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05/03/1986 | CEDH | N°10986/84

CEDH | UNION DIRECTRICE DIOCESAINE DES ASSOCIATIONS ORTHODOXES RUSSE EN EUROPE OCCIDENTALE contre ALLEMAGNE


La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN G. JÖRUNDSSON S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauv

egarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (art. ...

La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN G. JÖRUNDSSON S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (art. 25);
Vu la requête introduite le 28 mai 1984 par l'UNION DIRECTRICE DIOCESAINE DES ASSOCIATIONS ORTHODOXES RUSSES EN EUROPE OCCIDENTALE contre la République Fédérale d'Allemagne et enregistrée le 29 mai 1984 sous le N° de dossier 10986/84;
Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit :
La requérante - Union Directrice Diocésaine des Associations Orthodoxes Russes en Europe Occidentale - est une association inscrite au registre des associations de la préfecture de Paris, conformément à la loi de 1901. Elle est représentée par son président, Dr. Georg Richard Wagner, archevêque, ressortissant allemand, né en 1930 à Berlin. La requérante et son représentant sont domiciliés à Paris. M. Wagner a mandaté Me A. Marx, avocat à Strasbourg, pour la représentation de la requérante devant la Commission.
Après la chute de la Russie tsariste des dignitaires de l'Eglise orthodoxe russe émigrés fondèrent à Constantinople l'"Administration suprême à l'étranger". Celle-ci nomma à la tête du diocèse nouvellement créé de l'Europe occidentale Monseigneur Euloge, archevêque. Cette nomination fut confirmée par le patriarche de Moscou. Il a résidé d'abord à Berlin, puis, dès 1923, à Paris. En 1924 il a déposé et déclaré les statuts de l'Union requérante, lui conférant la personnalité civile.
En 1926 le vicaire de Mgr. Euloge, l'évêque Tikhon, recteur de la paroisse de Berlin, s'est détaché de l'obédience de Mgr. Euloge. Ce fut le début d'une organisation ecclésiastique parallèle, concurrente, créée par une décision d'un synode épiscopal à Karlovic (Yougoslavie). Elle a pris le nom de "Diocèse de Berlin et d'Allemagne". Ce diocèse, alors minoritaire, a reçu l'appui du régime nazi et en 1936 il est devenu une personne morale de droit public (Körperschaft des öffentlichen Rechts). Mgr. Euloge a conservé jusqu'alors la possession des édifices et des terrains des églises russes.
Le 25 février 1938, le Gouvernement allemand a promulgué la loi relative à la propriété des églises orthodoxes russes en Allemagne, conférant au ministre des cultes le pouvoir de décider des droits de propriété sur certaines églises russes en Allemagne. Le 18 juin 1938, la propriété de l'église de Bad Ems, inscrite jusqu'alors au nom de l'administration financière impériale russe, a été transférée au Diocèse de Berlin et d'Allemagne qui a été inscrit au livre foncier. L'administrateur de l'église, nommé en 1928 par Mgr. Euloge, a été maintenu en fonction. La requérante a continué a y faire célébrer des offices religieux.
En 1975 le diocèse de l'évêque orthodoxe de Berlin et d'Allemagne a demandé à obtenir la possession de l'église de Bad Ems et a intenté une action en restitution contre la requérante et contre son représentant.
Par jugement du 25 mars 1977 le tribunal régional de Coblence a rejeté l'action pour autant qu'elle était dirigée contre le représentant de la requérante, mais a condamné la requérante à restituer la possession de l'église de Bad Ems au diocèse orthodoxe de Berlin et d'Allemagne. Le tribunal a relevé que le diocèse orthodoxe d'Allemagne, personne morale de droit public, en est devenu propriétaire en 1938 par une décision ministérielle valide basée sur une loi valide. En conséquence, la requérante était tenue de restituer la possession de l'immeuble en vertu de l'article 985 du code civil.
L'appel que la requérante a formé, a été rejeté le 12 juillet 1978 par la cour d'appel de Coblence.
La requérante s'est pourvue en cassation. Le 19 septembre 1980, la Cour fédérale de Justice a rejeté le pourvoi.
La requérante a formé un recours constitutionnel en invoquant les articles suivants de la Loi fondamentale : 2 (libre développement de la personnalité), 4 (liberté de croyance et de conscience), 14 (garantie de la propriété), 19 al. 4 (recours à une juridiction), 101 al. 1 (droit au juge légal) et 140 combiné avec les articles 137 et 138 de la Constitution de 1919 (liberté d'association en églises, propriété des églises).
Le 30 novembre 1983, la Cour constitutionnelle fédérale a décidé de ne pas retenir le recours au motif qu'il n'avait pas de chance suffisante de succès, à supposer qu'il fût recevable. La Cour a souligné que les griefs de la requérante ne satisfaisaient pas aux exigences de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale. En effet, les faits exposés ne révélaient aucune apparence de violation des droits fondamentaux de procédure et les allégations de la requérante ne contenaient qu'une attaque du bien-fondé des décisions qui ne saurait être examiné par la cour constitutionnelle. En tout état de cause, le recours n'avait aucune chance de succès, les décisions attaquées ne révélant aucune apparence de violation des droits constitutionnels.
Les griefs de la requérante peuvent se résumer comme suit :
La requérante se plaint des décisions des juridictions allemandes la condamnant à restituer la possession de l'église de Bad Ems au diocèse orthodoxe de Berlin et d'Allemagne. L'Union Directrice Diocésaine des Associations Orthodoxes Russes en Europe Occidentale a été persécutée et interdite en France occupée pendant la guerre. En Allemagne des pressions ont été exercées sur les prêtres fidèles à l'Union Diocésaine, afin qu'ils se soustraient à l'obédience du Métropolite parisien. En dépit de ces faits les juridictions allemandes ont refusé de réintégrer la requérante dans ses droits antérieurs à la loi de 1938.
La requérante invoque l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1) et les articles 6 (art. 6), 9 (art. 9), 13 (art. 13) et 14 (art. 14) de la Convention.
PROCEDURE
Le 3 juillet 1985, un membre de la Commission, agissant comme rapporteur, a examiné la requête et a soumis à la Commission un rapport (article 40 du Règlement intérieur).
Le 3 septembre 1985, la requérante a mandaté Me Marx, avocat à Strasbourg, pour la représenter dans la procédure devant la Commission.
Le 7 octobre 1985, la Commission a ajourné l'examen de la requête à la demande du conseil de la requérante pour lui permettre de présenter un mémoire complémentaire.
Le 12 février 1986, le rapporteur a présenté un second rapport à la Commission.
EN DROIT
1. La requérante se plaint des décisions des juridictions allemandes la condamnant à restituer la possession de l'église de Bad Ems au diocèse orthodoxe de Berlin et d'Allemagne.
2. La requérante invoque l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1) qui dispose en son premier paragraphe : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international."
La Commission relève que par les décisions litigieuses les tribunaux ont décidé que la requérante devait restituer la possession de l'église de Bad Ems au diocèse orthodoxe de Berlin et d'Allemagne qui en est devenue propriétaire dès 1938. Les juridictions n'ont pas privé la requérante de sa propriété au sens de cet article. L'examen de ce grief ne permet donc de déceler aucune apparence de violation de cette disposition.
La Commission fait remarquer que, pour autant que la requérante entendait contester le transfert de la propriété de 1938, le grief échapperait à la compétence ratione temporis de la Commission, les faits remontant à une période antérieure à l'entrée en vigueur de la Convention (5.12.1952) et du Protocole additionnel (13.2.1957) à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne.
3. La requérante invoque l'article 6 de la Convention (art. 6) qui garantit en son premier paragraphe à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.
La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle la procédure devant une juridiction constitutionnelle ne porte pas sur une contestation sur des droits et obligations de caractère civil et échappe par conséquent à l'article 6, par. 1, de la Convention (art. 6-1) (cf. par exemple Déc. 8410/78, 13.12.79, D.R. 18, p. 216). Pour ce qui est des autres juridictions et pour autant que la requérante entendait se plaindre que sa cause n'aurait pas été entendue équitablement, elle n'aurait pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes, conformément à l'article 26 de la Convention (art. 26), étant donné qu'elle n'a pas formulé ce grief devant la Cour constitutionnelle en se fondant le cas échéant sur l'article 103 de la Loi fondamentale. Pour autant que la requérante entendait soumettre à la Commission les mêmes griefs qu'elle a formulés devant la Cour constitutionnelle fédérale il n'y aurait aucune apparence de violation de la disposition susmentionnée étant donné que la requérante a eu accès à un tribunal au sens de cette disposition.
4. La requérante invoque également l'article 9 de la Convention (art. 9) qui garantit en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La requérante n'a pas précisé en quoi consisterait la violation de cet article. La Commission considère que la restitution de l'église de Bad Ems ne concerne pas le droit visé à l'article 9 (art. 9). L'examen de ce grief ne permet donc de déceler aucune apparence de violation de la disposition précitée.
5. La requérante invoque d'autre part l'article 13 de la Convention (art. 13) qui garantit le droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale. La Commission constate que la requérante, qui a omis de préciser en quoi consisterait la violation de cette disposition, a pu soumettre ses griefs à trois juridictions ordinaires ainsi qu'à la Cour constitutionnelle fédérale. L'examen de ce grief ne permet donc de déceler aucune apparence de violation de cette disposition.
6. La requérante invoque enfin l'article 14 de la Convention (art. 14) qui consacre le principe de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés garantis par la Convention. La requérante considère que le gouvernement nazi a décidé unilatéralement d'attribuer la propriété de l'église de Bad Ems au diocèse orthodoxe de Berlin et d'Allemagne et ce en considération des opinions politiques professées par chacune des deux Eglises et de leurs dirigeants respectifs.
La Commission rappelle que, pour autant que le grief viserait le transfert de la propriété de 1938, il échapperait à la compétence ratione temporis de la Commission (cf. considérant ci-dessus). Par ailleurs, la requérante n'a pas montré en quoi les décisions judiciaires litigieuses auraient méconnu la disposition susmentionnée. En tout état de cause, la requérante n'aurait pas, sur ce point, épuisé les voies de recours internes, conformément à l'article 26 de la Convention (art. 26), étant donné qu'elle n'a pas formulé ce grief devant la Cour constitutionnelle fédérale en se fondant le cas échéant sur l'article 3 de la Loi fondamentale.
7. Il s'ensuit qu'à supposer même que la requérante ait épuisé les voies de recours internes, l'ensemble de la requête est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27, par. 2, de la Convention (art. 27-2).
Par ces motifs, la Commission,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 10986/84
Date de la décision : 05/03/1986
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Non-violation de P1-1 ; Non-violation de l'Art. 14+P1-1 ; Non-violation de l'Art. 6-1 ; Non-violation de l'Art. 13

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (P1-1-1) PREVUE PAR LA LOI, (P1-1-1) PRINCIPES GENERAUX DU DROIT INTERNATIONAL, (P1-1-1) PRIVATION DE PROPRIETE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : UNION DIRECTRICE DIOCESAINE DES ASSOCIATIONS ORTHODOXES RUSSE EN EUROPE OCCIDENTALE
Défendeurs : ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1986-03-05;10986.84 ?

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