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10/04/1989 | CEDH | N°12313/86

CEDH | A.M. contre la BELGIQUE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12313/86 présentée par A.M. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 avril 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS

J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12313/86 présentée par A.M. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 avril 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL M. C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 13 mai 1986 par A. M. contre la Belgique et enregistrée le 8 août 1986 sous le No de dossier 12313/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations écrites présentées par le Gouvernement belge le 11 mai 1988 et les observations en réponse présentées par le requérant le 8 août 1988 ; Vu les observations orales des parties développées à l'audience du 10 avril 1989 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant marocain, né le 28 septembre 1963 à Casablanca et résidant actuellement de manière partiellement clandestine à Stockholm (Suède). Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Luc Misson et Me Jean-Pierre Moens, avocats au barreau de Liège. En juillet 1965, le requérant, alors qu'il était âgé d'un an, entra en Belgique avec sa mère pour y rejoindre son père qui, ayant émigré quelque temps auparavant, y exploitait un commerce de boucherie. Pendant sa minorité, le tribunal de la jeunesse, saisi de différents faits commis par le requérant, prit diverses mesures de garde à l'égard du requérant et entre autres le plaça à dix reprises à la prison de Lantin pour une durée de 15 jours. Après dessaisissement des juridictions de la jeunesse, le requérant a été condamné le 2 décembre 1981 par le tribunal correctionnel de Liège pour une série de 26 faits de vols qualifiés, tentatives de vols qualifiés, vols simples, recel, destruction de véhicules, coups volontaires et menaces à une peine de 20 mois de prison avec sursis pour la moitié de la peine. Le 9 novembre 1982, sur appel du ministère public, la cour d'appel de Liège réforma ce jugement et condamna le requérant à une peine de 2 ans de prison ferme, accompagnée de peines respectives d'un mois, 15 jours et 2 fois 8 jours d'emprisonnement. Le 24 novembre 1983, dans le cadre d'une procédure d'expulsion entamée par l'Office des étrangers, la Commission consultative des étrangers, amenée à donner son avis sur l'expulsion du requérant, estima que les très nombreux délits commis par l'intéressé et réprimés par la cour d'appel de Liège constituaient, pour la plupart, des atteintes graves à l'ordre public justifiant la mesure envisagée. Toutefois, la commission estima que l'expulsion du requérant était inopportune compte tenu du jeune âge de l'intéressé à l'époque des faits ainsi que du fait qu'il était arrivé en Belgique à l'âge d'un an, que toute sa famille vivait en Belgique (père, mère et sept autres enfants dont quatre sont nés en Belgique), que le requérant apprenait un métier d'apprenti boucher dans lequel son père pourrait l'aider puisqu'il était lui-même boucher exploitant son propre magasin et qu'enfin le requérant avait bénéficié de deux congés pénitentiaires durant sa détention et que l'octroi de ces congés témoignaient d'une certaine confiance de l'administration dans son comportement. Le 28 février 1984, un arrêté d'expulsion fut pris contre le requérant. Cet arrêté royal était motivé par le fait que le requérant avait été condamné par la cour d'appel pour 26 infractions et souligna qu'il ne s'agissait là que d'une partie des 147 faits dont avait été saisi le tribunal de la jeunesse pendant sa minorité pénale sans compter les 15 autres infractions de vols de bijoux, d'armes et de numéraires commis après celles ayant donné lieu à la condamnation. L'arrêté d'expulsion faisait encore état de ce que le requérant était considéré par la gendarmerie locale comme étant l'un des meneurs d'une dangereuse bande de jeunes dévoyés, qu'il constituait un réel danger pour la société et que son comportement personnel avait dès lors porté atteinte à l'ordre public. L'arrêté concluait que la sauvegarde de l'ordre public devait prévaloir sur les considérations d'ordre social ou familial, développées par la Commission consultative des étrangers. Le 29 avril 1984, le père du requérant, agissant en qualité de représentant légal du requérant, demanda l'annulation de l'arrêté royal d'expulsion du 28 février 1984 et le sursis à son exécution. Le 22 juin 1984, le Conseil d'Etat rejeta la demande de sursis à exécution et le 16 octobre 1985, le Conseil d'Etat rejeta la requête en annulation du requérant. Dans son arrêt, le conseil d'Etat considéra notamment que le moyen du requérant tiré de ce que la mesure d'éloignement constituait une sanction supplémentaire manquait en droit du fait que la mesure attaquée ne constituait pas une sanction mais une mesure de sûreté. Quant au moyen tiré de la violation des articles 3 et 8 de la Convention en ce que la mesure d'expulsion constituerait à la fois un traitement inhumain et dégradant et une atteinte intolérable à la vie privée et familiale, le Conseil d'Etat le déclara non fondé au motif, d'une part, qu'une mesure d'expulsion ordonnée en vertu de la loi ne saurait être assimilée ni à une peine, ni à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention et que, d'autre part, le respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention ne faisait pas obstacle à ce que soit prise une mesure qui dans une société démocratique est nécessaire à la sûreté publique. Le moyen déduit de la violation de l'article 14 de la Convention fut également déclaré mal fondé du fait qu'aucun indice ne permettait de croire que le requérant avait fait l'objet, en raison de sa nationalité, d'une discrimination proscrite par cet article. Cet arrêt fut notifié au requérant le 13 novembre 1985. Entre-temps, fin juin 1984, le requérant fut expulsé. Il ne se rendit pas au Maroc n'y ayant aucune famille proche susceptible de l'accueilllir mais se réfugia chez un ami en Espagne. Suite à un ordre de quitter ce pays, il s'installa à Stockholm en Suède où depuis lors il vit clandestinement. Par acte notarié du 24 avril 1985, le requérant donna à son avocat mandat pour effectuer une déclaration d'option de patrie devant l'officier de l'état civil de Liège. Toutefois, l'officier de l'état civil fit savoir que compte tenu de son expulsion, l'intéressé n'était plus domicilié à Liège et que la déclaration d'option était irrecevable dans cette ville. Le requérant adressa la même demande à l'Ambassade belge à Stockholm. Il lui fut répondu que sa résidence irrégulière ne pouvait être prise en compte aux fins d'une telle demande. Par lettre du 29 septembre 1987, les avocats du requérant présentèrent un certificat établi par un médecin suédois, indiquant que le requérant souffrait d'une dépression suite à la rupture des liens familiaux. Par ordonnance du 21 mars 1988, le juge des référés de Liège rejeta la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion du 28 février 1984 formée par les avocats du requérant et fondée sur le fait que la situation du requérant s'aggravait.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint tout d'abord d'une violation des articles 3 et 8 de la Convention en ce que la décision d'expulsion a provoqué une rupture brutale dans sa vie familiale et sociale et constitue un traitement inhumain et dégradant. Il explique que sa nationalité marocaine est purement formelle. A cet égard, il expose que sa langue maternelle effective est le français et qu'il ne parle que quelques mots d'arabe, que toute sa famille proche (père, mère et 7 autres enfants dont trois ont déjà acquis la nationalité belge) demeure en Belgique et qu'il n'a aucune autre famille proche au Maroc susceptible de l'accueillir.
2. Le requérant allègue encore que l'arrêté royal d'expulsion consacre, dans le traitement qui est réservé à un délinquant de droit commun étranger, une discrimination fondée exclusivement sur la nationalité de l'intéressé indépendamment de tout critère général et objectif. Cette discrimination est d'autant plus flagrante en l'espèce que l'arrêté royal d'expulsion n'aurait jamais pu être pris à l'encontre d'un jeune ressortissant de la Communauté économique européenne étant donné qu'en vertu du droit communautaire, l'expulsion d'un ressortissant des communautés ne peut être justifiée par la seule existence de condamnations pénales.
3. Le requérant se plaint également que le Conseil d'Etat, lorsqu'il a statué sur sa demande d'annulation de l'arrêté royal, ne constituait pas une instance impartiale car un des trois magistrats du Conseil d'Etat occupait, au 28 février 1984, c'est-à-dire à la date de la signature de l'arrêté d'expulsion, le poste de chef de cabinet adjoint du ministre de la Justice qui avait pris l'initiative de l'expulsion.
4. Le requérant se plaint d'une violation de l'article 7 de la Convention du fait qu'il a en quelque sorte été sanctionné pour des faits qui, au moment où ils ont été commis, à savoir pendant sa minorité pénale, ne constituaient pas tous des infractions d'après le droit national et pour lesquels étaient seules prévues des mesures éducatives.
PROCEDURE La requête a été introduite le 13 mai 1986 et enregistrée le 8 août 1986. Après un examen préliminaire par le Rapporteur, la Commission a procédé à l'examen de la recevabilité de la requête le 12 décembre 1987. Elle a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement de la Belgique, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci pour autant qu'elle porte sur l'article 8 de la Convention, pris tant isolément que combiné avec l'article 14 de la Convention. Le Gouvernement a présenté ses observations le 11 mai 1988 et les observations en réponse du requérant sont parvenues le 8 août 1988. Le 9 décembre 1988, la Commission a décidé de tenir une audience sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le 10 avril 1989, l'audience a eu lieu. Les parties y étaient représentées comme suit : Pour le Gouvernement - Monsieur Jan LATHOUWERS, du Ministère de la Justice, en qualité d'Agent du Gouvernement - Maître Gilbert KIRSCHEN, avocat au barreau de Bruxelles, en qualité de conseil Pour le requérant - Maître Jean-Pierre MOENS, avocat au barreau de Liège.
ARGUMENTATION DES PARTIES
1. Le Gouvernement A titre préliminaire, le Gouvernement oppose une exception de non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant n'a pas utilisé les voies de recours, à savoir les voies d'appel et de cassation, dont il disposait contre l'ordonnance de référé du 21 mars 1988, rejetant la demande du requérant tendant à obtenir la suspension de l'exécution de la mesure d'expulsion. En ce qui concerne le fond, le Gouvernement souligne tout d'abord que, d'après la jurisprudence belge, les droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme, ne font pas obstacle à ce que soit prise une mesure d'éloignement nécessitée par le maintien de l'ordre public pour autant que cette notion soit correctement appliquée et que le comportement de la personne incriminée soit évalué en fonction de tous les éléments de la cause, ce qui exclut une mesure d'éloignement prise automatiquement sur base d'une condamnation (voir en ce sens Cons. Etat, 7ème ch., 21 juin 84, arrêt n° 24.474 ; Cons. Etat, 3ème ch., 7 août 84, arrêt n° 24.607 ; Cons. Etat, 3ème ch., 22 février 85, arrêt n° 25.060 ; Cons. Etat, 3ème ch., 31 janvier 86, arrêt n° 26.121). Le Conseil d'Etat a, par ailleurs, soulevé d'office le moyen tiré de l'article 8 de la Convention lors de demandes de sursis à exécution à l'encontre d'arrêtés royaux d'expulsion. Le Conseil d'Etat a jugé que le Roi avait l'obligation de vérifier si la nécessité de la protection de l'ordre public et de la sécurité publique dans une société démocratique devait primer sur le droit à la vie familiale garanti par l'article 8. Cet examen doit résulter de la motivation de la décision attaquée. (Cons. Etat, 7ème ch., 25 septembre 86, arrêt n° 26.932 ; Cons. Etat, 3ème ch., 22 octobre 86, arrêt n° 27.053 ; Cons. Etat, 3ème ch., 11 mars 1987, arrêt n° 27.636). Ces principes ont été correctement appliqués dans le cas du requérant. Celui-ci était bien connu des services judiciaires de Liège pour les nombreux faits délictueux qu'il a commis. Par ailleurs, l'intéressé était considéré comme chef de bande et sa disparition du milieu liégeois ne pouvait être considérée que favorablement par tous les services de police. La motivation de l'arrêté royal d'expulsion est suffisamment explicite à cet égard puisqu'il est fait état de la gravité des faits commis par le requérant, du comportement personnel de l'intéressé et du fait qu'en l'espèce, la sauvegarde de l'ordre public doit prévaloir sur les considérations d'ordre social ou familial développées par la Commission consultative des étrangers. Dans son arrêt du 16 octobre 1985, le Conseil d'Etat a également examiné le recours en annulation sous l'angle de l'article 8 de la Convention et a considéré "que, (...) le respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de ladite Convention ne fait pas obstacle à ce que soit prise une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sûreté publique". Cette interprétation est par ailleurs conforme à la position adoptée par la Commission européenne des Droits de l'Homme dans des affaires semblables. Dans le cas du requérant, le Gouvernement belge considère, qu'en supposant même que l'expulsion du requérant ait constitué une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie familiale, il y a lieu de tenir compte du fait que le requérant a été expulsé uniquement en raison du danger grave qu'il représentait pour l'ordre public belge. Cette mesure d'éloignement n'est d'ailleurs prise que pour une durée de 10 ans et cessera automatiquement ses effets à l'égard du requérant en février 1994 (art. 23 de la loi du 15 décembre 1980). En conséquence, dans les circonstances de l'espèce, l'ingérence éventuelle dans le droit au respect de la vie familiale était prévue par la loi et justifiée comme nécessaire dans une société démocratique. De l'avis du Gouvernement, le requérant ne peut être considéré comme un étranger "théorique" au motif qu'il a eu, lorsqu'il vivait en Belgique, tout le loisir d'introduire une demande de naturalisation belge. En effet, conformément à l'ancien article 13 des lois coordonnées sur la nationalité (législation encore en vigueur à l'époque des faits, mais depuis lors remplacée par la loi du 28 juin 1984), la naturalisation ordinaire pouvait être conférée aux étrangers âgés de 16 ans au moins qui, établis en Belgique depuis avant l'âge de 14 ans, comptent trois années de résidence habituelle et continue dans le pays. Pour bénéficier des conditions spéciales prévues en leur faveur, ces étrangers devaient introduire leur demande avant d'avoir atteint l'âge de 22 ans. Si la demande était introduite avant l'âge de 21 ans, le consentement des représentants légaux était requis. En l'espèce, le requérant a eu 16 ans le 28 septembre 1979. Il n'a été expulsé qu'en juin 1984. Pendant 5 ans, il a donc eu la possibilité d'introduire une demande de naturalisation et de manifester explicitement sa volonté de s'intégrer véritablement dans la communauté belge. Cette démarche aurait certainement accru ses chances d'intégration. Or, contrairement à trois de ses frères qui ont acquis la nationalité belge, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, ni d'un examen au sein du service de naturalisation du département de la Justice qu'avant son expulsion, le requérant ait entamé pareille procédure. Subsidiairement, le Gouvernement souhaite encore faire remarquer que le requérant ne pouvait ignorer que son comportement l'exposait à une mesure d'expulsion, la loi du 15 décembre 1980 étant particulièrement claire à ce sujet.
2. Le requérant Le requérant remarque que la circonstance qu'il a peu d'attaches avec le Maroc au point qu'il est incapable d'y fixer sa résidence augmente la gravité de l'ingérence dans ses droits à la vie privée et familiale. Par ailleurs, l'évolution de la situation de nationalité de l'ensemble de la famille du requérant n'a cessé de confirmer la volonté d'intégration de cette famille avec la société belge et les liens ténus qu'elle conserve avec le pays d'origine. Ainsi, la soeur aînée du requérant est devenue belge par option de patrie et le père du requérant s'est vu accorder la naturalisation belge par la loi du 24 mai 1988. Par application de l'article 12 de la loi du 28 juin 1984 établissant le Code belge de la nationalité, cette naturalisation du père entraîne automatiquement l'attribution de la nationalité belge aux deux autres enfants qui n'ont pas encore 18 ans : Nasser (16 ans) et Fatima (13 ans). Enfin, signalons encore que la procédure de naturalisation de la mère du requérant est en cours. Le requérant ne conteste pas que la mesure d'expulsion se fondait sur la loi du 15 décembre 1980 sur le séjour des étrangers, encore qu'il semble que la volonté du législateur belge était de donner une attention particulière aux immigrés de la seconde génération voire exclure la possibilité de leur expulsion. Quant à la légitimité du but poursuivi par la mesure d'expulsion, le requérant conteste que l'ingérence incriminée avait pour but la prévention des infractions pénales ou, d'une manière plus large, la défense de l'ordre puisque la réserve de l'article 8 par. 2 vise le risque d'atteintes futures à l'ordre. Les autorités belges n'ont pas prêté attention à l'avis de la Commission consultative des étrangers du 24 novembre 1983 estimant l'expulsion légalement justifiée mais inopportune. Au contraire, elles ont manifestement dramatisé la présentation des faits et noirci à souhait la personnalité du requérant, afin de pouvoir appliquer une mesure d'expulsion qui puisse paraître en être la conclusion logique. A cet égard, il souligne : - que seuls 26 faits pénaux pour lesquels il a été condamné par la cour d'appel de Liège sont établis. Tous ces faits pénaux ont été commis en 1980, c'est-à-dire lorsque l'intéressé avait 16 ou 17 ans, c'est-à-dire à peu près cinq ans avant son expulsion définitive. - que les 21 autres faits dont le tribunal de la Jeunesse a eu à connaître pendant sa minorité ne constituent pas des infractions dont il peut être tenu compte. - que la mention des 15 autres faits qui auraient été commis après la condamnation de la cour d'appel de Liège du 9 novembre 1982 est inexacte. - la déclaration de la gendarmerie suivant laquelle l'intéressé serait considéré comme un meneur d'une dangereuse bande de jeunes dévoyés n'est pas datée alors qu'il n'est vraiment pas indifférent de savoir si ce sentiment a été émis en 1980 ou en 1984. En outre, entre 1981 et la date effective de son expulsion, le requérant a séjourné près de deux ans et demi en liberté sans plus commettre aucun délit, ce qui démontre un réel amendement et ce qui confirme que la période de délinquance est circonscrite à une phase tumultueuse de l'adolescence. Enfin, comme l'a relevé la Commission consultative dans son avis, le requérant a bénéficié de deux congés pénitentiaires durant sa détention, mesure qui n'est octroyée qu'à des détenus faisant preuve d'une conduite irréprochable et ne présentant a priori pas de risques de récidives. Le Gouvernement belge reste donc en défaut de démontrer en quoi des faits de jeunesse, sérieux mais anciens et en nombre limité, permettaient objectivement de craindre un risque de récidive et appelaient impérieusement une mesure de sûreté complémentaire. Quant à la nécessité de l'ingérence, les autorités belges ne se sont pas fondées sur un besoin social impérieux et n'ont pas davantage respecté un juste équilibre entre le respect des droits individuels du requérant et la nécessité de sauvegarder l'ordre public. En effet, il ne résulte aucunement de l'arrêté royal d'expulsion que le Roi aurait vérifié avec soin la situation personnelle concrète du requérant et les conséquences fâcheuses d'une expulsion sur sa vie familiale et relationnelle, comme le lui avait suggéré la Commission consultative. L'arrêté d'expulsion se borne à viser l'avis de la Commission consultative sans en discuter aucunement la pertinence, mais veillant par contre soigneusement à souligner que la Commission avait également relevé que les très nombreux délits commis par l'intéressé constituent pour la plupart des atteintes graves à l'ordre public justifiant l'expulsion. L'affirmation du Conseil d'Etat selon laquelle le respect de la vie privée familiale garanti par l'article 8 de ladite Convention ne fait pas obstacle à ce que soit prise une mesure qui, "dans une société démocratique est nécessaire à la sûreté publique" indique qu'il entendait énoncer un principe général de sa jurisprudence. Il faut y lire que pour le Conseil d'Etat, l'ordre public doit toujours l'emporter sur des considérations de vie familiale quelles qu'elles soient. C'est donc très logiquement que le Conseil d'Etat néglige de mentionner la situation particulière du requérant, puisqu'à ses yeux, il n'est pas nécessaire de la mettre en balance avec la protection de l'ordre public, cette dernière devant toujours l'emporter par principe. Ni l'arrêté d'expulsion ni l'arrêt du Conseil d'Etat n'ont donc tenu compte de l'ampleur toute spéciale de l'ingérence dans la vie familiale et privée du requérant dans le cas d'espèce, l'examen de son cas n'ayant jamais été effectué in concreto. Or, tous les éléments de fait démontrent à suffisance à quel point le lien de nationalité du requérant avec le pays de ses parents est purement formel. S'il correspond à une donnée juridique, ce lien de nationalité du requérant ne correspond toutefois à aucune réalité humaine concrète. Au regard des droits fondamentaux qui sont protégés par la Convention, le critère de nationalité pouvant éventuellement justifier une expulsion ne peut s'entendre que d'un réel rattachement à une entité humaine dont les membres sont unis par une communauté territoriale, de langues, de traditions et d'aspirations. Il faut conclure de tout ce qui précède qu'un juste équilibre n'a pas été assuré entre les intérêts en jeu et qu'il y a une disproportion entre les moyens employés et le but recherché. Les mesures litigieuses ne peuvent donc pas être considérées comme nécessaires dans une société démocratique.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'une violation des articles 3 et 8 (art. 3, 8) de la Convention en ce que la décision d'expulsion a provoqué une rupture brutale dans sa vie familiale et sociale et constitue un traitement inhumain et dégradant. Il allègue encore que l'arrêté royal d'expulsion pris contre lui consacre une discrimination fondée exclusivement sur sa nationalité, indépendamment de tout critère général et objectif. A l'appui de ces griefs, le requérant invoque les articles 3, 7, 8 et 14 (art. 3, 7, 8, 14) de la Convention. L'article 8 (art. 8) est ainsi libellé : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Quant à l'article 3 (art. 3), il stipule que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. L'article 14 (art. 14) de la Convention, quant à lui, interdit la discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention et l'article 7 (art. 7) interdit l'application rétroactive de sanctions pénales à des faits qui, selon la législation en vigueur au moment où ils se sont produits, n'entraînaient pas ces sanctions. A titre préliminaire, le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, au motif que le requérant n'aurait pas utilisé les voies de l'appel et de cassation qui lui étaient ouvertes contre l'ordonnance de référé du 21 mars 1988. Dans les circonstances particulières de l'affaire, la Commission estime qu'il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir exercé les recours indiqués par le Gouvernement. En effet, la procédure en référé introduite par le requérant ne tendait qu'à obtenir la suspension de l'exécution de la mesure d'expulsion, mesure contre laquelle le requérant a en temps utile poursuivi l'annulation devant les instances compétentes belges. La Commission est donc d'avis que, par l'arrêt du 16 octobre 1985, le requérant a épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Quant au fond, le requérant, soulignant le caractère formel de sa nationalité marocaine, estime que son expulsion ne peut être considérée comme une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales. En particulier, il considère qu'un juste équilibre n'a pas été assuré entre les intérêts en jeu et qu'il y a une disproportion entre les moyens employés et le but recherché. Le Gouvernement estime au contraire que la mesure d'expulsion prise à l'encontre du requérant, qui, à son avis, ne peut être considéré comme un étranger "théorique", se justifie au regard du par. 2 de l'article 8 (art. 8) de la Convention. En effet, la motivation de l'arrêté royal d'expulsion fait état du nombre et de la gravité des faits commis par le requérant, du comportement de l'intéressé et du fait qu'en l'espèce, la sauvegarde de l'ordre public devait prévaloir sur les conditions d'ordre social ou familial développées par la commission consultative des étrangers. La Commission a procédé à un premier examen des faits et des arguments des parties. Elle estime que les problèmes qui se posent en l'espèce se révèlent suffisamment complexes pour que leurs solutions doivent relever de l'examen du fond de l'affaire. Cette partie de la requête ne saurait dès lors être rejetée pour défaut manifeste de fondement, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint également du fait que la chambre du Conseil d'Etat, qui a rendu l'arrêt du 16 octobre 1985, ne constituerait pas une instance impartiale au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention car un des trois magistrats ayant siégé dans son affaire était le principal adjoint du Ministre de la Justice à l'époque où ce dernier a pris l'initiative de l'expulsion. L'article 6 par. (art. 6-1) 1 de la Convention stipule notamment : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil...". La Commission a déjà examiné, à l'occasion de requêtes antérieures dont elle a eu à connaître, la question de l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention aux questions d'expulsion. Elle a considéré que la décision d'autoriser ou non un étranger à rester dans un pays est un acte discrétionnaire des autorités publiques et qu'en conséquence, elle ne portait pas, comme tel, sur une contestation relative à des droits de caractère civil, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (N° 8144/78, déc. 2.5.79, D.R. 17, p. 157 ; N° 9285/81, déc. 6.7.82, D.R. 29 p. 205). Il s'ensuit que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'est pas applicable en l'espèce et que cet aspect de la requête doit donc être considéré comme incompatible avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant concernant les conséquences de la mesure d'expulsion. DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire Le Président en exercice de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (J.A. FROWEIN)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 12313/86
Date de la décision : 10/04/1989
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement) ; recevable (partiellement)

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : A.M.
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-04-10;12313.86 ?

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