PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE G.H.H. ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 43258/98)
ARRÊT
STRASBOURG
11 juillet 2000
DÉFINITIF
11/10/2000
En l'affaire G.H.H. et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes E. Palm, présidente,   W. Thomassen,  MM. Gaukur Jörundsson,   C. Bîrsan,   J. Casadevall,   R. Maruste, juges,   F. Gölcüklü, juge ad hoc,
et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 31 août 1999 et 20 juin 2000,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 43258/98) dirigée contre la République de Turquie et dont des ressortissants iraniens, M. G.H.H. et d'autres (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 26 août 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Devant la Cour, les requérants ont d'abord été représentés par Rights International et l'Iranian Refugees Alliance, organisations non gouvernementales ayant leur siège aux Etats-Unis d'Amérique. Par la suite, l'Iranian Refugees Alliance a assumé seule la représentation des requérants. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour. Le président de la chambre a accueilli la demande des requérants tendant à la non-divulgation de leur identité (article 47 § 3 du règlement de la Cour).
3.  Les requérants alléguaient essentiellement que leur expulsion vers l'Iran les soumettrait au risque d'être tués ou torturés, qu'elle entraînerait la dislocation de leurs familles et que le droit interne de l'Etat défendeur ne leur offrait aucun recours effectif pour contester leur expulsion en se fondant sur les dispositions de la Convention.
4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date à laquelle le Protocole no 11 à la Convention est entré en vigueur (article 5 § 2 du Protocole no 11).
5.  Elle a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de cette section, la chambre appelée à examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. M. R. Türmen, le juge élu au titre de la Turquie, s'est déporté (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
6.  La Commission a décidé d'appliquer l'article 36 de son règlement intérieur (disposition correspondant à l'actuel article 39 du règlement de la Cour) et de faire savoir au Gouvernement qu'il était souhaitable dans l'intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure que les requérants ne fussent pas expulsés vers l'Iran avant l'intervention de la décision de la Commission. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole no 11 et conformément à l'article 5 § 2 de celui-ci, la Cour a confirmé jusqu'à nouvel ordre la mesure provisoire dont la Commission avait recommandé l'adoption au gouvernement défendeur.
7.  Par une décision du 31 août 1999, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable1.
8.  Les requérants comme le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé, après avoir consulté les parties, qu'il ne s'imposait pas de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine du règlement), les parties ont chacune répondu par écrit aux observations de l'autre.
EN FAIT
9.  A la fin des années 70 et au début des années 80, le premier requérant (G.H.H.) a soutenu la section implantée dans sa ville d'une organisation marxiste-léniniste appelée Organisation des fedayin minoritaires (ci-après : « OFM »). Cette section locale de l'organisation était dirigée par son cousin. L'implication du premier requérant dans les activités de l'organisation finit par signaler l'intéressé à l'attention des autorités, qui le placèrent en détention à deux reprises en 1980. A la suite de mesures de répression adoptées par le gouvernement à l'encontre de l'OFM et de ses membres, le premier requérant rompit ses contacts avec l'organisation. A partir de 1984, il se mit à produire et à diffuser une feuille d'information comportant des articles hostiles au gouvernement et des contributions littéraires dissidentes. Il y écrivait lui-même des articles politiques et des poèmes. Il soutient qu'entre 1984 et 1990 il a été maintenu sous une surveillance étroite par les services d'espionnage, y compris pendant son service militaire.
10.  En 1992, il épousa la seconde requérante, qui, à la fin des années 70 et au début des années 80, avait été une activiste antigouvernementale au sein de l'Organisation des fedayin du peuple iranien (« OIPFG »). Au cours de ses études, elle avait reçu plusieurs avertissements de l'université concernant ses activités politiques.
11.  A l'époque où il était étudiant, le premier requérant fonda un journal littéraire polémique et s'engagea dans des activités culturelles, intellectuelles et sociales, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de son université, ce qui lui valut l'inimitié du groupe fondamentaliste et conduisit à son interrogatoire par les services d'espionnage de l'université. Il soutient que ses travaux académiques et de recherche ainsi que sa façon occidentale de s'habiller étaient critiqués comme incompatibles avec les préceptes de l'islam. Il affirme qu'en 1987 les autorités l'appréhendèrent et le placèrent en détention pendant une semaine au motif qu'il avait bu de l'alcool. Il aurait alors reçu quatre-vingts coups de fouet pendant sa détention.
12.  En 1993, il chercha à publier son premier livre, un recueil de poèmes dont certains étaient dédiés à des personnes qui, comme son cousin, étaient regardées avec suspicion ou hostilité par le gouvernement. Les poèmes exprimaient des sentiments d'amour, de laïcisme et de ferveur révolutionnaire, mais ils étaient composés de manière à ne pas tomber sous le coup des règles de censure. Le premier requérant finit par obtenir l'autorisation officielle de publier son livre sous réserve qu'il y apportât certains amendements. Avec l'aide d'un tiers, il se procura, en usant d'un subterfuge, un certificat d'autorisation conditionnelle de faire imprimer le livre, ce qui lui permit d'en obtenir un premier tirage de 3 000 exemplaires. Sans attendre l'autorisation officielle de publier, il distribua de nombreux exemplaires de son livre à des amis et à des libraires. Il apprit ensuite que les autorités avaient finalement décidé de lui refuser l'autorisation requise. Il affirme que depuis 1994 il a soumis au ministère de la Culture et de la Guidance islamiques des demandes d'autorisation de publier pour quatre autres livres mais n'a jamais reçu la moindre réponse, hormis une désapprobation verbale par les fonctionnaires du contenu des ouvrages. Il considère que cela équivaut à une interdiction de ses écrits.
13.  Le 15 mars 1996, il se rendit dans sa ville d'origine. Dès son arrivée, il fut appréhendé par des membres des forces de sécurité iraniennes et emmené dans les locaux du service d'espionnage. Il fut interrogé notamment au sujet de ses activités politiques, de ses associés littéraires et des lieux où ils se réunissaient, ainsi que sur la manière dont il avait obtenu une autorisation provisoire d'imprimer son premier livre. Les forces de sécurité lui demandèrent également où se trouvait son cousin. Il affirme avoir été sévèrement battu pendant sa détention. Il fut relâché après que son frère eut consenti à se porter caution pour lui. Avant d'être libéré, il reçut l'ordre de se présenter régulièrement aux services de sécurité, ce qu'il ne fit jamais. Son frère aurait par la suite été harcelé et serait même aujourd'hui poursuivi pour non-respect des termes de ladite libération conditionnelle.
14.  Le premier requérant affirme que, le 29 mars 1997, le rédacteur en chef d'un magazine littéraire avec lequel il était en rapport fut retrouvé assassiné. Il ajoute qu'autour de la même période plusieurs autres personnes du milieu littéraire qui faisaient partie de ses connaissances ont été emprisonnées, agressées, ont disparu ou sont décédées dans des circonstances suspectes.
15.  Il allègue que ces événements, combinés avec son arrestation, les sévices qui lui ont été infligés et son profil dissident, lui ont fait craindre pour sa vie et l'ont obligé à fuir l'Iran. Il affirme également qu'après son départ, sa femme, la seconde requérante, a été harcelée et a fait l'objet de menaces émanant de groupes de vigilance en rapport avec sa disparition. Au cours d'une perquisition de leur domicile opérée par les services d'espionnage, un certain nombre de cassettes furent découvertes qui contenaient des enregistrements de chansons interdites et de réunions auxquelles le premier requérant avait participé avec plusieurs de ses associés littéraires. L'intéressé allègue que les autorités ont utilisé les bandes des réunions pour les identifier, lui et les autres participants, dont plusieurs furent par la suite placés en détention et interrogés.
16.  Le 16 avril 1997, le premier requérant réussit à obtenir un passeport en soudoyant un fonctionnaire et il s'enfuit en Turquie environ une semaine plus tard. Il arriva dans ce pays muni d'un visa touristique vers le 23 avril et gagna Istanbul. Là , on l'informa qu'il devait se mettre en rapport avec le bureau du Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (« HCR ») à Ankara, qui, de son côté, l'avisa qu'il lui fallait se faire enregistrer comme demandeur d'asile auprès de la police à Istanbul. La police d'Istanbul lui déclara qu'il ne pouvait se faire enregistrer comme demandeur d'asile au motif qu'il se trouvait en Turquie depuis six jours alors que la législation en matière d'asile exigeait que les candidats à l'asile se fassent enregistrer dans un délai de cinq jours à compter de leur arrivée sur le territoire.
17.  Le premier requérant décida de faire renouveler son visa touristique, craignant d'être expulsé vers l'Iran pour non-respect du délai de cinq jours s'il déposait une demande d'asile.
18.  Le 1er mai 1997, il fut entendu par le HCR, qui rejeta sa demande d'asile le 13 juin. Le 12 août, il forma contre cette décision un recours dont le HCR le débouta le 21 novembre.
19.  A un moment donné, il fut rejoint par les deuxième et troisième requérants, qui avaient fui l'Iran pour leur sécurité. D'après le gouvernement turc, le premier requérant arriva en fait le 7 novembre 1997 en Turquie, et il était accompagné des deuxième et troisième requérants. Au dire des intéressés, tous les membres de la famille étaient arrivés en Turquie avant ladite date mais avaient dû effectuer un voyage d'une journée en Géorgie afin de faire renouveler leurs visas. Ils étaient revenus en Turquie le 7 novembre. Les requérants ne contestent pas s'être fait enregistrer comme demandeurs d'asile auprès de la police d'Ankara le 11 novembre 1997. Ils se virent accorder un permis de séjour le 12 décembre et furent assignés à résidence dans la ville de Bilecik.
20.  Le 5 janvier 1998, le premier requérant invita le HCR à reconsidérer sa demande d'asile, après quoi il fut réentendu le 7 juin. Le 8 juillet, le HCR rejeta la nouvelle demande et classa le dossier.
21.  Le 18 août 1998, les requérants reçurent de la police turque un ordre d'expulsion. Ils furent informés qu'ils disposaient de quinze jours pour inviter les autorités à ne pas mettre cet ordre à exécution. Ils formèrent donc une objection, à la suite de laquelle leur permis de séjour fut une nouvelle fois prorogé jusqu'au 11 septembre 1998. Ils soutiennent que la décision de proroger leur permis de séjour ne fut prise qu'au début de décembre 1998 et en réponse aux demandes de sursis à exécution de l'ordre d'expulsion de la famille adressées au gouvernement par la Commission les 2 et 17 septembre 1998.
22.  Le 21 septembre 1998, le ministère des Affaires étrangères confirma une nouvelle fois que les requérants ne remplissaient pas les conditions d'obtention du statut de réfugié. Les intéressés soutiennent qu'ils n'ont jamais été informés de cette décision.
23.  Par une lettre datée du 23 mars 1999, le HCR avisa le ministère des Affaires étrangères qu'il s'était livré à un nouvel examen de la demande d'obtention du statut de réfugié formée par le premier requérant. A la suite de cet examen et à la lumière d'éléments nouveaux soumis par l'intéressé, le HCR avait décidé d'accorder à celui-ci le statut de réfugié. Pour statuer en ce sens, il avait tenu compte, en particulier, de ce que le requérant avait participé activement à l'association des auteurs iraniens et de ce que ses activités l'avaient mis en contact avec des intellectuels qui avaient été assassinés en 1998, apparemment à cause du travail accompli par eux pour le compte de l'association. Le HCR en avait conclu qu'il y avait des raisons plausibles de croire que s'il devait être renvoyé en Iran le requérant y serait persécuté.
24.  Par la suite, lorsqu'il reçut la lettre du HCR, le ministère des Affaires étrangères ordonna que les requérants fussent autorisés à demeurer temporairement en Turquie, pour raisons d'ordre humanitaire, jusqu'au moment où ils auraient trouvé refuge dans un pays tiers. Le 26 mars 1999, les autorités compétentes furent invitées à prolonger le séjour temporaire des requérants en Turquie en attendant leur réinstallation.
25.  En octobre 1999, les requérants quittèrent la Turquie et furent réinstallés aux Etats-Unis d'Amérique dans le cadre d'un programme de réinstallation.
EN DROIT
i.  SUR Les VIOLATIONs ALLÉGUÉEs DEs ARTICLEs 2, 3 et 8 DE LA CONVENTION
26.  Le Gouvernement fait observer que les requérants ont quitté la Turquie en octobre 1999 et ont depuis été réinstallés aux Etats-Unis d'Amérique. Dès lors, le maintien par eux de leurs griefs serait injustifié. En particulier, compte tenu des circonstances de l'espèce, le fait qu'ait été édicté à leur encontre un ordre d'expulsion dont l'exécution aurait pu les exposer à un risque de violation desdits articles ne saurait poser problème au regard de la Convention.
27.  Les requérants considèrent quant à eux que, nonobstant leur réinstallation dans un pays tiers, la Cour doit soumettre leurs griefs à un examen rigoureux quant au fond. Ils soulignent que les preuves produites par eux devant les autorités turques établissent clairement qu'ils étaient parfaitement fondés à craindre une persécution et auraient dû obtenir la garantie de ne pas être renvoyés en Iran. D'après eux, la décision des autorités de les expulser était arbitraire et sous-estimait gravement la réalité du risque auquel ils seraient exposés en Iran.
28.  La Cour relève que les requérants vivent à présent aux Etats-Unis. Eu égard au fait que les craintes qu'ils nourrissaient à l'endroit d'un possible renvoi forcé vers l'Iran ont été supprimées, elle considère que les intéressés ne peuvent plus se prétendre victimes au sens de l'article 34 de la Convention. Elle estime dès lors qu'il ne s'impose pas d'examiner plus avant les griefs formulés par eux sur le terrain des articles 2, 3 et 8 de la Convention.
ii.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
29.  Les requérants soutiennent d'abord qu'ils ont été privés de tout recours effectif qui leur eût permis de contester la décision de les expulser vers l'Iran. Ils y voient une violation de l'article 13 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
30.  D'après les intéressés, les autorités de l'Etat défendeur n'ont pas traité leur demande d'asile conformément aux critères d'équité internationalement reconnus. Ils attirent l'attention sur le fait que celle-ci fut examinée, au service des étrangers de la direction générale de la sûreté à Ankara, par des policiers qui n'étaient pas versés dans le droit des réfugiés et qui étaient insensibles au sort des demandeurs d'asile. Ils soulignent de plus qu'ils n'ont pas eu l'assistance d'un interprète connaissant leur langue et se sont donc trouvés dans l'impossibilité de livrer un exposé complet de leur situation. De surcroît, l'appréciation au fond de leur demande d'asile n'aurait pas été confiée à une autorité indépendante et spécialisée. Les décisions finales sur leur demande étaient du ressort du ministère de l'Intérieur, qui, selon le cas, recueillait l'avis du ministère des Affaires étrangères ou d'autres organes administratifs. Les requérants font également observer qu'ils n'ont pas eu droit à une audience avec les facilités d'interprétation nécessaires devant l'autorité décisionnelle, et qu'aucune information ne leur a été fournie au sujet de leurs droits de recours ou des procédures qu'il leur fallait suivre pour interjeter appel.
31.  Les requérants font valoir ensuite que la législation turque pertinente en matière d'asile ne prévoyait pas explicitement un sursis à exécution des ordres d'expulsion dans l'attente d'une décision du ministère de l'Intérieur sur un recours. Ils se trouvaient donc à tout moment sous la menace d'une expulsion sommaire. Le rejet de leur recours n'aurait pas été motivé, et aucune indication ne leur aurait été donnée non plus quant au contenu des conclusions négatives du HCR adressées au ministère de l'Intérieur, lesquelles doivent avoir eu, selon eux, une influence sur la décision de rejet de leur recours prise par ce ministère. Celui-ci s'estimerait en effet lié par l'appréciation négative livrée par le HCR sur une demande d'asile, sans se préoccuper de la régularité des procédures suivies par cet organe pour examiner les demandes ou pour informer les demandeurs des raisons l'ayant amené à conclure au rejet d'une demande.
32.  Les requérants considèrent enfin que la possibilité qu'ils avaient, selon le Gouvernement, d'engager une procédure de contrôle judiciaire aux fins de contester l'ordre d'expulsion ne peut passer pour un recours effectif. Premièrement, ils n'ont jamais été avisés de l'existence de pareil recours et de la manière de le former. Deuxièmement, à supposer même qu'ils eussent pu solliciter l'assistance d'un avocat afin de pouvoir attaquer l'ordre d'expulsion par la voie du contrôle judiciaire, ils n'ont jamais été informés de cette possibilité. Quoi qu'il en soit, vu qu'ils étaient démunis d'un permis de séjour valable, ils n'auraient pu obtenir un certificat d'indigence de la part de l'autorité compétente. Troisièmement, une demande de contrôle judiciaire n'aurait pu avoir pour effet de suspendre l'exécution de l'ordre d'expulsion, et le tribunal administratif saisi de la demande n'aurait pas été compétent pour se pencher sur le fond de leur grief mais n'aurait pu contrôler que la légalité de la décision d'expulsion. Pour ce motif, une action en contrôle judiciaire n'aurait pas offert des chances raisonnables de succès, puisque la mesure attaquée était manifestement valide au regard des règles internes relatives au droit d'asile et que le HCR avait déjà rendu une décision négative sur leur demande d'obtention du statut de réfugié. Quatrièmement, un contrôle effectué par une juridiction administrative n'aurait pas pris comme point de départ la question de savoir si les requérants risquaient d'être exposés à des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention. Ce contrôle se serait articulé autour de la question de savoir si leur expulsion enfreindrait ou non les critères définis à l'article 1 de la Convention de Genève de 1951.
33.  Le Gouvernement combat ces arguments. Se référant à la jurisprudence existante, il soutient que le contrôle judiciaire constitue une voie de recours qui a souvent été invoquée par des demandeurs d'asile en Turquie. D'après lui, une juridiction administrative peut ordonner le sursis à exécution d'une décision d'expulsion si un dommage irréparable risque d'être causé à la personne expulsée et si la décision est manifestement illégale. Pour ce motif, il invite la Cour à juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 en l'espèce.
34.  La Cour observe qu'il ne lui appartient pas de contrôler in abstracto la compatibilité avec la Convention des règles édictées par l'Etat défendeur en matière d'asile. Elle rappelle à cet égard que les Etats contractants ont, en vertu d'un principe du droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux. De surcroît, ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit à l'asile politique (arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A no 215, p. 34, § 102).
35.  Toutefois, une expulsion pratiquée par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, donc engager la responsabilité d'un Etat contractant au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le livre à l'Etat requérant, y courra un risque réel d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3. Dans ces conditions, l'article 3 implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers le pays requérant (arrêts Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A no 161, pp. 35-36, §§ 90-91, Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A no 201, p. 28, §§ 69-70, et Vilvarajah et autres précité, p. 34, § 103).
36.  La Cour note en outre que lorsqu'un demandeur d'asile a un grief défendable aux termes duquel son expulsion l'exposerait au risque de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention, le droit interne de l'Etat contractant ayant décidé l'expulsion doit garantir à l'intéressé l'existence d'un recours lui permettant d'obtenir la sanction du droit garanti par ladite clause. Cette obligation résulte de l'article 13 de la Convention, qui a pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant l'« instance » nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d'une certaine latitude quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (arrêt Vilvarajah et autres précité, p. 39, § 122).
37.  La Cour observe qu'un ordre d'expulsion a été notifié aux requérants le 18 août 1998. Les intéressés disposaient de quinze jours pour demander qu'il ne soit pas exécuté. Dans l'attente de la décision sur leur recours, ils avaient le droit de demeurer en Turquie. Le 21 septembre 1998, le ministère des Affaires étrangères confirma l'ordre d'expulsion, après avoir conclu que les requérants ne remplissaient pas les conditions d'obtention du statut de réfugié, au sens de l'article 1 de la Convention de Genève de 1951 (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Pour la Cour, les requérants n'avaient à aucun moment énoncé sur le terrain de l'article 3 de la Convention un grief pouvant passer pour défendable quant au fond.
38.  Il convient d'observer à cet égard que le HCR avait, à trois reprises déjà , rejeté les demandes d'asile présentées par les intéressés (paragraphes 18 et 20 ci-dessus). Ce n'est que lorsque ceux-ci avaient fourni des renseignements concernant les assassinats d'écrivains survenus en Iran à la fin de 1998 et avaient mis en lumière la pertinence de ces événements pour la situation du premier requérant que le HCR, et en définitive le ministère des Affaires étrangères, avaient été amenés à considérer différemment le risque dont s'accompagnerait une expulsion (paragraphes 23 et 24 ci-dessus). Bien que les requérants soutiennent qu'ils avaient déjà produit devant le HCR et les autorités internes des preuves suffisantes du risque encouru par eux (paragraphe 27 ci-dessus), la Cour n'est pas persuadée que, non informée des nouveaux événements s'étant produits, les autorités internes puissent être accusées d'avoir sous-estimé le risque en édictant un ordre d'expulsion visant les requérants et en rejetant le recours formé par eux contre cette décision.
39.  Il convient de noter également que, lorsque le mérite de la demande des requérants sortit renforcé des événements précités, le ministère des Affaires étrangères décida, le 26 mars 1999, que les intéressés pourraient demeurer en Turquie en attendant leur réinstallation dans un pays tiers (paragraphe 23 ci-dessus). A partir de ce moment, ils ne couraient plus le risque de faire l'objet d'une expulsion sommaire vers l'Iran. La Cour ne décèle dès lors aucun problème sur le terrain de l'article 13 de la Convention entre la date de ladite décision et celle à laquelle les requérants ont quitté la Turquie.
40.  Eu égard à sa conclusion selon laquelle on ne saurait considérer que les requérants avaient à l'époque pertinente un grief défendable aux termes duquel leurs droits garantis par les articles 2, 3 et 8 seraient violés s'ils devaient être expulsés vers l'Iran, la Cour estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention en l'espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre l'examen des griefs fondés par les requérants sur les articles 2, 3 et 8 de la Convention ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 juillet 2000, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O'Boyle Elisabeth Palm   Greffier Présidente
1.  Note du greffe : la décision de la Cour est disponible au greffe.
ARRêT G.H.H. ET AUTRES c. Turquie
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