SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 14556/89 présentée par Jean PAPAMICHALOPOULOS et 13 autres personnes contre la Grèce ------ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS M.P. PELLONPÄÄ M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 7 novembre 1988 par Jean PAPAMICHALOPOULOS et 13 autres personnes contre la Grèce et enregistrée le 30 janvier 1989 sous le No de dossier 14556/89 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 24 avril 1990 et les observations en réponse présentées par les requérants le 2 juillet 1990 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent être résumés comme suit : Les requérants,au nombre de quatorze, sont des ressortissants grecs. Leurs noms figurent en annexe à la présente décision. Ils sont représentés devant la Commission par Maître Georges Vitalis, avocat au barreau d'Athènes. Le 22 août 1967 l'Etat a transféré par donation (acte législatif obligatoire "anagastikos nomos" 109/1967) au Fonds de la Marine nationale (Tameio Ethnikou Stolou) une vaste région à proximité de la plage d'Aghia Marina, considérée comme région forestière appartenant à l'Etat. Il s'est avéré toutefois qu'une partie du domaine transféré était constituée de terrains agricoles appartenant aux requérants ou à leurs de cujus (ci-après les requérants). Ceux-ci ont demandé au Procureur du tribunal de première instance, autorité judiciaire compétente, d'ordonner des mesures provisoires tendant à la restitution de leurs terrains occupés par le Fonds de la Marine nationale. Par trois ordonnances datées du 30 juillet 1968, il a été fait droit aux demandes des requérants. Par ailleurs, le 12 avril 1969 le Ministère de l'agriculture a informé le Fonds de la Marine nationale qu'une partie des terrains qui lui avaient été transférés étaient des terrains agricoles appartenant à des particuliers et ne pouvant faire l'objet de donation. Toutefois, aucune restitution n'a eu lieu et des travaux ont été entrepris sur lesdits terrains en vue de la construction d'une base navale et d'un village de vacances pour les officiers de la Marine. Après la fin du régime des colonels, M. Pierre Papamichalopoulos, auteur des requérants Jean et Pantelis Papamichalopoulos, a saisi le tribunal de première instance d'Athènes (Polymeles Protodikeio Athinon) demandant qu'il soit reconnu propriétaire de trois terrains d'une superficie totale de 2.500 m2. Par jugement du 28 février 1976 le tribunal a fait droit à la demande et a ordonné la restitution desdits terrains. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 31 décembre 1976 de la cour d'appel (Efeteio) d'Athènes. Le pourvoi du Fonds de la Marine nationale a été rejeté par arrêt du 14 juin 1978 (n° 775/1978) de la Cour de cassation (Areios Pagos). Le 17 juillet 1978 M. Pierre Papamichalopoulos a signifié par huissier de justice les décisions judiciaires susmentionnées au Fonds de la Marine nationale, en vue de leur exécution. Le 28 septembre 1978, suivi d'un huissier de justice, M. Pierre Papamichalopoulos s'est rendu à la base navale et a demandé l'exécution des décisions. Toutefois, l'officier commandant a empêché l'huissier de justice de pénétrer dans les lieux. M. Pierre Papamichalopoulos s'est plaint sans succès au Procureur de la Cour de cassation de l'impossibilité de faire exécuter les décisions judiciaires qui lui étaient favorables. Le 22 juillet 1980, les requérants ont été informés par le ministre de la Défense nationale qu'une restitution n'était pas possible mais qu'une procédure était en cours, visant à l'octroi d'autres terrains en remplacement des terrains occupés par le Fonds de la Marine nationale. Le 16 octobre 1980, le ministre de l'Agriculture a proposé à la préfecture d'Attique d'octroyer aux requérants des terrains situés dans cette localité d'une valeur analogue à ceux occupés par le Fonds de la Marine nationale. Le ministre a précisé que bien que les décisions judiciaires rendues n'eussent concerné que certains des particuliers dépossédés en 1967, les actions en justice éventuelles ou pendantes des autres intéressés n'auraient pu aboutir qu'à la reconnaissance des droits de propriété de ceux-ci. Une commission d'experts du Ministère de l'agriculture a été chargée de désigner les terrains à céder aux requérants. Celle-ci a achevé ses travaux le 3 février 1982. Toutefois la cession des terrains n'a pas pu avoir lieu. Par la loi (nomos) 1341/1983 il a été reconnu expressément que les propriétaires des terrains occupés par le Fonds de la Marine nationale auraient pu, suivant la procédure décrite à l'article 263 du code agricole (Agrotikos kodix), demander l'échange de leurs terrains. Une procédure de vérification des titres de propriété des requérants devait être néanmoins suivie. Les requérants ont saisi, conformément à la loi susmentionnée, la Commission d'expropriation (Epitropi Apallotrioseon) qui par décision du 19 septembre 1983 a reconnu leurs droits de propriété. Le 8 décembre 1983 le Fonds de la Marine a recouru contre cette décision devant le tribunal de première instance d'Athènes. L'Etat grec est intervenu dans la procédure le 25 janvier 1984. Par jugement du 31 mai 1984 le tribunal a rejeté le recours. Le 29 décembre 1986 la cour d'appel d'Athènes a confirmé le jugement du tribunal de première instance d'Athènes du 31 mai 1984. Par arrêt du 8 janvier 1988 la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel par l'Etat grec. Par arrêt du 24 juin 1988 elle a, par ailleurs, rejeté le pourvoi du Fonds de la Marine nationale. Dans une procédure parallèle, les requérants avaient saisi en 1979 le tribunal de première instance d'Athènes d'une action en dommages-intérêts dirigée contre le Fonds de la Marine et l'Etat grec. En 1984 ils ont réitéré leurs demandes. Par deux jugements du 21 juin 1985 le tribunal a ajourné l'examen de ces affaires au motif que la question de savoir si les requérants étaient propriétaires du terrain occupé faisait l'objet d'autres procédures en cours. Entre-temps, le ministre de l'Agriculture avait informé les requérants que l'échange des terrains proposé par la commission d'experts en 1982 n'était plus possible et qu'il n'existait pas de terrains disponibles pour l'échange en Attique. En novembre 1987 l'octroi de terrains situés dans le département de Pierrie, à 450 km des terrains occupés, a été proposé. Soucieux de mettre fin au litige les requérants ont accepté en principe et ont demandé qu'une commission de la préfecture de Pierrie évalue les terrains proposés. Toutefois, aucune démarche administrative n'a suivi. Les requérants se sont adressés à plusieurs reprises aux ministres compétents. En novembre 1988 les ministres de la Défense nationale et de l'Agriculture ont informé le Parlement que les services compétents de leurs ministères enquêtaient sur la possibilité d'octroyer aux requérants des terrains situés en Pierrie.
GRIEFS Les requérants estiment qu'ils ont été arbitrairement privés de leurs biens. Ils précisent que de nombreuses décisions judiciaires et administratives ont reconnu leurs droits de propriété et le caractère illégal de l'occupation de leurs terrains par le Fonds de la Marine nationale mais qu'ils n'ont pu jusqu'à ce jour ni disposer de leurs biens ni être indemnisés conformément à la loi. Les requérants invoquent l'article 1 du Protocole additionnel à la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 7 novembre 1988 et enregistrée le 30 janvier 1989. Le 13 février 1990 la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement de la Grèce et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 24 avril 1990. Les requérants ont présenté leurs observations en réponse le 2 juillet 1990.
EN DROIT Les requérants se plaignent que leurs terrains ont été occupés depuis 1967 par le Fonds de la Marine et qu'ils n'ont pu depuis lors ni disposer de leurs biens ni être indemnisés conformément à la loi. Ils invoquent l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1) à la Convention qui dispose ce qui suit : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." Le Gouvernement défendeur soutient que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes selon les principes du droit international généralement reconnus. Il observe sur ce point que les requérants ont introduit des actions en dommages-intérêts contre le Fonds de la Marine et l'Etat grec réclamant la réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de l'occupation de leurs terrains et que ces actions sont toujours pendantes devant les juridictions nationales. Les requérants admettent que de telles actions sont pendantes mais observent que leur objet est différent de celui de la présente requête. Ils soutiennent que l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement doit être rejetée. La Commission observe que pour satisfaire à la condition de l'épuisement des voies de recours internes les requérants doivent faire usage des recours efficaces qui leur sont ouverts en droit interne. Elle note que les actions en dommages-intérêts introduites par les requérants visent la réparation du préjudice qu'ils allèguent avoir subi du fait de l'occupation illégale de leurs terrains. L'issue éventuellement favorable aux requérants des procédures y relatives pourrait, dès lors, remédier, dans une certaine mesure, à la situation résultant de l'occupation. L'aboutissement de ces procédures dépend, néanmoins, de la procédure administrative concernant l'échange des terrains occupés par d'autres. A cet égard la Commission note que les procédures relatives aux actions en dommages-intérêts ont dû être suspendues tout au long de la procédure de la vérification des titres des requérants. De plus, l'étendue du dommage résultant de l'occupation ne pourra être déterminée qu'une fois que l'occupation aura cessé, de manière fictive, par l'échange projeté des terrains. La Commission observe que depuis 1974 les requérants ont dû faire face successivement à l'impossibilité d'exécuter les décisions ordonnant la restitution des terrains, à l'inexistence de dispositions légales adéquates permettant l'échange des terrains, à une procédure de 5 ans concernant la vérification de leurs titres et, enfin, à une nouvelle procédure d'échange de terrains toujours en cours. Les procédures relatives aux actions en dommages-intérêts sont pendantes en première instance depuis 1979, pour certains requérants, et depuis 1984, pour d'autres. Par ailleurs, l'occupation continue des terrains est, à ne pas en douter, préjudiciable aux requérants. La Commission rappelle que la longueur des procédures internes combinée avec le fait qu'une situation préjudiciable perdure peut relever un individu, selon les principes du droit international généralement reconnus, de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes (cf. N° 6699/74, déc. 15.12.77, D.R. 11 p. 16). Vu les circonstances particulières susmentionnées, la Commission estime qu'en l'espèce on ne saurait exiger que les requérants attendent plus longtemps l'issue des procédures qu'ils ont entamées. Il s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne peut être retenue. Quant au bien-fondé du grief le Gouvernement soutient que les questions soulevées par l'occupation des terrains des requérants devaient être tranchées dans le cadre des procédures judiciaires nationales. Ces procédures n'ont pris fin qu'en 1988 et, dès lors, ce n'est qu'en ce moment que l'administration a été chargée de prendre les mesures nécessaires pour régler le problème de l'occupation des terrains. Or, le temps qui s'est écoulé depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 1988 ne peut aucunement être considéré comme excessif, compte tenu de la complexité de la situation. Aucune atteinte au droit des requérants au respect de leurs biens ne peut être décelée en l'espèce. Les requérants soutiennent que l'Etat grec s'est engagé dans des procédures dilatoires dans le seul but de retarder la solution du problème soulevé par l'occupation de leurs terrains. Ils soulignent le fait qu'ils sont en fait privés de leurs biens depuis plus de vingt ans sans une contrepartie quelconque. La Commission a procédé à un examen préliminaire de la requête à la lumière des arguments des parties. Elle estime que celle-ci soulève des problèmes complexes de droit et de fait qui nécessitent un examen au fond et ne peut, dès lors, être considérée comme manifestement mal fondée. La Commission constate en outre que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond étant réservés. Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD) Annexe LISTE DES REQUERANTS
1. Jean PAPAMICHALOPOULOS, domicilié à Amarousio (Grèce)
2. Pantelis PAPAMICHALOPOULOS, domicilié à Montréal (Canada)
3. Pierre KARAJANNIS, domicilié à Holargos (Grèce)
4. Angeliki KARAJANNIS, domiciliée à Holargos (Grèce)
5. Panajiotis ZONTANOS, domicilié au Pirée (Grèce)
6. Nikolas KYRIAKOPOULOS, domicilié à Nice de Pirée (Grèce)
7. Constantin TSAPALAS, domicilié à Paris (France)
8. Jeanne PANTELIDI, domiciliée à Paris (France)
9. Marika HATZINIKOLI, domiciliée à Athènes (Grèce)
10. Irène KREMYDA, domiciliée à Lykovrisi (Grèce)
11. Christine KREMYDA, domiciliée à Hania-Crète (Grèce)
12. Athanas KREMYDAS, domicilié à Liosia (Grèce)
13. Evangelos ZYBELOUDIS, domicilié à Liosia (Grèce)
14. Constantina TSOURI, domiciliée à Aghia Paraskevi (Grèce)