santé veillât tout spécialement aux relations entre la mère et le bébé dès le début.
23.  Le 18 juin 1993, K. fut emmenée dans un hôpital de quartier où, le même jour, elle donna naissance à J. D’après le dossier de l’hôpital, la mère garda son calme pendant l’accouchement. Après celui-ci, l’hôpital reçut notification d’une décision écrite ordonnant la prise en charge d’urgence de l’enfant. Celle-ci fut en conséquence transférée au pavillon infantile. Après quoi le comportement de la mère en cet endroit parut quelque peu agité mais pas vraiment désordonné. Le dossier indique qu’elle comprenait la situation et souhaitait quitter l’hôpital le lendemain. On lui prescrivit des médicaments pour empêcher la montée de lait. Il semble que K. ait quitté l’hôpital le 19 juin 1993, c’est-à-dire le lendemain matin, sans avoir subi d’examen postnatal. Elle se rendit chez sa mère où elle se mit à pousser d’une pièce à l’autre un landau vide.
24.  J. fit immédiatement l’objet d’une prise en charge d’urgence en application de l’article 18 de la loi de 1983. Après la naissance de l’enfant, deux travailleurs sociaux de l’hôpital de H. informèrent K. et T. de cette décision. Le directeur social, qui avait pris la décision au nom du conseil de protection sociale, releva que K. avait témoigné d’instabilité mentale à la fin de sa grossesse. Selon lui, la santé du bébé se trouverait en péril puisque K. avait découvert que l’on envisageait de confier son bébé à l’autorité publique. Le directeur social considéra enfin que le père du bébé, T., ne pouvait assurer son développement et sa sécurité. Il fit en outre état des difficultés que la famille rencontrait de longue date, à savoir la grave maladie de K. et ses réactions émotionnelles parfois incontrôlées qui pouvaient traumatiser les enfants, l’incapacité de T. à s’occuper à la fois de J. et de K., la réticence de K. à recevoir des conseils, l’impossibilité de confier à T. l’entière responsabilité de J. comme l’impossibilité de mettre en place des mesures de soutien à la famille autant qu’il le faudrait. Les requérants ne furent pas entendus avant la décision. Le 24 juin 1993, ils reçurent eux aussi notification écrite de la décision de prendre la nouveau-née en charge. Cette notification fut également envoyée à K. par télécopieur.
25.  Le 21 juin 1993, le directeur social ordonna aussi la prise en charge d’urgence de M. ; il invoquait pour l’essentiel les mêmes raisons que dans sa décision du 18 juin 1993 concernant J.
26.  Les requérants ne formèrent pas appel contre les décisions de prise en charge d’urgence.
D.  Mise en œuvre des décisions de prise en charge d’urgence
27.  Le 21 juin 1993, le conseil de protection sociale entérina les décisions de prise en charge d’urgence et interdit toute rencontre sans surveillance entre K. d’une part, et J. et M. d’autre part. Par contre, le nombre des visites sous surveillance ne fut pas limité. Le conseil décida de poursuivre les préparatifs de la prise en charge de M. et J.
28.  Les travailleurs sociaux tinrent le 21 juin 1993 une réunion au centre familial avant l’arrivée du bébé de l’hôpital et en l’absence des requérants. Le rapport indique que l’on envisageait d’interdire toute visite de la mère pendant un mois au motif que ses réactions étaient imprévisibles car elle avait, par exemple, cassé des objets chez elle. Passé cette période initiale, elle pourrait rendre visite sans restrictions à son bébé, à condition cependant d’être accompagnée par son infirmière personnelle. Ce programme ne fut toutefois pas mis à exécution. Sur la main courante figure à la date du 24 juin la mention que « la mère peut venir avec son infirmière personnelle si elle le souhaite. Autres visiteurs non autorisés pour le moment ».
29.  K. fut invitée à se présenter avec T. au bureau de protection sociale le 22 juin 1993 à 11 h 30 ; le directeur devait les informer de la décision du 21 juin 1993 concernant M. Le 24 juin 1993, K. et V. (le père biologique de M.) reçurent par écrit notification de la décision du 21 juin 1993. K. en reçut aussi une télécopie.
30.  Le 22 juin 1993, K. fut hospitalisée de son plein gré à l’hôpital de H. pour psychose ; le médecin d’un centre d’hygiène mentale avait demandé son admission. Elle y resta jusqu’au 30 juin 1993.
31.  Le 23 juin 1993, J. fut placée au centre familial ; T. alla la voir le jour même.
E.  Les décisions de prise en charge ordinaire
32.  Au début de juillet 1993, T. quitta le domicile des requérants car les agents des services sociaux lui avaient dit qu’il lui fallait rompre sa relation avec K. « s’il souhaitait garder » J. Les requérants n’en poursuivirent pas moins leur relation.
33.  Le 15 juillet 1993, le conseil de protection sociale rendit les décisions de prise en charge « ordinaire » de J. et M. ; il invoqua des motifs similaires à ceux qui avaient inspiré les décisions de prise en charge d’urgence (paragraphe 24 ci-dessus) et prorogea les restrictions aux visites jusqu’au 15 septembre 1993. K. ne fut autorisée à voir les enfants que si elle était accompagnée de son infirmière personnelle. Pour l’essentiel, le conseil estimait que l’état de santé de K. demeurait instable ; qu’elle avait un affectif agressif dont elle n’avait pas la maîtrise et qu’une procédure de prise en charge par l’autorité publique mettait le mental d’un malade à rude épreuve. Quant à J., le conseil considéra donc que des visites qui auraient lieu sans surveillance pourraient compromettre sa sécurité personnelle. Pour ce qui est de M., le conseil craignait que le personnel du foyer pour enfants « ne pût plus contrôler les visites de K., ce qui ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant ». Avant les décisions du 15 juillet 1993, les requérants avaient été entendus et ils avaient exprimé leur opposition aux décisions de placement envisagées.
34.  Le 15 juillet 1993, K. alla voir ses deux enfants ; elle était accompagnée de son infirmière personnelle. La main courante indique que « la situation était difficile ».
35.  Le 19 juillet 1993, T. s’installa avec J. dans une unité du centre familial réservée aux familles.
36.  K. fut à nouveau internée le 20 juillet 1993 de son plein gré au pavillon ouvert de l’hôpital de H. pour psychose. Elle quitta toutefois l’hôpital le lendemain. Le 26 juillet 1993, on la plaça en observation afin de déterminer s’il y avait lieu de l’interner sous contrainte dans un service psychiatrique. Ce qui fut fait le 30 juillet 1993. D’après son dossier, ses proches étaient préoccupés par son état et avaient pris contact avec l’hôpital afin qu’elle y fût admise. Ils signalèrent que K. avait disparu de son domicile, où elle s’était comportée de manière agitée et agressive. Son internement dura jusqu’au 27 octobre 1993, soit trois mois.
37.  Entre le 18 juin et le 31 août 1993, K. rendit visite à ses enfants à leur foyer respectif. Elle était alors accompagnée de son infirmière personnelle, qui faisait partie des effectifs de l’hôpital, était en contact avec les services sociaux et organisait les visites en fonction de l’état mental de K. D’après la main courante du centre, K. alla voir J. deux fois au cours de cette période.
38.  Une assistante sociale déclara le 4 août 1993 que T. avait bien pris soin de J., d’abord à l’hôpital jusqu’au 23 juin 1993 puis dans le centre familial. Il fut convenu que J. resterait à ce centre et que T. irait la voir tous les deux jours. J. se rendrait chez son père pour la première fois du 13 au 15 août 1993 et T. la ferait alors baptiser. L’on envisageait que le bébé vive chez son père par la suite.
39.  Une fois sa paternité reconnue, le 13 juillet 1993, T. obtint avec K. l’autorité parentale conjointe pour J. le 4 août 1993.
40.  Les frais de déplacement de T. au centre furent assumés par les services sociaux. Il ressort des dossiers du centre que T. avait réussi à instaurer une relation avec le bébé et avait appris à prendre bien soin d’elle. Les sorties du bébé s’effectuèrent d’abord chez la mère de T. puis au nouveau domicile de celui-ci.
F.  Recours contre les décisions de prise en charge
41.  Le 12 août 1993, le conseil de protection sociale saisit le tribunal administratif de comté (lääninoikeus, länsrätten) des deux décisions de prise en charge par l’autorité publique pour qu’il les entérine, les requérants s’y étant opposés. Il produisit à l’appui de ces saisines la déclaration d’un agent des services sociaux datée du 25 août 1993 d’après laquelle T. ne serait pas capable de s’occuper seul de M. et du bébé J. à la fois ; en effet, K. se trouvait au même endroit et souffrait de psychose depuis quatre ans. T. était venu voir J. au foyer pour enfants de trois à quatre fois par semaine. Alors qu’il séjournait dans un appartement dépendant du foyer municipal pour enfants, il avait pris soin de J. pendant deux semaines entières puis à raison de trois jours par semaine à son nouveau domicile. Le conseil s’était donc mis à envisager de confier à T. la charge de J. moyennant des mesures de soutien que le conseil lui-même déterminerait.
42.  Le 9 septembre 1993, le tribunal administratif de comté confirma la décision de prise en charge relative à J. ; il estima que K. souffrait de troubles mentaux ; qu’il y avait eu entre les requérants des conflits qui « avaient amené T. à quitter leur domicile au début de juillet 1993 » ; qu’en raison de la maladie de K. et d’autres problèmes familiaux, les requérants n’avaient pas été en mesure de s’occuper correctement de J. ; que les mesures de soutien accordées à la famille n’en avaient pas suffisamment amélioré la situation et qu’elles ne pouvaient répondre aux besoins de J. Il n’y eut pas d’audience.
43.  Le 11 novembre 1993, le tribunal administratif de comté confirma la décision de prise en charge concernant M. ; il réitéra les motifs de sa décision du 9 septembre quant à J. Il n’y eut pas d’audience.
44.  Pour leur recours devant la Cour administrative suprême (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen) contre la confirmation de la décision de prise en charge de M. par l’autorité publique, les requérants furent représentés par le conseiller juridique public (yleinen oikeusavustaja, allmänna rättsbiträdet) de la ville de S. La haute juridiction repoussa le recours le 23 septembre 1994.
45.  Le même jour, la Cour administrative suprême prorogea le délai dont K. disposait pour faire appel de la confirmation de la décision de prise en charge relative à J.
46.  Le 18 octobre 1994, K. se pourvut contre la décision de prise en charge concernant J. telle que le tribunal administratif de comté l’avait entérinée le 9 septembre 1993. La Cour administrative suprême accorda à K. le 21 août 1995 la gratuité de la procédure à compter du 1er mars 1994 et désigna Mme Suomela pour la représenter. Elle confirma la décision du tribunal administratif de comté du 9 septembre 1993.
G.  Mise en œuvre de la prise en charge ordinaire
47.  Par une décision du 21 janvier 1994, le conseil de protection sociale plaça J. dans un foyer d’accueil à K., ville située à quelque cent vingt kilomètres du domicile des requérants. M. la rejoignit le 7 février 1994. Les parents nourriciers n’avaient pas d’enfant à eux. Les agents des services sociaux indiquèrent aux requérants comme aux parents nourriciers que le placement de J. et M. durerait « des années ». Les requérants avaient proposé que les enfants fussent placés chez des proches.
H.  Contacts avec les enfants au cours de leur séjour dans leur foyer pour enfants respectif
48.  Le 15 août 1993, J. fut baptisée en présence de K., T. et M.
49.  Une consultation eut lieu au foyer pour enfants le 18 août 1993 en présence de T. D’après le compte rendu de la réunion, l’état mental de K. était très instable et l’on pensait que le traitement psychiatrique devrait se poursuivre de quatre à cinq ans. T. avait toutefois exprimé l’espoir que K. et lui-même pourraient s’occuper ensemble de J. à l’avenir. Il fut convenu que J. resterait au foyer pour enfants et qu’elle irait chez T. chaque semaine du jeudi au samedi à compter du 28 août 1993. T. lui rendrait visite d’autres jours selon les modalités dont il conviendrait avec le foyer pour enfants.
50.  Le 14 septembre 1993, le conseil de protection sociale prorogea les restrictions aux visites jusqu’au 15 décembre 1993.
51.  Dans le dossier du conseil de protection sociale figurent les notes suivantes consignées par un agent des services sociaux :
« 14 septembre 1993 :
2.  (...) L’on doute maintenant de la nécessité de ménager à l’avenir des visites entre J. et T., car le placement de J. [dans une famille d’accueil] est en cours. T. aura du mal à renoncer à J. (...) »
« 13 octobre 1993 :
K. (...) déclare qu’elle envisage de reprendre la vie commune [avec T.] à sa sortie de l’hôpital le 29 octobre. (...) [Elle] souhaite que M. et J. soient placés dans la même famille [d’accueil]. (...) »
« 18 octobre 1993 :
(...) T. accepte que J. soit placée dans une famille [d’accueil]. (...) »
« 25 octobre 1993 :
(...) T. est quelque peu opposé au placement de J. dans une famille [d’accueil]. (...) [On lui] explique à nouveau pourquoi J. ne peut vivre avec lui tant que la relation [des requérants] se poursuit. (...) »
« 26 octobre 1993 :
(...) Du point de vue de J., la question essentielle qui se pose est la relation [des requérants] entre eux ; si [elle] se poursuit, J. ne peut résider au domicile de T. (...) Les solutions possibles sont : J. revient chez T. ou est placée dans [un foyer d’accueil]. (...) [Il] peut assumer seul les soins de base et l’éducation à condition de bénéficier d’un certain soutien. (...) »
« 27 octobre 1993 :
(...) Les rencontres entre M. et K. sont désormais réussies depuis que T. y assiste. (...) »
« 29 octobre 1993 :
(...) Le père est responsable de l’enfant placée en institution. Il est actif et prend des initiatives. Il nourrit, baigne et habille l’enfant. Il la sort et la berce pour l’endormir. Il la traite de manière naturelle et en a le souci ; il lui parle beaucoup et lui manifeste de la tendresse. Il prend plaisir aux moments qu’il passe avec elle et se plie à ses désirs. Il se montre patient et chaleureux avec elle en tenant compte de ses besoins.
La mère est venue voir l’enfant cinq fois et n’est restée qu’un moment à chaque occasion.
(...) J. a pu avoir une relation régulière avec une personne qui prend soin d’elle, à savoir son père. Une relation sereine avec le père lui procure un sentiment de sécurité, qui sera le fondement d’un développement positif de sa vie affective. J. a les ressources nécessaires pour grandir et devenir une enfant en bonne santé et équilibrée. Compte tenu des circonstances, les bases d’un placement familial sont bonnes. »
I.  Premier programme de prise en charge
52.  Le 27 octobre 1993, K. sortit de l’hôpital de H.
53.  Le 2 février 1994, le conseil de protection sociale élabora un programme concernant la mise en œuvre de la prise en charge par l’autorité publique. Il n’aurait pas tenu compte des suggestions des requérants. C’est ainsi que les enfants ne pouvaient se rendre chez leur grand-mère maternelle.
54.  Après l’adoption du programme de prise en charge le 2 février 1994, les requérants sollicitèrent un assouplissement des restrictions aux visites. Par exemple, T. n’avait été autorisé à voir J. qu’une fois pas mois.
55.  Les requérants demandèrent le 21 mars 1994 notamment que le conseil de protection sociale mît en place un programme tendant à la réunion de la famille.
56.  Le 3 mai 1994, les services sociaux organisèrent une réunion où devait être revu le programme du 2 février 1994. Les requérants et leur représentante n’y assistèrent pas.
J.  Restrictions apportées aux visites le 17 mai 1994
57.  Le 17 mai 1994, le directeur social limita les visites des deux requérants aux enfants à une visite mensuelle de trois heures ; elle aurait lieu au foyer d’accueil et sous surveillance. Le directeur estimait que les motifs de la prise en charge par l’autorité publique persistaient. Selon lui, bien que les requérants fussent mécontents des visites telles que les prévoyait le programme, si l’on offrait aux enfants le droit illimité de voir leurs parents, la réussite de leur placement serait compromise. Les requérants interjetèrent appel.
58.  Le 28 septembre 1994, le tribunal administratif de comté tint une audience contradictoire sur les restrictions aux visites qui avaient été décidées le 17 mai 1994. Il recueillit la déposition de deux psychiatres, qui avaient interrogé K. L’un d’eux, le docteur T.I.-E., ne connaissait pas K. personnellement mais, commentant un diagnostic sur l’état mental de l’intéressée, elle indiqua que celle-ci avait tendance à réagir de manière psychotique en cas de conflit. Le docteur K. P. déclara que l’état de santé de K. n’empêchait pas celle-ci de s’occuper de ses enfants. Donc, si les restrictions aux visites avaient été motivées par sa maladie, ce motif n’était plus valable.
59.  A la demande du conseil de protection sociale, le docteur E.V., pédopsychiatre, remit par écrit une expertise au tribunal administratif de comté ; il estimait que les enfants devaient être placés définitivement au foyer d’accueil et qu’il fallait interrompre pour le moment les visites des requérants de manière à protéger les enfants comme les parents nourriciers. D’après les requérants, le docteur E.V. ne les avait rencontrés ni eux ni les enfants et n’avait pas davantage conféré avec les autres psychiatres avant de formuler sa proposition.
60.  Le 11 octobre 1994, le tribunal administratif de comté confirma les restrictions aux visites qui avaient été décidées le 17 mai 1994. Il releva qu’aucun des témoins entendus n’avait voulu donner son avis sur le développement des enfants. Il avança notamment les motifs suivants :
« (...) Les visites [qui seront autorisées] à raison d’une par mois et [les contacts par correspondance] permettront aux enfants de ne pas perdre leurs parents biologiques de vue. Si les motifs qui ont amené à décider la prise en charge par l’autorité publique cessent d’exister ultérieurement, la réunion de la famille deviendra possible. (...) »
61.  Le tribunal administratif de comté n’accorda pas la gratuité de la procédure aux requérants, la législation pertinente ne s’appliquant pas aux différends sur les restrictions aux visites. A l’audience devant lui, les requérants furent néanmoins assistés par Mme Suomela.
K.  Demande des requérants en mainlevée de la prise en charge par l’autorité publique
62.  Le 26 mai 1994, les requérants invitèrent le conseil de protection sociale à lever la prise en charge de M. et J.
63.  Le 18 septembre 1994, le directeur social aurait déclaré aux requérants que tout autre enfant qu’ils viendraient à avoir serait lui aussi pris en charge. Selon le Gouvernement, le directeur social, expressément interrogé sur ce point par les intéressés, se serait contenté de leur dire qu’il était possible qu’un nouvel enfant fût pris en charge par l’autorité publique.
64.  Le docteur K.P., psychiatre, soumit le 22 septembre 1994 au conseil de protection sociale, à sa demande, un avis sur la possibilité de lever les décisions de prise en charge. Elle concluait que l’état mental de K. ne l’empêchait pas d’avoir la garde des enfants. D’après elle, la lutte à laquelle K. se livrait pour mettre fin au placement et voir assouplir les restrictions aux visites témoignait de ses ressources psychologiques. Le médecin relevait notamment que T. était celui qui apportait le plus de soutien à K. dans les soins et l’éducation à donner aux enfants. La mère de K., à l’époque tuteur ad litem de celle-ci, était elle aussi disposée à prêter son aide. Le docteur K.P. ajoutait toutefois qu’en tant que psychiatre pour adultes, elle ne pouvait se prononcer sur l’intérêt des enfants. Le docteur K.P. s’était également fondée sur un rapport établi par Mme K. Po., psychologue, qui était elle aussi parvenue à la conclusion que K. était apte à assurer la garde de ses enfants.
65.  Le conseiller juridique public préconisa de ne pas introduire de requête en mainlevée des décisions de prise en charge.
66.  K. fut hospitalisée du 15 au 24 février puis du 11 avril au 29 mai 1995, apparemment pour psychose.
67.  Le 14 mars 1995, le conseil de protection sociale écarta la demande des requérants du 26 mai 1994 tendant à la mainlevée de la prise en charge ; il s’exprima en ces termes :
« A l’heure qu’il est, l’état de santé de la mère des enfants, K., s’est amélioré et la situation familiale s’est modifiée aussi sur d’autres points par rapport à celle de 1993, époque où furent prises les décisions de placer les enfants.
D’après le docteur K.P., psychiatre, K. témoigne encore « d’une grande instabilité » dans sa vie affective ainsi que de fragilité, en raison de l’expérience qu’elle a vécue ces cinq dernières années et des troubles mentaux diagnostiqués qui nécessiteront encore longtemps un soutien thérapeutique et un traitement. La prise régulière de médicaments est elle aussi nécessaire pour préserver le bien-être de l’intéressée et pour qu’elle puisse gérer la situation hors institution et avoir la garde de ses enfants. Bien qu’elle ait été expressément invitée à donner son avis, le docteur K.P. n’a pas été plus précise quant au point de savoir si K. est capable de prendre soin de ses enfants et de les élever.
K. peut être investie de la garde de ses enfants. Elle ne peut toutefois assumer leurs besoins et leur éducation – pas même avec l’appui de T. et les mesures de soutien à la famille. Ils ne sont pas à même d’assurer l’éducation des enfants en répondant à leurs besoins.
D’après la déclaration recueillie auprès de la pouponnière de la commune de K., K. et T. ont une capacité très limitée de comprendre les besoins des enfants et d’y répondre. Certes T. est capable d’établir une interaction avec les enfants, mais il trouve lui aussi difficile de répondre à leurs besoins du point de vue affectif. K. est de son côté incapable d’instaurer une relation affective avec les enfants. Mme J.H., psychologue au centre de soins local, est parvenue précédemment à la même conclusion dans le cadre de la procédure relative à la garde de l’aîné des enfants de K. Dans son expertise, le docteur E.V., psychiatre spécialiste des enfants et des adolescents, avait abouti à la même conclusion. Dès le printemps 1992, Mme J.H. avait compris que le problème de K. tenait à ce qu’elle ne faisait pas le départ entre elle et ses enfants. Selon cette psychologue, K. se fondait avec ses enfants dans une seule entité sans pouvoir percevoir la nature unique et personnelle des enfants. D’après J.H., K. est aussi dans l’incapacité de prendre en compte les besoins des enfants en fonction de leur âge. Le docteur E.V. estime que les enfants ne semblent pas constituer des sujets indépendants pour K. mais qu’elle les voit comme des « auto-sujets ». Elle a du mal à comprendre que les enfants sont des êtres humains à part entière qui ont besoin d’amour et de soins. Elle pense au contraire qu’ils sont là uniquement pour son usage personnel. »
68.  Les requérants formèrent appel le 5 avril 1995 ; ils demandèrent à être exonérés des frais de procédure et à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Ils sollicitèrent aussi une audience.
69.  Le 7 avril 1995, ils eurent une autre fille, R. Après l’accouchement, K. quitta l’hôpital un moment le soir même, son bébé enveloppé dans une couverture ; elle marcha pieds nus dans le froid jusqu’à ce que le personnel de l’hôpital s’en aperçoive et intervienne.
70.  Le 13 avril 1995, K. fut internée sous contrainte dans l’unité psychiatrique de l’hôpital de H., ce jusqu’au 29 mai 1995 ; pendant cette période, T. s’occupa de R. D’après le diagnostic d’un psychiatre daté du 10 avril 1995, K. « devait souffrir de schizophrénie paranoïde depuis assez longtemps ».
71.  Le 15 juin 1995, le tribunal administratif de comté admit les requérants au bénéfice de la gratuité de la procédure et désigna Mme Suomela pour les représenter dans l’appel qu’ils avaient formé contre la décision du conseil de protection sociale du 14 mars 1995. Le tribunal décida de ne pas tenir d’audience pour ce qui était de la demande des requérants tendant à la mainlevée des décisions de prise en charge. Il accorda aux parties la faculté de compléter leurs observations écrites.
72.  Le 28 septembre 1995, ce tribunal écarta sans avoir tenu d’audience les recours que les requérants avaient formés le 5 avril 1995. Il releva en particulier que d’après les certificats médicaux l’état de santé de K. s’était amélioré mais qu’elle demeurait instable sur le plan affectif. Une psychothérapie et un traitement médical restaient donc nécessaires. En outre, les requérants avaient eu un autre enfant et K. avait été soignée une nouvelle fois à l’hôpital de H. Ces deux facteurs, sources de tensions supplémentaires, militaient contre la levée des décisions de prise en charge.
L.  Révisions du programme de prise en charge et recours y afférents
1.  Première révision
73.  Le 17 novembre 1994, les agents des services sociaux révisèrent une première fois le programme de prise en charge ; ils proposèrent que les enfants rencontrent les requérants une fois par mois dans un endroit neutre, au centre de consultation familiale de K., où les parents nourriciers résidaient. Les requérants élevèrent des objections, car ils voyaient dans cette proposition une restriction supplémentaire aux visites à leurs enfants. Ils demandèrent à la place deux rencontres par mois, dont l’une se déroulerait à leur lieu de résidence. Le 22 décembre 1994, ils sollicitèrent une décision écrite distincte sur leur demande relative aux visites afin de pouvoir interjeter appel.
74.  Par une lettre du 22 décembre 1994, le directeur social informa les intéressés que rien ne justifiait plus les restrictions aux visites. Les rencontres entre les requérants et les enfants ne furent néanmoins autorisées qu’à raison de trois heures par mois en un lieu choisi par le conseil de protection sociale, et elles se dérouleraient sous surveillance.
75.  Le directeur social confirma dans sa décision du 11 janvier 1995 qu’il n’existait plus de motif de restreindre les visites, ce que le conseil de protection sociale confirma les 31 janvier et 28 février 1995. Les requérants interjetèrent appel.
76.  En ce qui concerne le recours des intéressés contre les décisions du conseil de protection sociale des 31 janvier et 28 février 1995, le tribunal administratif de comté estima, le 15 juin 1995, que le programme révisé établi le 17 novembre 1994 prévoyait déjà une restriction aux visites que des décisions ultérieures avaient reconduite sans que les requérants aient été dûment entendus au sujet de leur demande d’un droit de visite. L’affaire fut renvoyée devant le conseil de protection sociale pour réexamen.
77.  Le 28 juin 1995, à la lumière de la décision du tribunal administratif de comté, la directrice sociale ad interim restreignit officiellement les contacts des requérants avec les enfants à une rencontre par mois jusqu’au 31 mai 1996. Ces rencontres auraient lieu au foyer d’accueil. En outre, les parents nourriciers devaient se rendre chez les requérants avec les enfants tous les six mois. La directrice estima notamment qu’il importait que les enfants se fixent dans le cadre de vie de la famille d’accueil qui serait celui où ils grandiraient. Des contacts plus étroits avec leurs parents seraient source de changement et d’insécurité et provoqueraient une nouvelle crise dans le développement des enfants. Le processus de fixation qui avait bien commencé se trouverait compromis. Pour que les enfants évoluent bien, il fallait que leur situation demeurât stable et sûre. Le conseil de protection sociale confirma cette décision le 22 août 1995. Les requérants firent appel.
78.  Le 3 novembre 1995, le tribunal administratif de comté écarta l’appel des requérants contre la restriction aux visites qui avait été confirmée le 22 août 1995.
2.  Deuxième révision
79.  Le 25 mai 1996, les agents des services sociaux révisèrent le programme de prise en charge ; ils proposèrent que les enfants rencontrent les requérants une fois par mois dans les locaux d’un établissement scolaire du lieu de résidence des enfants. Les requérants n’étant pas présents au moment où la proposition fut formulée, le programme fut révisé une nouvelle fois le 9 octobre 1996 en ce qui concerne les restrictions aux visites. Les requérants suggérèrent alors que les enfants les rencontrent sans surveillance une fois par mois. Le programme de prise en charge fut toutefois révisé dans le sens que les agents des services sociaux préconisaient.
80.  Le 17 juin 1996, le directeur social limita les visites des deux requérants aux enfants, jusqu’au 30 novembre 1997, à une par mois dans les locaux d’un établissement scolaire du lieu de résidence des enfants ; les rencontres, d’une durée de trois heures, devaient se dérouler sous surveillance. L’un des parents nourriciers devait lui aussi être présent lors de la visite. Le conseil de protection sociale confirma la décision du directeur le 20 août 1996. Les requérants attaquèrent la décision devant le tribunal administratif de comté en sollicitant une audience. Le tribunal recueillit l’avis d’un pédopsychiatre, le docteur J.P., que la représentante des requérants avait aussi recommandé au conseil de protection sociale. Le docteur J.P. dit notamment ceci :
« Il faut considérer le droit de M. et J. d’avoir des contacts avec les personnes qui leur sont proches d’abord en tenant compte de leur maturité psychologique, de leur développement et de leur santé. Ce point de vue commande d’examiner la qualité, la permanence et la persévérance de leurs relations humaines, car la maturation et le développement psychologiques se font en interaction avec les relations humaines. A mon avis, les relations humaines doivent s’envisager du point de vue des enfants. (...)
(...) En conclusion, je note que M. a été placé dans le foyer pour enfants (...) la mère a été internée dans un établissement psychiatrique huit fois, pour treize mois au total. M. a donc vécu avec sa mère quarante-cinq mois, soit trois ans et neuf mois. La période la plus longue qu’ils aient passée ensemble fut de deux ans et un mois. (...) En tant que « beau-père », T. a aidé [K.] à s’occuper de M. dix mois au plus. (...) à ce jour, les parents nourriciers se sont occupés de M. trois ans et trois mois sans interruption. (...) En pratique, M. n’a eu aucun lien d’aucune sorte avec son père biologique (...)
A la lumière des faits exposés plus haut, je note que les relations humaines de M. dans sa petite enfance ont été, en raison des circonstances, discontinues, brèves et changeantes. La relation la plus stable et continue qu’il ait eue est celle qu’il a avec ses parents nourriciers (...) C’est donc celle-ci qui importe le plus pour sa croissance et son développement psychologiques.
(...) J. est née en juin 1993. Elle a été prise en charge par l’autorité publique tout de suite après sa naissance. Elle a d’abord séjourné, brièvement, à l’hôpital de district, puis dans un foyer d’accueil pour enfants en bas âge. T., père biologique de J., s’est occupé d’elle deux semaines en juin et août 1993. J. a été placée dans la famille d’accueil (...) en janvier 1994, alors qu’elle avait sept mois environ. Elle demeure dans cette famille depuis quelque trois ans et trois mois sans interruption. Elle a aujourd’hui un peu plus de trois ans et dix mois.
Je relève donc qu’en raison des circonstances, J. n’a pas eu d’autres rapports significatifs et importants avec d’autres personnes que ses parents nourriciers. La relation qu’elle a avec eux est d’une importance primordiale pour sa maturation et son développement psychologiques (...)
(...) Du point de vue des enfants en particulier, mais aussi bien entendu de celui des parents nourriciers, la famille d’accueil est une famille à laquelle peuvent s’appliquer aussi bien qu’à une famille biologique les principes concernant la famille que consacrent la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce point de vue revêt d’autant plus d’importance que, de par les circonstances, la famille biologique ne vit pas ensemble.
A la lumière des faits exposés plus haut, je note que les dispositions d’aide et de soutien aux parents nourriciers de M. et J. répondent à l’intérêt supérieur des enfants. Au premier chef, elles préservent la relation humaine importante, continue et rassurante que M. et J. entretiennent avec leurs parents nourriciers (...)
Pour la maturation et le développement psychologiques de M. et J. il importe aussi que, dans le cadre des conditions rassurantes et stables qu’offre la famille d’accueil, les enfants puissent se forger et préserver une bonne image de leurs parents biologiques (...) desquels les circonstances les ont séparés.
Cela peut à mon sens se faire si l’on respecte la décision du 20 août 1996 du conseil de protection sociale de S. concernant les visites. A l’heure actuelle, un droit de visite illimité ou un droit de visite de l’ampleur que proposent les requérants ne serait pas dans l’intérêt des enfants, car K. et T. ne sont pas à même de satisfaire aux besoins affectifs de M. et J. (...) De telles modalités quant aux visites compromettraient à l’évidence la santé et le développement de M. et J. D’après moi, il faudrait apprécier la question d’un droit de visite sans restriction lorsque les enfants auront atteint l’âge de douze ans. »
81.  Le 10 septembre 1996, le docteur K.P. nota que selon elle l’état psychiatrique de K. ne pouvait faire obstacle à ce que celle-ci fût investie de la garde de sa fille R.
3.  Troisième révision
82.  Le 2 avril 1997, les services sociaux révisèrent une nouvelle fois le programme de prise en charge. Les requérants avaient été avisés de l’heure de la réunion concernant la révision de ce programme quant aux visites à domicile les 15 janvier et 10 mars 1997. Leur représentante avait elle aussi été informée de la réunion par une lettre qui lui avait été adressée le 10 février 1997. Les requérants n’assistèrent pas à la réunion, pas plus que leur représentante. Ils n’ont donc pas été à proprement parler entendus à ce sujet mais, comme ils avaient exprimé leur avis en d’autres occasions, les autorités firent état de leur point de vue dans le programme.
83.  Le 12 juin 1997, le tribunal administratif de comté écarta l’appel des requérants contre la décision du conseil de protection sociale du 20 août 1996 de limiter leur droit de visite (paragraphe 80 ci-dessus). Il refusa de tenir une audience comme les requérants le demandaient.
84.  Bien que les requérants aient indiqué seulement dans leur réplique qu’ils formaient appel aussi pour le compte de R., le tribunal constata dans sa décision que celle-ci était en partie rendue au nom de R. Le tribunal déclara qu’une personne à laquelle la décision est destinée, ou une personne dont un droit, une obligation ou un intérêt subissent directement l’effet de la décision, a un droit de recours. Le tribunal estima que tel n’était pas le cas de la décision du conseil, qui concernait le droit de visite des frères et sœurs et des parents de R.
85.  Le 28 novembre 1997, le directeur social limita les contacts des requérants, et donc de R., leur benjamine, avec J. et M. à une visite mensuelle de trois heures dans les locaux d’une école du lieu de résidence des enfants jusqu’à la fin de 1998. Les requérants ne formèrent pas appel.
4.  Quatrième révision
86.  Le programme de prise en charge fut encore révisé le 1er décembre 1998.
87.  D’après une déclaration du 3 juillet 1998 du docteur K.M. (anciennement le docteur K.P.), K. n’avait pas été hospitalisée depuis mai 1995 et son état de santé était stable depuis le début de cette année-là. Le suivi de R. (qui vivait avec ses parents depuis toujours et n’avait pas été placée sous assistance) ne posait aucun problème. Le docteur K.M. a recommandé que les services sociaux réduisent ou en terminent avec les visites de contrôle qu’ils effectuaient au domicile des requérants afin de donner à K. la possibilité de mener une vie normale sans être sous la surveillance constante des autorités.
88.  Le directeur social prorogea le 11 décembre 1998 les restrictions aux visites jusqu’à la fin de l’an 2000. Les visites se dérouleraient sous surveillance dans les locaux d’une école du lieu de résidence des enfants. L’une d’elles serait cependant organisée au domicile des requérants en présence des parents nourriciers. Le directeur social estima notamment que la réunion de la famille n’était pas à prévoir, la famille d’accueil étant désormais le foyer de fait des enfants ; qu’accorder aux requérants un droit de voir les enfants une fois par mois et des contacts par correspondance suffisaient pour que les enfants demeurent conscients de l’existence de leurs parents biologiques ; et que des contacts plus étroits avec les requérants compromettraient le développement des enfants, seraient source de changement et d’insécurité et provoqueraient une nouvelle crise dans leur développement. Les requérants formèrent appel de cette décision auprès du conseil de protection sociale qui, le 2 février 1999, les débouta et confirma les décisions du directeur. Dans les motifs, le conseil cite le tribunal administratif de comté comme le docteur J.P.
89.  D’après les rapports établis par la personne chargée de surveiller les rencontres des enfants et des requérants entre le 25 mai 1996 et le 10 janvier 1999, les adultes se sont bien entendus lors des rencontres. J. jouait souvent avec M. Lorsque R. était plus petite, J. jouait toute seule, mais par la suite les filles, J. et R., ont paru passer davantage de temps ensemble. Par contre, la première requérante semblait faire très peu de cas de J. et M. D’après la narration de la personne qui surveille les visites, et surtout ses premiers comptes rendus, la première requérante paraissait se concentrer sur R.
M.  Autres décisions postérieures à l’arrêt de la chambre
90.  M. passa le week-end du 21 au 23 juillet 2000 chez K. et T., sans surveillance.
91.  Les requérants attaquèrent devant le tribunal administratif (anciennement le tribunal administratif de comté) la décision du conseil de protection sociale du 2 février 1999 relative au droit de visite. Une audience contradictoire, au cours de laquelle M. fut lui aussi entendu, se déroula le 3 octobre 2000. Le 13 octobre 2000, le tribunal administratif confirma la décision du conseil.
92.  Les services sociaux révisèrent le programme de prise en charge le 23 novembre 2000, après avoir consulté entre autres les requérants. Il fut décidé que les enfants demeureraient dans leur foyer d’accueil. M. et J. pourront voir K. et T. et les autres personnes qui leur sont proches, à compter du 1er janvier 2001 et jusqu’au 31 décembre 2001, à raison d’une fois par mois et sans surveillance de sorte qu’une rencontre sur deux aura lieu au domicile des requérants et une rencontre sur deux au domicile des parents nourriciers. Les visites chez les requérants dureront du samedi 11 heures au dimanche 16 heures et les visites chez les parents nourriciers les dimanches de 11 heures à 17 heures. Les enfants peuvent aussi voir à leur guise leurs autres proches à l’occasion de ces visites. De plus, les enfants passeront un jour et une nuit chez les requérants à Noël et deux semaines avec eux pendant les vacances d’été.
93.  La mère nourricière de J. et M. est décédée en mai 2001.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Principes énoncés par la loi sur la garde des enfants et le droit de visite ainsi que par la loi sur la protection de l’enfance
94.  L’article 1 de la loi sur la garde des enfants et le droit de visite (laki lapsen huollosta ja tapaamisoikeudesta, lag ang. vårdnad om barn och umgängesrätt 361/1983) définit la garde d’un enfant et les obligations de la personne qui en est investie.
95.  La loi sur la garde des enfants et le droit de visite commande aux parents comme aux autorités de s’assurer des vœux et des vues de l’enfant lorsqu’ils prennent et exécutent une décision le concernant, si son âge et sa maturité le permettent (articles 4 § 2, 8, 9 § 4, 11, 34 § 1, alinéa 3, et 34 § 2, 39 §§ 1 et 2, et 46 § 2). Les décisions judiciaires relatives à la garde d’un enfant et aux visites le concernant ne peuvent être mises à exécution contre le gré d’un enfant ayant atteint l’âge de douze ans.
96.  D’après la loi sur la protection de l’enfance (lastensuojelulaki, barnskyddslag 683/1983 – « la loi de 1983 », telle que modifiée par la loi no 139/1990), un enfant ayant atteint l’âge de douze ans a personnellement le droit d’être entendu en vue des décisions les plus importantes en matière de protection de l’enfance qui le concernent et d’interjeter appel.
97.  Dans le cas où l’enfant ne vit pas avec ses parents ou lorsqu’ils sont séparés à des fins de protection ou pour d’autres raisons pertinentes, l’enfant a en principe le droit de maintenir des relations et des contacts personnels avec eux. Ce droit peut toutefois être limité pour certains motifs et dans le cadre de certaines procédures prévues par la loi, par exemple dans le cas où les contacts présentent un danger ou une menace ou dans le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 2 de la loi sur la garde des enfants et le droit de visite ; articles 19 § 2, 24 et 25 de la loi de 1983 ; articles 9 et 10 § 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant).
98.  En vertu de l’article 1 de la loi de 1983, un enfant a droit à un cadre de vie rassurant et stimulant et à un développement harmonieux et équilibré, et jouit d’un droit spécial à être protégé. La loi de 1983 tend à ce qu’en toutes circonstances un enfant reçoive les soins et l’éducation que requiert la loi sur la garde des enfants et le droit de visite.
B.  Mesures de soutien à la famille
99.  Dans l’hypothèse où les parents ou les personnes qui ont la garde de l’enfant ne sont pas aptes à lui procurer des conditions suffisamment rassurantes pour sa croissance et son développement, le conseil de protection sociale et ses agents prennent les mesures nécessaires en vertu de la loi de 1983. Parmi elles figurent les mesures de soutien à la famille visées aux articles 12 à 14 et l’obligation de prendre l’enfant en charge et de le confier à une autre famille ou à une institution comme le prévoit l’article 16.
100.  Conformément à l’article 13 § 1 de la loi de 1983 (telle que modifiée par la loi no 139/1990), lorsque la protection d’un enfant s’impose essentiellement en raison du manque de ressources, des conditions de vie insatisfaisantes ou de l’absence de logement, ou lorsque de tels facteurs font sérieusement obstacle à la réinsertion d’un enfant et de sa famille, ou dans le cas où un adolescent sur le point de devenir indépendant a été prestataire des services sociaux avant l’âge de dix-huit ans, les autorités locales doivent fournir sans retard un soutien financier approprié et remédier aux carences du logement ou fournir un logement conforme aux besoins.
101.  Les mesures de soutien à la famille visées à l’article 13 § 2 de la loi de 1983 englobent une assistance à caractère général en application de la loi sur la protection sociale (sosiaalihuoltolaki, socialvårdslag 710/1982). Outre cette assistance à caractère général sont prévues des formes particulières d’aide : aide bénévole ou famille de soutien ; thérapie appropriée ; vacances et loisirs ; et soutien apporté à un enfant dans son éducation ou sa formation, dans la recherche d’un emploi et d’un logement, dans ses activités récréatives et autres besoins personnels, sous forme financière ou autre. L’assistance est fournie en coopération avec l’enfant ou l’adolescent et ses parents ou les autres personnes qui en ont la charge.
C.  Prise d’un enfant en charge et placement dans une autre famille ou une institution
102.  En vertu de l’article 16 de la loi de 1983, le conseil de protection sociale peut prendre un enfant en charge et le confier à une autre famille ou une institution si a) la santé ou le développement de l’enfant sont gravement compromis par manque de soins ou en raison d’autres conditions régnant à son domicile, ou si l’enfant met sa santé et son développement gravement en péril par l’abus d’alcool ou d’autres substances psychotropes, par la commission d’un acte illégal autre qu’une infraction mineure, ou par tout autre comportement comparable ; b) les mesures de soutien à la famille ne sont pas appropriées ou se sont révélées insuffisantes ; et c) le placement dans une autre famille ou une institution est dicté par l’intérêt supérieur de l’enfant.
103.  Si un enfant court un danger imminent pour une raison énoncée à l’article 16 ou a besoin pour toute autre raison d’être immédiatement pris en charge et placé dans une autre famille ou une institution, le conseil de protection sociale peut le prendre en charge sans demander au préalable l’approbation du tribunal administratif de comté (loi de 1983, article 18).
104.  L’article 9 § 2 de la loi de 1983 prévoit que le placement dans une autre famille ou une institution doit être organisé sans retard en cas de besoin et si l’intérêt supérieur de l’enfant le commande.
105.  Une décision de prise en charge d’urgence expire dans un délai de quatorze jours sauf si lui est substituée une décision de prise en charge ordinaire telle que prévue à l’article 17. Celle-ci doit être rendue dans un délai de trente jours, ou en cas de raisons particulières dans le délai de soixante jours à compter de la décision d’urgence. Une décision de prise en charge d’urgence est susceptible des recours habituels.
106.  La prise en charge se distingue de l’adoption en ce que les parents conservent une partie de l’autorité parentale et des responsabilités en matière de tutelle.
D.  Durée et mainlevée de la prise en charge
107.  Une prise en charge en application de l’article 16 de la loi de 1983 prend fin lorsque l’enfant atteint l’âge de dix-huit ans ou contracte mariage. Elle prend fin plus tôt lorsque les conditions de sa mainlevée se trouvent réunies.
108.  En vertu de l’article 20 de la loi de 1983, le conseil de protection sociale met fin à la prise en charge d’un enfant lorsque cessent d’exister les raisons, énoncées à l’article 16, qui ont justifié la prise en charge ou l’accueil dans une autre famille ou une institution, sauf si la levée de la prise en charge va manifestement à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant.
E. Compétence du conseil de protection sociale
109.  L’article 19 § 1 de la loi de 1983 énonce ce qui suit en matière d’autorité parentale :
« Lorsque le conseil de protection sociale prend un enfant en charge, il a compétence pour décider de l’entretien de l’enfant, de son éducation, de sa surveillance, de son bien-être et de son lieu de résidence. Il doit toutefois s’employer à coopérer avec les parents de l’enfant ou les autres personnes qui exercent l’autorité parentale. »
F.  Droit de visite
110.  Une fois qu’il décide la prise en charge, le conseil de protection sociale a automatiquement compétence pour décider des contacts entre l’enfant et ses parents et les autres personnes proches de l’enfant (article 19 § 2 de la loi de 1983).
111.  L’article 24 de la loi de 1983 prévoit qu’un enfant confié à d’autres personnes que ses parents doit bénéficier des relations humaines continues et rassurantes qui importent pour son développement. Il a le droit de rencontrer ses parents et les autres personnes qui lui sont proches et de rester en contact avec eux. Le conseil de protection sociale soutient et facilite les rencontres de l’enfant avec ses parents et avec les autres personnes qui lui sont proches.
112.  L’article 25 de la loi de 1983 prévoit que le conseil social ou le directeur d’une résidence pour enfants peut restreindre le droit pour un enfant confié à une autre famille ou à une institution de voir ses parents ou les autres personnes qui lui sont proches si a) ces rencontres mettent manifestement en péril le développement ou la sécurité de l’enfant ; ou si b) cette restriction s’impose pour la sûreté ou la sécurité des parents, ou celle des enfants ou du personnel de l’institution pour enfants. Dans ces cas-là, le conseil de protection sociale peut décider de ne pas révéler l’adresse de l’enfant à ses parents ou aux personnes investies de l’autorité parentale pendant la prise en charge de l’enfant.
113.  En vertu de l’article 25 de la loi de 1983 et de l’article 9 du décret sur la protection de l’enfance (lastensuojeluasetus, barnskyddsförordning 1010/1983), une décision portant restriction du droit de visite n’est valable que pour un temps et elle doit mentionner les personnes dont le droit est ainsi limité. En outre, la décision doit préciser quels sont les contacts qu’elle restreint et quelles en sont les modalités d’application.
114.  Une décision de limiter le droit de visite restreint le droit pour l’enfant de rencontrer ses parents et les autres personnes qui lui sont proches. Ces personnes proches de l’enfant sont son gardien ou autre représentant légal, les membres de sa famille et les personnes qui sont demeurées en contact avec l’enfant avant et pendant sa prise en charge.
G.  Programme de prise en charge
115.  Un programme de prise en charge est mis en place chaque fois qu’il faut assurer la protection de l’enfant, qu’elle se fasse à titre individuel ou soit orientée vers la famille, à moins que la question considérée ne requière que des conseils ou un suivi à titre temporaire. Ce programme doit être adapté si nécessaire.
116.  Dans le cas d’un enfant pris en charge (article 16 de la loi de 1983) ou d’un enfant placé dans un foyer pour enfants à titre de mesure de soutien à la famille (article 14 de la même loi), le programme de prise en charge indique a) le but et les objectifs du placement ; b) quel type de soutien sera organisé pour l’enfant, pour les personnes qui sont chargées de son entretien et de son éducation et pour les parents de l’enfant ; c) les modalités des visites de l’enfant à ses parents et aux autres personnes qui lui sont proches ; et d) les modalités d’organisation pour la période postérieure à la prise en charge.
117.  D’après l’article 4 du décret sur la protection de l’enfance, le programme de prise en charge est mis au point en coopération avec les personnes concernées.
H.  Les services de protection de l’enfance
118.  Aux termes de l’article 4 de la loi sur la protection sociale, un conseil de protection sociale, composé de plusieurs membres élus par le conseil municipal, est chargé d’assurer la protection sociale dans son ressort et assume les responsabilités que d’autres lois confient aux conseils de protection sociale.
119.  L’article 12 de la loi sur la protection sociale permet au conseil de protection sociale local de déléguer à ses agents le pouvoir de prendre des décisions, à l’exception de celles prévoyant des mesures de protection d’office à l’égard d’un individu.
I.  Recours prévus par la loi sur la protection de l’enfance
120.  Aux termes de l’article 17 § 2 de la loi de 1983, la décision d’un conseil de protection sociale de prendre un enfant en charge ou de le/la confier à une autre famille ou à une institution doit être soumise à l’approbation du tribunal administratif de comté dans le délai de trente jours, si un enfant ayant atteint l’âge de douze ans ou les personnes en ayant la garde s’opposent à la mesure ou si l’audience prévue par l’article 17 § 1 de la loi n’a pu être organisée.
121.  L’article 36 prévoit que les décisions de prendre un enfant en charge ou de le placer dans une autre famille ou une institution sont susceptibles d’appel devant le tribunal administratif de comté dans les trente jours suivant la notification de la décision. Durant ce délai, le recours peut aussi être porté devant le conseil de protection sociale local qui le déférera au tribunal administratif de comté accompagné de son propre avis dans les quatorze jours. Dans ce cas, le tribunal statue simultanément sur l’avis et le recours.
122.  L’article 37 § 1 de la loi de 1983 dispose que la Cour administrative suprême peut être saisie de recours contre une décision rendue par le tribunal administratif de comté en application de la loi et prononçant la prise en charge, le placement dans une autre famille ou une institution, ou la levée de la prise en charge, ou statuant sur des questions relatives au logement comme celles visées à l’article 13 § 1 de la loi.
123.  Par contre, aux termes de l’article 37 § 2 de la loi de 1983, les décisions autres que celles visées au paragraphe 1 et relatives à la protection de l’enfant à titre individuel ou orientée vers la famille rendues par le tribunal administratif de comté en application de la loi sont insusceptibles de recours.
124.  Selon l’article 35 § 2 de la loi de 1983, un enfant ayant atteint l’âge de douze ans, ses parents, les personnes qui en ont la garde et celle qui est chargée de son entretien et de son éducation ou qui en était chargée immédiatement avant l’affaire en cause, peuvent interjeter appel pour les questions relatives à la prise en charge de l’enfant, son placement dans une autre famille ou une institution, ou la mainlevée de la prise en charge.
J.  Autres dispositions en matière de recours
125.  Une personne contestant la décision d’un agent du conseil de protection sociale local dispose, en vertu de la loi sur la procédure administrative (hallintomenettelylaki, lag om förvaltningsförfarande 598/1982), de quatorze jours à compter de la date où elle en a été informée pour saisir le conseil lui-même. La décision de celui-ci peut à son tour être attaquée devant le tribunal administratif de comté.
126.  En vertu de l’article 46 de la loi sur la protection sociale, une décision du conseil de protection sociale peut être attaquée devant le tribunal administratif de comté dans les trente jours suivant sa notification. Un recours peut être formé devant la Cour administrative suprême contre certaines décisions du tribunal.
127.  Dans le cas où sa décision est susceptible de recours, l’autorité concernée doit joindre à sa décision des informations sur les modalités d’appel.
128.  Selon l’article 47 de la loi sur la protection sociale, l’appel n’est pas suspensif d’une décision du conseil de protection sociale local si a) la décision appelle une exécution immédiate ; ou b) l’exécution de la décision ne saurait être différée pour des raisons tenant à l’organisation de la protection sociale ; et c) lorsque le conseil de protection sociale a ordonné l’exécution immédiate.
129.  En cas de recours, l’instance d’appel peut surseoir à l’exécution de la décision, ou ordonner qu’elle soit suspendue.
130.  L’article 38 § 1 de la loi sur la procédure contentieuse administrative (hallintolainkäyttölaki, förvaltningsprocesslag 586/1996), entrée en vigueur le 1er décembre 1996, régit le droit à une audience devant les juridictions administratives.
K.  Les parties intéressées et leurs droits
131.  Conformément à la loi sur la garde des enfants et le droit de visite, une personne de moins de dix-huit ans est un incapable (mineur). Un enfant ayant atteint l’âge de douze ans peut être entendu dans les affaires de protection de l’enfance comme le prévoit l’article 15 de la loi sur la procédure administrative ; il peut aussi demander à bénéficier des prestations sociales et autres mesures de soutien visées à l’article 13.
132.  L’article 17 § 1 de la loi de 1983 indique les parties qui doivent être entendues en cas de prise en charge d’un enfant, du placement d’un enfant dans une autre famille ou une institution et en cas de mainlevée de la prise en charge. Selon cet article, ont le droit d’être entendus en application de l’article 15 de la loi sur la procédure administrative : a) la personne ayant la garde de l’enfant, b) un parent biologique qui n’a pas la garde de l’enfant, c) une personne actuellement chargée de l’entretien et de l’éducation de l’enfant ou qui en était chargée immédiatement avant l’affaire en question, et d) l’enfant s’il a atteint l’âge de douze ans. Ces personnes doivent aussi recevoir notification d’une décision concernant la prise en charge d’un enfant et la mainlevée de celle-ci selon les modalités prévues pour la notification spéciale. Les autorités sont aussi tenues de les informer, le cas échéant, des possibilités de recours.
133.  L’article 15 § 1 de la loi sur la procédure administrative énonce l’obligation générale d’entendre les parties. Avant qu’une décision ne soit prise, une partie doit avoir la faculté de répondre aux arguments présentés par les autres ainsi que de produire tout élément de preuve pouvant avoir une incidence sur la décision.
L.  Contrôle des activités des autorités chargées de la protection de l’enfance
134.  Organe représentant l’Etat au niveau régional, la préfecture (lääninhallitus, länsstyrelsen) a de manière générale compétence pour contrôler les activités des communes. Ainsi peut-elle, en cas de recours pour une question de procédure, rechercher si l’autorité locale a agi dans le respect de la loi.
135.  En outre, le ministère des Affaires sociales et de la Santé, autorité supérieure en matière de protection sanitaire et sociale, contrôle et dirige les activités des communes et, le cas échéant, aussi celles de la préfecture en matière de protection de l’enfance. Les recours concernant des affaires individuelles dont le ministère des Affaires sociales et de la Santé est saisi sont déférés à la préfecture qui statue en première instance.
136.  Le médiateur parlementaire et le chancelier de la justice (oikeuskansleri, justitiekansler) ont compétence pour contrôler la légalité des mesures prises par telle ou telle autorité.
EN DROIT
I.  QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
A.  Objet du litige
137.  Dans sa demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, le Gouvernement invite expressément la Cour à ne réexaminer que les questions sur lesquelles la chambre a conclu dans son arrêt du 27 avril 2000 à une violation de l’article 8 de la Convention, c’est-à-dire en ce qui concerne les décisions des autorités internes de prendre les enfants des requérants en charge et leur refus de lever ces mesures.
138.  Les requérants n’ont pas contesté cette demande ni n’en ont formé une en vertu de l’article 43 de la Convention afin que la Grande Chambre réexamine l’affaire sur d’autres points.
139.  La Cour doit donc rechercher quelle est l’ampleur de l’examen de l’affaire auquel elle est appelée à se livrer, et se demander en particulier si elle peut se borner aux questions que le Gouvernement a soulevées dans sa demande en vertu de l’article 43 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
2.  Un collège de cinq juges de la Grande Chambre accepte la demande si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général.
3.  Si le collège accepte la demande, la Grande Chambre se prononce sur l’affaire par un arrêt. »
140.  La Cour relève d’abord que les trois paragraphes de l’article 43 emploient tous le terme « l’affaire » (« the case ») pour décrire la matière dont la Grande Chambre se trouve saisie. En particulier, en son paragraphe 3 l’article 43 dispose que la Grande Chambre « se prononce sur l’affaire » – c’est-à-dire l’ensemble de l’affaire et pas seulement la « question grave » évoquée au paragraphe 2 – « par un arrêt ». Le libellé de l’article 43 précise bien que, si l’existence d’« une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général » (paragraphe 2) est la condition préalable pour que la demande d’une partie soit accueillie, une fois la demande acceptée, c’est l’ensemble de « l’affaire » qui est renvoyé devant la Grande Chambre, laquelle se prononcera par un nouvel arrêt (paragraphe 3). Le même terme « l’affaire » (« the case ») figure aussi à l’article 44 § 2, qui définit les conditions dans lesquelles les arrêts d’une chambre deviennent définitifs. L’article 44 a pour seule signification que, si la demande de renvoi formée par une partie en vertu de l’article 43 est accueillie, l’ensemble de l’arrêt de la chambre sera écarté pour être remplacé par le nouvel arrêt de la Grande Chambre visé à l’article 43 § 3. Dès lors, « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre englobe nécessairement tous les aspects de la requête que la chambre a examinés précédemment dans son arrêt, pas uniquement la « question » grave qui a motivé le renvoi. En somme, aucune base ne permet le renvoi simplement partiel de l’affaire devant la Grande Chambre.
141.  Dans un souci de clarification, la Cour ajoute que « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre est la requête telle qu’elle a été déclarée recevable (voir, mutatis mutandis, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 63, § 157). Ce qui ne veut toutefois pas dire que la Grande Chambre ne puisse examiner aussi, le cas échéant, des questions relatives à la recevabilité de la requête comme cela est loisible à la chambre dans le cadre de la procédure habituelle, par exemple en vertu de l’article 35 § 4 in fine de la Convention (qui habilite la Cour à « rejet[er] toute requête qu’elle considère comme irrecevable (...) à tout stade de la procédure »), ou lorsque ces questions ont été jointes au fond ou encore lorsqu’elles présentent un intérêt au stade de l’examen au fond.
B.  Recevabilité des griefs des requérants relatifs aux décisions de prise en charge d’urgence
142.  Dans sa demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, le Gouvernement soutient que la chambre n’a pas du tout déclaré recevable la question des décisions de prise en charge d’urgence et qu’en conséquence elle n’eût pas dû examiner cette partie de la procédure. Il fait valoir en outre que la Grande Chambre ne devrait pas non plus en connaître puisque les requérants n’ont pas attaqué ces décisions dans le cadre de la procédure interne et qu’ils n’ont soulevé la question devant la Cour qu’à l’audience du 8 juin 1999 devant la chambre.
143.  Les requérants affirment qu’ils ont posé la question des décisions de prise en charge d’urgence dès leur requête initiale et qu’il faut y voir une partie indissociable du problème de la prise en charge dans son ensemble. Selon eux, dans leurs observations à l’audience de juin 1999 devant la chambre, ils n’ont fait que développer leurs griefs initiaux concernant les décisions de prise en charge d’urgence. Ils relèvent en outre que cela n’a suscité lors de cette audience aucune objection du Gouvernement, qui n’a formulé alors aucun autre commentaire sur ce sujet.
144.  Les intéressés soutiennent qu’ils n’ont pas attaqué les décisions de prise en charge d’urgence parce qu’une décision de ce genre, qui émanait du chef des services sociaux, ne pouvait être prononcée que pour une durée limitée de quatorze jours et ne pouvait être dénoncée directement devant le tribunal administratif de comté mais seulement devant le conseil de protection sociale ; en pratique, celui-ci examine à une même réunion la décision de prise en charge d’urgence et la décision de prise en charge ordinaire et définitive. Dès lors, un recours contre une décision de prise en charge d’urgence n’aurait eu en fait aucun effet suspensif ou de redressement. D’ailleurs, cette objection aurait dû être émise au plus tard au stade de la recevabilité ; la Grande Chambre doit donc la rejeter.
145.  La Cour relève d’abord que les décisions de prise en charge d’urgence étaient mentionnées dans la formule de requête déposée le 26 octobre 1994. Les requérants ont bien allégué la violation de l’article 8 de la Convention à raison de ces décisions dans leur requête initiale et ils sont revenus sur cette question avant le stade de la recevabilité à l’audience du 8 juin 1999. Il ne fait donc aucun doute que leurs griefs à cet égard sont couverts par la décision de la même date sur la recevabilité de la requête, comme le confirme d’ailleurs la procédure ultérieure sur le bien-fondé devant la chambre, laquelle a examiné les décisions d’urgence avec les décisions ultérieures de prise en charge ordinaire. Dès lors, cet aspect de l’affaire n’échappe pas à l’examen de la Grande Chambre.
En ce qui concerne l’autre argument du Gouvernement selon lequel les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes à propos des décisions de prise en charge d’urgence, la Cour rappelle que, conformément à l’article 55 de son règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans les observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête présentées par elle au titre de l’article 51 ou de l’article 54 du règlement, selon le cas. Or en l’espèce le Gouvernement n’a soulevé aucune exception d’irrecevabilité dans ses observations écrites ou orales au stade de la recevabilité. Au demeurant, eu égard au caractère provisoire et temporaire des décisions de prise en charge d’urgence, que le conseil de protection sociale a entérinées le 15 juillet 1993 (paragraphe 33 ci-dessus) alors qu’elles avaient été muées en décisions de prise en charge ordinaire, la Cour admet que, comme les requérants le soutiennent, dans les circonstances particulières de l’espèce, ils pouvaient en tout cas se dispenser de former un recours séparé contre les décisions de prise en charge d’urgence. En conclusion, il y a lieu de rejeter aussi les arguments du Gouvernement à cet égard.
C.  Nouveaux éléments produits par les parties
146.  Devant la Grande Chambre, les requérants se sont opposés à ce que soient pris en compte les « nouveaux éléments » que le Gouvernement avait produits devant la Cour, dans le cadre de la procédure devant la chambre initiale ou dans la présente procédure devant la Grande Chambre, mais qu’il n’avait pas invoqués antérieurement devant les juridictions nationales. Les requérants soutiennent à cet égard qu’il ne faut accueillir aucun élément nouveau car les services de protection de l’enfance y avaient eu accès dès la procédure interne mais avaient choisi de ne les soumettre à aucune juridiction. Ils soulignent aussi n’avoir pas eu le loisir de contester ces éléments devant les juridictions nationales au cours d’une procédure contradictoire.
147.  Selon sa jurisprudence constante (voir, entre autres, Gustafsson c. Suède, arrêt du 25 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, pp. 654 et 655, §§ 47 et 51, et Cruz Varas et autres c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A no 201, p. 30, § 76), rien n’empêche la Cour de prendre en considération de nouveaux renseignements et arguments si elle les estime pertinents pour se prononcer sur le bien-fondé des griefs des requérants sur le terrain de la Convention. De nouveaux renseignements peuvent par exemple confirmer ou infirmer l’appréciation à laquelle s’est livré l’Etat défendeur ou le bien ou mal-fondé des craintes d’un requérant. D’ailleurs, les éléments « nouveaux » figurant dans les observations du Gouvernement consistent soit en de plus amples détails quant aux faits à l’origine des griefs retenus par la chambre, soit en arguments juridiques y relatifs (McMichael c. Royaume-Uni, arrêt du 24 février 1995, série A no 307-B, p. 51, § 73). En conséquence, rien n’empêche la Cour d’en prendre connaissance si elle les juge pertinents.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
148.  Devant la chambre initiale comme devant la Grande Chambre, les requérants ont allégué que la prise en charge de M. et J. par l’autorité publique avait méconnu leur droit au respect de leur vie familiale tel que le garantit l’article 8 de la Convention. Celui-ci dispose :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A.  Y a-t-il eu ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention ?
149.  Le Gouvernement admet qu’il y a eu des ingérences dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale tel que le garantit l’article 8 § 1 de la Convention, mais affirme que ces ingérences se justifiaient au regard de l’article 8 § 2 de la Convention. Il énonce toutefois certains doutes quant à l’ampleur de la vie familiale dont on puisse dire en l’espèce qu’elle bénéficiait de la protection de l’article 8 en ce qui concerne le second requérant, T. Celui-ci n’est pas le père de M. et, bien que le fait qu’il soit le père de J. n’ait jamais été contesté, il n’a obtenu la garde de J. que le 4 août 1993.
150.  Conformément à sa jurisprudence antérieure (voir, parmi d’autres, Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, pp. 14-15, § 31), la Cour relève que la question de l’existence ou de l’absence d’une « vie familiale » est d’abord une question de fait dépendant de la réalité pratique de liens personnels étroits. En l’occurrence, les requérants vivaient l’un et l’autre avec M. jusqu’à ce qu’il soit placé de leur plein gré dans un foyer pour enfants puis pris en charge par l’autorité publique (paragraphe 12 ci-dessus). Avant la naissance de J., les requérants et M. formaient une famille dans la claire intention de poursuivre ensemble leur vie familiale. Ils avaient cette même intention avec J., leur bébé nouveau-né dont T. s’est effectivement occupé pendant quelque temps après la naissance et avant de s’en voir légalement confier la tutelle (paragraphes 35 et 38 ci-dessus). Dans ces conditions, force est à la Cour de conclure qu’au moment où les autorités sont intervenues, il existait bien entre les requérants une vie familiale, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, qui englobait les deux enfants, M. et J. La Cour n’opérera donc aucune distinction entre les requérants K. et T. pour ce qui est de la portée de la « vie familiale » qu’ils connaissaient l’un et l’autre avec les deux enfants.
151.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (voir, entre autres, Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, pp. 1001-1002, § 52). Les mesures en cause, cela n’est pas contesté, constituaient à l’évidence des ingérences dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale tel que le garantit le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention. Pareille ingérence méconnaît cet article à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 8 et ne puisse passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».
B.  Les ingérences étaient-elles justifiées ?
1.  « Prévues par la loi »
152.  Il ne prête pas à controverse devant la Cour que les mesures dénoncées trouvaient une base en droit interne ; pour sa part, la Cour a la conviction que tel était bien le cas.
2.  But légitime
153.  Pour la Cour, le droit finlandais pertinent tendait assurément à protéger « la santé ou la morale » et « les droits et libertés » des enfants. Rien ne permet de dire qu’il ait été appliqué à d’autres fins en l’occurrence.
3.  « Nécessaires dans une société démocratique »
154.  Pour rechercher si les mesures dénoncées étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour considérera si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués à l’appui de ces mesures étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention (voir, entre autres, Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24 mars 1988, série A no 130, p. 32, § 68).
A cette fin, la Cour tiendra compte du fait que la conception que l’on a du caractère opportun d’une intervention des autorités publiques dans les soins à donner à un enfant varie d’un Etat à l’autre en fonction d’éléments tels que les traditions relatives au rôle de la famille et à l’intervention de l’Etat dans les affaires familiales, ainsi que des ressources que l’on peut consacrer à des mesures publiques dans ce domaine particulier. Il reste que le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant revêt dans chaque cas une importance décisive. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés (Olsson c. Suède (no 2), arrêt du 27 novembre 1992, série A no 250, pp. 35-36, § 90), souvent dès le moment où des mesures de placement sont envisagées ou immédiatement après leur mise en œuvre. Il découle de ces considérations que la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55, et Johansen précité, pp. 1003-1004, § 64).
155.  La marge d’appréciation laissée ainsi aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu tels que, d’une part, l’importance qu’il y a à protéger un enfant dans une situation tenue pour mettre sa santé ou son développement sérieusement en péril et, d’autre part, l’objectif de réunir la famille dès que les circonstances le permettront. Lorsqu’une période de temps considérable s’est écoulée depuis que l’enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents à la réunion de leur famille. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, mais il faut exercer un contrôle plus rigoureux à la fois sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits et aux visites des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Johansen précité, ibidem).
C’est dans ce contexte que la Cour examinera si les mesures s’analysant en des ingérences dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie familiale pouvaient passer pour « nécessaires ».
a)  Les décisions de prise en charge d’urgence
i.  Thèses des parties
α)  Les requérants
156.  Les requérants affirment que les autorités ne leur ont jamais donné une chance de résoudre leurs problèmes avec l’aide de leurs proches et en se prévalant des diverses mesures de soutien que fournissent les services de protection sanitaire et sociale. Elles ont au contraire recouru à la hâte à une décision de prise en charge d’urgence, mesure trop radicale pour être envisagée d’emblée. Ils allèguent aussi que ces décisions d’urgence avaient en réalité été arrêtées à l’avance et seulement mises en œuvre au moment de la naissance de J. ; elles ne pourraient dès lors se justifier par le comportement de K.
157.  En ce qui concerne J. en particulier, les requérants soulignent qu’elle fut prise en charge par l’autorité publique sans avoir eu la moindre possibilité de créer un lien avec les requérants et d’être allaitée par sa mère. D’après eux, on aurait dû pour le moins la confier à son père qui n’avait pas des problèmes de nature à justifier une décision de prise en charge d’urgence. Les intéressés trouvent choquant que la nouveau-née ait été prise en charge dès la salle d’accouchement – la décision ne reposait que sur de simples spéculations quant au danger que l’enfant courait – sans qu’ils aient été consultés en aucune manière. Les parents n’ont pas du tout pu voir la petite fille les premiers jours de sa vie.
158.  Pour ce qui est de M. en particulier, les requérants précisent qu’il était déjà confié au foyer pour enfants au moment de la décision de prise en charge d’urgence et qu’il n’était manifestement pas exposé au danger immédiat qui est la condition préalable à pareille décision.
159.  Les requérants, qui se plaignent de n’avoir pas été entendus à propos des décisions de prise en charge d’urgence, indiquent que les autorités sont parties de l’idée que J. serait en danger si K. venait à découvrir qu’elles préparaient une décision de prise en charge au sujet de ses deux enfants. Elles l’envisageaient déjà des semaines avant de rendre les décisions d’urgence. Etant donné les prémisses dont partaient les autorités, les requérants ne furent pas du tout entendus avant la prise de la décision. Selon eux, aux fins de l’article 8 de la Convention, les parents doivent être dûment entendus et être suffisamment mêlés au processus décisionnel ; cette condition n’aurait pas été remplie dans le cas présent. Ce n’est pas l’état mental de K., satisfaisant – comme plusieurs médecins l’ont constaté – à ce moment-là qui aurait empêché les autorités d’informer les requérants des décisions de prise en charge d’urgence et il n’y avait rien à redire à l’état mental de T. D’après les intéressés, les autorités ont en l’espèce manifestement outrepassé les limites d’une marge d’appréciation, fût-elle ample.
β)  Le Gouvernement
160.  Le Gouvernement relève que les requérants bénéficiaient déjà depuis au moins quatre ans des prestations des services de protection sociale au moment des décisions de prise en charge, lesquelles se fondaient sur des contacts directs avec eux. De nombreuses mesures de soutien avaient déjà été adoptées compte tenu des difficultés de la famille et les autorités n’avaient donc pas d’autre choix que de prendre les enfants en charge, car les mesures de soutien ne garantissaient pas assez le bon développement des enfants ; la loi faisait obligation aux autorités de placer ceux-ci sous assistance. Le Gouvernement affirme que les autorités n’ont pas recouru à la hâte aux décisions de prise en charge, qui leur ont paru répondre à l’intérêt supérieur des enfants.
161.  En ce qui concerne J. en particulier, le Gouvernement précise que la prise en charge avait pour finalité même de protéger l’enfant car la mère souffrait de graves troubles mentaux. Si la mère et le bébé étaient restés dans la même pièce, la protection n’aurait pu être assurée par le personnel hospitalier ou quelqu’un d’autre car même en milieu hospitalier, il est à l’évidence impossible de surveiller les patients en permanence. D’ailleurs, les documents de l’hôpital ne signalent nullement que K. soit jamais allée voir ou ait jamais tenté de voir le bébé au pavillon infantile ou qu’on l’en ait empêchée. Le fait qu’elle fût seule investie de la garde de J. revêtait aussi de l’importance car en l’absence d’une mesure de prise en charge, elle aurait pu quitter l’hôpital avec le bébé à tout moment après l’accouchement. Le point de savoir si J. a eu ou non la possibilité d’être nourrie par sa mère ne devrait pas être tenu pour un argument juridique et ne devrait avoir aucune incidence sur la décision en l’occurrence puisque, sous médication antipsychotique, K. n’aurait de toute manière pas pu allaiter J. Le Gouvernement relève enfin que les autorités ne pouvaient compter sur l’aptitude de T. à veiller sur la santé et le bien-être de la nouveau-née.
162.  Pour ce qui est de M. précisément, le Gouvernement explique qu’il avait été placé dans un foyer pour enfants afin de subir des examens psychologiques car il avait manifesté des troubles du comportement. Un développement perturbé s’analyserait manifestement en un risque pouvant dicter aussi bien une décision de prise en charge d’urgence qu’une décision de prise en charge ordinaire. Les dispositions antérieures comportant d’amples mesures de soutien ne s’étaient pas révélées suffisantes pour répondre aux besoins de M. du point de vue de son développement. Le Gouvernement souligne que pour qu’il se développât bien, il fallait à l’enfant un cadre de vie stable et rassurant que K. n’était pas à même de lui procurer à son domicile, même avec l’aide de T. qui n’était pas le père de M.
163.  Quant au fait que les requérants n’aient pas été entendus avant les décisions de prise en charge d’urgence, le Gouvernement avance qu’à ce moment-là, la mère était dans un état mental tel que les autorités ne pouvaient informer les requérants de leur intention de prendre les enfants en charge sans compromettre la santé et le bien-être de K. et du bébé qu’elle attendait. D’après le Gouvernement, K. s’était auparavant montrée violente et avait menacé d’user de violence à l’encontre de ses enfants. De plus, elle était sortie d’un établissement psychiatrique seulement un mois auparavant et elle n’était pas traitée pour troubles mentaux à la fin de sa grossesse. Une semaine avant la naissance de J., les services de protection sociale étaient parvenus à la conclusion que K. ne pourrait probablement pas s’occuper de M. et de la nouveau-née en même temps, fût-ce avec l’aide de T. et moyennant des mesures de soutien. Le Gouvernement rappelle aussi que trois jours seulement avant la date prévue pour la naissance de J., T. avait appelé le centre de soins car l’état mental de K. lui inspirait des inquiétudes. La mère de K. était elle aussi apparemment soucieuse à cause de la santé mentale de sa fille peu avant la naissance de J., le 18 juin 1993. Le Gouvernement se dit aussi préoccupé à l’idée que si l’on devait interpréter l’article 8 comme donnant aux parents le droit d’être mêlés au processus décisionnel en vue de la prise en charge d’urgence, dans nombre de cas pareilles décisions seraient dépourvues de sens ou seraient impossibles à mettre en œuvre. D’après lui, une telle interprétation serait préjudiciable à la protection des enfants qui relèvent de la juridiction de la Finlande.
ii.  Appréciation de la Cour
164.  Dans son arrêt du 27 avril 2000, la chambre a examiné la question de la prise en charge des enfants comme un tout, sans traiter séparément les décisions de prise en charge d’urgence et les décisions dites de prise en charge ordinaire. Elle a estimé que les motifs avancés pour justifier les décisions de prise en charge n’étaient pas suffisants et que les méthodes employées pour mettre celles-ci à exécution étaient excessives. Elle a conclu qu’en décidant la prise en charge, les autorités nationales avaient outrepassé la marge d’appréciation ; que ces mesures ne sauraient dès lors être considérées comme « nécessaires » dans une société démocratique. La prise en charge des deux enfants par l’autorité publique s’analysait donc en une violation du droit des requérants au respect de leur vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention.
165.  La Grande Chambre estime quant à elle devoir examiner la décision de prise en charge d’urgence et la décision de prise en charge ordinaire pour chaque enfant séparément car il s’agit de types différents de décisions aux conséquences différentes – la première étant d’une durée brève et limitée et la seconde revêtant un caractère plus permanent – et résultant de processus décisionnels distincts, quoiqu’une mesure suive immédiatement l’autre. Selon la Grande Chambre, des différences de fond et de procédure à considérer militent pour un examen séparé des deux séries de décisions.
166.  La Cour admet que lorsqu’une décision de prise en charge d’urgence s’impose, il n’est peut-être pas toujours possible, à cause du caractère urgent de la situation, d’associer les personnes investies de la garde de l’enfant au processus décisionnel. Cela peut même, comme le Gouvernement le relève, n’être pas souhaitable quoique possible si les titulaires de la garde sont perçus comme représentant une menace immédiate pour l’enfant : en effet, les avertir pourrait priver la mesure de son efficacité. La Cour doit toutefois se convaincre qu’en l’espèce les autorités internes étaient fondées à considérer qu’il existait, en ce qui concerne J. comme M., des circonstances justifiant de soustraire brusquement les enfants aux soins des requérants sans que les autorités eussent pris contact avec ces derniers ou les aient consultés au préalable. En particulier, il incombe à l’Etat défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les requérants et les enfants la mesure de placement envisagée, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge des enfants avant de mettre une pareille mesure à exécution.
167.  La Cour reconnaît que les autorités compétentes pouvaient raisonnablement penser que si K. avait été avertie de l’intention de soustraire à ses soins soit M. soit l’enfant qu’elle attendait, de graves conséquences pour elle-même ou pour les enfants en auraient très probablement découlé compte tenu de sa santé mentale fragile (paragraphe 24 ci-dessus). A la lumière des éléments dont disposaient les autorités internes, la Cour tient aussi pour raisonnable l’appréciation de celles-ci selon laquelle T. n’était pas capable de s’occuper lui-même de K., qui souffrait de troubles mentaux, du bébé qu’elle attendait et de M. Il n’aurait pas non plus été réaliste pour les autorités d’associer uniquement T. au processus décisionnel compte tenu des liens étroits qui unissaient les requérants ; ceux-ci se communiqueraient sans doute les informations.
168.  Il reste que la prise en charge d’un nouveau-né par l’autorité publique dès sa naissance est une mesure extrêmement dure. Il faut des raisons extraordinairement impérieuses pour qu’un bébé puisse être soustrait aux soins de sa mère, contre le gré de celle-ci, immédiatement après la naissance à la suite d’une procédure à laquelle ni la mère ni son compagnon n’ont été mêlés. Le choc et le désarroi d’une mère même en parfaite santé se conçoivent aisément.
La Cour n’a pas la conviction que l’existence de pareilles raisons ait été démontrée en ce qui concerne J.
K. et J. étaient toutes deux à l’hôpital au moment considéré. Les autorités savaient depuis des mois que le bébé allait naître et étaient bien au courant des problèmes mentaux de K., de sorte que la situation ne présentait pas un caractère d’urgence en ce sens qu’elle aurait été imprévue. Le Gouvernement n’indique pas que l’on ait même songé à d’autres moyens possibles de mettre la nouveau-née J. à l’abri d’un dommage physique que pourrait lui causer sa mère. La Cour n’a pas à se substituer aux services de protection de l’enfance finlandais et à se livrer à des spéculations quant aux mesures de protection de l’enfance qui auraient été les plus indiquées dans ce cas particulier. Mais lorsqu’elles envisagèrent une mesure aussi radicale pour la mère, la privant totalement de sa nouveau-née immédiatement à la naissance, les autorités internes compétentes se devaient de rechercher s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins extrême dans la vie familiale, à un moment aussi décisif de la vie des parents et de l’enfant.
Les raisons invoquées par elles étaient pertinentes mais non suffisantes pour justifier cette grave immixtion dans la vie familiale des requérants. Même si l’on tient compte de la marge d’appréciation des autorités internes, le recours à la prise en charge d’urgence à l’égard de J. et les méthodes employées pour la mettre en œuvre étaient disproportionnés dans les effets qu’ils ont eus sur les perspectives qu’avaient les requérants de jouir d’une vie familiale avec leur nouveau-née dès sa naissance. Dès lors, s’il pouvait y avoir une « nécessité » d’user de mesures de précaution pour protéger l’enfant J., l’ingérence dans la vie familiale des requérants qu’a entraînée la décision de prendre l’enfant en charge d’urgence ne saurait passer pour « nécessaire » dans une société démocratique.
169.  La Cour estime en revanche que des considérations différentes entrent en jeu en ce qui concerne l’autre enfant, M. Elle ne saurait faire abstraction de ce que les autorités internes avaient de bonnes raisons de se soucier de l’aptitude de K. à continuer de s’occuper, fût-ce avec l’aide de T., de sa famille d’une manière normale immédiatement après la naissance de son troisième enfant. Les requérants l’ont eux-mêmes reconnu en plaçant M. de leur plein gré au foyer pour enfants. De surcroît, M. manifestait des signes de perturbation et avait donc besoin de soins particuliers. La prise en charge d’urgence qui fut décidée à son sujet, même si elle est intervenue immédiatement après la naissance de J., n’était pas susceptible d’avoir la même incidence sur la vie familiale des requérants que celle décidée à l’égard de J., sa demi-sœur. Il était déjà physiquement séparé de sa famille puisque les requérants l’avaient confié de leur plein gré au foyer pour enfants, la décision était nécessaire car il aurait pu être retiré à tout moment du cadre de vie rassurant que représentait ce foyer, et la décision portait sur une durée limitée. Encore une fois, il était compréhensible de ne mêler ni T. ni K. au processus décisionnel car il ne fallait pas provoquer de crise dans la famille avant la naissance de J., qui serait source de tension nerveuse.
La Cour a dès lors la conviction que les autorités internes étaient fondées à considérer qu’il fallait prendre une mesure exceptionnelle, d’une durée limitée, dans l’intérêt de M. dès la naissance de sa demi-sœur.
170.  En conséquence, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant J., mais non-violation de l’article 8 à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant M.
b)  Les décisions de prise en charge ordinaire
i.  Thèses des parties
α)  Les requérants
171.  Les requérants affirment que les autorités ont outrepassé leur marge d’appréciation lorsqu’elles ont pris les enfants en charge. Selon eux, un conseil de protection sociale n’est pas un tribunal mais un organisme politique qui n’a pas les connaissances et compétences requises pour instruire une affaire avec objectivité et neutralité. Les travailleurs sociaux auraient dans leurs rapports donné d’eux une image totalement négative qui aurait influencé le personnel du foyer pour enfants. Les faits de la cause révèlent que les services de protection sociale ont eu une attitude foncièrement hostile au lieu de témoigner à l’égard de la famille des requérants compréhension et soutien. Ces services ont usé des pouvoirs et mesures dont ils disposaient pour briser la vie familiale des requérants ; cela dénoterait de leur part une détermination inébranlable. Les requérants jugent troublant au plus haut point que les services de protection sociale aient tenu secret le rapport que leur avait communiqué le foyer pour enfants et qui indique clairement que T. avait pu prendre soin et s’occuper de son bébé J. de manière exemplaire, instaurant entre elle et lui une relation chaleureuse et affectueuse. Sans tenir compte de ce rapport, les autorités ont prétendu devant les tribunaux internes, comme le Gouvernement l’a fait devant la Cour, que T. n’aurait pas été capable de s’occuper de J. même s’il avait bénéficié de mesures de soutien. D’après les requérants, la prise en charge des enfants par l’autorité publique s’analysait manifestement en une réaction excessive par rapport à leur situation familiale.
β)  Le Gouvernement
172.  Le Gouvernement affirme que lorsqu’ils ont examiné les questions de prise en charge, le conseil de protection sociale puis les juridictions internes disposaient de plusieurs rapports et certificats émanant des services de protection sociale ainsi que des déclarations de médecins. Les mesures s’appuyaient sur des renseignements détaillés que les services d’hygiène mentale et de protection sociale avaient recueillis depuis 1989. La connaissance approfondie de la situation familiale des requérants que les services sociaux compétents avaient acquise depuis quatre ans – grâce à des contacts personnels fréquents, mais aussi à de nombreux rapports de médecins et autres experts, qui avaient débouché sur une série de mesures de soutien en raison des difficultés économiques et sociales de la famille – devrait suffire à convaincre la Cour que les autorités ont agi dans le cadre de la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales.
ii.  Appréciation de la Cour
173.   Le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances. La Cour, qui ne perd pas de vue que les autorités avaient d’abord pour tâche de protéger les intérêts des enfants, n’a aucune raison de douter qu’elles pouvaient en l’occurrence estimer que la prise en charge à compter du 15 juillet 1993, en particulier dans un foyer d’accueil à partir de début 1994, s’imposait davantage que la poursuite des mesures de soutien, voire que de nouvelles mesures de cette sorte (paragraphes 32-47 ci-dessus). L’on ne peut pas non plus dire que les décisions de prise en charge ordinaire aient été mises en œuvre d’une manière particulièrement dure ou exceptionnelle. Alors que, comme le précisent les rapports de médecins et travailleurs sociaux, la mère des enfants souffrait de graves troubles mentaux, que la famille connaissait des problèmes sociaux et que les enfants semblaient avoir dans un foyer d’accueil de bien meilleures chances de se développer sainement que l’on ne pouvait l’escompter s’ils étaient laissés aux soins de leurs parents biologiques, les autorités pouvaient raisonnablement arrêter les décisions querellées en fonction de ce qui, selon elles, servirait le mieux l’intérêt des enfants. Quant à la garantie procédurale inhérente à l’article 8, les éléments du dossier montrent que les requérants ont été dûment impliqués dans le processus décisionnel qui a débouché sur les décisions de prise en charge ordinaire et que leurs intérêts ont été dûment protégés (paragraphe 33 ci-dessus). De surcroît, ils pouvaient attaquer la décision du conseil de protection sociale devant deux degrés de juridiction et se sont prévalus de cette faculté (paragraphes 41-46 ci-dessus).
174.  A la lumière de ce qui précède, la Cour a la conviction que la prise en charge des enfants par l’autorité publique le 15 juillet 1993 était inspirée par des motifs non seulement pertinents mais encore suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 et que le processus décisionnel était conforme aux exigences de cette disposition. Dès lors, la décision de recourir aux mesures de prise en charge dite ordinaire n’a emporté violation de l’article 8 de la Convention dans le cas d’aucun des deux enfants.
c)  L’absence alléguée de mesures propres à réunir la famille
i.  Thèses des parties
α)  Les requérants
175.  Les requérants affirment que le conseil de protection sociale et les tribunaux n’ont pas examiné comme il se devait leur demande tendant à la réunion de leur famille et ont donc outrepassé leur marge d’appréciation. Une prise en charge par l’autorité publique doit être considérée comme une mesure temporaire à lever dès que possible ; or en l’occurrence l’on avait pensé qu’elle durerait longtemps puisque les autorités ont supposé dès le début que les enfants ne seraient jamais rendus à leurs parents biologiques. Les rencontres avec les enfants sous surveillance stricte auraient tant manqué de naturel que parents et enfants n’ont pu nouer des liens familiaux réels et n’ont jamais eu l’occasion de mener ensemble une vie familiale normale. Le Gouvernement ayant réitéré à plusieurs reprises devant la Cour son intention de ne pas réunir la famille, la violation de l’article 8 à cet égard serait établie. Les autorités auraient agi d’une manière manifestement arbitraire sans jamais projeter de lever la prise en charge, quelles que fussent les circonstances.
β)  Le Gouvernement
176.  Au cours de la procédure devant la chambre, le Gouvernement a admis que concrètement aucune réunion de la famille n’était prévue et qu’aucune mesure en ce sens n’avait été appliquée. Il a toutefois souligné que les décisions de prise en charge étaient en vigueur « pour le moment ». Même si les autorités s’attendaient à ce qu’il faille garder les enfants sous assistance pendant longtemps, il n’avait pas été établi que l’on ne pourrait revenir sur cette hypothèse le cas échéant. Dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre, le Gouvernement a soutenu que les requérants avaient demandé une fois seulement au conseil de protection sociale de lever les décisions de prise en charge ordinaire. Les services sociaux seraient alors convenus avec l’avocate des requérants de demander au service de consultation familiale de la ville de K. une expertise qui servirait de base à la décision à venir. Ce serait à la demande de l’avocate des requérants que ce même service avait alors évalué les relations que les parents nourriciers et les requérants avaient avec J. et M. D’après cette expertise, K. et T. étaient incapables d’instaurer avec les enfants des contacts comme ceux qu’il fallait à des petits de cet âge. Selon le Gouvernement, ces démarches représentent assurément des efforts sérieux pour envisager la levée de la prise en charge par l’autorité publique.
ii.  Appréciation de la Cour
177.  Dans son arrêt du 27 avril 2000, la chambre a noté que les autorités semblent être fermement parties de l’hypothèse qu’une prise en charge de longue durée et le placement dans un foyer d’accueil seraient nécessaires. Elle a tenu compte du fait que les restrictions et interdictions du droit pour les requérants de voir leurs enfants avaient sans aucun doute renforcé les obstacles que cette attitude avait dressés sur la voie d’une réunion de la famille. Elle a constaté une violation de l’article 8 de la Convention en ce qui concerne le refus de lever la prise en charge, au motif que l’on n’a nullement tenté d’envisager sérieusement d’y mettre fin malgré des signes d’amélioration de la situation qui était à l’origine des décisions de placement. D’après la chambre, le juste équilibre entre les divers intérêts en jeu a été à ce point rompu qu’il y a eu violation de l’article 8 (paragraphes 155 à 164 de l’arrêt de la chambre).
178.  A l’instar de la chambre, la Grande Chambre rappelle en premier lieu que la décision de prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (voir, en particulier, Olsson (no 1) précité, pp. 36-37, § 81). L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant.
179.  En l’espèce, des enquêtes ont été menées afin de déterminer si les requérants seraient à même d’établir des liens avec les enfants (paragraphe 67 ci-dessus). Cela ne représente toutefois pas un effort sérieux ou soutenu pour faciliter la réunion de la famille comme celui que l’on pouvait raisonnablement escompter aux fins de l’article 8 § 2 – d’autant que c’est là la seule tentative des autorités en ce sens au cours des sept ans qu’a duré la prise en charge des enfants à ce jour. Le minimum que l’on puisse attendre d’elles, c’est qu’elles reconsidèrent la question de temps en temps pour voir si la situation de la famille s’est tant soit peu améliorée. Les perspectives d’une réunion familiale s’amenuiseront peu à peu et finiront par être anéanties si les parents biologiques et les enfants ne sont jamais autorisés à se rencontrer, ou si rarement qu’aucun lien naturel n’a de chances de se nouer entre eux. Les restrictions et interdictions qui ont touché le droit pour les requérants de voir leurs enfants ont plutôt contribué à empêcher une éventuelle réunion de la famille qu’à la préparer. Ce qui frappe ici, c’est l’attitude négative exceptionnellement inébranlable des autorités.
En conséquence, la Grande Chambre est d’accord avec la chambre pour dire qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention, les autorités n’ayant pris aucune mesure suffisante pour favoriser une réunion éventuelle de la famille des requérants sans tenir compte d’éventuels signes d’amélioration de la situation des intéressés.
d)  Les restrictions et interdictions des visites
i.  Thèses des parties
α)  Les requérants
180.  Les requérants rappellent que M. avait déjà été confié avec leur consentement à un foyer pour enfants avant la mesure de prise en charge d’urgence puis, une fois décidée la prise en charge définitive, il fut placé dans une famille d’accueil. Ils soulignent que la décision relative au droit de voir J. ne fut rendue que le 21 juin 1993, soit trois jours après la naissance du bébé, mais que celle-ci fut toutefois retirée à K. et placée au pavillon infantile de l’hôpital le jour de sa naissance. Selon les intéressés, cette décision était illégale car la restriction ne fut pas imposée pour une durée déterminée. Ils furent autorisés à voir M. au foyer pour enfants et T. à rencontrer J. presque tous les jours à partir du 23 juin 1993. K. ne vit pas souvent ses enfants cet été-là, mais son hospitalisation y fut pour quelque chose. Les autorités admirent les visites aux enfants pour la première fois après le placement de ceux-ci dans leur famille d’accueil, à raison de deux heures sous surveillance. Les visites des parents aux enfants firent l’objet de sévères restrictions même après.
181.  Les requérants soulignent aussi que ces six dernières années le maintien des restrictions aux visites a été inspiré par le motif que les enfants devaient s’attacher à leur famille d’accueil et que des liens trop étroits avec les requérants contrecarreraient cet objectif. Pour les autorités, il suffisait que les enfants eussent conscience de l’existence de leurs parents. Comme ce motif résista à l’examen des juridictions administratives, il a toujours constitué depuis lors le fondement des autres décisions restreignant les visites.
182.  Les restrictions furent motivées uniquement par l’état de santé instable de K. Or ce motif ne répondrait pas aux conditions strictes posées par la loi. Le 14 septembre 1993, une assistante sociale avait noté qu’il fallait remettre en cause les visites de T. à J. car l’on préparait le placement de cette enfant dans la famille d’accueil et il était à prévoir que T. aurait du mal à renoncer à J. D’après les requérants, à partir de ce moment-là on s’employa systématiquement à soustraire J. à ses parents.
183.  Les intéressés relèvent également qu’ils ont décidé de reprendre la vie commune au début de 1994, alors que les enfants avaient déjà été pris en charge et que l’on savait qu’ils allaient être confiés à un foyer d’accueil. Lorsque T. découvrit, après toutes les promesses qu’on lui avait faites et les soucis qu’il avait eus, qu’il ne pourrait pas vivre avec sa fille, il n’avait aucune raison de ne pas reprendre la vie commune avec K. A cette époque, les requérants savaient tous les deux que les enfants ne reviendraient jamais à la maison.
184.  D’après les requérants, les décisions imposant de sévères restrictions aux visites n’ont pas été adoptées de manière démocratique puisqu’ils n’ont eu aucune possibilité de prendre part au processus décisionnel. La procédure ne satisfaisait pas aux principales exigences de la loi, comme la nécessité d’agir avec le plus grand tact, selon le principe de la moindre ingérence possible, et dans l’intérêt supérieur des enfants. Ainsi, en décembre 1993, l’on suggéra aux requérants qu’ils pouvaient garder le contact avec leurs enfants par courrier. J. ayant alors moins d’un an, elle ne pouvait manifestement lire ou comprendre ce genre de communication. Les requérants rappellent aussi qu’à un moment donné les travailleurs sociaux leur avaient dit de ne pas mentionner à M. son placement dans une famille et que lorsque K. lui en avait parlé – il s’agissait pourtant de l’événement le plus important de la vie de l’enfant jusque-là – elle avait été sanctionnée par de nouvelles restrictions aux visites.
185.  Les requérants soulignent que leurs visites à M. furent frappées de restrictions au cours du séjour de celui-ci au foyer pour enfants à titre de mesure de soutien librement acceptée ; M. ne fut en effet pas autorisé à aller chez lui. Cette décision limitant les visites était manifestement illégale puisque, d’après la loi, aucune restriction ne doit être imposée lorsque l’enfant est confié à un foyer pour enfants du plein gré de ses parents. Les premières décisions légales concernant le droit de visite ne furent prises que bien plus tard, le 21 juin 1993.
186.  Les requérants rappellent que, le 15 juillet 1993, le conseil de protection sociale entérina les décisions de prise en charge et celles restreignant le droit pour K. de voir ses enfants. Les restrictions étaient motivées par l’agressivité et les emportements de K. Pourtant les travailleurs sociaux avaient indiqué que la rencontre entre K. et ses enfants s’était bien passée. K. n’avait jamais fait de mal ou menacé d’en faire à ses enfants en aucune manière. Qu’elle se soit montrée agressive envers les autorités – qui l’avaient privée de ses enfants – ne constituerait pas une base légale pour restreindre les visites ou pour refuser aux requérants le droit de mener une vie familiale avec leurs enfants. Pareille décision n’aurait pu au contraire qu’accroître la tension en K. et ses réactions psychotiques.
β)  Le Gouvernement
187.  Le Gouvernement marque son désaccord. Il fait valoir qu’une présence physique n’est pas le seul moyen d’assurer des liens familiaux. En Finlande, les mesures de protection de l’enfance visées par la loi sur la protection de l’enfance, comme la prise en charge d’un enfant et son accueil dans une autre famille ou une institution, représentent une assistance centrée sur l’enfant. Pareille prise en charge n’a pas pour finalité d’altérer les liens biologiques entre celui-ci et sa famille. Les père et mère demeurent investis de l’autorité parentale. Le fait qu’un enfant ait été pris en charge et confié à une famille d’accueil ne l’empêchera pas de rencontrer ses parents lorsqu’il sera lui-même devenu adulte et d’instaurer ainsi des liens familiaux normaux. La prise en charge entraîne toutefois inévitablement des restrictions normales et d’ordre pratique au droit de visite.
188.  Le Gouvernement doute que la Cour ait retenu tous les griefs portant sur les restrictions aux visites. En toute hypothèse, il souligne que les conditions de délai et autres fixées par la loi sur la protection de l’enfance se trouvent réunies.
189.  Le Gouvernement précise aussi que les autorités ont aidé T. de diverses manières dans ses efforts pour instaurer une relation avec le bébé au début. T. a été soutenu et guidé par le centre familial, et a aussi bénéficié d’un appui financier. En outre, il avait été convenu que T. rencontrerait tous les mois un conseiller familial. Comme le but était que T. vécût  avec le bébé, on envisageait aussi d’organiser un soutien familial ainsi qu’une aide domestique toutes les semaines. A l’époque, T. continuait de rencontrer K. fréquemment. Il espérait, semble-t-il, que la santé de celle-ci s’améliorerait au point qu’ils pourraient élever le bébé ensemble bien que sa collaboration avec les autorités reposât sur l’idée qu’il s’occuperait seul de la petite fille.
190.  Le Gouvernement souligne encore qu’au début du placement de M. au foyer pour enfants, les visites de K. et de T. ainsi que d’autres proches étaient illimitées. Les requérants eurent la possibilité de passer la nuit au foyer pour enfants les fins de semaine. Il fallut limiter les visites uniquement lorsque l’état de santé de K. se dégrada et que le comportement de celle-ci au cours des visites provoqua de la part de M. de fortes réactions émotionnelles négatives et sema la confusion dans les activités du foyer pour enfants dont elle troubla l’atmosphère.
Les restrictions au droit de voir M. alors qu’il se trouvait au foyer pour enfants visaient particulièrement K. en raison de ses troubles psychiatriques aigus. Les décisions ultérieures sur le droit de visite concernaient les deux requérants et se fondaient sur les diverses déclarations de médecins et d’autres experts.
191.  Le Gouvernement rappelle aussi que les requérants pouvaient communiquer avec leurs enfants par lettre et téléphone. Appelées à connaître de plusieurs questions relatives aux visites de K. à ses enfants, deux juridictions internes différentes ont conclu à l’existence de raisons exceptionnellement importantes de restreindre le droit de visite de l’intéressée. Les requérants n’en ont pas moins été autorisés à rencontrer régulièrement leurs enfants.
ii.  Appréciation de la Cour
192.  Dans son arrêt du 27 avril 2000, la chambre a estimé qu’il ne s’imposait pas d’examiner les restrictions aux visites séparément, si ce n’est quant à la situation telle qu’elle se présentait alors. Elle a observé à ce propos que depuis 1994 les requérants pouvaient voir les enfants une fois par mois. Si cette mesure avait pu être abusivement restrictive auparavant, la chambre ne pouvait négliger le fait que les enfants étaient pris en charge par l’autorité publique depuis presque sept ans. Dès lors, la chambre admettait que, dans le cadre de leur marge d’appréciation, les autorités internes pouvaient considérer ces restrictions comme nécessaires eu égard aux intérêts des enfants à ce moment-là. Elle n’a donc constaté aucune violation de l’article 8 de la Convention de ce chef.
193.  Dans sa demande de renvoi devant la Grande Chambre, le Gouvernement n’a pas mentionné cet aspect des griefs des requérants, puisqu’il n’a sollicité le renvoi que pour autant que la chambre avait constaté une violation de l’article 8 de la Convention. D’ailleurs, dans leurs plaidoiries devant la Grande Chambre, ni les requérants ni le Gouvernement n’ont présenté d’arguments portant spécifiquement sur la question de savoir si les restrictions et interdictions des visites emportaient une violation distincte de l’article 8. Comme elle constitue un aspect du grief que les requérants ont formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention dans la procédure initiale devant la chambre, cette question n’en doit pas moins être examinée dans le présent arrêt puisqu’elle fait partie intégrante de « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre (paragraphe 140 ci-dessus).
194.  La Grande Chambre estime, à l’instar de la chambre, que dans la mesure où le grief tiré des restrictions aux visites se trouve englobé dans le constat d’une violation de l’article 8 faute de mesures suffisantes en vue de la réunion de la famille, il ne s’impose pas d’examiner les mesures dénoncées comme source distincte éventuelle de violation. Quant à la situation telle qu’elle se présente actuellement, y compris l’intervalle s’étant écoulé depuis le prononcé de l’arrêt de la chambre, la Grande Chambre parvient là encore à la même conclusion que la chambre. Elle relève que si les autorités nationales doivent tout mettre en œuvre pour faciliter la réunion de la famille, l’obligation de recourir à la coercition en la matière se trouve forcément limitée par le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque des contacts avec les parents semblent menacer cet intérêt, il appartient aux autorités nationales de ménager un juste équilibre entre les intérêts des enfants et ceux des parents (voir, entre autres, Hokkanen précité, p. 22, § 58). Eu égard à la situation des enfants au cours de cette dernière période, l’appréciation des services finlandais de protection de l’enfance ne saurait passer pour avoir méconnu l’article 8 § 2. La Cour ne constate aucune violation de l’article 8 de la Convention à cet égard.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
195.  Dans la procédure devant la chambre, les requérants prétendaient n’avoir bénéficié d’aucun recours effectif quant à la violation de leurs droits familiaux au titre de l’article 8 de la Convention. L’article 13 est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
196.  Le Gouvernement contestait cette allégation ; il évoquait la possibilité, prévue au paragraphe 2 de l’article 93 de la Constitution (désormais le paragraphe 3 de l’article 118 de la Constitution de 2000) et aux dispositions pertinentes du code pénal, de demander en justice qu’une procédure pénale soit intentée contre les fonctionnaires qui seront, le cas échéant, tenus à réparation ainsi que celle, prévue par la loi sur l’indemnisation, que l’Etat soit condamné à verser des dommages-intérêts.
197.  Bien que le Gouvernement ne le mentionne pas dans sa demande en vertu de l’article 43 de la Convention, le grief tiré de l’article 13 fait partie intégrante de l’affaire renvoyée devant la Grande Chambre appelée à statuer par un arrêt (paragraphe 140 ci-dessus).
198.  Dans son arrêt du 27 avril 2000, la chambre est parvenue à la conclusion suivante :
« 179.  La Cour relève que les requérants pouvaient saisir les juridictions administratives des décisions de prise en charge, du refus de mettre fin à la prise en charge et des diverses restrictions aux visites. Certes, leurs recours ont été vains. Aux fins de l’article 13 toutefois, l’efficacité d’une voie de droit ne dépend pas de la certitude d’un résultat favorable (arrêt Vereinigung demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche du 19 décembre 1994, série A no 302, § 55). Rien n’indique que, de manière générale, les juridictions administratives finlandaises ne répondent pas aux exigences d’un « recours effectif » au sens de l’article 13. Compte tenu des autres recours invoqués par le Gouvernement, la Cour estime que les requérants disposaient de voies de recours répondant aux exigences de cette disposition. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 de la Convention. »
199.  La Grande Chambre n’aperçoit aucune raison de s’écarter des constats de la chambre sur cet aspect de la cause. Elle conclut dès lors que, pour les motifs que la chambre a énoncés dans son arrêt, aucune violation de l’article 13 de la Convention ne se trouve établie.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
200.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Préjudice
201.  Les requérants font valoir que la somme précisée dans l’arrêt de la chambre, à savoir 40 000 marks finlandais (FIM) chacun, est la réparation minimale qu’il convient de leur octroyer pour la violation de leurs droits tels que garantis par la Convention. Selon eux, la Cour doit aussi tenir compte de la tension que les événements à l’origine de la présente affaire ont occasionnée à la requérante au cours de sa quatrième grossesse ainsi que sa crainte que les autorités ne lui prennent cette enfant. Devant la chambre, les intéressés avaient réclamé 816 000 FIM au total. D’après eux, il y aurait lieu d’augmenter encore la réparation, les autorités ayant retenu des informations essentielles au cours de la procédure. En outre, la prolongation de l’instance, source de tension et d’angoisse supplémentaires, doit donner lieu à indemnité puisqu’elle est due au renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre à la demande du Gouvernement.
202.  Au cours de la procédure devant la chambre, le Gouvernement a reconnu que si la Cour venait à constater une violation de l’article 8 de la Convention, son arrêt devrait prévoir une satisfaction équitable suffisante pour préjudice moral. Il tenait toutefois les sommes avancées par les requérants pour fort excessives. Il s’en remettait à la sagesse de la Cour.
Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur les demandes des requérants concernant notamment la tension supplémentaire qu’ils ont connue devant la Grande Chambre.
203.  Dans son arrêt du 27 avril 2000, la chambre a accordé aux requérants 40 000 FIM chacun, soit 80 000 FIM au total, à titre de satisfaction équitable pour le préjudice moral imputable à la violation de l’article 8 de la Convention.
204.  A l’instar de la chambre, la Grande Chambre a constaté une violation de l’article 8 faute pour les services finlandais de protection de l’enfance de s’être employés de manière suffisante à une réunion éventuelle de la famille des requérants lorsqu’ils ont mis en œuvre les mesures d’accueil (paragraphes 177 et 179 ci-dessus). Par contre, son constat de violation quant à la prise en charge des enfants en tant que telle repose sur une base plus étroite que celle retenue par la chambre : la Grande Chambre   a limité son constat à la décision de prise en charge d’urgence et à un enfant, J. (paragraphes 164-170 et 173-174 ci-dessus). Nonobstant cette différence, la Cour juge devoir en équité allouer aux requérants à titre de satisfaction équitable les mêmes sommes que celles accordées par la chambre : la tension, le malheur et le sentiment de frustration que leur ont causés les lacunes dont la Grande Chambre a estimé qu’elles méconnaissaient l’article 8 ne peuvent être sensiblement moindres que celles imputables aux violations constatées par la chambre. Si tant est qu’une réduction du montant à percevoir puisse en quoi que ce soit se justifier, elle est contrebalancée par la nécessité de prendre en compte le retard avec lequel les requérants percevront la satisfaction équitable, la procédure ayant été prolongée du fait du renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre à la demande du Gouvernement. La Cour accorde en conséquence à chaque requérant 40 000 FIM à titre de satisfaction équitable pour préjudice moral à raison des violations de l’article 8 de la Convention.
B.  Frais et dépens
205.  Devant la chambre, les requérants avaient réclamé 5 190 FIM pour les frais et dépens afférents à leur représentation. Ils avaient sollicité également 249 475 FIM que l’Association pour les droits de la famille en Finlande (« la PESUE ») avait supportés en leur nom. La chambre leur avait accordé 5 190 FIM dont il convenait de déduire les 2 230 francs français (FRF) déjà perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire. Devant la Grande Chambre, les intéressés sollicitent le remboursement de 289 475 FIM pour leurs propres frais et dépens afférents à leur représentation par leur conseil, Me Kortteinen, devant la chambre et 119 070 FIM pour leurs propres frais et dépens afférents à leur représentation devant la Grande Chambre. Ils ne font nullement état de frais que la PESUE aurait assumés pour leur compte.
206.  Le Gouvernement relève que les requérants sollicitent maintenant en leur nom le remboursement de 249 475 FIM pour des frais et dépens dont ils disaient auparavant qu’ils avaient été supportés pour eux par la PESUE, en y ajoutant 40 000 FIM pour les lettres rédigées après l’audience sur la recevabilité. D’après le Gouvernement, il n’est pas possible de modifier les revendications de la sorte et la Cour ne saurait accueillir la demande ainsi transférée de l’association aux requérants et la revendication supplémentaire formulée après coup.
Selon le Gouvernement, la somme totale réclamée pour frais et dépens devant la Grande Chambre semble excessive, d’un point de vue général en ce qui concerne les heures de travail et les tarifs horaires facturés et, en particulier, quant aux frais de traduction et paiements indiqués par la conseillère de la famille. Le Gouvernement s’en remet toutefois à la sagesse de la Cour.
207.  La Cour relève d’abord que les requérants n’ont démontré ni que les frais et dépens devant la Commission et la chambre se chiffrent à une somme supérieure à celle de 5 190 FIM revendiquée à l’origine, ni que le montant de 249 475 FIM sollicité initialement au nom de la PESUE soit en fait dû par eux à Me Kortteinen en sa qualité de conseil. Partant, force est à la Grande Chambre d’aboutir à la même conclusion que la chambre. La Cour n’admet pas non plus le dépôt tardif d’une demande de 40 000 FIM pour les lettres rédigées après la phase de la recevabilité.
Pour ce qui est des frais et dépens des requérants devant la Grande Chambre, la Cour juge excessif le montant de 119 070 FIM réclamé.
La présente affaire est assurément d’une complexité exceptionnelle et les faits sont très volumineux ; de plus, les requérants n’ont pas quant à eux demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Statuant en équité, la Cour alloue aux intéressés 5 190 FIM pour la procédure qui a débouché sur l’arrêt de la chambre et 60 000 FIM pour l’instance devant la Grande Chambre, soit 65 190 FIM au total pour frais et dépens, plus le montant éventuellement dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ; il convient de déduire les 2 230 FRF et les 2 871,54 euros déjà perçus du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire.
C.  Intérêts moratoires
208.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’intérêt légal applicable en Finlande à la date d’adoption du présent arrêt est de 11 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant J. ;
2.  Dit, par onze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant M. ;
3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a eu, dans le chef d’aucun des deux enfants, violation de l’article 8 de la Convention à raison des décisions de prise en charge ordinaire ;
4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention faute de mesures propres à réunir la famille ;
5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention à raison des restrictions aux visites actuellement en vigueur ;
6.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;
7.  Dit, à l’unanimité,
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois,
i.  40 000 FIM (quarante mille marks finlandais) chacun, soit 80 000 FIM (quatre-vingt mille marks finlandais) au total, pour préjudice moral ;
ii.  65 190 FIM (soixante-cinq mille cent quatre-vingt dix marks finlandais) pour frais et dépens, moins 2 230 FRF (deux mille deux cent trente francs français) et 2 871,54 EUR (deux mille huit cent soixante et onze euros cinquante-quatre centimes) à convertir en marks finlandais ;
b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 11 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
8.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 12 juillet 2001.
Luzius Wildhaber    Président  Paul Mahoney   Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante de M. Pellonpää, à laquelle déclare se rallier Sir Nicolas Bratza ;
–  opinion en partie dissidente de Mme Palm, à laquelle déclare se rallier M. Gaukur Jörundsson ;
–  opinion en partie dissidente de M. Bonello ;
–  opinion en partie dissidente de M. Ress, à laquelle déclarent se rallier MM. Rozakis, Fuhrmann, Zupančič, Panţîru et Kovler.
L.W.  P.J.M.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PELLONPÄÄ,  À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER Sir Nicolas BRATZA, JUGE, 
(Traduction)
J’ai voté avec la majorité sur tous les points de la présente affaire. Je marque toutefois mon dissentiment quant aux motifs qui l’ont amenée à constater une violation à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant J. D’après l’arrêt, « le recours à la prise en charge d’urgence (...) et les méthodes employées pour la mettre en œuvre étaient disproportionnés » (paragraphe 168). Si les critiques relatives à la mise en œuvre de cette décision me semblent justifiées, je suis en désaccord avec la conclusion d’après laquelle la prise de la décision était en soi contraire à l’article 8.
Je rappelle que les raisons essentielles de la décision de prise en charge d’urgence du 18 juin 1993 étaient identiques à celles invoquées à l’appui de la décision de prise en charge ordinaire rendue le 15 juillet 1993 et que la Cour juge conforme à l’article 8, à savoir les graves troubles dont souffrait K. et ses réactions émotionnelles parfois incontrôlées qui pouvaient traumatiser l’enfant, etc. (paragraphes 24 et 33 de l’arrêt). La raison supplémentaire qui a motivé la décision de prise en charge d’urgence était le caractère urgent de la situation. L’on peut déduire de l’arrêt que, d’après la majorité, la situation ne revêtait pas un caractère urgent au point de justifier la décision de prise en charge d’urgence.
Sur ce point je rappelle que la Cour a admis le bien-fondé de la décision de prise en charge d’urgence en ce qui concerne M. au motif que, si elle n’avait pas été prise, il aurait pu être soustrait à tout moment au cadre de vie rassurant que représentait le foyer pour enfants et aussi en raison de la durée limitée de la décision (paragraphe 169 de l’arrêt). A mon sens, ces arguments valent tout autant, voire a fortiori sous certains aspects, pour J. N’eût été la décision de prise en charge d’urgence, nul n’aurait été en droit d’empêcher K., seule investie de la garde de J., d’emmener l’enfant avec elle à sa sortie de l’hôpital. Le fait que la santé mentale fragile de la requérante pût, en pareilles circonstances, comporter des risques pour le bien-être de l’enfant (comparer par exemple avec le paragraphe 167 de l’arrêt) était une éventualité dont les autorités devaient pouvoir tenir compte.
En réalité, même la majorité semble admettre que les raisons invoquées par les autorités internes étaient « pertinentes ». Elle ne les juge par contre pas « suffisantes » au motif, entre autres, « que la situation ne revêtait pas un caractère d’urgence en ce sens qu’elle aurait été imprévue » (paragraphe 168 de l’arrêt). Ce qui en soi est exact et ne prête pas à  
controverse. C’est précisément parce que la naissance d’un bébé est prévisible que les autorités semblent avoir arrêté certaines mesures de précaution (paragraphe 22 de l’arrêt). Pour autant qu’elle semble donner à entendre qu’une décision de prise en charge d’urgence ne se concilie avec l’article 8 que dans les cas d’urgence imprévue, je rappelle qu’en ce qui concerne M. la Cour admet qu’une telle décision se justifiait même en l’absence d’urgence imprévue. En outre, le droit interne (article 18 de la loi sur la protection de l’enfant (paragraphe 103)) prévoit la prise en charge d’urgence (kiireellinen huostaanotto, littéralement « placement d’urgence sous assistance ») non seulement pour les urgences qui surgissent brusquement mais aussi pour les autres situations d’urgence où des atermoiements pourraient compromettre le bien-être de l’enfant. D’après moi, dans le cadre de leur marge d’appréciation les autorités pouvaient raisonnablement estimer qu’il en était bien ainsi en l’espèce. Une décision de prise en charge était impensable avant la naissance de l’enfant, alors que des lenteurs après celle-ci auraient pu comporter les risques évoqués plus haut.
Lorsque l’on envisage la proportionnalité de la décision de prise en charge d’urgence, il y a lieu de rappeler aussi que cette décision avait pour conséquence juridique de soustraire le bébé à l’autorité directe de K. en ce qui concerne le droit de déterminer le lieu de résidence de J. et d’autres questions de ce genre. D’un point de vue pratique, la décision de prendre J. en charge d’urgence a empêché K. d’emmener l’enfant de l’hôpital. A part cela, la décision ne pouvait en tant que telle restreindre juridiquement les contacts entre K. et l’enfant. Il fallait pour cela une décision distincte (et elle fut prise le 21 juin 1993 ; elle interdisait les visites sans surveillance – mais pas les autres ; voir le paragraphe 27 de l’arrêt). J’ai donc du mal à concilier la qualification de la décision de prise en charge d’urgence dans son ensemble – par opposition à la manière dont elle a été mise à exécution – à savoir qu’elle était « radicale » (paragraphe 168 de l’arrêt), avec le constat unanime d’après lequel la décision de prise en charge ordinaire respectait l’article 8. Après tout, cette dernière décision avait, du moins sous certains aspects, des conséquences plus radicales pour la vie familiale des requérants que celles engendrées par la décision de prise en charge d’urgence et temporaire.
Compte tenu de ce qui précède, je ne pense pas que les autorités internes aient outrepassé leur marge d’appréciation lorsqu’elles sont parvenues à la conclusion qu’une décision de prise en charge d’urgence s’imposait pour protéger la nouveau-née. Pour des raisons analogues à celles énoncées au paragraphe 167 de l’arrêt, j’admets aussi qu’en l’occurrence il se justifiait de ne pas impliquer les requérants dans le processus décisionnel qui devait déboucher sur la prise en charge d’urgence.
Ce qui, par contre, s’analyse en une violation de l’article 8, c’est la rudesse avec laquelle la décision du 18 juin 1993 fut mise en œuvre. Retirer  
l’enfant à sa mère immédiatement après l’accouchement et la placer au pavillon infantile sont des actes qui allaient au-delà de ce qu’exigeait la situation et on ne saurait, même en présence des difficultés dont il s’agit, y voir un moyen proportionné d’atteindre le but légitime visé par la décision de prise en charge d’urgence. Le Gouvernement n’a fourni aucune explication convaincante à ce qui apparaît à première vue comme une réaction excessive du personnel de l’hôpital à cette décision et, peut-être, à la lettre du 11 juin 1993 (paragraphe 22 de l’arrêt). Le fait que les conditions régnant à l’hôpital en matière de personnel aient empêché sur le plan pratique d’exécuter la décision avec plus de ménagements (paragraphe 161 de l’arrêt) ne constitue pas une explication exonérant le Gouvernement de sa responsabilité.
Ne constitue pas davantage une explication suffisante l’argument du Gouvernement d’après lequel personne n’a empêché K. d’aller voir son bébé au pavillon infantile (paragraphe 161). On ne pouvait guère s’attendre à ce qu’une personne se trouvant dans l’état mental et émotionnel de la requérante s’employât à exercer son droit de voir l’enfant de sa propre initiative. Comme rien n’indique que les autorités aient recouru à des mesures positives pour faciliter les contacts entre K. et J. après l’accouchement, le droit théorique pour K. de voir le bébé au pavillon infantile ne saurait revêtir une grande importance pour l’évaluation de la situation sous l’angle de l’article 8.
Eu égard à ce qui précède, je conclus que la mesure de prise en charge d’urgence concernant J. a emporté violation de l’article 8 par la manière dont elle a été mise en œuvre.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE  DE Mme LA JUGE PALM,  À LAQUELLE DÉCLARE SE RALLIER M. LE JUGE GAUKUR JÖRUNDSSON 
(Traduction)
Avec la majorité, j’ai voté pour le constat de non-violation de l’article 8 en ce qui concerne les décisions de prise en charge ordinaire relatives aux deux enfants M. et J. et la décision de prise en charge d’urgence de M. Je ne puis en revanche me rallier à la majorité lorsqu’elle constate une violation du même article en ce qui concerne la décision de prise en charge d’urgence de J.
La décision de prise en charge était essentiellement motivée par les graves troubles mentaux de la mère et son incapacité à assurer le développement sain des enfants. En 1989, on avait diagnostiqué chez elle une schizophrénie et elle avait été hospitalisée à plusieurs reprises pour troubles mentaux. Alors que ces raisons, d’après la majorité, étaient pertinentes et suffisantes pour les décisions de prise en charge ordinaire du 15 juillet 1993 concernant M. comme J. et pour la décision de prise en charge d’urgence de M. le 21 juin 1993, la majorité les juge pertinentes mais non suffisantes pour la prise en charge d’urgence de la nouveau-née J. le 18 juin 1993.
La majorité insiste particulièrement sur le fait que lorsque la mère donna naissance à J. à l’hôpital, l’enfant lui fut soustraite immédiatement et placée au pavillon infantile de ce même hôpital.
D’après la majorité, les autorités finlandaises compétentes auraient dû examiner si une ingérence moins extrême dans la vie familiale n’était pas possible avant de prendre et de mettre en œuvre une décision de prise en charge d’urgence.
Selon sa jurisprudence constante, la Cour ne saurait, dans l’exercice de son contrôle, se contenter d’examiner isolément les décisions critiquées ; il lui faut les considérer à la lumière de l’ensemble de l’affaire (voir, entre autres, Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24 mars 1988, série A no 130, p. 32, § 68). Comme elle l’énonce au paragraphe 154 de l’arrêt, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.
Je souscris aussi à ce qui est dit au paragraphe 155 de l’arrêt, à savoir que les autorités nationales jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant.
De fait, dans tous ses arrêts antérieurs concernant la prise en charge d’enfants par l’autorité publique, la Cour a admis l’appréciation à laquelle les autorités nationales s’étaient livrées de la nécessité de la prise en charge. Dans le présent arrêt, la Cour écarte pour la première fois l’idée que les autorités nationales compétentes se sont faites de la nécessité de la mesure qu’elles ont prise à l’époque.
K. et sa famille étaient en contact avec les services de protection sanitaire et sociale depuis 1989. De mars à mai 1989, K. fut hospitalisée de son plein gré pour schizophrénie. D’août à novembre 1989 et de décembre 1989 à mars 1990, elle fut à nouveau internée pour cette maladie. A la fin de 1991 puis en 1992, elle fut hospitalisée à plusieurs reprises pour psychose. Elle fut internée sous contrainte du 15 mai au 10 juin 1992 et, d’après un rapport médical du 15 mai 1992, on la considéra comme paranoïaque et psychotique. En mars 1993, la mère de K. fut en contact avec les services de protection sociale auxquels elle se dit préoccupée de la santé de K., très mauvaise, et déclara que K. avait détruit une photographie du mariage de sa mère et percé les yeux de tous ceux qui y figuraient. De fin mars 1993 au 5 mai 1993, K. fut soignée de son plein gré. Le 31 mars eut lieu entre elle, sa mère, T. et plusieurs responsables des services sociaux et d’hygiène mentale une discussion sur une intervention éventuelle des autorités dans l’éducation de M. ; en mai 1993, il fut décidé de confier M. à un foyer pour enfants.
Lorsque, le 18 juin 1993, elles décidèrent et mirent immédiatement en œuvre la prise en charge d’urgence de J., les autorités finlandaises compétentes suivaient et soutenaient la famille de K. depuis 1989. Elles avaient eu avec tous les intéressés d’innombrables contacts personnels et étaient donc bien à même d’apprécier les mesures qui s’imposaient dans l’intérêt des enfants. Elles étaient prêtes à prendre une décision d’urgence si la situation le demandait, mais elles attendirent jusqu’à ce qu’elles constatent qu’il le fallait car il y avait à craindre pour le bébé nouveau-né. Parmi les motifs indiqués par les autorités à l’appui de la décision d’urgence il y avait la maladie de K., ses réactions émotionnelles parfois incontrôlées et le fait que sa santé mentale eût été instable à la fin de sa grossesse, le fait que la santé du bébé serait mise en péril si K. découvrait que l’on envisageait de prendre le bébé en charge et enfin le fait que le père du bébé ne pouvait en assurer le développement et la sécurité.
Même si, avec le bénéfice du recul, il peut sembler rigoureux de séparer un nouveau-né de sa mère, les autorités étaient à l’époque contraintes de décider sur-le-champ du point de savoir s’il y avait un risque à laisser l’enfant avec sa mère, qui souffrait de troubles mentaux, était totalement imprévisible et demeurerait libre de quitter l’hôpital avec l’enfant si l’on ne prenait aucune décision.
Dans ces conditions, et eu égard à leur marge d’appréciation, j’estime que les autorités finlandaises pouvaient raisonnablement penser qu’il fallait prendre J. en charge d’urgence.
D’abord, de nombreuses années après il est difficile de dire si les autorités finlandaises auraient pu ou dû agir d’une autre manière en ce qui concerne la décision d’urgence qu’elles ont été appelées à prendre et à son application immédiate. Cela commande en soi une démarche plus circonspecte lorsqu’on en vient à contrôler le comportement des autorités locales. Qui plus est, il ne faut pas perdre de vue que la caractéristique d’une décision de prise en charge d’urgence est qu’elle doit être arrêtée sur-le-champ afin d’empêcher qu’il n’arrive quelque chose de regrettable. Obligées de se prononcer immédiatement, les autorités n’ont guère le loisir de réfléchir sur le point de savoir si des mesures plus légères s’offrent à elles car dans ce genre de situation la rapidité s’impose. La Cour devrait selon moi être plus sensible aux véritables dilemmes qui se présentent aux autorités lorsqu’elles sont appelées à prendre des mesures d’urgence. Si aucune mesure n’est prise, il existe un risque réel que du tort soit fait à l’enfant et les autorités auront à rendre des comptes pour n’être pas intervenues. Parallèlement, si elles adoptent des mesures de protection, on tend à les blâmer pour s’être ingérées de manière inacceptable dans le droit au respect de la vie familiale. Je crois que c’est la reconnaissance d’un vrai dilemme de ce genre qui milite pour et justifie une application généreuse de la marge d’appréciation dans ce domaine de manière à accorder le bénéfice du doute à la protection de l’enfant en danger. J’aurais pensé que la Cour doit se montrer particulièrement prudente lorsque les droits de l’enfant sont en péril. En fait, à ne pas procéder ainsi, l’on peut non seulement compliquer l’exercice, par les autorités locales, de leur pouvoir d’appréciation lorsqu’elles s’emploient à protéger les enfants, mais aussi aboutir à mettre les enfants en danger.
En conclusion, le constat par la Cour que les mesures prises à l’époque s’analysaient en une violation de l’article 8 va au-delà de la fonction de contrôle que la Convention confie à la Cour dans des situations comme celle-ci. 
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE  DE M. LE JUGE BONELLO
(Traduction)
1.  La Cour avait entre autres deux questions à trancher : premièrement, celle de savoir si la prise en charge d’urgence à la naissance de la nouveau-née des requérants avait méconnu leur droit au respect de leur vie familiale ; deuxièmement, celle de savoir si le fait que par la suite les autorités n’aient pas pris des mesures propres à réunir la famille s’analysent en une violation supplémentaire. La Cour dit à l’unanimité que, sur le second point, la Finlande a enfreint le droit des requérants au respect de leur vie familiale. J’ai voté pour ce constat. Je n’ai par contre pu déceler aucune violation que ce soit à raison de la décision d’urgence de soustraire la nouveau-née à sa mère ou à raison des méthodes employées pour mettre cette décision en œuvre.
2.  Les services finlandais de protection de l’enfance avaient à résoudre un pénible dilemme : soit agir d’une manière qui ferait du mal à la mère, soit d’une manière qui pourrait faire du mal à son bébé. Les options qui s’offraient à eux étaient déchirantes. Il est moins douloureux de choisir entre le bien et le mal qu’entre le mal et le pire.
3.  La requérante avait d’effroyables antécédents de troubles mentaux. Hospitalisée à plusieurs reprises depuis 1989, sous contrainte ou de son plein gré, elle souffrait de schizophrénie et « de psychose atypique et indéfinissable » ; des rapports psychiatriques ultérieurs attestent aussi qu’elle était paranoïaque et psychotique.
4.  La mère de la requérante avait décrit l’état mental de sa fille comme « très mauvais » ; la requérante avait détruit des souvenirs de famille et avait « crevé les yeux » des personnes figurant sur la photo de mariage de sa mère. Le dossier est lourd d’épisodes d’agressions aberrantes.
5.  Les agents sanitaires emmenèrent la nouveau-née au pavillon infantile à la naissance. Une décision de prise en charge d’urgence fut parallèlement notifiée à l’hôpital aux motifs suivants : « [la requérante] avait témoigné d’instabilité mentale à la fin de sa grossesse » ; « la santé du bébé se trouverait en péril puisque [la requérante] avait découvert que l’on envisageait de confier son bébé à l’autorité publique » ; « le père du bébé ne pouvait assurer son développement et sa sécurité » et, enfin, « la grave maladie [de la requérante] et ses réactions émotionnelles parfois incontrôlées [...] pouvaient traumatiser les enfants ».
6.  Même après la naissance du bébé, la requérante connut plusieurs rechutes psychotiques et manifesta des « réactions émotionnelles agressives et incontrôlées ».
7.  A l’époque, la requérante avait trois enfants, tous d’un père différent (P., une fille, M., un fils, et J., une autre fille). En 1992, une décision judiciaire lui retira la garde de P. ; son fils M. manifesta de très graves signes de perturbation mentale, nourrissant une « vive haine » et « menaçant de tuer tout le monde » ; il fut lui aussi pris en charge. La présente opinion ne concerne que la benjamine, J., que les autorités prirent à la naissance.
8.  Je ne remettrai pas en cause l’avis de la majorité selon lequel soustraire la nouveau-née à sa mère dès la naissance représentait une mesure « radicale ». Je conçois mal plus grand choc émotionnel pour une mère. Mais la question qui se pose n’est assurément pas celle de savoir si la mesure était radicale, mais si la mesure était évitable.
9.  La Cour a affirmé à maintes reprises le principe que, en cas de droits contradictoires, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit l’emporter.
10.  Les autorités finlandaises se trouvaient face à une situation où une nouveau-née vulnérable serait à la merci d’une personne implacablement aux prises avec une psychose récurrente, une personne dont la seule chose que l’on pouvait prévoir était son imprévisibilité. Une personne indissociable de ses réactions incontrôlables comme de son recours à une violence destructrice. L’intérêt supérieur du bébé, si cette profession de foi a toujours un sens, aurait été bien pauvrement servi si on avait confié la petite à la responsabilité de quelqu’un d’irresponsable. L’on a vu des mères parfaitement « normales » en proie à la dépression postnatale oublier les instincts maternels les plus développés pour détruire leur progéniture. Pourquoi tient-on compte de cette possibilité lorsqu’on a affaire à des mères normales, mais l’écarte-t-on lorsqu’on s’occupe de psychopathes avérées ? Cette question appelle encore, je crois, des explications.
11.  La majorité a constaté une violation parce que « les autorités internes compétentes se devaient de rechercher s’il n’était pas possible de recourir à une ingérence moins extrême dans la vie familiale, à un moment aussi décisif de la vie des parents et de l’enfant ». En d’autres termes, les autorités auraient dû user d’autres options. Il eût été utile que la majorité précisât lesquelles.
12.  Selon moi, les services sociaux finlandais auxquels s’offraient différentes solutions poignantes, ont agi sainement, de la seule manière rationnelle et responsable qui s’offrît à eux, en trouvant un juste équilibre entre le mal infligé et le mal empêché. Et voilà que ceux qui ont préféré mettre un enfant hors d’atteinte du mal sont marqués au fer rouge de la violation des droits de l’homme. Je me demande comment la majorité les aurait qualifiés si la nouveau-née, laissée à la requérante, en avait pâti. Si, comme les autorités finlandaises, j’avais eu à choisir entre être cruel pour la mère ou être cruel pour l’enfant, je sais de quel côté je me serais tourné.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE RESS,  À LAQUELLE DÉCLARENT SE RALLIER MM. LES JUGES ROZAKIS, FUHRMANN, ZUPANČIČ, PANŢÎRU ET KOVLER 
(Traduction)
A mon grand regret, je ne puis partager l’avis de la majorité selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la décision de prise en charge d’urgence concernant M.
1.  Il convient de rappeler que le 3 mai 1993 M., le fils de K., fut placé avec l’accord de ses parents dans un foyer pour enfants pour une période de trois mois après que K. eut manifesté un comportement perturbé et que lui-même eut fait preuve d’agressivité (paragraphes 16-20 de l’arrêt). Même si M. ne s’est pas immédiatement conduit de manière satisfaisante au foyer (paragraphe 21 de l’arrêt), aucun changement radical ne justifiait la décision du 21 juin 1993 de le prendre d’urgence en charge lui aussi (paragraphe 25 de l’arrêt). Pas plus que pour la décision d’urgence concernant J., la nouveau-née, il n’y avait de circonstance particulière qui justifiât pareille décision dans le cas de M.
2.  Pour que des autorités publiques puissent recourir à des mesures d’urgence dans des situations aussi délicates que celles appelant une prise en charge, il faut qu’un danger immédiat soit réellement établi. C’est la condition préalable à une décision de prise en charge d’urgence. S’il est encore possible d’entendre les parents de l’enfant et de discuter avec eux de la nécessité de la mesure, une mesure d’urgence ne doit pas pouvoir intervenir.
M. ne courait aucun danger immédiat puisqu’il se trouvait déjà au foyer pour enfants. Toute la procédure donne l’impression d’un coup de force. Une procédure qui aurait permis de préparer des décisions de prise en charge ordinaire en y impliquant les parents aurait constitué en l’occurrence une solution raisonnable et totalement satisfaisante.
3.  Il ne fait aucun doute, comme le Gouvernement le souligne, que M. avait besoin pour se développer d’un cadre de vie stable et rassurant, mais la décision sur la manière d’y parvenir et sur l’endroit où placer M. aurait aussi pu être arrêtée conformément à la procédure habituelle qui aurait impliqué K. et T., les parents. Certes, en cas de danger évident, la participation des parents ne s’impose pas mais en ce qui concerne M., aucun danger immédiat n’était perceptible et il fallait impliquer les parents dans le processus décisionnel, sans que la mise en œuvre de la décision de prise en charge s’en soit trouvée impossible pour autant. Je ne vois pas en quoi une procédure ordinaire dans le cas de M. aurait nui à la protection de celui-ci.  
Les raisons que la majorité avance pour dire que la décision de prise en charge d’urgence n’était pas nécessaire en ce qui concerne J. (paragraphe 168 de l’arrêt) valent à mon avis a fortiori aussi pour M. Rien n’empêchait de suivre la procédure ordinaire pour la prise en charge des enfants. Lorsque K. et J. étaient à l’hôpital et M. au foyer pour enfants, il n’existait aucune situation d’urgence. Il faut aussi tenir compte du fait que M. avait été placé au foyer pour enfants du plein gré de ses parents. Aucun élément ne donnait à penser que les parents étaient revenus sur leur intention de laisser M. au foyer ou d’obtenir une assistance particulière en cas de besoin. La mesure d’urgence prise dans le cas de M. a aggravé celle, rigoureuse, que les autorités ont appliquée à l’encontre de J. et de sa mère. Le fait que M. aurait pu être soustrait à tout moment au cadre de vie rassurant que constituait le foyer (paragraphe 169 de l’arrêt) ne pouvait justifier une mesure d’urgence. Il s’agit d’un risque qui existait déjà depuis longtemps, depuis le placement de M. au foyer pour enfants avec l’accord de ses parents. Dans ces conditions, je ne vois pas comment l’on peut dire qu’un danger a brusquement surgi et je ne saurais souscrire au raisonnement de la Cour d’après lequel il était compréhensible de ne pas associer T. comme K. au processus décisionnel afin de ne pas provoquer de crise au sein de la famille avant la naissance de J., qui serait source de tension nerveuse. En leur qualité de parents, T. et K. furent encore plus impliqués dans le processus décisionnel après les mesures d’urgence lorsqu’ils tentèrent de les attaquer. Cet argument va donc plutôt à l’encontre du but auquel il tend. L’argument selon lequel la décision se limitait à quatorze jours ne justifie pas lui non plus la mesure d’urgence, puisqu’il n’existait aucun danger. En fait, il ne s’agissait pas d’une mesure d’urgence, mais d’une mesure préparatoire aux décisions de prise en charge ordinaire, mais le droit finlandais ne prévoit pas de « phase préparatoire » à ce genre de décisions.
4.  Le contrôle de l’interprétation et de l’application de la notion de danger et d’urgence en matière de décisions de prise en charge est un point plus fondamental. Dans quelle mesure la Cour peut-elle superviser les juridictions nationales à cet égard sous l’angle de l’article 8 de la Convention ? S’il devient évident qu’il n’existait aucun danger mais uniquement une simple « possibilité » que les requérants reviennent sur l’autorisation de laisser M. au foyer pour enfants et si aucun élément de fait ne donne à penser que les parents entendaient revenir sur leur décision, il est alors manifeste que les autorités et juridictions internes n’ont pas fondé leur conclusion sur une base factuelle suffisante. C’est précisément pourquoi la Cour devait exercer sa fonction de contrôle.
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE 
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE - OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE   PELLONPÄÄ À LAQUELLE Sir NICOLAS BRATZA DÉCLARE SE RALLIER
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE     
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION CONCORDANTE
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DE M. LE JUGE BONELLO
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE 
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DE M. LE JUGE BONELLO
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DE M. LE JUGE BONELLO
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE 
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE 
ARRÊT K. ET T. c. FINLANDE – OPINION EN PARTIE DISSIDENTE   


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