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09/06/1988 | CEDH | N°10496/83

CEDH | AFFAIRE R. c. ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE R. c. ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)
(Requête no 10496/83)
ARRÊT
STRASBOURG
9 juin 1988
En l’affaire R. contre Royaume-Uni*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
G. Lagergren,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R

. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J. Gersing,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
ainsi que de MM. M....

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE R. c. ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)
(Requête no 10496/83)
ARRÊT
STRASBOURG
9 juin 1988
En l’affaire R. contre Royaume-Uni*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
G. Lagergren,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J. Gersing,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mars et 28 mai 1988,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date, sur l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") en l’espèce:
PROCEDURE ET FAITS
1.   L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 28 janvier 1986. A son origine se trouve une requête (no 10496/83) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont une citoyenne britannique avait saisi la Commission en 1983.
2.   Le 23 octobre 1986, la chambre constituée pour examiner l’affaire s’est dessaisie au profit de la Cour plénière (article 50 du règlement). Par un arrêt du 8 juillet 1987 (l’"arrêt au principal"), celle-ci a relevé entre autres que la requérante avait été victime de violations des articles 8 et 6 § 1 (art. 8, art. 6-1) de la Convention en raison des procédures suivies et de l’insuffisance des recours s’ouvrant à elle quant à certaines décisions relatives à ses enfants confiés à une autorité locale (série A no 121-C, paragraphes 63-88 des motifs et points 1 et 3 du dispositif, pp. 116-126 et 127).
Seule reste à trancher la question de l’application de l’article 50 (art. 50) en l’espèce. Pour les faits de la cause, la Cour renvoie aux paragraphes 8 à 58 de son arrêt au principal (ibidem, pp. 107-115).
3.   Lors des audiences des 25 et 26 novembre 1986, le gouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement") avait réservé sa position sur la demande de satisfaction équitable de la requérante, laquelle ne l’avait pas encore chiffrée.
Dans son arrêt au principal, la Cour a donc réservé l’ensemble de la question. Elle a invité a) la requérante à lui fournir par écrit, dans les deux mois, le détail de ses prétentions; b) le Gouvernement à lui présenter, deux mois au plus tard après la réception de ces précisions, ses commentaires écrits à leur sujet et notamment à lui donner connaissance de tout accord entre lui et la requérante (paragraphes 91-92 des motifs et point 5 du dispositif, pp. 126 et 127).
4.   Conformément à cette invitation et aux directives du président, sont parvenues au greffe:
- les 8 et 21 septembre 1987, le mémoire de la requérante;
- les 21 décembre 1987 et 12 février 1988, ceux du Gouvernement;
- le 21 janvier 1988, les observations du délégué de la Commission.
5.   Par la suite, le Gouvernement et la requérante ont informé le greffier qu’ils avaient abouti à un règlement pour les frais et dépens afférents à la procédure devant la Commission et la Cour: la seconde accepterait du premier, comme satisfaction intégrale et définitive à ce titre - pour le cas où il n’y aurait pas devant la Cour de débats sur l’application de l’article 50 (art. 50) en l’espèce -, un versement de 6.007 £ 91, plus la taxe sur la valeur ajoutée et moins les sommes perçues par elle du Conseil de l’Europe par la voie de l’assistance judiciaire.
6.   Après avoir consulté agent du Gouvernement, délégué de la Commission et représentant de la requérante, la Cour a décidé le 24 mars 1988 qu’il n’y avait pas lieu de tenir audience.
EN DROIT
7.   D’après l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
En vertu de ce texte, l’intéressée revendique une indemnité pour tort moral et le remboursement de frais et dépens assumés pendant la procédure devant les organes de la Convention.
A. Frais et dépens
8.   Depuis le prononcé de son arrêt au principal, la Cour a été avisée d’un règlement amiable conclu entre le Gouvernement et la requérante quant à la demande pour frais et dépens (paragraphe 5 ci-dessus). Compte tenu des termes adoptés ainsi que de l’absence d’objection de la part du délégué de la Commission, elle estime que l’accord revêt un "caractère équitable" au sens de l’article 53 § 4 de son règlement. En conséquence, elle en prend acte et juge approprié de rayer l’affaire du rôle sur ce point.
B. Préjudice
9.   a) La requérante réclame une indemnité de 100.000 £ pour les conséquences des infractions aux articles 6 § 1 et 8 (art. 6-1, art. 8) de la Convention constatées par la Cour dans son arrêt au principal. Figureraient parmi elles sa séparation d’avec ses enfants A. et J., à considérer comme permanente vu le temps passé; le déni de tout contact avec eux depuis 1981, à l’exception des visites autorisées depuis 1985; l’absence de tout recours effectif en droit anglais; la peine, la souffrance et l’angoisse que l’intéressée a connues, connaît et connaîtra.
b) Selon le Gouvernement, le préjudice allégué a pu résulter des décisions de l’autorité locale, auxquelles aux yeux de la Cour la requérante fut trop peu mêlée, et de l’impossibilité pour celle-ci de rencontrer A. et J., mais il ne découle pas des violations des articles 6 § 1 et 8 (art. 6-1, art. 8): rien ne prouverait que l’issue aurait été différente si R. avait pu jouer un plus grand rôle ou saisir de la question de ses visites à ses enfants un tribunal compétent pour en examiner le fond. Dès lors, nul lien de causalité ne se trouverait établi entre les manquements relevés par la Cour et le dommage dont se plaint l’intéressée.
En outre et eu égard à certains faits de la cause, énumérés dans le mémoire du Gouvernement, aucun élément ne montrerait que la requérante aurait pu retirer un avantage pratique d’une meilleure association au processus décisionnel de l’autorité locale ou de l’existence d’un recours judiciaire en matière de visites. Elle n’aurait donc pas subi une "perte de chances réelles", au sens où la jurisprudence de la Cour entend cette expression, de sorte que le constat de violation des articles 6 § 1 et 8 (art. 6-1, art. 8) constituerait une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 50 (art. 50). Pour le cas où la Cour en jugerait autrement, le Gouvernement soutient en ordre subsidiaire que la somme allouée à la requérante ne devrait pas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, dépasser 5.000 £.
c) Quant au délégué de la Commission, il lui semble impossible de déterminer avec quelque certitude si les décisions pertinentes auraient été différentes sans les infractions aux articles 6 § 1 et 8 (art. 6-1, art. 8). Selon lui, la requérante devrait néanmoins percevoir pour tort moral une "indemnité raisonnable" qui reflète la gravité des questions en jeu.
10.  La Cour rappelle d’abord que son arrêt au principal ne concernait nullement le bien-fondé de mesures telles que le placement des enfants à l’assistance et la limitation ou suppression des visites de leur mère. Elle n’y relevait de manquements que par les motifs suivants: pour l’article 8 (art. 8), l’association insuffisante de la requérante à la résolution de l’autorité locale sur le transfert de la puissance parentale (avril 1981) et, jusqu’à un certain point, à la décision d’interrompre ses visites à A. et J. et de confier ceux-ci à des parents nourriciers aux fins d’adoption (août 1981), ainsi que, à titre accessoire, les lenteurs de la procédure judiciaire entre décembre 1981 et novembre 1982; pour l’article 6 § 1 (art. 6-1), le défaut de recours judiciaire sur le fond du problème des visites (arrêt au principal, pp. 119-121, §§ 71-75, et pp. 125-126, §§ 85-88).
La requérante a donc pâti de lacunes de caractère procédural, mais qui se rattachaient de près à une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale, l’un des plus essentiels de tous.
11.  Quant à la séparation, prétendument permanente, d’avec ses enfants, imputée par la requérante aux violations de la Convention, on ne saurait certifier qu’elle ne se serait pas produite sans lesdites lacunes. La Cour estime impossible d’affirmer qu’une meilleure association de la requérante aux délibérations de l’autorité locale ou plus de diligence dans la marche de la procédure judiciaire de 1981-1982 auraient à coup sûr entraîné un autre résultat. Et même si l’intéressée avait disposé d’un recours judiciaire sur le fond du problème des visites et en avait usé avec succès pendant que la résolution sur la puissance parentale se trouvait en vigueur, il ne s’ensuit pas du tout que A. et J. lui auraient été restitués: comme la Cour le relève au paragraphe 86 de son arrêt au principal, "des considérations différentes peuvent valoir pour la question du placement d’un enfant à l’assistance publique et pour celle des visites à lui rendre par son parent". Une circonstance le confirme: si la requérante obtint en 1985 un certain droit de visite, ses enfants n’en restèrent pas moins pupilles de la justice (arrêt au principal, p. 114, § 28).
12.  La Cour ne croit pas pouvoir en conclure pour autant, avec le Gouvernement, que si les déficiences procédurales en cause n’avaient pas existé, la requérante n’aurait rien pu y gagner en pratique.
Sans doute paraît-il assez peu probable, étant données la situation instable de la famille à l’époque et notamment la reprise des relations de la requérante avec M. B., qu’une plus grande participation de celle-ci aurait amené l’autorité locale à opter pour une autre solution en avril 1981 (arrêt au principal, pp. 108-110, §§ 12-18). Des considérations analogues valent pour la décision d’août 1981, vu l’inquiétude que la requérante avait exprimée à l’idée de se charger des enfants et l’incident du vol dans le coffre d’un hôpital (ibidem, p. 111, §§ 19-21). Toutefois, la Cour le note au paragraphe 73 de son arrêt au principal, une communication plus rapide de ladite décision à la requérante aurait bien pu inciter celle-ci et ses avocats à ne pas se désister, le 29 septembre 1981, de leur opposition à la résolution sur la puissance parentale (ibidem, pp. 111-112, § 22).
L’effet qu’aurait produit une conclusion plus rapide de la procédure judiciaire engagée en décembre 1981 et terminée en novembre 1982 prête davantage à conjecture: elle aurait abrégé l’intervalle durant lequel apprécier l’évolution de la situation personnelle de la requérante, mais elle aurait aussi raccourci la période pendant laquelle les enfants nouaient des liens avec leurs parents nourriciers et donc, peut-on penser, atténué la secousse que pouvait provoquer leur retrait du nouveau foyer où on les avait placés à demeure en décembre 1981 (ibidem, p. 112, §§ 22-24).
Quant à l’intérêt éventuel, pour la requérante, d’un recours judiciaire sur le fond du problème des visites, il faut rappeler qu’elle réussit à obtenir jusqu’à un certain point le droit de rencontrer ses enfants en 1985, alors qu’ils se trouvaient chez leurs parents nourriciers depuis quatre ans (ibidem, pp. 112 et 114, §§ 22 et 28). En outre, il s’agit de deux ordres d’idées distincts: comme la Cour le relève au paragraphe 86 de son arrêt au principal, il se peut qu’un parent "invoque des arguments justifiant le maintien ou la reprise des visites, mais non de la garde de l’enfant par lui". On ne saurait écarter l’hypothèse que si la requérante avait pu, pendant la durée de validité de la résolution sur la puissance parentale, saisir un tribunal du fond du problème de ses visites à A. et J., elle aurait eu gain de cause dans une certaine mesure, en particulier si elle avait formulé sa demande à un moment où ses relations avec M. B. avaient manifestement cessé (ibidem, p. 111, § 20).
A ces égards, on peut donc estimer qu’elle a subi une perte de chances réelles justifiant l’octroi d’une indemnité.
13.  De surcroît, la circonstance qu’elle ne fut pas associée à la procédure qui déboucha sur la décision prise par l’autorité locale en avril 1981 n’a pas manqué, aux yeux de la Cour, de lui causer une détresse profonde; le fait de ne pas l’informer plus tôt de celle d’août 1981 a dû la plonger dans le même état d’esprit. A quoi s’ajoutait le sentiment de frustration et d’impuissance qu’elle a sans nul doute éprouvé devant la prolongation de la procédure judiciaire de 1981-1982 et son incapacité, pendant la durée de validité de la résolution sur la puissance parentale, à saisir les tribunaux du fond du problème des visites. Autant d’éléments qui appellent tous, eux aussi, une réparation pécuniaire.
14.  Aucun des facteurs mentionnés aux paragraphes 12 et 13 ci-dessus ne se prête à une évaluation précise. Statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour alloue à la requérante 8.000 £ pour le dommage souffert.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Décide de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne la demande de la requérante pour frais et dépens;
2. Dit que le Royaume-Uni doit verser à la requérante la somme de 8.000 £ (huit mille livres) pour préjudice moral;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 9 juin 1988 en application de l’article 54 § 2, second alinéa, du règlement.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* Note du greffier: L'affaire porte le numéro 6/1986/104/152.  Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT R. c. ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)
ARRÊT R. c. ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10496/83
Date de la décision : 09/06/1988
Type d'affaire : Arrêt (Satisfaction équitable)
Type de recours : Frais et dépens - radiation du rôle (règlement amiable) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : ROYAUME-UNI (ARTICLE 50)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-06-09;10496.83 ?

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