PARTIELLE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 14593/89 présentée par W. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 25 février 1991 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN E. BUSUTTIL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. F. MARTINEZ Mme J. LIDDY MM. L. LOUCAIDES J.C. GEUS A.V. ALMEIDA RIBEIRO M.P. PELLONPÄÄ M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 25 novembre 1988 par W. contre la France et enregistrée le 30 janvier 1989 sous le No de dossier 14593/89 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Le requérant, né en 1939 et de nationalité française, réside à B. (Bas-Rhin). Il est président directeur général d'une société anonyme ayant son siège social à B. Le requérant se plaint de trois procédures. La première procédure en dommages-intérêts et la seconde procédure en résiliation d'un contrat de vente ont été introduites par le requérant. Dans la troisième procédure en paiement d'arriérés dûs au titre d'un contrat de location, le requérant était défendeur. La première procédure a trait à des faits de concurrence déloyale. En 1970, le requérant créa une société spécialisée dans la protection des plantes de cultures, la fourniture de semences, engrais spéciaux et produits pétroliers pour agriculteurs. En 1985 une entreprise concurrente, le Comptoir Agricole d'H. tenta de s'approprier la clientèle et la force de vente de la société représentée par le requérant qui porta plainte contre X pour concurrence déloyale. Une ordonnance de non-lieu fut rendue le 16 avril 1987 par un juge d'instruction du tribunal de grande instance de S. Le 28 juillet 1989, le requérant assigna le Comptoir Agricole en dommages-intérêts en soutenant qu'en 1985 son activité avait périclité par la faute de ce concurrent qui aurait débauché une partie de son personnel. Par jugement rendu le 28 mai 1990, le tribunal de grande instance de Strasbourg constata des faits de concurrence déloyale de la part du Comptoir Agricole envers la société du requérant, ordonna une expertise afin d'évaluer le préjudice de cette dernière et condamna le Comptoir Agricole au paiement d'une provision provisoire de 100.000 francs. Celui-ci interjeta appel de ce jugement le 7 juin 1990 et obtint qu'il soit sursis à l'exécution du jugement. L'aide judiciaire fut refusée au requérant au motif qu'il n'agissait pas à titre personnel mais en tant que représentant d'une société. La cour d'appel ne s'est pas encore prononcée au fond. Le requérant dénonça également ces faits de concurrence déloyale à la commission des pétitions du Parlement Européen. Celle-ci a décidé d'inviter la Commission des Communautés Européennes à prendre position en la matière. Les deux autres procédures dont se plaint le requérant ont pour objet la résiliation d'un contrat de vente de matériel informatique et la location d'un système logiciel. Le requérant était demandeur dans la première et défendeur dans la seconde. En 1979, le requérant acquit pour le compte de la société un ordinateur avec logiciels auprès de la société S. Celui-ci s'avérant défectueux, les parties convinrent de son remplacement. Le matériel fourni en remplacement n'apportant pas plus de satisfaction, le requérant assigna le vendeur en résiliation des ventes par une demande introduite le 4 décembre 1985. Au vu d'un premier rapport d'expertise, le juge de la mise en état alloua, par ordonnance du 2 février 1987, une provision de 250.000 francs et ordonna un complément d'expertise. Le 30 mars 1987, il ordonna une contre-expertise générale en raison de l'intervention dans la procédure du fournisseur de matériel. Le rapport fut déposé le 3 décembre 1987. Le tribunal de grande instance de S. écarta les deux premiers rapports d'expertise, l'un pour manque de crédibilité, l'autre pour insuffisance, et ne retint que le dernier rapport de contre-expertise générale déposé le 3 décembre 1987. Par jugement rendu le 18 janvier 1989 et assorti de l'exécution provisoire le tribunal de grande instance de Strasbourg rejeta les demandes du requérant portant sur le premier matériel fourni et, concernant le matériel livré en remplacement, déclara le vendeur coupable d'inéxécution fautive de ses obligations contractuelles et le condamna à payer au requérant une indemnité de 500.000 Frs. Le vendeur forma appel contre ce jugement le 20 mars 1989. Le requérant n'a pas obtenu l'aide judiciaire pour la procédure d'appel en raison de sa qualité de représentant social dans la cause. La cour d'appel n'a pas encore statué à ce jour. Parallèlement à cette procédure le requérant fut assigné le 16 juin 1987 par une société de location d'équipements en paiement d'arriérés dus au titre d'un contrat de location de système informatique. Dans un mémoire du 30 mai 1988 il sollicita des délais de paiement en faisant valoir que le dysfonctionnement du matériel en cause faisait l'objet d'une procédure parallèle en résiliation qui le plaçait dans une situation financière très difficile. Le 17 octobre 1988 le juge alloua à la société demanderesse une provision correspondant aux loyers impayés. Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 15 mars 1989, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de S. rejeta la demande de délais de paiement et condamna le requérant au paiement des arriérés dûs avec intérêts. Ce jugement est devenu définitif. Toutefois le requérant a sollicité et obtenu le 25 octobre 1990 du bureau d'aide judiciaire du tribunal de grande instance de S. l'aide judiciaire totale pour exercer un recours en révision de ce jugement. Cette procédure fut suivie d'une procédure en exécution forcée contre le requérant et sa société. Le requérant introduisit un recours devant la cour d'appel de C. contre une ordonnance de saisie et d'attribution rendue le 27 avril 1990 par le tribunal d'instance sur la base du jugement définitif du 15 mars 1989. Il demanda la main-levée de la saisie en arguant notamment qu'il était victime des instances judiciaires. Par arrêt rendu le 21 septembre 1990, la cour d'appel de C. donna acte au créancier de ce qu'il avait donné main-levée entière et définitive de la saisie pratiquée contre le requérant et sa société et infirma l'ordonnance de saisie sur ce point.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint d'abord de la longueur de la procédure en résiliation d'un contrat de vente introduite le 4 décembre 1985 devant le tribunal de grande instance de S. et qui est aujourd'hui devant la cour d'appel, sur appel de la partie adverse contre le jugement de première instance rendu le 18 janvier 1989. Il allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Se fondant sur le même article, le requérant se plaint également de la longueur des deux autres procédures. La première procédure en paiement d'arriérés dus au titre d'un contrat de location fut introduite le 16 juin 1987 contre le requérant par la société de location d'équipements. Elle prit fin par un jugement rendu le 15 mars 1989 et est devenue définitive. La seconde procédure en dommages-intérêts pour concurrence déloyale fut introduite par le requérant le 28 juillet 1989 devant le tribunal de grande instance. Celui-ci s'est prononcé le 28 mai 1990. La procédure se poursuit à hauteur d'appel. Quant à ces deux premiers griefs, le requérant explique que depuis 6 ans il est empêché de mener une activité économique normale dans l'attente des décisions judiciaires, que sa famille et lui-même en ont été profondément affaiblis et que sa société a été spoliée du fait surtout des négligences des autorités judiciaires qui n'auraient pas voulu régulariser la situation lui causant préjudice.
3. Le requérant se plaint encore d'avoir été victime d'une escroquerie organisée par la Société S. en ce qui concerne l'acquisition de ses ordinateurs et explique à cet égard qu'il est victime d'actions abusives de la part d'un huissier qui s'est empressé de procéder à l'exécution du jugement le condamnant alors qu'il était par ailleurs dans l'attente d'indemnités bloquées en raison d'une procédure d'appel. Il invoque ici l'article 1 du Protocole additionnel.
4. Le requérant se plaint enfin de ne pas pouvoir être représenté par un avocat commis d'office. Il allègue sur ce point la violation de l'article 6 par. 3 b) et c) de la Convention.
5. Le requérant invoque ensuite, sans faire valoir aucun fait ni grief s'y rattachant, le Préambule de la Convention ainsi que les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 par. 3 d), 14 et 17 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de la longueur de la procédure civile en résiliation d'un contrat de vente. Il allègue la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Aux termes de cette disposition "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)". La Commission observe que la procédure en question a été introduite le 4 décembre 1985 par le requérant. Le tribunal de grande instance de S. s'est prononcé le 18 janvier 1989. Saisie d'un appel de la partie défenderesse, la cour d'appel de C. n'a pas encore statué à ce jour. En l'état actuel du dossier, la Commission estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief tiré de la longueur de la procédure en question et décide d'ajourner l'examen de cette partie de la requête dans l'attente des renseignements complémentaires demandés au requérant en application de l'article 48 par. 2 a) du Règlement intérieur.
2. Invoquant la même disposition, le requérant allègue que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable en ce qui concerne les deux autres procédures, l'une introduite contre le requérant en paiement d'arriérés dus au titre d'un contrat de location, l'autre introduite par le requérant en dommages-intérêts pour concurrence déloyale. La Commission observe que la première procédure en paiement d'arriérés qui fut introduite par une société de location d'équipement le 16 juin 1987 contre le requérant s'est terminée le 15 mars 1989 par un jugement devenu définitif et a duré 21 mois. La Commission rappelle que la question de savoir si une procédure a excédé le délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause (Cour Eur. D.H., arrêt König du 28 juin 1978, série A n° 27, p. 34 par. 99) et que les critères à prendre en considération à cette fin, tels qu'ils ont été dégagés dans la jurisprudence, sont essentiellement la complexité de l'affaire, la manière dont elle a été traitée par les autorités judiciaires et la conduite des parties. En matière civile, par ailleurs, l'exercice du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable est subordonné à la diligence de la partie intéressée (Cour Eur. D.H., arrêt Capuano du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 11 par. 23 et ss.). La Commission remarque que le requérant a sollicité par un mémoire du 30 mai 1988 des délais de paiement en faisant état de l'existence de la procédure parallèle en résiliation qu'il avait introduite en décembre 1985 et qui est encore en cours. Si l'on ne saurait reprocher au requérant un retard particulier, il y a lieu toutefois de constater qu'en arguant de la connexité des deux procédures à l'appui de sa demande de délais de paiement, celui-ci a contribué à la prolongation de la procédure. Quant à la deuxième procédure, la Commission observe qu'elle fut introduite le 28 juillet 1989 par le requérant et qu'elle est encore en cours devant la cour d'appel de Colmar. Elle a duré 10 mois en première instance et dure depuis un peu plus de 8 mois à hauteur d'appel. La Commission remarque toutefois que la juridiction saisie d'une demande en dommages-intérêts pour concurrence déloyale a dû examiner dans quelle mesure l'échec commercial de la société du requérant pouvait être imputable à l'entreprise concurrente à laquelle le requérant reprochait des manoeuvres de débauchage de son personnel. La Commission rappelle que selon la jurisprudence de la Cour, seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure, le cas échéant, à l'inobservation du délai raisonnable (Cour Eur. D.H., arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 16 par. 38 ; arrêt Capuano du 25 juin 1987, série A n° 119, p. 13 par. 30). Elle estime que l'examen de ces deux procédures n'a pas révélé de telles lenteurs. Aucune apparence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne saurait dès lors être décelée en l'espèce. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint encore d'escroquerie organisée par la société S. et d'actions abusives de la part d'un huissier. Il allègue à cet égard la violation de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1). La Commission rappelle toutefois qu'elle ne peut, aux termes de l'article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention, retenir des requêtes dirigées contre des particuliers, y compris des sociétés commerciales et des huissiers. Il s'ensuit que la requête est sur ce point incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint ensuite de ne pas pouvoir être représenté par un avocat commis d'office et invoque les articles 6 par. 3 b) et c) (art. 6-3-b, 6-3-c) de la Convention. La Commission rappelle d'abord que l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention ne s'applique qu'aux procédures pénales dans lesquelles un requérant a la qualité d'accusé. Elle constate que dans les procédures contestées par le requérant, celui-ci n'a pas eu la qualité d'accusé d'une infraction. La Commission examine toutefois ce grief sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs "droits et obligations de caractère civil". La Cour a toutefois précisé que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) laisse à l'Etat le choix des moyens à employer à cette fin et que l'état n'a nullement l'obligation de fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractère civil (Cour Eur. D.H., arrêt Airey du 9 octobre 1979, série A n° 32 p. 15). La Commission relève enfin que l'aide judiciaire a été refusée au requérant au motif qu'il n'agissait pas à titre personnel mais en tant que représentant d'une société. Or, un système d'assistance judiciaire ne peut fonctionner efficacement, vu les limites de ressources disponibles, que si un dispositif est établi qui sélectionne les affaires pouvant en bénéficier (cf. N° 8158/78, déc. 10.7.1980, D.R. 21 p. 95). La Commission estime en conséquence que le refus de la cour d'appel de C. de lui octroyer l'aide judiciaire ne peut être considéré dans les circonstances de la présente affaire comme portant atteinte à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
5. La Commission constate que l'examen de la requête à la lumière des dispositions invoquées par le requérant ne permet de déceler aucune apparence de violation d'autres dispositions invoquées par le requérant. Il s'ensuit que, pour le surplus, la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, statuant à l'unanimité, AJOURNE l'examen du grief portant sur la durée de la procédure en résiliation d'un contrat de vente ; DECLARE la requête irrecevable pour le surplus. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)