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02/05/1988 | CEDH | N°11542/85

CEDH | C. contre la France


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11542/85 présentée par C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 2 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H.

THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11542/85 présentée par C. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 2 mai 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 20 mai 1985 par C. contre la France et enregistrée le 20 mai 1985 sous le No de dossier 11542/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par le requérant peuvent se résumer comme suit : Le requérant est un ressortissant français né en 1935 au K. (France). Il est représenté devant la Commission par maître Paul-François Ryziger, avocat au barreau de Paris. Le requérant qui exerçait la profession de boucher-abatteur-expéditeur est devenu dans le courant de l'année 1972 président d'une société d'intérêt collectif agricole (SICA) dite "Société des viandes vendéennes" (société anonyme à personne et capital variables) ; il était également actionnaire principal de cette société. A la suite d'une restructuration où la répartition du capital de la Société des viandes vendéennes a été modifiée, le requérant a quitté ses fonctions le 8 octobre 1973. Postérieurement à cette date des erreurs de gestion considérables ont été commises, d'après le requérant, par ses successeurs, et un déficit important s'est créé très rapidement, en particulier, des exportations massives ont été opérées sans aucune garantie exigée, des impayés massifs en sont résultés. En août 1975 le requérant a accepté les fonctions de président- directeur général et entrepris le redressement de la société qui avait alors accumulé un passif très important. Après différentes opérations qui sont restées infructueuses, le requérant n'eut d'autre solution que de déposer le bilan de la susdite société. Celle-ci a été admise au bénéfice du règlement judiciaire par jugement en date du 21 juin 1977. Le 15 mai 1979, le tribunal de grande instance de la R. a converti celui-ci en liquidation de biens. Par la suite, le syndic de la liquidation des biens a assigné le requérant en comblement du passif en vertu de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967. Aux termes de celui-ci, lorsque la liquidation des biens d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif le tribunal peut décider, à la requête du syndic ou d'office, que les dettes sociales seront supportées en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants sociaux de l'entreprise. Pour se dégager de leur responsabilité les dirigeants impliqués doivent faire la preuve qu'ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires (article 99 par. 3). Le tribunal de grande instance de la R. a rejeté le 6 octobre 1981 les arguments du requérant tendant à le dégager de sa responsabilité et l'a condamné à payer la totalité des dettes sociales, soit 18.000.000 Francs. Le requérant a interjeté appel de cette décision qui a été partiellement infirmée par un arrêt de la cour d'appel de P., en date du 22 juin 1973, le condamnant à supporter personnellement la charge de la moitié des dettes sociales, soit 9.000.000 Francs, aux motifs : "que l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ne méconnaît ni le principe de sécurité juridique, ni celui de garantie des droits de la défense ; que les dirigeants sociaux, en effet, peuvent se dégager de leur responsabilité en établissant sans aucune limitation et par tout moyen de preuve qu'ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires ; que la preuve dont ils ont ainsi la charge ne représente aucun caractère d'impossibilité, contrairement à ce qui est soutenu, et que les motifs sur lesquels le juge fonde son appréciation de l'activité du syndic sont tout aussi contrôlables que ceux qui seraient relatifs à l'appréciation d'une faute". Le pourvoi en cassation reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le requérant à supporter la moitié des dettes sociales de la société. En premier lieu il reprochait à l'article 99 précité, qui intervertit la charge de la preuve en faisant peser une présomption de responsabilité sur les dirigeants sociaux et ne leur permet de dégager leur responsabilité qu'en établissant qu'ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires, d'empêcher l'institution d'un débat équitable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention. Il ajoutait que le débat est d'autant moins équitable qu'à partir du jugement prononçant la liquidation des biens le syndic assume l'administration et la gestion de la société et les dirigeants sociaux n'ont plus accès ni aux archives ni à la comptabilité. En second lieu, il indiquait que l'article 99 aboutissait à instituer une responsabilité sans faute violant en conséquence le principe du droit de propriété tel que garanti par l'article 1 du Protocole additionnel. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation par un arrêt du 20 novembre 1984 en établissant que : "la Cour d'appel a retenu à bon droit que les dispositions de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ne sont pas contraires à celles de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches".
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu de l'application qui lui a été faite de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ; il considère que cet article est contraire à l'article 6 de la Convention et reprend dans son argumentation les termes de son mémoire déposé tant devant la cour d'appel que devant la Cour de Cassation. Selon lui, en effet, l'article 99 en intervertissant la charge de la preuve fait peser une présomption de responsabilité sur les dirigeants sociaux et, en ne leur permettant de se dégager de leur responsabilité qu'en établissant qu'ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires, empêche en réalité l'institution d'un débat équitable. Ceci serait d'autant plus vrai qu'à partir du jugement prononçant la liquidation des biens, le syndic assume l'administration et la gestion de la société, et qu'ainsi les dirigeants sociaux n'ont plus accès aux archives sociales ou à la comptabilité. Par ailleurs le système est d'autant plus contraire à l'équité que le dirigeant social doit rapporter une preuve d'une généralité telle qu'elle est pratiquement impossible, l'expérience prouvant, selon le requérant, qu'elle échoue dans l'immense majorité des cas.
2. Le requérant se plaint en second lieu de l'atteinte qui a été faite à ses biens. L'article 99 aboutit, selon lui, à instituer un système de responsabilité sans faute qui est contraire au principe général du respect de la propriété posé par l'article 1 du Protocole additionnel. Par lettre du 27 janvier 1987, le Rapporteur, agissant en vertu de l'article 40 par. 1 du Règlement intérieur de la Commission, a demandé au conseil du requérant si ce dernier avait eu accès aux archives sociales et à la comptabilité pour se dégager de sa responsabilité, si le requérant pouvait demander en justice l'accès à ces documents, et s'il l'avait fait. Par courrier du 24 avril 1987, le conseil du requérant a apporté sa réponse.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'avoir été condamné à supporter la charge de la moitié des dettes sociales de la société dont il était président-directeur général, du fait de l'application de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967. Il estime que cette disposition, qui fait peser une présomption de responsabilité sur les dirigeants sociaux, ne lui aurait pas permis de se dégager de sa responsabilité et aurait méconnu le principe du procès équitable garanti à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il précise en particulier qu'à partir du jugement prononçant la liquidation des biens, les dirigeants sociaux n'ont plus accès, ni aux archives sociales, ni à la comptabilité, ce qui rend très difficile la preuve de la diligence apportée à la gestion. La Commission constate que le droit interne offrait au requérant plusieurs possibilités d'action visant à obtenir les éléments de preuves nécessaires à sa défense. La Commission relève d'abord que l'article 142 du nouveau code de procédure civile combiné avec les articles 138-139 permet à une partie à un litige de demander au juge la production d'éléments de preuve détenus par l'autre partie et qu'en l'espèce, le requérant a omis de recourir à cette procédure. Le requérant soutient, il est vrai, que, ne disposant pas d'indications suffisamment précises, il n'aurait pu demander la production de telle ou telle pièce qu'il n'aurait plus détenue lui-même. La Commission souligne toutefois que du fait des positions successives qu'il a occupées dans la société (président du conseil d'administration et actionnaire principal puis président-directeur général), le requérant aurait dû être à même d'identifier les pièces comptables et les documents essentiels concernant la gestion, dont la communication lui aurait permis d'organiser efficacement sa défense et de prouver qu'il avait apporté toute l'activité et la diligence nécessaires à la gestion des affaires sociales. De même, le requérant n'a pas demandé au juge d'ordonner des mesures d'instruction, alors que les articles 143 et suivants du nouveau code de procédure civile prévoient expressément cette possibilité, la limitant toutefois à "un fait ... si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver". Même si, comme l'affirme le requérant, le fait d'ordonner ou de ne pas ordonner une telle mesure est une faculté purement discrétionnaire pour le juge qui, en règle générale, refuse d'ordonner une mesure d'instruction lorsqu'il n'existe pas déjà un commencement de preuve, il appartenait au requérant de se prévaloir de tout moyen permettant de dégager sa responsabilité. Ainsi, le droit français prévoyant des moyens par lesquels le requérant aurait pu avoir accès aux documents qui n'étaient pas en sa possession et qui pouvaient représenter des éléments de preuve en sa faveur, celui-ci avait des possibilités d'écarter la présomption de responsabilité instituée par l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967. Le requérant ne s'étant pas prévalu de ces différentes possibilités, il a par là même laissé croire qu'il disposait de tous les éléments qui lui auraient permis de contester le bien-fondé des agissements dont la responsabilité lui a été attribuée. Dans ces conditions, il ne saurait se plaindre d'une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) à son détriment. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint également du fait qu'une législation qui compromet un patrimoine privé en instaurant, en fait, un système de responsabilité sans faute est contraire au principe général du respect de la propriété posé par l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1). La Commission constate que le requérant a été condamné à supporter la moitié des dettes de la société, soit 9.000.000 F, société dont il était, à l'époque de la mise en règlement judiciaire, président-directeur général. La Commission relève d'emblée que le contrôle d'une législation instaurant un système de responsabilité ne relève pas, en principe, de sa compétence. En effet, il ne ressort pas des pièces fournies par le requérant, et des jugements rendus dans le cadre de la procédure interne, que sa condamnation au paiement de la moitié des dettes sociales ait été disproportionnée et donc arbitraire par rapport aux circonstances de fait et de droit, que ce soit au regard des fonctions qu'il a occupées au sein de la société, et qui étaient déterminantes dans la gestion et la conduite des affaires, ou au regard de la loi qui prévoit expressément la possibilité pour le tribunal de faire supporter tout ou partie des dettes sociales, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants sociaux ou par certains d'entre eux. La Commission ne discerne ainsi aucune atteinte au droit du requérant au respect de ses biens, au sens de la première phrase de l'alinéa 1 de l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1). Il s'ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Violation de l'Art. 5-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : la France

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (chambre)
Date de la décision : 02/05/1988
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11542/85
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-05-02;11542.85 ?

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