La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/1971 | CEDH | N°5012/71

CEDH | X. contre la BELGIQUE


EN FAIT
1. Les faits de la cause tels qu'ils se dégagent des nombreuses lettres que le requérant a fait parvenir à la Commission d'une part, et des observations du Gouvernement défendeur (observations sur la recevabilité de la requête du 13 juillet 1971 et observations complémentaires des 31 août et 8 décembre 1971) d'autre part, sont les suivants:
2. Le requérant, ressortissant algérien né en 1932 à C., affirme être "représentant". Il est actuellement détenu à la prison de Bruxelles.
3. Le requérant prétend que ses parents "se sont naturalisés comme citoyens franc

̧ais" en 1945. En juin 1954, il aurait été appelé sous les drapeaux pour eff...

EN FAIT
1. Les faits de la cause tels qu'ils se dégagent des nombreuses lettres que le requérant a fait parvenir à la Commission d'une part, et des observations du Gouvernement défendeur (observations sur la recevabilité de la requête du 13 juillet 1971 et observations complémentaires des 31 août et 8 décembre 1971) d'autre part, sont les suivants:
2. Le requérant, ressortissant algérien né en 1932 à C., affirme être "représentant". Il est actuellement détenu à la prison de Bruxelles.
3. Le requérant prétend que ses parents "se sont naturalisés comme citoyens français" en 1945. En juin 1954, il aurait été appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire. Peu après le commencement de la "rébellion algérienne" (1er novembre 1954), X. aurait été sollicité par les "rebelles" de collaborer avec eux. Il s'y serait refusé. Après avoir effectué un stage, il aurait obtenu "le grade de sous-officier". Installé dans un camp militaire en Algérie, X. aurait terminé ainsi sa période militaire de dix-huit mois. Démobilisé, il serait rentré chez ses parents à C., qui lui auraient appris que son frère avait été "égorgé par les rebelles". A cette nouvelle X. aurait décidé de collaborer avec le Deuxième Bureau de l'Armée française, à la tête duquel se trouvait, á cette époque, un colonel dont le requérant cite le nom. Après les accords d'Evian (1962), le requérant aurait été "rapatrié" en France par les soins de la Croix-Rouge française. En France, il aurait aussitôt demandé la nationalité française et un dossier aurait été ouvert à son nom. En 1963, il aurait regagné l'Allemagne. A la demande de Ben Bella, X. aurait par la suite "prêté [ses] services" au régime instauré par ce dernier jusqu'au coup d'Etat du mois de juin 1965. Il aurait alors refusé de collaborer avec le nouveau Gouvernement. Quelque temps après (vraisemblablement vers la fin de 1969), il aurait apparemment réussi à quitter l'Algérie et à passer en France, d'où il a gagné la Belgique.
4. X. a été appréhendé par la police d'I. (Belgique) le .. février 1971 après une brève poursuite. Il a été par la suite inculpé de vol et tentative de vols. A la police et au juge d'instruction, le requérant a déclaré être un certain D., ressortissant français. X. était en effet porteur d'une carte d'identité française à ce nom. Le signalement de X. ne correspondant pas aux mentions figurant sur la carte d'identité, le juge d'instruction a demandé l'intervention d'Interpol. Interpol Paris a révélé par un radiogramme du .. mars 1971 qu'il s'agissait d'un nommé X. et qu'il avait fait l'objet d'une condamnation par défaut le .. décembre 1970 par la cour d'appel de Reims à seize mois d'emprisonnement, notamment du chef de vol. Deux autres radiogrammes émanant d'Interpol Alger (.. avril et .. mai 1971) ont confirmé l'identité du requérant en y ajoutant que le requérant avait fait l'objet d'un mandat d'arrêt délivré par défaut par le juge d'instruction de C.. Les autorités algériennes "ont par la même occasion, prié le magistrat instructeur de maintenir l'arrestation du requérant en vue de l'extradition qu'elles se proposaient de demander par la voie diplomatique" (observations sur la recevabilité, p. 3). Le Procureur du Roi de Bruxelles n'a pas estimé opportun de faire droit à cette demande, car X. était encore détenu sous les liens du mandat d'arrêt décerné à son encontre en Belgique.
5. Le .. juin 1971, l'Ambassade d'Algérie à Bruxelles a transmis au Ministère des Affaires étrangères de Belgique le dossier d'extradition du requérant. Il ressort de cette demande et des pièces y annexées que le requérant a fait l'objet d'un mandat d'arrêt décerné le .. septembre 1970 des chefs d'usurpation de fonctions et abus de confiance. Les infractions ont été commises à C.. le .. novembre 1969. D'une pièce versée par l'Ambassade algérienne, il ressort également que le requérant se serait rendu en France en usurpant le nom de Y. son cousin maternel.
6. Il ressort du dossier que la fouille des bagages du requérant effectuée par la police belge a permis d'établir que X. est porteur d'une carte d'identité de la République algérienne délivrée le .. septembre 1965 et d'un certificat de résidence de ressortissant algérien de la République française délivré le .. mars 1970. Il ressort également du dossier que le requérant s'est adressé lui-même au Consulat algérien á Bruxelles au mois d'avril 1971 et que ce dernier a, le .. avril 1971, envoyé une demande de renseignements à son sujet au Ministre de la Justice de Belgique. Le .. juin 1971, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné le requérant à une peine de douze mois d'emprisonnement, avec sursis de cinq ans, du chef de faux en écritures et usage de faux, port public de faux nom et séjour illégal, ainsi qu'à une peine de huit mois d'emprisonnement du chef de vol simple et de tentatives de vols qualifiés.
7. Le .. juillet 1971, la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, a émis son avis sur les formalités légales prescrites par la loi de 1874, quant à l'extradition du requérant. L'avis de la cour a été "favorable à l'extradition en ce qui concerne les faits qualifiés d'abus de confiance et défavorable en ce qui concerne les faits qualifiés d'usurpation de fonctions, ces derniers faits n'étant pas repris dans l'annexe à la Convention d'extradition conclue par la Belgique et la République Algérienne Démocratique et Populaire du 12 juin 1970" (observations complémentaires du Gouvernement défendeur du 31 août 1971, p. 1).
8. Le .. octobre 1971, X. a eu connaissance que le Gouvernement français avait demandé, à son tour, aux autorités belges son extradition (voir infra No 47).
9. X. a initialement reconnu avoir commis les faits pour lesquels il a été condamné par le tribunal correctionnel de Bruxelles. Il s'élève cependant contre l'éventualité de son extradition vers l'Algérie. X. avance, pour l'essentiel, qu'il a toujours été un opposant au régime du colonel Boumedienne et que son extradition à l'Algérie l'exposerait à de sérieux dangers. Il allègue, à ce sujet, que deux de ses camarades ont été fusillés à Alger en 1968 sur les ordres de ce dernier. Il fait valoir que c'est dans le but de se saisir de sa personne que les autorités algériennes l'auraient accusé d'infractions qu'il affirme n'avoir pas commises. Il serait rentré en Algérie le .. février 1970 pour voir sa mère âgée et il serait aussitôt retourné en France où il n'aurait pas cessé de réclamer la nationalité française. Le requérant allègue, enfin, qu'à la prison où il est détenu on fait preuve de racisme à l'égard des étrangers, qu'il a fait l'objet de mesures disciplinaires et que le personnel l'a provoqué en l'injuriant. X. supplie la Commission de faire en sorte qu'il ne soit pas extradé à l'Algérie.
Procédure suivie devant la Commission
10. La présente requête, composée initialement d'une seule lettre datée du 25 mai 1971, est parvenue au Secrétariat de la Commission le 27 mai 1971. Conformément à l'article 45 du Règlement intérieur, elle a été soumise à l'examen d'un groupe de trois le 28 mai 1971. Par une ordonnance du Président également datée du 28 mai, il avait été décidé de traiter l'affaire par priorité (article 38, par. 1, du Règlement intérieur). En raison de la relative urgence de l'affaire, ce rapport a été soumis le même jour à l'examen de la Commission. Après en avoir délibéré, la Commission a décidé de communiquer l'affaire au Gouvernement défendeur pour observations sur la recevabilité.
Après quelques entretiens téléphoniques avec les autorités belges, le Secrétaire de la Commission a procédé à la communication de la requête le 9 juin 1971. Un délai de cinq semaines expirant le 14 juillet 1971 a été imparti au Gouvernement défendeur pour qu'il présente ses observations écrites sur la recevabilité de la requête.
11. Après cette communication, le requérant a écrit à plusieurs reprises à la Commission. Ces lettres reprennent, pour la plupart, les griefs que le requérant avait fait valoir dans ses précédentes missives.
12. Le 15 juillet 1971, le Gouvernement a fait parvenir ses observations écrites, reçues au Secrétariat le 16 juillet. Le même jour, un exemplaire de ces observations a été communiqué, pour réponse, au requérant. Le 20 juillet 1971, le requérant a répondu aux observations du Gouvernement.
13. Le 23 juillet 1971 un deuxième groupe de trois membres de la Commission a repris l'examen de l'affaire (doc. 45.392).
14. Depuis le 23 juillet 1971, X. a adressé de nombreuses lettres à la Commission.
15. Le 31 août 1971, le Gouvernement défendeur a fait parvenir à la Commission des "observations complémentaires" sur la recevabilité de la requête, auxquelles le requérant a répondu le 10 septembre 1971.
16. Le 16 septembre 1971, Maître A. du Barreau de Bruxelles, qui représente depuis cette date le requérant devant la Commission, a fait parvenir une lettre contenant différents éléments de fait.
17. Le 22 septembre 1971 un troisième groupe de trois membres de la Commission a repris l'examen de l'affaire à la lumière de tous les développements survenus après le 23 juillet 1971, date du rapport du deuxième groupe de trois.
18. Le 24 septembre 1971, la Commission a abordé l'examen de l'affaire à la lumière du rapport du groupe de trois daté du 22 septembre 1971. La Commission a décidé de suivre dans ses grandes lignes le raisonnement contenu dans le rapport susvisé. Elle a estimé qu'au vu des nouveaux développements de l'affaire, la requête n'était pas encore en état. Par conséquent, elle a décidé d'obtenir de la part de l'avocat du requérant un complément d'informations sur certains aspects de la cause. Après avoir ajourné l'examen de la requête, la Commission a chargé son Secrétaire d'en informer les parties et de prier le Gouvernement défendeur de surseoir à l'extradition du requérant jusqu'à la décision qu'elle rendra sur la recevabilité de la requête.
19. En application de cette décision, le Secrétaire de la Commission a fait parvenir le 29 septembre 1971 au conseil du requérant une demande de renseignements portant tant sur la procédure qui s'était déroulé devant la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles concernant l'extradition du requérant que sur la nature exacte de l'activité politique déployée par X. Il avait également été demandé audit conseil de produire un certain nombre de documents se rapportant aux points visés ci-dessus.
20. Le 12 octobre, le 14 octobre et le 4 novembre 1971, Maître A. a fait parvenir au Secrétariat ses réponses aux questions qui lui avaient été posées ainsi que différentes pièces.
21. Le 8 décembre 1971, le Gouvernement défendeur a fait parvenir une deuxième note d'observations complémentaires sur la recevabilité de la requête.
22. Le 11 décembre 1971 un quatrième groupe de trois membres de la Commission a examiné l'affaire à la lumière de cette deuxième note et des renseignements qui avaient été fournis par le conseil du requérant.
ARGUMENTATION DES PARTIES
23. Le Gouvernement défendeur a fait parvenir à la Commission trois documents datés des 13 juillet, 31 août et 8 décembre 1971, au premier desquels se trouvent annexées un certain nombre de pièces.
24. En ce qui concerne l'extradition du requérant, le Gouvernement défendeur fait valoir dans ses observations sur la recevabilité de la requête du 13 juillet 1971 que la demande a été présentée par l'Ambassade d'Algérie, conformément à la Convention relative à l'extradition du 12 juin 1970 entre la Belgique et l'Algérie. Pour ce qui est des allégations que le requérant a développées dans ses lettres à la Commission, le Gouvernement défendeur souligne que X. "n'a jamais invoqué au cours de l'instruction [devant le juge d'instruction] ses prétendues activités comme adversaire de la politique algérienne actuelle et contre les forces du colonel Boumedienne" (observations sur la recevabilité, p. 4.).
25. En ce qui concerne le séjour en prison du requérant, le Gouvernement défendeur souligne que X. "se distingue spécialement par sa mauvaise conduite" et que, par conséquent, il a fait l'objet de "six bulletins disciplinaires pour divers motifs". Quant aux injures que le personnel aurait proférées à l'encontre du requérant, le Gouvernement défendeur soutient que les allégations de X. "sont purement gratuites" et que "l'intéressé serait bien en peine de donner des précisions valables" (observations sur la recevabilité, p. 6).
26. Le Gouvernement défendeur conclut ces observations en ces termes: "Il apparaît de la description des faits que la requête No 5012/71 est manifestement mal fondée et abusive: 1) le requérant l'indique pas dans sa requête en quoi la Belgique aurait violé la Convention européenne des Droits de l'Homme; 2) la demande d'extradition introduite par le Gouvernement algérien, conformément à la Convention d'extradition entre les deux pays, a été soumise à la procédure prévue par la loi belge du 15 mars 1874; cette procédure n'est pas encore terminée à ce jour. Il en résulte que le requérant n'a pas été épuisé les voies de recours internes. Le régime pénitentiaire auquel le requérant est soumis est conforme aux prescriptions de la Convention. Les faits ne relèvent aucune trace de traitement qui puise être considéré comme inhumain ou dégradant (article 3 de la Convention). Par conséquent, le Gouvernement belge a l'honneur de conclure à ce qu'il plaise à la Commission de rejeter la requête No 5012/71, conformément aux articles 26 et 27 par. 2 de la Convention."
27. Par ses observations complémentaires du 31 août 1971, le Gouvernement défendeur, après avoir informé la Commission de l'avis émis le .. juillet 1971 par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles et après en avoir indiqué le contenu, précise sa position quant à la recevabilité de la requête. Le Gouvernement défendeur tient à ajouter à ce sujet qu'après l'avis du .. juillet 1971, il "en résulte qu'en ce qui concerne l'extradition, le requérant a épuisé les voies de recours internes" (observations complémentaires, p. 1).
28. Quant à la recevabilité des griefs du requérant, le Gouvernement défendeur tient à se référer à la jurisprudence de la Commission en matière d'expulsion et d'extradition (les observations complémentaires font état et reproduisent les passages pertinents de la décision sur la recevabilité de la requête No 2143/64, requête qui concernait une demande d'extradition vers la Yougoslavie). Le Gouvernement défendeur souligne que "devant la chambre des mises en accusation, le requérant n'a pas fait état de ce que la demande d'extradition émanent de l'Algérie était faussement motivée et aurait pour objet des raisons politiques dissimulées sous les faits de droit commun invoqués" et que le requérant "n'a pas apporté ou essayé d'apporter, à aucun moment depuis son arrestation, des éléments permettant de croire qu'il aurait eu une activité hostile à la politique algérienne ou que, s'il était donné suite à la demande d'extradition, il serait poursuivi par les autorités algériennes pour de telles activités (observations complémentaires, pp. 3 et 4). Le Gouvernement défendeur en infère que rien ne permet de considérer que l'extradition du requérant vers l'Algérie constituerait une violation de la Convention. Il prie par conséquent la Commission de rejeter la requête en application de l'article 27 par. 2 de la Convention.
29. Le 8 décembre 1971, le Gouvernement défendeur a fait parvenir une deuxième note d'observations complémentaires. Cette note est ainsi rédigée: "Le Gouvernement belge a l'honneur de signaler à la Commission que le .. septembre 1971, le Gouvernement français lui a demandé l'extradition du requérant en se fondant sur un mandat d'arrêt décerné le .. décembre 1970 par la cour d'appel de Reims en application des dispositions de l'article 465 du Code de procédure pénale français, après avoir condamné l'intéressé à un seule peine de seize mois d'emprisonnement du chef de vols, falsification de permis de conduire, grivèlerie d'essence et complicité d'usurpation d'état civil. Lors de sa comparution devant M. le Procureur du Roi à Bruxelles l'intéressé a formellement demandé à être livré aux autorités françaises et a déclaré renoncer, à cet égard, aux garanties et formalités de l'extradition. La convention d'extradition conclue avec la République Algérienne Démocratique, signée le 12 juin 1970, dispose que si l'extradition est demandée par plusieurs Etats, l'Etat requis statue en toute liberté, en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la gravité relative des infractions. Considérant que les faits pour lesquels X. a été condamné en France sont plus graves que ceux qui auraient été commis en Algérie, le Gouvernement belge a estimé qu'il convenait de donner suite à la demande de la France et ce sans tarder, afin de ne pas prolonger la détention de l'intéressé qui a achevé de purger sa peine en Belgique le .. octobre 1971. Pour cette raison et celles développées dans ses notes précédentes le Gouvernement belge a l'honneur de demander qu'il plaise à la Commission de rejeter la requête No 5012/71 conformément à l'article 27 par. 2 de la Convention."
30. Le requérant, a exposé ses thèses dans de nombreuses lettres. Aussi essaiera-t-on d'en dégager les lignes directrices suivant l'ordre chronologique dans lequel ces thèses ont été exposées. En guise de remarque générale, le requérant soutient que s'il s'est adressé à la Commission, "tribunal international", il l'a fait dans le but de faire établir les faits tels qu'ils sont, et non point pour jeter des "fausses accusations contre les autorités belges".
31. Le requérant qui, dans un premier temps, semblait reconnaître avoir commis les faits qui lui étaient reprochés en Belgique, a contesté par la suite tous les faits relatifs à son arrestation, tels qu'ils ont été relatés dans les observations sur la recevabilité du Gouvernement défendeur. Contrairement à ce qu'il avait affirmé dans ses précédentes lettres, X. soutient n'avoir commis aucun vol et que tout serait le résultat d'un malentendu. (Le requérant donne une autre version des faits). Lorsqu'il a été arrêté, X. aurait été sur le point de rejoindre sa femme et sa fille en Hollande. C'est précisément dans le but de pouvoir se déplacer qu'il a utilisé une carte d'identité ne lui appartenant pas. Si, d'autre part, il n'a pas avoué tout de suite à la police que ladite carte ne lui appartenait pas, il l'aurait fait non point pour se "soustraire à la justice belge", mais exclusivement "pour ne pas attirer des ennuis au titulaire de cette carte" et "pour ne pas être reconnu par les autorités algériennes".
32. X. prétend aussi être signalé dans tous les consulats algériens et n'avoir droit à aucun passeport algérien à cause de ses antécédents politiques. Pour mieux expliquer "les fausses machinations" qui se trament contre lui, le requérant affirme qu'il a bien envoyé une lettre au Consulat général d'Algérie en avril 1971, mais qu'il l'aurait fait parce que le consul, dont il cite le nom, ancien officier de l'armée française, faisait partie de l'opposition. Ce dernier, d'ailleurs, selon ce que l'avocat du requérant lui aurait communiqué, aurait été rappelé en Algérie "pour raisons de service" et emprisonné.
33. Quant aux faits de la cause tels qu'il ont été relatés par le Gouvernement belge, X. affirme que, contrairement à ce que les autorités algériennes ont soutenu (d'après lesquelles il serait marié à une dénommée Z.), il a épousé à Paris en 1954 une ressortissante française du nom de W., qu'il aurait par la suite rejointe en 1964. Il affirme également que sa femme aurait mis au monde une petite fille. Il est à relever, à ce propos, que la carte d'identité dont le requérant était porteur lors de son arrestation, était établie au nom de D., époux W..
34. Quant à sa condamnation par la cour d'appel de Reims (France), X. apporte les précisions suivantes: Il avoue avoir été condamné par le tribunal de Châlon-sur-Marne à dix-huit mois de prison avec sursis. Le Procureur de la République aurait interjeté appel de se jugement. Entre-temps, le requérant aurait dû se rendre auprès de sa femme chez ses beaux-parents en Hollande. Il aurait dû tout de suite quitter la France pour ce dernier pays. X. n'aurait pu, par conséquent, se présenter à l'audience de la cour d'appel de Reims, qui aurait statué en son absence et qui l'aurait condamné par défaut. X. affirme être disposé à accepter son extradition à la France, pays pour lequel il affirme avoir toujours combattu. Il affirme avoir écrit au Procureur de la République de Reims pour que ce dernier demande son extradition à la France.
35. Le requérant réitère ensuite ses allégations concernant la nationalité française de ses parents et sa demande "pour obtenir la nationalité française". X. maintient ses allégations sur les conditions de son séjour en prison. Ainsi, il aurait fait l'objet de sept jours de cellule "nu et sans manger et sans avoir la paillasse" seulement parce qu'il a réclamé une pochette qui lui appartenait. Le requérant fait également un certain nombre de remarques sur les autorités algériennes. Il affirme n'avoir jamais été condamné pour délits de droit commun en Algérie, mais avoir connu la prison, sans comparaître devant un tribunal "par ordre des militaires sous le commandement du criminel Boumedienne". Il avance que tous les pays arabes et notamment l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, essayent par le biais de demandes d'extradition de se saisir des opposants. C'est ce que les autorités algériennes auraient également fait avec lui, en motivant la demande d'extradition par des "fausses accusations". X. prie la Commission "d'être impartiale" et de faire en sorte qu'il ne soit pas extradé vers l'Algérie où, affirme-t-il, il sera passé par les armes le jour même de son arrivée, sans avoir été jugé par un tribunal quelconque.
36. Depuis le 23 juillet 1971, date du rapport du deuxième groupe de trois, X. s'est adressé à plusieurs reprises à la Commission. Tout en réitérant ses allégations concernant les conditions de sa détention (le fait d'être isolé n'améliorerait pas, à l'en croire, son état de santé; les autorités pénitentiaires auraient interdit au psychiatre de la prison de lui rendre visite), le requérant apporte des éléments supplémentaires quant aux dangers qu'il prétend courir en cas d'extradition vers l'Algérie.
37. Le requérant prétend avoir reçu deux ou trois lettres de sa nourrice qui réside en Algérie (une de ces lettres datée du .. août 1971 a été versée au dossier par le requérant). Dans ces lettres, ladite nourrice aurait communiqué au requérant que son frère à lui L. X., de profession médecin, aurait été arrêté le .. juillet 1971 par des "éléments militaires" et que depuis cette date il n'aurait plus donné signe de vie. Dans une deuxième lettre, cette même nourrice lui aurait également communiqué que la soeur de X. venait de "s'enfuir" et qu'elle s'était réfugiée en France, car elle aurait participé aux activités du M.N.A. (Mouvement Nationaliste Algérien).
38. X. a transmis aussitôt toutes ces lettres au Procureur du Roi de Bruxelles en reprenant toutes ses allégations concernant son extradition. Dans la lettre de transmission, X. a protesté fermement de son innocence quant au délit que les autorités algériennes lui reprochent d'avoir commis. Le .. août 1971, Le Procureur du Roi de Bruxelles a renvoyé ces lettres au requérant avec cette remarque: "L'objet de vos lettres ci-jointes ne relève pas de la compétence de mon office".
39. En réponse aux observations complémentaires du Gouvernement défendeur de 31 août 1971, le requérant a tenu à insister sur les fausses accusations portées contre lui par les autorités algériennes, dont le but serait celui de se saisir de sa personne. Quant à l'affirmation du Gouvernement défendeur selon laquelle il n'aurait pas fait état devant les autorités belges compétentes des "raisons politiques dissimulées sous les faits de droit commun invoqués", X. affirme qu'il a "toujours protesté devant les autorités belges pour crier [son] innocence en ce qui concerne l'accusation portée à [son] encontre de la part des autorités judiciaires algériennes".
40. Le 16 septembre 1971, Maître A. a fait parvenir à la Commission, au nom et pour le compte du requérant qu'il représente depuis lors, une lettre contenant différents renseignements sur les faits de la cause.
41. Le 12 octobre, le 14 octobre et le 4 novembre 1971, Maître A. a fait parvenir les réponses à la demande de renseignements que le Secrétaire de la Commission lui avait adressée le 29 septembre 1971, en application de la décision prise par la Commission le 24 septembre 1971.
42. En ce qui concerne le premier point de la demande de renseignements (production du procès-verbal de la procédure qui s'est déroulée devant la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles et d'une copie de l'arrêt rendu par cette cour), il ressort de la réponse fournie par l'avocat du requérant qu'il n'existe pas de procès-verbal de l'audience de la chambre des mises en accusation. Maître A. produit, à cet effet, copie de la réponse qui lui a été faite par l'avocat général près la cour d'appel de Bruxelles, selon laquelle il n'est pas possible de prendre connaissance ou copie de l'avis donné par la cour car il revêt un caractère confidentiel. Toutefois, copie du réquisitoire présenté par ledit avocat général a été transmise à l'avocat du requérant.
43. En réponse à la question se référant à l'éventuelle assistance du requérant par un avocat lors de ces procédures, Maître A. affirme que "d'après M. X. et renseignements pris auprès de ses conseils devant les juridictions belges il n'aurait pas été assisté par un avocat pour la procédure devant la chambre des mises en accusation" (lettre du 4 novembre 1971).
44. En ce qui concerne le deuxième point (production de photocopies des originaux des lettres que le requérant a adressées aux autorités belges avant le .. juillet 1971 et au Haut Commissariat pour les réfugiés en Belgique), Maître A. a joint à sa lettre du 14 octobre un original des photocopies de lettres qui concernent X.. D'après cet avocat, "il en résulte que, contrairement à ce qu'affirme Monsieur le Ministre de la Justice dans la note complémentaire du Gouvernement belge, M. X. a fait état de ses activités contre le régime algérien et des risques qu'il courrait à être extradé vers l'Algérie" (lettre citée). Quant à la demande que le requérant a présentée au Haut Commissaire pour les réfugiés en Belgique, Maître A. remarque que "d'un entretien qu'[il a eu] avec Monsieur le Délégué, il ressort que la requête que M. X. a adressée au Haut Commissariat n'a pas été examinée au fond parce qu'elle n'était pas recevable, la Belgique n'étant pas le pays de premier accueil" (lettre citée). Quant aux réponses que le requérant a reçues, l'avocat du requérant souligne que "il semblerait que M. X. n'a reçu aucune réponse aux lettres qu'il a adressées aux autorités belges. Seul le Haut Commissariat pour les réfugiés l'aurait informé de l'irrecevabilité de sa requête" (lettre citée).
45. En ce qui concerne le troisième point (production des photocopies des originaux de toutes les lettres que le requérant a reçues de personnes vivant en Algérie), Maître A. renvoie la Commission aux "plusieurs autres lettres émanant de personnes habitant l'Algérie et le mettant en garde contre le danger qu'il y courrait" (lettre citée).
46. En ce qui concerne le quatrième point (précision sur la nature exacte des rapports que le requérant a entretenus avec le M.N.A. - mouvement d'opposition - et avec les personnalités algériennes vivant à l'étranger, et sur le nombre des séjours du requérant en Algérie après 1962, leur durée, leur but et les conditions dans lesquelles il les a effectués) Maître A. a exposé que M. X. avait été appelé le .. juin 1954 pour effectuer son service militaire dans l'armée française en Algérie et qu'à l'issue de son service militaire il s'était rengagé pour une durée de huit ans. X. qui a servi sous le matricule No .. et terminera comme sous-officier a été muté aux Aurès le .. décembre 1957. Le .. novembre 1959 il a été muté au 2ème Bureau français dans le .. Après les Accords d'Evian du 13 mars 1962, X. a été rapatrié en France par les soins de la Croix-Rouge française. Maître A. a exposé également qu'en 1964 le requérant a été appelé à servir le régime instauré en Algérie. Un poste lui fut confié par le Gouvernement. Après le coup d'Etat qui suivi ce régime, X. fut emprisonné du .. juin 1965 au .. janvier 1967. Libéré, il a repris des fonctions d'agent de liaison dans l'opposition au nouveau régime. Après le référendum du 5 mars 1967, X. fut à nouveau emprisonné du .. avril 1967 au .. avril 1968. Le conseil du requérant a exposé par la suite que c'est grâce à de faux papiers et à la collaboration de l'opposition M.N.A. que le requérant a pu quitter l'Algérie. Rentré en France par le Maroc et l'Espagne, il put contacter des éléments de l'opposition sous le commandement desquels il travailla toujours en sa qualité d'agent de liaison.
47. Un élément de fait contenu dans les renseignements qui ont été fournis par l'avocat du requérant par sa lettre du 4 novembre 1971 est également à souligner. Il concerne l'information suivant laquelle une demande d'extradition émanant des autorités françaises a été signifiée à X. en date du .. octobre 1971. D'après Maître A. "toutes les pièces de cette procédure attribuent à [son] client la 'nationalité française ou algérienne (indéterminée)'". Il tient à remarquer que "cette demande d'extradition fait suite à la condamnation par défaut prononcée par la cour d'appel de Reims en date du .. décembre 1970 et dont il est question au dernier paragraphe de la page 2 de la première note du Gouvernement belge. Ce nouvel élément concernant la nationalité de X. est à rapprocher des observations du Gouvernement belge concernant sa nationalité" (lettre du 14 octobre 1971).
EN DROIT
Le requérant X. a fait part à la Commission de ses craintes d'être remis aux autorités de l'Algérie, le but de sa requête étant d'empêcher son extradition à ce pays où, à l'en croire, il pourrait être soumis à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention.
A ce propos, la Commission rappelle que si la matière de l'extradition et du droit d'asile ne compte point, par elle-même, au nombre de celles que régit la Convention, les Etats contractants n'en ont pas moins accepté de restreindre le libre exercice des pouvoirs que leur confère le droit international général, y compris celui de contrôler l'entrée et la sortie des étrangers, dans la mesure et la limite des obligations qu'ils ont assumées en vertu de la Convention (cf. mutatis mutandis, la décision du 30 juin 1959 sur la recevabilité de la requête No 434/58, Annuaire 2, p. 373). Dès lors, l'extradition d'un individu peut, dans certains cas exceptionnels, se révéler contraire à la Convention et singulièrement à son Article 3 (art. 3), lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par ce dernier article (cf. par exemple la décision du 26 mars 1963 sur la recevabilité de la requête No 1802/63, Annuaire 6, p. 463 et, plus récemment, la décision du 2 avril 1971 sur la recevabilité de la requête No 4763/71, Recueil 37, p. 157).
Pour ce qui est de la présente requête, la Commission souligne qu'elle n'a pas à apprécier si, au vu des circonstances particulières de l'affaire, une éventuelle extradition du requérant constituerait un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention. En effet, la Commission constate qu'après la demande d'extradition concernant le requérant présentée par le Gouvernement algérien le .. juin 1971, une deuxième demande d'extradition a été présentée par le Gouvernement français en date du .. octobre 1971. Or, la Commission estime qu'à la suite de la décision du Gouvernement belge de faire droit à la demande d'extradition présentée par la Gouvernement français (cf. la partie EN FAIT No 29), la requête apparaît désormais dépourvue de tout fondement, d'autant plus qu'ainsi que le Gouvernement défendeur l'a souligné dans sa deuxième note d'observations, du 8 décembre 1971, "lors de sa comparution devant Monsieur le Procureur du Roi à Bruxelles, l'intéressé a formellement demandé à être livré aux autorités françaises et a déclaré renoncer, à cet égard, aux garanties et formalités de l'extradition" (Note citée).
Dans ces conditions, la présente requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée par application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.


Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Exception préliminaire partiellement retenue (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'Art. 5-4 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Non-violation de l'art. 4 ; Non-violation de l'art. 3 ; Non-violation de l'art. 8 ; Non-violation de l'art. 13 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 5-3) LIBERE PENDANT LA PROCEDURE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : X.
Défendeurs : la BELGIQUE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (plénière)
Date de la décision : 15/12/1971
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 5012/71
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1971-12-15;5012.71 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award