SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 33952/96 présentée par Silvino Jesus RIBEIRO contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY P. LORENZEN E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA A. ARABADJIEV Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 11 octobre 1996 par Silvino Jesus RIBEIRO contre le Portugal et enregistrée le 25 novembre 1996 sous le N° de dossier 33952/96 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 16 octobre 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant le 19 décembre 1997 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant portugais né en 1952 et résidant à Lisbonne. Il est représenté devant la Commission par Maître Agostinho Amado Rodrigues, avocat au barreau de Lisbonne. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 27 avril 1988, le requérant introduisit devant le tribunal de Lisbonne une demande en dommages et intérêts contre les héritiers d'une personne A.F. suite à l'inexécution d'une promesse de vente. Par jugement du 28 février 1989, le tribunal fit droit au requérant, pour ce qui était de certains des défendeurs, qui n'avaient pas présenté de conclusions en réponse. Par jugement du 10 juin 1989, le tribunal déclara l'action non fondée relativement aux autres défendeurs. Par acte du 17 mars 1989, le requérant introduisit devant le tribunal de Lisbonne une procédure d'exécution du jugement du 28 février 1989. Suite à une information du greffe, le juge invita le requérant à compléter sa requête d'exécution, ce qu'il fit le 11 avril 1989. Par ordonnance du 12 avril 1989, le juge invita le requérant à fournir plus de précisions concernant l'identité des débiteurs, ce qui fut fait le 20 avril 1989. Par ordonnance du 27 avril 1989, le juge ordonna la saisie de certains biens des débiteurs, par commission rogatoire adressée au tribunal d'Oeiras. Le 5 octobre 1989, le requérant fut informé que la saisie en cause avait déjà été effectuée. Le 15 novembre 1989, le requérant demanda l'adjudication en sa faveur d'un immeuble saisi, mais retira cette demande par acte du 12 mars 1990. Par ordonnance du 19 mars 1990, le juge ordonna la vente des biens saisis. Le 14 mai 1990, l'épouse d'un des débiteurs fit opposition à l'exécution (embargos de terceiro). L'opposition ne concernait que l'immeuble saisi. Par décision du 22 novembre 1990, le juge fit droit à l'opposition et annula la saisie de l'immeuble. La procédure s'est poursuivie relativement aux biens meubles saisis. Le 3 mai 1991, la somme relative à la vente des biens meubles fut mise à la disposition du requérant. Le 9 mai 1991, le requérant demanda la saisie de la moitié (meação) de l'immeuble appartenant à l'un des débiteurs. Par décision du 5 juillet 1991, le juge rejeta la demande. Le 23 octobre 1992, le requérant demanda le versement de la somme relative à la vente des biens meubles, ce à quoi le juge fit droit. Faute d'autre intervention du requérant dans la procédure, le dossier fut envoyé aux archives le 22 janvier 1993. Le 15 décembre 1993, le requérant, alléguant que la somme qu'il avait reçue n'était pas encore suffisante pour satisfaire sa créance, demanda la saisie d'autres biens, y compris la moitié d'un immeuble appartenant à l'un des débiteurs. Le 4 janvier 1994, le juge ordonna la saisie, qui fut effectuée le 19 janvier 1994. Toutefois, par ordonnance du 10 mars 1994, le juge annula la saisie des biens meubles en vertu d'une erreur commise par le requérant dans l'identification des biens. Le 22 avril 1994, le requérant demanda la saisie d'autres biens, ce qui fut fait le 6 mai 1994. Par décision du 17 octobre 1994, le juge annula la saisie des biens meubles en cause, qu'il considéra insaisissables. Par ailleurs, il ordonna d'adresser notification de la saisie de la moitié de l'immeuble au conjoint du débiteur en cause, ce qui fut fait le 20 février 1995. Le 9 mars 1995, le requérant invita le juge à prononcer la séparation du patrimoine du débiteur propriétaire de la moitié de l'immeuble saisi de celui de son conjoint. Par ordonnance du 18 mars 1995, le juge précisa qu'une telle initiative appartenait au requérant. Par acte du 20 décembre 1996, le requérant demanda le partage des biens du couple. Par ordonnance du 28 janvier 1997, le juge invita le requérant à compléter sa requête, ce qu'il fit le 25 février 1997. Le 18 mars 1997, le juge désigna l'administrateur des biens (cabeça de casal) et ordonna la citation de ce dernier. A cette fin, une commission rogatoire fut adressée au tribunal d'Oeiras, en date du 17 avril 1997. La procédure est toujours pendante.
GRIEF Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 11 octobre 1996 et enregistrée le 25 novembre 1996. Le 2 juillet 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 16 octobre 1997, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 19 décembre 1997.
EN DROIT Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » Le gouvernement défendeur soutient que la procédure ne saurait passer pour avoir dépassé le « délai raisonnable » au sens de cette disposition de la Convention. Il relève que les retards sont exclusivement imputables au requérant. Or, d'après le Gouvernement, la conduite d'une affaire est surtout tributaire, dans le système portugais, de l'attitude des parties. Le requérant conteste ces arguments. Il estime que la durée totale de la procédure, de surcroît toujours pendante, n'a pas respecté l'exigence du « délai raisonnable ». La Commission note d'abord que la procédure litigieuse a débuté le 27 avril 1988. Elle est toujours pendante, dans sa phase d'exécution, déclenchée le 17 mars 1989. La période à considérer s'étend donc sur neuf ans et dix mois environ à ce jour. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit s'apprécier suivant les circonstances de la cause et à l'aide des critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement des parties et le comportement des autorités saisies de l'affaire (Cour eur. D.H., arrêt Silva Pontes c. Portugal du 23 mars 1994, série A n° 286-A, p. 15, par. 39). En outre, seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure à l'inobservation du « délai raisonnable » (Cour eur. D.H., arrêt Proszak c. Pologne du 16 décembre 1997, à paraître dans Recueil des arrêts et décisions 1997, par. 40). La Commission constate d'abord que l'affaire ne revêtait pas de complexité particulière. Elle relève néanmoins que plusieurs commissions rogatoires ont été nécessaires, ce qui a pu retarder le traitement de l'affaire. La Commission observe ensuite que le comportement du requérant a contribué de façon substantielle à la durée de l'instance. En effet, on ne saurait mettre à la charge des autorités compétentes plusieurs retards importants dans le déroulement de la procédure. Ainsi, et en sus des retards provoqués par la mauvaise présentation de plusieurs des demandes formulées par le requérant, celui-ci est à l'origine de trois périodes importantes d'inactivité totale, d'abord entre le 5 juillet 1991 et le 23 octobre 1992, entre cette dernière date et le 15 décembre 1993 et enfin entre le 18 mars 1995 et le 20 décembre 1996. Ces périodes d'inactivité totale couvrent, à elles seules, quatre ans et deux mois. Il échet de souligner à cet égard que l'initiative de la poursuite de la procédure appartenait au requérant, partie demanderesse. Or son attitude est peu en rapport avec la diligence dont doit témoigner la partie demanderesse dans une procédure civile (cf. arrêt Proszak c. Pologne précité, loc.cit.). S'agissant du comportement des autorités compétentes, la Commission observe que, hormis certains retards non significatifs, le juge du tribunal de Lisbonne a, d'une manière générale, statué sur les nombreuses demandes du requérant dans des délais raisonnables. Si à ce jour la durée totale de la procédure peut de prime abord sembler excessive, une évaluation globale du délai litigieux ne fait apparaître aucun manque de diligence de la part des autorités judiciaires dans la conduite de l'affaire. Eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, et en particulier la responsabilité du requérant dans les principaux retards dont a souffert la procédure, la Commission est d'avis que la durée litigieuse ne saurait passer pour excessive. Il n'y a donc aucune apparence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS Secrétaire Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre