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11/12/1987 | CEDH | N°11681/85

CEDH | UNION ALIMENTARIA SANDERS S.A. contre l'ESPAGNE


SUR LA RECEVABILITE Requête No 11681/85 introduite le 5 juillet 1985 par Union Alimentaria Sanders S.A. contre l'Espagne enregistrée le 2 août 1985 __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 décembre 1987 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice (article 7 du Règlement intérieur) S. TRECHSEL E. BUSUTTIL

G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK ...

SUR LA RECEVABILITE Requête No 11681/85 introduite le 5 juillet 1985 par Union Alimentaria Sanders S.A. contre l'Espagne enregistrée le 2 août 1985 __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 11 décembre 1987 en présence de MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice (article 7 du Règlement intérieur) S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 5 juillet 1985 par Union Alimentaria Sanders S.A. contre l'Espagne et enregistrée le 2 août 1985 sous le No de dossier 11681/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission, daté du 5 février 1986 ; Vu les observations écrites du Gouvernement du 22 mai 1986 ; Vu les observations en réponse de la requérante du 11 juillet 1986 ; Vu le rapport du 30 mars 1987 (article 40 du Règlement intérieur) ; Vu les observations des parties présentées à l'audience du 11 décembre 1987 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT La requérante est une société anonyme, immatriculée au Registre du commerce de Madrid. Son siège social est à Madrid. Pour la procédure devant la Commission, elle est représentée par Me Francisco Ramos Mendez, avocat au barreau de Barcelone. Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit : Le 2 mai 1979, la société requérante introduisit devant le tribunal d'instance de Barcelone une action (juicio de mayor cuantia) en réclamation, entre autres, d'une somme dont elle était créancière. La demande introductive d'instance était dirigée contre une société anonyme et quatre particuliers. L'affaire fut attribuée au tribunal de 1ère instance No 9 (Juzgado de 1° Instancia No 9) de Barcelone. Par ordonnance du 28 décembre 1981, l'affaire fut mise en délibéré. Le 10 juillet 1983, la requérante adressa au juge une lettre se plaignant d'une violation de l'article 24, par. 2, de la Constitution (droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable). Le juge n'ayant pas statué, la requérante saisit le 21 octobre 1983 le Tribunal Constitutionnel d'un recours d'amparo pour violation de l'article 24, par. 2, de la Constitution. Par jugement rendu le 17 décembre 1983, le tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone condamna la société anonyme défenderesse et Mme P., également défenderesse, à verser solidairement à la requérante la somme de 1.852.343,67 Pesetas, augmentée des intérêts, et débouta la requérante d'autres prétentions. La requérante interjeta appel de ce jugement. L'affaire fut attribuée à la 1ère chambre civile de la cour (Audiencia Territorial) de Barcelone. Ayant procédé à divers actes de procédure, la chambre, par décision du 13 septembre 1984, déclara l'affaire en état pour une audience, sans toutefois fixer la date. En septembre 1985, l'affaire fut attribuée à la 3ème chambre civile. Par décision du 17 mars 1986, cette chambre fixa au 6 mai 1986 la date de l'audience. Par arrêt rendu le 12 mai 1986, cette juridiction déclara l'appel partiellement recevable et annula le jugement attaqué en ce qu'il déboutait la requérante de ses conclusions à l'égard de Mme B., partie défenderesse. Entre-temps, le Tribunal Constitutionnel avait rejeté, par arrêt du 23 janvier 1985, le recours d'amparo formé par la requérante. Le tribunal, ayant examiné la complexité de l'affaire, le comportement de la requérante et des autorités, ainsi que les conséquences que le retard de la procédure avait pu entraîner pour la requérante, et ayant tenu compte de la situation exceptionnelle de blocage existant au tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone, estimait que l'affaire n'exigeait pas un traitement prioritaire. Le 18 octobre 1986, la requérante a demandé au tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone d'assurer l'exécution du jugement du 17 décembre 1983. Cette demande n'a pas eu de résultat à ce jour.
GRIEFS Devant la Commission, la requérante se plaint de la durée de la procédure devant les juridictions civiles et allègue qu'elle n'a pas bénéficié du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. En particulier, la requérante fait valoir qu'un délai de deux ans s'est écoulé entre la date à laquelle le tribunal de 1ère instance a mis l'affaire en délibéré (28 décembre 1981) et celle du prononcé du jugement (17 décembre 1983). En outre, elle fait valoir que la durée de la procédure en appel a été excessive. La requérante invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le 3 mars 1986, la Commission a décidé, conformément à l'article 42 par. 2 litt. b) de son Règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement de l'Espagne et de l'inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, dans un délai échéant le 16 mai 1986. Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le 22 mai 1986, après que ce dernier ait sollicité une prolongation du délai imparti pour leur présentation. Les observations en réponse de la société requérante sont parvenues le 11 juillet 1986. Le 7 mai 1987, la Commission a décidé d'inviter les parties à lui présenter oralement des observations complémentaires sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête (article 42 par. 3 (b) du Règlement intérieur). A l'audience, qui s'est tenue le 11 décembre 1987, les parties étaient représentées comme suit : le Gouvernement défendeur par M. José Luis Fuertes Suarez, Agent ; la requérante par Me Francisco Ramos Mendez, conseil.
ARGUMENTATION DES PARTIES
A. Le Gouvernement
1. Observations préliminaires -------------------------- Le Gouvernement fait remarquer tout d'abord la situation existant aux tribunaux de 1ère instance de Barcelone. Sur ce point, il souligne que ces tribunaux ont connu en 1982 une forte augmentation du nombre des procès. En effet, selon le Rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature pour 1982, chaque tribunal de 1ère instance a dû traiter cette année-là une moyenne de 1800 dossiers. Pour porter remède à cette situation, de nouveaux arrondissements judiciaires ont été institués dans la région de Barcelone par loi du 21 mai 1982. Par ailleurs, quatre nouveaux tribunaux de 1ère instance avaient déjà été institués à Barcelone par Décret Royal du 3 juillet 1981 et fonctionnaient depuis septembre 1981. La situation s'était nettement aggravée au tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone, le juge en fonctions ayant dû être à plusieurs reprises remplacé en raison de son état de santé. En effet, il aurait pris plusieurs congés de maladie au cours des années 1982 et 1983. Après sa retraite, le 27 juillet 1983, son siège demeura vacant jusqu'à la prise de fonctions du nouveau juge, qui eut lieu le 21 septembre 1983. Ce dernier n'étant resté à son poste que deux mois, le tribunal No 9 demeura à nouveau vacant. La situation au tribunal ne fut normalisée qu'en 1985. Le Gouvernement défendeur fait observer également la situation de la cour d'appel (Audiencia Territorial) de Barcelone. A cet égard, il relève que jusqu'à l'institution et la mise en fonctionnement de la troisième chambre civile en juillet 1985, le nombre d'affaires dans les deux chambres existantes avait augmenté de 62 % entre 1981 et 1984. La 3ème chambre civile étant entrée en fonction le 1er juillet 1985, elle s'est vu attribuer 964 affaires en instance devant la 1ème chambre et 586 affaires en instance devant la 2ème chambre. La reprise de ces affaires par la nouvelle chambre a comporté la communication du nouvel enregistrement aux parties, la désignation de nouveaux rapporteurs, et l'établissement d'un nouveau calendrier permettant de faire face à la situation créée par le retard accumulé. Les affaires qui ont bénéficié d'un traitement prioritaire ont été celles qui avaient trait à des problèmes familiaux, demandes d'aliments, baux d'habitation et baux ruraux, ou celles dont le traitement d'urgence s'avérait nécessaire en raison de leur caractère social. Par ailleurs, le Gouvernement remarque que la promulgation en 1978 de l'actuelle Constitution espagnole et la signature et la ratification d'instruments internationaux en matière des droits de l'homme ont eu d'importantes répercussions sur le système judiciaire. Des mesures ont ainsi été prises tendant à améliorer le fonctionnement de l'administration de la justice. Parmi ces mesures, le Gouvernement tient à souligner la loi organique du 10 janvier 1980 par laquelle il a été institué le Conseil Supérieur de la Magistrature (Consejo General del Poder Judicial) et la loi organique du pouvoir judiciaire du 1er juillet 1985. D'autres dispositions ont été en outre adoptées afin de mettre en fonction de nouveaux tribunaux et d'augmenter le nombre de juges et de fonctionnaires des tribunaux, notamment dans les grandes villes et les régions industrielles et touristiques.
2. Sur la recevabilité de la requête --------------------------------- a) Le Gouvernement rappelle tout d'abord que, quant à la compétence ratione temporis de la Commission, l'Espagne n'a reconnu la compétence de la Commission pour connaître des requêtes individuelles, au sens de l'article 25 de la Convention, que dans la mesure où elles ont trait à des actes, décisions, faits ou événements postérieurs au 1er juillet 1981. A cet égard, le Gouvernement fait valoir que, bien que la société requérante ait introduit en mai 1979 l'action qui est à l'origine de la procédure en question, la période de temps à considérer pour l'examen de la durée de cette procédure ne débuterait que le 1er juillet 1981. b) Le Gouvernement soutient ensuite que la société requérante ne peut se prétendre victime d'une violation de la Convention. A cet égard, le Gouvernement allègue que les organes de la Convention ne constituent nullement une dernière instance ayant compétence pour condamner l'Etat espagnol à payer des intérêts, frais ou indemnités pour violation de l'article 6 par. 1 de la Convention, comme le prétend la société requérante. En particulier, il fait valoir ici que cette dernière n'a pas démontré avoir subi, en raison du retard de la procédure, d'autres préjudices économiques que ceux des intérêts d'un emprunt bancaire consenti en 1979 à sa demande afin d'indemniser les parties défenderesses au cas où le juge rejèterait la requête. Ces intérêts ne sauraient être cependant considérés comme un dommage. Or, dans la mesure où la requérante n'a pas apporté des preuves quant aux prétendus dommages subis, elle ne peut pas se prétendre victime d'une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention, au sens de l'article 25. Le Gouvernement en conclut que la présente requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention. c) Par ailleurs le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Se référant à la date d'introduction de la requête (5 juillet 1985), le Gouvernement fait observer que deux jours plus tôt, soit le 3 juillet, la loi organique du pouvoir judiciaire était entrée en vigueur. Or, cette loi a réglementé la procédure relative à la responsabilité de l'Etat pour les préjudices causés par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice. En particulier, la loi précise que l'Etat est tenu de réparer les dommages causés par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice. Ces dommages doivent être effectifs, susceptibles d'évaluation économique et individualisés par rapport à une personne ou un groupe de personnes. La demande en indemnité doit être adressée au Ministère de la Justice. En outre, il est loisible au plaideur de former un recours contentieux contre la décision statuant sur cette demande (articles 292-297). En particulier, le Gouvernement soutient que cette loi a un effet rétroactif. A cet égard, il fait valoir que le Ministère de la Justice a fait application de ladite loi à des faits antérieurs à son entrée en vigueur et relève que le principe de la responsabilité de l'Etat pour les préjudices causés par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice était déjà reconnu par l'article 121 de la Constitution. Par ailleurs, le Gouvernement relève que la requérante s'est uniquement plainte devant le Tribunal Constitutionnel de la durée de la procédure en première instance et affirme que, bien que cette juridiction eût estimé qu'il n'y avait pas eu une violation de l'article 24 par. 2 de la Constitution, il était loisible à la requérante d'utiliser la voie prévue par la loi précitée, ce qu'elle n'a pas fait. Quant aux préjudices que le retard de la procédure en appel aurait pu causer à la requérante, le Gouvernement fait valoir qu'il appartenait à cette dernière de saisir le Ministère de la Justice d'une demande en indemnité, conformément à l'article 292 et suivants de la loi ci-dessus. Le Gouvernement en conclut que, dans la mesure où la société requérante n'a pas utilisé la voie ouverte par la loi organique du pouvoir judiciaire pour demander à l'Etat une réparation des préjudices causés par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice, elle n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des recours internes, au sens de l'article 26 de la Convention.
3. Sur le bien-fondé de la requête ------------------------------- Afin d'examiner si la durée de la procédure mise en cause était ou non raisonnable, le Gouvernement a tenu compte des critères adoptés par la Cour européenne des Droits de l'Homme, à savoir la complexité de l'affaire, le comportement de la requérante et la manière dont l'affaire a été conduite par les autorités. Enfin, pour la notion même de "délai raisonnable", il a pris en considération la situation exceptionnelle existant dans les tribunaux civils de Barcelone, ainsi que les circonstances particulières de la présente affaire. Par ailleurs, se référant à l'arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Buchholz, le Gouvernement rappelle les mesures prises en vue d'améliorer le fonctionnement de l'administration de la justice en Espagne, notamment dans la ville de Barcelone. a) Quant à la complexité de l'affaire Le Gouvernement relève qu'il s'agit en l'espèce d'une procédure engagée contre une société commerciale et quatre particuliers, dont trois ne résidaient pas à Barcelone. En particulier, il précise que l'action introduite avait pour objet la réclamation d'une somme dont la requérante était créancière, augmentée des intérêts légaux à partir de l'introduction de la requête. A titre principal, l'action était dirigée contre la société commerciale et son administratrice, Mme P., dont le mari, qui figurait comme associé, se serait enfui à l'étranger. En outre, la requérante intentait deux actions subrogatoires afin d'obtenir l'exécution d'un contrat d'achat d'un terrain acheté par la société défenderesse et l'inscription au Registre Foncier de l'achat de ce terrain ainsi que celle de deux autres terrains achetés par Mme P. et les époux PS. L'insolvabilité apparente de la société défenderesse et la non-comparution des quatre particuliers défendeurs ajoutaient à la complexité de l'affaire, dont le dossier volumineux comportait environ 1.400 pages. b) Le comportement de la requérante Se référant au recours d'amparo formé par la requérante pour violation de l'article 24 par. 2 de la Convention, qui garantit le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable (sin dilaciones indebidas), le Gouvernement allègue que la requérante aurait pu utiliser cette voie bien plus tôt. A cet égard, il relève que l'affaire fut mise en délibéré en décembre 1981 et que le juge disposait d'un délai de 12 jours pour rendre le jugement, conformément à l'article 678 du code de procédure civile. Toutefois, la requérante n'a entrepris les premières démarches en vue de former un recours d'amparo qu'en date du 10 juillet 1983, soit un an et demi après la date à laquelle elle aurait pu saisir le Tribunal Constitutionnel en se plaignant du retard de la procédure. Par ailleurs, le Gouvernement souligne ici l'efficacité du recours d'amparo puisque, dans le cas d'espèce, la requérante a formé le recours le 21 octobre 1983 et le jugement en première instance a été rendu le 17 décembre 1983. Quant à la procédure d'appel, le Gouvernement fait valoir que la requérante ne s'est pas plainte devant le Tribunal Constitutionnel de la durée excessive de cette procédure, raison pour laquelle la procédure a suivi le cours d'autres dossiers qui n'ont pas été considérés comme méritant un traitement prioritaire. Se référant à la jurisprudence de la Commission selon laquelle "l'exercice du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable est, en matière civile, subordonné à la diligence de la partie intéressée", le Gouvernement fait remarquer que le comportement de la requérante, qui n'a pas utilisé en temps utile le recours efficace permettant de porter remède à la situation en question, a contribué à prolonger le déroulement de la procédure. c) Quant à la manière dont l'affaire a été traitée par les autorités judiciaires Le Gouvernement renvoie ici aux arguments déjà avancés concernant la situation de crise que l'administration de la justice a connue en Espagne, en raison de l'adaptation des anciennes structures à un régime démocratique, et les mesures adoptées pour porter remède à cette situation. Ces mesures ont été prises avec la diligence et l'efficacité que la Cour européenne des Droits de l'Homme requiert dans son arrêt Eckle. Se référant à nouveau aux renseignements fournis au sujet des tribunaux de Barcelone, le Gouvernement allègue que le retard subi dans le déroulement de la procédure a été motivé par des circonstances exceptionnelles, telles que l'afflux de dossiers au tribunal de première instance, la maladie du juge en fonctions près le tribunal et l'institution d'une nouvelle chambre civile à la cour d'appel. Dans cette situation exceptionnelle, les affaires ont été traitées en tenant compte de leur importance ou de leur intérêt, ainsi que de l'activité ou de l'inertie des requérants. Le Gouvernement en conclut que, bien qu'une situation exceptionnelle ait prévalu dans le déroulement de la procédure litigieuse, les autorités espagnoles ne sauraient être tenues pour responsables du retard de la procédure. Le Gouvernement défendeur considère donc que les griefs soulevés par la requérante doivent être, en outre, rejetés comme étant manifestement mal fondés.
B. La requérante
1. Observations préliminaires -------------------------- La requérante précise tout d'abord qu'elle ne prétend pas mettre en cause l'organisation et le fonctionnement de la justice en Espagne en général mais faire valoir que, dans le cas d'espèce, elle n'a pas bénéficié du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. Toutefois, la requéante estime opportun d'attirer l'attention de la Commission sur le grand décalage existant actuellement en Espagne entre la législation concernant l'administration de la justice et la pratique quotidienne. Sur ce point, la requérante considère que les mesures prises pour remédier à la situation de l'administration de la justice en Espagne sont insuffisantes. La durée excessive des procédures devant les tribunaux espagnols, y compris le Tribunal Constitutionnel, n'a pas un caractère exceptionnel, comme le prétend le Gouvernement. Les statistiques révèlent que la situation peut devenir encore plus grave. L'Ombudsman (Defensor del Pueblo), les ordres des avocats et les media ont manifesté à plusieurs reprises leur préoccupation à cet égard. Dans la présente affaire, la durée excessive de la procédure est évidente. L'inactivité du tribunal de 1ère instance puis de la cour d'appel de Barcelone constitue, en outre, une violation des dispositions du code de procédure civile. La requérante rappelle notamment que, conformément à l'article 678 du code, le juge dispose d'un délai de 12 jours à partir de la mise en délibéré de l'affaire pour rendre le jugement. Par ailleurs, il paraît étonnant que le jugement en première instance ait été rendu peu de temps après l'introduction d'un recours d'amparo et que l'arrêt en appel ait été rendu après l'introduction de la requête devant la Commission. De l'avis de la requérante, ni le recours d'amparo ni la saisine de la Commission ne devraient constituer les voies ordinaires pour accélérer le déroulement des procédures devant les juridictions espagnoles. En ce qui concerne le tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone, la requérante fait valoir que le retard subi par la procédure en question ne saurait être imputable au juge en fonctions, qui a dû s'absenter pour cause de maladie, mais à l'état de pénurie existant dans les tribunaux de Barcelone. En effet, les périodes de plus en plus fréquentes pendant lesquelles les tribunaux restent sans juge et la désignation de juges remplaçants afin de traiter les affaires urgentes constituent les motifs principaux de l'accumulation des procès et des durées excessives des procédures devant les tribunaux. En conséquence, l'argument tiré de la situation exceptionnelle du tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone ne peut être retenu pour justifier le retard de la procédure. Quant à la cour d'appel de Barcelone, les retards des procédures sont tels que les audiences ne peuvent avoir lieu qu'un an après la déclaration de l'affaire en état pour audience. La requérante renvoie ici au Rapport du Conseil supérieur de la magistrature pour l'année 1985.
2. Sur la recevabilité de la requête --------------------------------- a) La requérante soutient que, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement défendeur, l'examen de la requête n'échappe pas à la compétence ratione temporis de la Commission. Sur ce point, elle fait valoir que le point de départ de la période à prendre en considération par la Commission se situe au 28 décembre 1981, date à laquelle l'affaire fut mise en délibéré par le tribunal de 1ère instance de Barcelone. Or, cette date est postérieure au 1er juillet 1981. b) La requérante soutient également qu'elle peut se prétendre victime au sens de l'article 25 de la Convention. Il est vrai qu'elle est une personne juridique. Cependant, dans le cas d'espèce, sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable. Elle est donc victime d'une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention. c) Quant à l'exception de non-épuisement, la requérante s'étonne que le Gouvernement ait pu soutenir qu'elle n'avait pas utilisé la voie de recours prévue par la loi organique du pouvoir judiciaire, entrée en vigueur le 3 juillet 1985, pour demander à l'Etat une réparation des dommages causés par le retard de la procédure. Sur ce point, la requérante soutient tout d'abord que cette loi n'a pas un effet rétroactif et n'est pas applicable en l'espèce. A cet égard, elle relève que les tribunaux espagnols n'ont pas encore tranché cette question. En outre, la requérante fait observer que la voie de recours ouverte par la loi en question est destinée à obtenir une indemnité pour les préjudices causés par le fonctionnement défectueux de l'administration de la justice, alors que ses prétentions visaient à établir, au moyen d'un recours d'amparo, que sa cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable. Par ailleurs, la requérante affirme qu'il faudrait attendre cinq ans après l'introduction d'une action en réparation conformément aux dispositions de cette loi, pour que les tribunaux se prononcent à cet égard. Enfin, la requérante allègue que, dans le cas d'espèce, un tel recours serait voué à l'échec puisque le Tribunal Constitutionnel avait déjà estimé que la durée de la procédure n'avait pas dépassé un délai raisonnable.
3. Sur le bien-fondé de la requête ------------------------------- a) Quant à la complexité de l'affaire La requérante soutient que l'affaire qui fait l'objet de la présente requête n'est pas de nature complexe. En effet, l'affaire ne pose pas de problèmes juridiques importants et le dossier n'est pas excessivement volumineux par rapport à la moyenne des dossiers. Par ailleurs, seule la société commerciale parmi les parties défenderesses a comparu devant le tribunal. La requérante fait valoir que l'inertie des autorités judiciaires est la vraie raison de la lenteur de la procédure, les tribunaux n'ayant pas besoin d'un long délai pour examiner l'affaire. b) Le comportement de la requérante La requérante conteste l'affirmation du Gouvernement défendeur selon laquelle elle aurait dû entreprendre des démarches afin d'accélérer la procédure. En l'espèce, elle a attendu avec patience que le tribunal de 1ère instance rende le jugement dans un délai raisonnable. Lorsque la requérante a estimé que le tribunal avait dépassé ce délai, elle a saisi le Tribunal Constitutionnel d'un recours d'amparo. En soutenant que la requérante aurait dû agir bien plus tôt, le Gouvernement défendeur méconnaît la réalité du fonctionnement de la justice en Espagne. c) Quant à la manière dont l'affaire a été traitée par les autorités judiciaires La requérante se réfère ici à ses observations au sujet du décalage existant entre la législation et la pratique quotidienne et souligne que les mesures prises pour remédier au mauvais fonctionnement de l'administration de la justice en Espagne se sont avérées insuffisantes. Des observateurs pourraient s'en apercevoir tout de suite au cas où ils se rendraient en Espagne afin de vérifier ces affirmations. Par ailleurs, la loi organique du pouvoir judiciaire n'est pas entrée en vigueur dans sa totalité. Le nombre d'affaires pendantes devant les tribunaux ne cesse d'augmenter et, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, la situation s'est aggravée.
EN DROIT Devant la Commission, la requérante allègue la violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention, considérant que la durée de la procédure engagée en mai 1979 devant les juridictions civiles espagnoles ne répond pas à la condition du "délai raisonnable" posée au paragraphe 1er de cette disposition. En particulier, elle fait valoir qu'un délai de deux ans s'est écoulé entre la date à laquelle le tribunal de 1ère instance a mis l'affaire en délibéré et celle du prononcé du jugement. En outre, elle fait valoir que la durée de la procédure en appel a été excessive. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention prévoit notamment que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le Gouvernement fait valoir tout d'abord que la période de temps à considérer pour l'examen de la durée de la procédure en question ne débuterait qu'à la date de prise d'effet de la déclaration d'acceptation du droit de recours individuel par l'Espagne, à savoir le 1er juillet 1981. La Commission rappelle que l'Espagne n'a reconnu la compétence de la Commission de se saisir de requêtes individuelles que dans la mesure où celles-ci portent sur des actes, décisions, faits ou événements postérieurs à la date de sa première déclaration faite en application de l'article 25 (art. 25) de la Convention. Elle rappelle également la jurisprudence de la Cour ainsi que sa propre jurisprudence selon laquelle, pour apprécier le caractère raisonnable de la durée d'une procédure qui s'est déroulée postérieurement à la prise d'effet de la déclaration d'acceptation du recours individuel par un Etat, il faut tenir compte de l'état où cette procédure se trouvait alors (voir notamment Cour Eur. D.H., arrêt Foti du 10 décembre 1982, série A n° 56, p. 16, par. 53 ; Foti c/Italie, rapport Comm. 15.12.80, par. 103). La Commission relève qu'au 1er juillet 1981, la procédure en question était pendante devant les juridictions espagnoles depuis mai 1979 et que c'est donc seulement dans la mesure où celle-ci s'est poursuivie après le 1er juillet 1981 que la Commission est appelée à en apprécier la durée. Le Gouvernement soutient ensuite que, dans la mesure où la requérante n'a pas démontré avoir subi un préjudice en raison du retard de la procédure, elle ne peut pas se prétendre victime, au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention. De l'avis de la Commission, cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention garantit à toute personne physique ou morale le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, et cela abstraction faite de toutes considérations d'ordre économique. (a) Quant à l'épuisement des voies de recours internes Le Gouvernement a soulevé une exception de non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, il allègue tout d'abord que la requérante n'a pas utilisé la voie ouverte par la loi organique sur le pouvoir judiciaire, entrée en vigueur le 3 juillet 1985, pour demander à l'Etat une réparation du préjudice causé par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice. En effet, aux termes des articles 292 et 293 de cette loi, les dommages causés par un fonctionnement défectueux de l'administration de la justice donnent aux victimes le droit à une indemnité à la charge de l'Etat. En particulier, le Gouvernement soutient que cette loi a un effet rétroactif. La requérante conteste la thèse du Gouvernement selon laquelle ladite loi a un effet rétroactif et fait valoir, en outre, que la voie de recours prévue par la loi organique sur le pouvoir judiciaire est destinée à obtenir une indemnité alors que ses prétentions visaient à faire établir, au moyen du recours d'amparo qu'elle a formé, que sa cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable. En l'espèce, la Commission constate que la requérante, avant que la juridiction de première instance n'ait statué, a formé en octobre 1983 un recours d'amparo devant le Tribunal Constitutionnel en se plaignant du retard de la procédure et en invoquant l'article 24 par. 2 de la Constitution, qui garantit le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable (sin dilaciones indebidas). La requérante a donc exercé le recours spécifique existant en droit espagnol pour se plaindre de la durée excessive d'une procédure. En particulier, la Commission relève que le Tribunal Constitutionnel n'a pas dit que la requérante aurait dû exercer d'autres recours. La Commission est d'avis que le Gouvernement n'a pas démontré qu'un recours sur la base de la loi organique du pouvoir judiciaire pouvait être considéré comme un recours effectif dans une affaire où la plus haute juridiction nationale, à savoir le Tribunal Constitutionnel, avait déjà décidé que la durée de la procédure n'avait pas dépassé un délai raisonnable. Par ailleurs, le Gouvernement relève que la requérante s'est uniquement plainte devant le Tribunal Constitutionnel de la durée de la procédure en première instance. Dans la mesure où la requérante, devant la Commission, se plaint aussi de la durée de la procédure d'appel, la question se pose de savoir si elle aurait dû former un autre recours d'amparo pour se plaindre du retard de cette procédure ci. L'article 26 (art. 26) de la Convention exige l'épuisement des seuls recours relatifs à la violation incriminée, accessibles et adéquats (Cour Eur. D.H., arrêt de Jong, Baljet et van den Brink du 22 mai 1984, série A n° 77, p. 19, par. 39 ; arrêt Englert du 25 août 1987, série A n° 123, p. 12, par. 32). En l'espèce, la Commission relève que le Tribunal Constitutionnel, saisi par la requérante d'un recours d'amparo en octobre 1983 pour se plaindre de la durée excessive d'une procédure engagée quatre ans plus tôt, avait estimé que, compte tenu des conséquences que le retard de la procédure avait pu entraîner pour la requérante et de la situation de blocage existant au tribunal de 1ère instance No 9 de Barcelone, l'affaire n'exigeait pas un traitement prioritaire, et avait rejeté le recours. Il ne semble donc pas que la requérante aurait pu former avec quelque chance de succès un nouveau recours d'amparo se plaignant cette fois du retard de la procédure en appel qui a duré deux ans et cinq mois environ. A cet égard, la Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle "la règle de l'épuisement des voies de recours internes n'exige pas l'exercice d'un recours manifestement dépourvu de toutes chances de succès" (No 7308/75, déc. 12.10.78, D.R. 16 p. 32). Dans ces circonstances, la Commission exprime l'avis que la requérante doit être considérée comme ayant épuisé les recours internes. (b) Quant à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce, selon les circonstances de la cause. En matière pénale, la Cour européenne des Droits de l'Homme a pris en considération à cet égard, notamment la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, par exemple, Cour Eur. D.H., arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 45 par. 110 ; arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 35 par. 80). Elle a tenu compte des mêmes critères là où il s'agissait d'instances relatives à des droits de caractère civil (Cour Eur. D.H., arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, p. 34 par. 99 ; arrêt Buchholz du 6 mai 1981, série A no 42, pp. 15-16 par. 49). Au regard de ces critères et prenant en considération les circonstances propres à la présente affaire, la Commission, après un premier examen de l'argumentation présentée par les parties, estime que le grief tiré par la requérante de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne peut être considéré comme étant manifestement mal fondé car il soulève des problèmes suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d'un examen du bien-fondé de l'affaire. Par ailleurs, aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été établi. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond étant réservés. Le Secrétaire adjoint Le Président en exercice de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (J.A. FROWEIN)


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : recevable (partiellement) ; irrecevable (partiellement)

Parties
Demandeurs : UNION ALIMENTARIA SANDERS S.A.
Défendeurs : l'ESPAGNE

Références :

Origine de la décision
Formation : Commission
Date de la décision : 11/12/1987
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11681/85
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-12-11;11681.85 ?

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