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12/12/1988 | CEDH | N°11993/86

CEDH | SUOFFOU c. FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11993/86 présentée par Soudja SOUFFOU contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 décembre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS

J. CAMPINOS Mme G.H. THUNE Sir Basil ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11993/86 présentée par Soudja SOUFFOU contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 12 décembre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS J. CAMPINOS Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 19 novembre 1985 par Soudja SOUFFOU contre la France et enregistrée le 21 février 1986 sous le No de dossier 11993/86 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, né en 1942 à Chounghi (Mayotte), est tailleur de profession. Au moment de l'introduction de la requête il était détenu à la maison d'arrêt de Strasbourg. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Me Roland Houver, avocat au barreau de Strasbourg, et par Me Max Sitti, avocat au barreau de Paris. Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit : En date du 29 juin 1983, le requérant a été placé en garde à vue par la gendarmerie prévôtale des Forces Françaises de Donaueschingen (R.F.A.), agissant en tant qu'officier de police judiciaire des ressortissants faisant partie des Forces armées en Allemagne et soumis à la juridiction du tribunal aux armées des Forces Françaises situé à Landau. Il était soupçonné de viol sur la personne de sa fille Fatima âgée de seize ans. S'agissant d'une affaire pénale, un juge d'instruction a été nommé et le requérant incarcéré à la prison prévôtale de Landau. Au début de l'instruction, le requérant a été assisté d'abord par un défenseur militaire agréé par l'autorité militaire, en application de l'article 23 du Code de justice militaire (1). Toutefois, par la suite, le défenseur militaire, ayant accompli ses obligations à l'égard de l'armée, n'a plus pu assurer la défense du requérant, lequel a alors choisi Me Sitti du barreau de Paris. D'entrée, un problème a surgi dans la mesure où le requérant ne maîtrisait que très imparfaitement la langue française : il s'exprimerait très mal dans cette langue et ne la comprendrait qu'avec difficulté. Au demeurant, dans le procès-verbal de perquisition est mentionnée la déclaration suivante : "Souffou Soudja ne sachant ni lire ni écrire, nous donne verbalement son assentiment exprès formulé comme suit : 'Sachant que je puis m'opposer à la visite de mon domicile, je consens expressément à ce que vous y opériez les perquisitions et les saisies que vous jugerez utiles à l'enquête en cours.' Cet assentiment a été donné en présence de deux témoins."
____________ (1) Art. 23 du Code de justice militaire : "Devant les tribunaux aux armées, la défense est assurée par les avocats inscrits au barreau ou admis en stage, ou par un militaire agréé par l'autorité militaire ..." En date du 3 mai 1984, le conseil du requérant a demandé la désignation d'un expert, ce afin de vérifier les connaissances de la langue française de l'intéressé. Toutefois, par ordonnance du 4 septembre 1984, le juge d'instruction a refusé de donner suite à cette demande, ordonnance contre laquelle le requérant n'a pas interjeté appel, tel qu'il ressort de l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar du 25 octobre 1984, siégeant en tant que chambre de contrôle de l'instruction du tribunal aux armées des Forces Françaises en Allemagne. Néanmoins, la chambre d'accusation a statué sur la question de l'assistance de l'interprète en réponse aux conclusions du conseil du requérant, Me Max Sitti, datées du 15 octobre 1984, dans lesquelles celui-ci faisait explicitement référence à la violation de l'article 6 par. 3 a) et e) de la Convention. La chambre d'accusation a qualifié l'infraction reprochée au requérant de délit d'attentat à la pudeur et renvoyé ce dernier devant le tribunal aux armées des Forces Françaises en Allemagne. Ce tribunal, par jugement du 6 mars 1985, a condamné le requérant à une peine de prison d'une durée de six ans, dont deux avec sursis, soit une peine privative de liberté d'une durée de quatre ans. Cette peine a été assortie d'une mise à l'épreuve de cinq ans. Lors des débats devant cette juridiction, le requérant était assisté pour la première fois d'un interprète. Par l'intermédiaire de son conseil, Me Max Sitti, le requérant a également déposé des conclusions en cours des débats, relatives à la nullité des procédures antérieures pour défaut d'assistance d'un interprète, lesquelles ont été rejetées parce qu'elles n'avaient pas été déposées in limine litis. Le requérant s'est pourvu en cassation et aurait formulé une demande en vue d'obtenir l'assistance d'un avocat. Toutefois, par arrêt du 30 mai 1985, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, qui a été notifié au requérant le 25 juin 1985. La Cour a considéré qu'aucun moyen n'a été produit à l'appui du pourvoi, que le tribunal a été composé conformément à la loi, qu'il était compétent, que la procédure était régulière et la peine légalement appliquée aux faits déclarés constants par le tribunal. Il résulte des indications fournies par le Gouvernement français, qu'un avocat aux conseils est expressément désigné dès lors que l'auteur du pourvoi, qui a demandé que lui soit commis un avocat d'office, a été condamné définitivement à une peine ferme au moins égale à trois ans, ce qui est le cas dans la présente affaire. Or, en l'espèce, il n'a été trouvé aucune trace , ni auprès du Parquet général de la Cour de cassation, ni auprès de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation, de ce que le requérant aurait présenté une demande aux fins d'obtenir la désignation d'office d'un conseil. Le document versé par le requérant à l'appui de sa requête devant la Commission fait état d'une demande d'aide judiciaire déposée le 5 mai 1985 auprès du bureau d'aide judiciaire établi près du Conseil d'Etat. Mais ce bureau, qui n'examine que les demandes d'aide judiciaire relatives à des procédures portées devant cette juridiction, était incompétent pour connaître de la demande du requérant.
GRIEFS Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. a), c) et e), ainsi que de l'article 14 de la Convention.
1. Article 6 par. 3 a) et e) de la Convention Il soutient que dès le début de l'instruction, on lui aurait refusé l'assistance d'un interprète alors qu'il avait déclaré ne pas maîtriser la langue française. Le requérant souligne qu'il ressort des procès-verbaux de la garde à vue du 29 juin 1983 qu'il ne savait ni lire ni écrire. Au demeurant, les débats devant la juridiction de fond se sont déroulés avec la présence d'un interprète, ce qui, selon le requérant, prouve bien que l'autorité judiciaire française reconnaissait par là même que les connaissances du requérant de la langue française étaient insuffisantes et qu'elles l'étaient donc, à plus forte raison, pendant les mois précédents au cours desquels se sont déroulées l'enquête préliminaire et l'instruction.
2. Article 6 par. 3 c) de la Convention En outre, au début de l'instruction, il n'avait pu bénéficier que de l'assistance d'un conseil militaire alors que l'article 6 par. 3 c) de la Convention garantit à tout accusé le droit de se faire assister gratuitement par un avocat d'office, c'est-à-dire un "professionnel du droit" répondant notamment à la condition d'"indépendance" et de l'"égalité des armes", conditions nécessaires à l'équité d'un procès. En particulier, le requérant s'élève contre le fait que la Cour de cassation a rejeté son pourvoi au motif "qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi, que le tribunal a été composé conformément à la loi ; qu'il était compétent ; que la procédure est régulière et la peine légalement appliquée aux faits déclarés constants par le tribunal". A cet égard, le requérant prétend qu'il n'a pas eu à sa disposition un avocat d'office, quoi qu'il en ait fait la demande au greffe de la Cour de cassation et rempli des formulaires d'aide judiciaire à cet effet. Au surplus il se serait heurté au mutisme du personnel de la maison d'arrêt prévôtale de Landau. Il ne disposait, par voie de conséquence, d'aucun moyen pour s'adresser à la Haute Juridiction en vue d'obtenir la désignation d'un avocat d'office. En outre, la Cour de cassation a estimé que la procédure était régulière. Elle s'est donc également prononcée sur les nullités invoquées précédemment par la chambre d'accusation et, notamment, sur le fait que le requérant n'avait pas eu à sa disposition un interprète dès l'enquête préliminaire diligentée par la gendarmerie.
3. Articles 14 et 6 de la Convention Le requérant se plaint encore d'une discrimination en violation de l'article 14 combiné avec l'article 6 de la Convention en raison de ce qu'en procédure pénale militaire le délai d'appel contre les ordonnances du juge d'instruction n'est que de vingt-quatre heures alors qu'il est de cinq jours dans une procédure pénale ordinaire. Le fait d'avoir été assisté par un défenseur militaire et non par un avocat commis d'office constituerait également une discrimination. Enfin, le pourvoi en cassation est le seul appel possible contre un jugement rendu par un tribunal aux armées alors qu'il en va différemment dans une procédure pénale ordinaire.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de ce que l'assistance d'un interprète lui a été refusée dans la phase de l'instruction alors qu'il aurait déclaré ne pas maîtriser la langue française. Il allègue à cet égard la violation de l'article 6 par. 3 litt. a) et e) (Art. 6-3-a-e) de la Convention, aux termes desquels, "Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; ........... e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience." Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, aux termes de l'article 26 (Art.26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". En l'espèce, il ressort des décisions judiciaires, notamment du jugement de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar du 25 octobre 1984, que le requérant n'a pas interjeté appel contre l'ordonnance du 4 septembre 1984 rejetant la demande d'expertise sur sa connaissance de la langue française déposée le 3 mai 1984. En outre, ainsi qu'il résulte du jugement du tribunal aux armées des Forces Françaises en date du 6 mars 1985, n'ont pas davantage été soulevées devant cette juridiction, appelée à statuer au fond, les exceptions concernant l'assistance d'un interprète lors de la procédure d'instruction. Le requérant ne saurait dès lors être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes. Au demeurant, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, de soulever ce grief dans la procédure susmentionnée. Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, sur les points considérés, conformément à l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant allègue en outre la violation de l'article 6 par. 3 c) de la Convention dans la mesure où il prétend n'avoir pu bénéficier, au début de l'instruction, que de l'assistance d'un conseil militaire, en application de l'article 23 du Code de justice militaire alors que l'article 6 par. 3 c) (Art. 6-3-c) de la Convention garantit à tout accusé le droit de se faire assister gratuitement par un avocat d'office, c'est-à-dire un "professionnel du droit". En particulier, le requérant s'élève contre le fait que la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en cassation au motif "qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi, que le tribunal a été composé conformément à la loi ; qu'il était compétent ; que la procédure est régulière et la peine légalement appliquée aux faits déclarés constants par le tribunal", alors qu'il n'a pu avoir à sa disposition un avocat d'office, quoiqu'il en ait fait la demande au greffe de la Cour de cassation et rempli les formulaires d'aide judiciaire à cet effet. Il échet de relever, au vu des décisions judiciaires rendues en l'espèce et des indications fournies par le Gouvernement français, que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes à cet égard. En effet, il n'a fait valoir les griefs concernant le défenseur militaire dans la phase antérieure à la procédure principale ni devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar, ni devant le tribunal aux armées des Forces Françaises. Quant au défaut d'assistance par un avocat d'office dans la procédure de cassation, il n'existe, selon les renseignements fournis par le Gouvernement, aucune trace, ni auprès du Parquet général de la Cour de cassation ni auprès de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation, de ce que le requérant aurait présenté une demande aux fins d'obtenir la désignation d'office d'un conseil. Par ailleurs, le requérant n'a pas démontré qu'il a valablement formulé une telle demande. Le requérant ne saurait dès lors être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes. Cette partie de la requête doit donc aussi être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, par application de l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention.
3. Enfin, pour autant que le requérant formule des griefs au titre des articles 6 et 14 (Art. 6, 14) combinés de la Convention, en raison de ce qu'une procédure pénale militaire, telle que celle dont il a fait l'objet, présente des garanties différentes de celles d'une procédure pénale ordinaire, il y a lieu de relever que le requérant n'a soulevé à aucun moment ces griefs devant les juridictions internes. Cet aspect de la requête est donc également irrecevable et doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Type d'affaire : Décision
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : SUOFFOU
Défendeurs : FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission
Date de la décision : 12/12/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11993/86
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-12-12;11993.86 ?

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