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10/03/1989 | CEDH | N°12013/86

CEDH | ALBERTI contre l'ITALIE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12013/86 présentée par Gerlando ALBERTI contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS

H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPI...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 12013/86 présentée par Gerlando ALBERTI contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 19 décembre 1985 par Gerlando ALBERTI contre l'italie et enregistrée le 19 février 1986 sous le No de dossier 12013/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, Gerlando Alberti, est un ressortissant italien né en 1927 à Palerme. Il est actuellement détenu à Volterra. Devant la Commission, il est représenté par Me Dean, avocat à Perugia. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le 25 août 1980, le requérant fut arrêté avec quatre autres personnes - dont trois ressortissants français - dans le cadre d'une enquête concernant le trafic international de stupéfiants, dirigée par le parquet de Palerme. L'opération de police ayant abouti à son arrestation porta également à la découverte de deux laboratoires pour le raffinage des stupéfiants et fut suivie par d'autres arrestations, notamment à Paris et à Marseille. Cette opération de police avait été préparée grâce à la collaboration de M. J., propriétaire-gérant d'un hôtel où les trois ressortissants français avaient logé pendant une vingtaine de jours. M. J. avait notamment permis à deux fonctionnaires de police de se faire passer pour des membres de son personnel. Ainsi la police avait pu contrôler les déplacements des trois ressortissants français et choisir le meilleur moment pour intervenir. Le 28 août 1980, deux hommes, demeurés inconnus, entrèrent dans l'hôtel de M. J. à visage découvert, le tuèrent à coups de revolver alors qu'il se trouvait au téléphone de la réception, puis s'enfuirent à bord d'une voiture, retrouvée ensuite carbonisée. Les résultats de l'enquête menée par la police après ce meurtre furent consignés dans un rapport du 2 septembre 1980. Il en ressortait que tous les mobiles possibles avaient été pris en considération et examinés soigneusement : les membres de la famille et les collaborateurs de M. J. avaient été entendus pour vérifier si quelqu'un avait des motifs professionnels, ou autres d'inimitié envers la victime ; le comportement de M. J. dans la période précédant sa mort avait été également pris en considération. Selon les enquêteurs, le crime ne s'expliquait qu'en raison de la collaboration de la victime à l'opération qui avait permis de démasquer l'association des trafiquants dont le requérant paraissait le "chef". Suite à ce rapport, le parquet de Palerme ouvrit une information contre X. Puis, le 22 septembre 1980, le requérant et M. C. - qui était considéré son "lieutenant" - furent inculpés d'avoir été les instigateurs du meurtre. Au cours de l'instruction, plusieurs personnes ayant participé à l'opération de police ou aux enquêtes ultérieures, ainsi que les témoins du meurtre, furent entendues. Le requérant, M. C., les trois ressortissants français et d'autres complices arrêtés furent interrogés. Une inspection eut lieu à la prison de Palerme et il en résulta que les détenus en isolement pouvaient entrer en contact non seulement avec d'autres détenus, mais également avec des personnes de l'extérieur qui effectuaient des travaux dans la prison. Des documents se rapportant à une autre instruction en cours contre le requérant - qui faisait l'objet de poursuites pénales pour infractions à la législation sur les stupéfiants - notamment un rapport du 28 août 1980 de la police criminelle ("criminalpol") et les conclusions présentées par le parquet dans le cadre de cette procédure, furent aussi versées au dossier. A la fin de l'instruction, le procureur de la République demanda au juge d'instruction de prononcer un "non-lieu" : il n'existait pas, à ses yeux, de preuves suffisantes pour affirmer que l'ordre de tuer avait été donné par le requérant ou par M. C., compte tenu de ce que des complices se trouvant en liberté avaient pu, eux aussi, décider de se venger. Cependant, le 23 septembre 1982, le juge d'instruction en ordonna le renvoi devant la cour d'assises de Palerme. Il estima que les charges à l'encontre des inculpés étaient bien étayées : notamment, le meurtre n'avait été commis que peu de temps après la conclusion de l'opération de police à laquelle M. J. avait collaboré et les membres de l'organisation criminelle encore en liberté ne pouvaient donc ni connaître le rôle que M. J. avait joué, ni agir sans des instructions provenant du requérant ou de M. C. Les débats devant la cour d'assises de Palerme s'étalèrent du 27 janvier au 4 mars 1983. Le requérant renonça à y prendre part. Le 27 janvier 1983, après avoir interrogé M.C. et avoir donné lecture des déclarations faites par le requérant durant l'instruction, le tribunal entendit les témoins suivants : un capitaine de la gendarmerie, le surveillant-chef de la prison de Palerme ainsi que deux surveillants, un commissaire divisionnaire et un agent de police, la femme de M. J., le fiancé de la fille de ce dernier, deux employés de l'hôtel, la personne qui parlait au téléphone avec M. J. au moment de l'attaque meurtrière. Par la suite, les 28 et 31 janvier 1983, il fut donné lecture de diverses pièces, entre autres des rapports de police ainsi que d'un rapport établi par le Parquet relatant les défaillances de la prison de Palerme. Le 1er mars 1983, la cour d'assises entendit quatre autres témoins : un capitaine de la police fiscale ("Guardia di Finanza"), un adjoint au préfet de police de Palerme, le directeur de la prison de Palerme et un troisième surveillant. Les audiences des 2, 3 et 4 mars 1983 furent consacrées au réquisitoire du ministère public ainsi qu'à la plaidoirie des conseils des accusés. A l'issue de la dernière audience, soit le 4 mars 1983, la cour d'assises de Palerme prononça son jugement, condamnant le requérant à 24 ans de réclusion. Dans sa décision, elle constata que le seul mobile plausible du meurtre de M. J. était la vengeance et que personne, en dehors du requérant et ses complices, n'avait de raisons d'en vouloir à celui-ci. Par ailleurs, les modalités d'exécution du meurtre - qui laissent transparaître son origine "mafieuse" - et le fait qu'il ait eu lieu peu de temps après l'arrestation du requérant amenèrent la cour d'assises à conclure que l'ordre de tuer M. J. avait été donné par le requérant. En effet, celui-ci était le seul parmi les personnes arrêtées à avoir l'autorité pour donner cet ordre, vu sa position incontestée de "chef" de la branche sicilienne de l'organisation criminelle, ébranlée par l'opération de police. Quant aux membres de cette organisation criminelle qui n'avaient pas été arrêtés, la cour d'assises releva qu'ils n'avaient assurément pas eu une connaissance directe du rôle que M. J., en collaborant avec la police, avait joué dans l'arrestation de leur "chef". Ce rôle ne pouvait être connu que des trois ressortissants français car les fonctionnaires de police, qui avaient travaillé à l'hôtel et que ces derniers connaissent bien, avaient, eux aussi, participé à leur arrestation. Or, les trois ressortissants français n'avaient pu communiquer cette circonstance qu'au requérant et à M. C., et seulement ceux-ci connaissaient les "filières" pour transmettre des messages à l'extérieur de la prison en vue de donner l'ordre de tuer M. J. Sur la base de cet ensemble de preuves indirectes, qu'elle estima cohérentes avec le seul mobile plausible du meurtre, la cour d'assises jugea que le requérant était coupable. Elle acquitta, par contre, M. C. estimant qu'il n'était pas prouvé que le requérant l'eût consulté avant de prendre sa décision. Le requérant interjeta appel, faisant valoir qu'il avait été condamné sans preuves. Le ministère public en fit de même, soutenant que l'acquittement de M.C. n'était pas dûment motivé. Les débats devant la cour d'assises d'appel de Palerme se déroulèrent, au cours de cinq audiences, du 9 au 13 avril 1984. La cour interrogea M. C. et fit donner lecture des procès-verbaux concernant deux interrogatoires du requérant, qui avait renoncé à comparaître. Elle ordonna de verser au dossier copie du jugement du 19 avril 1983, par lequel le tribunal de Palerme avait condamné le requérant à 18 ans de réclusion pour avoir dirigé une organisation criminelle s'adonnant au trafic de stupéfiants, ainsi que copie du dispositif de l'arrêt confirmant, en appel, cette condamnation. Après avoir entendu le réquisitoire du ministère public et les plaidoiries des conseils des accusés, le 13 avril 1984, la cour d'assises d'appel de Palerme, faisant sien le raisonnement de la cour d'assises, rejeta l'appel du ministère public et l'appel du requérant et confirma la peine qui avait été infligée à ce dernier. Le 13 mars 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Dans son arrêt - dont le texte fut déposé au greffe le 25 juin 1985 - elle constata, d'abord, que les juges du fond n'avaient pas conclu au caractère mafieux du meurtre sur la base d'un "jugement de manière" ("apprezzamento di maniera"), mais en s'appuyant sur les modalités concrètes de son exécution, rapprochées des modalités suivies pour la plus grande partie des meurtres d'origine mafieuse commis en Sicile. Selon la Cour, à l'issue d'un examen rigoureux des résultats de l'enquête, les juges du fond étaient parvenus à établir le mobile, unique et exclusif du crime. Ils avaient, en effet, tenu compte non seulement de la succession temporelle des faits, mais aussi de circonstances certaines, à savoir : la présence à l'hôtel, en même temps que les ressortissants français, de policiers se prétendant membres du personnel en accord avec l'hôtelier ; l'important préjudice, d'ordre économique entre autres, que l'opération de police - facilitée par la collaboration de l'hôtelier - avait causé à l'organisation criminelle, qui avait ainsi "perdu" deux laboratoires et vu le grand nombre de ses membres arrêtés ; la perte de prestige considérable des éléments siciliens de l'organisation, qui n'avaient pas su assurer correctement la sécurité de l'activité criminelle ; l'absence confirmée d'autres mobiles, établie sur la base des dépositions des proches de la victime ainsi que sur les résultats de l'enquête de la police. De plus, les éléments d'accusation avaient tous été constatés sur la base de faits établis au cours de la procédure. Ainsi, la position occupée par le requérant au stade de l'organisation criminelle ressortait des pièces - dûment acquises au cours du procès et versées au dossier - concernant la procédure sur le trafic de stupéfiants. Cette procédure s'était terminée le 11 février 1985 par un arrêt de la Cour de cassation confirmant définitivement la condamnation du requérant. Le fait qu'après un séjour de trois semaines à l'hôtel, les ressortissants français s'étaient retrouvés - au moment de leur arrestation - face au policier ayant rempli la fonction de préposé à la réception des clients, justifiait la conclusion que ce policier avait été reconnu par ceux-ci. Il était établi, par ailleurs, que les ressortissants français avaient eu la possibilité de communiquer avec le requérant après leur arrestation et que la mesure d'isolement n'avait pas empêché l'un d'entre eux d'avoir des contacts avec d'autres détenus et ainsi se faire indiquer un avocat. De plus, les deux procureurs de la République chargés de l'information avaient personnellement constaté que la prison de Palerme ne permettait pas d'assurer l'isolement des détenus. Les juges du fond en avaient logiquement déduit que, d'une part, le requérant avait été informé par les ressortissants français de ce dont ils s'étaient aperçu, d'autre part, qu'il disposait de "filières" lui permettant de transmettre ses ordres à l'extérieur. En outre, l'extrême rapidité avec laquelle la vengeance avait été exécutée - moins de trois jours après l'arrestation du requérant et de ses quatre complices - avait amené les juges à exclure que d'autres membres de l'organisation criminelle aient pu connaître le rôle de M. J. et leur avait permis ainsi de limiter la recherche des commanditaires du meurtre aux cinq personnes arrêtées. Or, les trois ressortissants français étaient dépourvus de toute influence sur les éléments de la criminalité locale et M. C. était un simple exécutant ("gregario"). Le requérant était donc le seul parmi les cinq en mesure de prendre la décision d'exécuter M. J. et de donner des ordres à cet effet. La Cour de cassation conclut que le jugement d'appel ne se prêtait à aucune critique et confirma donc la condamnation du requérant.
GRIEFS Devant la Commission, le requérant se plaint de n'avoir été condamné que sur la base d'indices et de présomptions. Il fait valoir qu'il lui était impossible de se disculper d'accusations qui ne s'appuient sur aucun élément concret. Il allègue la violation de l'article 6 de la Convention.
EN DROIT Le requérant soutient que sa condamnation ne repose que sur des indices et des présomptions et allègue une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. La Commission examinera ce grief sous l'angle de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, qui garantit le droit à un "procès équitable". La Commission rappelle tout d'abord qu'elle a pour seule tâche, conformément à l'article 19 (art. 19) de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties Contractantes. En particulier, elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention. La Commission se réfère sur ce point à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 31, 61). La Commission souligne, également, que la question de l'admissibilité des preuves ainsi que de leur force probante relève essentiellement du droit interne (cf. par exemple, requête N° 7450/76, déc. Comm. 28.2.77, D.R. 9, p. 108, requête N° 8876/80, déc. Comm. 16.10.80, D.R. 23, p. 233). Il ne lui incombe pas par conséquent de se prononcer sur la question de savoir si les tribunaux nationaux les ont correctement appréciées. Elle rappelle ensuite que l'utilisation de preuves indirectes n'est pas exclu en soi par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (cf. requête N° 8945/80, déc. Comm. 13.12.83, D.R. 39, p. 50), mais que les juges, au moment de prendre leur décision, ne doivent arriver à une condamnation que sur la base de preuves directes ou indirectes suffisamment fortes, aux yeux de la loi, pour établir la culpabilité de l'intéressé. (cf. Barbera, Messegue et Jabardo c/Espagne, Rapport Comm. 16.10.1986, par. 104, Cour eur. D.H., série A n° 146, à paraître). Par ailleurs, les éléments de preuve doivent en principe être produits en audience publique, en vue d'un débat contradictoire (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Barbera, Messegue et Jabardo du 6 décembre 1988, par. 78, série A n° 146, à paraître). En l'espèce, la Commission constate qu'à défaut de preuves directes, les juges du fond ont établi que l'ordre d'exécuter M. J. avait été donné par le requérant. Pour cela, ils se sont fondés sur un faisceau de preuves indirectes, telles que l'existence d'un seul mobile plausible, à savoir la vengeance ; l'absence de personnes ayant un intérêt à tuer M. J. en dehors des membres de l'association criminelle qu'il avait contribué à démasquer ; l'impossibilité pour les complices du requérant se trouvant en liberté de connaître le rôle joué par M. J. en tant que collaborateur de la police ; la circonstance que le requérant était le seul, parmi les personnes arrêtées, à avoir l'autorité nécessaire à commanditer le meurtre ainsi que la possibilité de transmettre ses ordres à l'extérieur de la prison. La Commission constate également qu'il n'a pas été contesté par le requérant que les charges à son encontre aient été présentées et discutées contradictoirement tant devant les juges du fond que devant la Cour de cassation. Dès lors, rien dans le dossier ne permet de conclure que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable. Elle estime que la requête est par conséquent manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 12013/86
Date de la décision : 10/03/1989
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : ALBERTI
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-03-10;12013.86 ?

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