La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/1987 | CEDH | N°11159/84

CEDH | L. et A. contre la Belgique


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11159/84 présentée par J.L. et G.A. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil 5 octobre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE

Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11159/84 présentée par J.L. et G.A. contre la Belgique __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil 5 octobre 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER J. CAMPINOS H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 12 septembre 1984 par J. L. et G. A. et enregistrée le 24 septembre 1984 sous le No de dossier 11159/84 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : Les requérants sont de nationalité belge et docteurs en médecine. Le requérant J.L. est né en 1953 et a son domicile à B. ; le requérant G.A. est né en 1950 et a son domicile à H.. Dans la procédure devant la Commission ils sont représentés par Me C. PANIER, assistant à la Faculté de Droit de l'Université Catholique de Louvain et par Me J. M. DERMAGNE, avocat à Dinant. Par une décision datée du 13 janvier 1983, le conseil de l'Ordre des médecins de la Province de Luxembourg (Belgique) statuant par défaut et à huis clos a prononcé contre les requérants la peine disciplinaire de la suspension du droit d'exercer l'art médical et en a fixé la durée à 1 jour. Par une décision précédente du 2 décembre 1982, le même conseil avait, statuant sur incident, décidé qu'il n'y avait pas lieu à statuer en audience publique. La prévention reprochée aux requérants était celle d'avoir "au mois de mars 1982, négligé de prendre part à l'élection des membres de conseil provincial de l'Ordre des médecins du Luxembourg". Les requérants ont tous deux interjeté appel le 21 janvier 1983 contre les décisions des 2 décembre 1982 et 13 janvier 1983. En date du 7 février 1983, le conseil national de l'Ordre des médecins a également frappé d'appel la décision prise à l'encontre des requérants par le conseil provincial du Luxembourg en date du 13 janvier 1983. La motivation donnée par le conseil national à son acte d'appel était la suivante : "Attendu qu'eu égard à la nature des faits la sanction prononcée apparaît trop sévère". Le 17 mars 1983, les requérants ont comparu devant le conseil d'appel de l'Ordre des médecins, lequel admit que les débats aient lieu en audience publique. Par une décision du 14 juin 1983, le conseil d'appel de l'Ordre des médecins reçut les appels formulés tant par les requérants que par le conseil national de l'Ordre des médecins et, estimant la prévention établie, porta la sanction à une suspension du droit d'exercer l'art de guérir pendant trois jours. Les requérants formulèrent, par requête du 14 juillet 1983, un pourvoi en cassation contre cette décision, pourvoi qui fut rejeté par arrêt du 15 mars 1984. Cet arrêt fut notifié aux requérants le 4 avril 1984. Tant au cours de l'instruction de leur dossier que devant les juridictions disciplinaires où ils comparurent les requérants firent connaître les motifs d'ordre politique pour lesquels ils avaient refusé de participer à l'élection des membres du conseil provincial de l'Ordre des médecins.
GRIEFS Les griefs des requérants peuvent se résumer comme suit : Les requérants allèguent la violation des articles 6 par. 1 et 10 par. 1 de la Convention. Quant à l'article 6 par. 1 : Cette disposition prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial alors que, dans le cas d'espèce, les sanctions infligées aux requérants (interdiction momentanée d'exercer leur profession) ont été prononcées par les personnes mêmes à l'élection desquelles les concluants avaient refusé de participer et alors même que l'objet de la prévention reprochée aux requérants était cette non participation à l'élection. Quant à l'article 10 par. 1 : Cette disposition garantit à toute personne la liberté d'expression alors que les requérants ont été sanctionnés pour avoir, par leur refus de participer aux élections internes de l'Ordre des médecins, exprimé leur opinion au sujet de l'illégitimité de cet Ordre et le caractère politique de son fonctionnement. La déontologie du médecin belge oblige celui-ci au respect du devoir de réserve. Il ne lui est pas permis de critiquer publiquement l'Ordre des médecins sans risque de se voir reprocher, par les instances disciplinaires de celui-ci, une atteinte à ce devoir de réserve. Le refus de participer aux élections internes à l'Ordre des médecins est donc pratiquement l'une des seules possibilités ouvertes aux requérants pour manifester leur opinion à l'égard de cet Ordre et de son fonctionnement. 11158/84 L'article 9 alinéa 2 de l'arrêté royal No 79 du 10 novembre 1967 et l'article 2 de l'arrêté royal du 28 décembre 1972, tout en rendant obligatoire sous peine de sanction disciplinaire la participation aux élections, prévoient néanmoins la possibilité pour les médecins de justifier d'un "motif légitime" pour s'abstenir de semblable participation. En l'espèce, les objections formulées par les requérants constituent bien un motif légitime d'abstention au scrutin en tant que cette abstention constitue pour eux une modalité d'exercice de leur liberté d'expression. Ni les juridictions du fond, ni la Cour de cassation de Belgique n'ont reconnu à ces objections le caractère de motifs légitimes. Les requérants demandent l'annulation des décisions prises à leur encontre par le conseil provincial du Luxembourg de l'Ordre des médecins, le 13 janvier 1983, et par le conseil d'appel de l'Ordre des médecins, le 14 juin 1983. Ils demandent, par ailleurs, l'octroi d'une juste indemnité en réparation du préjudice qui leur a été causé par ces décisions et proposent que cette indemnité soit fixée à 100.000 francs belges pour chacun d'eux.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent que leur cause n'a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, alors que la sanction de la suspension d'exercer leur profession pendant trois jours a été prononcée à leur encontre par les personnes mêmes à l'élection desquelles ils avaient refusé de participer et que l'objet même de la prévention qui leur était reprochée était cette non participation à l'élection. Il échet de rappeler que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) est applicable aux procédures telles que celle mise en cause en l'espèce, ainsi que la Cour européenne des Droits de l'Homme l'a précisé, notamment dans les affaires Le Compte, Van Leuven et De Meyere et Albert et Le Compte (Cour Eur. D.H., arrêt du 23 juin 1981, série A no 43 p. 19, par. 41 et suivants, et arrêt du 10 février 1983, série A no 58 p. 14, par. 25 et suivants). Dans ces affaires, la Cour a examiné la question de savoir si le conseil d'appel et la Cour de cassation réunissaient tous deux les conditions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), dans le cadre de leurs attributions. Elle a donc recherché si chacun d'eux constituait bien un "tribunal", "établi par la loi", "indépendant" et "impartial", et s'il a entendu "publiquement" la cause des requérants. Elle a précisé que "si la Cour de cassation présente à l'évidence les caractères d'un tribunal, malgré les limites de sa compétence (...), il importe de vérifier s'il en va de même du conseil d'appel. Son rôle juridictionnel (...) ne suffit pas. D'après la jurisprudence de la cour (arrêt Neumeister, p. 44 ; arrêt De Wilde et Ooms du 18 juin 1971, série A no 12, p. 41 par. 78 ; arrêt Ringeisen p. 39 par. 95), seul mérite l'appellation de tribunal un organe répondant à une série d'autres exigences - indépendance à l'égard de l'exécutif comme des parties en cause, durée du mandat des membres, garanties offertes par la procédure - dont plusieurs figurent dans le texte même de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)" (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere précité, p. 24 par. 55). La question pourrait se poser de savoir si, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le conseil d'appel de l'Ordre des médecins soulève des problèmes notamment au titre de l'impartialité. La Commission rappelle la jurisprudence de la Cour sur ce point particulier. Dans ses arrêts précités (série A no 43 p. 25, par. 58 et série A no 58 p. 17 par. 32), la Cour a déclaré que l'impartialité de la Cour de cassation de Belgique, lorsqu'elle examine des pourvois en matière de procédure disciplinaire à l'encontre de médecins, ne saurait prêter à discussion. En ce qui concerne le conseil d'appel, elle a précisé que l'impartialité personnelle des membres d'un "tribunal" doit en principe se présumer jusqu'à preuve du contraire. Quant à l'impartialité considérée sous un angle objectif et organique (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Piersack du 1er octobre 1982, série A no 53, pp. 14-15, par. 30), aucun élément du dossier ne permet à la cour d'en douter spécialement, le mode de désignation des médecins siégeant dans les conseils d'appel n'autorise pas à les taxer de partialité : quoique élus par les conseils provinciaux, ils n'agissent pas en qualité de représentants de l'Ordre des médecins mais à titre personnel, tout comme les membres magistrats nommés, eux, par le Roi. La Commission relève qu'en l'espèce les membres médecins des conseils de l'Ordre appelés à statuer avaient, en leur qualité de médecins, des intérêts très proches de ceux des requérants. En outre, l'objet même de la prévention qui leur était reproché était cette non participation à l'élection des membres du conseil appelés à statuer dans cette affaire. Toutefois, ainsi que la Cour européenne des Droits de l'Homme l'a précisé, la présence de magistrats occupant la moitié des sièges, dont celui du président avec voie prépondérante, donne un gage certain d'impartialité, même dans les circonstances de l'espèce telles qu'elles sont décrites ci-dessus. La Commission relève en outre que la sanction infligée aux requérants a été la suspension du droit d'exercer la profession médicale pendant une durée très brève puisqu'elle n'a été que de trois jours. Dans ces conditions, la Commission n'estime pas nécessaire de se départir de la conclusion à laquelle la Cour européenne des Droits de l'Homme est parvenue sur ce point dans les affaires précitées. Les requérants n'ayant apporté à l'appui de leur allégation aucun élément susceptible de mettre en doute l'impartialité du conseil d'appel de l'Ordre appelé à statuer dans la procédure disciplinaire engagée contre eux, la Commission parvient à la conclusion que rien ne permet de penser que cet organe n'était pas un "tribunal impartial" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que la requête doit être rejetée sur ce point comme étant manifestement mal fondée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Les requérants se plaignent en outre d'une violation de l'article 10 par. 1 (art. 10-1) de la Convention du fait qu'ils ont été sanctionnés pour avoir, par leur refus de participer aux élections internes de l'Ordre des médecins, exprimé leur opinion au sujet de la prétendue illégitimité de cet Ordre et le caractère politique de son fonctionnement. L'article 10 par. 1 (art. 10-1) garantit à toute personne la liberté d'expression. Dans l'affaire Handyside la Cour européenne des Droits de l'Homme a donné des termes "liberté d'expression" l'interprétation suivante : "Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2) (la liberté d'expression) vaut non seulement pour les 'informations' ou 'idées' accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de 'société démocratique'." La Commission relève que l'Ordre belge des médecins est une institution de droit public. Pour accomplir les tâches que lui a confiées l'Etat belge, il jouit en vertu de la loi de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que normatives ou disciplinaires, et utilise des procédés de la puissance publique (arrêts précités, respectivement par. 64 et 44). Il s'ensuit que la législation peut comme en l'espèce, prévoir l'obligation de participer aux élections internes. Toutefois, le fait que les requérants aient été sanctionnés pour avoir refusé de participer à de telles élections ne saurait constituer une atteinte à la liberté d'expression, au sens de l'article 10 par. 1 (art. 10-1), car ils disposaient d'autres moyens pour exprimer leurs idées, ce bien que la déontologie médicale exige un certain respect du devoir de réserve. La Commission parvient donc à la conclusion que la requête doit être rejetée sur ce point également comme étant manifestement mal fondée, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Commission Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 11159/84
Date de la décision : 05/10/1987
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : irrecevable (partiellement)

Analyses

(Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : L. et A.
Défendeurs : la Belgique

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-10-05;11159.84 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award