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10/03/1989 | CEDH | N°11940/86

CEDH | G.M. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11940/86 présentée par G.M. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS

H. DANELIUS G. BATLINER J....

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11940/86 présentée par G.M. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 10 mars 1989 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice S. TRECHSEL F. ERMACORA G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. L. LOUCAIDES M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 9 décembre 1985 par G.M. contre la France et enregistrée le 11 décembre 1985 sous le No de dossier 11940/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, né en 1931 à St Denis (la Réunion), a son domicile à St Paul (la Réunion). Dans la procédure devant la Commission il est représenté par Me A. Lyon-Caen, avocat au barreau de Paris. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Aux termes d'une procédure qui a duré plus de huit ans, le requérant s'est vu définitivement déclarer coupable d'abus de confiance et condamner à la peine de deux années d'emprisonnement dont six mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans ainsi qu'à des réparations civiles d'un montant de 1.891.278,05 francs. Au moment où a débuté la présente affaire, en 1976, le requérant se trouvait être depuis 23 ans employé de la Société anonyme "Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire" (N.C.H.P.), qui est une compagnie de transport maritime dont le siège social est à Paris. Plus précisément, le requérant était mandataire salarié, agent au port à Saint Denis de la Réunion,. Le mandat dont il disposait et qui résultait d'un acte notarié était particulièrement large (1). Nonobstant l'étendue de ses pouvoirs, le requérant se trouvait soumis au contrôle de l'Agent Général de la N.C.H.P. à la Réunion. Toutes les opérations passées par le requérant étaient donc contrôlées. Enfin, toute la comptabilité était systématiquement envoyée au service "Contrôle et Exploitation" du siège parisien de la N.C.H.P. Parallèlement, le requérant exerçait une autre activité, celle de consignataire de navires pour les navires étrangers à la N.C.H.P. Cette activité consiste, lorsqu'un navire arrive au port, à faire payer à son armateur une avance d'argent qui permettra le règlement du ravitaillement du navire ainsi que des dépenses locales concernant tant le navire que l'équipage.
_________________ (1) Il pouvait notamment "traiter avec tous créanciers, débiteurs ou simples comptables ... débattre, clôre et arrêter tous comptes actifs ou passifs ... les toucher ou payer, acquitter et payer également toutes autres sommes. Continuer et faire toutes les opérations de commerce de ladite société, faire tous achats et ventes des marchandises aux prix, charges et conditions que le mandataire avisera ... soumissionner tous marchés ... commander tous travaux, les faire exécuter par toutes entreprises de son choix, en effectuer le règlement et le paiement. Signer tous chèques et endossements, arrêter tous comptes courants et autres comptes de commerce ... donner quittance, acquits et décharges, signer la correspondance, traiter et transiger ... et généralement faire le nécessaire quoique non prévu aux présentes ...". Les opérations comptables passées par le requérant, par suite de la diversité des tâches lui incombant mais qui au demeurant interféraient les unes avec les autres, revêtaient une complexité certaine. Cette complexité se trouvait aggravée par suite de certaines pratiques instaurées par la N.C.H.P., notamment en ce qui concerne le transport de rhum, auxquelles était mêlé le requérant. La N.C.H.P. déposa plainte avec constitution de partie civile le 3 novembre 1976 contre le requérant du chef d'escroquerie. Celui-ci fut inculpé le 19 novembre 1976. Le 8 novembre 1977, le requérant, son épouse et un tiers, L.W., furent renvoyés devant le tribunal correctionnel de Saint Denis sous la prévention d'abus de confiance, de faux en écritures de commerce et de recel. Par jugement en date du 16 décembre 1977, le tribunal correctionnel déclara le requérant coupable d'abus de confiance ainsi que de faux en écritures de commerce et le condamna à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant cinq ans. L'épouse du requérant et L.W. furent, quant à eux, déclarés coupables de recel et condamnés à diverses peines. Les trois prévenus furent condamnés solidairement à verser à la N.C.H.P., partie civile, la somme de 1.891.278 francs, sans qu'à aucun moment le tribunal ne précise les motifs qui le conduisaient à tenir pour exactes les affirmations de la partie civile quant au montant des détournements dont elle aurait été victime. Le requérant interjeta appel de cette décision en date du 23 décembre 1977. Dans le même temps, il saisit la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une requête en suspicion légitime, qui fut rejetée le 25 juillet 1978. Le 19 octobre suivant, la cour d'appel de Saint Denis saisie de l'appel du requérant, de son épouse et de L.W., ainsi que du ministère public, annula par un arrêt le réquisitoire supplétif, tous les actes d'instruction et le jugement relatif au délit de faux et usage de faux reprochés au requérant ainsi que les actes d'instruction et de jugement concernant son épouse et L.W., qui furent ainsi mis hors de cause. Statuant sur les seuls faits d'abus de confiance reprochés au requérant, la cour ordonna un supplément d'information pour rechercher les éléments de preuve des détournements reprochés au requérant. Sur ce point, la cour s'exprima comme suit : .... "La Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour apprécier la commission par MONDON de l'ensemble des faits objet des poursuites pour abus de confiance qui ne peuvent pas être appréciés globalement par référence à certains documents examinés à titre d'exemple ; chacun des détournements imputés au prévenu qui se sont échelonnés sur plusieurs années doit être examiné et apprécié en fonction des preuves propres à chaque opération commerciale arguée de fraude ; en raison de la nature de ces opérations consistant en l'établissement de pièces comptables et l'émission de chèques à l'occasion de rapports commerciaux, il échet, en plus d'investigations de police judiciaire, de recourir à une expertise comptable pour déterminer quels étaient les tarifs appliqués par la N.C.H.P. pour le déchargement des navires, les incidences de modifications dans les moyens techniques de déchargement et le transbordement dans ces tarifs, les solutions apportées et les accords passés entre la N.C.H.P. et ses clients, l'intervention de G.M. en tant que Directeur de l'Agence du port dans l'application des tarifs et la tenue de la comptabilité afférente à ces opérations, pour examiner et rechercher au service comptable de la N.C.H.P. tous documents utiles ainsi qu'au service comptable des clients de cette société qui permettront de déterminer s'ils ont reçu le paiement ou le remboursement distinct des frais de manipulation, pour vérifier les chèques émis par MONDON à son ordre sur le compte de la N.C.H.P. et la destination des sommes prélevées, pour procéder encore à toutes vérifications sur la tenue du compte des armateurs étrangers consignataires et la destination donnée au solde de ce compte en recherchant les responsabilités de MONDON dans la gestion de ce service, ainsi que la destination des sommes devant servir à rembourser les exportateurs des trop perçus sur le montant des frais". Un conseiller de la cour d'appel fut commis pour procéder à ce supplément d'information avec mission de désigner deux experts comptables et de fixer préalablement le montant de la consignation supplémentaire à la charge de la N.C.H.P. Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Le 5 décembre 1978, le Président de la Cour de cassation déclara ce pourvoi irrecevable. Le 18 juin 1979, ce conseiller fixa à 280.000 francs le supplément de consignation devant être versé par la N.C.H.P. partie civile, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, ce montant étant justifié par l'ampleur et la complexité de l'expertise comptable envisagée. Or, la N.C.H.P., dont l'appel contre cette ordonnance fut déclaré irrecevable par la cour d'appel le 19 octobre 1979, se refusa à consigner la somme réclamée. Le supplément d'information ordonné par la cour d'appel ne fut donc pas exécuté. Le pourvoi du requérant, dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel du 19 octobre 1979, fut rejeté le 14 mai 1980. L'affaire revint donc en l'état devant la cour d'appel de Saint Denis qui, par arrêt en date du 26 novembre 1981, s'estima cette fois-ci, dans le même état de l'information, suffisamment informée. Elle confirma le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité et les intérêts civils, se bornant à modifier le quantum de la peine prononcée qui, bien que maintenue à trois ans d'emprisonnement, fut assortie d'un sursis de trente et un mois et d'une amende de 25.000 francs. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision en invoquant entre autres la violation de l'article 6 de la Convention. La chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 19 décembre 1983 cassa l'arrêt du 26 novembre 1981 pour avoir prononcé une peine supérieure au maximum légal. La cause et les parties furent renvoyées devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée. Le requérant souligne à cet égard que le siège du ministère public était occupé par un magistrat qui avait eu précédemment à connaître du dossier devant la Cour de cassation alors qu'il s'y trouvait être conseiller référendaire. Devant la cour d'appel de renvoi, entre autres moyens, le requérant souleva le problème de la lenteur excessive de la procédure suivie à son encontre, l'exception de prescription et l'absence de bien-fondé de la prévention retenue à son encontre. Mais, par arrêt en date du 12 juillet 1984, la cour d'appel de Saint Denis déclara le requérant coupable d'abus de confiance et le condamna à deux ans d'emprisonnement dont six mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans ainsi qu'au paiement à la N.C.H.P. de la somme de 1.891.278,05 francs à titre de dommages-intérêts. Une nouvelle fois, le requérant forma un pourvoi contre cette décision reprochant principalement à la cour d'appel d'avoir rejeté l'exception de prescription, de renversement de la charge de la preuve, et d'insuffisance de motifs. Mais, par arrêt du 24 juin 1985, la chambre criminelle de la Cour de cassation, considérant que "les juges apprécient souverainement l'intérêt ou non de maintenir un supplément d'information ...", rejeta le pourvoi formé par le requérant. La décision de la cour d'appel de Saint Denis du 12 juillet 1984 devint donc définitive et, par conséquent, les sanctions prononcées à l'encontre du requérant exécutoires.
GRIEFS Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1, 2 et 3 de la Convention.
1. Le requérant estime qu'il n'a pas été jugé dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention. En l'espèce, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la N.C.H.P. le 3 novembre 1976, le requérant a été inculpé le 19 novembre 1976. Or, ce n'est que le 24 juin 1985 qu'il sera définitivement statué sur sa culpabilité par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Par conséquent, huit ans et sept mois se sont écoulés entre l'inculpation du requérant et le prononcé de la décision statuant définitivement sur sa culpabilité. Le requérant expose qu'il ressort de la chronologie des différentes étapes procédurales que de nombreux retards ne sont dus ni à la complexité de cette affaire ni même aux voies de recours qu'il a utilisées mais à des lenteurs administratives injustifiées. L'exercice des voies de recours par le requérant ne suffirait ainsi pas à lui seul à expliquer la durée anormalement longue de la procédure contrairement à ce qu'a affirmé sur ce point la cour d'appel de Saint Denis le 12 juillet 1984. Le requérant souligne notamment qu'il a fallu huit mois à la chambre criminelle pour examiner la requête en suspicion légitime qu'il avait déposée. De même, six mois se sont écoulés sans que l'on en connaisse la raison entre le 5 décembre 1978, date à laquelle le président de la Cour de cassation a rendu une ordonnance déclarant irrecevable le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt avant dire droit du 19 octobre 1978 de la cour d'appel de Saint Denis, et le moment où est intervenue l'ordonnance fixant la consignation à la charge de la N.C.H.P., soit le 18 juin 1979. Le requérant relève également qu'un an s'est écoulé entre le 14 mai 1980, date à laquelle la chambre criminelle rejeta le second pourvoi formé par le requérant contre un arrêt de la cour d'appel du 19 octobre 1979 ayant déclaré irrecevable l'appel de la N.C.H.P. tout en déboutant par ailleurs le requérant de sa demande en irrecevabilité de l'action de cette dernière, et les 7 et 8 mai 1981, dates auxquelles se sont déroulés les débats au fond devant la cour d'appel de Saint Denis. Cette juridiction ne rendit sa décision qu'après six mois de délibéré, soit le 26 novembre 1981. Enfin, il s'écoula plus de deux ans avant que ne soit examiné le pourvoi du requérant formé contre cet arrêt du 26 novembre 1981. Il y a donc eu 56 mois de retard inexpliqué et qui ne sont nullement dûs aux recours exercés par le requérant mais uniquement à des lenteurs administratives et judiciaires.
2. Le requérant se plaint également de ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial. Il souligne sur ce point que le siège du ministère public était occupé, dans la cour d'appel de renvoi, par un magistrat qui avait eu à connaître du dossier antérieurement lorsqu'il était conseiller référendaire à la Cour de cassation.
3. Le requérant n'aurait pas non plus bénéficié d'un procès équitable. Il invoque à cet égard outre le paragraphe 1er, les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 de la Convention. Il fait observer que les juges ont retenu à son encontre une série de faits constitutifs d'abus de confiance dont ils avaient eux-mêmes considéré dans une précédente décision qu'ils n'étaient pas matériellement établis. Le requérant rappelle que les faits qui lui étaient reprochés consistaient en de prétendus détournements commis à l'occasion d'opérations commerciales pour le moins complexes et diverses puisqu'elles recouvrent la période 1970-1976. C'est pourquoi la cour d'appel de Saint Denis, dans son arrêt avant dire droit du 19 octobre 1978, avait ordonné un supplément d'information devant comporter une expertise comptable approfondie, qui n'a pas été exécutée par suite du refus de la partie civile de consigner la somme fixée par le conseiller chargé d'exécuter cette mesure d'instruction complémentaire. Or, le requérant note que, bien que ce supplément d'information n'ait jamais eu lieu, la même cour d'appel statuant au fond, le 26 novembre 1981, a confirmé sans aucun autre motif, la décision des premiers juges en énonçant qu'elle "n'était pas liée par un arrêt avant dire droit ; que la circonstance que le supplément d'information ordonné le 19 octobre 1978 n'a pu être exécuté dans son objet principal, à savoir l'expertise comptable, ne fait pas obstacle à ce que les juges du fond puissent modifier leur appréciation souveraine de la force probante des moyens de preuve qui leur sont proposés". Le requérant estime qu'en l'état d'une telle contradiction, on ne saurait considérer qu'il a bénéficié d'un procès équitable, et ce d'autant moins qu'il y a lieu d'insister sur la complexité et la diversité des opérations commerciales passées par le requérant et qui auraient été à l'origine de détournements commis par ce dernier. Le requérant a donc été déclaré globalement coupable de détournements portant sur la somme de 1.891.278,05 francs sans qu'à aucun moment de la procédure, les détournements ainsi reprochés au requérant aient été examinés un à un. Par là même, il considère qu'il a été fait échec aux droits de la défense car, faute que lui soient précisées de manière séparée les différentes opérations en cause, il s'est trouvé nécessairement gêné dans sa défense (article 6 par. 3 de la Convention). En l'espèce, le requérant estime qu'il a été jugé sur les seules affirmations de la partie civile. L'existence du montant des détournements reprochés au requérant n'a pas été légalement établie. Dans de telles conditions, l'absence de procès équitable a eu pour conséquence une violation de l'article 6 par. 2 de la Convention aux termes duquel toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 9 décembre 1985 et enregistrée le 11 décembre 1985. Le 5 octobre 1987, la Commission a décidé d'inviter le Gouvernement de la France à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, et en particulier sur la violation alléguée de l'article 6 par. 1 de la Convention. Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le 16 février 1988. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 10 juin 1988.
EN DROIT Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1, 2 et 3 (6-1, 6-2, 6-3) de la Convention.
1. Le requérant estime tout d'abord qu'il n'a pas été jugé dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le Gouvernement défendeur soulève sur ce point une exception d'irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes. Il fait observer que le requérant aurait dû mettre en cause la responsabilité de l'Etat en vertu de l'article L 781.1 du code de l'organisation judiciaire. Cette disposition lui permettait de présenter une demande d'indemnité fondée sur la durée prétendument excessive de la procédure et donc sur une faute lourde dans le fonctionnement de la justice. Le requérant quant à lui conteste l'argumentation du Gouvernement et soutient que cette action ne lui aurait éventuellement permis que d'obtenir réparation de son préjudice, mais non de modifier ou de rapporter la décision définitive prise au mépris de ses droits. Il en conclut que ce recours ne correspond pas à l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission rappelle que l'épuisement des voies de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que pour autant qu'elles sont efficaces et suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de remédier à la situation en cause (voir Cour Eur. D.H., arrêt De Jong, Baljet et van den Brink du 22.05.84, série A n° 77, p. 19, par. 39). Elle relève à cet égard que le Gouvernement ne cite aucune jurisprudence qui ait fait application de l'article L 781.1 du code de l'organisation judiciaire. La Commission estime de plus que la voie de recours mentionnée par le Gouvernement n'était pas susceptible de porter remède à la situation dénoncée par le requérant, à savoir la durée excessive de la procédure. Elle considère dès lors que l'action en responsabilité de l'Etat ne pouvait constituer, dans les circonstances de l'espèce, un recours efficace au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée à cet égard par le Gouvernement français ne saurait être retenue. Sur le fond, le Gouvernement avance trois arguments pour expliquer la durée de la procédure. Il se réfère tout d'abord à l'attitude, selon lui délibérée, du requérant qui non seulement a fait usage de toutes les voies de recours à sa disposition, mais l'aurait fait souvent de manière purement dilatoire et abusive. Le Gouvernement cite en particulier la requête en suspicion légitime rejetée le 25 juillet 1978 par la Cour de cassation et le pourvoi rejeté par la même Cour le 14 mai 1980, recours qui, d'après lui, étaient manifestement dépourvus de sérieux. Le Gouvernement expose que la deuxième explication de la longueur de la procédure réside dans les difficultés d'ordre juridique nées du refus de la partie civile de verser la somme dont la consignation lui avait été demandée en juin 1979, difficultés n'ayant été résolues que par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 décembre 1983. Le Gouvernement invoque enfin la complexité de l'affaire sur le plan des faits et la nécessité de procéder à des mesures d'information nécessairement longues. Le requérant quant à lui estime que ces éléments ne permettent pas de justifier notamment le délai de plus de deux ans qui s'est écoulé avant que la Cour de cassation ne rejette son pourvoi le 19 décembre 1983, ni les six mois de délibéré de la cour d'appel de Saint Denis avant l'arrêt du 26 novembre 1981, ni le délai d'un an s'étant écoulé entre l'arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1980 et les débats devant la cour d'appel de Saint Denis. Le requérant rappelle par ailleurs qu'il a fallu huit mois à la chambre criminelle pour examiner sa requête en suspicion légitime et six mois à la chambre d'accusation pour fixer le montant de la consignation demandée à la partie civile. Sur le fond, la Commission note que le requérant a été inculpé le 19 novembre 1976 et que sa condamnation est devenue définitive à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 1985. La procédure a donc duré 8 ans et 7 mois. Elle rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités judiciaires (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35 par. 80). La Commission estime que la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit quant au grief concernant la longueur de la procédure, qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée sur ce point, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2)de la Convention. La Commission constate d'autre part que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2. Le requérant se plaint ensuite de ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial ainsi que l'exige l'article 6 par. 1. (art. 6-1) Il expose que, lorsque la cour d'appel se prononça après renvoi de la Cour de cassation par arrêt du 19 décembre 1983, le siège du ministère public était occupé par un magistrat qui avait eu précédemment à connaître du dossier devant la Cour de cassation en tant que conseiller référendaire. Sur ce point, le Gouvernement fait observer que ce magistrat n'était pas rapporteur de cette requête devant la Cour de cassation et avait seulement une voix consultative. Il ajoute que devant la cour d'appel ce magistrat, qui occupait le siège du ministère public, n'a pas eu à décider du bien-fondé de l'accusation pénale dirigée contre le requérant. Le requérant, quant à lui, insiste sur l'importance qu'ont les réquisitoires du ministère public dans la formation de la décision des juges qui siègent. La Commission constate que ce magistrat n'a à aucun moment participé à la prise de décision concernant le bien-fondé de l'accusation pénale dirigée contre le requérant. Elle rappelle que la garantie d'impartialité prévue par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne s'applique qu'aux magistrats qui participent à la prise de décision et ne concerne pas le ministère public. Elle estime en conséquence que la situation dénoncée par le requérant n'a pas eu d'incidence sur l'impartialité du tribunal appelé à statuer. Rien n'indique que celui-ci ait pu par ailleurs faire preuve de partialité à l'égard du requérant. La Commission en conclut que le grief concernant la partialité alléguée du tribunal est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint ensuite de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il expose que les juges de la cour d'appel avaient dans un premier temps ordonné un supplément d'information pour rechercher les éléments de preuve des détournements qui lui étaient reprochés. Un conseiller de la cour d'appel fut commis pour procéder à ce supplément d'information, désigner deux experts comptables et fixer le montant de la consignation supplémentaire à la charge de la N.C.H.P. Cette dernière ayant refusé de verser la somme, l'affaire fut jugée en l'état par la cour d'appel qui, par arrêt du 26 novembre 1981, estima qu'elle "n'était pas liée par un arrêt avant dire droit, que la circonstance que le supplément d'information ordonné le 19 octobre 1978 n'a pu être exécuté dans son objet principal, à savoir l'expertise comptable, ne fait pas obstacle à ce que les juges du fond puissent modifier leur appréciation souveraine de la force probante des moyens de preuve qui leur sont proposés". Le requérant souligne qu'il a uniquement dénoncé le fait qu'il avait été jugé sans preuve sur les seules affirmations de la partie civile, et que ce point est établi par le fait même que la cour d'appel a dans un premier temps estimé qu'il était indispensable d'ordonner une expertise comptable et qu'elle a ensuite, sans hésiter à se contredire, considéré qu'elle pouvait statuer en l'état. Le requérant en conclut qu'en l'absence de toute expertise comptable, donc de tout élément d'information, la cour d'appel n'a retenu que les seules affirmations de la partie civile. Le Gouvernement expose que l'appréciation du caractère probant des pièces du dossier par les juges du fond, l'appréciation par ces mêmes juges du fond de la nécessité de procéder à des mesures d'instruction complémentaires, et la déclaration de culpabilité qui résulte éventuellement de ces appréciations échappent, en vertu d'une jurisprudence constante, à l'examen et au contrôle de la Commission, faute de quoi celle-ci se transformerait en un degré supplémentaire de juridiction. Le Gouvernement se réfère en outre à plusieurs documents versés à l'époque au dossier, pour certains par la partie civile, à la suite du supplément d'information décidé par l'arrêt avant dire droit du 19 octobre 1978 : - Etude sur les comptes bancaires personnels du requérant à La Réunion ; - Liste détaillée des chèques encaissés en espèces par le requérant et des chèques remis à l'encaissement aux comptes bancaires du requérant ou émis à l'ordre de tiers ; - Synthèse des tableaux de ventilation des chèques avec total ; - Rapport du 4 septembre 1979 de la Direction départementale de la concurrence et de la consommation ; - Lettre du 2 juin 1980 du chef de ce service ; - Mémoire sur les méthodes de détournement du requérant, et annexes. En ce qui concerne l'appréciation des preuves, la Commission rappelle que dans l'affaire Barbera, Messegué et Jabardo, la Cour s'est prononcée comme suit : "Il revient en principe aux juridictions internes, et spécialement au tribunal de première instance, d'apprécier les éléments recueillis par elles et la pertinence de ceux dont l'accusé souhaite la production (...). La Cour doit cependant rechercher - en quoi elle s'accorde avec la Commission - si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve à charge et à décharge, a revêtu le caractère équitable voulu par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) " (voir Cour Eur. D.H. arrêt du 6.12.88, série A n° 146 par. 68). La Commission relève qu'en l'espèce, si l'expertise primitivement ordonnée n'a pas été effectuée, des pièces nouvelles ont toutefois été versées au dossier après le complément d'information demandé par la cour d'appel (voir supra). La Commission note qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Saint Denis du 26 novembre 1981 que le requérant a, au cours de l'instruction, avoué à quatre reprises (19/11/76, 13/12/76, 9/2/77 et 7/3/77) avoir utilisé à des fins personnelles des fonds de son employeur. Se référant à la jurisprudence précitée, la Commission estime en conséquence que la cour d'appel a pu estimer suffisants les éléments de preuve recueillis à l'occasion du supplément d'information ordonné, l'appréciation des preuves relevant de la seule compétence des magistrats. D'autre part il n'a été nullement établi, comme le prétend le requérant, que ce dernier ait été condamné sans preuves sur les seules affirmations de la partie civile. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art; 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint encore de ne pas avoir bénéficié de la présomption d'innocence prévue par l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Il soutient en particulier que l'existence du montant des détournements qui lui étaient reprochés n'a pas été légalement établie. Le Gouvernement souligne que le requérant a été condamné sur la base d'un dossier complet contenant notamment ses propres aveux recueillis à quatre reprises au cours de l'instruction, et de nombreuses pièces dont un mémoire sur les méthodes de détournement du requérant, une étude sur ses comptes bancaires et un rapport du droit de la concurrence et de la consommation sur les opérations de manutention dans le port. Le Gouvernement en conclut que la culpabilité du requérant a bien été établie à l'issue d'un procès qui a respecté la présomption d'innocence. La Commission est d'avis que rien dans le dossier ne vient étayer la thèse selon laquelle les juridictions seraient parties de la conviction ou de la supposition que le requérant avait commis l'acte incriminé. Rien n'indique non plus qu'au moment de prendre leur décision les juridictions n'auraient pas prononcé la condamnation sur le fondement de preuves directes ou indirectes suffisamment fortes, aux yeux de la loi, pour établir la culpabilité du requérant. La Commission estime en conséquence qu'il ne se déduit nullement qu'il ait été porté atteinte à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant se plaint enfin d'une atteinte aux droits de la défense et invoque l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention. Il expose que le fait que les différentes opérations en cause n'aient pas été examinées une par une ne lui a pas permis de se défendre correctement. Le Gouvernement observe qu'il est constant que l'ensemble des pièces figurant au dossier et sur la base desquelles les juges ont formé leur conviction ont été connues du requérant qui a largement été en mesure de les discuter, commenter ou critiquer. Le Gouvernement en conclut que la procédure a été parfaitement contradictoire. La Commission relève que le requérant a été constamment assisté d'un avocat qui a eu la parole en dernier devant les différentes juridictions. Elle note également que les différentes pièces du dossier lui ont été communiquées et qu'il a eu l'occasion d'en prendre connaissance et de les critiquer. Elle estime enfin que rien dans le dossier tel qu'il lui a été soumis ne révèle l'apparence d'une violation des droits de la défense tels que garantis par l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la durée de la procédure ; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire Le Président en exercice de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (J.A. FROWEIN)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11940/86
Date de la décision : 10/03/1989
Type d'affaire : Decision (Partielle)
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : G.M.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-03-10;11940.86 ?

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