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04/03/1991 | CEDH | N°15299/89;15300/89;15318/89

CEDH | CHRYSOSTOMOS c. TURQUIE


he merits, under Article I of Protocol No . I to the Convention, but no issue under A-ticle 8 of -:he Convention, as regards the third applicant's right to respect For her liome . The Commission notes that the applicant grew up in Kyrenia in Northern Cyprus, but that ir . 1972 she married and moved with her husband to Nicosia .
59 . Tha : Commission concludes that the third applicant's complaint, that she was refused access to tter propen :y in Vorthern Cyprus after 28 January 1987, is not manifestly ill-founded, if considered under Article I of Protocol No . 1 to ttte Convention .
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hese reasons, the Commksion, bv a majorit y DECLARES ...

he merits, under Article I of Protocol No . I to the Convention, but no issue under A-ticle 8 of -:he Convention, as regards the third applicant's right to respect For her liome . The Commission notes that the applicant grew up in Kyrenia in Northern Cyprus, but that ir . 1972 she married and moved with her husband to Nicosia .
59 . Tha : Commission concludes that the third applicant's complaint, that she was refused access to tter propen :y in Vorthern Cyprus after 28 January 1987, is not manifestly ill-founded, if considered under Article I of Protocol No . 1 to ttte Convention .
Fot these reasons, the Commksion, bv a majorit y DECLARES A'DMISSIBLE Applications Nos . 15299/89 and 15300/89 without prejudging ttre merits of the cases ;
2 .(a) DECLARES INADMISSIBLE the complaints in Applicaticm No . 15318/89 of continuing violations of Article 8 of the Convention and Article I of Protocol No . I alleged to have occurred before 29 January 1987 ; (b) DECLARES ADMISSIBLE
the remainder of this
application,
without prejudgirig the merits of the case .
(TRADUCT,roN) EN FAIT 1.
Lei cincon.vtances parlicu,!ières des requêtes
Requête No 15299/89 Le premier requérant, de nalionalité chypriote.. est né en 1938 et réside à Larnaca, II est représenté par Me K. Chrysostomides, avocat exerçant à Nicosie .
Les faits de la cause tels qu'ils ont éeé exposés par ce requérant peuvent se résumer contme suSt. 2'; 3
I . Le 19 juillet 1989 - veille du 15e anniversaire de l'invasion de Chypre par la Turquie - le mouvement féminin panchypriote «Retoun a organisé une manifestation pour revendiquer le droit des réfugiés de rentrer dans
leurs foyers . Les manifestants voulaient entrer dans la «zone tampon» et y rester toute la nuit
jusqu'à l'aube, c'est-à-dire le moment où les premiers parachutistes turcs avaient atterri sur le sol chypriote le 20 juillet 1974. Cette zone est une bande de terre située entre les postes militaires de l'armée d'occupation turque et ceux de la garde nationale de la République de Chypre ; cette zone est actuellement placée sous la responsabilité de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) .
2 . A 17 h 45, le premier requérant commença à animer, avec d'autres ecclésiastiques, une réunion de prière pour les personnes portées disparues, dans l'église Saint Kassianos située dans la zone contrôlée par le Gouvernement de Chypre . Cette réunion suivait un service à la mémoire des personnes tuées pendant l'invasion de 1974, ainsi que d'un dépôt de gerbes . L'assemblée se composait de femmes. Celles-ci quittèrent l'église Saint Kassianos vers 18 h 15 . Le premier requérant termina avec les vêpres à 19 heures environ .
3 . II fut ensuite invité à présider une prière pour les personnes portées disparues, dans l'église abandonnée de Saint Georges, où de nombreuses femmes s'étaient réunies dans l'intervalle . Cette chapelle se trouve dans la «zone tampon», dans la cour de l'école Saint Kassianos . A son entrée dans l'église, le premier requérant fut salué par des membres de l'UNFICYP .
4 . Tandis qu'il animait la prière, des soldats turcs et des «policiers» chypriotes turcs firent irruption dans l'église et se mirent à frapper sans distinction toutes les personnes présentes. Alors qu'il était encore dans l'église, le premier requérant fut frappé brutalement à coups de crosse et de matraque et ses ravisseurs le rouèrent coups de pied . Un coup de matraque sur la tête fit voler sa mitre . Comme il tentait de la ramasser, ils continuèrent de le battre et de lui donner des coups de genou, ils l'insultèrent et l'humilièrent . Un «policier» lui saisit le poignet et le lui tordit, le força à avancer en lui faisant mal .
5 . Emmené de force, le premier requérant aperçut de nombreux civils, tenus à l'écart par des soldats turcs, qui l'assaillirent, lui crachèrent dessus, l'injurièrent et lui donnèrent des coups de poing . Il reçut un coup à l'oreille droite, qui provoqua une blessure dont il mit quelque cinq jours à guérir .
6. II fut ensuite emmené vers une voiture et conduit au «garage Pavlides», à Nicosie, de même que le second requérant et de nombreuses femmes qui avaient été capturées elles aussi .
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7 . Au garage Pavlides, ses ravisseurs teritèrent de lui ôter ses effets personnels, sa croix et ea croit: pectorale . Il refusa de les leur remettre. Un attroupement qni s'était formé à l'extérieur jeta des pierres sur le garage et l'une d'elles tomba à l'intérieur .
B . A une heure du matin, le 20 juillet, on commença à interroger le premier requérarit . L'interrogatoire dura quelque 4 .0 minutes. Lee . interrogateurs posèrent des queetions en grec et prirc:nt des notes en turc . Le premier requérant refusa de signer c;s notes . Quand on lui demanda s'il irait à une autre manifestation, il répondit qu'il irait à n'importe quelle nnanifestation pacifique parce qu'il ne reconnaissaiit aucune frontière dressée par la force ou la violence armée ; il n'avait rien fait de mal et s'était simplement trouvé dans un lieu sacré, en train dr, pricr pour les disparus et les morts . 9 . Vers 2 heures du matin, les premier et second requérants furent condnits au commissariat de police connu sous le nom de «Seragio», à Nicosie . Amenés dans un bureau, ils y fi¢ent laissés tout le reste de la nuit, assis sur deux chai5es . Le matin, deux interprètes entrèrent dans le bureau et se comportèrent de manière provocairice . Le premier requérant refusa le petit déjeuner qu'on lui offrit .
10 . Dans l'après-midi du 20 juillet 1989, le premier requérant apprit qu'il serait conduit devant un «tribunal» . Amené dans une grande salle au rez-de-chaussée, il fut accusé d'être entré illégalement dans la zone de la «République turque du nord de Chypre» et d'avoir violé la zone militaire A . Le «procureur» deinancla que le prernier re.quérant sait détenu pendant trois jours pour permettre un complénrent d'enqoête ; le «juge» uccorda deux jours . l1 . Le premier requérant fut ensuite transporté dans la prison dénommée «Ortagiogou» et d4tenu dans une cellule avec d'autres pe.rsonnes . Vers 19 tieures, il reçut la visite di «ministre de la Justice» . Il demanda à@tre. examiné par un médecin, car il sonffrait d'influenza . Le docteur promit de lui faire parvenir des antibiotiques et de l'aspirine, mais es médicaments n'arrivèrent pas .
1 2 . Immédiatement après, tous les détenus furent alignés pcur être comptés . Après uu moment, ils furent réalignés ponr que le gardien puisse s'assurer qu'ils étaient présents . Vers 23 h 30, on commença à ouv ri r les dossiers . Vers 2 cm 3 heures du matin, le 21 juillet, ori réveilla les détenus pour les photographier et on ne len laissa pas. tranquilles toute la nuil ..
13 . Vers 10 heures du matir, le premier requérant fut conduit au «tribunal» . Un interprèle était présent . Le premier requérant contesta la compétence clu «tribunal» d'un rirgime illégal non reconnu par les Etats ou les organisation s
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internationales . 11 se plaignit d'avoir été illégalement arrété dans son propre Etat alors qu'il p ri ait dans une église, dans une zone sous le contrôle des Nations Unies, et protesta de son innocence .
14. Le premier témoin déclara qu'il était officier responsable de la zone dans laquelle le premier requérant avait été arrêté, que celui-ci avait violé les frontières de la «République turque du nord de Chypre», et qu'il avait vu que le premier requérant se trouvait bien sur le «sol turc» au moment de l'arrestation . Lorsque le premier requérant demanda au témoin s'il savait que lui, premier requérant, se trouvait dans la zone contrôlée par l'UNFICYP, le «juge» n'autorisa pas la question . Plus tard, le témoin déclara ne pas avoir vu où le premier requérant avait été arrëté.
15 . Le premier requérant refusa de contre-interroger les autres témoins pour éviter de donner l'impression qu'il reconnaissait la compétence du «tribunal» . Celui-ci réserva son jugement .
16 . Le premier requérant fut reconduit en prison, où il reçut une serviette de la Croix-Rouge et des aliments. Dans l'après-midi, les détenus reçurent la visite de représentants des Nations Unies .
17 . Le premier requérant fut ensuite fouillé et conduit à nouveau devant le «tribunal» . Le «juge» donnant lecture de la «décision» dut interrompre le prononcé parce qu'un attroupement à l'extérieur criait :«le prêtre est un meurtrier», «le prêtre est un traïtre» et «livrez-nous le prêtre» . Le premier requérant fut déclaré «coupable» . Il répéta qu'il ne reconnaissait par la compétence du «ribunal» et qu'il avait été arrêté illégalement sur le territoire chypriote, pendant qu'il accomplissait ses fonctions religieuses et manifestait paciflquement . Le «juge» rappela sa constatation selon laquelle le premier requérant avait été arrêté sur le sol turc. Lorsque l'attroupement approcha du «prétoire», le «juge» interrompit la procédure et reçut un représentant de Reuter, qui avait regardé le «procès» dans son bureau .
1 8 . Lorsque le «juge» revint, le premier requérant se plaignit à nouveau de son arrestation . En présence de t ro is représentants des Nations Unies, il sollicita la protection de cette organisation . Le «juge» fit observer que sa protection était assurée par la «police d'Etat» . La «sentence du tribunal» fut trois jours de prison et 100 000 CYP d'amende ou, en cas de refus de paiement dix jours de prison .
1 9 . L'autobus dans lequel le premier requérant fut reconduit à la prison fut attaqué par la foule et une pierre frappa la vitre .
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20 . Le dimanche 23 juillet, le pre.mier requérant demanda l'autorisation danimer une rétnion de prière avec les détenus . Comme on lui refusa tout contact avec les feai détenues, la réunion de prière eut lieu en présence de détenus de sexe masculin seulement . 21 . Le 24 juillet, la messe fui interrompue par un «gardien» . Le premier requérant reçut des vêtements sacerdotaux et les instruments sacrés des mains de représentants des Nations Unies, rnais le directeur de la prison lui déclara qu'il lui était icterdit de prier et doffici?r . Le requérant :adressa une protestation aux Nation ; Unies et :;'abstint à partir de ce nroment-là d'absorber toute nourriture ou de se Isisser soigner. 22 . Le 25 juillet, le médecin vint examiner tous les détenus . Le premier requérant refusa Je se laisser examiner . Vers 11 h 30, il fut interrogé à riouveau . Plus tard dans la journée, on lui enleva effe :s personnels, montres, croix et chaines . 23 . Le 26 juillet, le premier requérant refusa à nouveau de se soumettrre à un examen médical aussi longtemps qu'on le priverait du droit de prier . Vers midi, il fut isolé pour avcir déclaré une grève de la faim . II fut enfermé dans une celhile étouffante et obscure jusqu'au lendemain matin . 24 . Le 27 juillet, le premier requérant fut conduit dans une pièce où se trouvai :nt ses interrogateurs, un médecin et le directeur de le prison . Il refusa d'étre examiné par le médecin ou de prendre de la nourriture er fut enfernié dans une cellule de 2 x 1,5 m sombre et sale . On lui dit qu'on amènerait ses effets personnels de la cellule où il se trouvait précédemment, ainsi qu'un drap de lit, ce qui ne fut jamais fait . Le premier requérant fut Iaissé dans cette cellule jusqu'à la visite d'un représentant des Naeions Unies . On le ramena ensuite dans son ancienrie cellule en lui disant que sa punii :ion de mise à l'isolement était termin§e . Il se plaignit auprès d'un repr',sentant des Nations Unies, en présence du directeur de la prison, de l'isolement et des conditions de détention . Le directeur déclara que les prisons ont leur propre règlement . l'lus tard dans l'après-rnidi, le premier requérant fut infornié par les repi-ésentants des Nations Unies qu'il serait libéré le 3 aoùt . Dans la soirée, il s'évanouit et voinit. Il refusa encore une fois tout examen médical et toute assistance des «policiers» . M . A .C ., un codétenu, lui fut d'un grand secours . 25 . Le. 28 juillet, un vendredi, des aliments furent placés au chevet du requérant . Devant son refus d'absorber quoi que ce soit, on insista e.t une équipe de télévision vint faire des prises de vue montrant les aliments . 26 . Dans l'aprésmidi du 29 juillet, ayant été conduit dans le bureau du directeur de la prison, le premier requérant refusa une nouvelle fois de se laisser examine r
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par un médecin . Le directeur déclara qu'il pouvait prendre une douche et se préparer, car il serait libéré aux environs de 20 h 30 . A 20 heures, il fut informé que sa libération était reportée au lendemain . On lui offrit à nouveau de la nourriture, mais il la refusa . Dans la soirée, il s'évanouit à nouveau et le second requérant lui vint en aide .
27 . Le 30 juillet, il fut fouillé et conduit dans le bureau du directeur. Une équipe de télévision était présente mais le premier requérant se refusa à faire une déclaration .
28 . Après sa libération, il fut hospitalisé pendant cinq jours à l'hôpital de Larnaca pour cause d'épuisement . Requête No 15300/89 Le second requérant, de nationalité chypriote, est né en 1949 et réside à Nicosie. Il est représenté par Me Chrysostomides, avocat exerçant à Nicosie . Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par ce requérant peuvent se résumer comme suit . 1 . Le 19 juillet 1989, le second requérant a animé, en compagnie du premier requérant, le service religieux dans l'église abandonnée de Saint Georges, située dans la «zone tampon» . En approchant de l'église, ils n'avaient pas été arrêtés par les deux officiers des Nations Unies, qui leur avaient adressé le salut militaire .
2 . Lorsque des soldats et des «policiers» turcs commencèrent à battre les femmes avec des matraques électriques, le second requérant tenta de les protéger . Il fut matraqué sans pitié et jeté à terre . Les soldats déchirèrent ses vêtements sacerdotaux et piétinèrent sa mitre, tout en continuant à lui donner des coups de pied, à le frapper et à lui cracher dessus . Les contusions provoquées par ce matraquage ont mis longtemps à disparaître et des grosseurs sont restées visibles sur sa jambe gauche . L'un des Turcs lui saisit la barbe et la lui tira jusqu'à ce que des touffes de poils lui restent dans les mains . Un Turc au teint sombre et portant un treillis camouflé le frappa si violemment à la figure qu'il en ressentit une grande douleur et perdit ses lunettes . 3 . Le second requérant fut conduit vers un autobus ; il dut traverser un attroupement de gens qui l'injurièrent, lui firent de grands gestes hostiles et lui crachèrent dessus . Il tenait dans les mains les morceaux de ses vêtements sacerdotaux déchirés et sa mitre ; ces effets ne pouvaient étre portés . Ses vêtements étaient pleins de crachats, comme sa figure . Pendant qu'on le conduisait ver s
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l'autobus, la foule ne cessa de le frapper . Il fut conduit au «garage Paidides» . L'attroupetnent qui s'était fermé à l'extérieur de celui-ci hurlait, menaçait et jetait des pierres contre les fen@tres et sur le toit, plongearit les détenus dans la panique et la peur . Une pierre passa à travers le toit et tomba dans le garage. A un moment, les soldats permirent à la foule de faire irruption dans le garage, mais plus tard ils la repoussèrent vers l'extérieur . 4 . A une heure du matin, le 2Cl juillet, on vint interroger le second requérant . Les interrogateurs posèrent des questions en grec et l'un d'eux prit des notes en turc . Lr, second rr,quérant refusa de signer les notes . Vers 2 heures du matin, le second requérant fut conduit avec le premier au «commissariat de police» connu sous le nom de «Seragio» . Ils furent laissés avec un garde, qui fut rempla-é plus tard par un autrt garde . Deux des personnes qui vinrent les voir cette nuit-là eurent ine attitude très provocatrice . A 14 h 30, on leur ordonna de descendre se présenter au «tribunal» . 5 . La procédure devant le «hribunal» fut courte. I-e «magistrat», invité à prolonger la détention de trcis jours supplémentaires pour de nouveaux interrogatoires, accorda deux jours de prolongation . 6 . Le second requérant fut ensuite conduit à une prison appelée «Seragio», où le «ministre de la Justice» vint le voir . 7 . Le 21 juillet, il fut réveillé à une heure du matin et conduit dans ure salle pour écrire son nom. Plus lard, il fut conduit devant le «tribunal» . Le premier requérant parla au nom du groupe . Les témoins mentaient . La «décision du tribunal» fut réservée . 8 . De, retour eri prison, I c second requérant reçnt une serviette de la CroixRouge. Après minuit, il fut réveillé . et photographié tenant un écriteau portant son nom . 9. Le 22 juillet, les détenus furent dérangés dans leurs prières du matin par les radios cles gardes diffusant de la ntusique très bruyante . Dans l'après-midi, ils ont reçu la visite de représentants des Nations Unies . 10 . Plus tard, le second requérant fut de nouveau conduit devant le «tribunal» . Le bruit que faisait la foule à l'e :xtérieur était si fort que le amagistrat» interrompit la lecture de sa «décisiom~ . Le second requérant fut déclaré «coupable» . La sentence fut trois jours de prison et 100 .000 CYP d'antende ou, en cas de refus de paiement dix ours de prison . A la sortie du «tribunal», les détenus furent attaqués par la foule . Des pierres Feurtèrent le pare-brise du bus et le brisèrent . Le bus changea d'itintraire et reprit le chemin. de la prison à grande vitesse .
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I I . Le dimanche 23 juillet, les détenus de sexe masculin organisèrent des prières et un se rv ice commémoratif, les ecclésiastiques s'étant vu refuser l'autorisation de se rendre auprès des détenues . Le 24 juillet, les prières furent interrompues par un gardien et le second requérant fut informé qu'elles étaient interdites . Il commença alors une grève de la faim, s'abstint de boire autre chose que de l'eau et refusa de se laisser examiner par le médecin de la prison . Le 25 juillet, il fut interrogé à nouveau .
12 . Le 26 juillet, le second requérant fut informé que d'après le règlement pénitentiaire, après 48 heures de grève de la faim, tous les grévistes devaient être examinés par un médecin . Il refusa en disant qu'il ne se laisserait examiner que par un médecin exerçant en République de Chypre ou au moins par un médecin des Nations Unies . On lui retira alors tous ses effets personnels, montre, stylo, clés et sa croix .
13 . Le 27 juillet, le second requérant refusa un nouvelle fois nourriture et examen médical . Il fut conduit et enfermé dans une horrible cellule de 2 x 1,5 m, sombre avec seulement une petite fenêtre très haute . Le gardien promit de lui apporter de l'autre cellule ses effets personnels, autrement dit une serviette, etc ., mais ne le fit jamais . Dans l'après-midi, il fut extrait de sa cellule pour rencontrer un groupe de journalistes turcs . Plus tard, il reçut la visite de représentants des Nations Unies, qui lui dirent qu'iI serait libéré le 3 août .
14. Le 28 juillet, deux détenus turcs vinrent nettoyer la cellule . Ils apportèrent un plateau avec du poulet, des pommes de terre, du pain, des oignons et de la salade qu'ils placèrent sur la table de chevet . Le second requérant avait mal au dos en raison des coups qu'on lui avait donnés pour le faire tenir assis sur une chaise pendant les trois nuits précédentes . Un équipe de télévision filma les aliments apportés .
15 . Le 29 juillet, le second requérant refusa à nouveau un examen médical .
16 . Le 30 juillet, les effets personnels du second requérant lui furent rendus. Il fut fouillé et libéré vers 11 h 30. Requête No 15318/89 La troisième requérante, de nationalité chypriote, est née en 1949 et réside à Nicosie . Elle est représentée par Me Achileas Dimitriades, avocat exerçant à Nicosie.
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Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par cette requérante peuvent se résunter comme suit . 1.
A diverses dates entre juillet 1967 et avril 1974 . les parcelles No 4609, 4610,
4618, 4619, 4748, 2884, 5002, 5004, 5386 et 5390 situées d~ans le clistrict de Ayrenia à Chypre ont été données à la requérante par son pére ou achetées par celai-ci et enregistrées au noin de sa fille, qui en est toujours proprietaire. 2 . La troisième requérante a grandi dans sa famille à Kyrenia . Elle s'est mariée en 1972 et a déménagé à Nicosie avec son mari . Elle allait voir fréquemnient sa famille, comptant mettre en valeur les terres que son père lu, avait données à Kyrenia et y reteurner vivre. Ori avait de rait commencé à construire sur la parcelle No 5390 et l'un des appar[ements était destiné à sa famille . 3 . L'invasion de 1974 a einpéché la troisième requérante d'accéder à ses biens et de les utiliser ; elle l'a aussi privée du clroit de jouir de sa ville natale ainsi que de se déplacer et de vivre librement avec sa famille et le peuple F :yrenien. 4 . L'opposition de la troisième requérante à la violation continue de ses droits de l'homme, fondamentaux et à la division de l'île par les soldats turcs, ainsi que son souhait de voir Chypre réunifiée et de retourner à Kyrenia ont coïnciclé avec les objectifs du mouvement intitulé «Les femmes rentrent chez elles» . Elle participa à, chacnne des quatre marches organisées par ce mouvement au printemps de 197 % en juin et novembre 1987, ainsi que le 19 mars 1989 . En ces quatre occasions, les soldats turcs l'empéchèrent d'aller chez elle . 5 . Le 19 mars 1989, la troisième requérante, à la tête d'un groupe de quelque cinquante participants à la marche, avança vers l'église de la Sainte-Croix (Stavroe) dans la partie de Chypre, occupée par les 'Iltres . Ils pissèrent devant le poste de garde deeNations IJnies, mais se heurtèrent plus loin a des soldais tures non arntés qui tentèrent de les empêcher de continuer . Le groupe persévéra, mais lorsqu'il atteignit le cimetière, les soldats l'entourèrent et il. se trouva dans l'incapacité de progresser ves le haut de la colline . 6 . Les femmes s'assirent toutes calmement par terre et la troisième requérante rappela à chacune de se teni .r tranquille . Alors qu'elles étaient assises, tenant des drapeacx blancs, les soldats tures ont été progressiveinent re.mplacés par des membres de la «lorce de police» chypriote turque, qui avancèrent, casqués et portant bouclier et matraque.
7 . Les soldats tures et les préteridus policiers commencèrent ï .lors à les pousser vers le bas de la colline . La troisième requérante aussi fut poussée et deu x 261
«policiers» se saisirent d'elle . Elle fut portée vers la partie occidentale de la colline et déposée par terre, avec d'autres femmes . Un officier turc responsable de la manoeuvre leur demanda si elles avaient besoin de quoi que ce soit . Deux officiers des Nations Unies étaient également là pour rassurer les femmes et leur dire qu'ils prendraient toutes les dispositions nécessaires en vue de leur libération . Les femmes restèrent assises là environ 2 heures, tandis que des négociations se déroulaient entre les représentants des Nations Unies, l'armée turque et «la police» .
8 . Finalement, le groupe fut divisé et la troisième requérante fut mise dans une ambulance avec six ou sept autres femmes . Elles furent escortées par deux «policières» chypriotes turques et un officier des Nations Unies . L'ambulance les emmena d'abord au village de Lourougina, où un grand nombre de chypriotes turcs et de colons (reconnaissables à leurs vêtements) manifestaient - il s'agissait apparemment d'une contre-manifestation arrangée à l'avance . Elles furent retenues dans un embouteillage, certaines personnes frappant sur l'ambulance et faisant de grands gestes aux femmes pour leur intimer de partir . L'ambulance s'arréta devant le «commissariat» de Lourougina, à l'entrée nord du village . On pouvait clairement voir des soldats alignés, arborant des bérets bleus . lls n'avaient pas le badge bleu des Nations Unies ; il s'agissait de commandos turcs .
9 . La voiture rentra à Nicosie . Près du Ledra Palace, elles attendirent deux heures ou plus . Avant leur libération, elles passèrent une par une devant un médecin des Nations Unies, qui demanda si l'une d'elles avait été blessée . La troisième requérante n'avait rien à signaler à ce sujet .
10 . Les femmes furent toutes conduites finalement dans la zone libre de la République en passant par l'aéropo rt international de Nicosie, où la famille de la troisième requérante attendait celle-ci . Il é tait alors minuit.
Arguments supplémentaires des requérant s
Les requérants soutiennent que leur détention et tous les autres actes incriminés ont été le fait de militaires turcs stationnés dans la partie septentrionale de Chypre ou encore d'éléments agissant sous leur autorité .
A l'appui de leurs arguments, les requérants ont produit plusieurs de déclarations, photographies et divers documents .
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Déclaration du Gouvernement défendeur relative aux fkits atlégués dans les requètes Le Gouverneinent défendeur conteste la version des faits présentée par les requérants . II soutient que les évéiements allégués se rapporterrt à une manifestation organisée au su des autorit€s chypriotes grecques. La manifestation devait être une attaque contre la zone neutre et le territoire de Ia «République turque (lu nord de Chypre» . La presse du sud de Chypre souligna 12 carac :ère agressif de la manifestation . Les forces turques stationnées dans l'île en vertu du Traité de Garantie n'intervirrent pas pendarit les événements du 19 juillec 1989 et n'eurent d'ailleurs rien à voir avec eux . Seu es les forces des Nations Uni?s et les forces de sécurité de la République turque du nord . de Chypre furent en contact avec les nranifestants .
C:RIEF S Le premier et le second requérants se plaignent de leur détention, des mauvais traitemenls subis, des conditions dans lesquelles ils ont été gardés et des procédures ultérieures . Ils allèguent la violation des articles 1, 3, 5, 6,7, 9 el 13 de la Convention . La troisième requérante allègie la violation de l'article 3(traitements dégradants) et de l'article 5 de la Convention, ainsi qu'une violation continue de l'anicle B de la Convention et de l'article 1 du Protocole additionnel . Elle déelare, en ce qui concerne la règle des six mois (article 26 de la Convention) que la violation de l'article 8 est intervenue le 19 mars 1989 et que la Turquie, en lui refusant l'accès à ses biens, a progressivement, au cours des 16 dernières années, affecté ses droits de propriétaire, et en particulier son droit au respect de ses biens, entr.ünant une violation continue de l'article 1(observations du décembre 1990, par . 23 et 24) . IL
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Déc[aration de la Turquie souscrite en vertu de l'article 25 de ia Conventio n
1 . Le 28 janvier 1987, le Gouvernement de la Turquie a déposé la déclaration suivante entre les mains du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, conformément à l'article 25 de la Convention : «Le Gouvernement de la Turquie, agissant en application de l'article 25 par . I de la Convention de : sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fond3mentales, déclare par la présente reconnaître la compétence de la Conimission européenne des Droils de I'Horame à être saisie de requêtes conformément à l'article. 25 dr, la Convention, sous réserve de ce qui suit : i) la reconnaissance du droit de reeours ne s'étend qu'aux allégations concernant les actes ou omissions des autorités publiques [urques cornmis à
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l'intérieur des frontières du territoire auquel s'applique la Constitution de la République de Turquie ;
ii) aux fins de la compétence attribuée à la Commission en vertu de cette déclaration, les circonstances et les conditions dans lesquelles la Turquie, en application de l'article 15 de la Convention, déroge à ses obligations conventionnelles dans des circonstances spéciales, doivent être interprétées à la lumière des articles 119 à 122 de la Constitution turque ;
iii) la compétence attribuée à la Commission en vertu de cette déclaration ne comprendra pas les matières concernant le statut juridique du personnel militaire et en particulier le régime disciplinaire des forces armées ;
iv) aux fins de la compétence attribuée à la Commission en vertu de cette déclaration, la notion de 'société démocratique' qui figure aux paragraphes 2 des articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention doit être comprise conformément aux principes énoncés dans la Constitution turque et en particulier dans son Préambule et son article 13 ;
v) aux fns de la compétence attribuée à la Commission en vertu de cette déclaration, les articles 33, 52 et 135 de la Constitution doivent être compris comme étant conformes aux articles 10 et 1 1 de la Convention .
Cette déclaration s'étend aux allégations relatives à des faits, y compris les jugements fondés sur lesdits faits, intervenus après la date de dépôt de la présente déclaration . Cette déclaration est valable pour une durée de trois années à compter de la date de son dépôt auprès du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. »
2 . Le 29 janvier 1987, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe a transmis cette déclaration aux autres Hautes Parties Contractantes, en ajoutant :
«Lors du dépôt de cette déclaration, j'ai attiré l'attention des autorités turques sur le fait que la présente notification, effectuée conformément à l'article 25 par . 3 de la Convention, ne préjuge en rien les questions juridiques qui pourraient se poser au sujet de la validité de ladite déclaration . »
3 . Dans une lettre du 5 février 1987 adressée au Secrétaire Général, le représentant permanent de la Turquie a fait observer :
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u . . . On ne peut trouver, dans la rédaction non équivoque de l'article 25 par . 3 de la Convention, de l'ondeinents pour exprirner des avis ou ajouter des comme,ntaires lors de la transmission de la déclaration aux Hautes Parties Contractantes dans l'accomplissemeni: de vos fonctions de dépositaire .
Confonnéinent à l'article 25 par . 3 de la Convention, le Secrétaire Général, pour chaque déclaration relative à l'article 25 déposée auprès cle lui, 'transmet copie aux Hautes Parties Contractantes et en assure la publication' .
La pratique en matière de traités internationaux, et en particulier celle qui est suivie par le Secrétaire Général des Nations Unies en tant que dépositaire de traités aussi importants que le Statut de Cour internatioiale de Justice ou les Pactes et Conventions en matière de droits de l'homme et de libertés fondamentales, confirme également que le dépositaire a le devoir de s'abstenir de tout commentaire sur le fond des dcclarations faites par les Parties Contractantes . . . »
4 . Dans sa répense datée du 10 février 1987, le Secrétaire Général a déclaré ce qui suit au sujet de sa précéc .ente lettre du 29 janvier :
, . . . Je tiens ceci pour conforrae au droit international des traités ainsi qu'à la pratique en la matière, telle que confirmée par ce nombreux précédents, netamment Ia pratique du Secrétaire Général des Nations Unies en tant que dépositaire ..
. . . l'article 77 par. 2 de la Convemion de Vienne . sur le. droit des traités diapose :
'Lorsqu'une divergence apparait entre un Etat et le dépo :;itaire au sujet de l'accomplissement des fonctions de ce dernier, le dépositaire doit porter la qtiestion à l' ;utention des Etats signataires et des Etats contractants ou, le cas échéant, de l'organe compétent de l'organisation internationale en cause . '
Il est donc cle mon devoir d'attirer l'attention des Par[ies Contractarrtes sur un point sur lequel il existe une divergenoe entre un gouvernement et moi-nrême s'agissant de l'accomplissement de mes fonctions en tant que dépositaire m
5 . Le Reprénentant permanent de la Ttirquie a réponclu comme suit le 13 mars 1987 :
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a . . . En premier lieu, je voudrais af fi rmer que la déclaration turque ne contient aucune 'réserve' au sens du droit international des traités . . . Par conséquent, la mention du terme 'réserves' dans votre lettre consiste uniquement en une interprétation et une qualification subjectives qui, en réalité, auraient dû être soigneusement évitées au vu des fonctions de dépositaire qui sont clairement limitées en vertu de l'article 25 par . 3 de la Convention . . . En réalité, le Secrétaire Général des Nations Unies, se conformant à la Résolution 598 (VI) adoptée le 12 janvier 1952 par l'Assemblée Générale, n'a jamais refusé d'enregistrer des notifications ou des déclarations faites par des Parties contractantes à une Convention pour laquelle il agit en tant que dépositaire et n'a jamais fait de commentaires critiques à propos de ces notifications ou déclarations en les portant à la connaissance des autres Parties contractantes . . . »
6 . Le 6 avril 1987, le ministre adjoint des Affaires é trangères de la Grèce a adressé la lettre suivante au Secrétaire Général : a . . . Le Gouvernement turc, s'écartant de la pratique jusqu'à présent suivie par tous les Etats en ce qui concerne les déclarations faites en application de la disposition précitée, a cru bon d'alléger d'une façon substantielle ses engagements conventionnels en formulant un certain nombre de réserves . . . le Gouvernement turc n'a pas expressément utilisé dans sa déclaration le terme de réserve, mais . . . ce qui compte en l'occurrence, ce n'est point l'appellation ou l'absence d'appellation de l'acte, mais son contenu et son effet . Ainsi, toute déclaration unilatérale qui limite les obligations contractuelles d'un Etat est incontestablement, sur le plan du droit international, une réserve . Il s'agit là d'un des principes les plus sûrs du droit international conventionnel, qui a été coditié par les deux Conventions de Vienne, celle de 1969 sur le droit des traités et celle de 1986 sur le droit des traités entre Etats et Organisations internationales ou entre Organisations internationales . Toutes deux prévoient, en des termes identiques, que 'l'expression 'réservé s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat' (article 2 par. I, alinéa d)) . Il est donc évident que les limitations et restrictions qui sont contenues dans la déclaration précitée du Gouvernement turc constituent des réserves du point de vue du droit international . Par ailleurs, ceci résulte clairement de l'expression 'sous réserve de' utilisée dans la déclaration turque .
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Dès lors, la question qui se pose est de savoir si ces réserves sont compatibles avec la Concention européenne des Droits de l'Hotnme . Selon nous, il n'y a pas de doute qu'elles ne le sont pas, notantment pour les raisors suivantes : La question des réserves est réglementée da façon stricte par l'anicle 64 de la Conveniion . . . Il va sans dire que les réserves turques sont loin d'être en accord avec les conditicns énoncées dans cet arlicle, puisqdelles ne concordent ni avec l'exigence de temps, ni avec les conditions de fond qtti y sont prévues . 11 est également hors de doute qu'on ne saurait formuL :r des réserves à la Conventiou européenne des Droits de l'Homme sur la base d'une disposition autre qie celle de l'article 64 . Ceci réscdte non seulement de, l'article 64 lui-même, qui est le seul à régir les réserves, mais également de l'ensemble et de la nature de la Convention européenne des Droits de l'Homtne, ainsi que des principes généraux du droit internar.ional se rapportant aux réserves . D'ailleurs, l'articlr. 25 ne ptévoit ni directement ni implicitement la possibilité de formuler des rés'erces semblables à celles contenues dans la déclaration turque . Et il ne peut en être autrement car si des réserves pouvaient être int, :oduites sur la base de l'article 25, cette façon de procéder minerait l'article 64 et saperait tôt ou tard les fondements mêrnes cle la Convention .
L'article 19, alinée b), de la Convention sur le droit des ti-aités, consacrant un principe de logique juridique indéniable, stipule qu'un Etat, au moment (le signer, de ratifler, d'accepter, d'approuver un traicé ou d'y adhérer, peut formuler une réserve, à moins : b) que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvem : én'e faites' (voir aussi l'article 19, alinéa b) de la Convention sur le droit des traités eltre Etats et Organisations interna[ionales ou entre orgariisations inte .rnatioriales) . Il s'ensuit que les réserves turques, étant plaeéea en dehors du chantp d'applvation de l'article 64, doivent ëtre considérées comme des réserves non autorisées par la Convention et, par conséquent, oomme des réserves illégales . Dés lors, elles sont nulles et non avenues et ne peuvent engendrer aucun e.ffei . de droit .
En terminant cette lettre, nous teaons à souligner combien il est regrettable que dans cette affaire d'une extrême importance, qui touehe à l'ordre pub4ic européen, vous n'ayez pas, jusqu'à présent, exercé pleinement les fonction s
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de dépositaire résultant du droit international général et, en particulier, des Conventions de Vienne de 1969 et 1986 (voir l'article 77 par. 1, alinéa d), et par. 2, et l'art icle 78 par . l, alinéa 2, et par . 2, respectivement), d'autant plus qu'au-delà de votre qualité de dépositaire, vous êtes un des organes qui doit veiller à la stricte application de la Convention européenne des Droits de l'Homme (article 57) . »
7 . Le Secrétaire Général a répondu comme suit dans sa lettre du 27 avril 1987 : «Me référant aux observations . . . relatives à l'exercice de mes fonctions de dépositaire de la Convention européenne des Droits de l'Homme, je me permets de rappeler que, lors du dépôt de la déclaration par les autorités turques, j'ai estimé de mon devoir de préciser que la notification effectuée conformément à l'article 25 par. 3 de la Convention ne préjugeait en rien les questions juridiques qui pourraient se poser au sujet de la validité de ladite déclaration .
En outre, par lettre en date du 10 février 1987, j'ai attiré l'attention des Part ies Contractantes, en me référant à l'article 77 par. 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, sur la divergence qui aurait surgi entre le Gouvernement de la Turquie et moi-même au sujet de l'accomplissement de mes fonctions en tant que dépositaire . En agissant ainsi, j'estime m'être conformé au droit et à la pratique en matière de traités et d'organisations internationales, tels qu'ils résultent notamment de la Convention de Vienne de 1969 . »
8. Le Représentant permanent de la Suède, dans sa lettre du 21 avril 1987, a répondu comme suit à la lettre du Secrétaire général du 29 janvier 1987 transmettant la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25 : « . . . Le Gouvernement suédois considère cette déclaration comme une étape importante dans la protection des droits de l'homme en Turquie. Toutefois, les réserves et déclarations dont la Turquie a assorti ladite reconnaissance soulèvent différentes questions d'ordre juridique quant à la portée de la reconnaissance . Le Gouvernement se réserve, par conséquent, le droit de revenir sur cette question à la lumière des décisions qui pourront être prises par les organes compétents du Conseil de l'Europe au sujet de requêtes individuelles . »
9 . Le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, dans sa lettre du 21 avril 1987, a répondu comme suit à la notitication, par le Secrétaire Général, de la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25 :
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« . . Les réserves, avancées dans cette déclaration, qui limitent la reconnaiss~.nce par le Gouvernemeut turc de la eoinpétence ce la Commission européenne des Droits de lHomme à ètre saisie de requëtes individuelles, soulèvent une question foridamentale quant à la portée des instruments juridiques élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe . Il s'agit de savoir, entre autres, si l'exprr,ssion unilatérale d'une limitation de reconnaissance dune Convention internatioaale est valable .
. . . Le Luxernbourg se réserve le droit de faire pa rt , au moment voulu et devant les instances compétentes du Conseil de l'Europe, de son attitude à l'égard de la déclaration du Gouvernement lurc. D'ici là, l'absence d'une ri:actlon for inelle et oflicielle quant au fond de ce problènie ne saura i t . . . ibtre interprétée comme une reconnaissance tacite par le Luxembourg des réserves du Gouvernement turc . »
10 . Le Représentant permanent du Danemark, dans sa lettre du 30 avril 1987 adressbe au Secriiaire Général, a déclaré ce qui suit au sujet de la déclaration de la Turquie : « . . . Du point de vue du Gouvernement danois, les réserves et déclarations dont est ansorlie la dite reconnaissance soulèvent dil'férentes questions d'ordre juridique quattt à la portée de la reconnaissance . Le Gouvernement se réserve, par conséquent, le droit de revenir sur ces questions à la lumière des (lécisioris qui pourront étre prises par les organes compétents du Conseil de l'Europe au sujet d : requétes individuelles . »
Il . Le F:eprésentant permanenf de la Norvége, dane sa lettre du 4 niai 1987 adressée au Secrétaire Général, a déclaré : , . . . Du point de vue du Ctouvernement norvégien, la ntesure prise par le Gouvernement turc peut être accueillie comme urie con[ribution importante au renforcement des clroits de l'homme en Europe . Toutefois, le libellé de la céclaration pourrait donner lieu à rle difficiles problèmes d'interprétation de la portée de la reconnaissance du droit de recours . En effet, ces problèmes cevront être résolus par la Commiasion européenne des Droits de fHontme lorsque celle-ci sera ainenée à considérer des cas concrets de requêtes indivic,uel les .
Le droit de recours individuel consacré à l'articlc 2 5 de la Convention des Droits de l'Homme forme une partie essentielle du système procéduraM1 de sauvegarde des Droits de 'Homme en Europe . Quanl à la portée et à la ualirlité de la reconnaissance de ce droit par chaque Etat, il est souhaitabl e
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d'éviter toute équivoque qui pourrait naïtre de conditions
généralisées énoncées comme régissant les situations dans lesquelles les requétes peuvent étre considérées comme admissibles, ainsi que de déclarations interprétatives ou d'autres conditions . »
12 . Le Représentant permanent de la Turquie, dans sa lettre du 26 juin 1987 adressée au Secrétaire Général, a formulé les observations suivantes sur les lettres susmentionnées de la Grèce, de la Suède, du Luxembourg, du Danemark et de la Norvège :
«Tout d'abord, je tiens à souligner que les points tigurant dans la déclaration turque ne sauraient étre considérés comme des 'réserves' au sens du droit international des traités. Aux termes de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, dont la plupart des dispositions visent à codifier les principes existants du droit international des traités, une réserve 'modifie pour l'Etat auteur de la réserve les dispositions du traité sur lesquelles porte la réserve, dans la mesure prévue par cette réserve' . Interprétée de cette manière, une réserve a manifestement pour effet de modifier la portée des engagements pris par l'Etat auteur de la réserve dans le cadre du traité . C'est en 1954 que la Turquie a ratifié la Convention et le premier Protocole additionnel, en formulant une rése rv e à propos de l'article 2 du Protocole. Les 'conditions' dont est asso rt ie la déclaration turque en date du 28 janvier 1987 ne constituent toutefois pas des 'réserves' portant sur des engagements découlant de la Convention . Elles ne modifient en rien les obligations générales contractées par la Turquie dans le cadre de la Convention . La Convention, telle qu'elle a été ratifi ée et compte tenu de la réserve formulée en 1954, continue à lier la Turquie intégralement et . . . peut faire l'objet d'allégations aux termes de l'a rt icle 24 .
Autrement dit, les conditions dont est assortie la déclaration en date du 28 janvier 1987 ne visent ni à modi6er ni à exclure aucune clause de la Convention . Ces 'conditions' ont uniquement pour but de définir et de limiter l'octroi d'un pouvoir et d'une autorité supplémentaires que la Turquie, Etat Contractant, a accordés de son propre gré à la Commission .
L'acceptation d'une clause facultative d'un traité international implique, d'autre part , que l'Etat concerné consente à@tre lié par la disposition en question . Cette démarche se fonde donc sur une attitude et une position subjectives de l'Etat concerné . Cela signifie que l'Etat a la faculté, dans la limite des règles du traité ou de la Convention concernés, de quali fier son consentement à être lié par la clause facultative .
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Lorsqu'ils reconnaissent le droit de recours individuel en application de l'artic:le 25 cle la Convention européenne des Droits de l'Homme, les Elats attribuent une compétence supplémentaire à la Commission européenne des Droits de l'Homme . Or l'attribution de cette compétence peut être soumise à certaines conditions .
L'article 25 de la Convention ne contient aucune indication relative à déventuelle :; conditions ou à l'interdiction de telles conditions . En particiilier, il ne prévoit pas la possibilité de qualifier la déclaration inais ne l'interdit pas non plus, Une déclaration en vertu de l'article 25, assortie de certaines conditions, ne saurait, par conséquent, être ronsidérée comme contraire à une clause explicite de la Convention .
Enfiri, je voadrais fair : remarquer à cet égard que le seul organe compélent pour exprimer un avis contraignant sur le plan juridique est la Commission européenne des Droits de l'Homrne, lorsqu'elle est saisie d'une reqnéte iridividuelle, et éventuellement le Comité des Ministres, lorsqu'il prend nine décision en application de l'article 32 de la Convention . »
13 . Le 22 juillet 1987, le Représentant permanent de la Belgique, dans une lettre adressbe au Secretaire Général, a déclaré ce qui suit au sujet de la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25
« . . . Le Gouvernement belge considère cette cléclaration comme une coraributicn importante à la protection des droits de l'hcmme en 'furquie . Toutefois, les conditions et qualifications énoncées dans cette déclaration, qui sont de nature à limiter la reconnaissance par le Gonvernement turc de la compétence de la Commission européenne des Droits de l'Homme à être saisie de requ@tes individuelles, soulèvent des questions d'ordre juridique quant à la portée d'une disposition essentielle dans le syetème de protection des droits er. libertés fondan.entales prévu par la Convention .
Aussi la Belgique se réserve-t-elle le droit de faire part ultérieurement et devant les '.nstances compétentes clu Conseil de l'Europe de sa position à l'égard de la déclaration du Gouvernement turc . D'ici là, l'absence d'une réaction formelle quant au fond de ce problème ne saurait, en aucun cas, @tre interprétée comme une acceptation tacite par la Belgique des conditions et qualifications du Gouvernement turc .»
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PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSIO N
Les requêtes No 15299/89 et 15300/89 ont été introduites le 21 juillet et enregistrées le 25 juillet 1989 . La requête No 15318/89 a été introduite le 22 juillet et enregistrée le 31 juillet 1989 .
Le 8 août 1989, l'avocat des premier et second requérants a informé la Commission que ceux-ci avaient été libérés . Le 28 août 1989, il a formulé des observations supplémentaires .
Le 9 novembre 1989, la Commission a décidé de joindre les requêtes, de les porter à la connaissance du Gouvernement défendeur et d'inviter celui-ci à présenter des observations sur leur recevabilité et leur bien-fondé .
Les observations du Gouvernement défendeur ont été reçues, après prorogation du délai, le 28 février 1990 .
Les observations des requérants en réponse ont été présentées, après prorogation du délai, le 6 mai (requêtes No 15299/89 et 15300/89) et le 11 mai 1990 (requête No 15318/89) respectivement .
La Commission a examiné les requêtes à nouveau le 5 octobre 1990 et décidé d'inviter les parties à une audience sur leur recevabilité et leur bien-fondé . Les requérants ont présenté des observations complémentaires par écrit le 18 décembre 1990.
L'audience a eu lieu à Strasbourg le 11 janvier 1991 . Les parties y étaient représentées comme suit :
Le Gouvernement :
M . Suat BILGE, Agent M . Heribert GOLSONG, Conseil M . Elie LAUTERPACHT, Consei l M . Münci tJZMEN, expert au ministère des Affaires étrangères Mme Deniz AKÇAY, expert au ministère des Affaires étrangères Me Daniel BETHLEHEM, avocat, expert .
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Les requérants : Pr .mier et second requérants : M .- Kypros CHRYSOSiOM]:DES, avocat, Nicosie M . Chrystalla PITSILLI, avocat, Nicosi e Troisiéme requérant :
Me Ar_hilleas DEMETRIADHS, avocat, Nicosie Me Joanna LOIZIDOU, avoc at, Nicosie
Premier, second et troisième requérants :
Me Ian BROWNLIE, Q .C ., Consei l Les premier et troisième requérants étaient également présents .
EN DROI T 1.
La compétence de la Commisrion quant d]a dérlara,rion de la Turquie au titre de l'article 25 de la Conventio n L'article 25 de la Convention est IibeP.lé comme suit : «I . Lar Commission peut être saisie, d'une requéte adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une . violation par l'une des Hautes Parties Contractantes des, droits reconrms da,as la présente Convention, dans
le cas où la Haute Partie Cantractante mise en cause a déclaré reconnaitre la compétence de la Camrriission dans cette matière. Les Hautes Parties Contractantes ayant souscrit une telle déclaration s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efFcaee de ce droit . 2 . Ces déclarations peuvent étre faites pour une durée déterminée . 3 . Elles sont remises au Seerétaire Général du Conseil de l'Europe, qui en transmet copies aux Hautes Parties Contractantes et en assume la publication ..
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4. La Commission n'exercera la compétence qui lui est attribuée par le présent article que lorsque six Hautes Parties Contractantes au moins se trouveront liées par la déclaration prévue aux paragraphes précédents . »
2 . La Turquie a reconnu la compétence de la Commission conformément à l'article 25 dans sa déclaration du 28 janvier 1987 . 3 . Les requérants se prétendent victimes de violations de la Convention par la Turquie dans la «zone tampon» et la partie septentrionale de Chypre . Le Gouvernement défendeur, invoquant la limitation territoriale énoncée au paragraphe i) de sa déclaration du 28 janvier 1987, soutient que la Turquie n'a pas reconnu la compétence de la Commission d'examiner les présentes requétes, qui échappent au cadre territorial spécifié dans ladite déclaration . Les requérants contestent la validité de cette limitation territoriale et son applicabilité à la présente affaire . Le Gouvernement défendeur déclare que la déclaration a été conçue comme un tout et que le rejet d'une quelconque de ses conditions la rendrait inexistante . 4. La Commission doit d'abord déterminer la validité de la déclaration de la Turquie et sa portée . Sa compétence de procéder à cette détermination a été expressément reconnue par la Turquie dans une correspondance antérieure (lettre du 26 juin 1987 adressée au Secrétaire Général) et à l'audience devant la Commission . En outre, le 28 janvier 1987, lorsque la Turquie a déposé sa déclaration, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe a attiré l'attention des autorités turques sur le fait que la notification aux autres Hautes Parties Contractantes me préjuge en rien les questions juridiques qui pourraient se poser au sujet de la validité de ladite déclaration» .
a) Le sens de la limitation territoriale énoncée au paragraphe i) de la déclaration de la Tivguie 5 . Les requérants soutiennent, en ce qui concerne la portée de la restriction territoriale, que selon une interprétation raisonnable elle n'est d'aucun secours pour la Turquie, du fait que la Constitution turque s'applique obligatoirement aux actes de ses forces armées et aux décisions du Gouvernement relatives au déploiement et à l'emploi de ces mêmes forces . Ils notent que la Turquie a remplacé sa déclaration de 1987 par «un nouvel assemblage de mots» . 6 . La Commission estime que la mention des «actes ou omissions des autorités publiques turques» figurant dans la déclaration de 1987 fait clairement référence au territoire métropolitain, mais que la formule «territoire auquel s'applique la Constitution de la République de Turquie» pourrait s'interpréter comme englobant les actes commis par les autorités turques à l'étranger, qui sont régis pa r
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la Constitution turque. La Commission note que dans la déclaration turque du 7 mars 1990, cette dernière formule a été remplacée par l'expression «à l'i ;ntérieur des frontières du rsrritoire nationzl de la République de Turquie» . 7 . La Commission estime que la restriction terriloriale f-igurant dans la déclaration de la Turquie du 28 janvier 1987 ~9oit être interprétée à la lumière de son objet er. de sori b-it manifestes eu égard aux affaires interétatiques déjà intentées par Chypre contre la Turquie . Les requérants ont déclai-é précedemment :«II est généralement adniis que cei :te reetriction a pour but exclusif d'éviter la tnise en cause de la responsabilité de la Turquie pour les violations de la Convention européenne résultant des actions turques commises dan•,, la zone de Chypre sous occupai :ion turque» .
8 . La Commission considère, sur la base de l'interprétation ci-dessus, que les actes incriminés dans les présente.s requêtes relèvent de la resiaietion territoriale énoncée dans la déclaration de la Turquie du 28 ianvier 198"t . La Cominission doit doac rechercher si sa juridiction est limitée par cette clause ,
b) La validité des limitations énoncées aux paragraphes iJ à vJ cie la déclaration de la Turquie
9 . La déclaration de la Turquie au titre de l'an :icle 25 contient - hormis la limitation temporelle tigurant à la première phrase du dernier paragraphe - cinq clauses restrictive :~ énoncéee dans les paragraphes i) à v) . Da-is de précédentes requêtes introduites par des particuliers contre la Turquie, la Commission n'a pas déterminé la valiclité de ces cinq clauses parce quelles n'ont pas été invoquées . Toutefois, en déclarant recevables les requêtes No 14116/88 et 14117/88 (Sargin et Yagci c/Turquie, déc . 11 .5 .89, Revue universelle des Droits de l'Homme 1989 p . 516, publiées également dans Décisions et Rapports, vo .: . 61, p . 250), la Commission s'est fondée sur une cléclaration valide de la Turquie reconnaissant le droit de recours individuel .
10. La Commission note que ces «conditions» sont exposées separément, et sont différentes, par riature, de la limitation temporelle énoncée dans le dernîer paragra?he de la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25 . Elle rappelle que des lintitations temporelles sont acceptables confortnément au paragraphe 2 de l'article 25, qui dispose que des déclarations en vertu du paragraphe 1 «peuvent être fait .es pour une durée déterminée» . Cette clause a toujours été interprétée comme autorisant les Hautes Parties Contractaiites à bter tout caractère retroactif aux déclarations faites conforntément à l'article 25 Icf . les déclarations du Royaume-CJni du 14 janvier 1966 (Annuaire 9 p . 9), de l'Italie du 20 juin 1973 (Annnaire 1 6 p . 11), de l'Espagne du 11 juin 1981 (Annuaire 24 p . 9) ,
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du Liechtenstein du 15 août 1985 (Annuaire 28 p . 11) et de la Grèce du 20 novembre 1985 (Annuaire 28 p . 11), et la requête No 6323/73, X . c/Italie, déc . 4 .3 .76, D .R . 3 p . 80] . S'agissant des termes spécifiques de la restriction temporelle figurant dans la déclaration de la Turquie, la Commission a déjà déclaré que cette restriction l'empêchait d'examiner les requëtes visant des décisions administratives prises avant, et confirmées par des jugements rendus après, le 28 janvier 1985 (requête No 13623/88, déc . 13 .4 .89) .
11 .
La situation juridique est différente pour les limitations contenues dans les
paragraphes i) à v) de la déclaration de la Turquie . Elles ne sont pas, comme les restrictions temporelles, couvertes par le paragraphe 2 de l'article 25 mais, comme des limitations de caractère différent (ratione loci, ratione materiae et ratione personae), elles ne sont pas expressément autorisées par cet article . La Commission a recherché si elles sont néanmoins compatibles avec l'article 25, comme le prétend le Gouvernement défendeur .
12 . L'article 31 par . 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant «le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but» .
1 3 . En ce qui concerne le sens ordinaire de l'article 25 par. 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que la mention «des droits reconnus dans la présente Convention» présuppose une reconnaissance globale et non partielle. Sinon, à l'article 25 par. I, les auteurs de la Convention auraient fait précéder le mot «droits» de «de» ou de «certains» .
14 . La Commission a examiné ensuite l'article 25 dans le contexte de la Convention dans son ensemble .
1 5 . Elle note que conformément à l'article 64 par. 1 première phrase, tout Etat peut, au moment de la signature de la Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition . Il découle du clair libellé de cette disposition («au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification») qu'une Haute Partie Contractante ne peut pas, en reconnaissant ultérieurement le droit de recours individuel, modifier notablement ses obligations découlant de la Convention aux fins de procédures relevant de l'article 25 . Le Gouvernement défendeur a déclaré à plusieurs reprises que les clauses additionnelles contenues dans sa déclaration au titre de l'article 25 ne doivent pas être considérées comme des «réserves» au sens du droit international des traités .
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16 . La Commission observe qw: si elles étaient tenues pour valides, les restrictions ratione materiae énoncées aux paragraphes i[I, iv) et v) de la déclaration, de la Turquie aboutraient à ce résultat que la garantie de droits particuliers reconnus par la Convention différerait, dans une procédure relevant de l'article 25, de la garantie des mëmes droits dans une procédure relevant de l'article 24 . Or, s'agissant de la substance de droits reconnus par la Conventiori, la compé .ence de la Conimission ne peut pas être différente dans les deux types (le procédures .
17 . La conclus- .on que l'article 25 n'autorise que les restrictions tempore :lles expressément permises dans son second paragraphe esl. confosYée de surcroît par une comparaison avec l'article 46, qui dispose en son paragraphe 2 que les déclarations reconnaissant la juridiction de la Cour «pourront être faites . . . pour une durée déterminée» . Cette disposition est analogue au paragraphe 2 de l'article 25 . L'article 46 par . 2 dispose en outre que les déclarations visées au paragraphe 1 «pourront être faites purentent et simplement ou sous condition de réciprocité de la pait (le plusieurs ou de certaines Parties Contractantes» . Ainsi que la Comniission l'a fait obsener dans l'affaire Kjeldsen, 13usk Madsen et Federsen, aucune autre coridition n'est autorisée en vertu de cet a,rticle (voir Cour eur . D .H ., série B n° 21, p . 119 ; voir aussi Cour cur . D .H ., Affaire «Iinguistique», série B n° 3, vol . 1, p. 432) .
18 . La Commission note égaleinent que l'article 6 par . 2 du Protocole No 4 et l'article 7 par. 2 du Protocole 1\o 7 disposent que le (Iroit de . recours individuel recomm par une déclaration souscrite en vertu de l'article 25 cle la Convention ne s'exercera en ce qui concerne le Protocole que dans la mesure où l'Etat intéressé aura cléclaré reconnaitre ledit droit . Comme les re•quérants le font obsen-er, cette stipulation expresse n'aurait paï été nécessaire sl l'aiYicle 25 avait peimis que pareilles limitations du droit dc : recours individuel soient introduites unilatéralement par un Et.at lors de la reconnaissance du droit de recours individuel . 19 . La Commission a examir .é en outre les cinq conditions énoncées aux paragrapties i) à v) de la déclaration souscrite par la Turquie en vertu de l'article 25, à la lumière de l'objet et du tut de la Convention .
20 . II resso rt clairement du Préambule de la Convention qu'en concluanl celle-ci, les H .mtes Pa rt ies Contractantee . ont voulu réaliser une uniort plus,étroite stir la base d'une conception commune et d'un commun respect dee , droits de l'hornme et prendre des mesures propres à assurer la garantïe colle.ctive des droits et libe rtés énoncés au même "ritre 1 . La Commission a estimé daus l'affaire Autriche c/Italie (Vo 788/60, déc . 11 .1 .61, Recueil 7 p . 23, pp . 40-43 ; Annuaire 4 pp . 117, 137-143) que les Hautes Pa rt ies Coritractantes à la Convention ont voulu «instaurer un ocdre public communautaire des libres démocraties d'Europe» e t
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que les obligations sousc ri tes par les Pa rt ies dans la Convention «ont essentiellement un caractère objectif» caractère qui apparaît également dans le mécanisme é ri gé dans la Convention pour en assurer la garantie collective - «du fait qu'elles visent à protéger les droits fondamentaux des pa rt iculiers contre les empiétements des Etats Contractants, plutôt qu'à créer des droits subjectifs et réciproques entre ces derniers» .
21 . La Cour a jugé pareillement dans l'affaire Irlande c/Royaume-Uni (Cour eur . D .H ., arrét du 18 janvier 1978, série A n' 25, p . 90, par. 239) qu'à la différence des traités internationaux de type classique, «la Convention déborde le cadre de la simple réciprocité entre Etats contractants . En sus d'un réseau d'engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux termes de son Préambule, bénéficient d'une garantie collective» . 22 . La Commission estime qu'en l'espèce la nature de la Convention - instrument constitutionnel de l'ordre public européen dans le domaine des droits de l'homme - exclut l'application par analogie, comme le Gouvernement défendeur le suggère, de la pratique des Etats quant à l'article 36 par . 3 du Statut de la Cour internationale de Justice . Les déclarations formulées en vertu de cette clause ne créent que des accords réciproques entre les Etats contractants . La Commission note que l'article 36 par . 3 du Statut ne concerne pas, comme l'article 25 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, des requêtes individuelles mais des requétes étatiques . Dans le cadre de la Convention, les requêtes étatiques sont régies par l'article 24 . En vertu de cette disposition, elles peuvent, sans accord supplémentaire et sans qu'une quelconque condition de réciprocité doive ëtre remplie, être introduites par tout Etat qui a rati8é la Convention (cf. Autriche c/Italie, loc . cit., et No 9940-44/82 - France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c/Turquie - déc . 6 .12 .83, D .R . 35 pp . 143, 195-198).
23 . La Commission a examiné en dernier lieu la pratique de la Convention, avant et après la déclaration de la Turquie du 28 janvier 1987, conformément à l'article 31 par . 3 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui dispose qu'il sera tenu compte, en même temps que du contexte : a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions, et b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité .
24 . Le Gouvernement défendeur a invoqué à l'audience la limitation territoriale contenue dans le second paragraphe de la déclaration du Royaume-Uni du 14 janvier 1966 (Annuaire 9 p . 9), qui ne s'appliquait pas aux requètes «qui concernent un acte accompli ou un événement survenant dans un territoire à
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l'égard duquel la compétence de la Cornmission . . . n'a pas été reconnut par le Gouvernernent du Royaume-Uni, ni aux rrequétes qui concernent un acte accompli ou un événement survenant au Royaume-Uni relativement à un tel territoire ou à des questions se posant dans ce territoire» .
25 . La Commismon note que cette clause excluai[ non seulement les actes des administrations lacales mais aussi ceux du pouvoir central - par exemple les décisions du «Privy Councib au Royaume-Uni concernant les territoires rion métropolitains . Toutefois, cette restriction a été forinulée par Ir. Royaume-Uni eu égard à l'article 63 par . 4 de la Convention, qui autorise les Hautes Parties Contractantes à limiter l'application des déclarations souscrites en vertu de l'article 25 en ce qui concenie les territoires non métropolitains visés à l'article 63 . Dans le :présente affaire, la Commission n'est pas appelée à vérifier si le Royaume-Uni a correcteme.nt appliqué l'article 63 darrs la déclaration susmentionnée . Elle examinera ci-aprè si l'article 63 est applicable aux présentes requêtes .
26 . En ce qui concerne la pratique postérieure à la déclaration turque du 28 janvier 1987, la Commission note que les restrictions contenues dans ]a déclaration ont été rejetées par une Haute Par-tie Contractante - la Grèce - et que les gouvernenrents de la Suède, du Luxembourg, du Daneraark, ds la Norvège et de la Relgique ainsi que le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe ont réservé leur position, vu les problèmes gravee soulevés par la déclaration de la Turquie sous l'angle de la Convention.
27 . Le Gouvernement défendeur a aussi invoqué à l'audience la déclaration souscrite en vertu de l'article 25 par le ministre des Affaires étrangères de Chypre le 9 août 1988, qui a été déposée le 5 septembre 1988 et est libellée comme suit :
«Au nom du Gouvernement de la République de Chypre, je déclare, confortrément à l'article 25 de la Convention . . ., que . .. Chypre reconnaît pour la p:riode commençant le lerjanvier 1989 et se terminant le 31 décembre 1991, la compétence de la Commission . . . a être saisie d'une raquéte présentée . . . postérieurement au 31 décembre 1988 par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui prétend, relativement à. un acte ou une décision intervenarit ou à des faits ou des événements survenant postérieurement au 31 décembre 1988, être victime dune, violation des droits énoncés dans cette Convention .
. . . la compétence reconnue à la Commission en vertu de l'article 25 ne s'appliquera pas aux requ@tes désignant la République de Chypre comme l'Etai défendeur et visant des actes ou omissions dont il est allégué qdelle s
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entraînent des violations de la Convention ou de ses Protocoles, lorsque les actions ou omissions concernent des mesures prises par . . . Chypre en vue de faire face aux nécessités de la situation résultant de l'invasion et de l'occupation militaire continue d'une pa rtie du ter ri toire de la République de Chypre par la Turquie. »
28 . La Commission note qu'en transmettant la déclaration susmentionnée de Chypre aux autres Hautes Parties Contractantes le 12 septembre 1988, le Secrétaire Général a rappelé aqu'en vertu des règles générales, la présente notification effectuée conformément à l'article 25 par . 3 de la Convention ne préjuge en rien les questions juridiques qui pourraient se poser au sujet de la validité de ladite déclaration» . La Commission observe en outre que la validité de la limitation énoncée au second paragraphe de la déclaration de Chypre n'était pas en cause, et qu'elle n'a pas été déterminée dans la décision de la Commission du 6 décembre 1990 déclarant recevable la requête No 15070/89 - Modinos c/Chypre (cf. D .R . 67) . 29 . Eu égard à ces considérations, la Commission ne trouve aucune base juridique dans le Convention pour une restriction d'une déclaration souscrite en vertu de l'article 25, autre que les limitations temporelles prévues au paragraphe 2 de cet article.
30 . La Commission a examiné en dernier lieu la rest ri ction territoriale fi gurant au paragraphe i) de la déclaration de la Turquie à la lumière des a rticles 1 et 63 de la Convention, tels qu'appliqués par les organes de la Convention pour la détermination de leur compétence ratione loci .
31 . L'article 1 de la Convention est ainsi libellé : aLes Hautes Parties Contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre 1 de la présente Convention . » 32 . Les requérants soutiennent que les actes allégués des forces militaires turques à Chypre, ainsi que des personnes agissant sous leur autorité, relèvent de la juridiction de la Turquie au sens de l'article 1 . La Commission rappelle que l'application de la Convention s'étend au-delà des frontières nationales des Hautes Parties Contractantes et englobe les actes des organes étatiques à l'étranger. Elle a précédemment déclaré à l'occasion des requêtes No 6780/74 et 6950/75 (Chypre c/Turquie, déc . 26 .5 .75, D.R . 2 p. 125, pp . 149-150), dans le cadre de procédures interétatiques engagées conformément à l'article 24 de la Convention :
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«8 . A l'article 1 de la Convention, les Hautes Parties Contractantes reconnaissent les droits et libertés définis au Titre I à toute personne'rele .vant de leur juridiction' (dans la version anglaise :'within their jurisdiction') . La Commission estime que ce terme ne se limite pas, comme le déclare le Gouvernement défencleur, au seul territoire national cles Hautes Parties C'ontractantes en cause . Il ressort du libellé, riotamment de la version française, et de l'objet. dudit article ainsi que du but de la Convention tout entière que les Hautes Parties Contractantes sont [enues d'assurer ces droits et libertés à toute personne relevanl effectivement de leur autorité et de leur responsabilité, que cette autorité s'exerce sur leur ,erritoire ou à l'étranger . . .
La Commission note en outre que les ressortissants d'un Etat, y contpris les navires et aéronefs enregisrrés, relèvent partiellement de sa juridiction où qu'ils se trouvent, et que les représentants dun Etat, y compris les agents diplomatiques ou consulaires et les forces armées, non seulement demement sous sa juridiction quand ils sont à l'étranger, mais font que 'relèvent de la juridiction' de cet Etat toule personne et tout bien, dans le mesure où ces représentan[s exercen[ leur autorité sur ces personnes ou ces biens . La responsabilité de l'Ettt est engagé e dans la mesure où, par leurs actes ou omissions, ils portent atteinte à ces biens ou à ces personnes.
9 . La Commission ne pense pas que l'article 63 de la Convention, qui prévoit d'en étendre l'application à d'autres territoires que les territoires mi ;tropolimins des Hautes Parties Contractantes, puisse être interprété comme limimnt ht portée du terme'juridiction', figurant à l'article l, aux rerritoires niétropolitains . Le but de l'article 63 est non seulement l'extension territoriale de la Convention ., mais aussi son adaptation au degré d'autonomie atteint par tels ou tels territoires non métropolitains et aux différences socioculturelles qu'ils présentent. L'article 6 .3 par . 3 confirme cette nterprétation . Cela ne signifie donc pas cue les tetritoires visés par l'artiole 63 ne relèvent pas de. la 'juriclietion' au sens del'article I .
10 . Il résulte de cette interprétation de l'article 1 que la eompétence de la C'ommissiori pour examiner les requêtes dans la nresure où elles concerrient des violations alléguées de la Convention à Chypre ne saurait être écartée sous prétexte que la Turquie, partie défenderesse en l'espèce, n'a ni annexé une partie de l'ïle, ni, selori le GonvernemenT défendeur, établi darts ladite partie un gouvernement militaire ou civil .
II reste à examiner si la responsabilité de la 'I'urquic au regard de la Convention est engagée par ailleurs du fait que des personnes ou des biens se trouvant à Chypre sont passés, à la suite de son action militaire, sous so n
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autorité et sa responsabilité effectives à l'époque considérée . A cet égard, le Gouvernement défendeur ne conteste pas l'entrée à Chypre de forces armées turques opérant sous sa seule autorité et selon les règles régissant la structure et le commandement de ces forces armées, y compris la mise en place de tri bunaux militaires . Il s'ensuit que ces forces armées sont des représentants de la Turquie qui font que 'relèvent de sa ju ri diction' l'ensemble des autres biens ou personnes se trouvant à Chypre, au sens de l'a rticle I de la Convention, pour autant que ces représentants exercent leur autorité sur ces personnes ou ces biens . En conséquence, dans la mesure où ces forces armées, par leurs actes ou omissions, portent atteinte aux droits et libe rt és reconnus à ces personnes par la Convention, la responsabilité de la Turquie est engagée . u
33 . Ce point de vue a é té con firmé et développé par la Commission à l'occasion de la requéte No 8007/77 (Chypre c/Turquie, déc. 10 .7 .78, D .R. 13 p . 85, p . 223) dans les termes suivants :
«22 . La Commission, tout en maintenant cette conclusion en l'espèce, souhaite ajouter les observations suivantes au sujet de la référence faite par le Gouvernement défendeur à 1"Etat fédéré turc de Chypre' .
23 . II n'est pas contesté entre les parties que la Convention européenne des Droits de l'Homme continue de s'appliquer à l'ensemble du territoire de la République de Chypre, et que le Gouvernement requérant est empêché depuis 1974, d'exercer sa juridiction sur le nord de l'île . Cette restriction à l'exercice effectif de sa juridiction par le Gouvernement requérant, comme Gouvernement de la République de Chypre, est due à la présence des forces armées turques dans le nord de l'île . Le Gouvernement défendeur fait valoir que la présence de ses forces armées dans cette zone est justifiée à la fois par le Traité de Garantie de 1960 et par le souhait de 1"Etat fédéré turc de Chypre', proclamé dans le nord de la République en 1975 .
24. La Commission n'est pas appelée à se prononcer sur la validité de ces justifications alléguées sous l'angle du droit international général . Elle se doit d'observer, toutefois, qu'une Haute Partie Contractante, à savoir Chypre, est empêchée depuis 1974 d'exercer sa juridiction sur la partie septentrionale de son territoire, du fait de la présence dans cette zone des forces armées d'une autre Haute Partie Contractante, à savoir la Turquie ; que la reconnaissance par la Turquie de l'administration chypriote turque dans cette zone comme 1"Etat fédéré turc de Chypre' n'affecte pas, selon la propre argumentation du Gouvernement défendeur, l'existence de la République de Chypre comme Etat unique et Haute Partie Contractante à l a
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Convention ; et que, par voie de conséquence, 1"Eta.t fédéré turc de Chypre' ne peut pas être considéré comme une entité qui exerce une 'juridiction' su sens de l'article ler de la Convention, sur une partie quelconque de Chypre . 25 . La Comraission conclut que la juridiction de la Turquie sur la part ie septentrionale de la République de Chypre - existant du fait de la présence de ses forces armées sur ce te.rritoire ., présence qui empêehe l'exercice de sa juridiction par le Gouvernemsnt requérant - ne saurait étre écartée au motif qu : la juridiction sur cette zone serait exercée par 1"Etat fédéré ture de Chypre' . »
34 . L'article 1 de la Convendion, tel qu'interprété ci-dessus, conforte la thèse que la restrction territoriale figurant dans la déclaration de la Turquie n'est pas autorisée ert vertu de l'article 25 . 35 . Qeant au peint de savoir si l'article 63 pourrait être invoqué en ce qui concerne la thèse selon laquelle certaines limitations territoriales peuvent valablement ëtre ajoutées atix déclarations souscrites en vertu de l'article 25, la Commission observe ce qui suit . 36 . Larticle 63 par. 1 et 4 est ainsi libellé : «l . Tout Etat peut, au rnomeit de la ratiftcation ou à tout autre moment par la suite, déclnrer, par motification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, que la présente Convention s'appliquera à tous les territoires ou à l'un quelconque des territoires dont il assure les relationa inte rnatianales . »
«4 . Tout Etat qui a fait une déclaration coriformément au premier paragraphe ce cet article, peut, à tout momenr. par la suire, déclarer relative`nent à un ou plusieurs des territoires visés par cette déclaration qu'il accepte la compétence de la Commission pour connaître des requétes de personnes physiques, d'organisations non gouvernementales ou de groupes de particuliers conformément à l'article 25 de la présente Convention . » 37 . La Commission observe que l'article 63 ne peut pas s'appliquer directement en l'espèce . La partie septentrionale de Chypre n'est pas un territoire clont la Turquit. assure les relations internationales au sens de cet article. L'application de l'article 63 par . 4 par analogie - au sens où une Haute Partie Contractante peut exclure valablement l'application d'une déclaration reconnaissant le droit de recours individuel aux territoires qui ne font manifestement pas partie de son propre territoire métropolitain - n'est pas suggéré par le Gouvernement défendeur, qui laisse à la Commission le soin de se prenoncer sur ce point . Le s
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requérants, qui contestent la légalité de la présence de la Turquie dans le nord de Chypre, nient l'applicabilité de l'article 63 à la présente affaire . 38 . La Commission a recherché si l'application par analogie de l'article 63 par . 4 de la Convention à d'autres territoires non métropolitains serait, dans les circonstances de l'espèce, compatible avec l'objet et le but de la Convention .
39 . Les requérants soutiennent que cette application de l'article 63 aux actions turques commises dans la partie septentrionale de Chypre serait illégitime, vu le caractère illégal au regard du droit international de la présence de la Turquie dans cette zone . Le Gouvernement défendeur fait valoir, en ce qui concerne le contrôle de la mise en oeuvre de la Convention par la Turquie, que la position de celle-ci peut être contestée devant la Commission pour manquement allégué aux dispositions de la Convention dans le cadre de l'article 24 .
40 . Ici encore, la Commission tient compte du caractère de la Convention, décrit ci-dessus, et du principe, reflété dans sa jurisprudence relative à l'article I, selon lequel l'application de la Convention s'étend au-delà des frontières nationales des Hautes Parties Contractantes et englobe les actes des organes étatiques à l'étranger (cf. par . 32 et 33 ci-dessus) . La Commission rappelle aussi que le but de la Convention consiste à protéger «des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs» (Cour eur. D .H ., arrêt Artico du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 16, par . 33). Le principe selon lequel les droits reconnus par la Convention devraient avoir un effet utile (upractical purpose») s'applique, de l'avis de la Commission, non seulement aux droits déCrnis au Titre 1 de la Convention, mais encore au droit procédural fondamental de recours individuel reconnu par l'article 25, dès lors qu'un Etat a reconnu ce droit . La Commission renvoie en dernier lieu à ses précédentes observations Cigurant au paragraphe 9 de sa décision du 26 mai 1975 (reproduites au paragraphe 32 ci-dessus) relatives au but de l'article 63, ainsi qu'aux paragraphes 23 et 24 de sa décision du 10 juillet 1978 (reproduites au paragraphe 33 ci-dessus) relatifs à la restriction, résultant de la présence des forces armées turques dans le nord de Chypre, imposée à l'exercice de la juridiction de Chypre, Haute Partie Contractante à la Convention . Tout en n'étant pas appelée à se prononcer sur la légalité au regard du droit international de la présence de la Turquie dans le nord de Chypre, la Commission estime que l'application par analogie de l'article 63 serait incompatible avec la situation particulière de cette zone .
41 . La Commission considère que l'application par analogie de l'article 63 par . 4 serait, dans les circonstances des présentes requêtes, incompatible avec l'objet et le but de la Convention .
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42 . La Commission estime (lue les restrictions figurant aux paragraphes i) à v) de la déclaration de la Turquie du 28 janvier 1987 au tir.re de l'a rticle 25 ne scnt pas auto ri sées par cec article . Cette constatation n'infirme en rien les déeisioas antérieures de la Commission ( par exemple No 13 6 23/88, déc. 13 .4 .89 et No 13891/88, déc . 20 .1 .89) appliquant, comme une resttriction temporelle valide conformément au paragraphe 2, la clause contenue dans la première phrase (lu dernier paragraphe de la déclaraticn de la Turquie .
c) La validité de la reconnaissance par la 74rquie du drorl de rerours individue l
43 . A?'audience devant la Comrnission, l'Agent du Gouvernement défendeur a déclaré oe qui suit : «Le Gouvernement turc consldère et a toujours considéré que les eomditions qui figurent clans sa déclaradon selori l'article 25, y compris la clause cerritoriale, ont un caractère essentiel pour la volonté du (iouvernement d'accepter le droit de recours individuel, à tel point que si une seule de ces conditions devait être rejetée, la déclaralion dans sa totalité deviendrait caduque ; dans un tel cas, la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel n'existerait plus . » 44 . La Cemmission rappel ­ e que sa cornpétence de déterminer la porté: et la validité de la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25 a été expressément reconnue par la rurquie (cf. par . 4 ci-clessus) et que la Turquie a déclaré à plusieurs rep ri ses que les restrictions contenues dans les paragraphes i) à v) de la déclaration «ne sauraient être considérés comme des 'rése rv es' au sens du droit international des Caités» .
45 . La Commission doit interpréler l'intention de la Turquie, lorsqu'elle a fait sa déclaration du 25 janvier 1987, telle qt,ti elle a éûe exprimée à l'époque . Elle rappelle que la déclaration a été déposée après qu'nn règlement amiable eut été obtenu dans la procédure intentée contre la Turquie par la France, la Norvège, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas (requétes No 9940-9944/82) et peu de temps avant l'expïration, le ler février 1987, de la période prévue pour la procédure de notificar.ion stipulée dans le règlement (voir rapport Comm . 7 .12 .85, D .R. 44 pp . 3 1 , 49 et suiro .) . En faisant ia déclaration selon l'article 25, la Turquie a manifesté alors sa volonté d'être liée par le système de la Convention également en ce qui concerne les requétes individuelles prévues par l'article 25 .
46 . Lorsqn'un Ei :at a clairement exprimé l'intenticn d'être lié conformément à l'article 25, mais e. ajouté à sa déclaration des restrietions qui sont incompatibles avec la Convention, l'intention principale de l'Etat doit prévaloir . La Commissio n
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estime que la présente déclaration de la Turquie, acceptant de n'être liée par sa déclaration au titre de l'article 25 que si toutes les conditions contenues dans celle-ci sont valides, est incompatible à la fois avec ses déclarations antérieures susmentionnées et avec l'objet et le but de la Convention . Elle ne peut donc pas prévaloir dans le cadre de cet instrument .
47 . La Commission rappelle que lorsque la Cour a jugé qu'une déclaration interprétative de la Suisse ne répondait pas à deux des exigences de l'article 64 de la Convention, «de sorte qu'il échet de la réputer non valide», elle a jugé également qu'«à n'en pas douter, la Suisse est et s'estime liée par la Convention indépendamment de la validité de la déclaration» (arrêt Belilos du 29 avril 1988, Cour eur. D .H ., série A n° 132, p . 28, par. 60) . La Commission note dans ce contexte un principe fréquemment appliqué pour l'interprétation des instruments juridiques dont certaines parties sont jugées non valides . Cette règle s'exprime par la formule latine «ut res magis valeat quam pereat» .
48 . 11 découle des considérations développées ci-dessus que par sa déclaration du 28 janvier 1987, la Turquie a valablement reconnu, et avec une seule limitation qui est de caractère temporel, le droit de recours individuel conformément à l'article 25 de la Convention .
49 . La Commission estime en conséquence qu'elle est compétente ratione loci, en vertu de la déclaration souscrite par la Turquie le 28 janvier 1987 au titre de l'article 25 de la Convention, pour être saisie des présentes requêtes .
d) La compétence ratione tempori.s de la Commission à l'égard de la déclaration souscrite par la Turquie en vertu de l'article 25 de la Conventio n
50. II reste à examiner si la Commission est également compétente ratione temporis, eu égard au fait que la déclaration s'étend seulement «aux allégations relatives à des faits, y compris les jugements fondés sur lesdits faits, intervenus après la date de dépôt de la présente déclaration» . 51 . Cette clause n'affecte pas la compétence de la Commission de statuer sur les griefs contenus dans les requêtes No 15299/89 et 15300/89, et ayant trait à des violations de la Convention qui auraient été commises en juillet 1989 .
52 . De méme, elle n'affecte pas la compétence de la Commission de statuer sur les griefs contenus dans la requête 15318/89 et relatifs à des violations alléguées de la Convention datant de mars 1989.
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53 . La situation juridique est diffêrente, toutefois, dans la mesure où la troisième requérante allègue des viotations continues de l'article 8 de la Conventiori et de l'article I du Protocole additionnel .
54 . Les argumens de la troisième requérante invoquant la notion de violation continue sont fornmlés en considét'ation de la règle des six mois posée par l'article 26 de la Convention, et concerneni en particulier son grief au titre de l'articie 1 (lu Protocole additionnel .
55 . La Commission a considéré par le passé que lorsqu'il existe «une situation qui perdure», la question de la règle des six mois «ne ponrra se poser que lorsque cette situation aura cessé» (affaire De Becker, Annuaire 2 pp . 215, 245 ; première Affaire grecque, seconde décision sur la recevabilité, Recueil 26 pp . 80, 110 ou Annuaire 11 pp . 731, 779) .
56 . Dans la requete No 8007/77 ntroduite par Chypre en vertu de l'article. 24 de la Convention, la Commission a déclaré ce qui suit au suje .t de plaintes de violations continues notamment de l'article I du Protocole additionnel par la Turquie dans le nord de Chypre (déc . 10 .7 .78, D .R . 13 p . 35, p . 227)
. La Commission observe . . . que dans les procédures d'examen de l a :«45 recevabilité cles requêtes éta :iques . . ., il ne lui incombe pas d'effectuer un examen préliatinaire au fond, étant donné que les dispositions de l'article 27 par . 2, . . . s'appliquent exclusivement, conformément à leur libellé explicite, aux requétes individuelles introduites par applioation de l'article 25 . . .
Il s'ensuit que la Comntissiou ne peut, à ce stade de la procédure, examiner la question de savoir si les griefs .. . relatifs à des 'violations continues' de la Convention sont ou ne sont pas fondés . La thèse du Gouverrtement requérant selon laquellr, la règle des six mois est inapplicable du fait que la requéte concerne des'vlolaticns continues' doit donc être retenue .
46 La Commission conclut que la présente requéte ne peut être rejelke par application des articles 26 et 27 par. 3 de la Convention pour inobservation de la règle des six mois . »
57 . Deins la présente requête introduite par application de l'article 25, la Commission doit, avant d'examiner la règle des six mois, se pencher sur l'effet de la restnetien temporelle contenue dans la déclaration de la Turquie quant à cet article .
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58. La Commission a précédemment estimé qu'elle est empêchée par les termes spécifiques de cette restriction d'examiner les requêtes incriminant des décisions administratives prises avant, et confirmées par des arrêts intervenus aprés, le 28 janvier 1987 (voir par . 11 ci-dessus) . 59 . Appliquant ce raisonnement à la présente affaire, la Commission considère que, vu les termes de la déclaration de la Turquie au titre de l'article 25 telle que limitée par sa restriction temporelle, elle ne peut pas examiner les plaintes de violations continues dans la mesure où elles se rapportent à des périodes antérieures au 29 janvier 1987 .
60 . La Commission en déduit qu'elle n'est pas compétente ratione temporis aux termes de cette déclaration pour statuer sur les griefs de la troisième requérante alléguant des violations continues de l'article 8 de la Convention et de l'article 1 du Protocole additionnel entre le 20 juillet 1974 et le 28 janvier 1987 . II s'ensuit, (lans cette mesure, que la requête No 15318/89 est incompatible avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par . 2 . Il .
Sur le point de savoir si les requêtes sont manifestement mal fondées
a) Requêtes No 15299/89 et 1 5300/89 61 . Les premier et second requérants se plaignent de leur détention et de mauvais traitements ainsi que des procédures dans la partie septentrionale de Chypre en juillet 1989. Ils soutiennent que les actes incriminés ont été commis par les forces militaires turques stationnées dans la partie septentrionale de Chypre ou par des forces agissant sous leur autorité, et ils allèguent la violation des articles 1, 3, 5, 6, 7, 9 et 13 de la Convention .
62 . Le Gouvernement défendeur conteste la version des faits présentée par les requérants et déclare que les forces turques ne sont pas intervenues lors des événements du 15 juillet 1989, avec lesquels elles n'avaient rien à voir . 63 . La Commission estime que les griefs des premier et second requérants soulévent des questions complexes de droit et de fait qui nécessitent un examen au fond . Il s'ensuit que les requêtes No 15299/89 et 15300/89 ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l'article 27 par . 2 de la Convention . b) Requête No 15318/89 64. La troisiéme requérante se plaint d'avoir été détenue le 19 mars 1989 alors qu'elle tentait d'accéder à ses biens situés dans la partie septentrionale de Chypre . Elle allègue la violation des articles 3 et 5 de la Convention ainsi que de s 288
violations continues de l'artiele 8 de la Convention et de l'article I du Protocole additiormel. 65 . Le Gouvernement défendeur conteste la version des faits de la troisièrne requérante . 66 . La Commission considère que les griefs de la troisième requérante au tir .re des articles 3 et 5 de la Convention, visant sa détention en mars 1989, soulèvemt des questions complexes de droit st de fait qui nécessiteut un esamen au fond . Il s'ensuit que ces griefs ne sont pas manifesæment mal fondés . . 67 . En ce qui concerne les griefs de la troisième reauérante au titre de l'article 8 de la Convention et de l'article 1 du Protocole additionnel, la Commission a déjà estimé (par . 59-6-0) qu'elle est empêchée du fait de la restriction temporelle figurani dans la déclaration de la Turquie de se prononcer sur les griefs de violations continues de la Convention qui auraient eu lieu, selon la requérante, avant le 29 janvier 1987 . 68 . Le grief de la requérante selon lequel elle s'est vu refuser l'accès à ses bieens situés dans le nord de Chypre après le 28 janvier 1987 ~oulève une question qui nécessile un exarren au fond, sous l'angle de l'article 1 du Protocole additionnel de la Cortvention, mais pas de question sous l'angle de l'article 8 de la Conventiori, en ce qui concerne le droit de la troisi'eme requérante au respect de ses biens . La Contmission note que la requérante a passé sa jeunesse à K_yrenia, dans le nord de Chypre, mais qu'en 1972 elle s'est aiarié, et a déménagé avec son mari pcur Vicosie . 69 . La Commission estime que le grief de la troisième, requérante selon lequel elle s'est vu refuser l'accès il ses biens situés dans L^, nord de Chypre après le 28 janvier 1987, n'est pas manif'estement mal fondé, si on le considère sous l'angle de l'article 1 du Protocole additionnel à la Convention .
Par ces motits, la Comrnission, à la niajorité, DÉCLARE RECEVABLES les requêtes No 15299/89 et 15300/89, tous ntoyens de fond réservés ; 2 .(a) Df3.CLARE IRRECEVABLES les griefs exposés dans la requ@te No I 5 318/89 et visant des violations c:ontinues d : l'article 8 de la Convention et de l'article I du Protocole additionnal qui aurüent été commises avant le 29 fanvier 1987 ;
(bj DECLARE RECEVABLE cette requête pour le surplus, tous moyens de fond réservés.
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Synthèse
Formation : Commission (plénière)
Numéro d'arrêt : 15299/89;15300/89;15318/89
Date de la décision : 04/03/1991
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 6-1) ACCUSATION EN MATIERE PENALE


Parties
Demandeurs : CHRYSOSTOMOS
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1991-03-04;15299.89 ?

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