DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 37477/97
présentée par Filippo MILONE
contre Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 23 mars 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 8 août 1997 par Filippo Milone contre l’Italie et enregistrée le 25 août 1997 sous le n° de dossier 37477/97 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;+
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant italien, né en 1952 et résidant à Milan.
Il est représenté devant la Cour par Me Giovanni Fariello Esposito, avocat au barreau de Naples.
Les faits, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l’affaire
A une date non précisée, le parquet de Turin ouvrit une enquête à l’encontre du requérant et de cinq coprévenus.
Par jugement du 20 juin 1994, le tribunal de Turin condamna le requérant à un an et sept mois d’emprisonnement avec sursis pour abus de fonctions et pour avoir troublé des marchés publics. En outre le tribunal condamna le requérant à payer les dommages-intérêts à la partie civile.
Le requérant interjeta appel.
Par décision du 1er décembre 1995, la cour d’appel de Turin réforma partiellement la décision attaquée en ce qu’elle rejetait certaines demandes de la partie civile. Par ailleurs, elle condamna le requérant à payer les frais de procédure.
Le requérant, les coïnculpés, la partie civile et le Ministère public se pourvurent en cassation. Le requérant faisait valoir l’incompétence territoriale du tribunal de Turin, l’illogisme de la décision de la cour d’appel de Turin et se plaignait d’avoir été condamné à payer les frais de procédure et les frais de la partie civile.
L’audience de discussion fut fixée au 30 avril 1997.
Les 22 et 24 avril 1997, l’association nationale des avocats (Organismo Unitario dell’Avvocatura Unione delle Camere Penali Italiane) et l’association des avocats du Piémont et de la Vallée d’Aoste avaient respectivement annoncé une grève collective pour les 5, 6, 7, 8 et 9 mai 1997.
A l’audience du 30 avril 1997, l’avocat du requérant participa à la discussion. L’audience suivante pour la reprise de la discussion fut fixée au 5 mai 1997.
Le 5 mai 1997, le défenseur du requérant ne se présenta pas à l’audience. L’avocat d’un coïnculpé informa la Cour d’avoir reçu un fax de celui-ci par lequel il annonçait ne pas pouvoir assister à l’audience puisqu’il participait à la grève et demandait un renvoi d’audience.
La Cour de cassation décida de ne pas faire droit à la demande de renvoi d’audience, celle-ci n’ayant pas été introduite dans les formes : l’avocat du requérant n’avait pas adressé directement à la Cour la déclaration de participation à la grève, n’avait pas formellement délégué son confrère pour transmettre cette déclaration à la Cour et n’avait pas désigné le confrère comme remplaçant. En outre, la demande était tardive, puisqu’à l’audience du 30 avril il n’avait pas informé la Cour de son intention de participer à la grève bien qu’à cette date la grève collective du 5 mai fût déjà annoncée. Par ailleurs, la Cour considéra que, s’agissant d’une grève du barreau piémontais et non d’une grève nationale, il aurait été possible de reporter l’audience seulement d’une heure.
Il ressort du procès-verbal de l’audience que tout de suite après avoir décidé ne pas accorder de renvoi, la Cour de cassation mit l’affaire en délibéré.
Par arrêt du 5 mai 1997, la Cour de cassation accueillit le recours du requérant sur le point relatif aux frais de procédure. Elle rejeta le recours pour le surplus.
B. Droit interne pertinent
Aux termes des articles 613 et 614 du code de procédure pénale, les parties privées ne peuvent comparaître devant la Cour de cassation que par leurs défenseurs, inscrits au tableau spécial de la Cour.
L’article 614 dispose qu’à l’audience devant la Cour de cassation s’appliquent, dans la mesure du possible, les dispositions prévues pour les débats en première et deuxième instance.
Aux termes de l’article 486 § 5 du code de procédure pénale, le juge renvoie les débats à une date ultérieure lorsque l’avocat désigné par l’accusé est absent pour empêchement légitime et si celui-ci en a informé le juge sans délai. Cette disposition ne trouve pas à s’appliquer lorsque l’avocat empêché de participer à l’audience a désigné un remplaçant, au sens de l’article 102 du code de procédure pénale.
GRIEF
Le requérant se plaint du caractère inéquitable de la procédure devant la Cour de cassation au motif que le renvoi d’audience sollicité par son avocat n’a pas été accordé et que l’audience du 5 mai 1997 s’est déroulée en l’absence de ce dernier. Le requérant s’en prend au fait que la demande de renvoi d’audience ait été considérée comme tardive, puisque la grève collective des avocats avait été annoncée tant sur le plan national que sur le plan régional plusieurs jours à l’avance. Le requérant allègue la violation de son droit à une défense effective, tel que garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention.
EN DROIT
Le requérant se plaint de ce que la Cour de cassation n’a pas accordé de renvoi d’audience le 5 mai 1997 et a procédé en l’absence de son défenseur. Il allègue la violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention.
L’article 6 de la Convention dispose notamment :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
3. Tout accusé a droit notamment à :
c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...) ».
La Cour considère qu’en appel et en cassation, les modalités d’application des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit ; on doit prendre en compte l’ensemble des instances suivies dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction supérieure en cause (arrêts Monnell et Morris c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A n° 115, p. 22, § 56 ; Jan-Ake Andersson c. Suède du 29 octobre 1991, série A n° 212-B, pp. 43-44, § 22).
A cet égard, la Cour note que la Cour de cassation italienne était appelée à se prononcer sur des points de droit. Le conseil du requérant a pu développer ses moyens par écrit et a participé à l’audience de discussion du 30 avril 1997. A cette date, l’audience a été ajournée au 5 mai 1997.
Le 5 mai 1997, l’avocat d’un coïnculpé a remis à la Cour de cassation un fax qui lui avait été envoyé par le conseil du requérant. Celui-ci déclarait ne pas pouvoir participer à l’audience puisqu’il participait à la grève des avocats et demandait un report d’audience.
La Cour reconnaît la valeur de la discussion orale devant la Cour de cassation, compte tenu de ce que les parties privées ne peuvent comparaître que par leur défenseurs. Elle rappelle qu’au cours de l’audience d’examen d’un pourvoi en cassation, les intérêts de la justice exigent en principe la présence d’un avocat, dans le but d’assurer une protection effective des droits de la défense qui se réalise lorsque la défense de l’accusé a pu être présentée aux juges de manière adéquate (Comm. Eur. DH, requête No 8821/79, Biondo c. Italie, rapport du 8.12.83, DR 64, pp. 12-13 ; arrêt Tripodi c. Italie du 22 février 1994, série A n° 281-B, p. 46, § 30)
Elle constate en premier lieu qu’il ressort du procès-verbal de l’audience du 5 mai 1997 que la Cour de cassation, tout de suite après avoir décidé ne pas reporter l’audience, a procédé aux délibérations à huis clos. Il n’y a donc pas eu de reprise de la discussion.
La Cour constate ensuite que l’avocat du requérant, bien que se sachant empêché de se rendre à l’audience fixée au 5 mai 1997, demeura inactif. Or il ne pouvait ignorer les dispositions légales en matière de renvoi. Au moins à partir du 30 avril 1997, il aurait dû informer la Cour de son intention de participer à la grève des avocats, intention que l’on ne saurait déduire de l’annonce d’une grève collective, puisque cette dernière n’entraîne pas l’obligation pour les individus d’y participer. Il aurait pu aussi s’efforcer de se faire remplacer le 5 mai 1997.
Dans ces conditions, la Cour ne saurait imputer à l’Etat la responsabilité d’une défaillance de l’avocat choisi par l’accusé (arrêt Tripodi précité, p. 46, § 30).
Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
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