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24/02/1998 | CEDH | N°21439/93

CEDH | AFFAIRE BOTTA c. ITALIE


AFFAIRE BOTTA c. ITALIE
CASE OF BOTTA v. ITALY
(153/1996/772/973)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
24 février/February 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution dans sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D–50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
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al form in the Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obt...

AFFAIRE BOTTA c. ITALIE
CASE OF BOTTA v. ITALY
(153/1996/772/973)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
24 février/February 1998
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution dans sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D–50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.
The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in the Reports of Judgments and Decisions 1998. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D–50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.
Liste des agents de vente/List of Agents
Belgique/Belgium: Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,
B–1000 Bruxelles)
Luxembourg: Librairie Promoculture (14, rue Duchscher (place de Paris),
B.P. 1142, L–1011 Luxembourg-Gare)
Pays-Bas/The Netherlands: B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat
A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL–2514 GC La Haye/'s Gravenhage)
SOMMAIRE1
Arrêt rendu par une chambre
Italie – non-adoption par l'Etat des mesures propres à remédier aux omissions imputables à des établissements de bains privés et empêchant l'accès des handicapés à une plage et à la mer
I.  Article 8 de la convention
Sphère de la vie privée : couvre l'intégrité physique et morale d'une personne – garantie offerte par l'article 8 de la Convention : principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables.
Requérant se plaint en substance de l'inaction de l'Etat. Article 8 : a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics – ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences, à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale pouvant impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux.
Notion de respect : manque de netteté – nécessité de prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation.
La Cour a conclu à l'existence de ce type d'obligations à la charge d'un Etat lorsqu'elle a constaté la présence d'un lien direct et immédiat entre les mesures demandées par un requérant et la vie privée et/ou familiale de celui-ci.
Droit revendiqué par le requérant (pouvoir accéder pendant ses vacances à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle) : concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'Etat et la vie privée de l'intéressé n'est envisageable.
Conclusion : inapplicabilité (unanimité).
II.  Article 14 de la convention combiné avec l'article 8
Article 14 : ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins des clauses de la Convention – ne peut entrer en ligne de compte en l'espèce, la Cour ayant conclu à l'inapplicabilité de l'article 8.
Conclusion : inapplicabilité (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
9.10.1979, Airey c. Irlande ; 26.3.1985, X et Y c. Pays-Bas ; 28.5.1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni ; 28.10.1987, Inze c. Autriche ; 16.12.1992, Niemietz c. Allemagne ; 25.11.1994, Stjerna c. Finlande ; 9.12.1994, López Ostra c. Espagne ; 19.2.1998, Guerra et autres c. Italie 
En l'affaire Botta c. Italie2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B3, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. F. Gölcüklü, président,
F. Matscher,
C. Russo,
R. Pekkanen,
Sir John Freeland,
MM. L. Wildhaber,
G. Mifsud Bonnici,
B. Repik,
P. Jambrek,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 septembre 1997 et 2 février 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 4 décembre 1996, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 21439/93) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maurizio Botta, avait saisi la Commission le 30 juillet 1992 en vertu de l'article 25.
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 14 de la Convention.
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son     conseil (article 31), que le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a autorisé à employer la langue italienne pendant la procédure écrite (article 28 § 3).
3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention), et M. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 20 janvier 1997, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. F. Matscher, M. B. Walsh, Sir John Freeland, M. L. Wildhaber, M. G. Mifsud Bonnici et M. P. Jambrek, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B). Ultérieurement, M. R. Pekkanen, suppléant, a remplacé M. Walsh, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement B).
4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement italien (« le Gouvernement »), l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement le 18 juillet 1997.
5.  Le 9 septembre 1997, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.
6.  Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 25 septembre 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  M. V. Esposito, président de chambre     à la Cour de cassation, coagent ;
– pour la Commission  M. F. Martínez, délégué ;
– pour le requérant  Me B. Nascimbene, avocat au barreau de Milan     et professeur de droit international, conseil,  M. M. Condinanzi, conseiller.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries M. Martínez, Me Nascimbene et M. Esposito.
7.  M. Ryssdal se trouvant empêché de participer à la délibération du 2 février 1998, M. Gölcüklü l’a remplacé à la tête de la chambre (article 21 § 6, second alinéa, du règlement B) et M. B. Repik, suppléant, en qualité de membre de celle-ci (article 22 § 1).
EN FAIT
I. les circonstances de l’espÈce
8.  M. Botta, né en 1939 et domicilié à Trezzano sul Naviglio (Milan), est handicapé physique.
9.  En août 1990, il se rendit à la station balnéaire de Lido degli Estensi, proche de la ville de Comacchio (Ferrare), en compagnie d’une amie, également handicapée physique, pour y passer des vacances. Il constata que les établissements de bains n’étaient pas équipés des dispositifs nécessaires aux personnes handicapées pour accéder à la plage et à la mer (en particulier parcours spéciaux, locaux hygiéniques adaptés), ceci au mépris de la législation italienne qui imposait l’insertion, dans les contrats de concession, d’une clause contraignant les établissements de bains à aménager un accès pour les personnes handicapées et prévoyait un contrôle par les administrations locales compétentes. Selon la commune de Comacchio, la clause obligatoire ne fut toutefois insérée que dans les contrats de concession conclus après l’adoption des dispositions pertinentes.
10.  Le requérant précise qu’après avoir accédé pendant un certain temps avec son véhicule à des plages publiques non équipées, cette possibilité lui fut interdite par la suite, l’entrée ayant été barrée sur ordre de la capitainerie du port de Ravenne.
11.  Le 26 mars 1991, le requérant envoya une lettre au maire de Comacchio, le priant de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux défaillances constatées l’année précédente. Cette lettre resta sans réponse.
12.  En août 1991, M. Botta retourna à Lido degli Estensi et constata qu’aucune des mesures sollicitées, pourtant obligatoires, n’avait été prise. Il fut en conséquence contraint de demander au bureau maritime local une autorisation d’accès avec son véhicule à une plage publique non équipée. Il s’adressa par ailleurs à différentes autorités locales dont il reçut les réponses suivantes : le président de la coopérative des établissements de bains de la station lui signala qu’aucune obligation de se doter des structures réclamées    ne découlait des contrats de concession ; le bureau maritime local, quant à lui, opposa qu’une demande officielle lui était nécessaire pour pouvoir autoriser l’aménagement de parcours spéciaux sur ses plages ; quant au maire, il fit valoir qu’il appartenait aux établissements de bains de se doter desdites structures, mais offrit toutefois au requérant la possibilité d’accéder avec son véhicule à une plage publique.
Par une note non datée, le bureau maritime l’autorisa à accéder à une plage publique non équipée avec sa voiture pour une période échéant le 31 août 1991.
13.  Le 9 août 1991, le requérant décida de porter plainte auprès de la gendarmerie (carabinieri) contre le ministre de la Marine marchande, le responsable de la capitainerie du port de Ravenne, le maire et l’adjoint au maire de Comacchio. Il estimait qu’en omettant de prendre une quelconque mesure afin d’obliger les établissements de bains à se doter des structures pour les personnes handicapées, prescrites par la loi sous peine de révocation de leur licence, ces autorités s’étaient rendues responsables du délit de manquement à un devoir de leur charge (omissione d’atti d’ufficio), prévu par l’article 328 du code pénal.
Le 20 décembre 1991, il sollicita auprès du parquet de Ferrare des renseignements sur l’état de la procédure.
Le 5 mai 1992, le ministère public requit le classement sans suite de la plainte.
14.  Par un décret du 12 mai 1992, le juge des investigations préliminaires (giudice per le indagini preliminari) près le tribunal de Ferrare ordonna le classement sans suite de la procédure, au motif qu’à l’issue de l’enquête, aucun élément constituant le délit prévu par l’article 328 du code pénal n’avait pu être relevé, étant donné que tous les contrats de concession des plages contenaient une clause prévoyant l’obligation pour les établissements de bains de rendre les plages accessibles aux personnes handicapées ainsi que d’aménager au moins une cabine de bain et un local hygiénique destinés à être utilisés par ces dernières.
Le 1er septembre 1992, M. Botta s’adressa à nouveau au parquet de Ferrare afin de connaître l’état de la procédure.
Le 16 septembre 1992, il fut informé par téléphone que sa plainte avait été classée.
15.  Selon le requérant, non contredit par le Gouvernement, si certains des établissements de bains de Lido degli Estensi se sont dotés par la suite d’une cabine de bain et d’un local hygiénique pour handicapés, au mois de juillet 1997, aucun établissement ne s’était encore doté d’un parcours spécialement aménagé pour permettre aux handicapés l’accès à la plage et à la mer. Le 29 août 1997, l’administration communale de Comacchio a informé le greffe de la Cour de l’adoption le 11 août 1997 du nouveau plan d'aménagement de la station balnéaire prévoyant un délai échéant le 30 avril 1999 pour la mise en conformité avec la loi des établissements de bains.
II. Le DROIT PERTINENT
A. Le droit interne
16.  La loi n° 13 du 9 janvier 1989 prévoit des dispositions visant à garantir aux personnes handicapées l’accessibilité effective des bâtiments et établissements privés et l’élimination des entraves de nature architecturale (barriere architettoniche). L’article 1 § 2 de cette loi dispose en particulier que, dans un délai de trois mois à compter de son entrée en vigueur, le ministre des Travaux publics doit établir par décret les prescriptions techniques à suivre dans la construction de bâtiments privés ou d’habitations à loyer modéré. Cette même loi attribue également certaines tâches aux maires, notamment celle d’assurer la réalisation d'œuvres d’adaptation en faveur des handicapés sur demande de ces derniers. En particulier, l’article 11 dispose qu’après avoir reçu les demandes des intéressés, le maire établit les besoins financiers de la municipalité pour réaliser ces œuvres et en informe la région, qui à son tour établit ses propres besoins et demande au ministère des Travaux publics les financements nécessaires qui sont prélevés du fonds ad hoc constitué en application de l’article 10 de cette même loi.
17.  En faisant application de l’article 1 § 2 de ladite loi, le 14 juin 1989, le ministère des Travaux publics adopta un décret (n° 236) prévoyant que tous les futurs contrats de concession au bénéfice d’établissements de bains devaient contenir une clause imposant à ces derniers l’obligation de se doter d’au moins une cabine de bain et un local hygiénique spécialement conçus pour être utilisés par des personnes handicapées, et d’aménager un parcours spécial permettant à ces dernières d’accéder à la plage et à la mer.
Le 23 janvier 1990, le ministère de la Marine marchande attira l’attention de toutes les capitaineries de port sur ces dispositions.
18.  Par ailleurs, l’article 23 § 3 de la loi n° 104 du 5 février 1992 subordonne les concessions domaniales, ainsi que leur renouvellement, à l’adoption de ces mesures par les établissements concernés. En outre, la loi n° 118 du 30 mars 1971 prévoit des dispositions analogues en ce qui concerne l’élimination des entraves de nature architecturale dans les bâtiments publics ou ouverts au public.
19.  Enfin, l’article 41 § 8 de la loi n° 104 de 1992 prévoit que chaque année, les administrations compétentes doivent adresser à la présidence du conseil des ministres un rapport concernant les interventions en faveur des handicapés, relevant de leur compétence.
En 1995, aucun rapport au sens de l’article 41 § 8 de la loi n° 104 de 1992 n’a été présenté par le ministère des Transports et de la Navigation, qui a remplacé en 1994 le ministère de la Marine marchande, et le rapport présenté par le ministère des Travaux publics s’est borné à préciser qu’en 1994 aucune des interventions relevant de ses compétences n’avait pu être réalisée, les procédures relatives n’ayant pas encore été définies.
B.  Les travaux du Conseil de l’Europe
20.  La recommandation du Comité des Ministres n° R (92) 6 du 9 avril 1992, relative à une politique cohérente pour les personnes handicapées, donne la définition suivante du handicap :
« (…) désavantage social pour un individu donné, résultant d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d'un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) par cette personne ».
Elle invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à « garantir le droit de la personne handicapée à une vie autonome et à l’intégration dans la société, et reconnaître le devoir de la société d’assurer ce droit » en vue d’assurer aux handicapés l’« égalité des chances » par rapport aux autres personnes. L’action des pouvoirs publics devrait viser entre autres à permettre aux handicapés de « jouir d’une mobilité aussi étendue que possible, leur permettant notamment d’accéder aux bâtiments et aux moyens de transport », et de « jouer dans la société un rôle à part entière et participer aux activités économiques, sociales, de loisirs, récréationnelles et culturelles ».
En ce qui concerne plus particulièrement les loisirs et les activités culturelles, aux termes de la recommandation n° R (92) 6 :
« (…) toutes les activités de loisirs, culturelles et de vacances devraient être rendues accessibles aux personnes handicapées ;
il faudrait éliminer les obstacles structurels, techniques, physiques et relatifs à l’attitude qui limitent la jouissance de ces activités. En particulier, il y aurait lieu d’améliorer l’accès aux cinémas, théâtres, musées, galeries d’art, sites touristiques et centres de vacances. (…)
Les lieux culturels et de loisirs devraient être conçus et équipés de manière à les rendre accessibles aux personnes handicapées et à ce qu’elles puissent en profiter. »
Cette recommandation énonce en outre que « l’exercice des droits juridiques de base des personnes handicapées ainsi que le droit à la non-discrimination devraient être protégés ».
21.  Par ailleurs la recommandation 1185 (1992), adoptée le 7 mai 1992 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, relative aux politiques de réadaptation pour les personnes ayant un handicap, souligne notamment que « nos sociétés ont le devoir d’adapter leurs normes aux besoins spécifiques des personnes handicapées pour leur garantir une vie autonome ». Dans ce but, les gouvernements et les autorités compétentes sont appelées à « rechercher et encourager une participation effective et active des personnes handicapées à la vie (…) communautaire et sociale » et à cette fin, à assurer entre autres « la suppression des frontières architecturales ».
22.  Quant à la Charte sociale européenne révisée, adoptée les 1er–4 avril 1996 par le Comité des Ministres et ouverte à la signature le 3 mai 1996, elle mentionne en son article 15 intitulé « Droit des personnes handicapées à l'autonomie, à l'intégration sociale et à la participation à la vie de communauté » :
« En vue de garantir aux personnes handicapées, quels que soient leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de communauté, les parties s’engagent notamment :
3. à favoriser leur pleine intégration et participation à la vie sociale, notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité et à leur permettre d’accéder aux transports, au logement, aux activités culturelles et aux loisirs. »
PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION
23.  M. Botta a saisi la Commission le 30 juillet 1992. Il se plaignait : a) d’avoir été soumis à un traitement inhumain et dégradant (article 3 de la Convention) ; b) de limitations à son droit à la liberté et à la sûreté (article 5) ; c) d’une discrimination dans la jouissance de ses droits en raison de son handicap physique (article 14) ; d) de n’avoir pas disposé d’un recours effectif devant une instance nationale (article 13) ; e) d’une atteinte à son droit à une procédure équitable, dans un délai raisonnable, devant un tribunal indépendant et impartial (article 6 § 1).
24.  Le 15 janvier 1996, la Commission a retenu la requête (n° 21439/93) quant aux trois premiers griefs, après avoir examiné les faits auxquels se réfèrent les deux premiers sous l’angle de l’article 8 pris isolément et combiné avec l'article 14, et l’a rejetée pour le surplus.
Dans son rapport du 15 octobre 1996 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention, et à l’unanimité qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt4.
CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR
25.  Le Gouvernement invite la Cour à relever l’absence de violation de la Convention, tant au regard de l’article 8 qu’au regard des articles 14 et 8 combinés.
26.  Le conseil du requérant demande à la Cour de constater que ces dispositions ont été méconnues et d'allouer à son client une satisfaction équitable.
en droit
i. sur la violation allÉguÉe de l'article 8 de la convention
27.  Le requérant se plaint d'abord d'une atteinte à sa vie privée et au développement de sa personnalité qui résulterait de la non-adoption par l'Etat italien des mesures propres à remédier aux omissions imputables aux établissements de bains privés de Lido degli Estensi (Comacchio), à savoir le défaut de locaux hygiéniques et de passerelles d'accès à la mer pour personnes handicapées. Il invoque l'article 8 de la Convention, ainsi libellé
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
L'intéressé affirme ne pouvoir jouir d’une vie relationnelle normale qui lui permette de participer à la vie de la collectivité et d’exercer des droits essentiels, comme les droits de la personnalité, à cause non pas d’une ingérence de l'Etat, mais d'un manquement à ses obligations positives d'adopter des mesures et d'exercer des contrôles sur le respect des dispositions internes relatives aux établissements de bains privés.
En adoptant les lois n° 13 du 9 janvier 1989 et n° 104 du 5 février 1992, l'Etat italien a assumé l'obligation de garantir aux personnes handicapées le plein respect de la dignité humaine, à savoir les droits de la liberté et de l'autonomie, leur intégration dans la famille, l'école, le travail et la société. L'Etat impose aussi, comme en l'espèce, des obligations à des tiers et se doit de faire respecter la loi. Par conséquent, des obligations positives, entrant dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention, pèseraient sur l'Etat italien.
Limiter la notion de vie privée au seul plan affectif ne correspondrait pas à l’orientation jurisprudentielle de la Cour qui s’inspire d’une logique pragmatique de bon sens, plutôt que du formalisme ou de la simple technique juridique.
28.  Selon la Commission, le domaine des relations humaines en cause dans la présente affaire a trait à des relations sociales d'un contenu particulièrement ample. Les droits revendiqués par le requérant constitueraient des droits de nature sociale, visant en l'espèce la participation des handicapés aux activités récréationnelles et de loisirs qui se déroulent sur les plages, dont l'étendue dépasserait le concept d'obligation juridique, lequel serait inhérent à la notion de « respect » de la « vie privée » visée au paragraphe 1 de l'article 8.
Dans ce contexte, le respect des obligations mises à la charge des Etats et prévues par des dispositions législatives ou réglementaires internes ou internationales dépendrait d'un ensemble de facteurs, notamment de nature financière. Les Etats jouissant d'une large marge d'appréciation quant aux différentes modalités d'application des obligations prévues par les lois pertinentes, le droit invoqué par le requérant sortirait du cadre de l'article 8.
Au demeurant, le caractère social de ce droit appellerait des mécanismes de protection plus souples, notamment du genre de celui mis en place par la Charte sociale européenne. L'article 8 ne serait donc pas applicable.
29.  Le Gouvernement partage ces arguments. Une interprétation large dudit article incluant dans les obligations positives pesant sur les Etats celle d'assurer le développement satisfaisant des activités récréatives des personnes reviendrait à dénaturer le sens de la disposition en cause au point de la rendre méconnaissable aux yeux de ceux qui en furent les auteurs.
Une fois ouverte la porte à une évolution de ce type, il serait extrêmement difficile de fixer des limites. On devrait, par exemple, prendre en considération les obstacles liés à la mauvaise situation financière de ceux qui souhaiteraient pratiquer de telles activités. Cette approche risquerait de transformer les organes de la Convention en arbitre de la politique sociale des Etats parties à la Convention, rôle qui ne s'inscrirait ni dans l'objet ni dans le but de cet instrument.
30.  D'après le requérant, la thèse de la Commission en faveur de la nature sociale du droit en question est inacceptable et réductrice. Ce droit aurait certes des aspects et des conséquences d’ordre économique et social, mais il présente indubitablement toutes les caractéristiques pour rentrer dans le concept d’obligation juridique inhérente au respect de la vie privée.
La large marge d'appréciation reconnue à l'Etat par la Commission, qui fait particulièrement référence aux ressources financières disponibles, ne saurait ni se transformer en reconnaissance d’un arbitraire à l'Etat ni permettre d’invoquer des difficultés d’ordre économique.
Sous ce dernier aspect, le requérant rappelle les dispositions de la loi n° 104/92 qui prévoit à l’article 42 la couverture financière de chacune des interventions destinées à supprimer les entraves de nature architecturale. Si la prévision de dépenses n’a pas été établie en termes adéquats, on ne saurait l’imputer aux particuliers.
Enfin le renvoi à la nouvelle version de la Charte sociale européenne serait à plus forte raison inacceptable en considération de ce que ce texte n’a été ouvert à la signature que le 3 mai 1996, donc quatre ans après l'introduction de la requête à la Commission.
31.  La Cour est appelée à trancher la question de savoir si le droit invoqué par M. Botta entre dans le cadre de la notion de « respect » de la « vie privée » inscrit à l'article 8 de la Convention.
32.  La sphère de la vie privée, telle que la Cour la conçoit, couvre l'intégrité physique et morale d'une personne ; la garantie offerte par l'article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992, série A n° 251-B, p. 33, § 29).
33.  En l'espèce, le requérant se plaint en substance non d'un acte mais de l'inaction de l'Etat. Si l'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent     impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (arrêts X et Y c. Pays-Bas du 26 mars 1985, série A n° 91, p. 11, § 23, et Stjerna c. Finlande du 25 novembre 1994, série A n° 299-B, p. 61, § 38). La notion de respect manque pourtant de netteté : pour déterminer si pareilles obligations existent il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation.
34.  La Cour a conclu à l'existence de ce type d'obligations à la charge d'un Etat lorsqu'elle a constaté la présence d'un lien direct et immédiat entre, d'une part, les mesures demandées par un requérant et, d'autre part, la vie privée et/ou familiale de celui-ci.
Ainsi, dans l'affaire Airey c. Irlande (arrêt du 9 octobre 1979, série A n° 32), la Cour a considéré que la requérante avait été victime d'une violation de l'article 8 au motif que le droit interne ne prévoyait pas un système d'aide judiciaire pour les procédures de séparation de corps, ce qui, par un déni d’accès à un tribunal, touchait directement le domaine de la vie privée et familiale de l'intéressée.
Dans l'affaire X et Y c. Pays-Bas précitée, portant sur le viol d'une personne handicapée mentale et donc relative à l'intégrité physique et morale de celle-ci, la Cour a affirmé que les lacunes du code pénal néerlandais n'assuraient pas à ladite personne une protection concrète et effective (p. 14, § 30).
Plus récemment, dans l'arrêt López Ostra c. Espagne (mutatis mutandis, 9 décembre 1994, série A n° 303-C), à propos des effets néfastes de la pollution causée par l'activité d'une station d'épuration sise à proximité du domicile de la requérante, la Cour a jugé que l'Etat défendeur n'a pas su ménager un juste équilibre entre l'intérêt du bien-être économique de la ville de Lorca – celui de disposer d'une station d'épuration – et la jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale (p. 56, § 58).
Enfin, dans l'arrêt Guerra et autres c. Italie du 19 février 1998 (mutatis mutandis, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), la Cour a constaté que l'incidence directe des émissions nocives de l'usine Enichem sur le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale permettait de conclure à l'applicabilité de l'article 8 (p. 227, § 57) ; elle a décidé que l’Italie avait enfreint cette disposition pour ne pas avoir communiqué aux requérantes des informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour elles et leur proches du fait de continuer à résider sur le territoire de Manfredonia, une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans l'enceinte de l'usine (p. 228, § 60).
35.  Or en l'espèce, le droit revendiqué par M. Botta, à savoir celui de pouvoir accéder à la plage et à la mer loin de sa demeure habituelle pendant ses vacances, concerne des relations interpersonnelles d'un contenu si ample et indéterminé qu'aucun lien direct entre les mesures exigées de l'Etat pour remédier aux omissions des établissements de bains privés et la vie privée de l'intéressé, n'est envisageable.
Partant, l'article 8 ne s'applique pas.
ii. sur la violation allÉguÉe de l'article 14 de la convention combinÉ avec l'article 8
36.  Selon l'article 14 de la Convention,
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
37.  Invoquant l'article 14 combiné avec l'article 8, le requérant se prétend enfin victime d'une discrimination, en tant que handicapé, dans l’exercice de droits fondamentaux garantis à tous. Si la notion de discrimination englobe tous les cas où un individu se trouve traité de manière moins favorable qu’un autre individu, sans que cela soit dûment justifié, une personne handicapée subit un traitement différent, ou différencié, sans justification objective ou raisonnable, par rapport à des personnes qui ne sont pas inaptes ou invalides. Certes, cette discrimination ne subsisterait pas en droit, puisque la législation nationale non seulement contient diverses dispositions qui visent à assurer l’égalité, mais également prévoit des « mesures positives » en faveur de cette catégorie de personnes. Cette disparité subsiste cependant de fait et se manifesterait dans les situations et circonstances de l'espèce. D'ailleurs, la Cour examinerait concrètement les faits et les éventuels traitements discriminatoires : elle n’apprécierait pas abstraitement les règlements nationaux incriminés, mais bien la façon dont ceux-ci ont été appliqués à l’intéressé.
38.  Gouvernement et Commission rejettent cette thèse.
39.  Selon la jurisprudence de la Cour, « l'article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée     autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses » (arrêts Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A n° 94, p. 35, § 71, et Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A n° 126, p. 17, § 36).
La Cour ayant conclu à l'inapplicabilité de l'article 8, l'article 14 ne peut entrer en ligne de compte en l'espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, à l’unanimité,
1.      Dit que l'article 8 de la Convention ne s’applique pas ;
2. Dit que l'article 14 de la Convention ne s'applique pas.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 24 février 1998.
Signé : Feyyaz gölcüklü
Président
Signé :  Herbert Petzold
Greffier
1.  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2.  L'affaire porte le n° 153/1996/772/973. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3.  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
4. Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
ARRÊT BOTTA DU 24 FéVRIER 1998
ARRÊT BOTTA DU 24 FéVRIER 1998


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 21439/93
Date de la décision : 24/02/1998
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Art. 8 inapplicable ; Art. 14 inapplicable

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION


Parties
Demandeurs : BOTTA
Défendeurs : ITALIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1998-02-24;21439.93 ?
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