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04/03/1998 | CEDH | N°31421/96

CEDH | HADDAD contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 31421/96 présentée par Joseph HADDAD contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA

D. SVÁBY E. BIELIUNAS ...

SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 31421/96 présentée par Joseph HADDAD contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 mars 1998 en présence de MM. J.-C. GEUS, Président M.A. NOWICKI G. JÖRUNDSSON A. GÖZÜBÜYÜK J.-C. SOYER H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY E. BIELIUNAS E.A. ALKEMA A. ARABADJIEV Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 mars 1996 par Joseph HADDAD contre la France et enregistrée le 7 mai 1996 sous le N° de dossier 31421/96 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, ressortissant français né en 1947, est directeur de sociétés et réside à Paris. Devant la Commission, il est représenté par Maître Michel Ricard, avocat au barreau de Paris. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant est le président-directeur général de la société anonyme de droit français SOTRACO, ayant son siège social à Paris, propriétaire de deux immeubles situés à Vincennes. Par décision du 24 mars 1992, le maire de Vincennes donna son accord à la société pour l'exécution de travaux d'amélioration et d'habitabilité des immeubles. Les travaux commencèrent. Le 11 juin 1992, le préfet du Val-de-Marne notifia au requérant ès qualité de représentant légal de la société la décision du ministre de l'Education nationale et de la Culture plaçant l'ensemble immobilier, dont font partie les deux immeubles en cause, en instance de classement parmi les monuments historiques, en vue de dégager et de mettre en valeur le château de Vincennes. Par lettre du 29 juillet 1992, le préfet précisa ce qui suit : "Je vous signale que tous les effets du classement s'appliquent de plein droit à vos propriétés à compter de la date de notification et particulièrement l'article 9 de la loi du 31 décembre 1913 qui précise que tout immeuble classé ne peut être détruit ou déplacé même en partie, ni faire l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque sans consentement du ministre chargé des affaires culturelles. En conséquence, tous travaux en cours, n'ayant fait l'objet d'aucune autorisation, sont illicites." Un procès-verbal d'infraction fut dressé le 27 juillet 1992 et, le 31 juillet 1992, le préfet prit un arrêté ordonnant l'interruption des travaux. Un nouveau procès-verbal fut dressé le 12 novembre 1992 et, par arrêté du 2 février 1993, le préfet rapporta sa précédente décision et prit un nouvel arrêté ordonnant l'interruption des travaux. Procédures administratives Les 19 septembre 1992 et 12 février 1993, la société, représentée par le requérant, saisit le tribunal administratif de deux recours en annulation des deux arrêtés. Par jugement du 4 novembre 1993, le tribunal joignit les deux recours, constata que l'arrêté du 31 juillet 1992 avait été rapporté par celui du 2 février 1993 et annula ce dernier arrêté, dans les termes suivants : "(...) si la société SOTRACO s'est vu notifier le 11 juin 1992 la décision du 25 mai 1992 par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la culture a placé sous le régime de l'instance de classement parmi les monuments historiques l'ensemble immobilier (...) dont font partie les deux immeubles en cause, le maire de Vincennes lui avait donné, par décision du 24 mars 1992, son accord pour l'exécution de travaux d'amélioration et d'habitabilité desdits immeubles ; qu'ainsi cette décision ne peut être regardée comme ayant été prise en méconnaissance des dispositions de la loi du 31 décembre 1913 applicable aux immeubles classés, et la société SOTRACO comme ayant effectué des travaux en l'absence d'autorisation ; que dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur de droit en faisant application de l'article L. 480-2 du Code de l'urbanisme ; que la société SOTRACO est, dès lors, fondée à demander l'annulation de la décision attaquée (...)" Le 1er septembre 1993, la société SOTRACO engagea devant le Conseil d'Etat un recours en annulation du décret du 25 juin 1993, portant classement parmi les monuments historiques de l'ensemble immobilier en cause. Par arrêt du 26 octobre 1994, le Conseil d'Etat rejeta le recours. Procédures pénales Le 27 mai 1993, le tribunal correctionnel de Créteil, statuant par défaut, reconnut le requérant coupable de l'infraction de poursuite de travaux de construction malgré une décision de proposition de classement, et le condamna à une amende de 20 000 F. Sur opposition du requérant, le tribunal constata que le requérant ne comparaissait pas et, par jugement du 2 juin 1994, déclara non avenue son opposition et dit que le jugement du 27 mai 1993 produirait son plein et entier effet. Le 12 octobre 1994, le tribunal condamna le requérant par défaut à une amende de 15 000 F pour construction sans permis de construire et infraction aux dispositions d'un plan d'occupation des sols. Le requérant fit appel du jugement du 2 juin 1994, en soulevant, avant toute défense au fond, l'exception de chose jugée résultant du jugement du tribunal administratif de Paris du 4 novembre 1993. Sur le fond, il soutenait notamment que l'article 7 de la Convention et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale s'opposaient à ce que l'obligation de demander une autorisation puisse s'entendre également comme une obligation d'interrompre des travaux déjà commencés. Il faisait valoir par ailleurs que l'ouverture d'une instance de classement n'était pas de nature à tenir en échec les droits acquis résultant d'une autorisation de travaux délivrée par le maire. L'audience devant la cour d'appel de Paris eut lieu le 12 avril 1995 et la cour d'appel statua le 7 juin 1995. Elle rejeta tout d'abord l'exception de chose jugée, au motif que l'instance administrative en annulation de l'arrêté préfectoral du 2 février 1993 n'avait ni la même cause, ni le même objet que l'action pénale dirigée contre lui, puisqu'il était prévenu non pour infraction à un arrêté d'interdiction mais pour travaux effectués en méconnaissance des obligations résultant de la décision du 25 mai 1992. Sur le fond, après avoir relevé que, par lettre du 15 avril 1993, le préfet avait indiqué au procureur de la République qu'il estimait caractérisée l'infraction prévue et réprimée par l'article 30 de la loi du 31 décembre 1913, la cour d'appel confirma le jugement, en considérant : "(...) la Cour relève, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1er, 9 et 30 de la loi du 31 décembre 1913 que les travaux effectués sur les immeubles placés sous le régime de l'instance de classement parmi les monuments historiques sont soumis à l'autorisation du ministre de la culture et que le non-respect de cette obligation est sanctionné pénalement ; que, contrairement à l'interprétation proposée par le prévenu, l'interdiction édictée par la loi est absolue, le texte ne prévoyant aucune distinction relative à l'état d'éventuels travaux ; qu'en conséquence il appartenait au prévenu de se mettre en conformité avec la législation précitée dès la réception de la notification de la décision d'instance de classement ; (...) l'ouverture d'une instance de classement crée par elle-même une servitude d'utilité publique supplémentaire sans qu'il soit nécessaire que la décision d'instance de classement contienne des prescriptions particulières concernant l'autorisation visée par ce texte, étant observé que la personne qui subit un préjudice du fait du classement peut obtenir réparation de l'Etat en application de l'article 5 de la loi de 1913 précitée (...)" Le requérant forma un pourvoi en cassation, en alléguant notamment la violation des articles 6 par. 3 a) et b) et 7 de la Convention. Il soutenait, entre autres, que l'avis du préfet n'aurait pas été soumis au débat contradictoire. La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 8 novembre 1995, en retenant notamment : "Attendu que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que l'avis écrit du préfet porte la date du 7 avril 1995 et qu'il a été reçu par le procureur général le 10 avril 1995 ; qu'il n'est, dès lors, pas établi que ce document n'ait pas figuré au dossier lors des débats et qu'il n'ait pas été soumis à la discussion des parties (...)" Par ailleurs, la Cour de cassation approuva la cour d'appel d'avoir rejeté l'exception de chose jugée. Enfin, elle répondit ainsi au moyen tiré de la violation de l'article 7 de la Convention : "Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'infraction aux articles 9 et 30 de la loi du 31 décembre 1913, la juridiction d'appel retient qu'il appartenait (au requérant) de solliciter du ministre compétent l'autorisation d'exécuter les travaux dès après la notification d'ouverture de l'instance de classement, et que la déclaration de travaux souscrite antérieurement auprès du maire ne pouvait tenir lieu d'autorisation en vertu de la loi précitée ; Attendu que, tout en observant que l'article 5 de cette loi réserve à l'intéressé le droit d'obtenir réparation du préjudice qu'a pu lui causer le classement, les juges énoncent qu'en effectuant les travaux sans obtenir l'autorisation requise et après avoir reçu notification de la décision de proposition de classement, (le requérant) s'est rendu coupable de l'infraction reprochée ; Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision." Loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques Article 1 "Les immeubles dont la conservation présente, du point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public, sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins du ministre des beaux-arts, selon les distinctions établies par les articles ci-après. Sont compris parmi les immeubles susceptibles d'être classés aux termes de la présente loi : (...) 3° D'une façon générale, les immeubles nus ou bâtis situés dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ou proposé pour le classement (...) A compter du jour où l'administration des beaux-arts notifie au propriétaire sa proposition de classement, tous les effets du classement s'appliquent de plein droit à l'immeuble visé (...)" Article 5 "(...) A défaut de consentement du propriétaire, le classement est prononcé par un décret en Conseil d'Etat qui détermine les conditions de classement et notamment les servitudes et obligations qui en découlent. Le classement peut alors donner lieu à indemnité au profit du propriétaire, s'il résulte, des servitudes et obligations dont s'agit, une modification à l'état ou à l'utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain (...)" Article 9 "L'immeuble classé ne peut être détruit, ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si le ministre des beaux-arts n'y a donné son consentement. Les travaux autorisés par le ministre s'exécutent sous la surveillance de son administration (...)" Article 30 "Toute infraction aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 1er (...), des paragraphes 1er et 2 de l'article 9 (...) de la présente loi sera punie d'une amende de 25 000 F, sans préjudice de l'action en dommages-intérêts qui pourra être exercée contre ceux qui auront ordonné les travaux exécutés, ou les mesures prises en violation desdits articles (...)"
GRIEFS
1. Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 et 3 a) et b) de la Convention en ce que, à l'audience du 12 avril 1995, la lettre du préfet a été "subrepticement" versée au dossier et que, s'il a pu en connaître la teneur à travers ce qu'a dit le président, il n'a pu en avoir une connaissance personnelle.
2. Il considère que sa condamnation enfreint l'article 6 de la Convention, ainsi que l'article 4 du Protocole N° 7 à la Convention, dans la mesure où le tribunal administratif avait constaté qu'il était en droit de réaliser les travaux.
3. Il estime enfin qu'il y a violation de l'article 7 de la Convention dans la mesure où, d'une part, on a fait une application extensive et rétroactive de l'arrêté d'ouverture d'instance de classement et où, d'autre part, la législation française ne répond pas aux exigences de clarté et d'accessibilité de cette disposition.
EN DROIT
1. Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 et 3 a) et b) (art. 6-1, 6-3-a, 6-3-b) de la Convention, dont les dispositions se lisent ainsi : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. (...)" Le requérant se plaint particulièrement de ce que, à l'audience du 12 avril 1995, la lettre du préfet a été "subrepticement" versée au dossier et, s'il a pu en connaître la teneur à travers ce qu'a dit le président, il n'a pu en avoir une connaissance personnelle. La Commission note, en premier lieu, que le requérant a été informé de la nature et de la cause de l'accusation à son encontre, d'une part, par les procès-verbaux dressés, et, d'autre part, par les citations à comparaître devant le tribunal correctionnel et la cour d'appel. La Commission observe, par ailleurs, que s'il n'est pas établi que la lettre du préfet a été elle-même communiquée au requérant, il apparaît néanmoins que le président lui en a donné oralement connaissance, et il n'allègue pas, en tout état de cause, que son avocat et lui-même n'auraient pas été en mesure d'y répondre. Il s'ensuit que cet aspect de la requête est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant considère que sa condamnation enfreint l'article 6 (art. 6) de la Convention, ainsi que l'article 4 du Protocole N° 7 (P7-4) à la Convention, dans la mesure où le tribunal administratif avait constaté qu'il était en droit de réaliser les travaux. L'article 4 du Protocole N° 7 (P7-4) dispose, en son premier paragraphe : " 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat (...)" La Commission observe toutefois que cette disposition ne s'applique qu'en cas d'acquittement prononcé par une juridiction pénale pour la même infraction. Or, en l'espèce, si le tribunal administratif, juridiction non pénale, a annulé pour erreur de droit l'arrêté du préfet ordonnant l'interruption des travaux, il ressort des décisions du tribunal correctionnel et de la cour d'appel que le requérant a été condamné, non pour avoir contrevenu à l'arrêté préfectoral, mais pour avoir continué les travaux sans autorisation après avoir eu notification de l'ouverture de l'instance de classement. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant estime enfin qu'il y a violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention, qui est ainsi rédigé : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise (...)" Le requérant considère qu'on a fait une application extensive et rétroactive de l'arrêté d'ouverture d'instance de classement et que la législation française ne répond pas aux exigences de clarté et d'accessibilité de cette disposition. La Commission relève qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1913, tous les effets du classement s'appliquent de plein droit à l'immeuble en cause à compter du jour où l'administration des beaux-arts notifie au propriétaire sa proposition de classement. En conséquence, le requérant est mal fondé à soutenir qu'il lui aurait été fait une application rétroactive de la loi. Par ailleurs, selon l'article 9 de la même loi, tous les travaux sur un immeuble en instance de classement doivent être autorisés par le ministre compétent et, selon l'article 30, toute infraction à cette disposition est punie d'une amende. La Commission considère, en conséquence, que la législation en cause satisfait, par son accessibilité et sa prévisibilité, aux exigences de l'article 7 (art. 7) de la Convention. Il s'ensuit que cet aspect de la requête est également manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS Secrétaire Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 31421/96
Date de la décision : 04/03/1998
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Non-violation de l'Art. 6

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : HADDAD
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-03-04;31421.96 ?
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