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08/07/1987 | CEDH | N°9840/82

CEDH | AFFAIRE B. c. ROYAUME-UNI


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE B. c. ROYAUME-UNI
(Requête no 9840/82)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 1987
En l’affaire B. contre Royaume-Uni*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
G. Lagergren,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,<

br> C. Russo,
R. Bernhardt,
J. Gersing,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, g...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE B. c. ROYAUME-UNI
(Requête no 9840/82)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 1987
En l’affaire B. contre Royaume-Uni*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.  R. Ryssdal, président,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
G. Lagergren,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir  Vincent Evans,
MM.  R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J. Gersing,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 novembre et 1er décembre 1986, puis les 28-29 janvier et le 26 mai 1987,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 28 janvier 1986, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (no 9840/82) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et introduite devant la Commission le 26 avril 1982, en vertu de l’article 25 (art. 25), par une ressortissante britannique dont l’identité demeure confidentielle en raison du caractère délicat de l’affaire.
2.   La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration britannique de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui lui incombent aux termes des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13).
3.   En réponse à l’invitation prescrite à l’article 33 § 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).
4.   Le 19 mars 1986, le président de la Cour a estimé que dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y avait lieu de confier à une chambre unique l’examen de la présente affaire et des affaires O., H., W. et R. contre Royaume-Uni (article 21 § 6).
La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b)) du règlement. Le 19 mars 1986, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. G. Lagergren, M. C. Russo, M. J. Gersing et M. J. De Meyer, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
5.   En sa qualité de président de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement du Royaume-Uni ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil de la requérante au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues le greffe a reçu:
- le 11 août 1986, le mémoire de la requérante;
- le 13 août 1986, celui du Gouvernement.
Par une lettre du 21 octobre 1986, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué s’exprimerait lors des audiences.
6.   Le 23 octobre 1986:
a) la Chambre a résolu, en vertu de l’article 50 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière;
b) le président de la Cour a ordonné que la procédure orale se déroulerait simultanément en l’espèce et dans les affaires O., H., W. et R. contre Royaume-Uni et s’ouvrirait le 25 novembre 1986 (articles 37 § 3 et 38);
c) la Cour a décidé le huis clos, en raison des circonstances exceptionnelles de la cause (article 18).
Sur les points b) et c), le président ou la Cour, selon le cas, avaient consulté au préalable agent du Gouvernement, délégué de la Commission et représentants des requérants par l’intermédiaire du greffier.
7.   Les débats ont eu lieu à huis clos les 25 et 26 novembre 1986, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. M. Wood, conseiller juridique
au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,    agent,
M. Beloff, Q.C.,
E. Holman, avocat,  conseils,
R. Aitken, ministère de la Santé et de la Sécurité sociale,
Mme A. Whittle, ministère de la Santé et de la Sécurité sociale,
MM. H. Redgwell, Lord Chancellor’s Department,
P. Evans, Solicitor’s Office,
Conseil de comté du Gloucestershire,  conseillers;
- pour la Commission
M. H. Danelius,  délégué;
- pour la requérante
M. P. Edwards,
Mlle A. Casey, solicitors.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de trois juges, M. Beloff pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et M. Edwards pour la requérante.
Le Gouvernement a produit divers documents pendant ou aussitôt après les audiences.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le contexte
8.   La requérante, citoyenne britannique née en 1957, vit en Angleterre. Élevée par son père, elle a fréquenté jusqu’à l’âge de quinze ans une école spéciale pour enfants anormaux. Son fils, P., est né le 17 juillet 1977; elle a eu un deuxième enfant le 30 janvier 1979 et un troisième le 22 septembre 1983. Elle a divorcé du père de P. le 26 mai 1980.
9.   Quatre jours avant la naissance de P., une réunion ad hoc de travailleurs sociaux, à laquelle la requérante n’assistait pas et n’était pas représentée, se tint à l’hôpital pour l’examen de la situation de l’enfant. Elle avait été organisée parce que les services sociaux de l’autorité locale avaient connaissance de difficultés entre la requérante et son mari, ainsi que de problèmes de logement de nature à en résulter, et se demandaient si l’intéressée serait apte à s’occuper de l’enfant. On aboutit à la conclusion qu’elle ne négligerait pas délibérément le bébé, mais risquait de se révéler incapable d’en comprendre les besoins en raison de son propre niveau d’intelligence; on proposa donc une aide intensive de visiteurs sanitaires et de travailleurs sociaux confessionnels.
10.  Après la naissance, la requérante et P. retournèrent au domicile conjugal. Le 22 août 1977, un visiteur sanitaire y fut appelé parce que le mari de la requérante l’avait battue; elle alla vivre chez son père avec P.
D’après le Gouvernement, elle regagna le domicile conjugal en octobre 1977 après un désaccord avec son père, mais revint chez celui-ci le 18 novembre parce que son mari cohabitait avec une autre femme. La requérante nie avoir quitté la maison de son père pendant cette période, mais selon un rapport d’enquête sociale établi à la suite de sa demande de mise en tutelle (paragraphe 20 ci-dessous), comme elle et P. ne pouvaient demeurer avec le mari, qui vivait avec une autre femme, on leur trouva une place dans un foyer pour mère avec bébé.
Le 20 novembre, les travailleurs sociaux compétents décidèrent que la requérante pourrait être à même de prendre soin de P. si un adulte responsable la secondait en permanence. Ses rapports avec son père semblant se stabiliser, les services sociaux de la zone dans laquelle il résidait acceptèrent d’assumer la surveillance de la famille. Toutefois, une longue maladie du travailleur social désigné empêcha le concours projeté.
11.  Le 22 mars 1978, la requérante rentra pour peu de temps chez son mari, mais en avril elle noua des relations avec A., auprès de qui elle passa six semaines environ. Le 7 avril, P. subit une blessure non accidentelle dont sa mère, quatre jours plus tard, se reconnut l’auteur. Le 8 mai, elle comparut devant une Magistrates’ Court, plaida coupable de voies de fait sur la personne de son fils et fut mise sous probation.
B. Ordonnance de placement en lieu sûr et placement de P. chez des parents nourriciers
12.  A la lumière d’un rapport sur l’incident mentionné en dernier lieu, l’autorité locale sollicita et, le 11 avril 1978, obtint une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 27 ci-dessous) concernant P. En conséquence, l’enfant fut admis à l’hôpital où l’on jugea ses blessures peu graves. Trois jours plus tard, à la suite d’une réunion ad hoc de travailleurs sociaux, il fut décidé que la requérante n’ayant pas de logement convenable, P. quitterait l’hôpital pour une famille d’accueil proche du domicile du père de la requérante, laquelle pourrait ainsi le rencontrer aisément et fréquemment. L’autorité pensait restituer à bref délai P. à la garde de sa mère. Entre le 14 avril et le 26 juin, période pendant laquelle elle changea d’adresse quatre fois et mena une vie instable, la requérante rendit à l’enfant une dizaine de visites mais à des intervalles irréguliers et sans respecter divers rendez-vous fixés.
Le 28 avril, le travailleur social responsable informa le père de la requérante des circonstances qui avaient conduit à placer P. chez des parents nourriciers. Son interlocuteur se déclara non désireux, pour le moment, de la reprendre chez lui et convaincu que son petit-fils, heureux et bien soigné, devait rester auprès des intéressés. A l’époque, il considérait qu’il s’agissait du meilleur endroit pour l’enfant, dont son propre travail l’empêcherait de s’occuper.
13.  Jusqu’en décembre 1978, l’autorité locale obtint pour P. une série d’ordonnances d’assistance provisoire (paragraphe 33 ci-dessous) les 8 mai, 5 juin, 3 juillet, 17 juillet, 14 août, 11 septembre, 12 octobre, 26 octobre et 23 novembre 1978.
Après une réunion ad hoc qui se déroula le 12 juin 1978 en présence de travailleurs sociaux responsables de P. on estima que le mode de vie et les contacts restreints de la requérante avec l’enfant constituaient un obstacle au plan initial de réinsertion immédiate; il fallait donc confier P., pour une longue période, à des parents nourriciers demeurant moins près du domicile de sa mère. Selon le rapport de l’assistance sociale, on décida, dans l’intérêt de P., de ne pas indiquer à la légère à la requérante l’adresse de son fils, car elle ne semblait pas s’intéresser à lui et un placement durable chez des parents nourriciers paraissait avoir toute chance de répondre aux besoins de P. à long terme. Ni la requérante (dont l’autorité locale ignorait sans doute l’adresse) ni son père ne furent directement mêlés à la procédure qui déboucha sur cette décision et ils n’avaient pas connaissance de la réunion ad hoc. Le transfert se produisit le 26 juin et les parents nourriciers sollicitèrent plus tard l’adoption de P.
14.  Deux semaines environ après la réunion, le père de la requérante exprima le souhait de prendre soin de P. Après beaucoup d’efforts, il réussit à retrouver la requérante à la mi-juillet 1978. Elle retourna chez lui; il manifesta son intérêt pour l’avenir de P. et s’affirma prêt à aider sa fille à se ranger. Selon le rapport de l’assistance sociale, "pour contribuer au rétablissement éventuel des liens entre la mère et l’enfant, des mesures [furent] arrêtées pour l’organisation de contacts mensuels réguliers (...) entre [P.] et sa famille par le sang". La première de ces visites, entre la requérante, son père et P., eut lieu dans une crèche le 31 août 1978; il y en eut d’autres les 18 octobre et 1er novembre. Toutefois, une grève des travailleurs sociaux, du 3 novembre 1978 au 23 avril 1979, provoqua l’interruption des visites à la crèche car elle les empêcha de s’effectuer sous la surveillance d’un membre de cette profession. Selon le Gouvernement, la requérante était convenue de pareille surveillance avec l’autorité locale, mais elle le conteste.
C. Ordonnance d’assistance permanente concernant P.
15.  L’autorité sollicita et, le 5 décembre 1978, obtint du tribunal local pour enfants une ordonnance d’assistance (paragraphe 32 ci-dessous) pour P.; la requérante n’attaqua pas cette décision (paragraphe 35 ci-dessous). Comme la grève susmentionnée se poursuivait, on ne sait trop de quelle manière l’autorité comptait exécuter l’ordonnance, sinon en se bornant à laisser P. chez ses parents nourriciers. Toute visite de la requérante se trouvait empêchée par la grève, mais au demeurant le tribunal pour enfants n’avait pas compétence pour trancher la question qui continuait à relever de l’appréciation de l’autorité locale (paragraphes 48-49 ci-dessous).
16.  En janvier 1979, un diagnostic de schizophrénie conduisit à traiter la requérante dans un hôpital de l’endroit. Elle en sortit lorsqu’elle eut accouché, le 30 janvier, de son deuxième enfant, mais subit un traitement ambulatoire jusqu’en mars, date à laquelle on estima qu’elle ne souffrait plus de cette maladie.
Une fois la grève des travailleurs sociaux terminée le 23 avril, la requérante demanda des contacts quotidiens avec P. L’autorité locale les lui refusa car ils lui semblaient impraticables et non conformes à l’intérêt de l’enfant. Après une réunion ad hoc, du 17 mai, concernant le frère de P., on décida que des représentants de l’autorité inspecteraient le domicile du père de la requérante pour déterminer si P. pouvait y retourner vivre avec elle. Le 23 mai, la requérante et son père allèrent voir P. Les services sociaux avaient recommandé le maintien de telles visites à raison d’une par mois. A la deuxième d’entre elles, le 26 juin, le père de la requérante se montra agressif et ne consentit pas à l’inspection projetée à la réunion ad hoc de mai.
A la suite d’une autre réunion ad hoc, du 6 juillet, consacrée à l’examen des progrès accomplis par P. depuis son placement sous assistance, on constata que les choses se passaient bien pour lui chez ses parents nourriciers et que l’on ne pouvait songer à le réinsérer dans sa famille naturelle tant que son grand-père s’opposerait à l’inspection de sa maison par les travailleurs sociaux. La requérante ne fut pas avertie de cette réunion, ni invitée à y assister.
17.  Le 19 septembre 1979, le tribunal pour enfants débouta la requérante d’une demande en levée de l’ordonnance d’assistance (paragraphe 34 ci-dessous), mais préconisa d’augmenter la fréquence de ses visites à P. Après un examen "périodique" de l’affaire, qui se déroula le 5 octobre en présence des travailleurs sociaux et des parents nourriciers de P. mais non de la requérante ni de son père, on convint que les visites auraient lieu dorénavant toutes les trois semaines. La requérante ne fut pas avertie de cette réunion ni invitée à y assister. La dernière visite se situa le 30 avril 1980.
D. Suppression des visites de la requérante à P.
18.  Le 2 mai 1980, les travailleurs sociaux responsables procédèrent à l’examen exigé par la loi (paragraphe 46 ci-dessous); y participèrent aussi des organismes professionnels autres que les services sociaux. La requérante et son père n’étaient ni présents ni représentés; rien ne montre qu’ils aient eu connaissance de la réunion au préalable. Sans avoir consulté la requérante, on résolut de supprimer désormais ses visites à P. Selon un rapport d’enquête sociale du 21 novembre 1980, cette décision reposait sur le fait qu’avant le conflit des travailleurs sociaux, seuls subsistaient des vestiges des relations entre la requérante et P.; ils ne justifiaient pas un programme intensif de réinsertion et avaient disparu lors de la reprise des visites en mai 1979. En outre, P. avait manifestement noué des liens étroits avec ses parents nourriciers désignés pour une longue durée; ces derniers répondaient fort bien à l’image de parents et les contacts de la requérante avec P. jetaient donc le trouble dans l’esprit de l’enfant. Le rapport déclarait:
"Lors des visites organisées avant la décision du 2 mai 1980, P. arrivait à la crèche avec ses parents nourriciers, toujours plus pâle que d’habitude, tranquille et serré contre sa mère nourricière. Les parents nourriciers restaient dans la pièce jusqu’à ce qu’il y fût à son aise et occupé à jouer, puis ils en sortaient. [Le père de la requérante] quittait la pièce pendant une demi-heure environ, de sorte qu’on pût observer ensemble P. et [sa mère]. D’ordinaire, le travailleur social essayait d’amener P. à se livrer à une activité en s’efforçant d’y impliquer [la requérante], car elle avait du mal à retenir l’attention de son fils. Il se retirait parfois pour leur permettre d’être seuls, mais rien ou presque n’indiquait le développement d’une relation véritable entre eux. Lorsque [le père de la requérante] se trouvait dans la pièce, il obtenait en revanche de P. une réaction positive. Il pouvait s’amuser avec lui et pendant ces périodes, P. s’animait (...). Un visiteur sanitaire de la clinique locale voyait P. après chacune de ces visites pour déterminer si elles le perturbaient le moins du monde. On observa que P. témoignait beaucoup d’affection à sa mère nourricière le lendemain. Il se réveillait la nuit après la visite. Lors de la dernière, [l’enfant] s’oublia en rentrant de la crèche à la maison. Cela ne lui était pas arrivé depuis des mois."
Le 8 mai 1980, l’autorité locale écrivit à la requérante pour l’informer qu’on ne lui permettrait plus de rencontrer P., car il avait donné des signes d’agitation à la suite de visites qui s’étaient révélées néfastes pour son équilibre.
E. Procédures ultérieures devant le tribunal pour enfants et le juge des tutelles
19.  Le 30 mai 1980, le tribunal pour enfants rejeta une nouvelle demande de la requérante en levée de l’ordonnance d’assistance. B. introduisit un recours devant la Crown Court, puis s’en désista: son avocat lui avait signalé que la Crown Court, comme le tribunal pour enfants, n’avait pas compétence pour connaître de la seule question des visites, mais pouvait uniquement examiner celle, plus vaste, de savoir s’il fallait révoquer l’ordonnance (paragraphe 49 ci-dessous).
20. Son avocat lui indiqua le moyen de faire trancher le problème des visites: solliciter la mise de P. sous tutelle judiciaire (paragraphes 43-45 et 50 ci-dessous), auquel cas la High Court prendrait l’ordonnance qu’elle estimerait appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Le 25 septembre 1980, la requérante saisit donc la Family Division de la High Court; dans l’attente des audiences, son fils fut placé sous tutelle judiciaire. Elle fut déboutée - et la tutelle levée - le 24 novembre, à la lumière de la décision que la même division de la High Court venait de rendre dans l’affaire A. v. Liverpool City Council, alors pendante devant la Chambre des Lords qui statua le 20 mai 1981 (paragraphe 50 ci-dessous).
21. Après ce dernier arrêt la requérante bénéficia, le 5 octobre 1981, d’une aide judiciaire limitée pour consulter un avocat sur le point de savoir si un recours judiciaire s’offrait à elle contre la décision de l’autorité locale supprimant ses visites à P. Le 22 janvier 1982, après avoir étudié la jurisprudence, son conseil l’informa que, si l’on appliquait les critères énoncés par Lord Greene dans l’affaire Associated Provincial Pictures Houses, Ltd. v. Wednesbury Corporation (paragraphe 49 ci-dessous), "la réponse serait favorable à l’autorité". Il ajoutait que celle-ci ayant trouvé les visites contraires à l’intérêt de P., "aucun tribunal ne jugerait qu’elle avait abouti à une conclusion à ce point déraisonnable que nulle autorité raisonnable n’aurait jamais pu y arriver". Dans ces conditions, la requérante ne lui semblait pas avoir la moindre chance d’obtenir un contrôle judiciaire. A la suite de cette consultation, l’aide judiciaire ne fut pas étendue.
F. Adoption de P.
22.  En mars 1982, le père de P. consentit à l’adoption de l’enfant par les parents nourriciers, qui l’avaient demandée.
La requérante, elle, s’y opposa, sur quoi les parents nourriciers sollicitèrent de la County Court une ordonnance écartant le refus comme déraisonnable (paragraphe 53 ci-dessous). Après audition de témoignages, le magistrat constata que la requérante n’avait cessé de déployer des efforts sincères pour rétablir ses relations avec son fils; en outre, lors de la reprise des visites régulières en août 1978, l’autorité locale et elle étaient convenues qu’il y avait lieu de poursuivre la restauration des rapports entre l’enfant et sa mère, celle-ci étant avertie que par la force des choses il s’agirait d’un processus lent et de longue durée. Peut-être un témoin psychiatre spécialiste en éducation n’avait-il pas eu tort de dire que la solution la plus conforme au bien-être de P. consistait à demeurer auprès du couple désireux de l’adopter; le juge n’en déclara pas moins non déraisonnable, le 12 juillet 1983, le refus de la requérante.
23.  Sur appel des parents nourriciers, une audience eut lieu le 12 octobre 1983. La Court of Appeal accueillit leur requête tendant à un nouvel examen de la demande en dispense du consentement de la requérante: d’après elle, la County Court n’avait pas attribué un poids suffisant à la question de savoir si le bien-être de P. ne devait pas amener une mère raisonnable à reconnaître que l’adoption, et elle seule, donnerait à l’enfant la sécurité voulue.
24.  L’affaire fut rejugée les 5 et 6 décembre 1983; le juge se passa du consentement de la requérante et délivra une ordonnance d’adoption de P. Il considéra qu’il ne convenait pas d’en prononcer une si la requérante devait pouvoir rendre visite à P.; toutefois, après avoir retracé l’historique de la question il conclut qu’il ne fallait plus autoriser de visites puisqu’il n’y en avait pas eu depuis si longtemps et que le bien-être de P. constituait l’impératif dominant. L’adoption entraîna automatiquement la caducité de l’ordonnance d’assistance de 1978.
II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Assistance à l’enfance
1. Introduction
25.  Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes, et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale.
Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives: les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche.
Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets.
Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance d’office et la compétence de la High Court en matière de tutelle.
2. Assistance d’office
26.  La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances.
a) Ordonnance de placement en lieu sûr
27.  Selon l’article 28 § 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral.
Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs.
Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit soit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 43-45 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 28-30 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 § 6 (paragraphe 33 ci-dessous); en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée".
b) Mesures à plus long terme
i. Procédure d’assistance
28.  Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 § 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants.
29.  En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée.
Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil.
30.  Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 27 ci-dessus).
ii. Ordonnances pertinentes
31.  Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents.
32.  Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs que son parent ou tuteur auraient en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 § 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions: elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption.
33.  Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 § 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 27 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 32 ci-dessus).
c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente
34.  Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 § 3 b) de la loi de 1969).
D’après les articles 21 § 2 et 70 § 2, le tribunal pour enfants peut en outre, s’il le juge bon et à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de celui-ci (mais pas au sien propre), lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 § 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant.
d) Recours contre les ordonnances d’assistance
35.  Aux termes des articles 2 § 12 et 21 § 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance, ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties; il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords.
L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit.
3. Assistance sur demande
36.  La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite.
a) Prise en charge d’un enfant
37.  L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation, et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé.
38.  En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 § 3 A [13 § 2]).
En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le tranfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, (paragraphe 39 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 43-45 ci-dessous).
b) Résolution sur la puissance parentale
39.  Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 § 1 [3 § 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 § 11 de la loi de 1948 [3 § 10 de la loi de 1980] et article 85 § 1 de la loi de 1975 sur les enfants).
Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition.
c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale
40.  Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 §§ 2 et 3 de la loi de 1948 [3 §§ 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 § 4 [3 § 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 § 5 [3 §§ 5 et 6]).
d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale
41.  Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]).
Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court).
e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale
42.  D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 § 5 [3 § 6]) ou levant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords.
4. Tutelle
43.  La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire.
44.  La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin plus tôt.
Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 § 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier.
45.  A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure.
Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords.
Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif.
Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires.
5. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire
46.  Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 § 1 de la loi de 1980]).
Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 § 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police.
47.  Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité.
Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 49 ci-dessous); toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé.
48.  Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal.
La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable: la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps.
49.  Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 34-35 et 40-42 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant.
Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi:
a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi;
b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223);
c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986).
Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, Titre 53, article 9 § 4).
50.  En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant: le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 49 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions.
Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant.
6. Évolution récente
51.  L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983).
Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant.
La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale.
52.  En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites.
B. Adoption
53.  Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi).
54.  S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
55.  Mme B. a saisi la Commission le 26 avril 1982 (requête no 9840/82). Elle se plaignait de ne disposer d’aucune voie de recours pour contester les décisions de l’autorité locale restreignant puis supprimant ses visites à P.; elle invoquait les articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13) de la Convention.
56.  La Commission a retenu la requête le 14 mai 1984.
Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion
- qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) car la requérante n’a pu déférer à un tribunal la question de son droit, de caractère civil, de rendre visite à P. (douze voix contre deux);
- qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce que les procédures appliquées pour décider de limiter puis de supprimer les visites de la requérante à P., y compris le fait de ne pas lui avoir assuré des possibilités appropriées de visite pendant la grève, n’ont pas respecté sa vie familiale (unanimité);
- que nul problème distinct ne se pose quant à l’article 13 (art. 13) (douze voix contre une, avec une abstention).
Le texte intégral de l’avis de la Commission, ainsi que de l’opinion séparée et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR
57.  Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire
"- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants;
- deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants;
- troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DU LITIGE
58.  L’affaire tire son origine de décisions de tribunaux ou de l’autorité communale concernant P., enfant de la requérante. La Cour estime important de préciser d’emblée que son arrêt n’a pas trait à leur bien-fondé: non soulevée par la requérante devant la Commission, la question ne constituait pas une partie de la requête retenue par celle-ci.
La décision de la Commission sur la recevabilité délimitant le cadre du litige dont elle se trouve saisie (voir, en dernier lieu, l’arrêt Johnston et autres du 18 décembre 1986, série A no 112, p. 23, § 48), la Cour n’a pas en l’espèce compétence pour examiner ou commenter la légitimité de mesures telles que le placement de l’enfant à l’assistance publique, son adoption, et la limitation ou suppression des visites de sa mère.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 8 (art. 8)
59.  La requérante se prétend victime d’une infraction à l’article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé:
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."
Le manquement découlerait des procédures que l’autorité locale a suivies avant de restreindre puis supprimer les visites de la requérante à P., de l’absence de recours contre ces décisions et du fait que l’autorité n’ait pas assuré des possibilités appropriées de visites pendant la grève des travailleurs sociaux.
Le Gouvernement combat ces allégations, mais la Commission conclut à la violation.
A. Principes généraux
60.  Pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale. En outre, le placement de l’enfant à l’assistance publique ne met pas fin aux relations familiales naturelles. Partant, et le Gouvernement ne le conteste pas, les décisions prises par l’autorité locale à l’issue des procédures attaquées s’analysaient en des ingérences dans le droit de la requérante au respect de sa vie familiale.
61.  D’après la jurisprudence constante de la Cour:
a) pareille ingérence méconnaît l’article 8 (art. 8) sauf si, "prévue par la loi", elle poursuivait un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 (art. 8-2) et était "nécessaire, dans une société démocratique", pour les atteindre (voir notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Gillow du 24 novembre 1986, série A no 109, p. 20, § 48);
b) la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, entre autres, l’arrêt Leander du 26 mars 1987, série A no 116, p. 25, § 58);
c) si l’article 8 (art. 8) tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie familiale (voir, entre autres, l’arrêt Johnston et autres précité, série A no 112, p. 25, § 55);
d) pour se prononcer sur la "nécessité" d’une ingérence dans une société démocratique" ou sur l’existence d’un manquement à une obligation positive, la Cour tient compte de la marge d’appréciation laissée aux États contractants (voir, par exemple, l’arrêt Leander précité, p. 25, § 59, et l’arrêt Johnston et autres susmentionné, loc. cit.).
62.  La requérante ne prétend pas que les décisions de l’autorité locale n’étaient pas "prévues par la loi" ou ne poursuivaient pas un but légitime. Le dossier ne révèle aucune inobservation de la première de ces exigences telle que l’interprète la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, l’arrêt Malone du 2 août 1984, série A no 82, pp. 31-33, §§ 66-68). Il n’en ressort pas non plus que les mesures prises ne visaient pas un but légitime: la protection de la santé ou des droits et libertés d’autrui.
La controverse se concentre sur le point de savoir si les procédures suivies se conciliaient avec le droit de la requérante au respect de sa vie familiale ou constituaient des ingérences dans l’exercice de ce droit, lesquelles ne pouvaient passer pour "nécessaires dans une société démocratique". D’après la requérante et la Commission, les procédures applicables au règlement de questions relatives à la vie familiale doivent témoigner de respect pour celle-ci; la Commission estime, en particulier, que les parents ont normalement le droit d’être entendus et pleinement informés à ce sujet, encore que des restrictions puissent, dans certaines circonstances, se justifier sous l’angle de l’article 8 § 2 (art. 8-2). A titre principal, le Gouvernement plaide que ces matières procédurales ne relèvent pas de l’article 8 (art. 8) et que les droits de savoir ou d’être entendu ne figurent point parmi les éléments de la garantie offerte par ce texte.
63.  La Cour admet que les autorités locales se trouvent devant une tâche difficile à l’extrême quand elles se prononcent dans un domaine aussi délicat. Leur prescrire dans chaque cas une procédure rigide ne ferait qu’ajouter à leurs problèmes. Il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard.
D’un autre côté, l’examen de cet aspect de l’affaire doit se fonder sur une donnée primordiale: les décisions risquent fort de se révéler irréversibles. Ainsi, un enfant retiré à ses parents et confié à d’autres personnes peut nouer avec elles, au fil du temps, de nouveaux liens qu’il pourrait ne pas être dans son intérêt de perturber ou de rompre en revenant sur une décision antérieure de restreindre ou supprimer les visites de ses parents. Partant, il s’agit d’une matière qui appelle encore plus que de coutume une protection contre les ingérences arbitraires.
Sans doute l’article 8 (art. 8) ne renferme-t-il aucune condition explicite de procédure, mais ce n’est pas déterminant. A l’évidence, le processus décisionnel de l’autorité locale ne saurait manquer d’influer sur le fond de la décision, notamment en assurant qu’elle repose sur les considérations pertinentes et soit impartiale, donc non entachée d’arbitraire, même en apparence. Partant, la Cour peut y avoir égard pour dire s’il a joué d’une manière qui, au total, était équitable et respectait comme il se doit les intérêts protégés par l’article 8 (art. 8). D’ailleurs, une demande en contrôle judiciaire d’une décision de l’autorité locale peut amener une juridiction anglaise à rechercher si cette dernière a équitablement usé d’un pouvoir que lui attribue la loi (paragraphe 49 ci-dessus).
64.  Les vues et intérêts des parents naturels figurent nécessairement parmi les éléments à peser par l’autorité locale pour arrêter ses décisions concernant un enfant qu’elle assiste. Le processus décisionnel doit donc être propre à garantir qu’ils seront portés à sa connaissance, qu’elle les prendra en compte et que les parents pourront en temps voulu exercer tout recours s’offrant à eux. Du reste, le code de pratique de 1983 souligne qu’il faut associer les parents aux décisions sur les visites à l’enfant (paragraphe 52 ci-dessus).
65.  Trois facteurs ont une incidence sur le côté pratique du problème. D’abord, la Commission le remarque, il arrive inévitablement que la participation des parents au processus décisionnel se révèle irréalisable ou dénuée de sens, par exemple en raison de l’impossibilité de les atteindre, d’une incapacité physique ou mentale ou d’une urgence extrême. Ensuite, les décisions en la matière, quoique souvent adoptées à la lumière d’examens périodiques ou de réunions ad hoc, peuvent également se dégager d’un contrôle continu opéré par des agents de l’autorité locale. Enfin, des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et les parents fournissent fréquemment un bon moyen de signaler à celle-ci l’opinion des seconds.
Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour "nécessaire" au sens de l’article 8 (art. 8).
B. Application de ces principes en l’espèce
66.  Le déroulement des événements relatifs à P., fils de la requérante, se trouve retracé aux paragraphes 8 à 24 ci-dessus. Dans le présent contexte, il peut se résumer ainsi:
a) Après la naissance de P. le 17 juillet 1977, la requérante sollicita, et obtint au moins jusqu’en novembre 1977, l’aide d’un travailleur social.
b) L’enfant fit par la suite l’objet de diverses ordonnances en faveur de l’autorité locale, à savoir en avril 1978 une ordonnance de placement en lieu sûr, des ordonnances provisoires entre mai et décembre 1978 et une ordonnance d’assistance permanente à compter du 5 décembre 1978.
c) En avril 1978, l’autorité confia P. à des parents nourriciers pour une brève période, mais après la réunion ad hoc du 12 juin 1978 elle décida qu’il devait aller chez des parents nourriciers pour une longue durée. Le transfert eut lieu le 26 juin.
d) Entre avril et juin 1978, la requérante eut des contacts avec son fils encore qu’elle lui ait rendu visite à des intervalles assez irréguliers.
e) Une série de rencontres mensuelles entre P. et la requérante ainsi que le père de celle-ci, ménagée par l’autorité locale pour faciliter une réintégration éventuelle de l’enfant, commença en août 1978, s’interrompit de novembre 1978 à avril 1979 en raison de la grève des travailleurs sociaux et reprit alors.
f) Après une réunion ad hoc le 6 juillet 1979, l’autorité locale estima impossible d’envisager tout projet de réintégration tant que le père de la requérante interdirait aux travailleurs sociaux d’inspecter son domicile.
g) Le 19 septembre 1979, le tribunal pour enfants débouta la requérante d’une demande en levée de l’ordonnance d’assistance, mais préconisa d’augmenter la fréquence des visites. A la lumière d’un "examen périodique", du 5 octobre 1979, l’autorité réduisit à trois semaines l’espacement des visites de la requérante à son fils; elles continuèrent jusqu’en avril 1980.
h) Lors d’une "réunion périodique" obligatoire, le 2 mai 1980, elle en décida la suppression immédiate.
i) La requérante introduisit en vain des procédures judiciaires pour obtenir la levée de l’ordonnance d’assistance ou le rétablissement des visites.
j) P. fut adopté en décembre 1983 par les parents nourriciers chez lesquels il se trouvait pour une longue durée.
67.  Au sujet du degré auquel la requérante participa à la prise des décisions pertinentes de l’autorité, la Cour note ce qui suit:
a) Ni la requérante ni son père n’ont été associés à la procédure à l’issue de laquelle l’autorité décida, en juin 1978, de confier désormais P. à des parents nourriciers pour une longue durée (paragraphe 13 ci-dessus). A l’époque, toutefois, la requérante menait une vie instable et était difficile à trouver, comme en témoigne la circonstance que son propre père dut déployer maints efforts pour y réussir (paragraphes 12 et 14 ci-dessus).
b) Elle ne fut pas avertie de la réunion ad hoc et de l’"examen périodique" qui précédèrent, respectivement, les décisions de juillet et octobre 1979, ni invitée à s’y présenter, tandis que les parents nourriciers de P. assistèrent au second (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Cependant, ces phases de la procédure ne débouchèrent pas sur une plus ample restriction de ses visites à son fils, mais au contraire sur une augmentation de leur fréquence.
c) La requérante ne fut pas consultée sur la suppression, le 2 mai 1980, de ses visites à P., et le Gouvernement ne conteste pas que ni elle ni son père ne furent informés au préalable de la réunion à laquelle se prit cette décision (paragraphe 18 ci-dessus).
68.  Aux yeux de la Cour, ce rappel montre que la requérante fut trop peu mêlée au processus décisionnel de l’autorité locale. Les décisions de juin 1978 et mai 1980, en particulier, étaient déterminantes pour l’avenir de P., dont le placement pour une longue durée chez des parents nourriciers et l’absence ultérieure de contacts avec sa mère constituaient des étapes capitales sur la voie de son adoption. A n’en pas douter, il s’agissait donc manifestement de mesures auxquelles il eût fallu étroitement associer la requérante si l’on voulait avoir égard à ses vues et protéger ses intérêts comme il se devait (paragraphe 64 ci-dessus).
Il était certes malaisé d’entrer en contact avec elle au moment de la décision de juin 1978, mais celle-ci revêtait une telle importance pour les relations futures de P. avec sa mère qu’il s’imposait d’y surseoir quelque peu de manière à consulter l’intéressée. La Cour relève aussi que seule se trouvait alors en vigueur une ordonnance provisoire d’assistance (paragraphe 13 ci-dessus).
Quant à la décision de mai 1980, la Cour n’aperçoit pas de raison - et le Gouvernement n’en fournit aucune - de ne pas y avoir associé davantage la requérante. Cette circonstance frappe d’autant plus que la suppression des contacts avec P. marqua un revirement de la politique de l’autorité locale, qui jusqu’à la fin d’avril 1980 avait permis à la mère d’aller voir régulièrement son fils. En outre, il y avait à l’époque des preuves du maintien des relations positives entre P. et son grand-père, personne sur qui manifestement la requérante s’appuyait beaucoup (paragraphe 18 ci-dessus).
69.  Pour conclure à la violation de l’article 8 (art. 8) en l’espèce, la Commission a aussi égard au fait que l’on n’assura pas à la requérante des possibilités appropriées de visites à P. pendant la grève des travailleurs sociaux, de novembre 1978 à avril 1979.
Cette grève - qui échappait entièrement au contrôle de la requérante - a dû, selon la Cour, contribuer à la disparition, dès mai 1979, des liens résiduels subsistant entre la mère et l’enfant avant novembre 1978 (paragraphe 18 ci-dessus). On discerne aussi mal pourquoi en décembre 1978 l’autorité locale sollicita une ordonnance d’assistance permanente concernant P., au lieu d’attendre l’issue du conflit avec les travailleurs sociaux (paragraphe 15 ci-dessus).
D’un autre côté, de janvier à mars 1979 - pendant la grève - la requérante subissait un traitement pour schizophrénie (paragraphe 16 ci-dessus), de sorte que l’on ignore en tout cas dans quelle mesure elle aurait pu rendre visite à P.
La Cour n’estime pas devoir tirer au clair le point de savoir si, comme l’affirme le Gouvernement mais le conteste la requérante, celle-ci était convenue avec l’autorité locale qu’un travailleur social professionnel surveillerait les visites organisées pour la réintégration de l’enfant (paragraphe 14 ci-dessus). Il suffit de relever que l’interruption du programme par la grève commandait une participation d’autant plus étroite de l’intéressée au processus décisionnel ultérieur de l’autorité.
70.  Dans les circonstances de l’espèce, et nonobstant la marge d’appréciation du Royaume-Uni en la matière, il y a donc eu violation de l’article 8 (art. 8).
En raison de cette conclusion, la Cour ne croit pas nécessaire d’examiner ici la question des recours ouverts à la requérante.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1)
71.  La requérante prétend n’avoir pu faire trancher la question de ses visites à son enfant P. au moyen d’une procédure conforme à l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Il y aurait donc eu violation de cette disposition, dont les passages pertinents se lisent ainsi:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)."
Thèse combattue par le Gouvernement, mais que la Commission accueille.
A. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1)
72.  En ordre principal, le Gouvernement plaide l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 (art. 6-1) car aucun "droit" ne se trouverait en jeu. Il invoque les arguments suivants.
a) Le concept de "droit de caractère civil", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1), serait certes autonome. Toutefois, ce texte ne vaudrait que si l’objet du litige constitue un droit au regard de la législation interne, laquelle entrerait donc en ligne de compte.
b) La notion de "droits" parentaux sur les enfants serait dépassée; de plus, d’après les dicta de juges anglais le "droit" de visite d’un parent à son enfant s’analyserait plutôt en un droit de ce dernier.
c) En tout cas, il s’agirait d’un droit théorique (rhetorical) et non juridique.
d) Même si pareil droit parental il y avait au départ, il perdrait toute existence distincte dès le prononcé d’une ordonnance d’assistance ou d’une résolution sur la puissance parentale: de telles décisions aboutiraient à transférer à l’autorité locale, sous réserve d’exceptions limitées, l’ensemble des droits, pouvoirs et devoirs du parent à l’égard de l’enfant. Aucun droit ne naîtrait de la simple possibilité ou attente que l’autorité, usant de sa discrétion, permette ultérieurement au parent de rendre visite à l’enfant.
73.  L’article 6 § 1 (art. 6-1) régit uniquement les "contestations" relatives à des "droits et obligations" - de caractère civil - que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne; il n’assure par lui-même aux "droits et obligations" (de caractère civil) aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des États contractants (voir notamment l’arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 70, § 192).
La Cour ne souscrit pas pour autant à la thèse selon laquelle aucun "droit" de ce genre ne se trouve ici en jeu.
74.  Pour qualifier de dépassée la notion de droits parentaux, le Gouvernement s’appuie sur l’idée qu’ils découlent des devoirs et responsabilités des parents et n’existent que dans la mesure nécessaire à la protection de la personne ou des biens de l’enfant. Cette conception semble répondre au souci essentiel non de nier l’existence de droits parentaux, mais de souligner qu’ils ne sont pas absolus et peuvent disparaître s’ils ne s’exercent pas conformément au bien-être de l’enfant; de fait, les lois de 1948 et 1980 parlent chacune de "droits" parentaux et celle de 1975 sur les enfants mentionne même, précisément un "droit de visite" des parents (paragraphe 39 ci-dessus). De plus, en présentant le droit de visite comme un droit de l’enfant les juridictions anglaises paraissent avoir voulu proclamer non l’absence de tout droit parental de visite, mais le principe qu’en cas de conflit entre des droits concurrents du parent et de l’enfant, il faut se préoccuper surtout du bien-être du second.
75.  Normalement, parents et enfants habitent ensemble et aucun problème ne se pose quant au droit parental de visite. En pratique, il en surgit un si se produit un événement qui perturbe le schéma ordinaire de la vie familiale en les séparant, par exemple un procès relatif au mariage ou le placement d’un enfant à l’assistance publique. Il importe donc davantage de s’attacher à la situation qui se rencontre sur ce point en droit anglais dès qu’entre en jeu la législation pertinente.
76.  Les lois relatives au placement à l’assistance publique se fondent sur un constat: dans des circonstances données, les intérêts de l’enfant peuvent exiger que l’autorité locale assume des pouvoirs parentaux à certaines fins. Dans ce but, elle se voit confier l’enfant par une ordonnance d’assistance, auquel cas elle a envers lui presque chacun des pouvoirs et devoirs dont le parent se trouverait investi sans cela, ou bien une résolution sur la puissance parentale lui confère à peu près intégralement les droits et obligations que la loi attribue au parent à l’égard de l’enfant (paragraphes 32 et 39 ci-dessus).
Certes, un "droit de visite" figure nommément parmi ceux dont une résolution sur la puissance parentale rend titulaire l’autorité locale (paragraphe 39 ci-dessus), mais ni pour cette mesure ni pour une ordonnance d’assistance la loi ne précise que tout contact cessera entre parent et enfant. En droit anglais, le placement d’un enfant à l’assistance publique par l’un de ces moyens ne prive pas automatiquement le parent de visites, mais leur continuation relève désormais de l’appréciation de l’autorité locale (paragraphe 48 ci-dessus).
77.  Que cette dernière ait le pouvoir de restreindre, voire supprimer les visites d’un parent à son enfant ne signifie pas nécessairement, aux yeux de la Cour, la disparition de tout droit parental en la matière aussitôt prise l’une des mesures en cause.
Comme le concède le Gouvernement, les lois jugent clairement souhaitable, en général, la poursuite de ces contacts (paragraphe 48 ci-dessus). D’ailleurs, le code de pratique sur les visites aux enfants assistés, publié en décembre 1983 (paragraphe 52 ci-dessus), reconnaît en termes exprès que les efforts déployés pour maintenir les liens avec la famille naturelle correspondent sans nul doute le mieux à l’intérêt de la majorité des enfants. On irait à l’encontre de cet objectif si l’adoption d’une ordonnance d’assistance ou d’une résolution sur la puissance parentale devait, à elle seule, dépouiller dorénavant un parent naturel de tous ses droits et devoirs quant aux visites.
Ces mesures n’ont pas pour effet d’éteindre tous les droits et responsabilités du parent naturel à l’égard de l’enfant. Ainsi, sous réserve du pouvoir du tribunal - et non de l’autorité locale - de se passer de son accord, il garde le droit de consentir à l’adoption de l’enfant ou de s’y refuser (paragraphes 32, 39 et 53 ci-dessus). En outre, et cela importe encore plus en l’espèce, il reste habilité à demander aux tribunaux la levée de l’ordonnance ou de la résolution au motif qu’il y va de l’intérêt de l’enfant (paragraphes 34 et 41 ci-dessus). La question à trancher dans une telle procédure consiste dans le recouvrement des droits parentaux de garde et de direction de l’enfant. Or, aux yeux de la Cour, un droit parental se trouve également en jeu lorsque, pendant la durée de validité de l’ordonnance ou de la résolution, un parent prétend que le maintien ou le rétablissement des visites va dans le sens des intérêts de l’enfant. Les clauses de la partie IA de la loi de 1980, insérées par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (paragraphe 51 ci-dessus), le confirment désormais: elles reposent précisément sur l’existence d’un tel droit dans le chef du parent.
En outre, l’extinction de tout droit parental en matière de visites ne cadrerait guère avec des notions fondamentales de la vie familiale ni avec les liens familiaux que l’article 8 (art. 8) de la Convention tend à protéger (voir, entre autres, l’arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 21, § 45).
Selon la Cour on peut donc dire, au moins de manière défendable, que même après le prononcé des ordonnances d’assistance, la requérante pouvait revendiquer un droit de rendre visite à P.
78.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 6 § 1 (art. 6-1) ne s’applique que moyennant la réunion de deux conditions supplémentaires: le droit en cause doit avoir fait l’objet d’une "contestation" et revêtir un "caractère civil".
La question des visites a manifestement suscité un différend entre la requérante et l’autorité locale. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas. Il concède aussi que si "droit" parental de visite il y avait, il était "de caractère civil". Les visites faisant partie intégrante de la vie familiale, la Cour n’éprouve aucun doute sur ce dernier point.
79.  L’article 6 § 1 (art. 6-1) joue donc en l’espèce.
En arrivant à cette conclusion, la Cour n’oublie pas les arguments avancés par le Gouvernement pour préconiser de laisser à l’autorité locale, plutôt qu’aux tribunaux, la décision en matière de visites: entre autres, le grand nombre des enfants placés à l’assistance publique et la nécessité de prendre des décisions d’urgence et sans retard, par l’intermédiaire de travailleurs sociaux spécialisés et dans le cadre d’un processus continu. Il s’agit pourtant d’un domaine où il s’impose d’assurer aux droits des parents une protection conforme à l’article 6 § 1 (art. 6-1). De plus, l’article 6 § 1 (art. 6-1) n’exige pas que toute décision en matière de visites émane des tribunaux, mais seulement qu’ils aient compétence pour trancher tout litige sérieux de nature à surgir.
B. Sur l’observation de l’article 6 § 1 (art. 6-1)
80.  En ordre subsidiaire, le Gouvernement plaide que même si la requérante avait conservé un droit résiduel de visite, la législation interne dotait ce droit de garanties judiciaires remplissant les conditions de l’article 6 § 1 (art. 6-1), à savoir la possibilité de contester les ordonnances d’assistance, de demander un contrôle judiciaire ou d’engager une procédure de tutelle. La requérante prétend - et la Commission la rejoint- que dans aucune de ces procédures l’examen judiciaire n’aurait été assez étendu pour répondre auxdites conditions.
81.  A l’époque, un parent avait certes quelques moyens de combattre une ordonnance d’assistance: intervenir dans la procédure antérieure à son prononcé, introduire un recours ultérieur ou en solliciter la levée par la suite (paragraphes 29, 34 et 35 ci-dessus).
A n’en pas douter, une contestation couronnée de succès résoudrait indirectement le problème des visites. Cependant, le Gouvernement l’admet, pareille procédure concerne l’ordonnance d’assistance en soi, et non les seules visites (paragraphe 49 ci-dessus). Or des considérations différentes peuvent valoir pour la question du placement d’un enfant à l’assistance publique et pour celle des visites à lui rendre par son parent. Ce dernier peut fort bien ne pas vouloir attaquer l’ordonnance, se contentant pour le moment du moins de conserver ses contacts avec son enfant. Il se peut aussi qu’il invoque des arguments justifiant le maintien ou la reprise des visites, mais non de la garde de l’enfant par lui. En contestant l’ordonnance, il peut en outre s’attirer, de la part de l’autorité locale, des objections qu’elle ne soulèverait pas dans une instance limitée aux visites.
82.  Une demande en contrôle judiciaire ou une procédure de tutelle permettent aux juges anglais d’examiner une décision de l’autorité locale sur les visites d’un parent à son enfant placé à l’assistance publique. Chacune d’elles offre de bonnes garanties contre un exercice défectueux du pouvoir d’appréciation de l’autorité.
Néanmoins, le tribunal saisi de pareille demande ne contrôle pas le bien-fondé de la décision: il se borne à s’assurer, en bref, que l’autorité n’a pas agi de manière illégale, déraisonnable ou inique (paragraphe 49 ci-dessus). Si une ordonnance d’assistance se trouve en vigueur, comme en l’espèce, le contrôle opéré dans le cadre d’une procédure de tutelle s’inscrit en général dans des limites semblables (paragraphe 50 ci-dessus).
Il n’y a pourtant aux yeux de la Cour, dans un cas comme celui-ci, aucun moyen de trancher conformément aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) la question du droit du parent en matière de visites, tel que l’analyse le paragraphe 77 ci-dessus, si l’intéressé ne peut faire contrôler la décision de l’autorité locale par un tribunal compétent pour connaître du fond du problème. Or il ne ressort pas des éléments fournis par le Gouvernement, ni des autres pièces du dossier, que sous l’empire des ordonnances d’assistance les juridictions anglaises jouissaient d’une compétence assez ample pour remplir pleinement cette condition.
83.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
84.  La requérante affirme que nul recours effectif ne s’ouvrait à elle quant à ses visites à son enfant P.; elle se prétend de ce chef victime d’une infraction à l’article 13 (art. 13) de la Convention, aux termes duquel
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
D’après la Commission, aucun problème distinct ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13). Le Gouvernement l’admet, mais soutient à titre subsidiaire qu’il existait des recours effectifs.
85.  Vu sa décision relative à l’article 6 § 1 (art. 6-1), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13); les exigences du second sont en effet moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir notamment l’arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 32, § 88).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
86.  L’article 50 (art. 50) de la Convention se lit ainsi:
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
87.  La requérante sollicite une telle satisfaction équitable, mais n’a pas encore chiffré ses prétentions. Aux audiences des 25-26 novembre 1986 devant la Cour, le Gouvernement a réservé sa position.
La question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouvant donc pas en état, il échet de la réserver et de fixer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et la requérante (article 53 §§ 1 et 4 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention;
2. Dit que l’article 6 § 1 (art. 6-1) s’applique en l’espèce;
3. Dit qu’il a été violé;
4. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13);
5. Dit que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) invite:
i. la requérante à lui fournir par écrit, dans les deux mois, le détail de sa demande de satisfaction équitable;
ii. le Gouvernement à lui présenter, dans les deux mois qui suivront la réception de ces précisions, ses observations écrites à leur sujet et notamment à lui donner connaissance de tout accord conclu entre lui et la requérante;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à son président le soin de la fixer en cas de besoin.
Rendu en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 8 juillet 1987.
Rolv RYSSDAL
Président
Pour le Greffier
Jonathan L. SHARPE
Chef de division au greffe de la Cour
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion commune à MM. Lagergren, Pinheiro Farinha, Pettiti, Macdonald, De Meyer et Valticos;
- opinion commune à MM. Pinheiro Farinha, Pettiti, De Meyer et Valticos;
- opinion commune à MM. Pinheiro Farinha et De Meyer;
- opinion individuelle de M. De Meyer.
R.R.
J.L.S.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES LAGERGREN, PINHEIRO FARINHA, PETTITI, MACDONALD, DE MEYER ET VALTICOS
Les considérations développées dans notre opinion séparée commune relative à l’affaire W. contre Royaume-Uni2 s’appliquent aussi à la présente affaire.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES PINHEIRO FARINHA, PETTITI, DE MEYER ET VALTICOS
Les considérations développées dans notre opinion séparée commune relative à l’affaire W. contre Royaume-Uni3 s’appliquent aussi à la présente affaire.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES PINHEIRO FARINHA ET DE MEYER
Les considérations développées dans notre opinion séparée commune relative à l’affaire W. contre Royaume-Uni4 s’appliquent aussi, mutatis mutandis, à la présente affaire.
OPINION SEPAREE PROPRE À M. LE JUGE DE MEYER
Les considérations développées dans mon opinion individuelle concernant l’affaire W. contre Royaume-Uni5 s’appliquent aussi, mutatis mutandis, à la présente affaire.
* Note du greffier: L'affaire porte le numéro 5/1986/103/151.   Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2 Voir page 39 ci-dessus.
3 Voir page 39 ci-dessus.
4 Voir pages 40-41 ci-dessus.
5 Voir page 42 ci-dessus.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES LAGERGREN, PINHEIRO FARINHA, PETTITI, MACDONALD, DE MEYER ET VALTICOS
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES PINHEIRO FARINHA, PETTITI, DE MEYER ET VALTICOS
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES PINHEIRO FARINHA ET DE MEYER
ARRÊT B. c. ROYAUME-UNI
OPINION SEPAREE PROPRE À M. LE JUGE DE MEYER


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 9840/82
Date de la décision : 08/07/1987
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'Art. 8 ; Violation de l'Art. 6-1 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1987-07-08;9840.82 ?

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