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19/12/1989 | CEDH | N°9783/82

CEDH | AFFAIRE KAMASINSKI c. AUTRICHE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KAMASINSKI c. AUTRICHE
(Requête no9783/82)
ARRÊT
STRASBOURG
19 décembre 1989
En l’affaire Kamasinski*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R

. Macdonald,
J. De Meyer,
J.A. Carrillo Salcedo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, e...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE KAMASINSKI c. AUTRICHE
(Requête no9783/82)
ARRÊT
STRASBOURG
19 décembre 1989
En l’affaire Kamasinski*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
J. De Meyer,
J.A. Carrillo Salcedo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 juin et 23 novembre 1989,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 18 juillet 1988, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 9783/82) dirigée contre la République d’Autriche et dont M. Theodore Kamasinski, ressortissant des États-Unis d’Amérique, avait saisi la Commission le 6 novembre 1981 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 6, 13 et 14 (art. 6, art. 13, art. 14).
2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et demandé l’autorisation d’assumer lui-même la défense de ses intérêts avec l’assistance d’un conseil exerçant aux États-Unis et désigné par lui. Le président de la Cour la lui a octroyée le 1er septembre 1989 pour la procédure écrite (article 30 § 1).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 29 septembre 1988, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent Evans, M. R. Macdonald, M. J.A. Carrillo Salcedo et Mme E. Palm, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. J. De Meyer, suppléant, a remplacé Mme Palm, empêchée (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
4.   Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement autrichien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 24 janvier 1989 et celui du requérant le 1er février. Par une lettre arrivée le 9 mars, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué présenterait ses observations de vive voix.
5.   Le 3 avril, après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier, le président a fixé au 19 juin la date d’ouverture de la procédure orale (article 38).
6.   Le 25 avril, la chambre a décidé
- qu’elle ne pouvait prendre aucune mesure quant à la récusation, par le requérant, du membre de la Commission désigné en qualité de délégué (article 29 § 1 du règlement);
- que l’examen de l’affaire n’exigeait pas d’entendre certains témoins proposés par M. Kamasinski (article 40);
- de rejeter l’objection de ce dernier à la diffusion de son mémoire avant l’arrêt final à rendre en l’espèce (articles 18 et 55).
7.   Le même jour, le président
- à la demande du requérant, a invité la Commission à produire divers documents;
- a refusé de laisser M. Kamasinski plaider lui-même sa cause (article 30 § 1 du règlement).
Le 7 juin, la Commission a fourni celles des pièces sollicitées qui se trouvaient dans son dossier, plus d’autres qu’elle a jugées utiles à la Cour. Le lendemain, le président a autorisé le requérant à être représenté à l’audience par l’avocat américain qui l’avait assisté.
8.   Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. H. Türk, conseiller juridique,
ministère des Affaires étrangères,  agent,
M. W. Okresek, de la Chancellerie fédérale,
Mme I. Gartner, du ministère fédéral de la Justice,  conseils;
- pour la Commission
M. F. Ermacora,  délégué;
- pour le requérant
M. A. D’Amato, professeur de droit,
Northwestern University, Chicago,  conseil,
Me R. Gorbach, avocate,
Vienne,  conseiller.
La Cour a entendu en leurs plaidoiries, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de deux juges, M. Türk, M. Okresek et Mme Gartner pour le Gouvernement, M. Ermacora pour la Commission et M. D’Amato pour le requérant.
Au début de la séance, elle a consenti à entendre à huis clos une brève déclaration du conseil de M. Kamasinski (article 18 du règlement).
9.   À des dates diverses s’échelonnant du 14 juin au 22 novembre 1989, Gouvernement et requérant ont déposé de nombreux documents. Le 23 novembre la chambre a décidé, sur la base des directives d’ordre procédural données par le président lors de l’audience, de prendre en compte la réponse écrite de M. Kamasinski aux questions de la Cour et les observations relatives à ses prétentions au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention, mais non les autres pièces, non demandées, envoyées par lui et par le Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.   Ressortissant des États-Unis d’Amérique, le requérant réside actuellement au Connecticut. Arrivé en Autriche dans l’été de 1979, il fut arrêté à Mödling (Basse-Autriche) le 4 octobre 1980 en exécution d’un mandat délivré par le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck, du chef de soupçons d’escroquerie et de détournement. Le même jour, on le conduisit à Vienne où, le 6, le tribunal pénal régional de Vienne (Landesgericht für Strafsachen) ordonna sa mise en détention provisoire. Le 15 octobre, on le transféra de Vienne à la prison du tribunal régional d’Innsbruck (Landesgerichtliches Gefangenenhaus).
A. Procédure préparatoire
11.  Des agents de police l’interrogèrent les 15 octobre, 6 novembre et 16 décembre 1980. A la première de ces dates, l’interprétation fut assurée par un détenu qui n’avait toutefois qu’une connaissance limitée de l’anglais. Bien que non assermentée, la personne qui servit d’interprète le 6 novembre prêtait fréquemment son concours à la police en l’absence d’interprète juré. Les éléments du dossier ne permettent pas d’établir si celle qui fit office d’interprète le 16 décembre était ou non assermentée. Conformément à la pratique habituelle, le requérant ne reçut ni copie ni traduction du procès-verbal de ses interrogatoires.
12.  Des interprètes jurés assistèrent aux interrogatoires menés par plusieurs juges d’instruction les 17 octobre, 27 octobre, 28 novembre et 1er décembre 1980. La procédure adoptée consistait, pour le juge, à poser en allemand à M. Kamasinski une ou plusieurs questions auxquelles il répondait en anglais, par l’intermédiaire de l’interprète dans les deux cas. Le juge faisait ensuite taper un résumé des réponses qu’il estimait pertinentes. Il y a désaccord sur le point de savoir dans quelle mesure la version dactylographiée était, à la fin de l’interrogatoire, traduite oralement à l’intention de l’inculpé. A deux occasions au moins celui-ci refusa de la signer, parce que rédigée dans une langue qu’il ne comprenait pas.
13.  À la demande du requérant, accueillie par le tribunal compétent, l’Ordre des avocats du Tyrol le dota d’un défenseur d’office, lequel énonça par écrit les objections de l’intéressé à sa détention provisoire. Toutefois, par une lettre du 31 octobre 1980 au tribunal M. Kamasinski se plaignit que son conseil ne parlât pas assez bien l’anglais; celui-ci sollicita, pour le même motif, d’être déchargé de ses fonctions. En conséquence, l’audience qui devait avoir lieu le 19 novembre pour le contrôle de la détention provisoire fut reportée conformément aux voeux du requérant. La chambre du conseil (Ratskammer) invita le juge d’instruction, entre autres, à veiller à la nomination d’un autre avocat maîtrisant suffisamment l’anglais. Me Wilhelm Steidl, avocat en même temps qu’interprète agréé d’anglais, fut ainsi désigné le 26 novembre.
14.  Le 3 décembre 1980, Me Steidl rendit au requérant une première visite de quinze minutes au moins. Le même jour, il le représenta en outre à l’audience, qui avait été renvoyée, devant la chambre du conseil. Aussitôt après, il attaqua en son nom la décision de ladite chambre prolongeant la détention provisoire. Il retourna auprès de lui les 19 et 30 décembre 1980, puis les 21 janvier et 9 février 1981.
15.  Long de six pages, l’acte d’accusation fut notifié au requérant le 16 février 1981 au cours d’une séance du tribunal régional. Il lui reprochait sept faits d’escroquerie aggravée (articles 146 et 147 § 3 du code pénal) et un de détournement (article 133 §§ 1 et 2). Les infractions incriminées consistaient pour l’essentiel dans le défaut de régler certaines factures, surtout de loyers et de téléphone. Un interprète juré était là, mais la mesure dans laquelle il interpréta l’acte d’accusation prête à controverse. La séance dura une heure environ. Me Steidl ne comparut pas. Joint finalement par téléphone, il informa le requérant qu’il n’assisterait pas à l’audience car cela ne servirait à rien; il lui déconseilla d’élever des objections contre l’acte d’accusation.
Le procès-verbal constate que ce dernier fut notifié au prévenu, lequel en réclama la notification à son défenseur et forma opposition (Einspruch). M. Kamasinski invoquait en particulier les motifs suivants. Il avait déjà écrit neuf lettres pour présenter ses offres de preuve. En dépit de ses instances répétées, il n’avait jamais reçu aucune des factures de téléphone prétendument non payées par lui. De plus, il avait exigé la communication de pièces à conviction pour examen, mais ne l’avait jamais obtenue. Avec l’aide du juge, il formula une objection générale dénonçant l’irrégularité de l’acte d’accusation dont il demanda en conséquence le contrôle. Selon une note annexée au procès-verbal, il refusa de confirmer par sa signature qu’on lui avait délivré l’acte d’accusation, car par principe il ne signait pas des documents rédigés en allemand.
On ne lui fournit une traduction écrite dudit acte ni à cette occasion ni ultérieurement.
16.  Ramené dans sa cellule, le requérant écrivit à son avocat en ces termes:
"Comme vous le savez, j’ai reçu l’acte d’accusation aujourd’hui. Auriez-vous l’amabilité de m’expliquer pourquoi, au lieu d’être présent pour me conseiller, vous vous êtes arrangé pour vous faire téléphoner? Comment [juron supprimé] pouvez-vous me conseiller avant même de voir ce sur quoi vous devez me conseiller? Le jeune magistrat ?? m’a dit que je devais décider sur-le-champ d’exercer ou non un recours. Il a tapé quelque chose à la machine, mais quand j’ai corrigé à l’encre une erreur manifeste le ??? [épithète supprimée] a crié: ‘Vous ne pouvez pas changer ce que j’écris pour que vous le signiez, c’est interdit.’ Je lui ai répondu de faire le nécessaire avec ce papier et il a ordonné à l’interprète (...) de le signer.
(...) J’ai besoin de vos conseils juridiques en ce qui concerne l’acte d’accusation:
1. Existe-t-il des motifs de recours?
2. Sur quels motifs peut-on s’appuyer pour attaquer un acte d’accusation?
3. Puis-je citer des témoins à décharge et les contraindre à assister au procès?
4. M’apporterez-vous une assistance selon le droit?
Vous semblez croire prise d’avance la décision sur ma culpabilité, sinon vous n’annonceriez pas ma condamnation à des tiers sans avoir vu les éléments de preuve, les avoir examinés avec moi ni avoir jamais pris connaissance de l’acte d’accusation. Il est vrai que sur la même base vous m’avez prédit mon élargissement (...)"
17.  Quatre jours plus tard, le 20 février 1981, Me Steidl lui rendit visite en prison pour l’informer qu’il allait retirer l’opposition contre l’acte d’accusation, l’estimant vouée à l’échec; il le fit par une lettre du même jour.
Il retourna le voir avant le procès les 16 mars, 27 mars et 1er avril; le requérant s’absenta de sa cellule pendant une heure, trente minutes et vingt minutes respectivement.
18.  Le 12 mars 1981, M. Kamasinski lui expédia la lettre suivante:
"(...) Je vais écrire à M. Braunias [président de la chambre du tribunal régional saisie de l’affaire] pour le prier de m’aider à obtenir un défenseur EFFECTIF au cas où je ne verrais pas les éléments de preuve et le dossier avant le 19 mars, soit deux semaines seulement avant le procès! (...)"
Le 16 mars, il lui envoya une autre lettre l’invitant à veiller à la présence de tous les témoins à charge et à citer deux témoins à décharge.
Le même jour, Me Steidl sollicita par écrit l’audition de cinq témoins, dont Mme Rebecca Wellington, ainsi qu’une injonction ordonnant à quelques-uns d’entre eux d’apporter certains documents. Par la suite, il compléta par téléphone cette offre de preuves. En particulier, il demanda le 31 mars de convoquer Mme Theresia Hackl à déposer au procès.
19.  Les 16, 19, 23 (ou 24) et 30 mars 1981, M. Kamasinski adressa des lettres au président de la chambre.
Dans la première, il réclamait le huis clos car il craignait pour sa sécurité personnelle. Le contenu de cette missive fut en outre expliqué par téléphone au président de la chambre par le juriste attaché à la prison, M. P. Eu égard aux appréhensions ainsi exprimées, un inspecteur de la police judiciaire en civil fut finalement appelé à assister au procès.
Quant aux lettres des 19, 23 (ou 24) et 30 mars, transmises comme à l’accoutumée par porteur de la prison au tribunal régional, elles ne figurent pas au dossier et ne s’y trouvent pas répertoriées, sans que le Gouvernement puisse en indiquer la raison.
Leur contenu donne lieu à contestation. Le requérant prétend l’avoir résumé pour l’essentiel dans des lettres qu’il envoya au président après les débats (paragraphe 23 ci-dessous). Selon le Gouvernement au contraire, pour autant que le président s’en souvienne les missives manquantes reprenaient des éléments ressortant déjà du dossier. Le président aurait demandé au conseil du requérant de les lire et d’en discuter le contenu avec son client; il l’aurait invité à présenter au procès les arguments qu’elles soulevaient et à formuler des conclusions en conséquence.
20.  Le 25 mars 1981, M. Kamasinski écrivit en ces termes au juriste attaché à la prison, M. P.:
"Monsieur,
Pourrais-je de grâce recevoir une réponse à ma dernière lettre?? Il ne reste que cinq jours ouvrables avant le procès, fixé au 2 avril. Je n’ai reçu de réponse à aucune des demandes adressées à M. Braunias. M’ignore-t-il parce que j’écris en anglais seulement? Méconnaît-il aussi le droit autrichien tout comme le magistrat instructeur? Je n’ai pas encore vu les éléments de preuve, bien qu’un avocat ait été commis à ma défense. Avoir un avocat inactif ne cadre pas avec la justice.
Il faut être fou pour penser que l’on peut faire fonctionner un système judiciaire de manière aussi tyrannique.
Que me faut-il faire, au bout de six mois, pour obtenir les égards que je mérite? Dois-je me mutiler moi-même? Vous comprenez sûrement ce qui se passe et pouvez aisément téléphoner à M. Braunias et vous renseigner.
Je ne vous écrirai plus, ni à M. Braunias. Si je n’ai pas une réponse satisfaisante, conforme au droit autrichien et à l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, d’ici à la soirée du jeudi 26 mars, je prendrai des mesures radicales! La mascarade a assez duré."
21.  Comme le confirme le registre de la prison, une lettre du requérant au procureur fut acheminée par la voie habituelle le 30 mars 1981. Toutefois, le parquet n’a gardé aucune trace de sa réception. Le requérant affirme y avoir sollicité l’aide du procureur pour recueillir des preuves à décharge et y avoir critiqué les services de Me Steidl.
22.  Le 1er avril 1981, veille de l’ouverture du procès, deux fonctionnaires de l’ambassade des États-Unis à Vienne rendirent visite à M. Kamasinski. D’après un mémoire établi ultérieurement par l’un d’eux pour les archives de l’ambassade, le détenu se plaignit "que son avocat d’office, Me Steidl, n’eût pas encore discuté avec lui de sa défense et que lui-même n’eût pas eu la possibilité d’examiner le dossier. (Me Steidl m’a dit au téléphone, il y a plusieurs jours, avoir passé trois heures au total à discuter de la défense avec M. K. et devoir le rencontrer à nouveau juste avant le procès)".
23.  Après le procès, le requérant adressa au président un certain nombre de lettres.
Dans l’une d’elles, datée du 4 mai 1981, on pouvait lire:
"Veuillez noter que le 19 mars dernier je vous ai écrit pour avoir accès au dossier du tribunal et vous informer que Me Steidl ne m’avait pas encore préparé et ne l’avait pas étudié. Je vous ai demandé de le relever de ses fonctions si le refus de me laisser consulter les documents se fondait sur sa désignation. Le 30 mars, je vous ai écrit à nouveau pour vous avertir que Me Steidl ne m’avait pas préparé pour le procès, ni ne m’avait fourni ou traduit toutes les dépositions pertinentes des témoins. Vous n’avez pas réagi, de même que vous n’avez pas répondu à une autre lettre sollicitant l’autorisation de présenter certaines pièces en anglais. Je comprends bien qu’il incombait à Me Steidl de vous saisir de ces questions, mais il n’a rien voulu faire."
Dans une missive ultérieure, datée du 18 mai, M. Kamasinski résumait celles des 16, 19 et 30 mars et se plaignait de n’avoir reçu aucune réponse. Avec une traduction allemande établie par le conseiller juridique de la prison, elle fut envoyée au président le 26 mai. Le requérant y énonçait ainsi "les éléments importants" de ses lettres antérieures:
2. Par une lettre du 19 mars, je vous ai demandé l’autorisation de consulter le dossier (Akteneinsicht) et vous ai informé que je connaissais fort peu les preuves (documents ou témoignages) invoquées. Je vous ai invité expressément à relever Me Steidl de ses fonctions si le fait qu’il me représente devait constituer un motif de me refuser un accès direct aux éléments de preuve. J’ai précisé qu’il m’importait plus de connaître le fondement des imputations (afin de préparer ma défense) que d’être représenté par un avocat. Je présume que si vous ne m’avez pas laissé accéder aux éléments demandés et n’avez pas davantage déchargé Me Steidl de sa mission, c’est que vous n’avez pas compris ma lettre. (Je continue à ignorer la majorité des éléments de preuve.)
3. Le 19 mars, j’ai en outre sollicité l’autorisation de présenter des pièces à conviction en anglais, demande demeurée sans réponse faute - je présume - d’avoir été comprise.
4. Le 30 mars, je vous ai avisé par écrit que mon avocat d’office, Me Steidl, ne m’avait toujours pas préparé en vue de l’audience du 2 avril et ne m’avait pas communiqué ou exposé le dossier de l’accusation. (La situation reste telle que je l’indiquais dans ma lettre du 19 mars, à ceci près que le 1er avril à 16 h 15 Me Steidl est venu m’informer qu’aucune préparation complémentaire n’était nécessaire car ‘rien’ ne m’arriverait le 2 avril).
B. Le procès
24.  Le procès devant le tribunal régional d’Innsbruck, constitué en tribunal d’échevins (Schöffengericht), eut lieu le 2 avril 1981. Y assistèrent, à titre d’observateurs, deux fonctionnaires de l’ambassade des États-Unis à Vienne, mais apparemment aucun membre du public. Le tribunal se composait de deux magistrats et de deux assesseurs non professionnels.
Aux dires de M. Kamasinski, corroborés par les observateurs américains, l’acte d’accusation lu à haute voix au début de l’audience ne fut pas interprété en anglais. Toutefois, selon lesdits observateurs le requérant affirma saisir de quoi il retournait, quand on le lui demanda, et son conseil comme lui-même renoncèrent à l’interprétation.
Il faut ensuite invité à s’exprimer et interrogé par le président conformément à l’article 245 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung, paragraphe 49 ci-dessous). D’après le procès-verbal, il déclara notamment n’avoir commis aucune infraction pénale.
25.  Vers le milieu des débats, un différend semble avoir surgi entre lui et son défenseur sur le point de savoir s’il convenait de solliciter l’audition d’autres témoins dont un avocat, Me E., qui avait agi en qualité de mandataire du requérant pour le règlement de ses dettes et qu’il soupçonnait d’avoir joué double jeu. Y voyant une atteinte à la réputation de l’ensemble du barreau d’Autriche, Me Steidl pria le tribunal de le relever de son ministère, mais il essuya un refus et continua donc à représenter son client jusqu’à la fin de l’audience. Le procès-verbal ne signale pas que M. Kamasinski ait réclamé le remplacement de son avocat d’office.
Dans ses conclusions, Me Steidl sollicita un "jugement de clémence" ("mildes Urteil").
26.  Mmes Rebecca Wellington et Theresia Hackl, témoins à charge convoqués à la demande de la défense (paragraphe 18 ci-dessus), ne se présentèrent pas. Avec le consentement de la défense et du parquet, la déposition de la seconde pendant l’instruction fut lue à haute voix en application de l’article 252 § 1.4 du code de procédure pénale. Le requérant n’en possédait pas de traduction anglaise. Il donna lui-même certaines preuves du remboursement de ses dettes envers Mme Wellington. Un troisième témoin, Mme Heda Bruck, ne comparut pas car ni l’accusation ni la défense ne l’avaient citée. D’autres témoins fournirent des éléments sur des questions dont elle aurait pu parler.
Le tribunal rejeta une demande émanant de l’accusation comme de la défense et tendant à l’ouverture d’une enquête sur le compte bancaire de M. Kamasinski à New-York, ainsi qu’une autre, finalement présentée par Me Steidl sur les instances de ce dernier, visant à la convocation de Me E.
27.  Un interprète juré se trouvait sur place, à côté de Me Steidl à la gauche des juges; quant au requérant, il se tenait assis à quelque six ou sept mètres de son conseil, face au tribunal.
Le procès-verbal signale la présence d’un interprète, mais - comme à l’accoutumée - il ne précise pas quelles déclarations faites à l’audience furent interprétées, ni jusqu’à quel point. Nul ne conteste que les questions du tribunal et du procureur aux témoins à charge ne le furent pas, tandis qu’il y a controverse sur la mesure dans laquelle le furent les réponses et les autres déclarations. Conformément à la pratique habituelle, il s’agissait d’une interprétation non pas simultanée, mais consécutive et synthétique.
Selon le procès-verbal, la défense n’éleva sur le moment aucune objection formelle quant à l’étendue de l’interprétation assurée.
28.  Long de quinze pages, il mentionne la déclaration initiale de M. Kamasinski sur les différentes imputations, les dépositions de sept témoins, la demande de l’accusation et de la défense tendant à un contrôle du compte bancaire de l’intéressé à New-York et celle de la défense visant à l’audition de trois autres témoins ainsi qu’à une enquête, par le truchement d’Interpol, sur le point de savoir si le prévenu avait déjà été condamné en Amérique, au Royaume-Uni et en Belgique. Le procès-verbal relate en outre la lecture de plusieurs documents, dont la déposition de Mme Hackl pendant l’instruction. Il consigne enfin les conclusions du parquet et de la défense, le refus du tribunal d’ordonner un complément d’information et la déclaration du ministère public se réservant de se pourvoir en cassation contre cette décision. Il se termine en indiquant que le tribunal prononça son jugement, motivé, et indiqua les recours possibles. La dernière phrase est ainsi libellée: "Les parties n’ont formulé aucune observation."
29.  M. Kamasinski se vit infliger dix-huit mois de prison pour escroquerie aggravée et détournement, notamment à raison de ses dettes envers Mmes Hackl, Wellington et Bruck. Après avoir énoncé les faits constatés, le jugement rapportait les protestations d’innocence du requérant. Celui-ci avait reconnu en substance avoir contracté les dettes de loyer et de téléphone visées par les sept premiers chefs d’accusation, mais affirmait avoir eu la volonté et les moyens de s’en libérer. Le tribunal estima que cette thèse se heurtait aux preuves recueillies. Dans le cas de Mme Wellington, les pièces produites par le requérant lui-même montraient qu’il n’avait réglé qu’une fraction de sa dette. Il fut condamné en outre à verser 80.890 schillings à deux parties civiles (Privatbeteiligte) qui avaient comparu comme témoins à charge et avaient réclamé une indemnité (article 47 § 1 du code de procédure pénale). Le requérant et les observateurs américains s’accordent à dire que seul le dispositif fut interprété en anglais, mais non les motifs. Le Gouvernement soutient au contraire, avec la Cour Suprême (paragraphe 37 ci-dessous), que les points essentiels du jugement, y compris les attendus, furent traduits de vive voix.
Le texte du jugement fut notifié à l’avocat de la défense, Me Steidl, le 19 mai 1981. Le lendemain, celui-ci rendit visite à M. Kamasinski en prison, mais refusa de le lui traduire en entier. L’intéressé en obtint une copie (en allemand) le 27 mai, mais sans traduction écrite.
30.  À diverses dates entre octobre 1980 et février 1981, le requérant reçut des factures pour des frais d’interprétation remontant à l’instruction préparatoire. Toutefois, une démarche de l’ambassade des États-Unis amena les autorités autrichiennes à confirmer pour finir, en septembre 1981, qu’il n’avait pas à en assumer la charge.
C. Les procédures d’appel et de cassation
31.  Le 6 avril 1981, après le procès, M. Kamasinski écrivit au juriste attaché à la prison pour le prier de transmettre au président sa demande de désignation d’un nouveau défenseur, car il "ne s’entendait pas avec Me Steidl", et de le conseiller sur la manière de procéder à cette fin. Communiquée le 7 au service compétent du tribunal régional, sa lettre y parvint le 8. Il adressa aussi à Me Steidl et, le 5 mai, au président du barreau du Tyrol des missives destinées à les informer de son désir de changer d’avocat.
32.  Il écrivit en outre au président les 6 et 21 avril, puis les 4 et 18 mai 1981. Sa lettre du 21 avril renfermait le passage suivant:
"Votre jugement remonte à près de trois semaines et je n’en ai pas eu copie; il ne m’a pas non plus été traduit comme l’exigent le droit autrichien et le droit international tel que je l’entends. Il conviendrait que je sache de quoi on m’a provisoirement déclaré coupable, de manière que je puisse écrire aux États-Unis et me procurer (ce que Me Steidl n’a pas fait) les éléments nécessaires pour mon recours à Vienne.
J’aimerais donc avoir une copie ou une traduction du jugement (Urteil).
Pendant six mois on m’a empêché de me défendre moi-même, en me donnant un avocat qui n’a absolument rien fait pour m’aider mais a en réalité agi contre moi avec le parquet."
Dans la lettre du 4 mai, on pouvait lire:
"Voilà un mois que j’ai comparu devant votre tribunal et que vous avez prononcé votre jugement (Urteil), et je ne sais toujours pas ce que vous avez dit ni sur quelle base juridique. L’interprète (Dolmetscher) s’est borné à déclarer que j’étais reconnu coupable et condamné à 18 mois de prison. Je ne sais que cela, et je ne m’attends vraiment pas à voir Me Steidl en faire plus que jusqu’ici: absolument rien. Par malheur, je suis doublement puni à cause de mon ignorance de l’allemand. La désignation de Me Steidl comme mon défenseur n’a cessé de servir de base ‘légale’ pour me dénier les droits dont jouit tout Autrichien ou dont je jouirais si je comprenais l’allemand. Au bout d’un mois, il me paraît largement temps de m’informer de ce que vous avez dit en séance ou dans l’’Urteil’ écrit.
Je vous ai avisé de mon désir d’introduire contre cet ‘Urteil’ une ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ [recours en cassation] devant la Cour Suprême d’Autriche, conformément aux lois en vigueur. L’un des motifs de la ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ est que j’ai été privé de l’assistance effective d’un défenseur, Me Steidl n’ayant absolument rien fait pour me préparer au procès et ayant refusé de rechercher des preuves à décharge. Comme Me Steidl a failli à son devoir exprès de me défendre correctement et que là réside l’un des moyens de mon recours, il ne saurait me représenter dans la procédure de ‘Nichtigkeitsbeschwerde’. Aussi ai-je écrit à Me Ernst Mayr, président de la Rechtsanwaltskammer [Ordre des avocats], pour demander la désignation d’un avocat parlant anglais.
[Passage reproduit au paragraphe 23]
Dans la situation difficile où je me trouve, faute de bénéficier d’une représentation réelle et de comprendre la langue, je puis seulement m’efforcer de faire ce qui me semble juridiquement et moralement correct. Je vous informe donc de mes motifs de recours, qui ont du poids et qu’un avocat autrichien expérimenté devrait formuler de la manière appropriée. (Jusqu’ici, je n’ai pas reçu la visite d’un avocat pour préparer une ‘Nichtigkeitsbeschwerde’). Si je ne les présente pas correctement, c’est uniquement par manque de conseils juridiques."
La lettre du 18 mai (dont des passages figurent au paragraphe 23 ci-dessus) s’accompagnait d’une traduction en allemand. Le requérant y rappelait: "Le 4 mai, je vous ai écrit pour vous informer de certains des moyens de la ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ et des raisons militant pour un changement d’avocat."
Comme précédemment, il ne reçut pas de réponse du président.
33.  Le 20 mai 1981, M. Kamasinski eut une fois de plus la visite de Me Steidl, en présence - ainsi qu’il l’avait demandé - du juriste attaché à la prison. Il réclama derechef la désignation d’un autre avocat.
Par une lettre du 21 mai 1981, Me Steidl invita le barreau du Tyrol à le relever de son mandat. Le lendemain, le barreau confia la défense du requérant à Me Schwank qui en fut avisé le 26 mai.
34.  Le 29 mai, un associé de Me Steidl se rendit à l’étude de Me Schwank; il remit à celui-ci le texte d’un projet d’appel (Berufung) et de recours en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde) établi par Me Steidl et long de trois pages, ainsi qu’une copie de certaines pièces du dossier. Le 1er juin, Me Schwank alla voir M. Kamasinski en prison. Le mémoire ampliatif du pourvoi et de l’appel (contre la peine et la condamnation aux dommages-intérêts) fut alors rédigé et déposé le 2 juin, date de l’expiration du délai légal. En outre, Me Schwank établit pour son client une traduction du jugement.
35.  Le pourvoi en cassation invoquait pour l’essentiel les moyens suivants:
a) en vertu de l’article 281 § 1.1a du code de procédure pénale (paragraphe 51 ci-dessous): le requérant n’avait pas été représenté de manière adéquate par son avocat, notamment pendant le procès;
b) en vertu de l’article 281 § 1.3 du même code, combiné avec les articles 244, 250 et 252 (ibidem): l’interprétation à l’audience avait laissé à désirer; en particulier elle n’avait porté ni sur l’acte d’accusation, ni sur les dépositions écrites, ni sur les dépositions orales de certains témoins ni sur les questions du président et du procureur aux témoins;
c) en vertu de l’article 281 § 1.3, combiné avec l’article 260 (ibidem): hormis le dispositif, le jugement n’avait donné lieu ni à une interprétation sur place ni à une traduction ultérieure;
d) en vertu de l’article 281 § 1.4 (ibidem): le tribunal n’avait accueilli ni les demandes du parquet et de la défense tendant à voir mener des investigations auprès des banquiers du requérant, ni celles de la défense réclamant l’audition de deux témoins;
e) en vertu de l’article 281 § 1.5 (ibidem): il n’avait pas suffisamment motivé son jugement;
f) en vertu de l’article 281 § 1.9a et b (ibidem): il avait mal interprété certains faits d’où ressortait l’absence d’intention frauduleuse.
36.  Au sujet des allégations relatives à l’étendue de l’interprétation pendant les débats, la Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) ouvrit une enquête conformément à l’article 285f du code de procédure pénale (paragraphe 52 ci-dessous). Le conseiller rapporteur interrogea le président du tribunal régional d’Innsbruck par téléphone. Leur conversation se trouve résumée dans une note versée au dossier de la Cour Suprême le 31 août 1981 et ainsi libellée:
"Interrogé par téléphone, M. le président Braunias, juge au tribunal régional, a répondu:
Contrairement aux allégations du pourvoi, tous les points essentiels de l’acte d’accusation, des dépositions de témoins, du contenu des documents lus à l’audience, ainsi que du jugement, y compris les motifs, ont été traduits par l’interprète convoqué à cette fin et par l’avocat de la défense, Me Steidl (interprète qualifié d’anglais), pendant les débats auxquels assistaient deux membres de l’ambassade des États-Unis. Le prévenu a pu en outre présenter des observations sur les chefs d’accusation et sur chacun des éléments de preuve sans limite de temps, ainsi que poser des questions aux témoins."
Ni le requérant ni son conseil ne furent informés de ces recherches et de leur résultat.
37.  Après avoir recueilli l’opinion du Procureur général (Generalprokurator), la Cour Suprême, statuant en chambre du conseil (paragraphe 52 ci-dessous), rejeta le pourvoi le 1er septembre 1981, essentiellement par les motifs suivants.
Quant au grief tiré de l’insuffisante représentation de M. Kamasinski par son avocat pendant le procès, le tribunal régional devait seulement désigner un défenseur et l’inviter à assister aux débats et à toute autre procédure à laquelle pouvait participer le prévenu; il ne lui incombait pas de contrôler les activités d’un conseil soumis non pas à son autorité, mais au pouvoir disciplinaire du barreau compétent. En conséquence, les défaillances éventuelles de Me Steidl dans l’accomplissement de sa tâche ne fournissaient pas un motif de nullité.
A propos de l’interprétation pendant le procès, la Cour suprême releva que le tribunal ne s’était pas borné à charger un interprète d’assister aux débats: il avait en outre, comme l’en avait prié le requérant, nommé un défenseur qui était aussi interprète d’anglais et avec qui l’intéressé pouvait communiquer dans sa langue maternelle. En droit, ni une traduction incomplète ni le défaut de désigner un interprète ne constituaient par eux-mêmes une cause de nullité. Tout au plus aurait-on pu les invoquer, à l’appui d’un moyen fondé sur l’article 281 § 1.4 du code de procédure pénale (paragraphe 51 ci-dessous), si le tribunal avait rejeté une demande y relative. Au demeurant, les recherches menées par la Cour Suprême en vertu de l’article 285f révélaient que l’interprète juré, contrairement aux allégations du pourvoi, avait traduit chacun des points essentiels de l’acte d’accusation, des déclarations des témoins, des pièces lues en séance et du jugement, y compris les attendus. De plus, M. Kamasinski avait eu l’occasion de s’exprimer sur les chefs d’accusation et sur les éléments de preuve sans aucune limite de temps, ainsi que d’interroger des témoins.
38.  La date de l’audience publique consacrée à l’examen de l’appel contre les condamnations pénale et civile fut notifiée au requérant conformément à l’article 286 § 2 et son avocat, Me Schwank, y fut convoqué.
Le 11 novembre 1981, M. Kamasinski sollicita sa comparution personnelle. Pour fixer la peine, affirmait-il notamment, il fallait jauger sa personnalité, ce qui exigeait sa présence. En outre, le dossier fourni à la Cour Suprême comportait des articles du quotidien "Kurier", qui lui étaient préjudiciables et risquaient d’influencer défavorablement la haute juridiction; parus les 14, 15 et 16 novembre 1980, ils le dépeignaient comme un espion américain dangereux pour la République d’Autriche et avaient figuré aussi au dossier de première instance. L’intéressé soulignait enfin que son recours portait également sur les aspects civils du jugement; dès lors, il estimait injuste que les parties civiles à indemniser par lui pussent comparaître devant la Cour Suprême, et non pas lui-même.
Ladite Cour repoussa la demande le 20 novembre 1981, car à ses yeux ni celle-ci ni le dossier ne fournissaient un élément d’où ressortît la nécessité de la présence personnelle de l’accusé lors de l’examen d’un recours exercé à son seul bénéfice. Pensait-il pouvoir, en plaidoirie, attribuer pour l’essentiel à un enchaînement de circonstances fâcheuses et de malentendus, d’ordre linguistique surtout, les poursuites intentées contre lui? Dans ce cas, il ignorait la règle empêchant de discuter à nouveau de la culpabilité en appel. Quant à ses divers autres arguments, son avocat pouvait les invoquer pendant les débats. La décision ainsi rendue fut notifiée à Me Schwank.
39.  L’appel contre la peine reprochait en substance aux juges du fond de ne pas avoir pris en compte plusieurs circonstances atténuantes: l’absence de condamnation pénale antérieure, les obligations alimentaires de M. Kamasinski envers sa femme et son enfant, son erreur consistant à ne pas avoir perçu le caractère délictueux de sa conduite et le fait que le seuil de 100.000 schillings fixé pour la qualification d’escroquerie aggravée n’avait été dépassé que de peu.
La Cour suprême débouta le requérant le 24 novembre 1981, à l’issue d’une audience à laquelle son défenseur l’avait représenté. Elle estima que le tribunal régional avait prononcé une peine raisonnable et bien évalué le poids respectif des circonstances atténuantes et aggravantes. De son côté, la décision allouant des dommages-intérêts aux deux parties civiles était conforme à la loi; il n’y avait donc pas lieu de la renvoyer aux juridictions civiles comme le désirait M. Kamasinski. L’arrêt énumérait les personnes ayant comparu à l’audience d’appel; rien ne montre qu’y aient assisté les parties civiles à qui le tribunal régional avait accordé une indemnité, ni leurs représentants.
40.  Le requérant fut élargi le 16 décembre 1981, puis détenu aux fins de son expulsion vers les États-Unis; elle a eu lieu en janvier 1982.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Interprétation
41.  Aux termes de l’article 100 du code autrichien de procédure pénale,
"Le juge d’instruction fait traduire par un interprète juré, puis verser au dossier avec leur traduction, tous les documents pertinents pour l’instruction mais rédigés dans une langue non usuelle en justice (nicht gerichtsüblich)."
L’article 163 du même code prévoit de son côté (traduction):
"Si un témoin ne connaît pas la langue du tribunal (Gerichtssprache), il est fait appel à un interprète à moins que juge d’instruction et greffier ne possèdent la langue étrangère en question. Les déclarations du témoin ne figurent dans cette langue au procès-verbal, ou en annexe, que s’il est nécessaire de citer les expressions mêmes employées par la personne interrogée (article 104 § 3)."
Selon l’article 104 § 3, pareille nécessité existe si les expressions utilisées revêtent de l’importance pour la décision à rendre ou s’il faut s’attendre à voir donner lecture du procès-verbal pendant les débats.
D’après l’article 198 § 3, l’article 163 vaut aussi, mutatis mutandis, pour l’audition d’un inculpé (Beschuldigter) qui ne connaît pas la langue du tribunal.
42.  Il ressort du contexte des dispositions précitées qu’elles concernent l’instruction judiciaire préparatoire (Voruntersuchung). Toutefois, l’article 248 § 1 du code étend au président du tribunal, pour l’audition de témoins ou d’experts pendant les débats, l’applicabilité des règles à observer par le magistrat instructeur. Aucune clause de la loi ne précise les normes à respecter pour l’interrogatoire d’un prévenu ne connaissant pas la langue du tribunal, mais celles qui régissent l’interrogatoire des témoins paraissent jouer en pratique par analogie.
43.  Les qualifications des interprètes jurés (allgemein beeidete gerichtliche Dolmetscher) se trouvent définies dans la loi de 1975 sur les experts et les interprètes (Bundesgesetz über den allgemein beeideten gerichtlichen Sachverständigen und Dolmetscher, Bundesgesetzblatt für Österreich no 137/1975). Aux termes de l’article 14, les dispositions relatives aux experts valent aussi pour les interprètes; elles exigent, entre autres, compétence et crédit (Sachkunde et Vertrauenswürdigkeit, article 2 § 2 a) et e)).
B. Avocat commis à la défense
44.  Aux termes de l’article 39 § 1 du code de procédure pénale, tout inculpé a droit à l’assistance d’un défenseur (Verteidiger) qu’il peut choisir sur une liste détenue par la cour d’appel.
45.  Dans certaines conditions, il faut le doter d’un avocat (beigegebener Verteidiger) soit rétribué par l’État au titre de l’assistance judiciaire, soit commis d’office aux frais de l’intéressé dans une affaire où la représentation est obligatoire. L’article 41 du code fixe la procédure à suivre:
"2. Dans le cas où l’inculpé (accusé) se trouve hors d’état d’assumer (...) les frais de sa défense, le tribunal décide à [sa] demande de le doter d’un avocat dont il n’aura pas à payer les honoraires, si et dans la mesure où l’exigent les intérêts de la justice, en particulier ceux d’une défense adéquate. (...)
3. Si, aux fins d’un procès devant une cour d’assises ou un tribunal d’échevins, l’accusé ou son représentant légal ne choisit pas de défenseur et ne s’en voit pas non plus désigner un au titre du paragraphe 2, il lui en est commis un d’office, et ce à ses frais sauf dans le cas où les conditions de désignation d’un défenseur au titre du paragraphe 2 se trouvent remplies. (...)"
L’article 42 § 2 précise de son côté:
"Si le tribunal a décidé la désignation d’un défenseur, il en informe le Conseil de l’Ordre des avocats territorialement compétent, afin que celui-ci charge un avocat (Rechtsanwalt) d’assurer la défense."
46.  Le remplacement d’un avocat de la défense pendant la procédure obéit à l’article 44 § 2 du code, ainsi libellé:
"L’inculpé peut à tout moment transférer à un autre le mandat du défenseur librement choisi par lui. De même, le mandat du défenseur commis d’office prend fin dès que l’inculpé confie sa défense à un autre avocat. Néanmoins, de tels changements de défenseur ne doivent entraîner aucun retard de procédure."
La loi sur les avocats (Rechtsanwaltsordnung, Journal officiel de l’Empire no 96/1868, version modifiée) prescrit désormais dans certains cas, dont ceux de conflit d’intérêts ou de partialité, le remplacement de l’avocat commis d’office à la défense (article 45 § 4 de la version de la Bundesgesetzblatt für Österreich no 383/1983). Cette disposition n’existait pas à l’époque des faits, mais en pratique le Conseil de l’Ordre des avocats pouvait remplacer un défenseur d’office s’il l’estimait opportun.
47.  Selon l’article 9 § 1 de la loi sur les avocats, tout défenseur doit s’acquitter de sa tâche conformément à la loi et défendre les droits de son client avec zèle, bonne foi et diligence ("mit Eifer, Treue und Gewissenhaftigkeit"). D’après l’article 11 § 1, il doit exécuter son mandat jusqu’au bout et il répond de ses manquements à cet égard. Toutefois, une jurisprudence constante (Österreichische Juristen-Zeitung, Evidenzblatt 1969, no 353) le soustrait au contrôle du tribunal sur le point de savoir s’il a rempli sa mission correctement et efficacement ("richtig und zweckmässig"). Le Gouvernement a pourtant souligné, à l’audience publique du 19 juin 1989, que la Convention a rang constitutionnel en Autriche, de sorte qu’il incombe aux juridictions d’assurer le respect de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c), lequel garantit le droit de l’accusé à l’assistance d’un défenseur.
Aucun texte ne requiert la désignation d’un défenseur connaissant la langue d’un accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par le tribunal, mais en pratique l’intéressé se voit, s’il le demande et si possible, doter d’un conseil maîtrisant suffisamment sa langue.
C. Consultation du dossier du tribunal
48.  La consultation du dossier par l’inculpé ou son défenseur est régie par l’article 45 § 2 du code de procédure pénale:
"Le juge d’instruction autorise le défenseur, sur sa demande, à consulter le dossier pénal, hormis les procès-verbaux de délibérations, dans les locaux du tribunal, et à en prendre copie; il peut aussi, à la place, lui en délivrer des photocopies. L’inculpé non représenté par un avocat jouit lui-même des droits du défenseur; s’il se trouve incarcéré, il peut être autorisé à consulter le dossier dans les locaux du centre de détention ou de la prison. (...)"
D. Déclaration initiale du prévenu
49.  Aux termes de l’article 245 du code de procédure pénale, le prévenu peut faire une déclaration initiale. Aussitôt après l’ouverture de l’audience, le président l’interroge sur le contenu de l’acte d’accusation. Si l’intéressé s’affirme innocent, le président doit l’informer de son droit d’opposer à l’accusation une version cohérente des faits et de présenter ses remarques sur chacun des éléments de preuve. Le prévenu peut ne pas répondre aux questions du président.
E. Établissement des procès-verbaux
50.  L’article 271 du code de procédure pénale traite de l’établissement des procès-verbaux d’audience:
"1. A peine de nullité, l’audience donne lieu à un procès-verbal signé par le président et le greffier. Il indique le nom des membres présents du tribunal, des parties et de leurs représentants, atteste l’accomplissement de toutes les formalités substantielles, précise notamment quels témoins et experts ont été entendus et quelles pièces du dossier ont été lues à haute voix, si les témoins et experts ont prêté serment et pour quelle raison, mentionne enfin toutes les demandes des parties et les décisions prises à leur sujet par le président ou le tribunal. Les parties sont libres de solliciter l’inscription de certains points au procès-verbal, afin de préserver leurs droits.
2. À la demande d’une partie, le président ordonne sur-le-champ la lecture de certains passages s’il importe d’en établir le libellé exact.
3. Les réponses de l’accusé et les dépositions des témoins et experts ne sont mentionnées que si elles s’écartent des déclarations consignées au dossier, les modifient ou les complètent, ou dans le cas de témoins ou experts entendus pour la première fois lors de l’audience publique.
4. S’ils le jugent bon, le président ou le tribunal peuvent ordonner la prise en sténographie de toutes les dépositions et déclarations; ils le doivent si une partie le demande à temps et en consignant le montant des frais. Le compte rendu sténographique doit toutefois être reproduit en écriture ordinaire dans les quarante-huit heures, soumis pour contrôle au président, ou à un juge délégué par lui, et joint au procès-verbal.
5. Les parties peuvent consulter le procès-verbal définitif, ainsi que ses annexes, et en prendre copie."
F. Procédure de cassation devant la Cour Suprême
51.  Un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême ne peut se fonder que sur les motifs précis énumérés à l’article 281 § 1 du code de procédure pénale. Parmi eux figurent les suivants:
"1a. si l’accusé n’a pas été représenté par un défenseur pendant tous les débats, bien que ce fût obligatoire;
3. s’il y a eu, pendant les débats, violation ou inobservation d’un texte dont la loi exige explicitement le respect à peine de nullité;
4. si, pendant les débats, il n’a pas été statué sur une demande du requérant ou si une décision incidente rejetant sa demande ou son opposition a méconnu ou mal appliqué des lois, ou des principes de procédure, que par sa nature même une procédure assurant poursuite et défense commande de respecter;
5. si le jugement de la juridiction du fond (...) n’est pas ou manifestement pas assez motivé;
9. si le jugement a violé ou mal appliqué une loi quant au point de savoir:
a) si l’acte reproché à l’accusé constitue une infraction pénale relevant de la compétence des tribunaux;
b) s’il existe des circonstances rendant l’acte non punissable ou non susceptible de poursuites (...);
c) (...)"
Comme exemples de cas visés au paragraphe 1.3, on peut citer le défaut de lire l’acte d’accusation à l’ouverture de l’audience (article 244 du code de procédure pénale), de donner au prévenu connaissance du témoignage de personnes entendues en son absence (article 250) et d’énoncer dans le jugement les motifs à l’appui de tout constat de culpabilité (article 260). Toutefois, le fait de ne pas accomplir ces diverses formalités dans une langue compréhensible pour un prévenu non germanophone ne constitue pas un vice rédhibitoire entachant de nullité pareil verdict (voir l’arrêt de la Cour Suprême en l’espèce, paragraphe 37 ci-dessus).
52.  D’après l’article 285c du code de procédure pénale, la Cour Suprême, après avoir recueilli l’opinion du Procureur général, délibère en chambre du conseil si ce dernier ou le conseiller rapporteur ont proposé l’application, entre autres, de l’article 285d ou f. L’article 285d prévoit notamment le rejet d’un pourvoi en cassation par décision en chambre du conseil si la Cour Suprême unanime juge manifestement mal fondés les griefs tirés des alinéas 1 à 8 de l’article 281 § 1.
Aux termes de l’article 285f, la Cour Suprême, "lorsqu’elle délibère en chambre du conseil, peut (...) ordonner une enquête sur les faits relatifs à des irrégularités procédurales alléguées (article 281 § 1.1-4)".
Quand elle ne statue pas en chambre du conseil, il y a lieu d’annoncer la date de l’audience à l’accusé détenu et non représenté, en précisant qu’il ne peut comparaître que par le truchement d’un défenseur (article 286 § 2). S’il a déjà désigné un défenseur, la convocation s’adresse à celui-ci seulement (article 286 § 3). L’accusé ou son conseil ont toujours la parole les derniers (article 287 § 3).
G. Procédure d’appel devant la Cour Suprême
53.  En principe, la Cour Suprême examine en séance publique tout appel contre la peine prononcée (article 294 §§ 4 et 5 du code de procédure pénale). La procédure ne peut porter sur la culpabilité ou innocence de l’intéressé. Quand le recours émane uniquement du condamné, la Cour ne peut aggraver la sanction infligée en première instance (article 295 § 2).
54.  La présence de l’accusé à l’audience publique d’appel se trouve régie par l’article 296 § 3, deuxième phrase, ainsi libellé à l’époque considérée:
"Les articles 286 et 287 s’appliquent mutatis mutandis à la fixation de la date de l’audience et de la procédure, étant entendu qu’il échet toujours de convoquer aussi l’accusé non détenu et que la comparution de l’accusé détenu peut être ordonnée."
L’article 296 § 3 a été amendé en 1983 et 1987. En sa deuxième phrase, il prescrit désormais d’amener devant la Cour Suprême l’accusé détenu qui l’a demandé dans son appel ou son mémoire en défense, ou dont la présence semble nécessaire à une bonne administration de la justice ou pour d’autres raisons.
La dernière phrase précise que "la partie civile en cause est elle aussi convoquée si le recours vise une décision relative à des demandes de caractère civil".
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
55.  Dans sa requête du 6 novembre 1981 à la Commission (no 9783/82), M. Kamasinski formulait de nombreux griefs dont les suivants: en première instance, il n’aurait pas joui des droits garantis à la défense par l’article 6 §§ 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) de la Convention, ni bénéficié du procès équitable exigé par l’article 6 § 1 (art. 6-1), et aurait subi une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14), en raison notamment d’une différence de traitement entre accusés germanophones et non germanophones; la procédure de cassation n’aurait pas davantage été équitable car il n’aurait pas eu la faculté de s’exprimer sur les éléments de preuve recueillis par la Cour Suprême; il y aurait eu aussi discrimination pendant la procédure d’appel car, contrairement à un accusé en liberté et aux "parties civiles" en l’espèce, il ne fut pas autorisé à assister à l’audience publique devant la Cour Suprême; enfin, au mépris de l’article 13 (art. 13) il n’aurait pas disposé, en droit autrichien, d’un recours effectif pour redresser certaines des infractions alléguées à l’article 6 (art. 6).
56.  La Commission a retenu la requête le 8 mai 1985. Dans son rapport du 5 mai 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut
a) pour la procédure devant le tribunal régional, à l’absence de violation des droits du requérant à
i.   être informé, dans une langue qu’il comprenait et d’une manière détaillée, de l’accusation portée contre lui (article 6 § 3 a) - onze voix contre six) (art. 6-3-a);
ii.  disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (article 6 § 3 b) - quatorze voix contre trois) (art. 6-3-b);
iii.  avoir l’assistance d’un défenseur (article 6 § 3 c) - unanimité) (art. 6-3-c);
iv.  interroger les témoins (article 6 § 3 d) - unanimité) (art. 6-3-d);
v.   se faire assister d’un interprète (article 6 § 3 e) - quinze voix, avec deux abstentions) (art. 6-3-e);
vi.  un procès équitable (article 6 § 1 - onze voix contre six) (art. 6-1);
vii.  être présumé innocent (article 6 § 2 - unanimité) (art. 6-2);
b) pour la procédure de cassation devant la Cour Suprême, à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (unanimité);
c) pour la procédure d’appel devant ladite Cour, à la violation de l’article 14 combiné avec les paragraphes 1 et 3 c) (droit de se défendre soi-même) de l’article 6 (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c) (dix voix contre une, avec six abstentions);
d) pour l’affaire dans son ensemble, à l’absence de question distincte sur le terrain de l’article 13 (art. 13) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
57.  À l’audience publique du 19 juin 1989, l’agent du Gouvernement a demandé à la Cour
"de constater qu’en l’espèce il n’y a eu violation ni de l’article 13 (art. 13) (...), ni de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 a) à e) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-a, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d, art. 6-3-e) ni de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 (art. 14+6-1), et que les faits de la cause ne révèlent donc aucune infraction à la Convention".
58.  De son côté, le conseil de M. Kamasinski a confirmé en substance les conclusions figurant dans le mémoire de son client. Elles invitaient la Cour à déclarer:
"1. [Le] requérant a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c), de son droit à se défendre lui-même ou avec l’assistance d’un défenseur de son choix.
2. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) lu à la lumière de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit à une assistance juridique effective et suffisante destinée à lui assurer le droit à un procès équitable.
3. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a) (art. 6-3-a), de son droit à être informé, dans une langue qu’il comprenait, des causes et du détail des accusations portées contre lui.
4. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b), de son droit de préparer sa défense.
5. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 1 à 4 précités.
6. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) combiné avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit à l’assistance effective et suffisante d’un interprète, destinée à lui assurer le droit à un procès équitable.
7. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) examiné dans le contexte de la violation susmentionnée de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), de son droit à interroger de manière effective les témoins à charge (présents au procès) au sujet de la véracité de leur témoignage, et de l’exactitude de leurs souvenirs.
8. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 6 et 7 précités.
9. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, de son droit à interroger le témoin à charge Theresia Hackl au sujet de la véracité de son témoignage et de l’exactitude de ses souvenirs.
10. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a), d) et e) (art. 6-3-a, art. 6-3-d, art. 6-3-e), de son droit à être informé en détail, dans une langue qu’il comprenait, des causes des accusations portées contre lui par le témoin Theresia Hackl.
11. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 9 et 10 précités.
12. [Il] a été frustré de son droit de résoudre toute contradiction qui a pu résulter d’une interprétation déficiente et ce déni du droit de se défendre viole l’article 6 § 3 b), c) et e) (art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-e) (interprété isolément ou combiné avec les articles 6 § 1 et 14) (art. 6-1, art. 14).
13. [Il] a été frustré de son droit à un procès équitable, en raison du manquement 12 précité ainsi que de l’emploi d’éléments de preuve recueillis à la lumière dudit manquement pour étayer un constat de culpabilité, combinaison de facteurs incompatible avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable).
14. [Il] affirme ensuite avoir subi un traitement discriminatoire contraire à l’article 14 (art. 14), en raison de son incapacité de comprendre la langue de la procédure, et n’avoir donc pu exercer les droits garantis par l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b) à l’égal d’un accusé la comprenant.
15. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13), de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 12 à 14 précités.
16. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d), de son droit à obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que pour les témoins à charge.
17. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, de son droit à interroger les témoins à charge Wellington et Bruck au sujet de la véracité et de l’exactitude de toute déposition qu’elles ont faite contre lui sans prêter serment.
18. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention, de son droit à être informé, dans une langue qu’il comprenait, des causes et du détail des accusations portées contre lui par les témoins Bruck et Wellington.
19. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 16 à 18 précités.
20. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 §§ 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention, de son droit à être présumé innocent par une juridiction impartiale jusqu’à l’établissement légal de sa culpabilité.
21. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2), de son droit à être présumé innocent jusqu’à l’établissement légal de sa culpabilité.
22. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1), de son droit à être jugé par un tribunal impartial.
23. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 20 à 22 précités.
24. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), de son droit à l’assistance gratuite d’un interprète.
25. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) et de l’article 6 § 1 (art. 6-3-e, art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit de croire que même en cas de constat de culpabilité les frais d’interprète ne lui incomberaient pas.
26. [Il] a été frustré de son droit de se défendre, garanti par l’article 6 § 3 (art. 6-3), et de son droit de recourir contre les violations de la Convention en vertu de l’article 13 (art. 13), le tout par suite d’une application discriminatoire, contraire à l’article 14 (art. 14) de la Convention, du code autrichien de procédure pénale.
27. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, de son droit à un procès public pleinement conforme aux principes de la démocratie."
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DU LITIGE
59.  Par sa décision du 8 mai 1985, qui délimite le cadre du litige (voir en dernier lieu l’arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 46, § 115 in fine), la Commission a retenu l’ensemble de la requête (paragraphe 56 ci-dessus). La Cour a donc compétence pour examiner chacun des griefs formulés par M. Kamasinski au stade de l’examen de la recevabilité, que la Commission les traite ou non individuellement dans son rapport. Le délégué ne le conteste d’ailleurs pas.
II. SUR L’EXCEPTION DE NON-EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES
60.  Le Gouvernement affirme, comme déjà devant la Commission, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il n’a pas présenté en temps utile aux juridictions autrichiennes certaines de ses doléances. Il échet cependant de rejeter l’exception pour tardiveté: le Gouvernement ne l’a soulevée qu’à l’audience publique du 19 juin 1989 et non, ainsi que le voulait l’article 47 § 1 du règlement, avant l’expiration du délai fixé pour le dépôt de son mémoire.
III. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 6 (art. 6), PRIS ISOLEMENT OU COMBINE AVEC L’ARTICLE 14 (art. 14+6)
61.  Le requérant prétend avoir subi à maints égards, pendant les poursuites pénales ouvertes contre lui en Autriche, un déni de procès équitable, des atteintes aux droits de la défense et un traitement discriminatoire, au mépris de toutes les clauses de l’article 6 (art. 6) de la Convention, prises séparément, ensemble ou combinées avec l’article 14 (art. 14+6). Les articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) disposent:
Article 6 (art. 6)
"1.   Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2.   Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3.   Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience."
Article 14 (art. 14)
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
62.  Les exigences des paragraphes 2 et 3 de l’article 6 (art. 6-2, art. 6-3) représentent des éléments de la notion générale de procès équitable consacrée par le paragraphe 1 (voir en dernier lieu l’arrêt Kostovski du 20 novembre 1989, série A no 166, p. 19, § 39). De son côté, le conseil de M. Kamasinski a précisé ainsi, à l’audience publique du 19 juin 1989, la base de son argumentation: son client se serait vu refuser un procès équitable, beaucoup de ses griefs spécifiques se trouvant inclus dans une allégation globale selon laquelle on l’a privé de son droit de donner au tribunal sa version de l’affaire. Eu égard à la nature des violations dénoncées par le requérant, la Cour estime approprié de grouper les chefs de plainte apparentés et de considérer les paragraphes pertinents de l’article 6 (art. 6) ensemble, en les combinant au besoin avec l’article 14 (art. 14+6).
A. La procédure devant le tribunal régional
1. L’assistance d’un défenseur
63.  L’une des principales thèses de M. Kamasinski consiste à soutenir que Me Steidl, l’avocat dont le tribunal le dota au titre de l’aide judiciaire, ne lui fournit pas une assistance juridique efficace dans la préparation et la conduite de sa défense, de sorte qu’il n’aurait pas bénéficié d’un procès équitable.
Il invoque l’absence de son conseil à l’audience de mise en accusation (paragraphe 15 ci-dessus) et la brièveté de ses visites en prison pendant l’instruction (paragraphes 14 et 17 ci-dessus). Il lui reproche de ne pas l’avoir informé des preuves à charge avant le procès. Il critique sur plusieurs points la manière dont Me Steidl s’acquitta de sa tâche pendant les débats, par exemple en acceptant l’introduction des déclarations écrites de témoins non entendus dans le prétoire, en ne formulant pas certaines demandes pour préserver le droit de se pourvoir en cassation et en sollicitant dans ses conclusions un "jugement de clémence" (paragraphes 25-27 ci-dessus). Il se serait trouvé "sans aucune assistance juridique" après l’incident qui amena son défenseur à chercher en vain à se retirer (paragraphe 25 ci-dessus). Le manque de preuves tangibles d’une assistance effective ressortirait du dossier incomplet que Me Steidl remit à Me Schwank, désigné dans le cadre de l’aide judiciaire pour les instances d’appel et de cassation (paragraphe 34 ci-dessus).
Le requérant allègue la violation des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-c).
64.  Le Gouvernement souligne les services rendus par Me Steidl. Selon lui, les autorités autrichiennes ont respecté les exigences de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) par la désignation et le remplacement des avocats commis d’office aux différents stades de la procédure.
A la lumière des éléments recueillis, la Commission n’aperçoit pas non plus d’infraction à ce texte.
65.  À aucun moment M. Kamasinski ne resta sans représentant devant les juridictions autrichiennes. Me Steidl, avocat mais aussi interprète juré d’anglais, fut constitué d’office quand il s’avéra que le conseil initialement nommé ne maîtrisait pas assez cette langue pour communiquer avec son client (paragraphe 13 ci-dessus). A la suite du procès, Me Steidl fut lui-même remplacé par Me Schwank peu après avoir demandé au barreau de le relever de son ministère (paragraphe 33 ci-dessus).
Certes, la désignation d’un avocat d’office ne règle pas nécessairement par elle-même la question du respect de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c). La Cour l’a dit dans son arrêt Artico du 13 mai 1980:
"Le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (...). [La nomination] n’assure pas à elle seule l’effectivité de [l’assistance] car l’avocat d’office peut mourir, tomber gravement malade, avoir un empêchement durable ou se dérober à ses devoirs. Si on les en avertit, les autorités doivent le remplacer ou l’amener à s’acquitter de sa tâche." (série A no 37, p. 16, § 33)
"On ne saurait" pour autant "imputer à un État la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office" (ibidem, p. 18, § 36). De l’indépendance du barreau par rapport à l’État, il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière; la Cour rejoint la Commission sur ce point.
66.  Contrairement à l’avocat de M. Artico, qui dès l’origine se déclara hors d’état d’exercer son ministère (ibidem, p. 16, § 33), Me Steidl prit avant le procès plusieurs mesures en qualité de conseil de M. Kamasinski. Par exemple, il lui rendit neuf fois visite en prison, attaqua la décision de le placer en détention provisoire et réclama par écrit ou par téléphone la comparution de témoins (paragraphes 14, 17 et 18 ci-dessus). Il n’y avait assurément pas là de quoi révéler aux autorités compétentes une représentation juridique inefficace.
67.  M. Kamasinski prétend toutefois qu’avant le procès il déploya des efforts considérables pour leur signaler les défaillances de son défenseur, en particulier en écrivant au président du tribunal.
68.  A l’instar de la Commission, la Cour est prête à présumer en faveur du requérant que ses lettres des 19, 23 (ou 24) et 30 mars 1981, aujourd’hui absentes du dossier judiciaire officiel, se trouvent fidèlement résumées dans ses missives des 4 et 18 mai 1981 au président, postérieures au jugement (paragraphes 19 et 23 ci-dessus).
Selon ces dernières, le 19 mars M. Kamasinski avait explicitement invité le président à relever Me Steidl de ses fonctions si la désignation de l’intéressé constituait la raison du refus de lui accorder à lui-même un accès personnel aux pièces rassemblées. On ne saurait considérer qu’il avertissait de la sorte le tribunal de l’existence de motifs d’intervenir au sujet de sa représentation en justice. En revanche, après sa condamnation il sollicita par écrit, le 6 avril 1981, la nomination d’un nouvel avocat car "il ne s’entendait pas avec Me Steidl". Il réitéra sa demande, entre autres, par ses lettres des 21 avril et 4 mai 1981 au président, où il alléguait que Me Steidl ne l’avait pas bien défendu (paragraphes 31-32 ci-dessus).
Reste la plainte qu’il aurait formulée dans sa lettre du 30 mars au président et selon laquelle "Me Steidl ne [l’] avait pas préparé pour le procès, ni ne [lui] avait fourni ou traduit toutes les dépositions pertinentes des témoins" (paragraphes 19 et 23 ci-dessus). Si le président ne répondit pas directement aux lettres du requérant antérieures au procès, la Cour n’a pas lieu de douter qu’il en discuta avec Me Steidl (paragraphe 19 in fine ci-dessus). Un changement d’avocat ne lui parut manifestement pas nécessaire; on ne saurait tenir son opinion pour déraisonnable.
69.  Comme le montrent ses lettres des 12 et 25 mars 1981 à Me Steidl et au juriste de la prison ainsi que ses déclarations aux fonctionnaires de l’ambassade américaine (paragraphes 18, 20 et 22 ci-dessus), M. Kamasinski était mécontent de la préparation de sa défense. Rien n’indique pourtant qu’avant le procès les autorités autrichiennes aient eu des motifs d’intervenir au sujet de sa représentation en justice. Les données recueillies ne révèlent de leur part nulle méconnaissance du droit à l’assistance d’un défenseur, garanti par l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c), ni du droit plus général à un procès équitable, protégé par l’article 6 § 1 (art. 6-1).
70.  Pendant les débats eux-mêmes, un différend surgit entre le requérant et Me Steidl qui, en conséquence, pria le tribunal de le relever de ses fonctions, mais en vain (paragraphe 25 ci-dessus). Le procès-verbal n’indique pas que M. Kamasinski en personne ait réclamé le remplacement de son avocat (ibidem); néanmoins, les autorités judiciaires autrichiennes furent ainsi informées qu’à ses yeux les conditions de sa défense laissaient à désirer. Les éléments dont dispose la Cour ne permettent cependant pas de constater que la décision, prise à l’audience, de ne pas décharger Me Steidl de son mandat ait eu en soi pour résultat de priver par la suite le requérant de l’aide effective d’un avocat.
Peut-être aussi Me Steidl aurait-il pu mener la défense d’une autre manière; peut-être même lui arriva-t-il d’agir à l’encontre de ce que M. Kamasinski, sur le moment ou plus tard, estimait le plus conforme à ses intérêts. Néanmoins, nonobstant les critiques du requérant les circonstances de sa représentation au procès ne laissent pas apparaître un défaut de lui fournir l’assistance d’un défenseur, voulue par le paragraphe 3 c) (art. 6-3-c), ni un déni du procès équitable exigé au paragraphe 1 (art. 6-1).
71.  En conclusion, aucun manquement de l’État défendeur à ses obligations au titre de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) ne se trouve établi quant aux services prêtés à M. Kamasinski par son avocat d’office, Me Steidl, avant et pendant le procès en première instance.
2. L’interprétation et la traduction
72.  L’autre source principale de grief du requérant tient à son incapacité à comprendre ou parler l’allemand, langue employée dans les poursuites engagées contre lui en Autriche. Tout d’abord, la législation autrichienne prévoyant l’agrément judiciaire des interprètes (paragraphe 43 ci-dessus) serait vague à l’excès et ne prescrirait pas un niveau raisonnable d’aptitude assurant le concours effectif d’un interprète. En second lieu, M. Kamasinski allègue une interprétation insuffisante de déclarations orales et s’en prend à l’absence de traduction écrite de documents officiels aux différents stades de la procédure. Troisièmement, il se plaint d’avoir reçu plusieurs relevés de frais d’interprétation. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 a), b), d) et e) (art. 6-1, art. 6-3-a, art. 6-3-b, art. 6-3-d, art. 6-3-e); il y ajoute l’article 14 (art. 14): en sa qualité d’accusé non germanophone, on lui aurait refusé des avantages offerts à un prévenu germanophone.
73.  La Cour n’a pas à statuer en l’espèce sur le système autrichien d’interprètes jurés, mais uniquement sur le point de savoir si l’aide accordée au requérant dans le domaine de l’interprétation remplissait en fait les conditions de l’article 6 (art. 6).
74.  Le droit, proclamé au paragraphe 3 e) de l’article 6 (art. 6-3-e), à l’assistance gratuite d’un interprète ne vaut pas pour les seules déclarations orales à l’audience, mais aussi pour les pièces écrites et pour l’instruction préparatoire. Le paragraphe 3 e) (art. 6-3-e) signifie que l’accusé ne comprenant ou ne parlant pas la langue employée dans le prétoire a droit aux services gratuits d’un interprète afin que lui soit traduit ou interprété tout acte de la procédure engagée contre lui dont il lui faut, pour bénéficier d’un procès équitable, saisir le sens ou le faire rendre dans la langue du tribunal (arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978, série A no 29, p. 20, § 48).
Le paragraphe 3 e) (art. 6-3-e) ne va pourtant pas jusqu’à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier. L’assistance prêtée en matière d’interprétation doit permettre à l’accusé de savoir ce qu’on lui reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements.
Le droit ainsi garanti doit être concret et effectif. L’obligation des autorités compétentes ne se limite donc pas à désigner un interprète: il leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas donné, d’exercer un certain contrôle ultérieur de la valeur de l’interprétation assurée (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Artico précité, série A no 37, p. 16, § 33, p. 18, § 36, et paragraphe 65 ci-dessus).
75.  La Cour juge superflu de se placer ici de surcroît sur le terrain de l’article 14 (art. 14), le principe de non-discrimination énoncé par lui se trouvant déjà, en l’occurrence, consacré par l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) (arrêt Luedicke, Belkacem et Koç précité, série A no 29, p. 21, § 53).
a. L’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire
76.  M. Kamasinski prétend que nul interprète juré n’assista aux interrogatoires de police et que l’interprétation de ses entretiens avec les magistrats instructeurs fut insuffisante en étendue et en qualité (paragraphes 11-12 ci-dessus). En dépit de ses protestations, il n’aurait jamais reçu de traduction écrite des procès-verbaux de ces interrogatoires et entretiens, de sorte qu’il n’aurait pu en contrôler l’exactitude. Voilà pourquoi il aurait refusé de signer tout procès-verbal établi seulement en allemand. Dans la mesure où la juridiction du fond s’appuya sur des incohérences ou contradictions dans ses propres déclarations, elles s’expliqueraient très probablement par la non-fiabilité de l’interprétation telle que la consigne le condensé allemand de ses propos.
Le Gouvernement combat cette thèse.
77.  L’applicabilité de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne prête pas à controverse, mais la Cour ne découvre pas dans le dossier, pas plus que la Commission, la trace d’un manquement aux exigences de ce texte pendant les interrogatoires du requérant par la police et les juges d’instruction. Des interprètes furent présents chaque fois. Il n’apparaît pas que M. Kamasinski n’ait pu saisir les questions posées et faire comprendre ses réponses. Malgré le défaut de traduction écrite en anglais, la Cour n’est pas davantage convaincue que l’interprétation fournie ait entraîné une atteinte au droit de l’intéressé à un procès équitable, ou à sa capacité de se défendre.
b. L’acte d’accusation
78.  M. Kamasinski affirme qu’à l’audience du 16 février 1981, à laquelle on lui signifia l’acte d’accusation (paragraphe 15 ci-dessus), on se contenta de lui indiquer en anglais l’intitulé des infractions incriminées, sans préciser les faits avancés à l’appui. La majeure partie de l’audience (une heure) s’écoula selon lui dans l’attente de l’arrivée du défenseur qui, quand on le joignit pour finir par téléphone, annonça qu’il ne viendrait pas. Le requérant invoque le paragraphe 3 a) de l’article 6 (art. 6-3-a).
D’après le Gouvernement tous les points essentiels de l’acte d’accusation furent interprétés, comme la durée de la séance le donne du reste à penser. Quant aux faits reprochés, notamment le non-paiement de loyers et de factures de téléphone, ils n’étaient pas assez complexes pour rendre insuffisante une explication orale à l’inculpé. D’ailleurs, ni celui-ci ni son défenseur n’auraient demandé de traduction écrite.
La Commission estime de son côté, sur la base des éléments recueillis, que M. Kamasinski fut informé des accusations portées contre lui à la mi-février 1981 au plus tard, quelque six semaines avant le procès.
79.  Le paragraphe 3 a) de l’article 6 (art. 6-3-a) précise l’étendue de l’interprétation exigée à cet égard en reconnaissant à tout accusé le droit à "être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui". S’il ne spécifie pas qu’il échet de fournir ou traduire par écrit à un inculpé étranger les renseignements pertinents, il montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’"accusation" à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales: à compter de sa signification, l’inculpé est officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre lui. Un accusé à qui la langue employée par le tribunal n’est pas familière peut en pratique se trouver désavantagé si on ne lui délivre pas aussi une traduction de l’acte d’accusation, établie dans un idiome qu’il comprenne.
80.  Les huit chefs énumérés dans l’acte d’accusation n’étaient complexes ni quant aux faits de la cause ni du point de vue juridique (paragraphe 15 ci-dessus). L’acte d’accusation lui-même constituait un document de six pages, relativement simple (ibidem). Auparavant, la police puis les magistrats instructeurs avaient, en présence d’interprètes, longuement interrogé le requérant sur les infractions dont on le soupçonnait (paragraphes 11-12 ci-dessus), ce qui à soi seul dut lui donner une connaissance suffisamment détaillée des accusations portées contre lui.
D’après le procès-verbal de l’audience du 16 février 1981, on lui signifia l’acte d’accusation (paragraphe 15 ci-dessus). L’interprétation fournie ne l’empêcha pas de le contester. Il forma opposition avec l’aide du juge, en raison non pas de son incapacité à comprendre ledit acte mais des irrégularités dont ce dernier se trouvait entaché d’après lui faute de s’appuyer sur des preuves adéquates (ibidem). Il en réclama en outre la notification à Me Steidl, mais le procès-verbal ne mentionne aucune doléance relative à l’interprétation, ni aucune demande de traduction (ibidem). La lettre que M. Kamasinski écrivit à son avocat aussitôt après l’audience de mise en accusation n’en renferme pas non plus (paragraphe 16 ci-dessus). A l’ouverture des débats du 2 avril 1981 il déclara, en réponse à une question, saisir les chefs d’accusation; son conseil et lui-même renoncèrent à les voir interpréter en anglais (paragraphe 24 ci-dessus).
81.  La Cour déduit des éléments du dossier que, grâce aux explications verbales reçues par lui en anglais, le requérant avait été suffisamment informé de "la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui", aux fins du paragraphe 3 a) de l’article 6 (art. 6-3-a). Dans les circonstances de l’espèce, l’absence d’une traduction écrite de l’acte d’accusation ne l’empêcha pas de se défendre ni ne le priva d’un procès équitable. Aucune violation de l’article 6 (art. 6) ne saurait donc être constatée de ce chef.
c. Les débats
82.  M. Kamasinski qualifie d’incomplète et insuffisante l’interprétation assurée en anglais le 2 avril 1981. En particulier, elle n’aurait porté ni sur les questions aux témoins ni sur le texte intégral de leurs réponses et des documents lus en séance. De surcroît, la disposition de la salle ne permettait pas au prévenu, à moins d’inviter le tribunal à interrompre l’audience, de consulter son avocat anglophone ou l’interprète sur ce qui se disait en allemand. Les plaintes qu’il aurait formulées de vive voix à cet égard ne figurent pas au procès-verbal, "presque dépourvu de détails" selon lui. Au mépris de l’alinéa d) de l’article 6 § 3 (art. 6-3-d), combiné avec l’alinéa e) (art. 6-3-e), il aurait ainsi été empêché d’exercer ses droits à l’assistance effective d’un interprète et à interroger ou faire interroger les témoins.
Le Gouvernement repousse ces allégations avec vigueur.
La Commission conclut elle aussi à l’absence d’infraction aux alinéas d) et e) (art. 6-3-d, art. 6-3-e).
83.  Il s’agissait d’une interprétation non pas simultanée, mais consécutive et synthétique; elle n’engloba pas, notamment, les questions aux témoins (paragraphe 27 ci-dessus). Ce facteur ne suffit pas à révéler une violation des alinéas d) ou e) de l’article 6 § 3 (art. 6-3-d, art. 6-3-e), mais il y a lieu de le considérer avec d’autres.
Long de dix-sept pages, le procès-verbal des débats signale la présence constante d’un interprète juré, sans préciser pour autant l’étendue de l’interprétation fournie (paragraphe 27 ci-dessus). En revanche, il résume assez en détail le contenu des témoignages ainsi que des diverses déclarations du requérant ou de son conseil. Or elles ne renferment aucune objection, formelle ou informelle, relative à la qualité ou à l’ampleur de l’interprétation.
A la lumière de l’ensemble du dossier, la Cour n’estime pas établi que M. Kamasinski n’ait pu, en raison d’une interprétation défectueuse, comprendre les témoignages à charge ni interroger ou faire interroger les témoins à décharge.
d. Le jugement
84.  Le requérant ne reçut pas de traduction anglaise du jugement rendu par le tribunal régional le 2 avril 1981 (paragraphe 29 ci-dessus). Il prétend en outre que seul le dispositif, mais non les motifs, fut interprété en anglais au terme du procès; le Gouvernement le conteste.
85.  La Cour considère, avec la Commission, que l’absence d’une traduction écrite du jugement n’a pas en soi enfreint l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e). Il apparaît clairement que M. Kamasinski, grâce aux explications orales à lui fournies et nonobstant les protestations élevées dans ses lettres des 21 avril et 4 mai 1981 au président du tribunal (paragraphe 32 ci-dessus), comprit assez la sentence et ses motifs pour pouvoir, avec l’assistance de son nouveau conseil, Me Schwank, interjeter appel contre la peine et introduire un volumineux pourvoi en cassation critiquant maints aspects du procès et du jugement (paragraphes 34, 35 et 39 ci-dessus). En conséquence, aucun manquement aux exigences de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne se trouve démontré à cet égard.
e. Frais d’interprétation
86.  Le requérant reproche aux autorités autrichiennes de l’avoir pendant quelques mois amené à croire qu’il devrait assumer les frais d’interprétation en cas de condamnation (paragraphe 30 ci-dessus). Il s’agirait là d’une atteinte à son droit à l’"assistance gratuite" d’un interprète, garanti par le paragraphe 3 e) de l’article 6 (art. 6-3-e), et à son droit à un procès équitable, protégé par le paragraphe 1 (art. 6-1).
Si la crainte de conséquences financières peut, "dans des cas limites", influer sur l’attitude d’un accusé quant à la désignation d’un interprète (arrêt Luedicke, Belkacem et Koç précité, série A no 29, p. 18, § 42), le souci temporaire causé à M. Kamasinski par l’erreur initiale des autorités autrichiennes ne fut pas de nature à se répercuter sur l’exercice du droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 (art. 6).
3. L’accès au dossier
87.  L’article 45 § 2 du code autrichien de procédure pénale réserve à l’avocat de la défense le droit de consulter le dossier et d’en prendre copie; l’accusé n’y a lui-même accès que s’il n’a pas de conseil (paragraphe 48 ci-dessus). Le requérant affirme n’avoir pu préparer sa défense, en dépit du paragraphe 3 b) de l’article 6 (art. 6-3-b) de la Convention, parce qu’à la différence de Me Steidl on ne l’autorisa pas à examiner le dossier en personne afin de contrôler les éléments à charge. En outre, la mise en jeu de l’article 45 § 2 du code aurait constitué dans son cas une application abusive du paragraphe 3 c) de l’article 6 (art. 6-3-c) de la Convention, destinée à détruire les droits reconnus aux paragraphes 1 et 3 a) et b) (art. 6-1, art. 6-3-a, art. 6-3-b). Elle aurait donc violé l’article 17 (art. 17), ainsi libellé:
"Aucune des dispositions de la (...) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention."
88.  La Cour est prête à présumer que dans sa lettre du 19 mars 1981, aujourd’hui absente du dossier, M. Kamasinski priait le président de le laisser consulter ce dernier, quitte à relever au besoin son défenseur, Me Steidl, de ses fonctions (paragraphes 19, 23 et 68 ci-dessus). Il essuya un refus, mais Me Steidl bénéficia d’un accès suffisant au dossier - y compris la possibilité d’en obtenir copie - et d’assez de facilités pour pouvoir se concerter avec son client.
Le système de l’article 45 § 2 du code autrichien de procédure pénale ne se heurte pas en soi au droit garanti à la défense par l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b) de la Convention. Les conséquences de son application en l’espèce n’ont pas davantage, aux yeux de la Cour, enfreint l’une quelconque des dispositions dont se prévaut le requérant. Quant au grief connexe selon lequel son avocat aurait négligé de lui donner connaissance des preuves à charge, il échet de l’écarter pour les raisons déjà indiquées (paragraphes 66-69).
4. La non-comparution des témoins au procès
89.  M. Kamasinski prétend n’avoir pu, en dépit de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d), exercer son droit d’interroger les témoins à charge, Mmes Hackl, Wellington et Bruck n’ayant pas comparu devant le tribunal.
90.  La déposition écrite de Mme Hackl, convoquée à la demande de la défense tout comme Mme Wellington, donna lieu à une lecture à haute voix conformément à l’article 252 § 1.4 du code de procédure pénale, qui exige l’accord de la défense (paragraphes 18 et 26 ci-dessus). Selon le requérant son conseil doit y avoir consenti, à son insu et à l’encontre de ses intérêts. Mme Bruck, elle, ne se présenta pas faute d’avoir été citée par l’accusation ou la défense (paragraphe 26 ci-dessus). M. Kamasinski fut déclaré coupable des délits concernant Mmes Wellington et Bruck sur la foi d’éléments provenant d’autres sources (paragraphes 26 et 29 ci-dessus).
91.  L’absence de ces deux personnes au procès ne soulève aucun problème sur le terrain de l’article 6 (art. 6) dans la mesure où la condamnation ne s’appuyait pas sur leurs dires. Quant au surplus, le requérant se plaint en réalité que son avocat d’office n’ait pas déféré à son voeu d’interroger des témoins pendant les débats. Or la Cour n’a pas jugé fondée l’allégation relative à une représentation juridique insuffisante (paragraphes 63-71 ci-dessus). Aux fins de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d), on doit identifier M. Kamasinski au conseil qui agissait en son nom; il ne saurait donc imputer à l’État défendeur la moindre responsabilité pour les décisions de Me Steidl en la matière.
Partant, la Cour n’aperçoit aucune violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) sur ce point.
5. Les parties civiles
92.  D’après le requérant, les poursuites intentées contre lui se trouvèrent viciées parce que certains témoins à charge se constituèrent parties civiles (paragraphe 29 ci-dessus). Comme ils avaient un intérêt financier direct à le voir condamner, le procès n’aurait pas revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 (art. 6-1); il y aurait aussi subi une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14), car il eût joui de plus grandes garanties de procédure dans une instance civile proprement dite, en qualité de défendeur.
Ni le Gouvernement ni la Commission n’expriment d’opinion.
93.  Le grief vise pour l’essentiel les règles du droit autrichien qui habilitent des personnes privées, y compris des témoins à charge, à se joindre à des poursuites pénales à titre de parties civiles, pour obtenir de l’accusé une réparation en cas de constat de culpabilité. Bien que peut-être inconnue des systèmes juridiques familiers à M. Kamasinski, pareille faculté se rencontre de longue date dans ceux de plusieurs États continentaux européens.
La Cour ne tient pas les normes en question pour incompatibles en elles-mêmes avec les principes d’un procès équitable tels que les consacre l’article 6 § 1 (art. 6-1); pour autant qu’il existe une différence de traitement entre défendeurs à des actions civiles et prévenus assignés à la fois au civil et au pénal, les intérêts d’une bonne administration de la justice fournissent une justification objective et raisonnable aux fins de l’article 14 (art. 14) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt du 23 juillet 1968 en l’affaire "linguistique belge", série A no 6, p. 34, § 10). Il ne ressort pas davantage des faits de la cause que les dispositions considérées aient violé la Convention par la manière dont elles ont joué en l’espèce.
6. La réponse du prévenu à l’acte d’accusation
94.  Selon M. Kamasinski, les questions que le président lui posa, en vertu de l’article 245 du code de procédure pénale, après la lecture de l’acte d’accusation (paragraphe 49 ci-dessus) aboutirent à déplacer le fardeau de la preuve sur lui, le prévenu, avant toute présentation des éléments recueillis, ce qui l’aurait dépouillé d’emblée du bénéfice de la présomption d’innocence, consacrée par l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention.
95.  L’article 245 du code offre à l’acccusé une latitude dont il peut user dans son propre intérêt, mais il ne l’oblige point à parler ni à répondre aux questions. Les données rassemblées par la Cour n’indiquent pas qu’il en aille autrement en pratique, ni que l’application concrète de ce texte dans le cas du requérant ait sapé la présomption d’innocence.
7. Questions diverses
96.  M. Kamasinski allègue encore que la procédure suivie à son sujet devant le tribunal régional d’Innsbruck enfreignit la Convention à plusieurs autres égards. Par exemple, l’insertion dans le dossier du tribunal, puis de la Cour Suprême, d’articles de presse défavorables à sa cause (paragraphe 38 ci-dessus) aurait détruit la présomption d’innocence (article 6 § 2 de la Convention) (art. 6-2) et son droit à un "tribunal indépendant et impartial" (article 6 § 1) (art. 6-1); par sa connaissance prétendument insuffisante de l’anglais, le président aurait contribué, avant et pendant les débats, à la violation des droits garantis par l’article 6 (art. 6); en refusant de convoquer Me E. comme témoin et d’ordonner le contrôle d’un compte bancaire du requérant (paragraphe 25-26 ci-dessus), le tribunal aurait empêché ce dernier de donner sa version des faits et l’aurait privé ainsi de son droit à un procès équitable (article 6 § 1) (art. 6-1); la cause n’aurait pas été "entendue publiquement" (article 6 § 1) (art. 6-1), notamment parce qu’il n’y aurait eu ni public dans la salle d’audience ni procès-verbal complet (paragraphes 24 et 28 ci-dessus).
97.  La Cour ne croit pas devoir traiter en détail ces diverses allégations, car aucune d’elles ne se trouve corroborée par les pièces du dossier.
8. Conclusion
98.  En examinant séparément chacun des nombreux points sur lesquels M. Kamasinski se plaint de la procédure de première instance, le présent arrêt n’a relevé nulle atteinte aux droits de la défense tels que les garantit l’article 6 (art. 6), combiné ou non avec l’article 14 (art. 14+6).
A l’instar de la Commission, la Cour n’aperçoit pas de raison de dire que les lacunes incriminées ont rendu ladite procédure non équitable dans son ensemble, au regard de l’article 6 § 1 (art. 6-1), si on les considère en bloc.
B. Les procédures devant la Cour Suprême
1. L’instance en cassation
99.  Le requérant se prétend victime d’une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14) dans la jouissance de ses droits au titre de l’article 6 (art. 6): selon lui, divers moyens de cassation ne s’offraient pas au même degré à un accusé qui, comme lui, ne comprenait pas l’allemand, langue employée en justice (voir, par exemple, les paragraphes 37 et 51 ci-dessus).
Ni le Gouvernement ni la Commission ne se prononcent directement à ce sujet.
100.  L’article 6 (art. 6) vaut certes pour une instance en cassation du genre de celle qu’engagea M. Kamasinski (arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 14-15, § 25), mais aux yeux de la Cour aucune discrimination dans la jouissance des droits fondamentaux protégés par lui (art. 6) n’a découlé de l’application de l’article 281 § 1 du code de procédure pénale en l’espèce. Même si les textes relatifs à l’introduction d’un pourvoi établissaient une différence de traitement entre prévenus germanophones et non germanophones, on ne saurait tenir pour déraisonnable de limiter les contestations pour interprétation défectueuse aux cas où le dépôt d’une demande pendant les débats ressort du procès-verbal officiel.
101.  Le requérant affirme aussi n’avoir pas bénéficié d’un examen équitable de son recours du fait, d’abord, de lacunes du procès-verbal de l’audience du tribunal régional; en second lieu, de l’enquête unilatérale menée par la Cour Suprême pour se renseigner auprès du président de ce tribunal sur l’étendue de l’interprétation fournie; enfin, du rôle du Procureur général (Generalprokurator) devant la Cour Suprême (paragraphes 26, 36, 37 et 52 ci-dessus).
Sur le deuxième point, le Gouvernement répond que les résultats de l’enquête de la Cour Suprême ne revêtaient "pas une importance essentielle" pour l’arrêt à rendre; celui-ci ne les aurait mentionnés, sans doute, que par souci d’exhaustivité, le motif juridique décisif de rejet du moyen tiré des insuffisances de l’interprétation consistant dans le non-établissement d’une cause reconnue de nullité (paragraphe 37 ci-dessus). Quant au troisième point, le Procureur général ne représenterait pas l’accusation mais aurait pour tâche de veiller au respect de la loi en pleine indépendance; sa participation à l’instance devant la Cour Suprême n’aurait donc pas transgressé le principe de l’égalité des armes. Pas plus que la Commission, le Gouvernement ne s’exprime spécialement sur l’argument concernant le procès-verbal de l’audience.
La Commission n’estime pas nécessaire d’étudier le statut du Procureur général, mais la Cour Suprême lui paraît avoir agi à l’encontre des exigences d’un procès équitable par son enquête sur l’interprétation.
102.  La Cour relève que ni M. Kamasinski ni son conseil ne furent avertis de ladite enquête, entreprise en vertu de l’article 285f du code de procédure pénale, ou avisés de ses conclusions (paragraphes 36 et 52 ci-dessus). Dans son arrêt du 1er septembre 1981, la Cour Suprême cita presque littéralement, comme démentant les allégations de fait du demandeur au pourvoi, le compte rendu de l’entretien du conseiller rapporteur avec le président du tribunal (paragraphe 37 ci-dessus).
En matière pénale, le "procès équitable" voulu par l’article 6 § 1 (art. 6-1) implique pour l’accusé la possibilité de discuter les preuves recueillies sur des faits contestés, même relatifs à un aspect de la procédure et non à l’infraction incriminée en tant que telle. Comme le souligne la Commission, la déclaration reproduite émanait d’un magistrat - le président du tribunal - sur qui pesait, d’après M. Kamasinski, la responsabilité de n’avoir pas assuré une interprétation adéquate pendant les débats. Certes, le Gouvernement y insiste, les informations données par le président du tribunal ne constituaient pas, au regard du droit autrichien, la raison primordiale de repousser le moyen en question. Il n’en demeure pas moins que dans la conduite de l’enquête, la Cour Suprême ne respecta pas le principe du contradictoire, l’une des principales garanties d’une procédure judiciaire (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Feldbrugge du 29 mai 1986, série A no 99, pp. 17-18, § 44).
Il en résulta une violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
103.  La Cour ne croit pas devoir examiner les deux autres griefs susmentionnés du requérant, sauf à noter qu’elle a déjà écarté, comme non corroborée, l’allégation dirigée contre les lacunes du procès-verbal (paragraphes 96-97 ci-dessus).
2. L’instance d’appel
104.  M. Kamasinski reproche à la Cour Suprême de lui avoir refusé, le 20 novembre 1981, l’autorisation d’assister à l’audience publique concernant son appel contre la peine et contre l’octroi d’une indemnité (paragraphe 38 ci-dessus). Il y voit une différence injustifiée de traitement procédural entre les appelants incarcérés, comme lui, et les appelants en liberté ainsi que, dans son propre cas, les parties civiles, ces deux dernières catégories ne souffrant pas d’une telle incapacité. Il allègue une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 6 §§ 1 et 3 c) (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c).
D’après le Gouvernement, la nature du contrôle exercé en appel par la Cour Suprême n’exigeait pas la présence du requérant. Aucun droit de comparaître en personne ne découlerait de l’article 6 (art. 6), de sorte qu’il ne saurait y avoir eu infraction à l’article 14 combiné avec ce texte (art. 14+6).
La Commission, elle, exprime l’opinion que la décision litigieuse de la Cour Suprême a entraîné une discrimination, incompatible avec l’article 14 (art. 14), par rapport aux appelants en liberté.
105.  Le requérant se place sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6). A l’instar de la Commission, la Cour n’entend pas rechercher si les faits incriminés ont violé l’article 6 (art. 6) pris isolément.
106.  Comme le droit à un procès équitable s’étend à une instance d’appel du genre de celle qu’introduisit M. Kamasinski (arrêt Delcourt précité, série A no 11, pp. 14-15, § 25), la protection supplémentaire accordée par l’article 14 (art. 14) s’y applique elle aussi (voir par exemple l’arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, pp. 15-16, § 32).
La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel (arrêt Ekbatani du 26 mai 1988, série A no 134, p. 14, § 31) qu’au premier degré (arrêt Colozza du 12 février 1985, série A no 89, p. 14, § 27). Les autorités nationales jouissent donc, en la matière, d’une marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique (arrêt Rasmussen du 28 novembre 1984, série A no 87, p. 15, § 40, avec les références). Pour savoir si M. Kamasinski a subi la discrimination dont il se plaint, il faut prendre en compte les particularités de la procédure d’appel devant la Cour Suprême et les circonstances du recours de l’intéressé (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Monnell et Morris du 2 mars 1987, série A no 115, p. 22, § 56).
107.  En droit autrichien, les audiences d’appel n’impliquent pas un nouvel examen des preuves ni de la culpabilité ou innocence de l’accusé (paragraphe 53 ci-dessus). Par les moyens qu’il invoqua (paragraphe 39 ci-dessus), M. Kamasinski ne soulevait pas de problèmes liés à sa personnalité et à son caractère. Représenté par un conseil aux débats du 24 novembre 1981, il avait assisté lui-même à ceux du tribunal régional (paragraphes 24-29 et 39 ci-dessus). L’appel n’émanant que de lui, la Cour Suprême ne pouvait aggraver la peine infligée en première instance (paragraphes 34 et 53 ci-dessus).
Par la nature des choses, un appelant incarcéré n’a pas la même latitude qu’un appelant en liberté, ou une partie civile, pour se présenter devant une juridiction d’appel. Ainsi que le relève la Commission, pour amener un condamné devant pareille juridiction il faut prendre des mesures techniques spéciales, notamment de sécurité.
108.  Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, la décision par laquelle la Cour Suprême d’Autriche refusa d’autoriser M. Kamasinski à comparaître devant elle le 24 novembre 1981 ne sortait pas de la marge d’appréciation de l’État défendeur. A supposer même que l’intéressé se trouvât dans une situation comparable à celle d’appelants en liberté ou des parties civiles dans sa propre affaire, les autorités nationales avaient de bons motifs de croire fondée sur une justification objective et raisonnable toute différence de traitement relative à la possibilité de suivre les débats d’appel.
En conséquence, on ne saurait constater une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14).
IV.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
109.  Le requérant affirme n’avoir bénéficié d’aucun recours effectif pour redresser les diverses violations du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 (art. 6), qu’il aurait subies devant le tribunal régional d’Innsbruck. Il y aurait eu infraction à l’article 13 (art. 13), ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
110.  Les arguments invoqués à l’appui coïncident, en substance, avec la thèse développée sur le terrain de l’article 6 (art. 6) pour contester l’aptitude de l’instance en cassation à remédier auxdites violations dans les circonstances de la cause. Vu ses conclusions relatives à l’article 6 (art. 6), la Cour estime, avec la Commission, qu’il n’y a pas lieu d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13): les exigences du second sont moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir, en dernier lieu, l’arrêt Allan Jacobsson du 25 octobre 1989, série A no 163, p. 21, § 78).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
111.  M. Kamasinski sollicite une indemnité pour dommage et le remboursement de frais et dépens. Il se prévaut de l’article 50 (art. 50), aux termes duquel
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
A. Préjudice
112.  Le requérant invite la Cour à lui allouer 1.000 dollars américains par jour d’incarcération en Autriche, soit au total 435.000.
Le Gouvernement conteste l’existence du moindre lien de causalité entre les violations incriminées et le préjudice résultant de l’emprisonnement de l’intéressé. En ordre subsidiaire, il juge excessif le montant réclamé; le délégué de la Commission le rejoint sur ce point.
113.  La Cour a écarté la thèse principale de M. Kamasinski selon laquelle il fut privé, au mépris de toutes les dispositions de l’article 6 (art. 6), de son droit à donner sa version des faits. Elle a relevé un seul et unique manquement aux exigences du procès équitable voulu par ce texte (paragraphe 102 in fine ci-dessus). A ce sujet, il semble que du strict point de vue du droit autrichien le moyen de cassation tiré des lacunes de l’interprétation était voué à l’échec indépendamment des résultats de l’enquête de la Cour Suprême (paragraphe 37 ci-dessus).
Eu égard à la nature et à l’étendue limitée de l’infraction constatée, la Cour considère que le présent arrêt fournit en soi, aux fins de l’article 50 (art. 50), une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage éventuellement souffert, sans qu’il "y a[it] lieu" à réparation pécuniaire (voir par exemple l’arrêt Brogan et autres du 30 mai 1989, série A no 152-B, p. 45, § 9).
B. Frais et dépens
114.  M. Kamasinski précise ainsi ses dépenses personnelles: 2.868 dollars pour des publications achetées en vue des recherches que rendait nécessaires sa requête à la Commission, plus 2.440 dollars pour reproduction de documents, communications téléphoniques, frais de télex et de courrier. Il réclame en outre 19.453 dollars 46 pour les honoraires de Me Schwank, qui l’a aidé à préparer l’affaire devant les organes de la Convention, y compris par la présence "à titre consultatif" de son assistante, Me Gorbach, pendant les débats devant la Cour. Il y ajoute 2.485 dollars pour les débours de son conseil à ladite audience, M. D’Amato. Quant à ses propres honoraires, ce dernier a informé la Cour qu’il avait passé avec le requérant un contrat en vertu duquel il percevrait le quart de toute indemnité allouée par elle.
Le Gouvernement conteste la nécessité des dépenses engagées par le requérant pour ses recherches et de la venue de Me Gorbach à l’audience, ainsi que le caractère raisonnable du montant demandé pour les honoraires de Me Schwank.
115.  Les accords de quota litis ("contingency agreements"), qui fixent les honoraires d’un avocat à un certain pourcentage de la somme que le tribunal pourra octroyer au client concerné, sont admissibles selon le droit des États-Unis d’Amérique. La Cour reconnaît donc la validité de l’arrangement conclu entre eux par MM. Kamasinski et M. D’Amato (comp. l’arrêt Dudgeon du 24 février 1983, série A no 59, p. 10, § 22), mais comme elle n’a pas ordonné de réparation pécuniaire aucun remboursement n’est dû de ce chef.
Quant au restant des prétentions, une partie a droit à recouvrer les frais et dépens réels, nécessaires et raisonnables exposés par elle pour faire constater par la Cour une violation de la Convention (voir, en dernier lieu, l’arrêt H. c. France du 24 octobre 1989, série A no 162-A, p. 27, § 77). La Cour a donné gain de cause au requérant sur une seule des questions, "pléthoriques" selon ses propres termes, soulevées par lui "en tant qu’infractions potentielles à la Convention"; elle a rejeté pour défaut de fondement ses nombreux autres griefs. En outre, l’unique manquement observé ne constituait pas, loin de là, l’une des principales sources des doléances de M. Kamasinski. Dès lors, et indépendamment des doutes concernant la nécessité et le caractère raisonnable de plusieurs chefs de demande, il échet de ne rembourser qu’une petite fraction des montants réclamés (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Olsson du 24 mars 1988, série A no 130, p. 43, § 105 in fine). Statuant en équité, comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour accorde à M. Kamasinski 5.000 dollars pour frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, à l’unanimité, l’exception de non-épuisement des voies de recours internes présentée par le Gouvernement;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en raison du caractère non contradictoire de l’instruction menée par la Cour Suprême pendant l’examen du pourvoi en cassation du requérant;
3. Dit, par six voix contre une, que le refus d’autoriser le requérant à comparaître à l’audience d’appel devant la Cour Suprême n’a pas enfreint l’article 14, combiné avec l’article 6 §§ 1 et 3 c) (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c);
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu d’autres violations de l’article 6 (art. 6), pris isolément ou combiné avec l’article 14 (art. 14+6);
5. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13);
6. Dit, à l’unanimité, que l’Autriche doit verser au requérant, pour frais et dépens, la somme de 5.000 (cinq mille) dollars américains;
7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 19 décembre 1989.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de M. De Meyer.
R.R.
M.-A.E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
Je ne puis souscrire aux paragraphes 106 à 108 des motifs ni au point 3 du dispositif de l’arrêt.
J’estime que, devant la Cour Suprême, les droits fondamentaux du requérant ont aussi été violés en ce qu’il n’a pas été autorisé à comparaître en personne à l’audience d’appel, alors que les parties civiles étaient convoquées et qu’il aurait dû l’être aussi lui-même s’il n’était pas détenu3.
A mon avis, cette différence de traitement n’était justifiée ni par "les particularités de la procédure d’appel (...) et les circonstances du recours de l’intéressé"4, ni par la "nature des choses"5, ni par les "mesures techniques spéciales" à prendre pour la comparution d’un "condamné"6.
En l’espèce l’appel se rapportait à des éléments de fait qui pouvaient avoir une certaine importance quant à l’évaluation du degré de culpabilité du requérant et quant à la détermination de sa peine7.
La "nature des choses" exige plutôt qu’un accusé détenu ait autant qu’un accusé non détenu ou qu’une partie civile l’occasion d’être présent à une audience concernant des questions de ce genre.
Enfin, les "mesures techniques spéciales" à prendre pour la comparution personnelle d’un détenu devant une juridiction d’appel ne sont pas essentiellement différentes de celles que requiert la comparution personnelle d’un détenu au stade de l’instruction ou en première instance.
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 9/1988/153/207.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 168 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
3 Paragraphes 38 et 54 de l'arrêt.
4 Paragraphe 106 de l'arrêt.
5 Paragraphe 107 de l'arrêt.
6 Ibidem.
7 Paragraphe 39 de l'arrêt.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT KAMASINSKI c. AUTRICHE
ARRÊT KAMASINSKI c. AUTRICHE
ARRÊT KAMASINSKI c. AUTRICHE
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 9783/82
Date de la décision : 19/12/1989
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement) ; Violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation des art. 14+6-1 et 14+6-3-c ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 5-2) INFORMATION DANS LE PLUS COURT DELAI, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES PUBLIC, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL, (Art. 6-1) TRIBUNAL INDEPENDANT, (Art. 6-2) PRESOMPTION D'INNOCENCE, (Art. 6-3-b) ACCES AU DOSSIER, (Art. 6-3-c) ASSISTANCE GRATUITE D'UN AVOCAT D'OFFICE


Parties
Demandeurs : KAMASINSKI
Défendeurs : AUTRICHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-12-19;9783.82 ?

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