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23/02/1984 | CEDH | N°9019/80

CEDH | AFFAIRE LUBERTI c. ITALIE


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LUBERTI c. ITALIE
(Requête no 9019/80)
ARRÊT
STRASBOURG
23 février 1984
En l’affaire Luberti,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
J. Cremona,
G. Lagergren,
E. García de Enterría,
Sir  Vincent Ev

ans,
MM.  C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier et H. Petzold, greffie...

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LUBERTI c. ITALIE
(Requête no 9019/80)
ARRÊT
STRASBOURG
23 février 1984
En l’affaire Luberti,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM.  G. Wiarda, président,
J. Cremona,
G. Lagergren,
E. García de Enterría,
Sir  Vincent Evans,
MM.  C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier et H. Petzold, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril 1983 et 27 janvier 1984,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête (no 9019/80) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Luciano Luberti, avait saisi la Commission le 19 mai 1980 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention.
2.   La demande de la Commission a été déposée au greffe de la Cour le 19 juillet 1982, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration de la République italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle invite celle-ci à se prononcer sur l’existence de violations de l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4).
3.   La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 13 août 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. J. Cremona, M. G. Lagergren, M. E. García de Enterría, Sir Vincent Evans et M. R. Bernhardt, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
4.   Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), ainsi que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 15 septembre 1982, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 15 novembre pour présenter un mémoire auquel le délégué pourrait répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué.
Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 22 novembre, la réponse du délégué le 14 janvier 1983. A cette dernière se trouvaient jointes les observations du requérant sur ledit mémoire et ses demandes au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
5.   Le 17 janvier 1983, le président a décidé que l’agent du Gouvernement aurait jusqu’au 28 février pour déposer un mémoire complémentaire. Le greffe en a reçu le texte italien original le 15 février et la traduction française, officielle pour la Cour, le 21 avril.
Le 24 février, le secrétaire de la Commission a communiqué au greffier quelques précisions du requérant sur la question de l’application de l’article 50 (art. 50) de la Convention puis, le 18 mars, les observations du délégué sur l’ensemble des prétentions de M. Luberti en la matière.
6.   Sur les instructions de la Chambre, le greffier s’est procuré certains documents et un renseignement auprès de la Commission et du Gouvernement, selon le cas, à des dates diverses s’échelonnant du 26 avril au 22 septembre 1983.
7.   Le 27 janvier 1984, la Chambre a renoncé à tenir des audiences, non sans avoir constaté la réunion des conditions prescrites pour une telle dérogation à la procédure habituelle (articles 26 et 36 du règlement). Auparavant, le président avait consulté à ce sujet l’agent du Gouvernement et le délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
FAITS
A. Les circonstances de l’espèce
8.   Ressortissant italien né en 1924, M. Luberti réside à l’heure actuelle dans un hospice ecclésiastique. Le 20 janvier 1970, à Rome, il tua sa maîtresse de plusieurs coups de feu. Il quitta ensuite l’appartement en y abandonnant le cadavre.
Le 25 mars 1970, la police, avertie par une lettre du requérant qui s’accusait de l’homicide, découvrit le corps. Selon le rapport établi par elle, les circonstances du fait laissaient supposer que l’auteur ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales.
Une procédure pénale s’ouvrit contre l’intéressé dont l’arrestation n’eut lieu que le 10 juillet 1972. A cette date, l’instruction de l’affaire avait pris fin et il avait été renvoyé en jugement sous l’inculpation de meurtre.
9.   Le 17 janvier 1976, la Cour d’assises de Rome condamna M. Luberti - qui plaidait non coupable - à vingt et un ans d’emprisonnement pour meurtre ainsi qu’à un an d’emprisonnement et 500.000 lires d’amende pour détention d’armes de guerre.
10.  Ayant interjeté appel, le requérant souleva pour la première fois, parmi d’autres moyens, la question de son état de démence à la date du crime qu’on lui reprochait.
Le 24 novembre 1976, la Cour d’assises d’appel de Rome ordonna une expertise psychiatrique. Les deux experts désignés déposèrent leur rapport le 11 novembre 1977; ils y concluaient qu’à la date des faits l’intéressé se trouvait atteint d’un syndrome paranoïaque (sindrome paranoica) le privant de sa capacité de vouloir (capacità di volere) et qu’à l’époque de l’expertise il s’agissait d’une personne dangereuse, au sens psychiatrique.
L’expert de la partie civile (consulente tecnico) ayant contesté l’opinion ainsi exprimée, la Cour prescrivit le 17 novembre 1978 une seconde expertise. Elle entendait savoir si le requérant avait connu, au moment de l’homicide, un état de démence partielle ou totale et s’il présentait un danger pour la société. Trois nouveaux experts examinèrent M. Luberti à plusieurs reprises; leur dernière visite eut lieu le 14 mai 1979. Tout en rejoignant le précédent pour le surplus, leur rapport s’en écartait quant à la définition exacte de la maladie; il relevait de plus qu’à l’instant du crime la capacité de comprendre avait manqué à l’intéressé et non pas seulement celle de vouloir (capacità d’intendere e di volere). Il renfermait de surcroît des considérations sur le comportement du requérant pendant ses entretiens avec les experts. Il mentionnait certaines formes de manifestation de la maladie diagnostiquée: la mégalomanie ressortait de la surestimation de sa propre personne montrée par M. Luberti, de son complexe de supériorité à l’égard des experts, de sa conviction d’être immortel, de son attitude d’opposition au monde environnant. En outre, le délire de persécution transparaissait dans des déclarations où le requérant se prétendait victime de vastes complots internationaux. Le rapport affirmait enfin que la psychose observée avait sûrement existé "aussi à l’époque des faits ayant donné lieu aux poursuites".
La Cour entérina ces conclusions. Le 16 novembre 1979, elle acquitta M. Luberti en raison de sa maladie mentale (infermità psichica, article 88 du code pénal) et décida son internement pour deux ans en hôpital psychiatrique. Cette mesure de sûreté se fondait sur l’article 222 du code pénal alors en vigueur (paragraphe 18 ci-dessous). Il prévoyait entre autres qu’en pareil cas le juge devait toujours ordonner l’internement pour deux ans, le caractère socialement dangereux du prévenu étant présumé.
Toutefois, la Cour, bien que la loi ne l’y obligeât pas, apprécia également l’état mental du requérant à l’époque de son arrêt. Elle se rallia notamment aux conclusions des deux expertises concernant l’irresponsabilité de M. Luberti et l’évaluation de sa dangerosité. Elle ajouta que celle-ci n’était pas seulement présumée mais aussi réelle, comme les experts unanimes l’avaient estimé, et qu’il fallait la souligner comme élément de nature à contribuer, en temps voulu, à un réexamen de la personnalité de M. Luberti en vue de la levée de l’internement. Elle nota enfin qu’il s’agissait d’un "paranoïaque" et que l’internement, rendu nécessaire par son état, devait succéder à la détention sans solution de continuité.
En vertu de l’article 485 du code de procédure pénale, combiné avec l’article 206 du code pénal, la Cour ordonna l’exécution provisoire de sa décision.
11.  Le requérant et le procureur général près la Cour d’appel de Rome saisirent la Cour de cassation en invoquant des moyens différents. Pour son compte, M. Luberti reprochait à la Cour d’assises d’appel d’avoir négligé les conclusions d’une expertise médico-légale et balistique ordonnée par elle lors des débats et qui devait répondre à la question de savoir s’il y avait eu homicide ou au contraire suicide. La Cour suprême rejeta les deux pourvois le 17 juin 1981.
12.  Constamment détenu en prison depuis le 10 juillet 1972, M. Luberti fut interné à l’hôpital psychiatrique d’Aversa (province de Naples), le 21 novembre 1979, en vertu de l’arrêt de la Cour d’assises d’appel.
13.  Après ce dernier, le requérant présenta aux autorités judiciaires plusieurs demandes de mise en liberté. Il suivit principalement deux voies distinctes.
D’une part, il s’adressa le 28 novembre 1979 au juge de surveillance (magistrato di sorveglianza - paragraphe 21 ci-dessous) de Santa Maria Capua Vetere, dans le ressort duquel se trouvait l’asile psychiatrique. Il l’invitait à imputer sur la durée de la mesure de sûreté les périodes au cours desquelles, pendant sa détention préventive, il avait subi des expertises psychiatriques. Ce recours fut rejeté.
D’autre part, M. Luberti réclama la levée anticipée de son internement, non justifié selon lui par son état de santé, devant trois juridictions différentes.
14.  Il se tourna d’abord vers la section de surveillance (sezione di sorveglianza - paragraphe 21 ci-dessous) de Rome et ce dès le 19 novembre 1979, trois jours à peine après l’arrêt de la Cour d’assises d’appel; il invoquait les articles 207 du code pénal et 71 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 sur l’organisation pénitentiaire et l’exécution des mesures privatives et limitatives de liberté.
La section de surveillance commença par se livrer à une série de mesures d’instruction. Elle se procura notamment un rapport médical en provenance de l’asile psychiatrique, une copie du "journal clinique" du requérant et plusieurs pièces présentées par ce dernier.
Le 5 mars 1980, un psychologue qui avait visité M. Luberti à titre privé lui délivra un certificat concluant à sa guérison et à la nécessité de l’élargir si l’on ne voulait réduire à néant sur le plan clinique l’ensemble des résultats acquis.
Le 5 août 1980, la section de surveillance de Rome tint une audience au cours de laquelle le ministère public souleva une exception d’incompétence fondée sur l’article 635 du code de procédure pénale (paragraphe 21 ci-dessous), car les pourvois en cassation contre l’arrêt du 16 novembre 1979 (paragraphe 11 ci-dessus) demeuraient pendants. Par une ordonnance du même jour, déposée au greffe le lendemain, elle déclina sa compétence. Elle s’appuyait, entre autres, sur un arrêt de la Cour de cassation d’après lequel la demande de suspension de l’exécution d’une mesure de sûreté ordonnée à la suite d’une décision d’acquittement non encore passée en force de chose jugée, doit être adressée au juge du fond et non au juge de l’application des peines, car il s’agit d’une procédure incidente (1e Chambre, 12 juin 1962, dans "Giustizia Penale" 1965, III, p. 152).
Le 16 août 1980, le requérant saisit la Cour de cassation. Elle jugea le 3 décembre 1980 qu’aux termes de l’article 640 du code de procédure pénale la Cour d’appel de Rome avait compétence pour connaître du recours. L’arrêt (decreto) fut déposé au greffe le 4 février 1981 et le dossier transmis à la Cour d’appel le 26. Par un arrêt (decreto) du 4 mai 1981, déposé au greffe le 29, cette dernière confirma l’ordonnance du 5 août 1980.
15.  Le 16 août 1980, date de son pourvoi en cassation contre ladite ordonnance, M. Luberti avait introduit en outre deux autres demandes adressées respectivement à la Cour d’assises d’appel de Rome et à la section de surveillance de Naples, dans le ressort de laquelle se trouvait l’asile psychiatrique où il séjournait.
16.  La Cour d’assises d’appel suspendit d’abord sine die, le 4 septembre 1980, la procédure engagée devant elle car le 22 août l’intéressé n’avait pas regagné l’établissement à l’issue d’une permission de huit heures que lui avait accordée le juge de surveillance de Santa Maria Capua Vetere. Elle classa ensuite l’affaire à une date que le Gouvernement n’a pu indiquer. Arrêté le 17 mars 1981, le requérant réintégra l’asile le surlendemain.
17.  De son côté, la section de surveillance de Naples commença par attendre le résultat final de la procédure engagée devant celle de Rome (paragraphe 14 ci-dessus). Elle reprit l’examen de la demande dont elle se trouvait elle-même saisie aussitôt après que la Cour d’appel de la capitale eut rejeté, le 4 mai 1981, le recours contre l’ordonnance du 5 août 1980 (ibidem). Les débats se déroulèrent dès le 12 mai, avant même le dépôt de l’arrêt de ladite cour au greffe (29 mai). Le dossier comprenait, entre autres, un rapport médical daté du 16 avril 1981 - donc établi moins d’un mois après le retour de M. Luberti à l’hôpital psychiatrique - et rédigé pour les besoins de l’instruction; le médecin-chef (Direttore capo sanitario) de l’asile y affirmait que "du point de vue clinique rien ne s’oppos[ait] à la levée de la mesure de sûreté".
Le 4 juin 1981, la section de surveillance de Naples décida la levée de l’internement, constatant, à la lumière notamment dudit rapport, que le requérant avait cessé de constituer un danger sur le plan psychiatrique et criminologique. Avant de se prononcer sur le fond, elle s’affirma compétente pour statuer sur la demande bien que le pourvoi en cassation du parquet contre l’arrêt de la Cour d’assises d’appel de Rome demeurât en instance (paragraphe 11 ci-dessus); elle marqua son désaccord avec la manière dont la section de surveillance de Rome avait interprété l’article 635 du code de procédure pénale (paragraphe 14 ci-dessus).
Le dépôt de l’ordonnance eut lieu le 10 juin et l’intéressé recouvra sa liberté le 15 - l’avant-veille du rejet des deux pourvois (paragraphe 11 ci-dessus).
B. Le droit interne applicable
18.  D’après l’article 222 du code pénal italien en vigueur à l’époque du procès de M. Luberti, un accusé acquitté en raison de son état de démence faisait l’objet d’une mesure de sûreté consistant à l’enfermer dans un hôpital psychiatrique (ospedale psichiatrico giudiziario) pour une durée dont la loi fixait le minimum en fonction de la gravité de l’infraction. En l’occurrence, cette période était de deux ans.
L’article 202, premier alinéa, disposait que seules les personnes socialement dangereuses ayant commis un fait érigé par la loi en infraction pouvaient se voir appliquer des mesures de sûreté. Aux termes du premier alinéa de l’article 204, il y avait lieu d’ordonner de telles mesures lorsqu’il se trouvait établi que l’auteur des faits était une personne socialement dangereuse. Toutefois, le deuxième alinéa ajoutait:
"Dans les cas expressément prévus" - dont celui de l’article 222 -, "le caractère socialement dangereux est présumé par la loi. Néanmoins, même dans ces cas l’application des mesures de sûreté est subordonnée à la constatation de l’existence de ce caractère, si la condamnation ou l’acquittement sont prononcés:
1) plus de dix ans après la date où les faits ont été commis, lorsqu’il s’agit de malades mentaux, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 219 et de l’article 222; (...)."
La présomption instituée par la première phrase du texte précité jouait en l’espèce.
19.  Le régime juridique en question a changé sur certains points à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle, du 27 juillet 1982 (no 139). Celle-ci a déclaré inconstitutionnels les articles 222, premier alinéa, et 204, deuxième alinéa, du code pénal
"(...) dans la mesure où ils ne subordonn[ai]ent pas la décision d’internement dans un asile psychiatrique de la personne acquittée pour démence à la vérification préalable, par la juridiction de jugement et celle de l’application des peines, de la dangerosité sociale persistante dérivant de la (...) maladie au moment de l’application de la mesure; (...)."
20.  Selon l’article 207 tel que l’a modifié un autre arrêt de la Cour constitutionnelle (no 110 du 23 avril 1974), la levée d’une mesure de sûreté - comme l’internement de M. Luberti - peut être ordonnée avant même l’échéance de la période minimale, par exemple à la demande de l’intéressé, si le caractère socialement dangereux a cessé. D’après l’article 208, le juge réexamine en tout cas la situation à la fin de ladite période pour établir si l’interné demeure socialement dangereux; au besoin, il fixe la date du prochain examen.
21.  Aux termes de l’article 206 du code pénal, l’exécution d’une mesure de sûreté peut dans certains cas, y compris celui d’un aliéné, débuter pendant l’instruction ou le procès; il s’agit là, pour le juge, d’une simple faculté. A ce stade, la mesure est qualifiée de provisoire et seul le juge du fond a compétence pour connaître des questions qu’elle pose, dont celle de sa levée.
En dehors de l’instruction et du procès, l’article 635 du code de procédure pénale attribue en la matière le pouvoir de contrôle et de décision au juge de l’application des peines (giudice di sorveglianza). Cette institution comprend deux organes: le juge de surveillance (magistrato di sorveglianza) et la section de surveillance (sezione de sorveglianza). Les articles 69 et 70 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 sur l’organisation pénitentiaire et l’exécution des mesures privatives et limitatives de liberté déterminent leurs compétences respectives, exclusives l’une de l’autre. En particulier, la section de surveillance connaît des demandes de levée des mesures de sûreté.
Juge et section de surveillance se prononcent en premier ressort. Contre leurs décisions, l’intéressé et le ministère public disposent, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel (article 640 du code de procédure pénale) ou, pour violation de la loi, devant la Cour de cassation (article 71 ter de la loi no 354 de 1975). En outre, il leur est loisible d’attaquer un arrêt (decreto) ainsi rendu par la cour d’appel au moyen d’un recours en révision devant la Cour de cassation qui, dans cette hypothèse, a aussi le pouvoir de trancher le fond (article 641 du code de procédure pénale).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
22.  Par sa requête du 19 mai 1980 à la Commission (no 9019/80), M. Luberti se plaignait d’avoir été interné dans un hôpital psychiatrique bien qu’il ne souffrît plus d’aucun trouble mental. Il reprochait également à la justice italienne de n’avoir pas statué à bref délai sur ses demandes de levée d’internement. Sur le premier point il invoquait le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention, sur le second le paragraphe 4 (art. 5-4).
23.  La Commission a retenu la requête le 7 juillet 1981.
Dans son rapport du 6 mai 1982 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime l’avis:
- par dix voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention;
- à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4).
Le rapport renferme une opinion séparée.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 § 1 (art. 5-1)
24.  Le requérant affirme qu’au moment où la Cour d’assises d’appel de Rome a statué - le 16 novembre 1979 - il ne souffrait plus d’aucun trouble mental; elle aurait ordonné son internement sans considération de son état de santé à la date de l’arrêt, en vertu de l’article 222 du code pénal qui, à l’époque, prévoyait en pareil cas le recours automatique à cette mesure de sûreté (paragraphes 10 et 18 ci-dessus). Il invoque l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi;
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci;
d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente;
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours."
Le Gouvernement marque son désaccord. Selon lui, l’état mental de M. Luberti justifiait l’envoi de celui-ci dans un hôpital psychiatrique. En outre, la Cour d’assises d’appel de Rome aurait vérifié non seulement la qualité d’aliéné de l’intéressé au moment de l’homicide et depuis lors, mais aussi sa dangerosité à la date de l’arrêt (paragraphe 10 ci-dessus); elle en aurait tenu compte dans sa décision qui se fondait sur les résultats de l’expertise.
La Commission relève qu’elle n’a pas à se prononcer d’une manière générale sur la compatibilité de la présomption instituée par l’article 204 du code pénal (paragraphe 18 ci-dessus) avec l’alinéa e) de l’article 5 § 1 (art. 5-1-e) de la Convention, seul pertinent d’après elle. Quant au point de savoir si l’application du droit italien a enfreint la Convention en l’espèce, elle y répond par la négative. D’après elle, le trouble mental de M. Luberti revêtait effectivement un caractère et une ampleur légitimant l’internement litigieux.
25.  Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour se bornera autant que possible à examiner le cas concret: elle recherchera si la privation de liberté subie par le requérant cadre avec les exigences de l’article 5 § 1 (art. 5-1). Seuls entrent en ligne de compte la partie introductive et l’alinéa e) (art. 5-1-e) de ce texte: les alinéas b) à d) et f) (art. 5-1-b, art. 5-1-c, art. 5-1-d, art. 5-1-f) sont manifestement étrangers à l’affaire; quant à l’alinéa a) (art. 5-1-a), il vise l’hypothèse d’une condamnation (arrêt X contre Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A no 46, p. 17, § 39, et arrêt Van Droogenbroeck du 24 juin 1982, série A no 50, p. 19, § 35) tandis qu’il s’agit en l’occurrence d’un acquittement.
26.  Pour respecter l’article 5 § 1 (art. 5-1), l’internement litigieux devait avoir lieu "selon les voies légales", être "régulier" et concerner "un aliéné". Le requérant allègue uniquement l’absence de ce dernier élément; les deux premiers ne prêtent pas ici à controverse.
27.  La Cour rappelle qu’il faut reconnaître aux autorités nationales une certaine liberté de jugement quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme "aliéné", car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné; sa propre tâche consiste à contrôler leurs décisions sous l’angle de la Convention (arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 18, § 40). Une personne ne peut être considérée comme un "aliéné", au sens de l’article 5 § 1 (art. 5-1), et privée de sa liberté que sous les trois conditions minimales suivantes: l’aliénation doit être établie de manière probante, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et celui-ci ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (arrêt X contre Royaume-Uni, précité, série A no 46, p. 18, § 40, et, mutatis mutandis, arrêts Stögmüller du 10 novembre 1969, série A no 9, p. 39-40, § 4, Winterwerp, précité, série A no 33, p. 18, § 39 et Van Droogenbroeck, précité, série A no 50, pp. 21-22, § 40).
28.  En soutenant qu’il était déjà guéri quand la Cour d’assises d’appel de Rome a ordonné son internement, M. Luberti conteste en substance le respect des deux premières conditions.
La Cour souscrit à l’opinion, contraire, de la Commission et du Gouvernement.
Tout d’abord, il appert que la Cour d’assises d’appel a établi de manière probante la qualité d’aliéné de l’intéressé. Elle en a vérifié l’existence non seulement au moment de l’homicide ("nel momento in cui [aveva] commesso il fatto"), comme le voulaient les articles 222 et 88, combinés, du code pénal, mais aussi à la date de l’adoption de la mesure privative de liberté, solution conforme aux exigences de l’article 5 (art. 5) de la Convention. Cela ressort sans nul doute de l’arrêt du 16 novembre 1979: dans ses motifs, il se référait notamment à deux rapports psychiatriques postérieurs, et de beaucoup, auxdits faits et qui se fondaient eux-mêmes, dans une large mesure, sur l’attitude et les déclarations de M. Luberti pendant la procédure (paragraphe 10 ci-dessus).
La Cour d’assises d’appel a également pris soin de s’assurer que le trouble mental dont le requérant souffrait à l’époque de l’arrêt revêtait un caractère et une ampleur légitimant l’internement: elle a constaté qu’il s’agissait d’un individu alors réellement dangereux, à telle enseigne qu’elle a jugé nécessaire de prescrire l’exécution provisoire de sa décision (paragraphes 10 et 12 ci-dessus).
29.  Il reste à rechercher si la "détention" incriminée, compatible à l’origine avec l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention, a continué au-delà de la période justifiée par le trouble mental.
D’après les renseignements qui figurent au dossier, deux rapports ayant trait à l’état mental de l’intéressé furent rédigés dans l’intervalle entre l’arrêt de la Cour d’assises d’appel, rendu le 16 novembre 1979, et la levée de la mesure de sûreté le 10 juin 1981 (paragraphes 10 et 17 ci-dessus).
Le premier - le certificat daté du 5 mars 1980 - concluait à la guérison de M. Luberti et à la nécessité de le libérer si l’on ne voulait réduire à néant sur le plan clinique l’ensemble des résultats acquis (paragraphe 14 ci-dessus). Toutefois, il n’émanait pas d’un psychiatre, mais d’un psychologue consulté à titre privé par le requérant. Indépendamment de cela, il ne suffisait certes pas en soi à commander une décision d’élargissement, d’autant qu’il allait à l’encontre des constatations de l’arrêt de la Cour d’assises d’appel, vieux de quelques mois à peine (16 novembre 1979), et des expertises sur lesquelles s’appuyait ce dernier. La circonspection s’imposait donc à la section de surveillance de Rome; elle se devait de vérifier à son tour l’état mental de l’intéressé.
De fait, elle ordonna le dépôt du dossier médical et commença d’étudier le cas; néanmoins, elle ne se prononça pas sur le fond puisqu’elle se déclara incompétente le 5 août 1980 (paragraphe 14 ci-dessus). Le 16 août, M. Luberti se pourvut en cassation et introduisit de nouvelles demandes de libération devant la Cour d’assises d’appel de Rome et la section de surveillance de Naples. Il s’enfuit cependant aussitôt après, le 22 août, de sorte qu’il ne put subir d’autres examens psychiatriques jusqu’à son arrestation en mars 1981.
Quant au second rapport, il fut établi le 16 avril 1981 pour les besoins de l’instruction relative à la demande adressée à la section de surveillance de Naples; le médecin-chef de l’asile d’Aversa y affirmait que sur le plan clinique rien n’empêchait de mettre fin à la mesure de sûreté (paragraphe 17 ci-dessus).
Naturellement, ledit rapport ne constituait pas l’acte ultime de la procédure; il ne présentait pas le caractère et ne déployait pas les effets juridiques d’une décision. Communiqué à la section de surveillance de Naples, il ne l’engageait en aucune manière. Elle devait encore s’assurer que l’état mental de M. Luberti justifiait son élargissement. La levée de l’internement d’un individu reconnu jadis, par une juridiction, comme un aliéné dangereux pour la société concerne, outre l’intéressé, la communauté dans laquelle il va vivre si on l’élargit; en l’occurrence il s’agissait de l’auteur d’un homicide, ce qui accroissait la difficulté inhérente à toute appréciation dans le domaine psychiatrique. Partant, la section de surveillance devait témoigner de prudence et elle avait besoin de quelque temps pour examiner la demande.
Il n’apparaît pas qu’elle ait anormalement tardé à statuer. Avant même l’issue de la procédure engagée à Rome, elle prit des mesures pour instruire la demande dont elle se trouvait saisie. Elle tint des audiences dès le 12 mai 1981, huit jours après l’arrêt de la Cour d’appel de Rome et dix-sept avant son dépôt au greffe (paragraphe 17 ci-dessus). Sa décision, adoptée le 4 juin 1981 et déposée au greffe le 10, entraîna le 15 l’élargissement de M. Luberti. Ces divers délais ne se révèlent pas exagérés: aux yeux de la Cour, la section de surveillance de Naples a rempli sa tâche aussi vite qu’on pouvait raisonnablement l’escompter. Si celle de Rome avait montré plus de diligence, peut-être aurait-on réussi plus tôt à constater que l’internement avait cessé de correspondre à une nécessité. La Cour n’exclut pas une telle hypothèse, mais elle n’estime pas établi, sur la base des éléments rassemblés par elle, que la détention du requérant ait duré au-delà de la période justifiée par le désordre mental. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 1 (art. 5-1).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 § 4 (art. 5-4)
30.  Aux termes de l’article 5 § 4 (art. 5-4),
"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
D’après M. Luberti, les juridictions italiennes n’ont pas statué "à bref délai" sur ses demandes de levée d’internement. Le Gouvernement avait combattu cette thèse devant la Commission - qui, elle, y souscrit en substance -, mais dans son mémoire à la Cour (paragraphe 4 ci-dessus) il concède que la durée de l’instance menée devant la section de surveillance de Rome, à seule fin "d’établir l’incompétence de l’autorité saisie, a dépassé" le délai dont il s’agit.
31.  La Cour doit trancher le problème malgré l’absence d’infraction à l’article 5 § 1 (art. 5-1); elle renvoie sur ce point à sa jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, l’arrêt Van Droogenbroeck précité, série A no 50, p. 23, § 43).
Des arrêts qu’elle a déjà rendus dans le domaine de l’article 5 § 4 (art. 5-4) ressortent certaines distinctions qui jouent un rôle en l’espèce.
Quand la décision privative de liberté émane d’un organe administratif, l’intéressé a le droit d’en faire vérifier la légalité par un tribunal, mais il n’en va pas de même si elle a été prise par un tribunal statuant à l’issue d’une procédure judiciaire: le contrôle voulu par l’article 5 § 4 (art. 5-4) se trouve alors incorporé à ladite décision (voir, en dernier lieu, l’arrêt Van Droogenbroeck précité, ibidem, p. 23, §§ 44-45).
Dans le cas de l’internement des aliénés, d’autre part, la Cour a jugé qu’il doit toujours y avoir place pour un contrôle ultérieur, à exercer à des intervalles raisonnables, car les motifs qui justifiaient à l’origine la détention peuvent cesser d’exister (voir, en dernier lieu, l’arrêt X c. Royaume-Uni précité, série A no 46, pp. 22-23, § 52).
32.  L’internement de M. Luberti se fondait sur un arrêt de la Cour d’assises d’appel de Rome, rendu le 16 novembre 1979 au terme d’une instance assortie des garanties judiciaires nécessaires. Il s’agit donc uniquement de rechercher si le requérant a bénéficié par la suite, après un "intervalle raisonnable", d’un "recours" auprès d’un "tribunal" qui se soit prononcé "à bref délai" sur la "légalité" de son maintien en "détention".
33.  L’intéressé a introduit trois demandes en levée de son internement. Il a saisi de la première, le 19 novembre 1979, la section de surveillance de Rome; de la deuxième, le 16 août 1980, la Cour d’assises d’appel de cette ville; de la troisième, également le 16 août 1980, la section de surveillance de Naples (paragraphes 14-17 ci-dessus). La première a débouché sur un constat d’incompétence de la section de surveillance de Rome (5 août 1980 - dépôt au greffe: le lendemain) puis, sur recours de M. Luberti, de la Cour d’appel de la capitale (4 mai 1981 - dépôt au greffe: 29 mai 1981); la deuxième sur une ordonnance de classement, rendue par la Cour d’assises d’appel de Rome à une date que le Gouvernement n’a pu indiquer; la troisième sur l’élargissement du requérant (15 juin 1981) par décision de la section de surveillance de Naples (4 juin 1981 - dépôt au greffe: 10 juin 1981).
Si donc seule cette dernière a statué "sur la légalité de [la] détention" litigieuse, au sens de l’article 5 § 4 (art. 5-4), il n’en résulte pas que seule entre en ligne de compte la procédure suivie devant elle. Il s’agit bien plutôt de rechercher si, en définitive, l’intéressé a joui ou non de son droit à voir cette question tranchée "à bref délai" par la magistrature italienne, du fonctionnement de laquelle l’État défendeur répond devant les organes de la Convention. Pour le savoir, il faut se livrer à une appréciation globale après un examen séparé de chacune des instances qui se sont déroulées en l’espèce.
34.  La procédure engagée le 19 novembre 1979 devant la section de surveillance de Rome s’est achevée en appel le 29 mai 1981, au bout de dix-huit mois et dix jours. Elle frappe d’emblée par sa longueur.
Il échet néanmoins de noter qu’elle a commencé trois jours à peine après l’arrêt d’acquittement qui prescrivait la privation de liberté incriminée. Sans doute la législation italienne n’obligeait-elle pas l’intéressé à attendre davantage pour s’adresser à la section de surveillance de Rome, mais au regard de la Convention le contrôle initial de la "légalité" de la "détention" se trouvait incorporé audit arrêt et le droit au respect d’un "bref délai" dans le traitement de la première demande n’a pris naissance qu’après un "intervalle raisonnable" (paragraphe 31 ci-dessus). On ne saurait non plus oublier que dès le 17 novembre 1979 M. Luberti avait déclaré se pourvoir en cassation (paragraphe 11 ci-dessus). En critiquant la manière dont la Cour d’assises d’appel avait motivé le rejet de la thèse du suicide, il essayait manifestement d’échapper à la mesure de sûreté prononcée le 16; il l’attaqua de front, le 19, devant la section de surveillance de Rome. Quoiqu’il eût certes le droit d’employer l’ensemble des ressources juridiques dont il disposait pour se défendre, l’utilisation simultanée de deux voies légales, distinctes mais tournées en somme vers le même but, a sans doute causé une perte de temps non imputable aux autorités (comp., dans le contexte du "délai raisonnable" de l’article 6 § 1 (art. 6-1), l’arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 36, § 82). Il a provoqué un retard supplémentaire en contestant la décision de la section de surveillance de Rome devant la Cour de cassation au lieu de la Cour d’appel (paragraphe 14 ci-dessus).
S’agissant d’une affaire de privation de liberté à examiner d’urgence, ces divers éléments ne justifient pourtant pas que la procédure entamée devant la section de surveillance de Rome, et clôturée par une simple décision d’incompétence, ait duré plus d’un an et demi; le Gouvernement admet d’ailleurs qu’elle a dépassé le "bref délai" dont l’article 5 § 4 (art. 5-4) de la Convention prescrit le respect.
35.  Quant à la deuxième demande, introduite le 16 août 1980, la Cour d’assises d’appel de Rome en suspendit sine die l’examen, le 4 septembre 1980, en raison de l’absence irrégulière de M. Luberti (paragraphe 16 ci-dessus). La mesure paraît normale en soi: une expertise psychiatrique éventuelle exigeait la présence de l’intéressé. En outre, les pièces du dossier ne montrent pas que le classement décidé pour finir par ladite Cour ait eu lieu après la nouvelle arrestation de l’intéressé, survenue le 17 mars 1981.
36.  La procédure concernant la troisième demande, présentée elle aussi le 16 août 1980, a duré neuf mois et vingt-cinq jours (paragraphe 17 ci-dessus). Malgré sa longueur, ce laps de temps ne se révèle pas exagéré en l’occurrence. Tout d’abord, à cause de sa fuite M. Luberti ne put subir de nouveaux examens psychiatriques jusqu’à son retour à l’asile en mars 1981. De plus, la section de surveillance de Naples dut commencer par surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour d’appel de Rome eût achevé de connaître de la première demande, adressée le 19 novembre 1979 à la section de surveillance de la capitale; ici encore, le requérant ne saurait se plaindre des conséquences de la multiplicité de ses initiatives (paragraphe 34 ci-dessus). Dès que la Cour d’appel de Rome eut accompli sa tâche (4 mai 1981), et sans attendre le dépôt de sa décision au greffe (29 mai 1981), la section de surveillance de Naples aborda le fond de l’affaire et témoigna de la célérité voulue par l’article 5 § 4 (art. 5-4) de la Convention; son ordonnance, adoptée le 4 juin 1981 et déposée le 10, aboutit le 15 à l’élargissement de M. Luberti. A cet égard, la Cour se réfère à son raisonnement relatif à l’observation du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) (paragraphe 29 ci-dessus).
37.  Il n’en demeure pas moins que des retards excessifs ont marqué la procédure suivie à Rome, du 19 novembre 1979 au 29 mai 1981, devant la section de surveillance puis la Cour de cassation et la Cour d’appel. Ils ont eu pour résultat que la magistrature italienne, nonobstant les diligences de la section de surveillance de Naples, ne s’est pas prononcée "à bref délai sur la légalité de [la] détention" incriminée; le Gouvernement l’admet du reste. Une appréciation globale des données recueillies amène ainsi la Cour à conclure qu’il y a eu infraction à l’article 5 § 4 (art. 5-4).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
38.  L’article 50 (art. 50) de la Convention se lit ainsi:
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
39.  Le requérant réclame une indemnité de 20.000.000 lires pour dommage moral et matériel. Elle lui semble justifiée par une année de souffrances dans un asile psychiatrique et par les dépenses exposées "pour affronter les nécessités" de l’internement. Il revendique en outre une somme de 1.000.000 lires, plus 18 % de taxe sur la valeur ajoutée, au titre de ses frais de défense devant la section de surveillance et la Cour d’appel de Rome. Sur l’un et l’autre points, il prie la Cour d’avoir égard de surcroît à la dépréciation de la monnaie.
Gouvernement et Commission ont exprimé leur opinion sur la question et la Cour l’estime en état (article 50 § 3, première phrase, du règlement).
40.  Comme le présent arrêt n’a constaté aucun manquement aux exigences du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1), un préjudice résultant de la privation de liberté litigieuse comme telle n’entre pas ici en ligne de compte. Quant à la violation du paragraphe 4 (art. 5-4), rien ne prouve que M. Luberti aurait bénéficié plus tôt d’un élargissement sans le dépassement du "bref délai". Il échet donc d’écarter, faute de lien de causalité, toute allégation de dommage matériel (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Van Droogenbroeck du 25 avril 1983, série A no 63, p. 6, §§ 11-12); la Cour rejoint à ce sujet le Gouvernement et la Commission.
41.  En revanche - la Commission le relève à juste titre et le Gouvernement ne le conteste pas -, l’intéressé a dû éprouver un certain tort moral du fait de la durée des procédures engagées par lui en vue de la levée de son internement. On ne saurait pourtant oublier qu’il a introduit, parfois simultanément, une série de demandes dont plusieurs s’adressaient à une juridiction incompétente; il a créé ainsi une situation de litispendance peu propice à un dénouement rapide (paragraphes 33, 34 et 36 ci-dessus). Surtout, il a provoqué un long intermède en prenant la fuite le 22 août 1980 et en vivant caché jusqu’au 17 mars 1981 (paragraphe 16 ci-dessus). Les retards observés s’expliquent donc en grande partie par sa propre attitude. Dans la mesure où ils sont imputables aux autorités italiennes, le constat figurant au point 2 du dispositif du présent arrêt constitue, aux fins de l’article 50 (art. 50) de la Convention, une satisfaction suffisante pour ledit tort moral.
42.  Restent les frais de la procédure suivie à Rome devant la section de surveillance, puis la Cour d’appel, et dont il ressort du dossier que le requérant a essayé de hâter le déroulement. Le Gouvernement ne soulève aucune objection à leur égard et selon la Commission ils "satisfont aux conditions établies par la Cour pour leur remboursement".
Pour son compte, la Cour n’a aucune raison de douter que la demande réponde aux critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière, qu’il s’agisse de la destination des frais en question, de leur réalité, de leur nécessité ou du caractère raisonnable de leur taux (voir notamment l’arrêt Zimmermann et Steiner du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, § 36). En conséquence, elle accorde de ce chef à l’intéressé une somme de 1.000.000 lires plus, le cas échéant, tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 (art. 5-4);
3. Dit que l’État défendeur doit verser au requérant, pour frais et dépens, un million (1.000.000) de lires plus, le cas échéant, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée;
Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-trois février mil neuf cent quatre-vingt-quatre.
Gérard WIARDA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
* Note du greffe: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance.  Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT AIREY c. IRLANDE
ARRÊT LUBERTI c. ITALIE
ARRÊT LUBERTI c. ITALIE


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 9019/80
Date de la décision : 23/02/1984
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'Art. 5-4 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale

Analyses

(Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1-e) ALIENE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS


Parties
Demandeurs : LUBERTI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1984-02-23;9019.80 ?

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