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31/03/1993 | CEDH | N°18228/91

CEDH | P.M. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18228/91 présentée par P.M. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ

J.-C. GEUS M. NOWICKI ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18228/91 présentée par P.M. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 5 avril 1991 par P.M. contre la France et enregistrée le 21 mai 1991 sous le No de dossier 18228/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu la décision de la Commission, en date du 1er avril 1992, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et d'inviter ce dernier à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 10 août 1992 complétées le 7 octobre 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant le 19 novembre 1992 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant français, né en 1943 à Saïda (Algérie) et exerçant la profession de maçon. Au moment de l'introduction de sa requête, il était détenu à la maison d'arrêt de Nice. Devant la Commission, le requérant est représenté par Maître Joseph Ciccolini, avocat au barreau de Nice. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le 20 août 1987, le requérant a été placé sous mandat de dépôt sous la prévention de viol sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité et incarcéré à la maison d'arrêt de Nice. Le 12 décembre 1990, il était condamné à 15 années de réclusion criminelle pour viol aggravé.
I. Les demandes de mise en liberté Les trois premières demandes de mise en liberté furent présentées au juge d'instruction les 16 octobre 1987, 28 décembre 1987 et 18 janvier 1988. Elles furent respectivement rejetées par ordonnances des 21 octobre 1987, 31 décembre 1987 et 22 janvier 1988, aux motifs que la détention provisoire de l'inculpé était l'unique moyen de conserver les preuves ou indices matériels et d'empêcher une pression sur les témoins, et qu'elle était nécessaire pour préserver l'ordre public, pour prévenir le renouvellement de l'infraction et pour garantir le maintien de l'inculpé à la disposition de la justice. Le 30 mai 1988, une nouvelle demande de mise en liberté fut présentée et rejetée par ordonnance en date du 3 juin 1988. Le requérant fit appel de cette ordonnance de rejet le 6 juin et la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence confirma l'ordonnance par un arrêt du 29 juin 1988, au motif que les présomptions réunies contre le requérant étaient lourdes et se rapportaient à des faits graves, qui avaient apporté un trouble durable à l'ordre public. En outre, le maintien en détention s'imposait pour les nécessités de l'instruction et pour éviter les pressions sur des témoins ou sur la victime. Le 30 juin 1988, une cinquième demande de mise en liberté fut présentée, puis rejetée par ordonnance du 5 juillet, ordonnance frappée d'appel le 7 juillet. Deux mémoires d'appel furent déposés le 21 juillet 1988. Cet appel du requérant fut à nouveau rejeté par un arrêt du 2 août 1988 de la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence en raison de la nécessité de préserver l'ordre public et d'éviter que le requérant ne profite d'une éventuelle liberté pour exercer des pressions sur la victime. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt le 24 août 1988. Il reprochait aux magistrats de la chambre d'accusation de ne pas avoir fait état, dans leur décision, des deux mémoires d'appel, pourtant transmis en temps utile par son avocat, et donc de ne répondre à aucun des moyens développés dans ces mémoires, en violation des droits de la défense. Il concluait aussi à la violation de l'article 5 par. 4 de la Convention puisqu'il n'avait pas, selon lui, été statué à bref délai sur la légalité de sa détention. Le 6 décembre 1988, la Cour de cassation cassa et annula l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence au motif que celle-ci n'avait pas fait mention des deux mémoires déposésdevant elle par le requérant, violant ainsi l'article 216 du C procédure pénale et les droits de la défense, et ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle. La Cour de cassation renvoya donc l'affaire devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble. Devant cette juridiction, le requérant se plaignit de la durée de la procédure et de la durée d'examen de sa demande de mise en liberté. Toutefois, la chambre d'accusation, par un arrêt du 24 mars 1989, confirma l'ordonnance du juge d'instruction en rejetant la demande de mise en liberté, aux motifs que des charges précises et concordantes existaient contre le requérant, que l'ordre public était gravement troublé et que, étant donné la gravité des faits et la nécessité de nombreux actes d'instruction, d'ailleurs demandés par le requérant, la durée de l'information n'était pas anormalement longue eu égard aux dispositions de la Convention européenne. En outre, le maintien du requérant en détention provisoire se justifiait également par la nécessité d'éviter le risque de pressions sur la victime et les témoins et de garantir la représentation en justice du requérant. Le 31 mars 1989, le juge d'instruction rendit une ordonnance de transmission de pièces au Procureur Général, qui saisit la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence. Le 2 mai 1989, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté devant la chambre d'accusation d'Aix. Il invoquait, dans un mémoire, la violation des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 de la Convention. La chambre d'accusation rendit, le 17 mai 1989, un arrêt de rejet de cette demande, au motif que, étant donné les lourdes présomptions réunies à l'encontre du requérant, le risque de pressions sur les témoins ou sur la victime ainsi que le risque de fuite n'étaient pas à exclure en cas de remise en liberté du requérant. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cette décision, en relevant qu'à nouveau les magistrats d'Aix n'avaient pas visé le mémoire produit par son avocat, et avaient motivé leur arrêt par des considérations d'ordre général, en violation des droits de la défense. Par un arrêt du 22 août 1989, la Cour de cassation accueillit le moyen de cassation soulevé par le requérant, cassa et annula l'arrêt de la chambre d'accusation d'Aix, au motif que, n'ayant ni visé le mémoire du requérant régulièrement déposé, ni répondu aux arguments qu'il contenait, la chambre d'accusation n'a pas permis à la Cour de cassation d'exercer son contrôle. Celle-ci renvoya donc l'affaire devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes. Cette dernière rendit un arrêt de rejet de la demande de mise en liberté le 6 décembre 1989, en se fondant sur l'existence du risque de pressions sur la victime, sur la nécessité de garantir la représentation du requérant devant la cour d'assises et sur le fait que la durée de l'instruction était raisonnable eu égard au système de défense adopté par le requérant et à la nature des faits criminels qui lui étaient reprochés. La chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes conclut donc à l'absence de violation de l'article 5 par. 4 de la Convention et rejeta la demande de mise en liberté du requérant. Celui-ci forma, le 15 janvier 1990, un pourvoi en cassation contre cette décision. Le 21 mai 1990, la chambre criminelle de la Cour de cassation dit n'y avoir lieu à statuer sur le pourvoi, devenu sans objet, puisque, après le renvoi du requérant devant la cour d'assises par l'arrêt du 24 mai 1989 (devenu définitif le 5 octobre 1989 par le rejet du pourvoi introduit par le requérant contre l'arrêt de renvoi), le requérant était désormais maintenu en détention en vertu de l'ordonnance de prise de corps rendue dans ce même arrêt. Le 16 juillet 1990, le requérant, invoquant l'article 5 par. 3 de la Convention, présenta une septième demande de mise en liberté à la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence, qui la rejeta par un arrêt du 1er août 1990, en se fondant sur le caractère "normal" des délais de comparution eu égard au comportement procédurier du requérant, sur le risque de pressions sur la victime, sur le danger de fuite du requérant compte tenu des peines encourues et sur l'importance des présomptions pesant sur lui. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cette décision, en invoquant notamment l'article 5 par. 3 de la Convention. Par arrêt du 26 novembre 1990, la Cour de cassation rejeta ce pourvoi au motif que le caractère raisonnable d'une durée de procédure relève de l'appréciation souveraine des juges de la chambre d'accusation, juges du fond.
II. Déroulement de la procédure au fond La victime déposa plainte le 17 août 1987, et le lendemain eurent lieu un examen médical, des auditions du requérant, de sa femme et d'amis de la victime, ainsi qu'une confrontation entre le requérant, sa femme, la victime et un ami de celle-ci. Les 19 et 20 août 1987, d'autres auditions eurent lieu. En outre, le 20 août, la victime fit l'objet d'un examen psychologique, et elle fit sa déposition devant le juge d'instruction, de même que sa mère, la femme du requérant. Le même jour, un réquisitoire introductif fut pris contre le requérant, inculpé du chef de viol sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité, un procès-verbal de première comparution fut dressé et le requérant fut placé sous mandat de dépôt. Le 24 août 1987, plusieurs ordonnances furent prises aux fins d'examen médico-psychologique et psychiatrique du requérant, aux fins d'enquête de personnalité et d'enquête sociale. En outre, une commission rogatoire, complétée ensuite à 4 reprises, fut ordonnée aux fins de diverses auditions et enquête de voisinage. Le 25 août 1987, une demande de renseignements sur le requérant fut adressée au commissariat de police de Nice. Le 27 août 1987, l'interrogatoire du requérant fut reporté à sa demande. Le 2 septembre 1987, des experts furent commis aux fins de renseignements médicaux sur la victime. Le 15 septembre 1987, l'interrogatoire du requérant, qui avait été reporté à sa demande le 27 août, eut lieu et le rapport de l'examen psychologique de la victime fut notifié. Le 18 septembre, un complément de la commission rogatoire du 24 août, aux fins d'auditions et enquête de voisinage, fut ordonné. Le 19 septembre, le rapport d'enquête de personnalité, ordonné le 24 août, fut déposé. Le 21 septembre 1987, l'avocat du requérant sollicita des mesures d'instruction (expertise, complément d'expertise, audition de huit personnes et confrontation avec la victime). Les 1er et 15 octobre 1987, la femme du requérant et la grand- mère de la victime furent entendues. Le 2 octobre, la commission rogatoire du 24 août fut complétée une deuxième fois et le 12 octobre une confrontation eut lieu entre le requérant et la victime. Le 16 octobre 1987, l'avocat du requérant demanda des investigations supplémentaires (auditions, examen médical du requérant, visite de son appartement). Les 19, 20 octobre et 7 décembre 1987, trois examens médicaux concernant la victime et le requérant furent ordonnés dont les rapports furent déposés les 26 octobre, 16 novembre 1987 et 25 février 1988. Les 20 et 22 octobre 1987, la commission rogatoire du 24 août 1987 fut à nouveau complétée. Le rapport d'expertise médico- psychologique, ordonné le 24 août 1987, fut déposé le 13 novembre et notifié au requérant le 2 décembre 1987. Le 7 décembre 1987, des experts furent commis aux fins de dosage hormonal de la victime. Le 16 décembre 1987, le rapport de l'expertise psychiatrique du requérant, ordonnée le 24 août 1987, et le rapport d'expertise relatif aux renseignements médicaux sur la victime, ordonné le 2 septembre 1987, furent déposés. Le 8 janvier 1988, la commission rogatoire du 24 août 1987, complétée à quatre reprises, fut retournée. Le 13 janvier, la demande de renseignements du 25 août 1987 fut également retournée. Le 28 janvier 1988, un interrogatoire de curriculum vitae du requérant eut lieu. Du 29 janvier au 20 avril 1988, 12 commissions rogatoires furent délivrées à différents commandants de gendarmeries, qui furent retournées entre le 8 février et le 9 juin 1988. Entre-temps, le 25 février 1988, le rapport concernant le dosage hormonal de la victime fut déposé et le 14 mars 1988, le rapport de l'enquête sociale, ordonnée le 24 août 1987, fut également déposé. Le 7 avril 1988, les rapports d'expertises médicales et de dosage hormonal de la victime, déposés les 16 décembre 1987 et 25 février 1988, furent notifiés au requérant. Le 2 mai 1988, l'avocat du requérant sollicita à nouveau des investigations supplémentaires : un complément d'examen hormonal de la victime, un complément d'audition d'un médecin et de la victime et la visite du domicile du requérant et de sa femme. Le 16 mai 1988, des experts furent commis par ordonnance, aux fins de complément d'expertise hormonale de la victime. Par ailleurs, les 17 mai et 8 août 1988, le juge d'instruction délivra deux commissions rogatoires aux fins d'auditions. Le 2 juin 1988, la victime se constitua partie civile et fut auditionnée le 13 juin 1988. Le même jour, sept rapports d'expertise et des résultats d'examen du requérant lui furent notifiés. Le 6 juillet, la commission rogatoire du 17 mai 1988 fut retournée, et le 8 août une autre fut délivrée aux fins d'audition des membres de la famille de la victime. Le 28 septembre 1988, le juge d'instruction fut remplacé. Le 4 octobre, la commission rogatoire du 8 août fut retournée. Le 13 janvier 1989, le procès-verbal de non-comparution de la femme du requérant, partie sans laisser d'adresse, fut dressé. Le 7 février 1989, l'avocat du requérant donna la nouvelle adresse de la femme de celui-ci au juge d'instruction. Le 28 février 1989, le requérant fut interrogé par le magistrat instructeur. Le 23 mars 1989, les experts nommés le 16 mai 1988 informèrent le juge d'instruction que la victime ne s'était pas présentée aux différents rendez-vous qui lui avaient été fixés. Devant le refus de la partie civile, le juge d'instruction nouvellement désigné décida de ne pas donner suite à l'examen hormonal ordonné le 16 mai 1988. Le 31 mars 1989, le juge d'instruction rendit une ordonnance de transmission des pièces au parquet général, qui saisit la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence. Le 3 mai 1989, le procureur prit un réquisitoire de renvoi en cour d'assises. Le 24 mai 1989, le requérant fut renvoyé à comparaître devant la cour d'assises des Alpes Maritimes par un arrêt de la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence. Le pourvoi du requérant fut rejeté par la Cour de cassation le 5 octobre 1989. Le 12 décembre 1990, le requérant fut condamné par la cour d'assises à 15 années de réclusion criminelle. Le 18 mars 1991, le pourvoi du requérant contre cet arrêt fut rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
GRIEFS
1. Le requérant rappelle qu'il a été maintenu en détention provisoire du 20 août 1987, jour de son arrestation, au 12 décembre 1990, jour de sa condamnation, soit un total de presque 40 mois. Il se plaint de la durée excessive de sa détention provisoire et invoque la violation de l'article 5 par. 3 de la Convention.
2. Le requérant estime également que la durée de 40 mois entre son inculpation et son jugement ne constitue en rien le "délai raisonnable de la procédure" au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 5 avril 1991 et enregistrée le 21 mai 1991. Le 1er avril 1992, la Commission a décidé, conformément à l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner connaissance de la requête au Gouvernement français et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien- fondé du grief portant sur la durée de la détention provisoire du requérant et sur la durée de la procédure au regard des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 de la Convention. Le 24 juillet 1992, le Gouvernement a demandé une prorogation de délai au 15 août 1992, prorogation qui lui a été accordée le 27 juillet 1992 par le Président de la Commission. Les observations du Gouvernement défendeur sont parvenues au secrétariat de la Commission le 21 août 1992. Le 6 octobre 1992, le requérant a demandé une prorogation de délai, ainsi qu'un exemplaire complet des observations du Gouvernement. Le 28 octobre 1992, la Commission a fait parvenir ces observations au requérant et une prorogation de délai lui a été accordée jusqu'au 23 novembre 1992 par le Président de la Commission. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 19 novembre 1992.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d'abord de la durée de sa détention provisoire au sens de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Sur ce point, le Gouvernement soutient que la détention du requérant était nécessaire pendant toute la durée de la procédure, et il invoque à cet égard la gravité des faits, le danger de fuite du requérant, ainsi que la nécessité de protéger la victime, dont l'adresse pouvait être retrouvée, ainsi que les témoins et d'éviter que des pressions puissent être exercées sur eux. Le Gouvernement relève en outre que le requérant a diligenté de nombreuses actions visant à obtenir sa remise en liberté, à savoir 7 demandes de mise en liberté, 2 appels, 3 pourvois en cassation, mais que ce n'est qu'à compter du 30 juin 1988 que la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) a été invoquée par le requérant. Le requérant conteste cette argumentation et soutient que sa détention ne s'imposait aucunement. En effet, selon lui, tout risque de fuite était exclu dans la mesure où il présentait des garanties de représentation sérieuses telles qu'un casier judiciaire vierge, une garantie d'embauche, une situation familiale. Concernant la gravité des faits qui lui sont reprochés, il estime que son maintien en détention a constitué un "préjugement de culpabilité" et relève qu'aucune considération visant un trouble de l'ordre public en cas de remise en liberté n'a jamais été soulevée. Quant aux pressions possibles sur la victime et les témoins, le requérant souligne qu'il ignorait l'adresse de la victime, que de telles pressions auraient été vaines et maladroites, et qu'en tout état de cause un contrôle judiciaire aurait permis d'en écarter le risque. Enfin, le requérant affirme que, par deux fois, des mémoires régulièrement déposés ont été délibérément ignorés par la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence, ce qui a engendré deux longs contentieux dont les délais, respectivement huit et sept mois, sont, selon lui, contraires aux dispositions de l'article 5 par. 3 et 4 (art. 5-3, 4) de la Convention. La Commission note que le requérant a été inculpé le 20 août 1987 et condamné le 12 décembre 1990 par la cour d'assises dont l'arrêt constitue en l'espèce la date définitive dont il faut tenir compte au titre de l'article 5 par. 3 (art. 5-3). La détention a donc duré 3 ans, 3 mois et 22 jours. La Commission rappelle que, selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des Droits de l'Homme, il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires de veiller à ce que la durée de la détention provisoire soit raisonnable. Il leur incombe à cette fin d'examiner "toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence d'une véritable exigence d'intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d'en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controuvés indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention" (voir notamment Cour eur. D.H., arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37, par. 4-5 et, récemment, arrêts Letellier du 26 juin 1991, série A n° 207, p. 18, par. 35 et Kemmache du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 23, par. 45). Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur la question de savoir si la détention provisoire du requérant s'est prolongée au-delà du "délai raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, la Commission estime, à la lumière de sa propre jurisprudence et de celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que cet aspect de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint ensuite de la durée de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Selon le Gouvernement, il convient de distinguer deux périodes : Tout d'abord, la période du 20 août 1987, date du placement sous mandat de dépôt du requérant, au 5 octobre 1989, fin de l'instruction, qui couvre le déroulement de l'instruction, soit vingt-six mois environ. Au cours de cette période, les actes d'instruction se sont succédé, selon le Gouvernement, sans temps mort, excepté entre le 8 août 1988 et le 29 septembre 1988, date de remplacement du juge d'instruction, et entre le 4 octobre 1988 et le 13 janvier 1989, période au cours de laquelle la femme du requérant, partie sans laisser d'adresse, n'a pu être à nouveau entendue, comme celui-ci l'avait demandé. Le Gouvernement estime en outre que la longueur de la procédure n'est pas anormale compte tenu du système de défense mis en oeuvre par le requérant, qui a toujours nié les faits et qui a réclamé de nombreuses investigations au juge d'instruction. Ensuite, la période du 5 octobre 1989, date du rejet du pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt de renvoi en assises, au 12 décembre 1990, date de l'arrêt de la cour d'assises condamnant le requérant : le Gouvernement invoque ici l'encombrement de la cour d'assises d'une part, et l'attitude du requérant d'autre part. Celui- ci, en multipliant les recours relatifs à sa détention provisoire, aurait compliqué d'autant la procédure au fond, ce même si le contentieux concernant la liberté n'est pas suspensif du jugement au fond. Le Gouvernement soutient donc que le requérant a été jugé dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le requérant, quant à lui, estime que ses demandes d'investigations n'ont engendré aucun allongement de l'instruction, et que l'essentiel du délai, écoulé à compter du 6 juillet 1988, ne lui est pas imputable. Il conteste par ailleurs l'affirmation du Gouvernement qui attribue le "temps mort" du 4 octobre 1988 au 13 janvier 1989 à la disparition de sa femme, partie sans laisser d'adresse. Selon le requérant, cette dernière a bel et bien été entendue le 2 juin 1988. En outre, le requérant rappelle que le contentieux relatif à la détention provisoire est totalement indépendant, en droit français, de la procédure de jugement au fond. Il conclut donc à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission note que le requérant a été inculpé le 20 août 1987, qu'il a été renvoyé devant la cour d'assises le 24 mai 1989, que cette dernière a rendu son jugement le 12 décembre 1990, que le requérant s'est pourvu en cassation, et que la Cour de cassation s'est prononcée le 18 mars 1991, par un arrêt qui constitue en l'espèce la décision définitive. La procédure a donc duré trois ans, six mois et vingt-six jours. Elle rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités judiciaires (voir Cour eur. D.H., arrêt Kemmache du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 27, par. 60). La Commission estime que le grief pose de sérieuses questions de fait et de droit concernant la durée de la procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, ce grief ne saurait être déclarée manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate en outre que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de la durée de la détention provisoire du requérant à la majorité, DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de la durée de la procédure pénale diligentée à l'encontre du requérant. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 18228/91
Date de la décision : 31/03/1993
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) PEINE DEGRADANTE


Parties
Demandeurs : P.M.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-03-31;18228.91 ?

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