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15/07/1988 | CEDH | N°10443/83

CEDH | C. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 10443/83 présentée par C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 juillet 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS

G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THU...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 10443/83 présentée par C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 juillet 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 (art. 25) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 juin 1983 par C. contre la France et enregistrée le 21 juin 1983 sous le No de dossier 10443/83 ; Vu la décision de la Commission, en date du 8 juillet 1985 de porter la requête à la connaissance du Gouvernement de la France et d'inviter ce dernier à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête ; Vu les observations du Gouvernement de la France du 3 décembre 1985 ; Vu les observations en réponse produites par le requérant le 27 février 1986 ; Vu les informations complémentaires présentées par le Gouvernement de la France et le requérant respectivement les 24 juillet et 11 août 1987 d'une part, 17 juin 1987 d'autre part ; Vu le complément d'information présenté par le requérant en date du 23 juin 1988 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le requérant, de nationalité française, né en 1922, actuellement au chômage, réside à Paris. Il est représenté dans la procédure devant la Commission par Mes Jean et Corinne Imbach, avocats au barreau de Strasbourg. Admis en 1949 au concours d'inspecteur-élève des Contributions directes puis titularisé dans le grade d'inspecteur par arrêté du 25 avril 1951, le requérant a été affecté auprès du directeur des Contributions directes du département ... Postérieurement à sa mutation, le 1er juillet 1952, dans la région parisienne, le requérant a occupé successivement, pendant plusieurs années, des fonctions de vérificateur et d'inspecteur divisionnaire dans les anciens départements de ... et ... Le requérant a été promu inspecteur central des impôts par arrêté du 29 juin 1964 et, après avoir exercé ses fonctions quelques mois au sein de diverses cellules dépendant de la direction des services fiscaux à Paris-Ouest, le requérant a été muté, sur sa demande, le 1er septembre 1975, à la tête de l'Inspection des Contributions directes de ..., poste dont il a assumé la responsabilité jusqu'à sa suspension de fonctions intervenue le 19 juillet 1978. En effet, à la fin du mois de mai 1978, l'attention de l'administration aurait été appelée sur le comportement professionnel du requérant, dans le cadre d'une enquête menée par l'administration des douanes sur un certain L., directeur de sociétés et de bureaux d'études parisiens. Invité à se présenter d'urgence au cabinet du directeur des services fiscaux, le requérant reçut des mains de ce dernier, le 5 juin 1978, une lettre du 23 mai précédent qui l'informait de l'ouverture d'une enquête administrative à son encontre et l'écartait provisoirement du service, sans qu'il fût porté atteinte à sa rémunération ou à ses droits à l'avancement. Par la suite, le requérant fut suspendu de ses fonctions par un arrêté ministériel du ... juillet 1978 prenant effet le 13 juillet 1978, date de la notification à l'intéressé. Le 8 septembre 1978, à la suite d'une plainte déposée entre les mains du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, une information pénale fut ouverte contre le requérant du chef de corruption passive de fonctionnaire. Le requérant n'a été inculpé de ce délit que le 22 septembre 1978, soit 4 mois après sa suspension, par le magistrat instructeur et aussitôt placé en détention provisoire. Par un arrêté du 16 octobre 1978, il fut mis fin à la suspension du requérant devenue "sans objet", selon les termes de l'administration, par suite de son incarcération. Le requérant fut amené à former successivement deux recours devant le tribunal administratif de Paris, le premier en date du 24 juillet 1978, le deuxième en date du 10 août 1978, recours aux termes desquels il a demandé l'annulation pour excès de pouvoir, respectivement, de la décision du directeur des services fiscaux du Val-de-Marne du 23 mai 1978 et de l'arrêté ministériel du 10 juillet suivant qui l'avait suspendu de ses fonctions. La base légale de la décision ministérielle est l'article 30 de l'ordonnance du 4 février 1959 portant Statut général des Fonctionnaires. Cet article énumère les différentes sanctions disciplinaires possibles dont, au point j) "la révocation avec suspension des droits à pension". A l'appui de son premier recours, le requérant soutenait entre autres que la décision du directeur des services fiscaux du Val-de-Marne constituait une véritable mesure de suspension de fonctions que cette autorité n'était d'ailleurs pas habilitée à prendre. A l'appui de son second recours, le requérant soulevait également que l'arrêté du 10 juillet 1978 avait été signé par une autorité incompétente, le directeur général des Impôts ne pouvant, selon le requérant, légalement subdéléguer entre les mains du chef du service du personnel de la Direction Générale des Impôts, signataire de la décision incriminée, une prérogative qui ne lui appartenait pas en propre et qu'il exerçait en vertu d'une délégation de signature ministérielle. Au surplus, le requérant arguait du fait que les deux décisions attaquées encourageaient aussi l'annulation pour ne faire aucune allusion à une faute grave qui, aux termes de l'article 32 du Statut Général des Fonctionnaires, pouvait seule justifier une mesure de suspension. L'administration devait conclure devant le tribunal administratif au rejet des deux recours du requérant. C'est sur la base de la plainte portée le 8 septembre 1978 par le ministre du budget pour délit de corruption de fonctionnaire que le requérant a été condamné par jugement du tribunal de grande instance de Paris du ... juin 1979 à la peine de trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et au versement d'une amende de 30.000 F, décision assortie de la privation pendant une durée de 18 ans de ses droits énumérés à l'article 42 du code pénal. Le requérant ne fit pas appel de ce jugement. Après son élargissement, le requérant a été à nouveau suspendu de ses fonctions par un arrêté du ... août 1979. Par note du 27 août 1979 l'administration centrale avait fait connaître sa décision d'engager à l'encontre du requérant une action disciplinaire. Le conseil de discipline et plus exactement la commission administrative paritaire N° 2 des services extérieurs de la Direction Générale des Impôts, siégeant en formation disciplinaire, a émis son avis le 30 octobre 1979. Cet avis fut défavorable au requérant et la sanction de la révocation avec suspension des droits à pension lui a été ultérieurement infligée par arrêté ministériel du 4 décembre 1979 au motif qu'il s'était rendu coupable d'une démission de fonctions à prix d'argent. En date du 4 février 1980, le requérant a donc interjeté un troisième recours contre cette décision du 4 décembre 1979, décision par laquelle le ministre du budget avait prononcé sa révocation avec suspension de ses droits à pension, motif pris notamment de ce que ladite décision disciplinaire était uniquement fondée sur les motifs d'une décision de la juridiction pénale alors que le requérant avait toujours contesté les faits retenus, qu'au surplus cette décision avait méconnu l'autonomie du droit disciplinaire des fonctionnaires et du droit pénal et que le Ministre s'était contenté de se référer purement et simplement à l'avis de la commission administrative paritaire. Le tribunal administratif de Paris a connu de ces trois recours et fut amené dans sa décision du ... mars 1981 à rejeter les trois recours susvisés du requérant. Le requérant a fait appel de cette décision devant le Conseil d'Etat, lequel a rendu sa décision rejetant le recours du requérant, en date du ... décembre 1982, notifiée le 2 février 1983. Enfin, en réponse à une demande de renseignements complémentaires formulée par la Commission quant à des points de fait, les parties ont précisé que : - le montant des retenues opérées sur les traitements du requérant à compter du jour de sa titularisation dans la fonction publique jusqu'au jour de sa révocation par arrêté ministériel en date du 4 décembre 1979 s'élève à 42.512,47 F. - si la révocation du requérant n'avait pas été assortie de la suspension des droits à pension, l'intéressé aurait pu prétendre, à la date de sa radiation des cadres, à une pension dont la jouissance aurait été différée à son soixantième anniversaire, soit au 20 août 1982. Compte tenu de ses 36 ans 25 jours de services civils et militaires effectifs, auxquels s'ajoutent 2 ans et 9 mois de bénéfice de campagnes, le requérant aurait obtenu une pension égale à 68 % du traitement afférent à l'indice brut 780 correspondant au grade d'inspecteur central des impôts, 9ème échelon. Au 20 août 1982 cette pension aurait été fixée à 89.604,96 F par an. Elle s'élèverait à 114.441,28 F par an depuis le 1er mars 1987. Son épouse perçoit actuellement la somme de 4.768,38 F par mois, soit la moitié du montant précité. - le montant de la pension mensuelle à laquelle le requérant aurait eu droit (taux de 50 %) au 1er septembre 1987 (premier jour du mois suivant son 65ème anniversaire) s'il avait été affilié rétroactivement au régime général de la sécurité sociale s'élèverait à 3.782,63 F.
GRIEFS Les griefs du requérant peuvent se résumer comme suit : Le requérant allègue principalement la violation de l'article 6 (art. 6) mais aussi des articles 7 (art. 7), 8 (art. 8)de la Convention et de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1). Il estime que sa cause n'a pas été entendue équitablement en ce qui concerne tant les instances disciplinaires que les juridictions administratives, lesquelles se sont contentées d'entériner au plan de la sanction disciplinaire la décision de la juridiction pénale, soit le tribunal de grande instance de Paris. En particulier les droits de la défense n'ont pas été sauvegardés. Le requérant invoque les articles 7 (art. 7), 8 (art. 8) de la Convention et 1er du Protocole No 1 (P1) dans la mesure où il y a eu, en l'occurrence, suspension des droits à pension déjà acquis par le requérant. Cette suspension des droits à pension s'analyse dans ses effets comme une expropriation sans indemnité du fait qu'il s'agit d'une privation de droits acquis, sans remboursement des cotisations versées. En résumé, le requérant se trouve actuellement privé de toute ressource. Il ne bénéficie d'aucune retraite. Pour l'Administration, le requérant est considéré comme décédé. Son épouse perçoit 50 % du montant de la retraite qu'il devrait recevoir de l'Administration.
PROCEDURE La requête a été introduite le 20 juin 1983 et enregistrée le 21 juin 1983. Après un examen préliminaire par le Rapporteur, la Commission a procédé à l'examen de la recevabilité de la requête le 8 juillet 1985. Elle a décidé de donner connaissance de la requête au Gouvernement français, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des griefs formulés au titre de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1). Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête le 3 décembre 1986 et les observations en réponse du requérant sont parvenues le 27 février 1986. Le 13 mai 1987, la Commission a décidé de demander aux parties des renseignements complémentaires, qui sont parvenus respectivement le 24 juillet et le 17 août 1987 en ce qui concerne le Gouvernement, le 17 juin 1987 en ce qui concerne le requérant. La 15 mai 1988, la Commission a décidé de demander au requérant un complément d'information, qui est parvenu le 23 juin 1988.
ARGUMENTATION DES PARTIES
Le Gouvernement a) Sur la violation alléguée de l'article 6 (art. 6) de la Convention : Applicabilité de l'article 6 (art. 6) : Le Gouvernement fait observer que le litige ne relève pas de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Il ne concerne pas une "accusation en matière pénale" mais une procédure administrative et disciplinaire ayant, par ailleurs, donné lieu à des poursuites pénales (arrêt Engel du 8 juin 1976, série A no 22). Il ne concerne pas davantage des "droits et obligations de caractère civil" ; en effet, un litige relatif à la révocation d'un fonctionnaire public est étranger au champ d'application de l'article 6 (art. 6) et la suspension des droits à pension tend seulement à supprimer un avantage que l'Etat accorde à ses fonctionnaires en considération des services rendus, sans qu'elle ne porte atteinte à un droit de caractère civil. Violation alléguée de l'article 6 (art. 6): Le Gouvernement fait observer, en premier lieu, que rien ne permet d'affirmer que la cause du requérant n'ait pas été entendue équitablement tant devant les instances administratives que devant les instances disciplinaires, le requérant ayant bénéficié d'une procédure contradictoire et de la possibilité de faire appel devant le Conseil d'Etat. En second lieu, quant à l'affirmation selon laquelle le ministre n'aurait pas exercé son pourvoir d'appréciation du fait, en prononçant la révocation, le Gouvernement fait observer que le ministre était effectivement lié, selon le droit français, par la constatation matérielle des faits effectuée par le juge pénal, mais que le ministre a, en revanche, contrôlé si ces faits étaient de nature à justifier une sanction au plan disciplinaire ainsi que le degré de gravité de la sanction encourue par le requérant. Le Gouvernement relève encore que les juridictions successivement saisies de cette affaire ont bien recherché si la sanction infligée était entachée d'une erreur manifeste quant à la proportionnalité de la faute commise. Le Gouvernement relève enfin le caractère inopérant des griefs tirés du caractère non public de la procédure devant les instances disciplinaires et du fait que le conseil de discipline ne serait pas un organe indépendant, puisque la requête a finalement été examinée publiquement et par des juridictions incontestablement indépendantes. b) Sur la violation alléguée des articles 7 (art. 7) et 8 (art. 8) de la Convention : Le Gouvernement fait observer que le requérant, en mentionnant ces dispositions, ne présente à cet égard aucune argumentation susceptible d'étayer ces griefs. c) Sur la violation alléguée de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) : Sur le fondement juridique de la suspension des droits à pension infligée au requérant : La sanction disciplinaire a été infligée au requérant par arrêté ministériel du 4 décembre 1979, en vertu des dispositions combinées des articles 4, 30 et 31 de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au Statut Général des Fonctionnaires alors en vigueur, la révocation étant la plus élevée dans l'échelle des peines définie à l'article 30 précité. La gravité de la faute commise par le requérant justifiait, toutefois, une peine exemplaire. La suspension des droits à pension prononcée à l'encontre du requérant est basée sur l'article L 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite qui dispose : "Le droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité est suspendu : par la révocation avec suspension des droits à pension ; ..." Sur la question de la compatibilité de la privation des droits à pension de retraite avec l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) : Le Gouvernement fait observer que les effets de la révocation, la suspension des droits à pension, n'impliquent pas pour le requérant la dépossession d'une partie de son patrimoine. Elle tend seulement à supprimer un avantage que l'Etat accorde à ses fonctionnaires en considération des services rendus. Il suffit de considérer les conséquences d'une telle mesure. A cet égard, deux cas doivent être distingués, selon que le fonctionnaire sanctionné a ou non des ayants-droit au sens du code des pensions. Dans la négative, la suspension des droits à pension interdit certes à l'intéressé de pouvoir prétendre à une quelconque pension de l'Etat en raison des services qu'il a accomplis avant sa radiation des cadres. Néanmoins, l'ancien fonctionnaire ne perd pas pour autant le bénéfice de l'effort de prévoyance auquel il a consenti pendant sa carrière, puisque l'administration a l'obligation dans cette hypothèse de procéder d'office à son affiliation rétroactive au régime général de la sécurité sociale. Cette opération donne lieu au reversement par l'Etat des retenues de traitement supportées par le fonctionnaire depuis son recrutement. En définitive s'effectue alors un transfert d'un régime de protection sociale à l'autre, le fonctionnaire qui est l'objet de la mesure de suspension des droits à pension se trouvant exclu d'un régime réputé plus favorable. S'il existe des ayants-cause - femme ou enfants mineurs - l'article L 60 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que ceux-ci reçoivent pendant la durée de la suspension une pension à jouissance immédiate égale à 50 % de la pension dont aurait bénéficié le mari ou le père, destinée à assurer leur subsistance aussi longtemps que l'intéressé tombe sous le coup de la mesure de suspension. Cette règle a joué au bénéfice de l'épouse du requérant qui perçoit actuellement une pension du chef de son époux. La mesure prise à l'encontre du requérant ne saurait, par conséquent, être assimilée à "une déchéance" puisqu'elle n'a pas pour effet d'anéantir les droits du requérant mais d'en attribuer provisoirement la jouissance à son ayant-droit. Il convient de noter à cet égard que l'avantage dont bénéficie ainsi l'ayant-droit procède directement des droits acquis par le fonctionnaire sanctionné et ne participe pas d'une créance qui lui appartiendrait en propre. Cette circonstance explique que l'Etat ne procède pas à la restitution des cotisations versées. Mais dès lors que la collectivité publique s'acquitte ainsi de ses obligations envers les ayants-droit du fonctionnaire sanctionné, celui-ci ne peut se plaindre d'une quelconque spoliation. A supposer, en tout état de cause, que la privation des droits à pension d'un fonctionnaire puisse être assimilée à une atteinte à son droit de propriété au sens de l'article 1er du Prtocole No 1 (P1-1), ce que le Gouvernement français conteste, il n'en résulterait pas pour autant que cette "atteinte" puisse être sanctionnée sur le fondement desdites dispositions. Celles-ci, en effet, autorisent formellement les Etats à réglementer l'usage des biens de leurs ressortissants à des fins d'utilité publique. Le Gouvernement fait observer que le versement de la pension de retraite ne correspond pas au versement de sommes qui auraient été capitalisées sur la base de cotisations. Elle n'est que très partiellement la contrepartie de l'effort contributif auquel il a consenti durant sa vie professionnelle. Cet avantage, supérieur à celui procuré par l'assurance vieillesse du régime général des salariés, s'analyse en une sorte de gratification octroyée en considération des services rendus à la collectivité nationale. On conçoit donc que l'autorité publique ait la possibilité, sans que semblable initiative revête le caractère d'une confiscation, d'en retirer, à titre de sanction, le bénéfice à un fonctionnaire convaincu d'avoir trahi les fonctions de sa charge ; lequel, sauf existence d'ayants-cause, est replacé sous le régime de protection sociale de droit commun.
Le requérant a) Sur la violation alléguée de l'article 6 (art. 6) de la Convention : Applicabilité de l'article 6 (art. 6) : Le requérant fait observer que les poursuites disciplinaires entraient, en l'espèce, dans le prolongement de la procédure pénale puisque la corruption passive de fonctionnaire est un délit sanctionné par le code pénal aux articles 177 et suivants et que le requérant a été traduit devant une juridiction pénale pour ce délit. Le requérant relève que la faute reprochée est toujours à l'origine de nature pénale et que la considération en fonction de laquelle le requérant aurait "trahi les devoirs de sa fonction" est la conséquence de la constatation d'une faute s'analysant au sens pénal en une corruption. Le requérant conclut ainsi qu'on ne peut valablement soutenir, en l'espèce, ne pas être dans l'hypothèse d'une accusation "en matière pénale". Le requérant allègue aussi qu'il s'agit bien d'un litige portant sur des droits et obligations de caractère civil. Il observe que la suspension des droits à pension est incontestablement une sanction de caractère civil en droit français, que cette sanction a eu des conséquences directes sur la vie privée et familiale du requérant, que le droit à pension est un véritable droit qui constitue une des garanties fondamentales de la fonction publique, qu'il s'agit d'un droit à caractère personnel, privé et dépassant de ce fait le caractère d'un simple avantage. Violation alléguée de l'article 6 (art. 6) : Le requérant allègue que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) a été violé dans la mesure où la présomption d'innocence n'a pas été respectée. Il fait ainsi observer qu'il a été suspendu de ses fonctions alors que l'enquête pénale n'avait encore rien démontré et que le jugement correctionnel ne fut rendu qu'à la fin juin 1979. En outre, le requérant allègue que la décision de suspension a été prise sans qu'il ait été invité ou que son conseil ait été invité à débattre du bien-fondé de cette mesure. Le requérant soutient que ni le caractère public, ni le caractère indépendant de l'autorité saisie, ni même l'équité n'ont été observés et que le requérant ne pouvait être assisté d'un conseil. Le requérant fait observer, concernant la procédure administrative, que la décision a été rendue en l'absence de motivation flagrante sans que le ministre use de son pouvoir d'appréciation, celui-ci ayant eu pour seule référence la décision rendue par la juridiction pénale. Le requérant critique aussi la procédure devant le conseil de discipline, notamment le non-respect de la règle du contradictoire, dans la mesure où le dossier ne fut mis à la disposition du requérant et de son défenseur que 5 jours avant la séance. Or le requérant relève à ce sujet la particulière gravité des mesures prises à son égard, il note aussi que l'affaire était suivie par la Direction des Services fiscaux depuis juin 1978. En outre, le requérant fait aussi observer qu'il est "extraordinaire" d'imposer au défenseur de produire une autorisation écrite de son mandant. Il relève encore le caractère non public de la procédure devant les instances disciplinaires ainsi que le fait que le conseil de discipline ne soit pas indépendant, ce dernier point aggravant selon lui les conséquences du non-respect des droits de la défense au stade disciplinaire. b) Sur la violation alléguée des articles 7 (art. 7) et 8 (art. 8) de la Convention : Quant à l'article 7 (art. 7), le requérant fait observer que la révocation et la suspension de ses droits à pension a été appliquée de manière rétroactive puisqu'il n'a aucun droit à la contrepartie des cotisations versées. Quant à l'article 8 (art. 8), le requérant fait observer que les faits de la cause relèvent bien de cette disposition de la Convention, le droit à pension conditionnant sa vie privée et familiale. Il souligne que par la sanction qui lui a été infligée il est considéré comme étant "décédé" dans la mesure où l'administration fait fi de sa propre existence matérielle et où sa femme est considérée par l'administration comme étant "veuve". c) Sur la violation alléguée de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) : Quant au fondement juridique de la suspension des droits à pension infligée au requérant : Le requérant relève qu'il n'y a pas de fondement légal à la confiscation des cotisations versées par le requérant depuis 1949 et que l'on ne peut justifier que la sanction infligée au requérant soit la plus élevée dans l'échelle des peines définies à l'article 30 de l'ordonnance du 4 février 1959 portant Statut Général des Fonctionnaires. Le requérant souligne encore que la question de la proportionnalité de la sanction à la gravité de la faute reprochée n'a pas été soulevée dans cette affaire. Sur la question de la compatibilité de la privation des droits à pension de retraite avec l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) : Le requérant relève que les explications hésitantes et gênées du Gouvernement français trahissent un manque de conviction de sa part. En l'absence d'ayants-droit, le requérant allègue que le versement des cotisations de retraite correspond à une obligation de prévoyance pour le fonctionnaire et que ces cotisations sont la cause des prestations de retraite. En présence d'ayants-droit, le requérant fait observer que le versement de la pension n'est réalisée qu'à proportion de 50 % à l'ayant-droit et que ce système aboutit, en fait, à considérer le fonctionnaire sanctionné comme décédé et sa femme comme veuve. Le requérant allègue avoir été spolié de son bien dans la mesure où les droits à pension sont sa propriété. Il fait observer que l'on ne saurait considérer, de nos jours, une pension comme un avantage donné à la fin d'une carrière mais que la retraite est un droit de créance qui trouve son fondement dans le contrat qui engage le fonctionnaire à n'exercer aucune autre activité, dans les cotisations versées et dans la minoration du traitement. Le requérant relève que la doctrine et la jurisprudence sont unanimes pour dire qu'il s'agit bien d'un droit et non d'un simple avantage et que l'article L 4 de la Loi du 26 décembre 1964 le confirme. Au surplus, le requérant fait observer que s'il ne s'agissait que d'un avantage, la violation de ce droit serait encore plus grave sous l'angle de l'article 8 (art. 8) de la Convention, dans la mesure où tout individu a droit à la rémunération intégrale de son travail.
EN DROIT Le requérant se plaint de la décision par laquelle le ministre du budget l'a révoqué avec suspension des droits à pension du poste qu'il occupait au sein de l'administration fiscale et allègue, à cet égard, la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ainsi que de ses articles 7 (art. 7) et 8 (art. 8) et de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1).
1. Pour ce qui est des griefs soulevés au titre de l'article 6 (art. 6) de la Convention, le requérant estime qu'il n'a bénéficié d'un procès équitable ni devant les instances disciplinaires ni devant les juridictions administratives, lesquelles se seraient bornées à prendre comme base de la sanction disciplinaire les motifs invoqués dans le jugement de la juridiction pénale. Devant la Commission, le requérant a soutenu, en premier lieu, que les poursuites disciplinaires entraient, en l'espèce, dans le prolongement de la procédure pénale, étant donné que la corruption passive de fonctionnaire est un délit sanctionné par les articles 177 et suiv. du code pénal et qu'il a été traduit à ce titre devant la juridiction pénale. Dès lors, la thèse selon laquelle on se trouverait, en l'espèce, dans le cadre d'une accusation en matière pénale" pourrait, aux yeux du requérant, sans conteste se défendre. En outre, le requérant a fait valoir qu'il s'agit d'un litige portant sur des droits et obligations de caractère civil, dans la mesure où les décisions des juridictions administratives qui ont statué sur son recours ont été déterminantes quant à son droit de percevoir une pension, droit qu'il considère comme un droit de caractère privé dépassant le caractère d'un simple avantage, donc un droit civil au sens de la disposition précitée de la Convention. Aux yeux du Gouvernement, le litige ne relève pas de l'article 6 (art. 6) de la Convention. D'une part, il concerne une procédure disciplinaire et administrative ayant donné lieu par ailleurs à des poursuites pénales ; d'autre part, le litige portant sur la révocation d'un fonctionnaire public est étranger au champ d'application de ladite disposition de la Convention et la suspension des droits à pension tend seulement à supprimer un avantage que l'Etat accorde à ses fonctionnaires en considération des services rendus, sans qu'elle ne porte atteinte à un droit de caractère civil. A supposer que l'article 6 (art. 6) de la Convention soit d'application au cas d'espèce, la question qui se pose à la Commission est celle de savoir si le requérant a bénéficié d'un procès équitable au sens de ladite disposition de la Convention. Le requérant se plaint pour l'essentiel que les droits de la défense auraient été négligés en raison de ce que la sanction disciplinaire qui lui avait été infligée par arrêté ministériel avait eu pour seule et unique base les motifs invoqués dans la décision rendue par la juridiction pénale. Il est vrai, ainsi qu'il ressort des décisions rendues par les juridictions administratives, en particulier l'arrêt du Conseil d'Etat du 22 décembre 1982, que l'arrêté par lequel le ministre du budget a infligé au requérant la sanction de la révocation avec suspension de ses droits à pension se fonde sur le fait qu'il a été reconnu coupable par le tribunal de grande instance de Paris de corruption passive de fonctionnaire et condamné pour ce motif, faute qui s'analyse au plan disciplinaire en une démission de fonctions à prix d'argent. Or, rien dans le dossier n'indique que les garanties de procédure énoncées à l'article 6 (art. 6) de la Convention n'aient pas été respectées devant la juridiction pénale. Au demeurant, le requérant ne le conteste pas devant la Commission et il ne l'a pas contesté davantage au plan interne ainsi qu'il aurait pu le faire en formant appel contre le jugement du tribunal de grande instance de Paris qui l'avait reconnu coupable et condamné. La Commission note à cet égard que certains Etats - comme la France - connaissent le principe dit de "l'autorité de la chose jugée au pénal". A raison de ce principe, dans une contestation "extra-pénale" découlant du même fait que le fait jugé au pénal, le juge extra-pénal doit tenir pour acquises les constatations opérées par le juge pénal, lorsque ces constatations étaient "le soutien nécessaire" de sa décision. La Commission ne trouve donc pas critiquable qu'en l'espèce, le juge administratif ait fait application de ce principe. La Commission en conclut que le fait pour les juridictions administratives de s'être fondées sur l'existence matérielle des faits établis dans le cadre d'une procédure pénale, non contestée, ne saurait porter atteinte au principe du procès équitable, tel qu'il est défini au paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6) de la Convention. De plus, rien dans le dossier ne vient étayer la thèse, selon laquelle il y aurait eu méconnaissance du principe du procès équitable lors de la procédure devant les juridictions administratives. Il s'ensuit que les griefs du requérant sur ce point sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant soutient également que la suspension des droits à pension s'analyse dans ses effets en une expropriation sans indemnité en ce qu'il s'agirait d'une privation de droits acquis, sans remboursement des cotisations versées. Il allègue que cette privation équivaut à une privation de biens et invoque à cet égard l'article 1er du Protocole No. 1 (P1-1), ainsi libellé : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." Dans la présente affaire le requérant a été privé de ses droits à pension sur la base de l'article L58 du code des pensions civiles et militaires de retraites qui dispose que "Le droit à l'obtention ou la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité est suspendu : par la révocation avec suspension des droits à pension". Pour le Gouvernement la suppression des droits à pension n'implique pas pour le requérant une dépossession d'une partie de son patrimoine. A la lumière de l'argumentation développée par le Gouvernement, il faut relever qu'en l'absence d'ayants-droit l'administration a l'obligation de procéder d'office à l'affiliation rétroactive de l'ancien fonctionnaire au régime général de la sécurité sociale. En définitive s'effectue alors un transfert d'un régime de protection sociale à l'autre. Toutefois, si le fonctionnaire sanctionné a des ayants-droit, l'article L60 du code des pensions prévoit que ceux-ci reçoivent pendant la durée de la suspension une pension égale à 50 % de la pension dont aurait bénéficié l'intéressé, destinée à assurer leur subsistance. Il convient de noter à cet égard que l'avantage dont bénéficie l'ayant-droit procède directement des droits acquis par le fonctionnaire sanctionné. Cette règle a joué au bénéfice de l'épouse du requérant qui perçoit actuellement une pension du chef de son époux. Le requérant conteste vivement le point de vue exprimé par le Gouvernement car il estime qu'il a été spolié de son bien. Il souligne qu'une pension ne saurait être considérée aujourd'hui comme un avantage donné en fin de carrière. Pour lui il s'agit d'un droit de créance dont la base est le contrat qui engage le fonctionnaire à n'exercer aucune autre activité, les cotisations versées et la minoration de traitement. Le point de savoir si le droit à une pension peut être considéré comme un bien au sens de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) a déjà été examiné dans la jurisprudence de la Commission (cf. No 4130/60, déc. 20.7.71, Annuaire 14, pp. 225-241). Dans cette affaire toutefois la Commission avait conclu à l'inapplicabilité de l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1) parce que, selon la législation interne, nul ne possédait à quelque moment que ce fût un droit sur une fraction identifiable du patrimoine. Dans le cas présent, il s'agit d'un fonctionnaire de l'administration publique française dont la retraite s'analyse en un droit de créance. Toutefois, ce droit n'est pas inconditionnel. En effet, le droit des fonctionnaires à l'obtention d'une pension peut être suspendu sous certaines conditions énumérées dans le code des pensions qui leur est applicable, notamment dans l'hypothèse où le fonctionnaire se rend coupable d'infractions liées à l'exercice de ses fonctions. Il s'ensuit que le droit à l'obtention d'une pension est un droit conditionnel et que tout fonctionnaire peut s'attendre à ce que ce droit lui soit retiré lorsqu'il fait l'objet d'une condamnation en raison de l'une de ces infractions. La Commission se réfère sur ce point, mutatis mutandis, au raisonnement qu'elle a suivi à plusieurs reprises dans des affaires concernant le retrait d'autorisations de pratiquer certaines activités économiques. Elle a constaté, à ce sujet, qu'une telle autorisation est souvent accordée à certaines conditions et qu'elle peut être retirée si ces conditions ne sont plus remplies, sans que le droit de propriété du titulaire de l'autorisation ne s'en trouve affecté. Aux yeux de la Commission, le titulaire ne saurait être considéré comme ayant une espérance légitime et raisonnable de poursuivre ses activités si les conditions attachées à l'autorisation ne sont plus remplies et si le retrait est conforme aux dispositions légales en vigueur au moment de l'octroi de l'autorisation (cf. No 10438/83, déc. 3.10.84, D.R. 41, p. 170 et 10426/83, déc. 5.12.84, D.R. 40, p. 234). La Commission estime qu'un raisonnement analogue s'applique au cas présent. Le requérant a été condamné pour une infraction qui, d'après les dispositions légales en vigueur durant toute la période de service du requérant, pouvait donner lieu au retrait de son droit d'obtenir une pension. Eu égard aux conditions attachées à ce droit, la suspension de ce dernier ne porte donc pas atteinte à un droit de propriété protégé par l'article 1er du Protocole No 1 (P1-1). Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu'elle doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Enfin, quant au surplus, à savoir la prétendue violation des articles 7 (art. 7) et 8 (art. 8) de la Convention, la Commission relève que le requérant n'articule aucune argumentation susceptible d'étayer ses griefs. Dès lors, le restant de la requête doit être rejeté comme manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Type d'affaire : Décision
Type de recours : Frais et dépens - radiation du rôle (règlement amiable) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-2) PRESOMPTION D'INNOCENCE, (Art. 6-3-d) INTERROGATION DES TEMOINS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE


Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : la FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (plénière)
Date de la décision : 15/07/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 10443/83
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-07-15;10443.83 ?

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