DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 37425/97
présentée par M. E.
contre la Suisse
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 16 mars 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. L. Wildhaber,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 30 juillet 1997 par M. E. contre la Suisse et enregistrée le 22 août 1997 sous le n° de dossier 37425/97 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, ressortissant turc né en 1957, manœuvre, est détenu en Suisse. Il est représenté devant la Cour par Maître Jean Lob, avocat au barreau de Lausanne.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 6 juillet 1992, A. fut tué par M. à Palézieux. Arrêté et placé en détention provisoire le même jour, M. affirma d’abord avoir agi seul puis, le 6 novembre 1992, au cours d'une audience d’instruction, il mit en cause le requérant, I. et N. ; à compter de cette date, il déclara avoir été poussé à tuer A. par ces derniers.
I. et N. sont les frères du requérant ; M. est leur cousin éloigné.
Le requérant, I. et N. furent arrêtés et placés en détention provisoire jusqu’au printemps 1994. Selon eux, M. avait agi seul et de sa propre initiative, leur cachant ses intentions d’homicide.
Au cours de l’instruction, il fut notamment établi que le requérant et ses frères étaient en très mauvais termes depuis longtemps avec A. et sa famille ; que M. avait été logé par le requérant durant les semaines ayant précédé le crime, qu’il avait durant cette période été entraîné au tir et s’était rendu à Palézieux en compagnie de I. et de N. ; que lors d’une conversation téléphonique le 14 novembre 1992, le requérant avait déclaré à son interlocutrice en Turquie (traduction) « Il faut que je te dise clairement la vérité. Le bonhomme est mort à cause de nous. C’est clair et net. En tout cas, celui qui est détenu, c’est à cause de nous. »
Par ailleurs, M. fut soumis à une expertise psychiatrique. Aux termes du rapport déposé le 3 juin 1994 par le docteur C., M. présentait un développement mental incomplet, souffrait de graves troubles psychiques et pouvait être « très facilement manipulé par ceux dont il dépendait » ; cet expert estima en outre que les déclarations de M. selon lesquelles il avait tué A. sous la pression du requérant et de ses frères, étaient crédibles.
Le 2 mai 1995, le requérant, M., I. et N. furent renvoyés en jugement devant le tribunal pénal d'Oron. Les débats eurent lieu du 11 au 15 décembre 1995. Les accusés se présentèrent assistés de leur avocat. Au cours de ces audiences, parmi d’autres actes d’instruction, le tribunal se déplaça à Palézieux aux fins de procéder à la reconstitution des faits ; de nombreux témoins, l’expert C. et le docteur G., médecin responsable de l’unité de psychiatrie en milieu pénitentiaire ayant pris en charge M., furent entendus ; le requérant produisit une lettre de M. datée du 9 juillet 1995 dans laquelle celui-ci déclarait (traduction) « Veuillez me pardonner pour la faute commise. Je ne comprends pas comment j’ai pu faire une telle chose. Je vous demande sincèrement pardon. »
L’instruction fut clôturée le 15 décembre 1995. A l’issue de son réquisitoire, eu égard à la gravité des peines requises, le ministère public sollicita l’arrestation immédiate du requérant et de ses frères. Les parties furent entendues et le tribunal, après s’être réuni à huis clos pour statuer sur cette demande incidente, ordonna l'arrestation de ces derniers, motif pris du risque de fuite important à ce stade de la procédure, de lourdes peines ayant été requises et les intéressés n’ayant que de faibles liens avec la Suisse.
Par jugement du 20 décembre 1995, le tribunal pénal d’Oron condamna le requérant, I., N. et M. respectivement à quatorze, douze, dix et huit ans de réclusion ainsi qu’à quinze ans d’expulsion du territoire suisse pour assassinat. En particulier, les juges estimèrent que les déclarations de M. selon lesquelles il avait tué A. sur l’ordre du requérant et de ses frères, étaient crédibles ; à cet égard, ils relevèrent notamment que selon l’avis unanime des deux psychiatres entendus lors des débats, ses capacités d’imaginer et de mentir étaient « singulièrement restreintes », d’une part, et que nombre de ses allégations avaient pu être vérifiées et corroborées lors des enquêtes, d’autre part. Ils observèrent également que les mobiles du requérant de vouloir la mort de A., à savoir un ressentiment personnel violent depuis une bagarre qui avait opposé les deux hommes en sus d’une haine clanique ancestrale, étaient puissants. Enfin, ils soulignèrent que les enregistrements des conversations téléphoniques du requérant et de ses frères avaient révélé de nombreuses contradictions avec les thèses qu'ils soutenaient.
Le requérant recourut contre ce jugement devant la cour de cassation du canton de Vaud (ci-après la cour de cassation). Il se plaignit notamment de n’avoir pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial, son arrestation immédiate le 15 décembre 1995 supposant un contact préalable entre le ministère public et le président du tribunal pénal d’Oron. Il reprocha en outre aux premiers juges de n’avoir pas tenu compte de la lettre de M. qu’il avait produite aux débats, dans laquelle ce dernier exprimait ses regrets et ses excuses.
Invité par le président de la cour de cassation à présenter ses observations écrites sur les circonstances de l'arrestation du requérant le 15 décembre 1995, le président du tribunal pénal d’Oron, par lettre du 20 mai 1996, se détermina comme suit :
« (…) L’audience de jugement s’est déroulée du lundi 11 décembre au vendredi 15 décembre 1995 (…)
En cours de semaine (…), le ministère public, hors la présence des juges, des jurés et des différents avocats, m’a brièvement abordé pour m’informer de son intention de demander l’arrestation immédiate (du requérant et de ses deux frères), compte tenu en particulier des peines qu’il envisageait de requérir, sans en préciser toutefois la quotité. Nous n’en avons pas discuté.
Ayant personnellement et antérieurement à cette information envisagé l’hypothèse d’une éventuelle arrestation, j’ai, après réflexion, décidé de réserver cette possibilité, mais de ne pas en faire part aux membres de la cour, de façon à ne les influencer d’aucune manière, notamment les jurés.
L’arrestation éventuelle d’accusés en cours de débats exigeant un minimum de discrétion et certaines mesures d’organisation, j’ai pris contact le jeudi en fin de journée avec le chef du poste de gendarmerie d’Oron pour le prier de prendre les dispositions nécessaires à une éventuelle arrestation de trois accusés durant la journée du lendemain. Cette mesure était indispensable dès lors que les effectifs du poste d’Oron sont modestes et que des hommes supplémentaires devaient être convoqués d’autres postes de la région (…)
Le vendredi matin, le chef de poste m’a confirmé qu’il se tenait prêt (…). Avant le début de l’audience, j’ai informé mon seul huissier des mesures prises. Je lui ai donné pour instruction de faire venir discrètement les gendarmes durant le réquisitoire du ministère public, ceci à toutes fins utiles.
Aussitôt après la clôture de l’instruction, il a été passé aux plaidoiries. (Maître G.) a plaidé ; puis Madame la représentante du ministère public a prononcé son réquisitoire, à l’issue duquel elle a demandé, par voie incidente, l’arrestation immédiate des accusés (…) eu égard à l’importance des peines requises. Après que les diverses parties aient plaidé l’incident, j’ai suspendu l’audience. Conformément à mes instructions, des gendarmes présents à la sortie de la salle d’audience ont conduit les trois intéressés dans une salle sous contrôle.
Le tribunal est entré en délibération. C’est à ce moment-là, pour la première fois, qu’il a été question de discuter, au sein de la cour, d’une arrestation éventuelle. Quant à la présence des gendarmes, je me suis borné à indiquer aux juges et jurés que j’avais pris les dispositions nécessaires. A l’issue de sa délibération, le tribunal a décidé qu’une arrestation immédiate se justifiait pour les motifs indiqués au procès-verbal (…).
En résumé, je confirme avoir envisagé, à certains stades de l’instruction, l’arrestation immédiate (du requérant et de ses frères), mais n’avoir pas estimé nécessaire de l’ordonner avant d’avoir eu connaissance des peines requises par l’accusation. Je confirme également avoir été informé par le ministère public de son intention de requérir une telle arrestation. Je confirme enfin n’avoir jamais abordé ce sujet avec les membres de la cour avant la délibération sur cet incident.
Je relève une fois encore qu’une arrestation immédiate exige une certaine organisation, en particulier dans un tribunal de province, ainsi qu’une certaine discrétion. En ma qualité de président de la cour criminelle, j’ai pris les dispositions pratiques que j’estimais seul nécessaires ; quant au tribunal, il a pris sa décision souverainement, sans avoir préalablement subi la moindre influence (…) »
Par ailleurs, considérant que le contenu de la lettre de M. datée du 9 juillet 1995 pouvait être décisif pour l’issue du procès, la cour de cassation en ordonna la traduction littérale ; elle fixa en outre une audience d'instruction aux fins d’entendre M. sur les conditions de rédaction de ce document et son sens.
Cette audience eut lieu le 21 juin 1996. La demande du requérant visant à être confronté à M. fut écartée, aux motifs notamment que son droit d’être entendu était assuré par la présence de son avocat, la possibilité de déposer par la suite des observations écrites et la faculté de plaider devant la cour de cassation.
Au cours de l’audience, devant la cour de cassation in corpore, M. déclara qu’il avait écrit la lettre à la demande du requérant, lequel lui en avait dicté le contenu, et que depuis lors, il avait eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises le requérant, qui avait insisté pour qu’il dise qu'il avait rédigé la lettre de son propre chef. Le défenseur du requérant eut la possibilité d’interroger M.
Le procès-verbal de l’audition de M. fut communiqué au requérant. Invité à présenter ses observations écrites, le requérant soutint que M., dans sa lettre, était revenu sur les accusations qu’il avait portées à son encontre ; il contesta en outre formellement être intervenu auprès de M. pour obtenir la rédaction du document en question.
Le 16 juillet 1996, la cour de cassation invita les parties à faire savoir si elles sollicitaient leur audition ou désiraient plaider, conformément à l’article 438 § 2 du Code de procédure pénale du canton de Vaud. Aucune des parties n’ayant requis l’application de cette disposition, elle indiqua, le 3 septembre 1996, qu’elle statuerait sans audience.
Par jugement du 11 septembre 1996, la cour de cassation rejeta le recours du requérant. En particulier, elle estima que le contact entre la représentante du ministère public et le président du tribunal pénal d’Oron, qui avait eu pour seul objet la transmission d’une information anticipée relative à la demande d’arrestation immédiate du requérant et de ses frères à l’issue du réquisitoire, ne révélait aucune « prévention indue » de ce magistrat à l'égard de ces derniers. Ayant en outre acquis la conviction que la lettre du 9 juillet 1995 ne traduisait pas les intentions de M. mais lui avait été inspirée par le requérant aux fins de se disculper, elle considéra que le fait que les juges de première instance n’aient pas mentionné ce document était sans portée.
Par arrêt du 20 juin 1997, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public formé contre ce jugement par le requérant, assisté de son avocat. En particulier, il releva que le comportement du président du tribunal pénal d’Oron, en l’occurrence prévoir les mesures nécessaires à l’exécution d’une éventuelle décision d’arrestation immédiate des accusés, ne suffisait pas à susciter un doute quant à l’impartialité de ce magistrat ; qu’au contraire, en raison des lourdes peines encourues, du risque de fuite et de l’insuffisance de l’effectif des gendarmes du poste local, les devoirs de sa charge lui imposaient de prendre de telles dispositions ; qu’il avait certes décidé ces mesures après avoir été informé par le ministère public de son intention de requérir l’arrestation immédiate des accusés mais qu’il était établi qu’il n'y avait pas eu de discussion entre eux ; que l’intérêt public à éviter tout risque de fuite commandait de ne pas aviser les accusés et leurs défenseurs des mesures de sécurité prises ; que les membres du tribunal n’avaient pu être influencés, le président ne s’étant entretenu avec aucun d’eux d’une éventuelle arrestation des accusés ni des dispositions prises avant l'audience ; qu’au demeurant, la décision d'arrestation appartenait au tribunal in corpore. Dans ces circonstances, il estima que le grief du requérant relatif au droit à un tribunal indépendant et impartial était mal fondé.
Quant au refus opposé à la demande de comparution personnelle du requérant à l'audience d'instruction du 21 juin 1996, le Tribunal fédéral rappela que si le droit d’être entendu comportait notamment celui d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge ou à décharge, il était toutefois suffisant que l'accusé pût exercer ce droit « au moins une fois durant la procédure », et jugea qu’en l’espèce cette garantie n’avait pas été méconnue. A cet égard, il releva notamment que le requérant avait été confronté à M. lors des débats devant le tribunal pénal d’Oron, que l’audience du 21 juin 1996 avait pour seul but de déterminer le sens de la lettre que M. avait rédigée le 9 juillet 1995 puis remise au requérant alors qu’ils étaient détenus dans le même établissement pénitentiaire, que le représentant du requérant avait pris part à cette audience, que le requérant avait par la suite reçu le procès-verbal de l’audience et s'était déterminé par écrit sur les déclarations de M., enfin qu’il avait renoncé à la faculté d'être entendu et de plaider devant la cour de cassation.
GRIEFS
Invoquant l'article 6 §§ 1, 3 c) et d) de la Convention, le requérant se plaint du refus opposé à sa demande de comparution personnelle à l’audience d’instruction du 21 juin 1996. A cet égard, il allègue avoir été condamné essentiellement sur la base du témoignage de M. ; or il n’a pas été en mesure d’assister à son audition par la cour de cassation.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint en outre de ce que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal impartial. A cet égard, il allègue qu’en acceptant d’avoir un contact avec le ministère public, hors la présence de la défense, avant la clôture de l’instruction le 15 décembre 1995, le président du tribunal pénal d’Oron a eu un comportement de nature à créer un doute sérieux quant à son impartialité.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de n’avoir pas pu assister à l’audition d’un témoin essentiel, en l’occurrence M., par la cour de cassation le 21 juin 1996. Il allègue que le refus opposé à sa demande de comparution personnelle a méconnu l'article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien–fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (…) ;
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
La Cour rappelle d’abord que les garanties du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers de la notion générale de procès équitable contenue dans le paragraphe 1 de cette disposition (Cour eur. D.H., arrêt Doorson c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, n° 6, p. 469, § 66). Elle examinera donc la requête sous l’angle de ces deux dispositions conjointement.
Elle rappelle ensuite que la recevabilité des preuves relève au premier chef du droit interne et que sa tâche consiste dès lors seulement à rechercher si la procédure examinée dans son ensemble présente un caractère équitable. A cet égard, elle souligne que si les éléments de preuve doivent en règle générale être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire, il n'est toutefois pas nécessaire que toutes les déclarations des témoins se fassent dans le prétoire et en public. En règle générale, les droits de la défense commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (Cour eur. D.H., arrêts Doorson précité, p. 470, § 67 et Asch c. Autriche du 26 avril 1991, série A n° 203, p. 10, §§ 26 et 27).
En l'espèce, la Cour relève que le requérant, assisté de l’avocat de son choix à tous les stades de la procédure, a été en mesure de faire valoir très largement ses arguments et moyens de défense devant trois juridictions successivement, lesquelles ont rendu des décisions motivées et dénuées d’arbitraire. Elle souligne également que le requérant a été confronté à M. lors des débats devant le tribunal pénal d’Oron et qu’il a alors été en mesure de l’interpeller sur la lettre datée du 9 juillet 1995. Elle note en outre que la cour de cassation a décidé d’entendre M. dans le seul but de clarifier le sens du courrier litigieux, les premiers juges ne s’étant pas prononcés sur ce point dans leur jugement, que cette audition a eu lieu en présence du défenseur du requérant, lequel a interrogé M., et que le requérant s'est ensuite déterminé par écrit, sur la base du procès-verbal, sur les déclarations de ce dernier. Dans ces circonstances, elle estime que le refus opposé à la demande de comparution personnelle du requérant lors de l’audience du 21 juin 1996 n’a pas méconnu ses droits de la défense ni rendu le procès inéquitable.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
2. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint aussi de ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial. A cet égard, il allègue que l’échange intervenu entre le ministère public et le président du tribunal pénal d’Oron avant la clôture de l’instruction le 15 décembre 1995 concernant son arrestation immédiate est de nature à créer un doute sérieux quant à l’impartialité de ce magistrat.
La Cour rappelle que lorsqu'il échet de déterminer l'impartialité d'un tribunal au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, « il faut tenir compte non seulement de la conviction et du comportement personnels du juge en telle occasion - ce qui est une démarche subjective -, mais aussi rechercher si ce tribunal offrait objectivement des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » (Cour eur. D.H. arrêt Thomann c. Suisse du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, n° 11, p. 815, § 30).
S'agissant de l’aspect subjectif, la Cour rappelle que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Cour eur. D.H. arrêt Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 21, § 47). Au demeurant, elle relève qu’en l'espèce, le requérant ne fait état d'aucun préjugé personnel qu'aurait nourri le président du tribunal pénal d’Oron à son égard.
Reste donc l’appréciation objective, laquelle « consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables et notamment aux prévenus. Doit donc se récuser tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité. Pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter chez un juge un défaut d’impartialité, l’optique de l’accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées » (Cour eur. D.H. arrêt Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, à paraître dans Recueil des arrêts et décisions, § 45).
En l'espèce, la Cour relève que la crainte d’un manque d’impartialité du président du tribunal pénal d’Oron découlait d’un contact qu’il avait eu avec le ministère public avant le prononcé du jugement de condamnation. Pareille situation peut susciter chez le prévenu des doutes quant à l’impartialité du magistrat ; toutefois, la réponse à la question de savoir si ces derniers peuvent être considérés comme objectivement justifiés varie suivant les circonstances de la cause. A cet égard, elle observe qu’au cours du contact litigieux, le président du tribunal pénal d’Oron fut uniquement avisé par le ministère public de son intention de requérir l'arrestation immédiate du requérant et de ses deux frères à l’issue de son réquisitoire, qu’il n'a pas transmis aux autres membres du tribunal l’information reçue et que le fond de l’affaire n’a pas été discuté. Elle note également que les circonstances imposaient d’organiser à l’avance les mesures nécessitées par l’arrestation immédiate éventuelle de trois accusés. Enfin, elle souligne que tant la décision de l'arrestation immédiate que celle de la culpabilité du requérant n’appartenaient pas au seul président, mais au tribunal in corpore. Dans ces conditions, elle estime que les craintes du requérant concernant l’impartialité du président du tribunal pénal d’Oron ne sauraient passer pour objectivement justifiées.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit aussi être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier PrésidentNote
On met aussi “Président(e)” si la présidence n’est pas exercée par le président de section (vice-président de section ou juge ayant préséance).
37425/97 - -
- - 37425/97