La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/1987 | CEDH | N°11105/84

CEDH | H., contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 11105/84 présentée par M. et Mme H. contre la France ------ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 octobre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER

H.G. SCHERMERS H. DANELIUS ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 11105/84 présentée par M. et Mme H. contre la France ------ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 15 octobre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 (art. 25) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 9 août 1984 par H. contre la France et enregistrée le 27 août 1984 sous le No de dossier 11105/84 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause tels que présentés par les requérants peuvent se résumer comme suit : Les requérants, de nationalité française, sont mari et femme. Ils sont retraités et résident à G., France. Ils sont nés respectivement en 1921 et en 1926. Ils sont représentés devant la Commission par Me Henri Bouvet, avocat à Sault de Vaucluse. Le 26 décembre 1973, à la suite d'une plainte du directeur des services fiscaux, datée le 20 décembre 1973, un juge d'instruction fut désigné par le président du tribunal de grande instance de Chaumont pour suivre l'information concernant le requérant M. H., suspecté d'avoir commis une fraude fiscale pour usage de fausses factures et de faux en écriture de commerce. Sur commission rogatoire du 14 mars 1974, de multiples perquisitions eurent lieu aux domiciles privé et commercial du requérant. Par ailleurs, le juge d'instruction fit procéder les 4 et 5 avril 1974 à l'écoute et la transcription des communications téléphoniques commerciales et privées de celui-ci. Le 8 avril 1974 le requérant a reçu notification d'une inculpation de fraude fiscale et de faux en écriture de commerce. Le 9 avril 1974, il a été interrogé par le juge d'instruction. Le 25 avril 1974 l'ensemble du dossier de l'affaire a été communiqué par le juge d'instruction à l'inspecteur de la répression des fraudes, B., qui a par la suite été entendu en tant que témoin par ce juge d'instruction. Le 12 octobre 1976 le juge d'instruction a rejeté une requête présentée par le requérant, sollicitant une expertise technique et comptable. Il a affirmé que les enquêtes effectuées au niveau de témoins producteurs agricoles avec lesquels le requérant avait des relations professionnelles, ainsi que des investigations au sein des établissements auxquels le requérant fournissait des produits, ont été plus que probantes et qu'une mesure d'expertise serait dès lors inopérante et sans objet. Le 13 décembre 1976 le président de la chambre d'accusation de la cour de Dijon a décidé qu'il n'y avait pas lieu de saisir la chambre d'accusation de l'appel formulé par le requérant contre cette ordonnance du juge d'instruction. La requérante fut interrogée en qualité de témoin à plusieurs reprises depuis le 20 mars 1974. Elle fut à son tour inculpée le 13 mai 1976 de complicité de fraude fiscale et de faux en écriture de commerce. Le 30 mars 1982 le tribunal de grande instance de Chaumont a rejeté les exceptions de nullité de la procédure soulevées par les requérants sur la base d'atteinte aux droits de défense résultant des écoutes téléphoniques, de l'inculpation tardive de la requérante et de la violation du secret de l'instruction par la communication de pièces d'information au témoin à charge B. Toutefois, ce témoin n'a pas été entendu à l'audience. Le tribunal a par ailleurs refusé d'ordonner l'expertise technique et comptable sollicitée par le requérant au motif que "l'examen des éléments matériels objectifs et certains recueillis tant au cours de l'enquête qu'au cours de l'information" ont établi formellement les délits et qu'une expertise était dès lors inutile. Statuant en matière correctionnelle ce tribunal a condamné le requérant à huit mois d'emprisonnement dont deux mois exécutoires et six mois avec sursis simple et la requérante à deux mois d'emprisonnement avec sursis. Le 17 mars 1983 la cour d'appel de Dijon a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Chaumont et a aggravé les peines des requérants condamnant le requérant à deux ans d'emprisonnement dont deux mois exécutoires et vingt-deux mois avec sursis simple et 10.000 F d'amende et la requérante à six mois d'emprisonnement avec sursis. Elle a en outre ordonné à titre de peine complémentaire la publication de certains extraits de l'arrêt dans différents journaux. Les requérants se sont pourvus en cassation soutenant que la mesure des écoutes téléphoniques et la communication du dossier de l'instruction à l'inspecteur de la répression des fraudes ont porté atteinte aux droits de la défense. Ils ont invoqué entre autres les articles 8 (art. 8) et 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Par ailleurs ils ont contesté la suffisance des preuves dont disposaient le tribunal de grande instance et la cour d'appel pour les déclarer coupables et ont insisté sur la nécessité d'une expertise. Le 24 avril 1984 la cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a affirmé qu'aucun préjudice n'a été porté aux droits de défense des requérants. Elle a noté que la mesure des écoutes n'a pas servi de base à la poursuite et qu'elle n'a duré que 28 heures. Cette mesure ne serait donc pas de nature à nuire aux droits de la défense. La cour confirma par ailleurs le jugement de la cour d'appel en ce qu'aucune nullité ne pouvait être déduite de la violation du secret d'instruction et qu'en outre l'inspecteur de la répression des fraudes n'ayant pas été entendu à l'audience et aucun de ses dires n'étant invoqué pour conforter la conviction des juges, cette irrégularité n'aurait pas porté atteinte aux droits de défense. La cour a enfin constaté que la cour d'appel de Dijon avait souverainement apprécié la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire et qu'elle avait donné une base légale à sa décision.
GRIEFS
1. Le requérant M. H. se plaint de ne pas avoir benéficié d'un procès équitable. Il allègue que tant pendant l'instruction que pendant le procès, la preuve de sa culpabilité n'aurait pu être reconnue sans l'expertise technique et comptable qu'il avait sollicitée et soutient que le juge d'instruction a rejeté la demande de l'expertise pour des motifs tirés de la déposition irrégulière du témoin B. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
2. Le requérant soutient par ailleurs qu'il n'a été que tardivement inculpé. En effet il note que la plainte du directeur des services fiscaux a été déposée le 20 décembre 1973 tandis que la notification de l'inculpation ne lui a été faite que le 8 avril 1974. Il allègue une violation de l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention. La requérante se plaint en outre d'une violation de l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention. Elle soutient que bien que le juge d'instruction possédait déjà les éléments pour l'inculper dès le 20 mars 1974, elle fut entendue à plusieurs reprises mais seulement en qualité de témoin jusqu'au jour de son inculpation officielle le 13 mai 1976. Pendant ces deux ans elle n'a pas pu se faire assister d'un défenseur pendant les interrogatoires, ce qui l'a privée de son droit à un procès équitable.
3. Les deux requérants se plaignent enfin de la décision du juge d'instruction de mettre leurs téléphones sur écoute et notamment celui de leur domicile privé. Ils allèguent une violation de l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'abord du refus des juridictions saisies de son affaire d'annuler l'instruction, à la suite de la communication du dossier d'information à un témoin à charge. Il allègue que la déposition de ce témoin, qu'il considère comme irrégulière, a conduit au rejet de sa demande d'expertise et l'a ainsi privé de preuves décisives en sa faveur. Il soutient ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission observe d'abord que le principe du secret de l'instruction n'est pas, pour le moins en tant que tel, reconnu par la Convention. Elle observe en effet que selon le par. 3 d) de l'article 6 (art. 6-3-d), tout accusé a droit notamment à "interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge" et que cette garantie de procédure est un aspect particulier de la notion du procès équitable (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Bönisch du 6 mai 1985, série A vol. 110, par. 29). La Commission estime que la communication d'informations à un témoin à charge et à lui seul, pourrait, dans certaines conditions, poser un problème à l'égard de cette disposition et en particulier des termes "dans les mêmes conditions". La Commission rappelle en outre sa jurisprudence constante selon laquelle la question de la violation de l'article 6 (art. 6) doit être examinée en tenant compte de l'ensemble de la procédure (cf. par exemple No 5923/72, déc. 30.5.75, D.R. 3 p. 43 et Schertenleib c/Suisse, rapport Comm. 11.12.80, D.R. 23 p. 137). La Commission constate qu'en l'espèce le témoin en question n'a pas été entendu à l'audience et qu'aussi bien la cour d'appel de Dijon que la Cour de cassation ont noté qu'aucun des dires de ce témoin n'a été utilisé pour conforter la conviction des juges du fond, ce que du reste le requérant ne conteste pas. En outre, dans la mesure où le requérant prétend que la déposition du témoin en question pendant l'instruction a constitué le motif exclusif du rejet de ses demandes d'expertise tant par les juridictions d'instruction que par les juridictions du fond, la Commission constate que les juridictions d'instruction ont retenu pour fonder leur décision de rejet de la demande d'expertise toute une série d'éléments et notamment les dépositions de plusieurs témoins avec qui l'accusé entretenait des relations professionnelles, ainsi que les résultats des investigations entreprises au sein des établissements dont le requérant était le fournisseur. En outre, les juridictions de fond ont fondé leur décision de rejet de la demande d'expertise sur l'ensemble "des éléments matériels objectifs et certains recueillis tant au cours de l'enquête qu'au cours de l'information" parmi lesquels figurent des documents saisis lors des multiples perquisitions qui eurent lieu aux domiciles privé et commercial du requérant. La Commission constate en outre que le requérant a pu présenter ses arguments relatifs à la nécessité d'une expertise devant tous les tribunaux saisis de l'affaire. Dans ces conditions, la Commission estime que le requérant n'a pas montré en quoi les conditions dans lesquelles le témoin en question a été entendu au cours de l'instruction ont pu nuire à ses droits de défense. L'examen de ce grief par la Commission, tel qu'il a été présenté, ne permet donc de déceler aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et notamment par l'article 6 par. 1 et par. 3 d) (art. 6-1-3-d). Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants se plaignent de n'avoir été inculpés que tardivement. Ils précisent que la plainte pénale contre le requérant avait été déposée le 20 décembre 1973 alors que celui-ci a reçu notification de son inculpation le 8 avril 1974. Quant à la requérante, elle soutient que le juge d'instruction possédait déjà les éléments pour l'inculper dès le 20 mars 1974, alors que celle-ci a été entendue en tant que témoin jusqu'au 13 mai 1976, date de son inculpation. L'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention dispose que "tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, ..., de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui". En outre l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c)de la Convention dispose que "tout accusé a droit notamment à ... avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent". Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par les requérants révèlent l'apparence d'une violation de ces dispositions. En effet, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que le requérant a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 6861/75, déc. 14.7.75, D.R. 3 p. 147 ; Nos 5573/72 et 5670/72, déc. 16.7.76, D.R. 7 p. 8). En l'espèce, le requérant n'a soulevé ni formellement ni même en substance ce grief au cours des procédures devant les juridictions françaises. Quant à la requérante, bien qu'elle ait soulevé ce grief devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel, elle ne l'a pas soulevé, ne fût-ce qu'en substance, devant la Cour de cassation. Il s'ensuit que les requérants n'ont pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que leur requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
3. Les requérants se plaignent enfin de la décision du juge d'instruction de faire écouter leurs relations téléphoniques. Ils allèguent une violation de l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention. La Commission estime que ce grief doit être examiné à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme en matière d'ingérence dans la vie privée et la correspondance de l'individu (cf. par ex. Cour Eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28 ; Cour Eur. D.H., arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82). Elle estime toutefois ne pas être en possession des éléments nécessaires à cet examen, de sorte qu'elle ne saurait statuer sur la recevabilité de ce grief sans une procédure contradictoire et décide, conformément à l'article 42 par. 2 litt. b) de son Règlement intérieur, de porter le grief à la connaissance du Gouvernement défendeur. Par ces motifs, la Commission AJOURNE l'examen de la requête quant au grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire de la Commission Le Président de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11105/84
Date de la décision : 15/10/1987
Type d'affaire : DECISION (partielle)
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : H.,
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-10-15;11105.84 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award