La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/02/1989 | CEDH | N°11152/84

CEDH | AFFAIRE CIULLA c. ITALIE


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE CIULLA c. ITALIE
(Requête no11152/84)
ARRÊT
STRASBOURG
22 février 1989
En l’affaire Ciulla*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,

R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, gre...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE CIULLA c. ITALIE
(Requête no11152/84)
ARRÊT
STRASBOURG
22 février 1989
En l’affaire Ciulla*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
Mme  D. Bindschedler-Robert,
MM.  F. Gölcüklü,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
Mme  E. Palm,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 septembre 1988 et 26 janvier 1989;
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 15 juillet 1987, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (no 11152/84) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Salvatore Ciulla, avait saisi la Commission le 5 juin 1984 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui découlent de l’article 5 paras. 1 et 5 (art. 5-1, art. 5-5).
2.   En réponse à l’invitation prescrite à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).
3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1987, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Matscher, M. B. Walsh, M. R. Macdonald et M. A.M. Donner, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, M. J. De Meyer, suppléant, a remplacé M. Donner qui avait donné sa démission et dont le successeur à la Cour était entré en fonctions avant les audiences (articles 2 par. 3 et 22 par. 1 du règlement).
4.   Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil du requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à son ordonnance, le greffe a reçu le mémoire du requérant le 5 octobre 1987 et celui du Gouvernement le 29 décembre.
Par une lettre arrivée le 5 février 1988, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué s’exprimerait lors des audiences.
5.   Le 25 septembre 1987, le président a autorisé le requérant à employer la langue italienne pendant la procédure (article 27 par. 3).
6.   Le 23 mars 1988, la Chambre a résolu, en vertu de l’article 50 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.
7.   Le même jour le président de la Cour a décidé, après avoir recueilli l’opinion des comparants par les soins du greffier, que la procédure orale s’ouvrirait le 24 mai 1988 (article 38 du règlement). A cette date, la Cour a renvoyé les audiences car le conseil du requérant ne s’était pas présenté; le 1er juillet, le président les a fixées au 28 septembre.
8.   Les débats ont eu lieu en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. L. Ferrari Bravo, chef du Service
du contentieux diplomatique du ministère des Affaires  
étrangères,  agent,
Me G. Grasso, avocat,
M. G. Raimondi, magistrat,  conseils;
- pour la Commission
M. A. Weitzel,  délégué;
- pour le requérant
Me M. Catalano, avocat,  conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de son président, MM. Ferrari Bravo, Grasso et Raimondi pour le Gouvernement, M. Weitzel pour la Commission et Me Catalano pour M. Ciulla.
9.   Commission, Gouvernement et conseil du requérant ont déposé une série de pièces les 11 mai, 20 mai, 20 septembre, 28 septembre et 25 octobre 1988.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE
10.   M. Salvatore Ciulla, né à Palerme en 1950, a fait l’objet en Italie d’une série de poursuites pénales engagées par différents parquets, ainsi que d’une procédure de "prévention" (prevenzione). Bien que le présent litige ne porte pas sur les premières, il y a lieu de donner ci-après quelques indications sur l’une d’entre elles, ouverte à Milan, en raison de son chevauchement avec les circonstances de la cause.
A. Les poursuites pénales intentées à Milan
11.   Appréhendé en avril 1982 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, l’intéressé bénéficia pendant l’instruction, le 9 décembre 1982, d’un élargissement sous contrôle judiciaire.
12.   Le 24 octobre 1983, le tribunal de Milan lui infligea onze ans et six mois de réclusion ainsi que 70 millions de lires d’amende, assortis d’une mesure de sûreté qui consistait en huit années de liberté surveillée.
13.  En conséquence, il révoqua le 8 novembre 1983, à la demande du ministère public et en vertu de l’article 277 du code de procédure pénale, la mise en liberté du requérant et décerna un nouveau mandat d’arrêt fondé sur l’existence d’un danger de fuite.
Sur les conclusions conformes du parquet général, la Cour de cassation annula cette décision le 30 janvier 1984, accueillant ainsi le recours de M. Ciulla. Elle estima "irrégulier", parce que non concomitant avec le jugement de condamnation, le retrait du bénéfice de l’élargissement accordé le 9 décembre 1982; quant au nouveau mandat, il se trouvait "vicié pour défaut de motifs" car ni la gravité de la peine prononcée ni la fuite de coïnculpés ne constituaient des justifications pertinentes et suffisantes. Sur le premier point, l’ordonnance décidait le renvoi de l’affaire au tribunal de Milan; les comparants n’ont fourni aucun renseignement sur les suites que celui-ci a pu y réserver.
L’intéressé recouvra aussitôt sa liberté.
14.  Le 1er février 1985, la cour d’appel de Milan réforma le jugement du 24 octobre 1983 en ramenant la peine à neuf ans de réclusion et 50 millions de lires d’amende. Le 22 janvier 1986, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant et déclara irrecevable celui du ministère public.
B. La mesure préventive d’assignation à résidence appliquée au requérant
15.  Les 1er et 10 octobre 1983, alors que le procès en première instance touchait à sa fin (paragraphe 12 ci-dessus), le chef de la police (questore) et le procureur de la République de Milan invitèrent le tribunal de la même ville à prendre contre M. Ciulla une mesure préventive de "surveillance spéciale" (sorveglianza speciale), doublée de l’interdiction de séjourner dans diverses régions. Ils préconisèrent en outre des mesures accessoires de caractère patrimonial, à savoir la saisie et la confiscation de biens. La première partie de leur demande s’appuyait sur l’article 3 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956, la seconde sur la loi no 575 du 31 mai 1965 (paragraphes 19-20 ci-dessous).
16.  Le 19 décembre 1983, le tribunal (6e chambre) tint une première audience mais dut ajourner les débats en raison d’une irrégularité qui entachait certaines notifications.
Ultérieurement, l’affaire fut réinscrite au rôle pour le 5 mars 1984. Dans l’intervalle, le parquet avait modifié ses conclusions le 29 février: il sollicitait désormais une mesure d’assignation à résidence (soggiorno obbligato), prévue elle aussi par la loi de 1956.
L’intéressé ne comparut pas le 5 mars. Comme il fallait lui communiquer les nouvelles réquisitions du ministère public, le tribunal renvoya l’examen de la cause.
En définitive, les débats se déroulèrent le 8 mai. A cette date, le parquet réclama l’arrestation de M. Ciulla, présent dans la salle, en vertu de l’article 6 de la loi de 1956 (paragraphe 19 ci-dessous). Le président de la 6e chambre en décida ainsi et l’intéressé fut écroué le jour même à la maison d’arrêt de Milan.
Pour constater l’existence de "raisons d’une gravité particulière", au sens dudit article, le ministère public invoqua entre autres la lourde condamnation infligée par le tribunal de Milan (paragraphe 12 ci-dessus). Quant au président, il statua en ces termes (traduction de l’italien):
"Le président de la 6e chambre pénale,
vu la demande du ministère public, du 8 mai 1984, tendant à l’incarcération de Ciulla Salvatore en vertu de l’article 6 de la loi no 1423 de 1956,
relevant que Ciulla Salvatore a été proposé pour l’assignation à résidence dans une commune déterminée et qu’il existe des raisons d’une gravité particulière, à savoir tous les indices mentionnés dans la demande du chef de la police et du ministère public ainsi que la récente condamnation à 11 ans et 6 mois de réclusion et à une amende de 70 millions de lires, infligée [à l’intéressé] pour des délits graves concernant des stupéfiants; que Ciulla Salvatore, personne soupçonnée d’appartenir à des associations à caractère "mafieux", apparaît, sur la base de l’ensemble du dossier, très mêlé au trafic international illicite de stupéfiants; que sa dangerosité sociale se révèle donc suffisamment prouvée en l’état et en vue de la présente décision; rappelant aussi les arguments développés dans la demande du ministère public,
Par ces motifs, vu l’article 6 de la loi no 1423 de 1956,
ORDONNE
que Ciulla Salvatore, né à Palerme le 21 février 1950, soit détenu dans la maison d’arrêt de Milan jusqu’à ce que la décision à prendre dans la présente procédure soit devenue exécutoire.
Le conseil de M. Ciulla demanda immédiatement l’élargissement provisoire de son client; le tribunal réserva sa décision à cet égard.
17.  Le 24 mai, la 6e chambre du tribunal ordonna l’assignation à résidence du requérant pour cinq ans, en vertu de l’article 3 de la loi de 1956, et la confiscation de certains de ses biens.
La police le conduisit, le 25, dans une petite ville de la province d’Ancône. Il n’y séjourna que jusqu’au 24 octobre 1984: il fut alors appréhendé en exécution d’un mandat décerné par le juge d’instruction de Palerme dans le cadre d’autres poursuites.
18.  M. Ciulla purge actuellement la peine prononcée contre lui par la cour d’appel de Milan (paragraphe 14 ci-dessus).
II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS
A. La législation en vigueur à l’époque
19.  La loi no 1423 du 27 décembre 1956 ("la loi de 1956") permet d’adopter des mesures de prévention à l’égard des "personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publique". Elle se trouve résumée pour l’essentiel dans l’arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980 (série A no 39, pp. 17-19, paras. 45-51); il suffit d’en reproduire ici l’article 6, tel que l’a modifié la loi no 152 du 22 mai 1975 (traduction de l’italien):
"Si la proposition [d’une mesure de prévention] tend à l’assignation à résidence dans une commune déterminée, le président du tribunal, pendant la procédure (...), peut, quand il existe des raisons d’une gravité particulière, ordonner par décision motivée que l’intéressé soit gardé en prison jusqu’à ce que la mesure de prévention soit devenue définitive.
En même temps que l’assignation à résidence dans une commune déterminée, le tribunal ordonne que [l’intéressé] soit amené par la police de la prison où il se trouve à la commune de résidence et confié à l’autorité locale de police."
20.  Quant à la loi no 575 du 31 mai 1965 ("la loi de 1965"), amendée en 1982, elle complète celle de 1956 par des règles de procédure et de fond (personnelles et patrimoniales) dirigées contre les personnes dont des indices révèlent l’appartenance à des groupes "mafieux". Ses dispositions n’ont aucune incidence sur l’article 6 précité (voir aussi l’arrêt Guzzardi susmentionné, p. 19, par. 52).
B. La modification de 1988
21.  Postérieure aux faits de la cause, la loi no 327 du 3 août 1988 a remanié les lois de 1956 et 1965. Elle ne prévoit plus la possibilité d’incarcérer l’intéressé pendant l’examen de la demande d’assignation à résidence, mesure qui désormais doit être exécutée dans la commune où il a son domicile ou sa résidence (comune di residenza o di dimora abituale). L’article 6 de la loi de 1956 se lit dorénavant ainsi (traduction de l’italien):
"1. Si la proposition tend à la surveillance spéciale avec assignation à résidence ou interdiction de séjour, le président du tribunal, pendant la procédure (...), peut ordonner par décision (decreto) le retrait temporaire du passeport et la suspension, pour la sortie du territoire, de la validité de tout autre document équivalent.
2. S’il existe des raisons d’une gravité particulière, il peut aussi ordonner que l’assignation à résidence ou l’interdiction de séjour soit provisoirement imposée à l’intéressé jusqu’à ce que la mesure de prévention soit devenue définitive."
C. La jurisprudence relative au statut de la Convention dans l’ordre juridique interne
22.  D’après la documentation fournie par les comparants, les juridictions italiennes - Cour constitutionnelle, cours et tribunaux judiciaires et administratifs - ont rendu d’assez nombreuses décisions quant au statut de la Convention dans l’ordre juridique interne du pays, auquel elle se trouve incorporée en vertu de la loi no 848 du 4 août 1955.
A une exception près - un arrêt des chambres réunies de la Cour des comptes, du 27 mars 1980 (Foro italiano 1980, III, colonnes 352-355) -, elles ne lui ont pas reconnu valeur constitutionnelle. En outre, elles ne semblent pas avoir eu l’occasion de préciser si elle occupe, comme l’affirme une partie de la doctrine, un rang intermédiaire entre la Constitution et les lois ordinaires, c’est-à-dire si elle prime jusqu’aux lois postérieures à sa ratification par l’Italie.
23.  En ce qui concerne, spécialement, l’article 5 (art. 5) de la Convention, le Gouvernement a produit la teneur de six décisions; aucune d’elles ne porte sur la loi de 1956.
Il s’agit d’abord de quatre arrêts de la Cour de cassation. Selon le cas, ils citent un passage d’un rapport de la Commission (1e chambre pénale, 7 décembre 1981, Minore), soulignent l’utilité interprétative de la Convention (chambres réunies, 13 juillet 1985, Buda) ou concluent à l’absence de violation du paragraphe 2 de l’article 5 (art. 5-2) (1e chambre pénale, 9 juillet 1982, Signorelli, et 25 mars 1986, Trinco).
S’y ajoutent deux jugements du tribunal de Rome, relatifs au paragraphe 5 (art. 5-5). Le premier, du 15 mai 1973, n’a pas statué sur la réparation car il n’a relevé aucune infraction au paragraphe 1 (art. 5-1) (Luttazzi, Foro italiano 1973, I, colonnes 2933-2936); le second en revanche, du 7 août 1984, a octroyé une indemnité au demandeur (Mustacchia, Temi Romana 1984, pp. 977-980).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
24.  M. Ciulla a saisi la Commission le 5 juin 1984 (requête no 11152/84). Sans se plaindre de son assignation à résidence en elle-même, il alléguait que la privation de liberté subie par lui auparavant, du 8 au 25 mai 1984 (paragraphes 16-17 ci-dessus), avait méconnu le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention. Il invoquait aussi le paragraphe 5 (art. 5-5) car il n’avait pas eu droit à une réparation pour sa privation de liberté.
25.  La Commission a retenu la requête le 5 décembre 1985. Par la suite, le Gouvernement l’a invitée à nouveau à la déclarer irrecevable, mais elle a constaté que les conditions d’application de l’article 29 (art. 29) ne se trouvaient pas remplies.
Dans son rapport du 8 mai 1987 (article 31) (art. 31), elle arrive, par dix voix contre deux, à la conclusion qu’il y a eu infraction à l’article 5 paras. 1 et 5 (art. 5-1, art. 5-5). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
26.  Dans son mémoire du 29 décembre 1987, le Gouvernement a prié la Cour de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, en ordre subsidiaire, de constater l’absence de violation de l’article 5 paras. 1 et 5 (art. 5-1, art. 5-5).
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRELIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
27.  Selon le Gouvernement, M. Ciulla disposait de quatre voies de recours internes qu’il n’a pas épuisées. Elles auraient consisté:
- pour le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention, à se pourvoir en cassation contre la décision litigieuse du 8 mai 1984, du chef de défaut ou contrariété de motifs (i) et de manquement aux exigences dudit paragraphe (ii), ainsi qu’à demander un contrôle de la constitutionnalité de l’article 6 de la loi de 1956 (iii), afin de soulever "en substance" la question d’une atteinte à la liberté physique;
- pour les allégations concernant le paragraphe 5 (art. 5-5), à intenter contre l’État une action en réparation (iv).
A. Sur la forclusion
28.  La Cour connaît de pareilles exceptions préliminaires pour autant que l’État en cause les ait déjà présentées à la Commission, en principe au stade de l’examen initial de la recevabilité, dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient (voir, entre autres, l’arrêt Bozano du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 19, par. 44).
29.  Cette condition ne se trouve pas remplie pour les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen. Le Gouvernement affirme implicitement le contraire en renvoyant à ses observations de l’époque, résumées aux paragraphes 14 et suivants de la décision de la Commission sur la recevabilité, du 5 décembre 1985, mais il se bornait à y souligner que l’intéressé avait négligé de se pourvoir en cassation pour "fausseté" et "défaut de motifs". Cela correspondait à la première branche du moyen, dont il échet par conséquent d’apprécier le bien-fondé, tandis que pour les trois autres il y a forclusion.
B. Sur le bien-fondé de la première branche de l’exception
30.  D’après le Gouvernement, le requérant aurait pu et dû demander à la Cour suprême de cassation d’annuler, pour défaut de base légale ou contrariété de motifs, la décision rendue le 8 mai 1984 par le président de la 6e chambre du tribunal de Milan.
31.  L’article 26 (art. 26) de la Convention n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude, sans quoi leur manquent l’accessibilité et l’effectivité voulues (voir notamment l’arrêt de Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A no 77, p. 19, par. 39). Il incombe à l’État défendeur, s’il plaide le non-épuisement des voies de recours internes, de démontrer la réunion de ces diverses conditions (voir, entre autres, l’arrêt Johnston et autres du 18 décembre 1986, série A no 112, p. 22, par. 45).
32.  Or le Gouvernement ne fournit pas la preuve nécessaire. Tout d’abord, le recours indiqué par lui n’aurait pas eu trait à la violation dénoncée: M. Ciulla se plaint de la décision du président non pour insuffisance de motivation, mais pour méconnaissance de l’article 5 (art. 5). En outre, ledit recours n’eût pas été adéquat: incompétente pour examiner les questions de fait, la Cour de cassation ne se trouvait pas à même de remédier à la situation de l’intéressé qui, devant les organes de la Convention, n’a pas contesté la conformité de la mesure litigieuse de détention à l’article 6 de la loi de 1956. De toute manière, elle n’aurait pu se prononcer dans un délai inférieur à la durée - seize jours - de la privation de liberté incriminée. Il suffit de relever, à cet égard, qu’elle a eu besoin de près de trois mois pour statuer sur un autre pourvoi du requérant concernant, lui aussi, la légalité d’une détention (paragraphes 12-13 ci-dessus).
C. Récapitulation
33.  En résumé, l’exception préliminaire est sans fondement dans sa première branche et se heurte à la forclusion pour les trois autres.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DE L’ARTICLE 5 (art. 5)
34.  M. Ciulla allègue la violation des paragraphes 1 et 5 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-5), ainsi libellés:
"1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi;
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci;
2.-4. (...)
5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation."
La détention ordonnée le 8 mai 1984 par le président de la 6e chambre du tribunal de Milan s’analyse sans contredit en une privation de liberté, de sorte que l’article 5 (art. 5) s’applique en l’espèce.
A. Paragraphe 1 (art. 5-1)
35.  Pour légitimer la privation de liberté litigieuse, le Gouvernement invoque uniquement les alinéas b) et c) (art. 5-1-b, art. 5-1-c); les autres n’entrent pas en ligne de compte en l’occurrence.
1. Alinéa b) (art. 5-1-b)
36.  Le Gouvernement ne prétend pas qu’il y ait eu "insoumission à une ordonnance rendue (...) par un tribunal", mais selon lui l’arrestation et la détention de l’intéressé tendaient à "garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi".
Ces derniers mots désignent une obligation, spécifique et concrète (arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 37, par. 101), existant à la charge de quelqu’un. Or l’obligation, en elle-même spécifique et concrète, de se rendre et séjourner dans la commune d’assignation à résidence n’a pris naissance que le 24 mai 1984 (paragraphe 17 ci-dessus), et non dès le 8 mai 1984, date de la décision incriminée.
2. Alinéa c) (art. 5-1-c)
37.  D’après le Gouvernement, la détention litigieuse se justifiait également sous l’angle de l’alinéa c) (art. 5-1-c): il y aurait eu aussi bien "des raisons plausibles de soupçonner" le requérant d’avoir "commis une infraction" que "des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher [d’en] commettre une".
38.  La Cour souligne que l’alinéa c) (art. 5-1-c) permet exclusivement des privations de liberté ordonnées dans le cadre d’une procédure pénale. Cela ressort de son libellé, qu’il faut lire en combinaison avec d’une part l’alinéa a) (art. 5-1-c+5-1-a) et d’autre part le paragraphe 3 (art. 5-1-c+5-3), avec lequel il forme un tout (voir entre autres, sur ce dernier point, l’arrêt de Jong, Baljet et van den Brink précité, série A no 77, p. 22, par. 44).
39.  Le Gouvernement invoque d’abord l’existence d’affinités entre des poursuites pénales et la procédure de prévention qu’organise la loi de 1956 (paragraphe 19 ci-dessus); il tire argument de la circonstance - niée par M. Ciulla - que le tribunal de Milan aurait ordonné l’assignation à résidence en raison d’un comportement "mafieux", délictueux par lui-même aux termes de l’article 416 bis du code pénal. La mesure ainsi prescrite se comparerait à une sanction. Dès lors, la détention de l’intéressé du 8 au 25 mai 1984 représenterait une réaction contre une personne soupçonnée d’une infraction; elle correspondrait donc à la première des hypothèses de l’alinéa c) (art. 5-1-c).
Aux yeux de la Cour, la procédure de prévention introduite par la loi de 1956 tend à des fins différentes de celles des poursuites pénales. L’assignation à résidence autorisée par l’article 3 peut, contrairement à une condamnation à l’emprisonnement, se fonder sur de simples indices et non sur des preuves; partant, la privation de liberté qui y prélude parfois en vertu de l’article 6, comme en l’espèce, ne saurait être assimilée à la détention provisoire régie par l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention.
Le Gouvernement affirme aussi que des poursuites pénales se trouvaient, à l’époque, pendantes contre le requérant pour infraction à l’article 416 bis précité. M. Ciulla le conteste. Pour sa part, la Cour se borne à constater que les autorités judiciaires italiennes n’ont pas placé l’intéressé en détention provisoire au titre de ces poursuites.
40.  Toujours d’après le Gouvernement, à la base de la décision privative de liberté en cause figuraient également "des motifs raisonnables de croire à la nécessité [d’]empêcher" l’accomplissement d’"une infraction".
Même si cette thèse devait être acceptée, il resterait que ladite décision ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une procédure pénale. Le mandat décerné le 8 novembre 1983 par le tribunal de Milan à la suite de son jugement de condamnation du 24 octobre précédent fut annulé par la Cour de cassation le 30 janvier 1984 (paragraphe 13 ci-dessus). Quant à l’arrestation opérée le 8 mai 1984, elle avait pour but de conjurer le risque de voir le requérant "se soustraire à l’éventuelle mesure de prévention à prendre"; la Cour en veut pour preuve les propres termes des conclusions présentées le même jour par le ministère public et de la décision du président de la 6e chambre du tribunal de Milan, qui s’y référait (paragraphe 16 ci-dessus). Ni le parquet ni le président ne mentionnaient une ou des infractions concrètes et déterminées - les seules qui entrent en ligne de compte au regard de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) (arrêt Guzzardi précité, série A no 39, pp. 38-39, par. 102) - qu’il s’agissait de mettre M. Ciulla hors d’état de perpétrer: ils se fondaient sur les "graves infractions" passées qui lui avaient valu sa "lourde condamnation" par le tribunal de Milan (paragraphe 12 ci-dessus) et sur des "indices" révélateurs de sa "dangerosité sociale".
3. Conclusion
41.  Le Gouvernement estime qu’en interprétant l’article 5 par. 1 (art. 5-1) en l’espèce, il faut avoir égard au contexte général dans lequel s’insère la détention litigieuse.
La Cour ne sous-estime certes pas l’importance de la lutte de la République italienne contre la délinquance organisée, mais elle note que la liste limitative dressée par le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention appelle une interprétation étroite (voir en dernier lieu l’arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A no 129, p. 19, par. 43). De plus, elle relève que la loi no 327 du 3 août 1988 a modifié l’article 6 de la loi de 1956 en supprimant la possibilité d’une détention préalable à l’exécution de la mesure de prévention (paragraphe 21 ci-dessus). Le législateur a pu en décider ainsi sans renoncer en aucune manière à un combat légitime.
42.  En conclusion, il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1).
B. Paragraphe 5 (art. 5-5)
43.  L’intéressé invoque aussi le paragraphe 5 de l’article 5 (art. 5-5): le droit italien ne fournirait aucun moyen de demander aux juridictions nationales une réparation pour violation du paragraphe 1 (art. 5-1).
Le Gouvernement, lui, affirme que pareille possibilité existait bel et; bien dans l’hypothèse - non réalisée selon lui - d’une telle violation; faute de l’avoir utilisée, M. Ciulla ne saurait alléguer la méconnaissance du paragraphe 5 (art. 5-5).
44.  A la différence de l’affaire Brogan et autres (arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 35, paras. 66-67), le présent litige soulève la question du respect de cette disposition par un État qui a incorporé la Convention à son ordre juridique interne.
A l’appui de son argumentation, le Gouvernement cite deux jugements du tribunal de Rome, des 15 mai 1973 et 7 août 1984 (paragraphe 23 ci-dessus). Toutefois, aucun d’eux n’a été rendu dans le domaine de la loi de 1956, postérieure à la ratification par l’Italie de la Convention. Le Gouvernement soutient que celle-ci a en Italie rang de norme constitutionnelle ou, pour le moins, y prévaut sur l’ensemble des lois ordinaires, sans distinction de date. Pareille thèse ne correspond pourtant pas à la jurisprudence dominante des cours et tribunaux italiens, car aucune décision signalée à la Cour ne reconnaît expressément la primauté de la Convention sur les lois postérieures (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, dans les circonstances de la cause la jouissance effective du droit garanti par l’article 5 par. 5 (art. 5-5) de la Convention ne se trouve pas assurée à un degré suffisant de certitude.
Dans le cadre d’un règlement amiable, conclu en 1985 devant la Commission au sujet de la requête no 9920/82 de M. Mario Guido Naldi, le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé "à proposer des amendements" à un projet de loi dont il avait saisi la Chambre des députés, "afin que le principe d’un droit à réparation (...) soit établi de façon tout à fait certaine ainsi que le prescrit l’article 5 par. 5 (art. 5-5) de la Convention" (rapport du 11 mai 1985, Décisions et rapports no 42, p. 67).
45.  Il y a donc aussi violation du paragraphe 5 (art. 5-5). Ce constat ne préjuge pas de la compétence de la Cour pour accorder au titre de l’article 50 (art. 50) une satisfaction équitable de caractère pécuniaire.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
46.  Aux termes de l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
47.  Le requérant ne sollicite pas le remboursement de frais et dépens; or pareille question n’appelle pas un examen d’office (voir, en dernier lieu, l’arrêt Brogan et autres précité, série A no 145-B, p. 36, par. 70).
48.  Il demande en revanche, pour préjudice, une indemnité dont il laisse à la Cour le soin de fixer le montant. Sur ce dernier point, le délégué de la Commission considère qu’il échet de s’inspirer de l’arrêt Guzzardi (précité, série A no 39, pp. 41-42, paras. 112-114).
Comme le relève le Gouvernement, M. Ciulla ne fournit pas de précisions, ni de commencement de preuve, sur la nature et l’étendue des dommages qui résulteraient de la privation de liberté subie par lui du 8 au 25 mai 1984. D’après la plaidoirie de son conseil, il s’intéresse surtout à voir déclarer l’incompatibilité de cette détention avec l’article 5 (art. 5).
La Cour admet d’autre part qu’il a pu éprouver un certain tort moral, mais dans les circonstances de la cause elle estime que le constat de violations de l’article 5 (art. 5) constitue en soi une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 50 (art. 50).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, le Gouvernement forclos à se prévaloir de la règle de l’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la possibilité
(a) d’invoquer l’article 5 (art. 5) de la Convention à l’appui d’un pourvoi en cassation;
(b) de demander un contrôle de la constitutionnalité de l’article 6 de la loi de 1956;
(c) d’engager contre l’État une action en réparation;
2. Rejette à l’unanimité, pour défaut de fondement, le restant de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes;
3. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention;
4. Dit, par treize voix contre quatre, qu’il y a violation du paragraphe 5 de la même disposition (art. 5-5);
5. Dit, à l’unanimité, que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 50 (art. 50).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 22 février 1989.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion dissidente de M. Valticos, approuvée par M. Matscher;
- opinion partiellement dissidente commune à Mme Bindschedler-Robert et M. Gölcüklü.
R.R.
M.-A.E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE VALTICOS, APPROUVEE PAR M. LE JUGE MATSCHER
1.   Si je ne me suis pas rangé à l’opinion de la majorité de la Cour qui a estimé qu’il y a eu violation de la Convention dans le cas présent, ce n’est pas que je sois opposé à son raisonnement sur le plan que l’on pourrait qualifier de "technique". C’est plutôt parce que je pense que la question doit être examinée dans un cadre plus général.
Il convient, en effet, à mon sens, de considérer dans leur ensemble, d’une part, les dispositions de l’article 5 (art. 5) de la Convention prises dans leur esprit aussi bien que dans leur lettre, et, d’autre part, les diverses procédures qui, en Italie, se sont déroulées en ce qui concerne l’affaire Ciulla.
Pour ce qui est de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention, il est manifeste que cet article vise essentiellement à accorder aux individus des garanties judiciaires contre l’arbitraire policier et administratif qui pourrait conduire à les priver de liberté.
Pour ce qui est de la procédure suivie en Italie dans l’affaire Ciulla, il s’agissait d’une série de poursuites et de décisions enchevêtrées qui ont fait intervenir des juridictions de différents niveaux et qui ont abouti à une condamnation définitive à une peine de neuf ans de réclusion. La privation de liberté, au surplus d’une durée de seize jours, qu’il a subie au cours de ces procédures complexes ne saurait être considérée isolément et ne devrait pas être détachée de l’ensemble des procédures et phases judiciaires dans lequel elle se situait. Bien plus, on ne peut ignorer le fait que cette privation de liberté, même si elle ne constituait pas proprement en elle-même une décision de caractère juridictionnel, émanait d’un magistrat en tant que membre d’un organe judiciaire. Il serait artificiel, me semble-t-il, d’isoler cette phase du déroulement général du procès, si complexe que celui-ci ait été. En considérant la situation dans son ensemble, il me paraît excessif de conclure à une violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention.
2.   Quant à l’article 5 par. 5 (art. 5-5), d’une part, comme je considère qu’il n’y a pas violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1), j’estime que la question ne doit pas se poser. D’autre part, la portée exacte de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) soulève, comme on l’a fait observer dans d’autres cas, des problèmes difficiles. Pour n’en donner ici qu’un aperçu, je dirai simplement qu’on doit partir du principe d’après lequel la Convention ne saurait imposer un système constitutionnel national prévoyant l’incorporation automatique de la Convention - une fois ratifiée - dans l’ordre juridique interne et encore moins sa primauté sur les lois ordinaires. Dans ces conditions, la question de la réparation prévue par l’article 5 par. 5 (art. 5-5) doit être examinée indépendamment de la question de l’incorporation de la Convention dans l’ordre interne et sur la base du droit interne, que celui-ci incorpore ou non les termes mêmes de la Convention. Du reste, en supposant même que le droit interne incorpore les termes de la Convention, on voit mal comment un juge national pourrait donner effet aux termes de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) si des dispositions nationales plus précises ne venaient en concrétiser le contenu. La disposition ne semble pas, sous réserve d’une appréciation par les tribunaux nationaux, avoir le caractère self-executing. C’est donc normalement une disposition expresse et précise du droit interne qui devrait donner effet à l’article 5 par. 5 (art. 5-5).
A cette première série de difficultés, s’ajoute une seconde, d’ordre plus logique que juridique. Peut-on normalement s’attendre à ce qu’un gouvernement accorde directement une réparation pour une arrestation ou détention faite par ses autorités dans des conditions conformes à sa propre législation mais contraires à l’article 5 (art. 5) de la Convention, avant que la Cour n’ait reconnu cette contrariété (sauf si le gouvernement s’en rend compte à un stade antérieur, ce qui est pour le moins incertain)? On est ainsi amené à penser que la question de la mise en oeuvre de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) ne pourrait vraiment se poser qu’après que la Cour aurait constaté la violation des dispositions de fond de l’article 5 (art. 5) et que le gouvernement, à qui cette conclusion aurait été signifiée, n’aurait pas donné suite au paragraphe 5 de cet article (art. 5-5). On saurait difficilement parler de violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) avant le déroulement de cette double phase.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE A Mme BINDSCHEDLER-ROBERT ET M. GÖLCÜKLÜ, JUGES
En ce qui concerne la violation, constatée par la majorité de la Cour, du paragraphe 5 de l’article 5 (art. 5-5) de la Convention, nous souscrivons au raisonnement développé par M. le juge Valticos dans le deuxième alinéa du paragraphe 2 de son opinion dissidente.
Nous approuvons l’arrêt pour le surplus.
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 9/1987/132/183.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT CIULLA c. ITALIE
ARRÊT CIULLA c. ITALIE
ARRÊT CIULLA c. ITALIE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE VALTICOS, APPROUVEE PAR M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT CIULLA c. ITALIE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE VALTICOS, APPROUVEE PAR M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT CIULLA c. ITALIE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE A Mme BINDSCHEDLER-ROBERT ET M. GÖLCÜKLÜ, JUGES


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 11152/84
Date de la décision : 22/02/1989
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (non-épuisement des voies de recours internes, forclusion) ; Violation de l'Art. 5-1 ; Violation de l'Art. 5-5 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES


Parties
Demandeurs : CIULLA
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1989-02-22;11152.84 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award