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28/10/1999 | CEDH | N°26780/95

CEDH | AFFAIRE ESCOUBET c. BELGIQUE


AFFAIRE ESCOUBET c. BELGIQUE
(Requête n° 26780/95)
ARRÊT
STRASBOURG
28 octobre 1999
En l’affaire Escoubet c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, présidente,   MM. A. Pastor Ridruejo,    L. Ferr

ari Bravo,    G. Bonello,    J. Makarczyk,    P. Kūris,    R. Türmen,    J.-P. Costa,   Mmes F. T...

AFFAIRE ESCOUBET c. BELGIQUE
(Requête n° 26780/95)
ARRÊT
STRASBOURG
28 octobre 1999
En l’affaire Escoubet c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu’amendée par le Protocole n° 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, présidente,   MM. A. Pastor Ridruejo,    L. Ferrari Bravo,    G. Bonello,    J. Makarczyk,    P. Kūris,    R. Türmen,    J.-P. Costa,   Mmes F. Tulkens,    V. Strážnická,   MM. M. Fischbach,    V. Butkevych,    J. Casadevall,   Mme H.S. Greve,   MM. A.B. Baka,    R. Maruste,   Mme S. Botoucharova,
ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 2 juin et 22 septembre 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 2 novembre 1998, dans le délai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 26780/95) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant français, M. Alain Escoubet, avait saisi la Commission le 12 septembre 1994 en vertu de l’ancien article 25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu’à la déclaration belge reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
2.  Le 16 décembre 1998, le requérant a désigné son conseil (article 36 § 3 du règlement).
3.  Conformément à l’article 5 § 4 du Protocole n° 11, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l’affaire serait examinée par la Grande Chambre de la Cour.
4.  La Grande Chambre comprenait de plein droit Mme F. Tulkens, juge élue au titre de la Belgique (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kūris, M. R. Türmen, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A.B. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (article 24 § 3 du règlement).
5.  La Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’inviter la Commission à déléguer un de ses membres pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.
6.  Le greffier a reçu le mémoire du requérant le 29 avril 1999 et le mémoire du gouvernement belge (« le Gouvernement ») le 3 mai 1999.
7.  Ainsi qu’en avait décidé le président de la Cour, une audience s’est déroulée en public le 2 juin 1999, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg.
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. J. Lathouwers, conseiller juridique adjoint,     chef de service au ministère de la Justice,  agent,  Me B. Vanlerberghe, avocate au barreau de Bruxelles, conseil ;
–  pour le requérant  Me S. Kalugina, avocat au barreau de Bruxelles, conseil. 
Empêché d’assister à l’audience, M. Wildhaber a été remplacé en qualité de président de la Grande Chambre par Mme Palm (article 10 du règlement) ; M. L. Ferrari Bravo, juge suppléant, l’a remplacé en tant que membre de la chambre (article 24 § 5 b) du règlement).
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Kalugina et Me Vanlerberghe.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Alain Escoubet est un ressortissant français, né en 1948. Il réside à Bruxelles (Belgique).
9.  Le 16 juin 1994 à 18 h 30, le requérant fut impliqué dans un accident de la circulation. Informé par les agents de police appelés sur les lieux, le procureur du Roi de Bruxelles ordonna le retrait immédiat du permis de conduire du requérant. Le motif allégué était un état d’alcoolémie présumé supérieur à 0,8 g/l (gramme par litre de sang), taux maximum autorisé en Belgique au moment des faits. Ce fait est cependant contesté par le requérant. Le requérant ayant été dans l’incapacité de satisfaire à un test d’haleine qui lui fut proposé sur les lieux de l’accident, un prélèvement sanguin fut fait le 16 juin 1994 à 19 h 47. Le résultat de l’analyse sanguine lui fut notifié en juillet 1994. Cette analyse révélait un taux d’alcool de 2,51 g/l, soit après correction vu l’écoulement du temps, un taux de 2,70 g/l au moment de l’accident.
10.  Le requérant n’étant pas en possession de son permis de conduire le 16 juin 1994, les agents de police se rendirent le lendemain à son domicile pour procéder à la mesure de retrait immédiat de ce document, qui leur fut remis par le requérant.
11.  Le 21 juin 1994, le requérant envoya une lettre recommandée au procureur du Roi pour demander la restitution de son permis de conduire. Par lettre du 23 juin 1994, il fut invité à le récupérer, ce qu’il fit.
12.  Après avoir obtenu le résultat de l’analyse sanguine pour dosage alcoolique (paragraphe 9 ci-dessus), le requérant demanda une seconde analyse à un autre laboratoire médical le 26 juillet 1994. Il en informa le procureur du Roi le même jour.
13.  Par exploit d’huissier du 4 mai 1995, le requérant fut cité par le procureur du Roi de Bruxelles à comparaître le 15 juin 1995 devant le tribunal de police de Bruxelles pour répondre des préventions de coups et blessures involontaires (prévention A), conduite d’un véhicule en état d’ivresse ou dans un état analogue (prévention B), conduite d’un véhicule avec une concentration d’alcool d’au moins 0,8 g/l (prévention C), refus de priorité à droite (prévention D) et conduite d’un véhicule sans en avoir eu constamment le contrôle (prévention E).
14.  Le 29 juin 1995, le tribunal de police de Bruxelles condamna le requérant à une amende de 22 500 francs belges (BEF) et à la déchéance du permis de conduire pour une durée de quarante-cinq jours, avec imputation de la période de retrait déjà subie. Il subordonna également la réintégration du droit de conduire à la condition d’avoir satisfait à un examen médical. Le tribunal motiva comme suit sa décision :
« 1.  Quant aux préventions A-D et E
Attendu qu’il résulte de l’information pénale et de l’instruction d’audience que ces trois préventions sont établies.
Attendu en effet que débouchant le 16 juin 1994 vers 18 h 30 à Ixelles de la rue Sans-Souci au carrefour formé par cette artère et la rue de la Tulipe, le prévenu conduisant un véhicule VW Golf était tenu de céder la priorité de droite au véhicule Renault Fuego conduit par M. qui débouchait de la rue de la Tulipe pour se diriger vers la Porte de Namur.
Que le plan admis par le prévenu indique que la collision entre les deux véhicules s’est produite au milieu du carrefour de sorte que c’est en vain que le prévenu plaide que son véhicule ayant été touché à l’arrière, il n’était déjà plus dans le carrefour au moment de l’accrochage et que l’accident est imputable exclusivement au créancier de priorité qui aurait circulé à une vitesse anormalement élevée.
Attendu qu’au contraire il y a lieu de relever que c’est assurément le prévenu qui, outre le fait qu’il n’a pas cédé le passage au créancier de priorité, n’a pas eu le contrôle de son véhicule et n’a pas été en mesure d’effectuer les manœuvres qui lui incombaient, dès lors qu’après l’accrochage au carrefour avec le véhicule Renault de M., loin de pouvoir s’arrêter, il a continué sur sa lancée, montant sur le trottoir de la rue Longue Vie, au-delà du carrefour, emboutissant successivement deux façades d’immeubles et divers véhicules en stationnement régulier, au flanc droit de ces véhicules.
Que par bonheur il n’y avait pas de piétons sur le trottoir le long des immeubles, sauf quoi les conséquences de la manière de circuler dans le chef du prévenu, eussent été catastrophiques.
Attendu qu’il n’en demeure pas moins que l’accident provoqué par le prévenu a entraîné des blessures pour les deux passagers du véhicule Renault.
2.  Quant à la prévention B
Attendu qu’à l’arrivée sur place, la police a relevé que le prévenu se trouvait en état d’ivresse manifeste, titubant, sentant fortement la boisson.
Attendu que le prévenu n’a pas été capable de souffler pour se soumettre à l’épreuve respiratoire.
Attendu qu’à l’arrivée du prévenu au commissariat de police, le brigadier principal a lui aussi constaté que le prévenu titubait, que son haleine sentait la boisson et que le médecin requis une heure après l’accident, le Docteur V. a énoncé en son rapport d’examen clinique que si le prévenu ne donnait pas les apparences extérieures d’ivresse, a cependant conclu à ce que les symptômes relevés résultent de la consommation d’alcool et que l’intéressé est sous l’influence de la boisson, M. Escoubet prétendant même ne pas être en cause dans un accident quelconque.
Attendu qu’entendu plusieurs heures après l’accident, soit à 23 h 10 (après avoir été écroué) et alors que l’alcootest s’est avéré négatif, le prévenu a déclaré :
–  avoir été embouti par un véhicule dont il ne sait d’où il venait ;
–  ne plus se souvenir de rien après le choc, encore qu’il n’était ni blessé, ni contusionné ;
–  qu’il avait bu à son domicile une vingtaine de bières sans alcool, puis rectifié en 8 « Tourtel » et prendre des médicaments type morphine, en raison de son cancer.
Attendu qu’il s’ensuit que manifestement le sieur Escoubet a conduit son véhicule sur la voie publique alors qu’il se trouvait en état d’ivresse ou dans un état analogue résultant de drogues ou de produits hallucinogènes, la preuve pouvant notamment être rapportée par des présomptions (cfr. Cass. 11.12.1984, Pas. 1985, I, 449).
Attendu que le prévenu devait savoir qu’il ne pouvait conduire s’il consommait des médicaments genre morphine concomitamment avec de la bière, même de type Tourtel.
Que pareilles consommations ont inévitablement eu une influence sur son comportement au volant, ne sachant même pas d’où survenait le créancier de priorité et poursuivant sa lancée durant près de 25 mètres, sur le trottoir au-delà de l’endroit de l’accrochage, sans réaction d’évitement quelconque.
Attendu partant que la prévention B est demeurée établie.
3.  Quant à la prévention C
Attendu que s’il est vrai que le Professeur G. a conclu que le dosage d’alcool dans le sang du prévenu a révélé 2,51 grammes par litre au titre de teneur du sang en alcool, soit après correction vu l’écoulement du temps, 2,70 grammes par litre, et que la contre-expertise sollicitée en temps utile, pratiquée par le Pharmacien-biologiste, M. a donné comme résultat 2,24 gr. d’éthanol par litre de sang, ce qui est nettement supérieur au taux maximal admis par la loi, néanmoins le tribunal, respectueux des droits de la défense et vu que la loi pénale est de stricte interprétation, estime qu’en l’occurrence, le résultat d’analyse sanguine ne peut être pris en considération.
Attendu en effet que le dossier répressif révèle que le Dr V., ayant procédé à 19 h 47 à la prise de sang, a dû se résoudre à employer son propre matériel, vu que trois veinotubes étaient nécessaires.
Que le pharmacien M. a relevé que l’échantillon [à] lui soumis n’était pas contenu dans la vénule légale et sans indication de la personne incriminée.
Attendu que l’arrêté royal du 10.6.1959 énonce en son article 3 que c’est l’autorité requérante qui remet au médecin une vénule à laquelle est joint un désinfectant en solution aqueuse et doit contenir du fluorure de sodium, tandis que l’article 4 énonce l’obligation d’énoncer [sur] la vénule les nom et prénom de la personne qui a subi un prélèvement.
Attendu que les prélèvements sanguins, effectués sans respecter les règles strictes dudit arrêté royal du 16.6.1959, ne peuvent servir de preuve (cfr. Police Spa [N.D.L.R. ville d’eau par excellence] 7.2.1961. Jur. Liège 1960-1961, 265) ; pareillement le prélèvement effectué au moyen d’une seringue et non d’une vénule n’est pas légal et le juge ne peut en tenir compte (cfr. Corr. Arlon, 20/2/1974, Jur. Liège 1973-1974, p. 211).
Attendu que l’article 3 de l’arrêté royal du 10 juin 1959, prescrivant qu’une vénule répondant aux conditions prévues par cet article et par un arrêté ministériel (A.M. du 22 août 1959) sera remise au médecin devant opérer le prélèvement sanguin, par l’autorité compétente, la vénule ainsi remise est réputée, jusqu’à preuve du contraire, être conforme aux prescriptions réglementaires, tandis qu’une analyse de sang prélevé au moyen d’une vénule qui n’a pas été remise par ladite autorité au praticien est dénuée de force probante s’il n’est pas constaté qu’elle répondait auxdites conditions réglementaires (cfr. Cass., 10.5.1965, Pas. 1965, I, 952).
Attendu partant que dans le cas d’espèce, pour les raisons ci-avant évoquées, le Docteur V. ayant dû se résoudre à utiliser son propre matériel, sans autre précision quant à la nomenclature dudit matériel, la prévention C n’est pas établie.
Attendu que les préventions sub. A, B, D et E se confondent et procèdent d’un même fait pénal.
Que dès lors il y a lieu d’appliquer une seule peine la plus forte, étant celle visée par la prévention B.
Attendu partant qu’en raison de l’absence d’antécédent judiciaire dans le chef du prévenu et tenant compte aussi du fait que, selon les dires de son conseil, M. Escoubet souffrirait d’un cancer du larynx, seule l’amende ci-après énoncée, outre la déchéance du droit de conduire tout véhicule automoteur, déchéance dont la durée tient notamment compte des éléments ci-dessus, ainsi que l’obligation de se soumettre au seul examen médical, subordonnant la réintégration dans le droit de conduire à cette satisfaction (article 38 par. 3 de l’A.R. du 16.3.1968) du chef de la prévention B, l’infraction étant imputable au fait personnel de M. Escoubet et vu qu’il admet conduire sous l’influence de médicaments du type morphine, s’imposent et assureront la finalité des poursuites. »
15.  Sur appel du requérant, le tribunal correctionnel de Bruxelles déclara établies les préventions A, D et E. Il estima par contre que la prévention B n’était pas établie. Il motiva cette décision comme suit :
« Attendu sans doute que les agents verbalisants ont constaté qu’après l’accident le prévenu titubait et sentait fortement la boisson ; que le fait de tituber après un accident peut s’expliquer par le choc subi lors de la collision ; que le prévenu a démontré, par la voie de son conseil, que la bière sans alcool (dont la consommation est admise par le prévenu) sent la bière et que son odeur peut prêter à confusion par rapport à celle de l’alcool. »
16.  En conséquence, il condamna le requérant à une amende de 11 250 BEF et à la déchéance du permis de conduire pour une durée de huit jours.
II.  le droit ET LA PRATIQUE interneS pertinentS
A.  Le retrait immédiat du permis de conduire
17.  La mesure de retrait immédiat du permis de conduire a été introduite en Belgique par l’article 6 de la loi du 1er août 1963. L’exposé des motifs de cette loi précise : « le retrait immédiat du permis ou de la licence d’apprentissage contribuera à retirer de la circulation un conducteur dangereux et ceci en attendant qu’une décision judiciaire soit prise et, en outre, incitera les conducteurs à respecter les règlements » (Doc. Parl., Sénat, 1962-63, n° 68).
18.  Les diverses dispositions réglant la circulation routière ont été regroupées dans les lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de circulation routière, qui constituent une loi pénale particulière. Leur Titre I, intitulé « Réglementation », détermine notamment les compétences pour régler la circulation sur les diverses voies publiques, les compétences d’autorisation en matière d’épreuves et de compétitions sportives empruntant la voie publique et prévoit la possibilité de création de commissions consultatives sur les problèmes de circulation et de stationnement. Le Titre II règle la signalisation sur la voie publique, tandis que le Titre III règle la matière du permis de conduire. Le Titre IV est intitulé « Dispositions pénales et mesures de sûreté » et le Titre V « Action publique et action civile ».
19.  Le chapitre VIII des lois coordonnées du 16 mars 1968, compris dans le Titre IV, est intitulé : « Retrait immédiat du permis de conduire ou de la licence d’apprentissage ». Tel qu’il était applicable au moment des faits, il comprenait, entre autres, les dispositions suivantes.
Article 55
« Sans préjudice des dispositions de l’article 46, le permis de conduire ou le document qui en tient lieu peut être retiré immédiatement :
1.  si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est manifestement ivre ou donne des signes apparents d’intoxication alcoolique ;
2.  si le conducteur a pris la fuite pour échapper aux constatations utiles ;
3.  si l’accident de roulage, apparemment imputable à la faute grave du conducteur, a entraîné pour autrui des blessures graves ou la mort ;
4.  si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est déchu du droit de conduire un véhicule automoteur de la catégorie du véhicule qu’il utilise ;
5.  si le conducteur a commis une des infractions graves aux règlements pris en exécution des présentes lois coordonnées.
Le retrait immédiat est ordonné soit par le procureur du Roi, soit par l’auditeur militaire lorsque l’infraction est de la compétence du conseil de guerre. (...) 
Le conducteur ou la personne qui accompagne, visée par les dispositions reprises au premier alinéa, 1° et au deuxième alinéa, est tenu de remettre son permis de conduire ou le titre qui en tient lieu sur l’invitation qui lui en est faite par la police ou la gendarmerie, sur réquisition du ministère public qui a ordonné le retrait. A défaut, ce ministère public peut ordonner la saisie du document.
La police ou la gendarmerie communique à l’intéressé quel est le ministère public qui a ordonné le retrait. »
Article 56
« Le permis de conduire ou le document qui en tient lieu peut être restitué par le ministère public qui en a ordonné le retrait, soit d’office, soit à la requête du titulaire.
Il est obligatoirement restitué :
1.  après 15 jours, à moins que l’autorité qui a ordonné le retrait ne proroge ce délai pour une nouvelle période de 15 jours, l’intéressé ou son conseil étant à sa demande préalablement entendu ; cette décision peut être renouvelée une fois ;
2.  lorsque le juge ne prononce pas la déchéance du permis de conduire ;
3.  lorsque le titulaire d’un permis étranger, qui ne répond pas aux conditions fixées par le Roi pour pouvoir obtenir un permis de conduire belge, quitte le territoire. »
Article 57
« Si le juge prononce la déchéance du permis de conduire, le permis de conduire ou le document qui en tient lieu est remis au greffe pour qu’il soit procédé conformément à l’article 46 §§ 2 à 6.
Si la déchéance du droit de conduire est prononcée à titre temporaire, le temps pendant lequel le permis de conduire ou le document qui en tient lieu a été retiré par application de l’article 55, alinéa 1er, 1°, 2°, 3° et 5°, est imputé sur la durée de la déchéance, déduction faite des périodes de détention subies pendant ce temps par le condamné. »
Article 58
« Les infractions aux dispositions de l’article 55, dernier alinéa, sont punies d’un emprisonnement d’un jour à un mois et d’une amende de 10 francs à 500 francs, ou d’une de ces peines seulement.
En cas de circonstances atténuantes, l’amende peut être réduite, sans qu’elle puisse être inférieure à 1 franc.
Les peines sont doublées s’il y a récidive dans l’année à dater d’un jugement antérieur portant condamnation et coulé en force de chose jugée. »
20.  L’article 55 des lois coordonnées du 16 mars 1968 a été modifié par l’article 27 de la loi du 18 juillet 1990. L’article 55 ainsi modifié est entré en vigueur le 1er décembre 1994. La modification a porté sur le point 1 : la disposition « (...) si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est manifestement ivre ou donne des signes apparents d’intoxication alcoolique ; » a été remplacée par « (...) dans les cas visés à l’article 60, §§ 3 et 4 ; ».
21.  Selon la Cour de cassation, les juridictions du fond ne sont pas compétentes pour apprécier la conformité des mesures de retrait immédiat du permis de conduire, en vertu des articles 55 et suivants du code de la route, avec la Convention, dans la mesure où il n’appartient pas au juge de critiquer l’usage que fait le ministère public de ses pouvoirs (Cass., 10 mai 1995). Dans un arrêt du 7 janvier 1998, cette cour a précisé que « le retrait du permis de conduire décidé en application de l’article 55 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière ne constitue pas une sanction mais une mesure préventive qui a pour but d’écarter de la circulation, pour un temps déterminé, les conducteurs dangereux ».
B.  L’interdiction de conduire
22.  Les paragraphes 3 et 4 de l’article 60, repris au chapitre IX du Titre IV et également modifié par l’article 31 de la loi du 18 juillet 1990, prévoient l’interdiction de conduite d’un véhicule pour une durée de six heures lorsqu’une analyse d’haleine mesure – ou un test d’haleine détecte – une concentration d’alcool d’au moins 0,35 milligramme par litre d’air alvéolaire expiré, lorsqu’il y a refus du test ou de l’analyse d’haleine ou lorsqu’il ne peut pas être procédé à ceux-ci pour une autre raison que le refus et qu’il y a apparence d’ivresse ou d’imprégnation alcoolique.
C.  La déchéance du droit de conduire
23.  Les lois coordonnées du 16 mars 1968 prévoient également, au chapitre VI du Titre IV, la possibilité de déchéance du droit de conduire un véhicule. Celle-ci peut être prononcée par un tribunal à titre de peine (articles 38 à 40) ou pour incapacité physique (articles 42 à 44). La peine de déchéance, qui peut être prononcée lorsque le titulaire du permis a commis une des infractions particulières visées à l’article 38 § 1, est normalement de huit jours au moins et de cinq ans au plus. Elle peut toutefois être prononcée pour une période supérieure ou à titre définitif en cas de délit de fuite, de conduite sans permis ou durant une période de déchéance ou lorsque le titulaire a déjà été condamné pour des infractions visées à l’article 38 § 1 dans les trois années précédentes.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
24.  M. Escoubet a saisi la Commission le 12 septembre 1994 alléguant la violation des articles 5, 6 §§ 1 et 2 et 13 de la Convention.
25.  La Commission a retenu la requête (n° 26780/95) en partie le 9 avril 1997.
Dans son rapport adopté le 12 mars 1998 (ancien article 31 de la Convention), la Commission conclut, par dix-huit voix contre treize, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt2.
CONCLUSIONS PRéSENTéES À LA COUR
26.  Dans son mémoire à la Cour, le Gouvernement conclut à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il estime, à titre principal, que la requête est incompatible ratione materiae avec l’article 6 § 1 de la Convention et, à titre subsidiaire, qu’elle est mal fondée.
27.  L’avocat du requérant demande à la Cour de dire que l’Etat défendeur a violé l’article 6 de la Convention et, à défaut, que l’article 13 a été violé. Il l’invite aussi à allouer au requérant, au titre de l’article 41, une indemnité pour dommage moral et matériel ainsi que le remboursement des frais et dépens.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
28.  M. Escoubet soutient que le retrait immédiat du permis de conduire ordonné par le ministère public sans possibilité de recours effectif devant un organe judiciaire l’a privé du droit à un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
Le Gouvernement ne souscrit pas à cette thèse, arguant au premier chef que l’article 6 de la Convention ne trouve pas application en l’espèce.
29.  D’après le requérant, il ne fait aucun doute que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire, ordonnée sur la base de l’article 55 des lois coordonnées du 16 mars 1968, relève du domaine pénal. En effet, en droit belge, la durée du retrait immédiat est imputée sur la peine de déchéance du permis qui pourra ultérieurement être prononcée au cas où des poursuites pénales seraient engagées pour les faits dans le cadre desquels l’article 55 a trouvé application. De plus, cette disposition s’adresse à tous les citoyens en leur qualité d’usagers de la route et le refus de remise du permis est sanctionné, aux termes de l’article 58 des lois coordonnées, par une peine d’emprisonnement et/ou d’amende.
30.  Selon le Gouvernement, l’article 6 ne s’applique pas en l’espèce, puisque la mesure litigieuse ne concernait pas le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant et n’avait pas trait à ses « droits et obligations de caractère civil ».
Le Gouvernement souligne en particulier que la procédure de retrait immédiat ne comporte ni examen ni constatation de culpabilité ou d’innocence. Il allègue également que la mesure ne relevait pas de la matière pénale, au sens de la jurisprudence de la Cour. Il note à cet égard que le retrait immédiat du permis de conduire est considéré en droit interne comme une mesure de police administrative et de sécurité. Cette appréciation est fondée sur la nature même de la mesure qui vise uniquement à protéger le public contre un éventuel risque que crée le comportement d’un conducteur dangereux. Par ailleurs, l’impact de la mesure de retrait était très minime, aussi bien dans le temps qu’en intensité, puisque le permis a été restitué au requérant immédiatement après qu’il en eut fait la demande.
31.  La tâche de la Cour consiste d’abord à déterminer si l’article 6 de la Convention s’appliquait en l’espèce, puisque l’application de cette disposition fait l’objet d’une controverse entre les parties. Elle doit donc vérifier si une « accusation en matière pénale » ou un droit « de caractère civil » était en jeu.
32.  Afin de déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », la Cour a égard à trois critères : la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » (voir notamment l’arrêt Pierre-Bloch c. France du 21 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, pp. 2224-2226, §§ 53-60).
33.  S’agissant de la qualification en droit interne du retrait immédiat de permis, la Cour constate que selon la Cour de cassation, le retrait immédiat de permis ne ressortit pas à la matière pénale, puisqu’il s’agit d’une « mesure préventive qui a pour but d’écarter de la circulation, pour un temps déterminé, les conducteurs dangereux » (paragraphe 21 ci-dessus). La Cour note aussi que dans ses observations déposées devant la Commission, le requérant lui-même a exposé que la mesure est considérée en droit interne comme une mesure de sécurité et non comme une peine. Il n’est pas revenu sur cette affirmation dans ses mémoire et plaidoirie devant la Cour. La qualification en droit interne n’est cependant pas déterminante aux fins de la Convention, eu égard au sens autonome et matériel qu’il échet d’attribuer aux termes « accusation en matière pénale » (voir par exemple les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A n° 7, pp. 26-27, § 19, et Demicoli c. Malte du 27 août 1991, série A n° 210, pp. 15-16, § 31).
34.  La Cour relève ensuite que le fait que le retrait immédiat soit régi par les lois coordonnées du 16 mars 1968, qui constituent une loi pénale particulière, ne saurait être déterminant. La circonstance qu’une mesure soit prévue par une loi pénale de l’Etat en cause n’implique pas, à elle seule, qu’elle rentre dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention. Cet article n’entre en jeu que lorsqu’une « accusation en matière pénale » est dirigée contre une personne déterminée (arrêts Neumeister c. Autriche du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 43, § 23, et AGOSI c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A n° 108, p. 22, § 65), c’est-à-dire après que celle-ci a reçu une « notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale » (arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A n° 35, p. 24, § 46) ou qu’elle a fait l’objet de « mesures impliquant un tel reproche et entraînant, elles aussi, des « répercussions importantes sur la situation » du suspect » (arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, série A n° 56, p. 18, § 52). Les garanties de procédure édictées à l’article 6 ne trouvent en principe pas à s’appliquer aux diverses mesures préliminaires qui peuvent être prises dans le cadre d’une enquête pénale avant que ne soit portée une « accusation en matière pénale », telles que l’arrestation ou l’audition d’un suspect (arrêts Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294-B, pp. 47-48, § 61, et Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2064, § 67), de telles mesures pouvant toutefois être régies par d’autres dispositions de la Convention, notamment par ses articles 3 et 5 (voir parmi d’autres, arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988, série A n° 145-B, pp. 29-30, § 53).
35.  La Cour observe que selon le droit belge, la mesure de retrait immédiat du 16 juin 1994 est clairement intervenue avant l’inculpation formelle du requérant, le 4 mai 1995 (paragraphes 9 et 13 ci-dessus). La Cour rappelle toutefois que la notion de « peine » contenue à l’article 7 de la Convention comme celle « d’accusation en matière pénale » figurant à l’article 6 § 1 de la Convention possèdent une portée autonome. Dans son analyse, elle n’est pas liée par les qualifications données par le droit interne, celles-ci n’ayant qu’une valeur relative (arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, p. 34, § 81, Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, pp. 17-18, §§ 49-50, Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A n° 307-A, p. 13, § 27, Schmautzer c. Autriche du 23 octobre 1995, série A n° 328-A, p. 13, § 27, et Putz c. Autriche du 22 février 1996, Recueil 1996-I, p. 324, §§ 31 et suiv.). Il y a donc lieu d’examiner si l’application de la mesure litigieuse n’a pas eu pour conséquence que le requérant s’est trouvé de facto sous le coup d’une « accusation en matière pénale », du fait de sa nature et de ses répercussions (arrêt Foti et autres, op. cit.).
36.  En ce qui concerne la nature et la sévérité de la mesure, la Cour rappelle que « selon le sens ordinaire des termes, relèvent en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes » (arrêt Özturk précité, pp. 20-21, § 53), à l’exception de « celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d’exécution ne sauraient causer un préjudice important » (voir, en matière de privation de liberté, l’arrêt Engel et autres précité, pp. 34-35, § 82).
37.  Quant à la nature de la mesure, la Cour constate que l’article 55 des lois coordonnées ne présuppose aucun examen ou constat de culpabilité et que son application est totalement indépendante des poursuites pénales qui pourraient être ultérieurement instituées. Le retrait immédiat apparaît comme une mesure préventive de sécurité routière qui vise à retirer provisoirement de la voie publique un conducteur qui semble présenter un danger potentiel pour les autres usagers. Il doit être mis en parallèle avec la procédure d’octroi du permis, dont le caractère administratif est indubitable et qui vise à s’assurer qu’une personne réunit les capacités et qualifications nécessaires pour circuler sur la voie publique. Le retrait immédiat s’analyse en une mesure de prudence dont le caractère d’urgence justifie son application immédiate et dans laquelle ne transparaît pas le but de punir. La mesure de retrait se distingue de la déchéance du permis de conduire, prononcée par les juridictions répressives à l’issue d’une procédure relative à une accusation en matière pénale. Dans cette hypothèse, le juge pénal apprécie les faits constitutifs de l’infraction pouvant donner lieu à la déchéance du permis, les qualifie et prononce la déchéance pour la durée qu’il considère adaptée, à titre de sanction principale ou complémentaire (arrêt Malige c. France du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, pp. 2935-2936, § 38). Il existe d’ailleurs une différence notable entre la durée maximale pour laquelle la déchéance peut normalement être prononcée et celle du retrait immédiat : cinq ans (et possibilité de déchéance définitive dans certaines circonstances) pour celle-là ; quinze jours (pouvant être portés à quarante-cinq jours dans des circonstances spéciales) pour celui-ci (paragraphes 19 et 23 ci-dessus).
Le fait que, selon l’article 57 des lois coordonnées, la durée du retrait immédiat est imputée sur la durée de la peine de déchéance du permis qui pourra ultérieurement être prononcée (paragraphe 19 ci-dessus) ne paraît pas suffisant pour influer sur l’appréciation de la nature de la mesure.
38.  Quant au degré de sévérité, la Cour rappelle que la mesure de retrait immédiat du permis de conduire est limitée dans le temps, puisqu’elle ne peut excéder quinze jours, sauf circonstance spéciale permettant sa prolongation pour deux nouvelles périodes de quinze jours (paragraphe 19 ci-dessus). L’impact de pareille mesure n’est, par son intensité et sa durée, pas assez important pour autoriser à la qualifier de sanction « pénale ».
En l’espèce, la Cour observe que le retrait n’a pas causé un préjudice notable au requérant, puisque celui-ci a eu la possibilité de récupérer son permis six jours après l’avoir remis aux agents de police et deux jours après en avoir demandé la restitution (paragraphes 10 et 11 ci-dessus).
En outre, si l’article 58 des lois coordonnées prévoit la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement et/ou d’amende en cas de refus de remise du permis (paragraphe 19 ci-dessus), son application implique non seulement un refus d’obtempérer mais aussi l’ouverture d’une procédure pénale distincte de la mesure de retrait (arrêt Ravnsborg c. Suède du 23 mars 1994, série A n° 283-B, pp. 30-31, § 35).
39.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer sous son aspect pénal. Par ailleurs, le requérant n’a présenté aucun élément à l’appui de l’argument selon lequel un droit « de caractère civil » aurait été en cause en l’espèce.
II.  SUR LA VIOLATION ALLéGUéE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
40.  A la fin de son mémoire déposé devant la Cour, le requérant l’a invitée à « Dire pour droit que l’article 6 de la Convention a été violé et, à défaut, que l’article 13 de la Convention a été violé ». Ni dans son mémoire ni dans sa plaidoirie devant la Cour, le requérant n’a fait d’autre référence au grief qu’il tirait de l’article 13. Dans ces conditions et puisqu’aucune question distincte au regard de cette disposition ne semble se poser, la Cour ne voit pas de raison de l’examiner.
Par ces motifs, la Cour
1.  Dit, par quatorze voix contre trois, que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce ;
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 28 octobre 1999.
Elisabeth Palm Présidente
Maud de Boer-Buquicchio   Greffière adjointe
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune à Mme Tulkens, M. Fischbach et M. Casadevall.
E.P.   M.B.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE   À mme tULKENS, M. FISCHBACH et M. CASADEVALL, JUGES
Sans nous prononcer sur le bien-fondé du grief formulé par le requérant et donc sur le point de savoir si l’article 6 de la Convention a ou n’a pas été violé dans l’affaire qui a été soumise à la Cour, nous regrettons de ne pouvoir souscrire, pour les raisons suivantes, à la décision de la majorité selon laquelle « l’article 6 de la Convention ne s’applique pas en l’espèce ». Nous nous limitons à la matière pénale et nous n’abordons pas la question des droits et obligations de caractère civil qui ne nous paraît pas se poser, de manière pertinente, en l’espèce.
1.  L’article 6 de la Convention prévoit un certain nombre de garanties procédurales, parmi lesquelles le droit à un tribunal et à un procès équitable, lorsqu’il s’agit d’une « accusation en matière pénale ». A cet égard, il ressort de plusieurs arrêts de la Cour que si les Etats demeurent souverains pour déterminer la nature juridique des « sanctions » prévues en droit interne, la Cour se réserve le pouvoir de contrôler cette qualification afin d’éviter qu’elle ne conduise à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (voir notamment arrêt Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73, pp. 17-18, § 49). Il en résulte que certaines sanctions qui n’étaient pas qualifiées de peines en droit interne ont pu être considérées comme relevant de la « matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention (arrêt Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A n° 123 ; arrêt Weber c. Suisse du 22 mai 1990, série A n° 177 ; arrêt Demicoli c. Malte du 27 août 1991, série A n° 210). Ces différentes décisions consacrent l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » au regard et dans le contexte de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Depuis l’arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, la Cour utilise trois critères (les indications du droit national, la nature du fait ou de l’infraction, le but et le degré de sévérité de la sanction) qui permettent de déterminer un « degré d’appartenance » d’une mesure à la catégorie des peines ou une « prédominance » des aspects qui « présentent une coloration pénale » (arrêt Bendenoun c. France du 24 février 1994, série A n° 284, p. 20, § 47). Ces critères sont, en outre, alternatifs et non cumulatifs.
Enfin, si comme l’arrêt le constate, « [l]a qualification en droit interne n’est cependant pas déterminante aux fins de la Convention » (paragraphe 33 de l’arrêt), en revanche, la Cour a eu maintes occasions de préciser que sa méthode d’interprétation intervient uniquement lorsque le droit national contient des éléments qui écartent l’application des garanties de l’article 6 : l’autonomie de la matière pénale est une autonomie « à sens unique ». La finalité de l’interprétation autonome est la reconnaissance aux justiciables de garanties procédurales là où les qualifications internes risquent d’affaiblir la portée de la Convention. A partir du moment où il existe dans le droit national suffisamment d’éléments qui permettent de rattacher la mesure litigieuse au domaine pénal, il est paradoxal de prendre « à contre-pied » le droit interne pour écarter l’application de l’article 6 de la Convention.
2.  A cet égard, comme l’observe à juste titre l’arrêt, l’arrêté royal du 16 mars 1968 portant coordination des lois relatives à la circulation routière constitue une « loi pénale particulière » (paragraphe 34). Quant à la mesure de retrait immédiat du permis de conduire, qui fait l’objet du litige, il convient de souligner qu’elle est ordonnée par le procureur du Roi et pour les infractions prévues à l’article 55, premier alinéa (1° à 5°), des lois coordonnées. En outre, si la déchéance du droit de conduire est prononcée à titre temporaire, le temps pendant lequel le permis a été retiré, par application de l’article 55, est imputé sur la durée de la déchéance (article 57, deuxième alinéa).
3.  En l’espèce, le procureur du Roi ordonna, le 16 juin 1994, le retrait immédiat du permis de conduire du  requérant, sur la base de l’article 55, premier alinéa, 1°, des lois coordonnées, en raison « d’un état d’alcoolémie présumé supérieur à 0,8 g/l (gramme par litre de sang), taux maximum autorisé en Belgique au moment des faits » et il cita celui-ci à comparaître devant le tribunal de police le 4 mai 1995. Si, chronologiquement, l’ordre de retrait immédiat du permis de conduire est intervenu avant la citation à comparaître pour répondre, notamment, des préventions de conduite d’un véhicule en état d’ivresse et de conduite d’un véhicule avec une concentration d’alcool d’au moins 0,8 g/l, la mesure ordonnée « impliquait cependant nécessairement un tel reproche » et s’inscrivait, dès lors, dans le cadre d’une « accusation » en matière pénale (arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, série A n° 56, p. 18, § 52). Cette mesure aurait également pu, en raison du fait que sa durée est susceptible d’atteindre quarante-cinq jours (article 56, deuxième alinéa, des lois coordonnées), entraîner des « répercussions importantes sur la situation du suspect », même si, en l’espèce, tel ne semble pas avoir été le cas puisqu’il n’est pas contesté que le permis de conduire a été restitué au requérant, à sa première demande, le 23 juin 1994.
4.  Le retrait immédiat du permis de conduire est certainement une mesure utile qui, sans doute mieux que l’amende ou l’emprisonnement, permet une réaction sociale spécifique et personnalisée en matière de roulage et constitue une réponse aux nécessités, évidentes, de lutter contre l’alcool au volant. Si le retrait du permis de conduire, en application de l’article 55 des lois coordonnées sur la police de la circulation routière, peut à juste titre être qualifié de « mesure préventive qui a pour but d’écarter de la circulation, pour un temps déterminé, les conducteurs dangereux », cette qualification n’exclut pas l’obligation, contenue dans l’article 6 de la Convention, d’entourer la mesure de garanties procédurales propres à en accroître l’efficacité et la légitimité.
1-2.  Note du greffe : entré en vigueur le 1er novembre 1998.
2.  Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT ESCOUBET c. BELGIQUE
arrêt ESCOUBET c. BELGIQUE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE
À Mme tulkens, M. FISCHBACH et m. casadevall, juges
ARRÊT ESCOUBET c. BELGIQUE


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 26780/95
Date de la décision : 28/10/1999
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13

Parties
Demandeurs : ESCOUBET
Défendeurs : BELGIQUE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-10-28;26780.95 ?
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