DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 35209/97
présentée par Mohamed SLIMANE KAID
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 16 mars 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 31 octobre 1996 par Mohamed SLIMANE KAID contre la France et enregistrée le 7 mars 1999 sous le n° de dossier 35209/97 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité française, est né en Algérie en 1941 et réside actuellement à Elancourt. Devant la Cour, il est représenté par Maître Francis TISSOT, avocat au barreau de Paris.
Les faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
A. Circonstances particulières de l’espèce
Le requérant occupait, en 1984, les fonctions de président-directeur général de la société PROVEX et de directeur technique de la société anonyme SERVEC S.A.
A la suite de l’ouverture d’une procédure de vérification approfondie de la situation fiscale des sociétés précités pour les exercices 1981 à 1984 inclus, l'administration fiscale engagea une procédure de vérification approfondie de la situation personnelle du requérant, dont il fut informé par avis daté du 1er octobre 1985. Le requérant dit ne pas en avoir été informé de cet avis et conteste avoir signé l'accusé de réception de cet avis en date du 10 octobre 1985.
Le 8 novembre 1985, l'administration fiscale demanda au requérant des justificatifs de sa déclaration de revenus de 1981, précisant qu'une taxation d'office sanctionnait une réponse tardive ou incomplète. Le requérant dit n'avoir jamais reçu cette lettre.
L’administration fiscale notifia au requérant deux redressements fiscaux le 16 décembre 1985 pour l'année 1981 et le 14 avril 1986 pour les années 1982, 1983 et 1984, selon la procédure de taxation d'office, faute de réponse à la demande de justificatifs pour le premier redressement et faute de production de la déclaration de revenus pour le second malgré l'envoi d'une mise en demeure le 12 décembre 1985.
Le requérant affirme ne pas avoir réceptionné ces deux notifications.
Les documents comptables des sociétés, qui avaient entre-temps déposé leur bilan, étant détenus par différents syndics et par le juge d'instruction de Chartres, le requérant ne put répondre aux notifications de redressements ni aux différentes lettres recommandée avec accusé de réception.
Des avis d'imposition furent établis par l'administration fiscale sur la base de ces notifications.
Par lettre en date du 7 mai 1986, l'administration fiscale avisa le requérant qu'il serait fait application des pénalités de mauvaise foi (article 1729-1 du Code général des impôts) en raison de l'importance des droits éludés et de la nature de l'infraction commise.
Les sommes dues au titre des redressements, soit 8.338.764 F., et des pénalités y afférentes, soit 2.169.631 F., furent mises en recouvrement le 31 août 1986.
Par réclamation du 22 octobre 1986 adressée au Centre des Impôts de Chartres, le requérant contesta les redressements et pénalités mises à sa charge sans assortir sa demande de l'exposé des faits, moyens et conclusions. Sa réclamation fut rejetée, le 31 décembre 1987, par décision du directeur régional des impôts.
Par une requête introductive d'instance enregistrée le 14 mars 1988 au tribunal administratif d'Orléans, le requérant demanda l’annulation de cette décision.
Par jugement du 12 décembre 1991, le tribunal administratif déchargea le requérant des droits et pénalités sur le revenu rappelés au titre de l'année 1981 et réduisit les droits et pénalités sur les revenus rappelés au titre des années 1982, 1983 et 1984.
Le ministre du Budget interjeta appel devant la cour administrative d'appel de Nantes. Dans ses conclusions d’appel, l'administration fiscale changea la base légale des impositions litigieuses, qu'elle rattacha, non plus à la perception de bénéfices non commerciaux, mais à celle de revenus d'origine indéterminée. Le requérant sollicita, pour sa part, une mesure d’expertise pour obtenir communication des pièces justificatives des revenus en cause.
Dans deux mémoires en réplique des 18 février et 9 décembre 1993, le requérant présenta ses observations en réponse, pièces à l’appui, à la demande de substitution de qualification formulée par l’administration fiscale dans ses conclusions d’appel.
Par arrêt du 13 avril 1994, la cour administrative d'appel remit à la charge du requérant les droits et pénalités auxquels il avait été assujetti au titre des années 1982, 1983 et 1984 à raison notamment de bases correspondant à des « revenus d’origine indéterminée ». La cour procéda à une substitution de qualification de revenus d’origine non expliquée, après avoir examiné les justifications apportées par le requérant sur ces mêmes revenus. La cour s’exprima comme suit :
« (...) les sommes dont l’origine n’a pas été expliquée et dont le tribunal a prononcé la déduction des bases d’imposition ont été soumises à l’impôt sur le revenu par voie de taxation d’office sur le fondement de l’article L 66-1 du livre des procédures fiscales pour défaut de déclaration d’ensemble de revenus ; que l’administration est en droit à tout moment de la procédure de demander qu’à la qualification primitive de bénéfices non commerciaux soit substituée celle de revenus d’origine non précisée (...). »
Pour rejeter la demande d’expertise, la cour s’exprima comme suit :
« (...) l’administration a regardé comme revenu distribué (...) l’avantage en nature consistant en la location à des fins privées par la société Servec d’une maison (...) ; que M. Slimane Kaid, par décision du conseil d’administration de la société du 15 juin 1983 et l’attestation du 10 mars 1987 établie par l’un de ses administrateurs, ne démontre pas que la maison dont s’agit avait été prise à des fins exclusivement professionnelles (...) qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de prescrire la mesure d’expertise sollicitée, d’une part, que le ministre du Budget est fondé à demander les sommes (...). »
Le 13 juin 1994, le requérant forma un pourvoi devant le Conseil d'Etat.
A l’audience publique du 16 janvier 1996, le conseiller rapporteur fut entendu en son rapport, puis l’avocat du requérant en ses observations et le commissaire du Gouvernement en ses conclusions.
Par arrêt du 6 juin 1996, rendu en la formation de la commission d’admission des pourvois en cassation, le Conseil d’Etat décida de ne pas admettre la requête. Il s’exprima en ces termes :
« considérant que, pour demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque, M. SLIMANE-KAID soutient que la procédure de vérification a été irrégulière ; qu’il n’a pas reçu l’avis préalable à cette vérification, ni la notification des redressements ; qu’il a apporté la preuve qu’il n’est pas le signataire des accusés de réception ; qu’il n’a pas à prouver l’identité du véritable signataire ; que la cour ne pouvait mettre à sa charge une preuve impossible à apporter ; que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’applique au présent litige ; que le caractère équitable du procès a été méconnu dès lors que, l’administration ayant substitué en appel la base légale justifiant l’imposition, il a été privé du bénéfice du double degré de juridiction ; qu’il n’a pas eu accès aux pièces nécessaires à sa défense ; que le caractère équitable du procès a été également méconnu en raison du refus de la cour de recourir à une mesure d’instruction complémentaire et de désigner un expert judiciaire ; que la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier ;
considérant qu’aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission de la requête ; (...) »
B. Droit et pratique internes pertinents
Article 1729-1 du Code Général des Impôts
« Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40% si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80% s'il s'est rendu coupable de manœuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L 64 du Livre des Procédures Fiscales ».
Aux termes de l’article 28 du décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat, les auditeurs et les maîtres de requêtes du Conseil d’Etat peuvent occuper les fonctions de rapporteur et de commissaire du Gouvernement.
Rôle du conseiller rapporteur devant le Conseil d’Etat
Selon le décret précité, une fois en état d’être jugée, l’affaire est attribuée à un rapporteur qui fait partie de la formation de jugement.
« Le rapporteur a pour mission d’examiner la requête, de proposer le plan d’instruction de l’affaire et, une fois celui-ci exécuté, d’étudier le dossier et de rédiger les visas. Il établit un rapport dans lequel il examine tous les problèmes posés et propose des solutions qu’il justifie par des considérations de fait et de droit. Il rédige un projet d’arrêt (...) qui constitue un document de travail pour la formation de jugement. » (C. Debbasch et J.-C. Ricci, Contentieux administratif, 6è édition).
Rôle du commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat
Le commissaire du Gouvernement a pour mission, selon les termes employés par le Conseil d'Etat (10 juillet 1957, Gervaise, Rec. Lebon, p. 466) :
« d'exposer au conseil les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction ».
Le commissaire du Gouvernement prononce obligatoirement ses conclusions, qui doivent être motivées, sans pouvoir s’en remettre à la sagesse de la juridiction. Il assiste au délibéré de l’affaire, mais il ne vote pas et, en principe, ne parle pas.
« L’usage s’est instauré que le commissaire du Gouvernement, s’il doit scrupuleusement s’abstenir d’opiner au délibéré en y mêlant sa voix, peut néanmoins y assister pour le cas où ses collègues auraient des éclaircissements à lui demander sur le sens de ses conclusions » (R. Guillien « Les commissaires du Gouvernement près les juridictions administratives et spécialement près le Conseil d’Etat français », Revue de Droit Public (R.D.P.) 1955, p. 281).
Les parties au litige ne prennent pas la parole après le commissaire du Gouvernement. En revanche, elles peuvent, même si elles ne sont pas représentées par un avocat, exprimer un ultime point de vue dans une note en délibéré, qui est lue par le rapporteur avant qu’il ne lise le projet d’arrêt, et que ne s’ouvre la discussion.
Règles particulières au pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat
Article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif
« (...) Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux. »
Article 57-6 du décret n° 88-905 du 2 septembre 1988
« Les séances de la commission [d’admission des pourvois en cassation] sont publiques. Le requérant ou son mandataire est averti du jour de la séance. Les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sont admis à présenter des observations orales. L’un des commissaires du Gouvernement près l’assemblée du contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d’Etat donne ses conclusions sur chaque affaire. »
GRIEFS
1. Le requérant allègue la violation du droit à une procédure contradictoire et équitable dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 de la Convention. Il se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance des conclusions du commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat et qu’il n’a pu y répliquer à l’audience par la voix de son avocat dans le cadre d’une audience publique de plaidoirie, ainsi que de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.
Le requérant se plaint que sa cause n’a pas été examinée dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
2. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance du rapport du conseiller rapporteur avant l’audience devant le Conseil d’Etat et qu’il n’a pu y répondre par la voix de son avocat dans le cadre d’une audience publique de plaidoirie. Il invoque la violation du droit à une procédure contradictoire et équitable dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 de la Convention.
3. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès aux pièces nécessaires à sa défense (pièces susceptibles de justifier l’origine des revenus taxés d’office) et du refus de nommer un expert en vue d’une instruction complémentaire. De même, en décidant qu’il « n’aurait pas apporté les preuves suffisantes concernant l’origine des sommes qu’il a perçues », la cour administrative d’appel aurait entâché son arrêt d’une dénaturation manifeste des pièces du dossier. Il se plaint également de l’arrêt du Conseil d’Etat en ce qu’il a entériné la motivation de l’arrêt d’appel. Pour ces raisons, il estime ne pas avoir été jugé par un « tribunal impartial » dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 § 1 et de la violation des droits de la défense garantis aux articles 6 § 3 a, b et d de la Convention ainsi que de l’article 7.
4. Il se plaint également de la violation du droit à un procès équitable dans la mesure où l’administration fiscale a changé le fondement de sa réclamation en cause d’appel. A ce stade de la procédure, en effet, suite à la demande du ministre du Budget, la cour a substitué la qualification des poursuites en retenant la taxation au titre de revenus d’origine non précisés. Le requérant estime avoir été privé du bénéfice du double degré de juridiction puisqu’il a été mis dans l’impossibilité matérielle de pouvoir s’expliquer devant les premiers juges sur des revenus considérés en appel comme d’origine indéterminée.
5. Le requérant affirme ne pas avoir reçu l’avis préalable de vérification et la notification des redressements fiscaux. Il en déduit une violation de l’article 6 § 3 a de la Convention. Il se plaint que la cour administrative d’appel a indûment mis à sa charge la preuve de la non-réception de ces actes en l’obligeant à produire l’identité des véritables signataires des accusés de réception. Or il estime cette preuve impossible à rapporter. Il allègue la violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 et l’article 7 de la Convention.
6. Il invoque enfin la violation de l’article 1er du Protocole N° 1 à la Convention du fait de l’arrêt de rejet du le Conseil d’Etat qui permet à « l’Etat français de prendre possession de tous ses biens. »
EN DROIT
1. Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Il allègue la violation du droit à une procédure contradictoire et équitable dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 de la Convention. Il se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance des conclusions du commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat et qu’il n’a pu y répliquer à l’audience par la voix de son avocat dans le cadre d’une audience publique de plaidoirie, ainsi que de la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.
Il se plaint également que sa cause n’a pas été examinée dans un délai raisonnable.
La Cour considère qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur en application de l'article 54 § 3 b) de son Règlement intérieur.
2. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance du rapport du conseiller rapporteur avant l’audience devant le Conseil d’Etat et de n’avoir pu y répondre par la voix de son avocat dans le cadre d’une audience publique de plaidoirie. Il invoque la violation du droit à une procédure contradictoire et équitable dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 de la Convention.
La Cour observe que le conseiller rapporteur près le Conseil d’Etat fait partie de la formation de jugement. Une fois l’affaire attribuée à cette formation, il procède à son examen, propose un plan d’instruction de l’affaire, rédige un rapport dans lequel il examine tous les problèmes posés par l’affaire puis propose des solutions qu’il justifie par des considérations de fait et de droit ; il rédige ensuite un projet d’arrêt qui constitue un document de travail à l’attention des autres membres de la formation de jugement en vue de l’audience.
La Cour rappelle que dans l’arrêt Kremzow c. Autriche du 21 septembre 1993 (série A n° 268-B, p. 45 in fine, § 70 et s.), la Cour n’a pas jugé contraire à l’article 6 § 1 la préparation d’un projet d’arrêt par le juge rapporteur devant le Cour suprême et sa discussion informelle par les autres membres de la Cour avant l’audience. La Cour se fonda sur le fait que le projet d’arrêt, document de travail interne à la juridiction, ne liait pas celle-ci qui pouvait l’amender ou arriver à une solution différente une fois les parties entendues à l’audience (ibidem, p.46, § 72).
La Cour estime que le rôle du conseiller rapporteur devant le Conseil d’Etat s’apparente à celui de son homologue devant la Cour suprême autrichienne tel qu’examiné dans l’affaire Kremzow. Elle ajoute qu’en l’espèce une audience publique s’est tenue devant le Conseil d’Etat durant laquelle l’avocat du requérant a été entendu après la présentation du rapport du conseiller rapporteur. Dans ces conditions, elle arrive à la même solution que celle adoptée dans l’arrêt Kremzow précité et ne décèle aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention.
Il s’ensuit que le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
3. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu accès aux pièces nécessaires à sa défense (pièces susceptibles de justifier l’origine des revenus taxés d’office) et du refus de nommer un expert en vue d’une instruction complémentaire. De même, en décidant qu’il « n’aurait pas apporté les preuves suffisantes concernant l’origine des sommes qu’il a perçues », la cour administrative d’appel aurait entaché son arrêt d’une dénaturation manifeste des pièces du dossier. Il se plaint également de l’arrêt du Conseil d’Etat en ce qu’il a entériné la motivation de l’arrêt d’appel. Pour ces raisons, il estime ne pas avoir été jugé par un « tribunal impartial » dans le respect de l’égalité des armes au sens de l’article 6 § 1 et de la violation des droits de la défense garantis aux articles 6 § 3 a, b et d de la Convention ainsi que de l’article 7.
L’article 6 § 3, en ses paragraphes pertinents, reconnaît à tout accusé les droits de :
« a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; (...) »
L’article 7 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
La Cour rappelle qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (arrêt Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n 140, p. 29, § 46). Elle rappelle également que la question de l'admissibilité des preuves ainsi que leur force probante relève essentiellement du droit interne et qu’il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure examinée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, revêtit un caractère équitable (arrêt Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A n° 235-B, pp. 32-33, § 33).
La Cour relève en l'espèce que le requérant, qui était représentée par un avocat tout au long de la procédure, a été condamné sur la base de preuves soumises à un débat contradictoire et après avoir pu présenter, devant trois degrés de juridiction, les arguments qu'il a pu juger utiles à sa défense. La motivation des décisions rendues montrent que le requérant a disposé d’éléments suffisants - notamment en termes de pièces et documents fiscaux - pour étayer ses prétentions devant les juridictions du fond compétentes. Il a pu ensuite solliciter une mesure d’expertise pour en obtenir de supplémentaires. Dans leurs décisions, les juges saisis - auxquels il appartient de juger de l’utilité d’une telle mesure - ont estimé suffisants les éléments dont ils disposaient, notamment ceux versés au dossier par le requérant lui-même. Le fait que le requérant soit en désaccord avec les conclusions tirées des faits et des preuves ainsi soumis au juge national et avec le bien-fondé des décisions rendues - que la Cour ne peut réexaminer - ne saurait suffire à établir l'existence d'un manquement à l'article 6 de la Convention.
Dans ces conditions, la Cour n'aperçoit aucune apparence de violation des droits garantis par l'article 6 de la Convention, tels qu’invoqués par le requérant. Elle ne décèle pas non plus d’éléments susceptibles de soulever une question au regard de l’article 7 - grief d’ailleurs non étayé par le requérant.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
4. Il se plaint également de la violation du droit à un procès équitable dans la mesure où l’administration fiscale a changé le fondement de sa réclamation en cause d’appel. A ce stade de la procédure, en effet, suite à la demande du ministre du Budget, la cour administrative d’appel a substitué la qualifications des poursuites en retenant la taxation au titre de revenus d’origine non précisés. Le requérant estime avoir été privé du bénéfice du double degré de juridiction puisqu’il a été mis dans l’impossibilité matérielle de pouvoir s’expliquer devant les premiers juges sur des revenus considérés en appel comme d’origine indéterminée.
La Cour rappelle que si l’article 6 § 1 de la Convention garantit le « droit d’accès à un tribunal », le droit à un double degré de juridiction en matière pénale est garanti à l’article du Protocole N° 7 à la Convention, dans les termes suivants :
« 1. Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2. Ce droit peut faire l'objet d'exceptions pour des infractions mineures telles qu'elles sont définies par la loi ou lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. »
La Cour constate, en l’espèce, que deux juridictions du fond ont examinés « l’accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant, chacune d’entre elles étant compétente pour réformer - en fait comme en droit - la décision attaquée de l’administration fiscale. Elle estime que le requérant a ainsi bénéficié du droit de faire réexaminer sa déclaration de culpabilité ou sa condamnation dans le respect du principe du double degré de juridiction précité.
De plus, il ressort des faits que le requérant a produit, les 18 février et 9 décembre 1993, deux mémoires dans lesquels il présentait des observations en réponse à la demande de substitution de qualification formulée par l’administration fiscale à hauteur d’appel. Pour retenir cette nouvelle qualification, la cour administrative d’appel a dûment examiné les arguments des parties, ainsi que les pièces les étayant, et a statué aux termes d’une décision motivée. La Cour estime dès lors que le requérant a disposé du temps et des facilités nécessaires pour présenter utilement ses observations sur cette question. Elle n’a décelé aucune apparence de violation du droit à un procès équitable dans le respect du contradictoire et des droits de la défense, au sens de l’article 6 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
5. Le requérant affirme ne pas avoir reçu l’avis préalable de vérification et la notification des redressements fiscaux. Il en déduit une violation de l’article 6 § 3 a) précité de la Convention. Il se plaint que la cour administrative d’appel a indûment mis à sa charge la preuve de la non-réception de ces actes en l’obligeant à produire l’identité des véritables signataires des accusés de réception. Or il estime cette preuve impossible à rapporter. Il allègue la violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 et l’article 7 de la Convention.
La Cour rappelle qu'elle n'a pas à se substituer aux juridictions nationales compétentes au premier chef pour juger de l'admissibilité des preuves. Sa tâche se limite à s'assurer que la procédure a revêtu dans son ensemble un caractère équitable, eu égard aux irrégularités éventuellement intervenues avant le renvoi de l'affaire devant les juges du fond, en vérifiant en pareil cas qu'il a pu y être porté remède devant eux (arrêt Miailhe c. France (n° 2) du 26 septembre 1996, Recueil 1996-I, § 43).
La Cour doit donc rechercher si le requérant a eu ou non la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne le désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse (arrêt Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A n° 238, p. 20, § 43) et si un éventuel désavantage a ou n'a pas pu avoir une influence décisive sur le litige au point que toute la procédure ultérieure s'en serait trouvée affectée et n'aurait dès lors pas été équitable.
Elle observe qu’à supposer même que le requérant n’ait pas accusé réception de l’avis préalable de vérification et de la notification des redressements fiscaux, il a pu en tout état de cause prendre connaissance en temps utile des éléments de l’accusation pénale dirigée contre lui pour exposer ses arguments devant les juges du fond. Le contenu des documents en question a ainsi été soumis à la contradiction du requérant qui a pu en contester utilement le bien-fondé devant les juges saisies. Le tribunal et la cour ont ensuite dûment motivé leur décision à cet égard après avoir entendu l'argumentation du requérant. Dans ces conditions, le désavantage allégué n'a pas eu d’influence décisive sur le litige au point que toute la procédure ultérieure en aurait été affectée et n'aurait dès lors pas été équitable. La Cour ne décèle dès lors aucune atteinte à l'article 6 ou 7 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
6. Le requérant invoque enfin la violation de l’article 1er du Protocole N° 1 à la Convention du fait de l’arrêt de rejet du Conseil d’Etat qui permet selon lui à « l’Etat français de prendre possession de tous ses biens. »
L’article 1er du Protocole N° 1 dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
La Cour note que la condamnation du requérant, telle qu’elle a été confirmée par le Conseil d’Etat, relève du droit des « Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts » conformément à l’alinéa 2 de l’article 1er du Protocole N° 1 précité. Elle ne relève aucune apparence de violation de cet article. Il s’ensuit que le grief doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
AJOURNE l’examen des griefs du requérant concernant, d’une part, le rôle du commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat, et d’autre part, la durée de la procédure fiscale devant les juridictions administratives ;
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
35209/97 - -
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