TROISIème SECTION
AFFAIRE SAVONA c. ITALIE
(Requête n° 38479/97)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2000
En l’affaire Savona c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
M. J.-P. Costa, président, M. L. Ferrari Bravo, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. K. Traja, juges, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er février 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette même date :
PROCéDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par M. Salvatore Savona (« le requérant »), ressortissant italien, le 25 janvier 1999. A son origine se trouve une requête (no 38479/97) dirigée contre la République italienne et dont le requérant avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 13 décembre 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza.
2. Conformément aux clauses de l’article 5 § 4 du Protocole n° 11, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 31 mars 1999, que l’affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l’une des sections de la Cour.
3. Le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l’affaire à la troisième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. B. Conforti, juge élu au titre de l'Italie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement) et M. J.-P. Costa, vice-président de la section (articles 12 et 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert et M. K. Traja (article 26 § 1 b) du règlement).
4. Ultérieurement, M. Conforti, qui avait participé à l’examen de l’affaire par la Commission, s’est déporté (article 28 du règlement). Par conséquent, le Gouvernement a désigné M. L. Ferrari Bravo, juge élu au titre de Saint-Marin, pour siéger à la place de M. Conforti (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
5. Le 27 avril 1999, la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience.
6. Le 5 juillet 1999, le Gouvernement a informé la Cour qu'il n'entendait pas présenter un nouveau mémoire et se référait à ses observations devant la Commission du 27 mars 1998. Le 31 mai 1999, le greffe avait reçu le mémoire du requérant.
EN FAIT
7. Par un jugement du 29 mars 1989, le tribunal de Trapani déclara la faillite de M. C. Le requérant avait auparavant entamé une procédure de saisie immobilière contre M. C., interrompue en raison de ladite faillite. Le 15 juin 1989, le requérant demanda à être admis dans la procédure de faillite.
8. L'examen de l'état des créances commença le 16 juin 1989. Le 1er décembre 1989, le juge de l'exécution admit le requérant comme créancier. L'état de créances fut déclaré exécutoire le 1er juin 1990. Entre le 16 octobre 1992 et le 26 mars 1995, à neuf reprises les biens immeubles de M. C. furent mis aux enchères. Sept de ces enchères s’avérèrent infructueuses.
9. Le 20 juin 1995, fut déposé au greffe le bilan de la faillite. Le 13 septembre 1996, le juge de l'exécution approuva ledit bilan.
10. Le requérant a informé la Cour de ce que la somme lui revenant de la vente des biens de M. C. a été saisie et perçue par son ancien avocat à titre d'honoraires.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
11. M. Savona a saisi la Commission le 13 décembre 1995. Il alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1) en ce qui concernait deux procédures civiles (de saisie immobilière et de faillite).
12. Le 8 juillet 1998, la Commission a retenu la requête (n° 38479/97) quant à la deuxième procédure seulement. Dans son rapport1 du 27 octobre 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
EN DROIT
I. sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la convention
13. Le requérant affirme que la durée des deux procédures le concernant a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
14. Le requérant estime que le délai à prendre en considération doit inclure la procédure de saisie immobilière (paragraphe 7 ci-dessus).
Or la Commission, dont sa décision sur la recevabilité du 8 juillet 1998 trace le cadre de l'affaire déférée depuis lors à la Cour (voir, entre autres, l'arrêt Bottazzi c. Italie du 28 juillet 1999, à paraître dans Recueil 1999, § 21), n'a retenu et traité la requête que pour la procédure de faillite. La procédure a donc commencé le 15 juin 1989 pour s'achever le 13 septembre 1996. Elle a duré plus de sept ans et deux mois pour un degré de juridiction.
15. La Cour rappelle avoir constaté récemment (voir par exemple l'arrêt Bottazzi c. Italie précité, § 22) l'existence en Italie d'une pratique contraire à la Convention résultant d'une accumulation de manquements à l'exigence du « délai raisonnable ». Dans la mesure où la Cour constate un tel manquement, cette accumulation constitue une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1.
16. Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu'il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. sur l'application de l’article 41 DE LA Convention
17. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel et moral
18. Le requérant réclame le remboursement de 84 676 712 lires italiennes (ITL) pour dommage matériel correspondant à la différence entre ses créances et la somme reçue dans le cadre de la procédure de faillite de M. C. Il réclame aussi la réparation du dommage moral à hauteur de 50 000 000 ITL ou de toute autre somme que la Cour estimerait équitable.
19. Le Gouvernement n'a pas pris position.
20. La seule base d'octroi d'une satisfaction équitable pour dommage matériel réside en l'espèce dans le dépassement du « délai raisonnable » dont l'article 6 § 1 exige le respect (voir notamment l'arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A n° 119, § 37). Ledit dépassement a pu entraîner pour le requérant des pertes financières dont il faut tenir compte. La Cour estime en outre que l'intéressé a subi un préjudice moral indéniable lié à l'incertitude quant à l'issue de la procédure.
Ces divers éléments ne se prêtent pas en l'espèce à un calcul exact. Les appréciant dans leur ensemble et, comme le veut l'article 41, en équité, la Cour alloue à l'intéressé une indemnité de 28 000 000 ITL.
B. Frais et dépens
21. Le requérant demande aussi le remboursement des frais et dépens exposés devant les juges nationaux. Il indique la somme forfaitaire de 3 000 000 ITL.
22. Le Gouvernement ne formule pas d'observations.
23. S'il est vrai que seuls les frais nécessairement exposés devant les juridictions nationales pour faire redresser la violation de la Convention constatée par la Cour peuvent être remboursés, il n'en demeure pas moins que dans des affaires de durée de procédure le prolongement de l'examen d'une cause au-delà du « délai raisonnable » entraîne en général une augmentation des frais à la charge du requérant. En l'espèce, la Cour considère raisonnable la somme réclamée et l'accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
24. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,5 % l’an.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 28 000 000 (vingt-huit millions) lires italiennes pour dommage moral ainsi que 3 000 000 (trois millions) lires pour frais et dépens ;
b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 février 2000, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa Greffière Président
1. Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.
ARRÊT SAVONA c. ITALIE