La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/1971 | CEDH | N°2832/66;2835/66;2899/66

CEDH | AFFAIRES DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE") c. BELGIQUE


COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRES DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
(Requête no 2832/66; 2835/66; 2899/66)
ARRÊT
STRASBOURG
18 juin 1971
Dans les affaires De Wilde, Ooms et Versyp,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son Règlement et composée de MM. les Juges:
Sir  Humphrey WALDOCK, Président,
H. ROLIN,
R. CASSIN,
Å. E. V. HOLMBÄCK,
A. VERDROSS,
E. RODENBOURG,
A. N. C. ROSS,
T. WOLD,

G. BALLADORE PALLIERI,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
A. FAVRE,
J. CREMONA,
S. BILGE,
G. WIARDA,
S. SIGURJÓN...

COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRES DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
(Requête no 2832/66; 2835/66; 2899/66)
ARRÊT
STRASBOURG
18 juin 1971
Dans les affaires De Wilde, Ooms et Versyp,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son Règlement et composée de MM. les Juges:
Sir  Humphrey WALDOCK, Président,
H. ROLIN,
R. CASSIN,
Å. E. V. HOLMBÄCK,
A. VERDROSS,
E. RODENBOURG,
A. N. C. ROSS,
T. WOLD,
G. BALLADORE PALLIERI,
H. MOSLER,
M. ZEKIA,
A. FAVRE,
J. CREMONA,
S. BILGE,
G. WIARDA,
S. SIGURJÓNSSON,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, Greffier, et J. F. SMYTH, Greffier adjoint,
Rend l’arrêt suivant:
PROCEDURE
1. Les affaires De Wilde, Ooms et Versyp ont été déférées à la Cour par le Gouvernement du Royaume de Belgique ("le Gouvernement"). A leur origine se trouvent les requêtes que des ressortissants belges - Jacques De Wilde, Franz Ooms et Edgard Versyp - avaient introduites en 1966 devant la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"), en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention, et qui avaient trait à certains aspects de la législation belge sur le vagabondage et de son application aux trois intéressés. En 1967, la Commission avait ordonné la jonction desdites requêtes pour autant qu’elle les avait déclarées recevables. Le 19 juillet 1969, elle avait adopté à leur sujet le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention, rapport dont la transmission au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a eu lieu le 24 septembre 1969.
La requête du Gouvernement, qui renvoyait aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47, art. 48) de la Convention, a été déposée au Greffe de la Cour le 24 octobre 1969, dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47).
2. Le 28 octobre 1969, le Greffier a obtenu du Secrétaire de la Commission vingt-cinq exemplaires du rapport de celle-ci.
3. Le 10 novembre 1969, le Président de la Cour a procédé, en présence du Greffier, au tirage au sort des noms de six des sept Juges appelés à former la Chambre compétente, M. Henri Rolin, Juge élu de nationalité belge, siégeant d’office aux termes de l’article 43 (art. 43) de la Convention. Les six Juges ainsi désignés étaient MM. Å. Holmbäck, A. Verdross, G. Balladore Pallieri, A. Favre, J. Cremona et S. Sigurjónsson. Le Président a également tiré au sort les noms de trois Juges suppléants à savoir, dans l’ordre, MM. A. Bilge, E. Rodenbourg et G. Maridakis.
Conformément à l’article 21 par. 7 du Règlement, M. Å. Holmbäck a assumé la présidence de la Chambre.
4. Le Président de la Chambre a recueilli par l’intermédiaire du Greffier l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle du Président de la Commission, quant à la procédure à suivre. Par une ordonnance du 23 novembre 1969, il a décidé que le Gouvernement présenterait un mémoire dans un délai devant expirer le 15 février 1970 et que les délégués de la Commission auraient la faculté d’y répondre par écrit dans un délai dont une ordonnance du 12 février 1970 a fixé l’échéance au 9 avril 1970. Les mémoires respectifs du Gouvernement et de la Commission sont parvenus au Greffe les 9 février et 9 avril 1970.
5. Ainsi que le Président de la Chambre l’y avait autorisé par une ordonnance du 18 avril 1970, le Gouvernement a déposé un second mémoire le 10 juin 1970. Le 1er juillet 1970, le Secrétaire de la Commission a informé le Greffier que les délégués ne souhaitaient pas présenter de duplique.
6. Les 10 janvier et 3 mars 1970, le Président de la Chambre avait chargé le Greffier d’inviter Commission et Gouvernement à produire une série de documents qui ont été versés au dossier en février, avril et mai 1970.
7. Réunie à Strasbourg le 28 mai 1970, la Chambre a décidé, en vertu de l’article 48 du Règlement, "de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière", par le motif que la Commission avait soulevé, dans les conclusions de son mémoire, "certaines questions sur lesquelles il (était) désirable que la Court (pût) se prononcer en séance plénière".
Conformément aux articles 21 par. 7 et 48 par. 3, combinés, du Règlement, Sir Humphrey Waldock a assumé la présidence de la Cour pour l’examen des présentes affaires.
8. Les 28 et 29 septembre 1970, la Cour a tenu à Paris une réunion consacrée à la préparation de la phase orale de la procédure. A cette occasion, elle a décidé de prier la Commission et le Gouvernement de lui fournir des pièces et renseignements complémentaires qu’elle a recueillis respectivement les 30 octobre et 16 novembre 1970.
Quelques autres pièces ont été déposées par l’agent du Gouvernement les 15 et 17 mars 1971.
9. Par une ordonnance du 1er octobre 1970, le Président a fixé au 16 novembre 1970 la date d’ouverture des audiences, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et les délégués de la Commission.
10. Les débats ont commencé dans la matinée du 16 novembre 1970 à Strasbourg, au Palais des Droits de l’Homme; ils se sont poursuivis le lendemain et le surlendemain.
Ont comparu devant la Cour:
- pour le Gouvernement:
M. J. DE MEYER, professeur
à l’Université de Louvain, assesseur au Conseil d’État,           agent et conseil;
- pour la Commission:
M. M. SØRENSEN,   délégué principal, et
M. W. F. DE GAAY FORTMAN,   délégué.
Dans l’après-midi du 17 novembre, M. Sørensen a informé la Cour que les délégués de la Commission comptaient se faire assister sur un point particulier par Me X. Magnée, avocat au barreau de Bruxelles. L’agent du Gouvernement ayant exprimé des objections, la Cour a donné acte aux délégués, par un arrêt du 18 novembre, de leur intention d’user du droit que leur reconnaît l’article 29 par. 1 in fine du Règlement.
La Cour a ouï MM. Sørensen et De Meyer en leurs déclarations et conclusions ainsi qu’en leurs réponses aux questions de plusieurs Juges. Elle a entendu en outre, dans l’après-midi du 18 novembre, un bref exposé de Me Magnée sur le point qu’avait mentionné le délégué principal.
La clôture provisoire des débats a été prononcée le 18 novembre.
11. M. le Juge G. Maridakis, qui avait assisté aux audiences, n’a pu participer à l’examen des présentes affaires au-delà du 31 décembre 1970, le retrait de la Grèce du Conseil de l’Europe ayant pris effet à cette date.
12. Après avoir prononcé la clôture définitive des débats et délibéré en chambre du conseil, la Cour rend le présent arrêt.
FAITS
13. La requête du Gouvernement a pour objet de soumettre les affaires De Wilde, Ooms et Versyp au jugement de la Cour. Le Gouvernement y marque, sur plusieurs points, son désaccord avec l’avis formulé par la Commission dans son rapport.
14. Les faits des trois causes en question, tels qu’ils ressortent dudit rapport, des mémoires du Gouvernement, de celui de la Commission, des autres documents produits et des explications orales des comparants, peuvent se résumer ainsi:
A. Affaire De Wilde
15. Jacques De Wilde, ressortissant belge né le 11 décembre 1928 à Charleroi, a passé une grande partie de son enfance dans des orphelinats. A sa majorité, il s’est engagé dans l’armée française (Légion étrangère) et y a servi durant sept ans et demi. Titulaire d’un livret de pension d’invalidité de guerre à 50% et d’un livret de pension militaire de retraite, il perçoit des autorités françaises une somme qui s’élevait en 1966 à 3.217 FB par trimestre. Il exerce, au moins à l’occasion, le métier d’ouvrier agricole.
16. Le 18 avril 1966, à 11 h. du matin, le requérant s’est présenté à la permanence de police de Charleroi où il a déclaré qu’il avait cherché en vain du travail et qu’il n’avait ni toit ni argent, le consulat de France à Charleroi ne lui ayant pas consenti une avance sur la prochaine tranche de sa pension, payable le 6 mai. Il a, en outre, affirmé n’avoir "jamais été placé comme vagabond" jusque-là. Le même jour à midi, M. Meyskens, adjoint au commissaire de police, a estimé que De Wilde se trouvait en état de vagabondage et l’a mis à la disposition de l’officier du ministère public de Charleroi; en même temps, il a demandé aux services compétents un bulletin de renseignements concernant l’intéressé. Ce dernier, privé de sa liberté depuis 11 h 45, a tenté de s’enfuir quelques heures plus tard. Immédiatement rejoint par un agent, il a contesté à la police le droit de "le maintenir en arrestation pendant vingt-quatre heures" et a menacé de se suicider.
Le bulletin de renseignements, daté du 19 avril 1966, a révélé qu’entre le 17 avril 1951 et le 19 novembre 1965, le requérant avait subi treize condamnations correctionnelles ou de simple police et, contrairement à ses dires, avait été mis cinq fois à la disposition du gouvernement pour vagabondage.
17. Le 19 avril, vers 10 h du matin, le Tribunal de police de Charleroi, statuant contradictoirement en audience publique et après avoir vérifié "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de l’intéressé, a considéré comme établies les circonstances qui avaient fait traduire celui-ci en justice. En vertu de l’article 13 de la loi du 27 novembre 1891 "pour la répression du vagabondage et de la mendicité" ("la loi de 1891"), il a mis le requérant "à la disposition du gouvernement pour être enfermé dans un dépôt de mendicité pendant deux ans"; il a chargé "le ministère public des mesures d’exécution".
18. Interné dans l’établissement de Wortel puis, le 22 avril 1966, dans celui de Merxplas, De Wilde a été envoyé le 17 mai 1966 au centre médico-chirurgical de St. Gilles-Bruxelles d’où il a regagné Merxplas le 9 juin 1966. Le 28 juin 1966, on l’a transféré à l’établissement pénitentiaire de Turnhout pour refus de travail (article 7, deuxième alinéa, de la loi de 1891) et, le 2 août 1966, à celui de Huy en vue de sa comparution devant le Tribunal correctionnel qui lui a infligé, le 19 août, trois mois d’emprisonnement pour vol domestique. Il est retourné à Turnhout un peu plus tard.
19. Les 31 mai et 6 juin 1966, soit environ un mois et demi après son arrestation et quatre semaines après l’envoi de sa première lettre à la Commission (3 mai 1966), le requérant a écrit au ministre de la justice en invoquant les articles 3 et 4 (art. 3, art. 4) de la Convention. Soulignant qu’il avait touché, le 6 mai, 3.217 FB au titre de sa pension, il s’étonnait de ne pas avoir encore recouvré sa liberté. Il se plaignait en outre d’être astreint à travailler pour un salaire horaire de 1 FB 75. Il ajoutait qu’il avait refusé de travailler pour protester contre l’attitude d’un chef de pavillon de Merxplas, lequel avait prétendu à tort pouvoir lui "prendre" 5% de sa pension. Il dénonçait enfin les sanctions disciplinaires entraînées par un tel refus - cachot et "cellule sans faveur" - et les entraves apportées à sa correspondance. Le 7 juin 1966, le ministère de la justice a prié le directeur de la prison de St. Gilles d’informer De Wilde "que sa demande de libération" du 31 mai serait "examinée en temps opportun".
Le requérant est revenu à la charge le 13 juin, puis le 12 juillet 1966. Dans cette dernière lettre, il interrogeait le ministre sur les raisons qui avaient provoqué son transfèrement à la prison de Turnhout. Il signalait aussi qu’il n’existait dans cet établissement aucun travail qui lui permît de gagner la somme nécessaire à la constitution de sa "masse de sortie". Le 15 juillet, le ministère l’a fait aviser que son élargissement anticipé pouvait "être envisagé" s’il observait une "bonne conduite au travail" et "lorsque le reclassement (serait) assuré".
De Wilde s’est à nouveau adressé au ministre le 8 août 1966. Grâce à sa pension, avançait-il, il avait "de l’argent en suffisance"; du reste, "le fruit de (son) travail" dépassait déjà 4.000 FB. Quant à son reclassement, sa détention le rendait d’après lui "impossible": elle l’empêchait de correspondre librement avec les employeurs et l’assistant social négligeait de l’aider. Le ministère a considéré néanmoins, le 12 août 1966, que la demande "ne (pouvait) être accueillie présentement".
Le 13 août 1966, l’intéressé a écrit une fois de plus au ministre en affirmant qu’il pouvait trouver gîte, couvert et travail dans une ferme.
20. Les 25 et 26 octobre 1966, le ministère de la justice a décidé que le requérant pourrait être élargi à l’expiration de la peine prononcée contre lui le 19 août, dès que son reclassement paraîtrait assuré par l’office de réadaptation sociale de Charleroi (article 15 de la loi de 1891).
De Wilde a recouvré sa liberté à Charleroi le 16 novembre 1966. Sa détention avait duré un peu moins de sept mois, dont trois mois d’emprisonnement correctionnel.
21. Selon un rapport de l’administration des établissements pénitentiaires, le requérant a encouru une seule sanction disciplinaire entre le début de son internement (19 avril 1966) et la date de sa requête à la Commission (17 juin 1966): pour avoir refusé de travailler à Merxplas, il a été privé de cinéma et de visites en parloir commun jusqu’à son transfèrement à Turnhout.
22. Dans la requête qu’il a introduite devant la Commission le 17 juin 1966 (no 2832/66), De Wilde invoquait les articles 3 et 4 (art. 3, art. 4) de la Convention. Il s’élevait d’abord contre son "emprisonnement arbitraire", ordonné en l’absence d’infraction de sa part, sans condamnation à sa charge et nonobstant les ressources dont il disposait. Il s’insurgeait aussi contre l’"esclavage" et la "servitude" découlant à ses yeux de l’obligation de travailler pour une somme dérisoire et sous peine de sanctions disciplinaires.
Le 7 avril 1967, la Commission a déclaré la requête recevable; auparavant, elle en avait prononcé la jonction avec celles de Franz Ooms et d’Edgard Versyp.
B. Affaire Ooms
23. Franz Ooms, ressortissant belge né le 12 avril 1934 à Gilly, s’est présenté le 21 décembre 1965, à 6 h 15 du matin, devant M. Renier, adjoint au commissaire de police de Namur, "afin d’être placé comme vagabond à moins qu’un service social ne (lui trouvât) une occupation où (il pourrait) être logé et nourri en attendant un travail régulier". Il a précisé qu’il avait habité ces derniers temps chez sa mère à Jumet mais qu’elle ne pouvait plus l’entretenir; qu’il avait perdu un emploi de monteur en charpentes à Marcinelle et n’avait pas réussi à s’en procurer un autre depuis un mois en dépit de ses efforts; qu’il n’avait plus de ressources et que le Tribunal de police de Jumet l’avait "condamné" en 1959 pour vagabondage.
24. Le même jour vers 10 h., le Tribunal de police de Namur, statuant contradictoirement en audience publique et après avoir vérifié "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de l’intéressé, a considéré comme établies les circonstances qui avaient fait traduire celui-ci en justice. En vertu de l’article 16 de la loi de 1891, il l’a mis "à la disposition du gouvernement pour être interné dans une maison de refuge"; il a chargé "le ministère public des mesures d’exécution".
25. Ooms a été interné tantôt à Merxplas, tantôt à Wortel. Il a passé aussi quelques semaines au centre médico-chirurgical de la prison de St. Gilles-Bruxelles (juin 1966).
26. Le 12 avril 1966, soit un peu moins de quatre mois après son arrestation et environ cinq semaines avant de saisir la Commission (20 mai 1966), le requérant a sollicité son élargissement auprès du ministre de la justice. A l’en croire, il souffrait de tuberculose et ses parents consentaient à le reprendre à leur domicile en vue de le faire placer dans un sanatorium. Le 5 mai, le ministère a estimé la demande prématurée après avoir recueilli l’avis - défavorable – du médecin et du directeur de l’établissement de Merxplas.
Franz Ooms a réclamé derechef sa libération le 6 juin en écrivant cette fois au premier ministre. Il avançait que "malade depuis (sa) détention", il n’avait pu gagner par son travail les 2.000 FB nécessaires à la constitution de sa masse de sortie, et répétait que sa mère acceptait de le loger chez elle et de subvenir à ses besoins. Le ministère de la justice, auquel le cabinet du premier ministre avait transmis la demande, l’a jugée elle aussi prématurée; le 14 juin, il a prié le directeur de la prison de St. Gilles d’en informer le requérant.
Le 25 juin 1966, les oeuvres sociales de l’Armée du Salut de Bruxelles ont attesté que Franz Ooms serait "occupé et hébergé en (leurs) établissements dès sa libération". L’intéressé a communiqué cette pièce au directeur de la colonie de Wortel le 1er juillet, mais sans résultat.
Par une lettre du 15 juillet au même directeur, Mme Ooms mère a confirmé les dires de son fils. En réponse, le directeur l’a invitée le 22 juillet à produire un certificat d’embauche, soulignant qu’"au moment de sa sortie éventuelle", le requérant devrait avoir, en sus d’un gîte, "un travail assuré par lequel il (pût) pourvoir à son entretien".
Mme Ooms s’est adressée en outre, le 16 juillet, au ministre de la justice pour implorer "la grâce de (son) fils". Le ministère l’a informée, le 3 août 1966, que ce dernier recouvrerait sa liberté quand il aurait, "par son travail pénitentiaire, réuni la somme d’argent prescrite par le règlement comme masse de sortie aux vagabonds internés pour une durée indéterminée à la disposition du gouvernement".
Dans un rapport du 31 août 1966, établi à l’intention du ministère de la justice, le directeur de la colonie de Wortel a relevé que Franz Ooms avait subi jadis plusieurs condamnations pénales, qu’il en était à son quatrième internement pour vagabondage, que sa conduite n’avait rien d’exemplaire et que le fruit de son travail atteignait seulement 400 FB. D’après un certificat médical annexé au rapport, les examens auxquels il avait été procédé sur la personne du requérant n’avaient révélé aucune anomalie. En conséquence, le ministère a chargé le directeur, le 6 septembre 1966, de faire savoir à l’intéressé "que ses plaintes" avaient été "considérées comme non fondées".
Le 26 septembre 1966, Ooms s’est tourné à nouveau vers le premier ministre. Pour s’excuser de sa démarche, il invoquait l’attitude négative du département de la justice. Il se prétendait victime d’"injustices monstres" qu’il attribuait à sa qualité de Wallon. Il alléguait notamment qu’on lui avait infligé à Merxplas, le 23 mars 1966, trois jours de cachot et un mois de "cellule sans faveur" pour avoir refusé d’aller coucher dans un dortoir malodorant où la lumière demeurait allumée toute la nuit. Enfermé nu, puis "en tenue légère", dans un cachot glacial, il y aurait contracté un début de pneumonie et de tuberculose qui lui aurait valu de passer trois mois au sanatorium de l’établissement de Merxplas. Il protestait aussi contre le rejet des multiples demandes de libération présentées tant par lui-même que par sa mère. En conclusion, il déclarait accepter l’ouverture d’une enquête destinée à vérifier l’exactitude de ses assertions et il se disait prêt à exercer au besoin un recours devant une "instance nationale", au sens de l’article 13 (art. 13) de la Convention.
Deux jours plus tard, le cabinet du premier ministre a informé le requérant que sa lettre avait été transmise au département de la justice.
Ooms a été libéré d’office à Charleroi le 21 décembre 1966, un an jour pour jour après sa mise à la disposition du gouvernement (article 18, premier alinéa, de la loi de 1891).
27. Dans la requête qu’il a introduite devant la Commission le 20 mai 1966 (no 2835/66), l’intéressé signalait qu’il se trouvait au sanatorium de l’établissement de Merxplas mais que sa mère consentait à le faire hospitaliser dans un établissement "civil". Sa maladie, ajoutait-il, l’empêchait absolument de travailler et, partant, de gagner les 2.000 FB de la masse de sortie; du reste, il lui aurait de toute manière fallu au moins un an pour réunir une telle somme, à raison de 1 FB 75 par heure. Dès lors, il s’étonnait de ce que le ministère de la justice eût qualifié de prématurée sa demande d’élargissement.
Ooms, que l’on avait transféré entre-temps à la prison de St. Gilles-Bruxelles, a complété sa requête initiale le 15 juin 1966. Il affirmait que son affection pulmonaire, due à des mauvais traitements et à une nourriture insuffisante, était à présent guérie mais qu’elle avait laissé des "traces" le rendant inapte à "tout travail lourd". Il soulignait d’autre part que sa mère, titulaire d’une pension, le réclamait chez elle. Dans ces conditions, il estimait avoir le droit d’être libéré, droit qu’il reprochait aux autorités belges de ne pas reconnaître. Il soutenait en outre, en invoquant l’article 6 par. 3 b) et c) (art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention, qu’au moment de son arrestation il avait sollicité en vain l’assistance gratuite d’un avocat; le fait a été contesté devant la Cour par l’agent du Gouvernement.
Dans la mesure où Franz Ooms se plaignait - apparemment dans des lettres ultérieures - de mauvais traitements et d’une atteinte à sa liberté de conscience et de religion (articles 3 et 9 de la Convention) (art. 3, art. 9), sa requête a été repoussée le 11 février 1967 pour défaut manifeste de fondement (annexe II du rapport de la Commission); le 7 avril 1967, la Commission l’a déclarée recevable pour le surplus après en avoir prononcé la jonction avec les requêtes de Jacques De Wilde et d’Edgard Versyp.
C. Affaire Versyp
28. Edgard Versyp, ressortissant belge né à Bruges le 26 avril 1911, exerce au moins à l’occasion le métier de dessinateur; il semble avoir eu son domicile à Schaarbeek.
Le 3 novembre 1965 à 21 h., il s’est présenté devant M. Meura, commissaire-adjoint de police à Bruxelles; il était porteur d’une missive de l’office de réadaptation sociale qui réclamait pour lui une nuit d’hébergement. Se déclarant sans domicile, travail ni ressources, il a demandé "avec insistance son envoi aux colonies de bienfaisance"; il a précisé qu’il avait séjourné "antérieurement à Merxplas" et qu’il ne désirait "aucune autre solution". Après avoir passé la nuit au dépôt communal, où il avait déjà logé la veille, il a été pris en charge, le 4 novembre à 9 h., par l’office de réadaptation sociale. Le même jour, celui-ci a certifié que rien ne s’opposait, "en ce qui concerne (ses) services", à ce que le requérant fût "déféré à l’officier du ministère public en vue de son envoi éventuel aux colonies de bienfaisance de l’État": très bien connu de l’office, tant "en section post-pénitentiaire qu’en section vagabondage", il avait causé par "son apathie, sa fainéantise et son penchant à la boisson", l’échec des efforts déployés jadis pour le reclasser; il refusait du reste "toute autre solution sociale" que son internement. En conséquence, Versyp a été mis aussitôt à la disposition du ministère public.
29. Quelques heures plus tard, le Tribunal de police de Bruxelles, statuant contradictoirement en audience publique et après avoir vérifié "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de l’intéressé, a considéré comme établies les circonstances qui avaient fait traduire celui-ci en justice. En vertu de l’article 13 de la loi de 1891, il l’a mis "à la disposition du gouvernement pour être enfermé dans un dépôt de mendicité pendant deux ans". Il a confié le soin d’arrêter les "mesures d’exécution" au ministère public qui, toujours le 4 novembre 1965, a requis le directeur du dépôt de mendicité de Merxplas de recevoir Versyp en son établissement.
30. Versyp a été interné tour à tour à Wortel, Merxplas et Turnhout.
31. Le 7 février 1966, soit plus de trois mois après son arrestation et plus de six mois avant de saisir la Commission (16 août 1966), il a écrit de Wortel au ministre de la justice pour réclamer son transfèrement à la section cellulaire de Merxplas. Sa demande n’a pas été expédiée à Bruxelles, en raison d’une visite imminente de l’inspecteur général qui y a fait droit le lendemain.
Le 10 mai 1966, l’intéressé a sollicité son déplacement de Merxplas à la prison de St. Gilles-Bruxelles où, pensait-il, le chef du service de réadaptation sociale réussirait à lui procurer "un emploi à l’extérieur" qui lui permît de "vivre comme un citoyen honnête". Il relevait que sa cohabitation "avec d’autres vagabonds à Wortel et Merxplas" avait "démoli" son moral et qu’ayant dû être soigné à deux reprises à l’hôpital, il avait négligé son travail; il s’engageait cependant à s’occuper "de (ses) affaires à l’extérieur plus assidûment pour éviter qu’une telle situation ne se (reproduisît)". Dans un rapport daté du 16 mai, la direction de l’établissement de Merxplas a souligné que Versyp, titulaire de neuf condamnations pénales et interné à quatre reprises pour vagabondage, avait passé en cellule la plus grande partie de son existence de détenu et ne pouvait s’accoutumer à la vie en commun; aussi a-t-elle suggéré qu’on le transférât, à sa demande, dans une prison cellulaire (op zijn vraag naar een celgevangenis). Envoyé en conséquence, le 23 mai, à la prison de Turnhout et non à celle de St. Gilles, le requérant s’en est plaint le 6 juin au ministère de la justice qui a ordonné son retour à Wortel.
Le 22 août 1966, Versyp a prié le ministère de lui donner l’occasion de se reclasser "dans la société selon (ses) aptitudes, par l’intermédiaire du service social de Bruxelles". Le 6 septembre, la direction de la colonie de Wortel l’a informé, sur les instructions du ministère, que l’on examinerait son cas quand le montant de sa masse de sortie montrerait qu’il était à même d’accomplir un travail convenable.
Le 26 septembre, l’intéressé a protesté auprès du ministère contre cette réponse. A l’en croire, on l’avait "sournoisement" empêché "de gagner quoi que ce (fût)", tant à Wortel qu’à Turnhout, afin de le "retenir plus longtemps". Ainsi, on avait voulu à Wortel lui imposer un travail auquel il était inapte - la récolte des pommes de terre - tandis qu’on lui en refusait d’autres qu’il était capable d’exécuter. En outre, on avait prétendu lui interdire de correspondre avec la Commission, sans résultat du reste car il avait invoqué le règlement en vigueur et alerté le parquet. Bref, il se sentait en butte à une hostilité qui le poussait à désirer quitter Wortel pour Merxplas ou, mieux encore, pour la prison de St. Gilles dont le service de réadaptation sociale, avançait-il, lui procurerait un travail approprié et un gîte "dans un home à Bruxelles".
Le ministère de la justice a classé sans suite la lettre dont il s’agit; le 28 septembre 1966, il a prié le directeur de la colonie de Wortel d’en aviser le requérant.
Versyp a recouvré sa liberté le 10 août 1967, en vertu d’une décision ministérielle du 3 août (article 15 de la loi de 1891) et après un an, neuf mois et six jours d’internement. Le 1er août, la direction de la colonie de Wortel avait exprimé un avis favorable à la nouvelle demande d’élargissement qu’il avait présentée quelque temps auparavant; elle avait noté, entre autres, qu’il trouverait plus aisément un emploi dans l’immédiat qu’à l’échéance du terme fixé en 1965 par le juge de paix de Bruxelles, c’est-à-dire au mois de novembre.
32. Dans la requête qu’il a introduite devant la Commission le 16 août 1966 (no 2899/66) et qu’il a complétée le 6 septembre 1966, l’intéressé s’appuyait sur les articles 4, 5 et 6 par. 3 c) (art. 4, art. 5, art. 6-3-c) de la Convention. Il se plaignait d’abord de son internement: soulignant qu’il avait un domicile certain à Schaarbeek et n’avait jamais mendié, il s’étonnait qu’on l’eût placé dans un dépôt de mendicité. Il alléguait en outre qu’il n’avait pas eu l’occasion de se défendre devant le Tribunal de police de Bruxelles le 4 novembre 1965 car les débats avaient duré "à peine deux minutes" et on ne lui avait pas accordé l’assistance d’un avocat d’office. Il s’insurgeait aussi contre divers aspects du régime qu’il subissait. Pour le mettre hors d’état de réunir les 2.000 FB constituant la masse de sortie, on l’aurait laissé plusieurs mois sans aucun travail adéquat. D’une manière générale, ajoutait-il, les directeurs des divers établissements se concertaient pour prolonger au maximum la détention des vagabonds; de son côté, le gouvernement "cultivait" le vagabondage qui lui fournissait une main d’oeuvre presque gratuite (1 FB 75 par heure de travail manuel) et de gros bénéfices. Versyp affirmait enfin que ses nombreuses lettres aux autorités compétentes, par exemple l’inspecteur des prisons, le parquet (juillet 1966) et le ministre de la justice (juin et août 1966), revenaient invariablement "chez le directeur" qui les classait sans suite; elles ne faisaient l’objet d’aucune décision ou, telle sa demande de transfèrement à Bruxelles, se heurtaient à une réponse négative. L’une d’entre elles, adressée le 7 février 1966 au ministre de la justice sous pli recommandé, avait même été ouverte par le directeur de la colonie de Wortel, lequel ne l’avait pas expédiée.
Le 7 avril 1967, la Commission a déclaré la requête recevable; auparavant, elle en avait prononcé la jonction avec celles de Jacques De Wilde et de Franz Ooms.
D. Données communes aux trois affaires
33. Aux termes de l’article 347 du Code pénal belge de 1867, "les vagabonds sont ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession". Ces trois conditions sont cumulatives: elles doivent se trouver réunies en même temps dans le chef d’un même individu.
34. Érigé jadis en délit (Code pénal de 1810) ou en contravention (loi du 6 mars 1866), le vagabondage ne constitue plus en lui-même une infraction pénale depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1891: seul revêt un caractère délictueux le vagabondage "qualifié" tel que le définissent les articles 342 à 345 du Code pénal en vigueur, lesquels n’ont été appliqués à aucun des trois requérants. Le vagabondage "simple", lui, tombe sous le coup de la loi de 1891.
35. Selon l’article 8 de ladite loi, "tout individu trouvé en état de vagabondage est arrêté et traduit devant le tribunal de police" - composé d’un juge unique, le juge de paix. Le ministère public et le tribunal peuvent cependant décider la mise en liberté provisoire (article 11).
La comparution a lieu "dans les vingt-quatre heures", à l’audience ordinaire du juge, "ou à celle que l’officier du ministère public requerra pour le lendemain". Si l’intéressé le demande, "un délai de trois jours lui (est) accordé pour préparer sa défense" (article 3 de la loi du 1er mai 1849); ni De Wilde, ni Ooms ni Versyp n’ont usé de ce droit.
36. Si après avoir vérifié "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de la personne traduite devant lui (article 12), le juge de paix estime qu’il s’agit d’un vagabond, l’article 13 ou l’article 16 de la loi de 1891 entre en jeu.
L’article 13 concerne "les individus valides qui, au lieu de demander au travail leurs moyens de subsistance, exploitent la charité, comme mendiants de profession", et les "individus qui, par fainéantise, ivrognerie ou dérèglement de moeurs, vivent en état de vagabondage"; l’article 16, "les individus trouvés en état de vagabondage ou mendiant, sans aucune des circonstances (...) mentionnées à l’article 13".
Dans la première hypothèse, le tribunal met le vagabond "à la disposition du gouvernement pour être enfermé dans un dépôt de mendicité, pendant deux ans au moins et sept ans au plus"; dans la seconde, il peut le "mettre à la disposition du gouvernement pour être interné dans une maison de refuge", et ce pour une durée indéterminée mais qui en aucun cas n’excédera un an (cf. le paragraphe 40 ci-dessous).
L’article 13 a été appliqué à Jacques De Wilde et Edgard Versyp, l’article 16 à Franz Ooms.
La distinction entre les "établissements de correction" dénommés "dépôts de mendicité" et les "maisons de refuge" ou "colonies de bienfaisance" (articles 1 et 2 de la loi) est devenue purement théorique; on y a substitué un système d’individualisation des traitements appliqués aux internés.
L’internement dans un dépôt de mendicité figure au casier judiciaire; en outre, certaines incapacités électorales frappent les vagabonds "mis à la disposition du gouvernement" (articles 7 et 9 du Code électoral).
37. Les juges de paix appartiennent à l’ordre judiciaire et ont le statut de magistrat, avec les garanties d’indépendance qu’il implique (articles 99 et 100 de la Constitution). Les décisions qu’ils rendent sur la base des articles 13 et 16 de la loi de 1891 sont cependant considérées par la Cour de cassation comme des actes de caractère administratif, et non comme des jugements au sens de l’article 15 par. 1 de la loi du 4 août 1832. En conséquence, elles ne sont susceptibles ni d’opposition ni d’appel, ni - sauf si elles excèdent les limites tracées par la loi (cf. le paragraphe 159 du rapport de la Commission) - de pourvoi en cassation. La jurisprudence de la cour suprême de Belgique est constante sur ce point.
Quant au Conseil d’État, il n’a eu jusqu’ici à connaître que de deux recours en annulation dirigés contre des ordonnances d’internement pour vagabondage.
Dans un arrêt Vleminckx du 21 décembre 1951, il avait réservé la question de savoir si une décision prise le 14 juillet 1950 par le Tribunal de police de Bruxelles en vertu de l’article 13 de la loi de 1891 émanait d’une autorité qui avait "agi comme autorité administrative au sens de l’article 9 de la loi du 23 décembre 1946"; le recours dont le sieur Vleminckx l’avait saisi le 31 juillet 1950 avait été repoussé par le motif
"que la décision attaquée (constituait) une décision préparatoire qui (avait) été suivie de la décision du gouvernement d’interner le requérant dans un dépôt de mendicité (...); que le requérant ne (pouvait) justifier d’aucun intérêt à l’annulation d’une décision permettant seulement au gouvernement de l’interner alors que la décision d’internement (n’était) pas attaquée".
Le 7 juin 1967, en revanche, soit deux mois après que la Commission eut retenu les requêtes de Jacques De Wilde, Franz Ooms et Edgard Versyp, le Conseil d’État a rendu un arrêt annulant la décision par laquelle le Tribunal de police de Gand avait, le 16 février 1965, mis un sieur Du Bois à la disposition du gouvernement en application de l’article 16 de la loi de 1891. Avant d’examiner le fond, il a vérifié la recevabilité, contestée par le ministre de la justice, du recours que le susnommé avait exercé le 14 avril 1965. A la lumière des textes en vigueur, des travaux préparatoires et de la "jurisprudence constante du pouvoir judiciaire", le Conseil a estimé que la mise d’un vagabond à la disposition du gouvernement ne découle pas de "la constatation d’une infraction pénale", mais s’analyse en une "mesure administrative de sécurité", et que la décision la prescrivant est donc "d’ordre purement administratif", "en sorte qu’aucun recours organisé" ne s’offre contre elle "à l’intéressé (...) devant les cours et tribunaux". Il a ajouté que pareille "décision administrative du juge de police" ne saurait passer pour "une mesure préparatoire devant permettre au gouvernement de prendre la véritable décision d’internement": "elle est elle-même la décision proprement dite qui place l’intéressé dans une situation nouvelle légalement définie" et, partant, est "par elle-même de nature à faire grief"; du reste, "l’intéressé se voit immédiatement privé de sa liberté avant toute autre décision du gouvernement".
Aux termes de l’article 20 par. 2 de la loi du 23 décembre 1946 portant création du Conseil d’État, lorsque ce dernier "et une cour ou un tribunal de l’ordre judiciaire se sont déclarés l’un et l’autre soit compétents, soit incompétents pour connaître de la même demande, le règlement d’attribution sur le conflit est poursuivi par la partie la plus diligente et jugé par la Cour de cassation" qui statue "chambres réunies". Aucun conflit de ce genre ne paraît avait été soumis jusqu’ici à la cour suprême de Belgique en matière de vagabondage.
Le Gouvernement belge prépare depuis assez longtemps une réforme de la loi de 1891. D’après les indications fournies à la Cour le 17 novembre 1970, le projet dont il s’apprête à saisir le Parlement prévoit notamment que les décisions des juges de paix pourront faire l’objet d’un recours auprès du tribunal de première instance.
38. "Les individus valides internés dans un dépôt de mendicité ou dans une maison de refuge" ont l’obligation d’accomplir les "travaux prescrits dans l’établissement" (article 6 de la loi de 1891). Ceux qui, tels Jacques De Wilde et Edgard Versyp, refusent de s’acquitter de cette obligation, sans motif plausible aux yeux des autorités, s’exposent à des sanctions disciplinaires. "Les cas d’infirmité, de maladie ou de punition peuvent entraîner suspension, cessation ou privation de travail" (articles 64 et 95, combinés, de l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires).
"Sauf retrait par mesure disciplinaire", les vagabonds internés ont droit à "un salaire journalier" appelé "gratification". Des retenues sont opérées "à titre de frais de gestion" - "au profit de l’État" - et "pour former la masse de sortie" qui sera "délivrée partie en espèces, partie en vêtements et outils". Le ministre de la justice fixe le taux de ladite masse et, en fonction des diverses catégories de "reclus" et de travaux, celui du salaire et des retenues (articles 6 et 17 de la loi de 1891; articles 66 et 95, combinés, de l’arrêté royal du 21 mai 1965).
A l’époque de l’internement des trois requérants, la masse de sortie à constituer ainsi - les sommes qu’un vagabond peut recevoir de sources extérieures n’étant pas prises en considération - s’élevait à 2.000 FB, du moins pour les "colons" des maisons de refuge (circulaire ministérielle du 24 avril 1964).
Quant à la gratification horaire minimale "effectivement payée" aux internés - sauf déductions éventuelles "pour dégâts ou malfaçons" -, elle était de 1 FB 75 jusqu’au 1er novembre 1966, date à laquelle elle a augmenté de 25 centimes (circulaires ministérielles des 17 mars 1964 et 10 octobre 1966). Incessible et insaisissable, elle se divisait en deux fractions égales: la "quotité réservée" qui, inscrite au compte de l’intéressé, lui servait à réunir la masse de sortie, et la quotité disponible qu’il touchait sans plus attendre (articles 67 et 95, combinés, de l’arrêté royal du 21 mai 1965).
39. D’après les articles 20 à 24 et 95 de l’arrêté royal du 21 mai 1965, la correspondance des vagabonds internés - qui à cet égard comme à d’autres se voient assimilés aux condamnés détenus - peut être soumise à un contrôle à l’exception toutefois de celle qu’ils échangent avec l’avocat de leur choix, le directeur de l’établissement, l’inspecteur général et le directeur général de l’administration des établissements pénitentiaires, le secrétaire général du ministère de la justice, les autorités judiciaires, les ministres, les présidents des chambres législatives, le Roi, etc. Leur correspondance avec la Commission ne se trouve pas mentionnée dans ledit arrêté, mais le ministre de la justice a informé les directeurs des établissements pénitentiaires et de défense sociale, y compris ceux de Merxplas et Wortel, qu’"il y a lieu, lorsqu’un détenu adresse une lettre à cet organisme, de ne pas la censurer et de la faire parvenir, dûment affranchie pour l’étranger par l’expéditeur (...), au service du contentieux (...) qui se chargera de l’envoi du pli à son destinataire" (circulaire du 7 septembre 1957, telle qu’elle était en vigueur à l’époque de l’internement des trois requérants; cf. aussi le paragraphe 31 ci-dessus).
40. "Les individus internés dans une maison de refuge" – tel Franz Ooms - ne peuvent "en aucun cas y être retenus contre leur gré au-delà d’un an" (article 18, premier alinéa, de la loi de 1891). Ils recouvrent de plein droit leur liberté avant l’expiration de ce délai "lorsque leur masse de sortie (a) atteint le chiffre (...) fixé par le ministre de la justice" qui, en outre, les fait élargir s’il estime que leur internement "n’est plus nécessaire" (articles 17 et 18, deuxième alinéa, de la loi de 1891).
De leur côté, les vagabonds enfermés dans un dépôt de mendicité – tels Jacques De Wilde et Edgard Versyp - le quittent soit à l’échéance du terme de deux à sept ans "fixé par le tribunal", soit à une date antérieure si le ministre de la justice juge "inutile de prolonger l’internement" (article 15 de la loi de 1891), la constitution de la masse de sortie et les autres ressources éventuelles de l’intéressé ne suffisant pas à cet égard.
Aucun vagabond détenu ne paraît avoir saisi jusqu’ici le Conseil d’État, en vertu de l’article 9 de la loi du 23 décembre 1946, d’un recours en annulation dirigé contre une décision ministérielle qui aurait repoussé sa demande d’élargissement.
41. Devant la Commission et la sous-commission, les trois requérants ont invoqué les articles 4, 5 par. 1, 5 par. 3 , 5 par. 4, 6 par. 1, 6 par. 3 b) et c), 7, 8 et 13 (art. 4, art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 7, art. 8, art. 13) de la Convention. Deux d’entre eux, à savoir De Wilde et Versyp, ont allégué aussi la méconnaissance de l’article 3 (art. 3).
42. Dans son rapport du 19 juillet 1969, la Commission a conclu:
- à l’existence d’une violation des articles 4 (art. 4) (neuf voix contre deux), 5 par. 4 (art. 5-4) (neuf voix contre deux) et 8 (art. 8) (dix voix contre une);
- à l’absence de violation des articles 3 (art. 3) (unanimité) et 5 par. 1 (art. 5-1) (dix voix contre une);
- à l’inapplicabilité des articles 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité), 6 par. 1 (art. 6-1) (dix voix contre une), 6 par. 3 (art. 6-3) (dix voix contre une) et 7 (art. 7) (unanimité).
Elle a estimé en outre que "la prise en considération de l’article 13 (art. 13) ne (s’imposait) pas" (unanimité).
Le rapport contient plusieurs opinions individuelles, les unes concordantes, les autres dissidentes.
43. Après la saisine de la Cour, les requérants ont réitéré, et parfois développé, la plupart de leurs arguments antérieurs dans une note que la Commission a jointe à son mémoire. Ils ont marqué, suivant le cas, leur accord ou leur désaccord avec l’avis de la Commission, devant lequel De Wilde et Versyp ont déclaré s’incliner en ce qui concerne l’article 3 (art. 3) de la Convention.
EN DROIT
I. SUR LES QUESTIONS DE COMPETENCE ET DE RECEVABILITE SOULEVEES EN L’ESPECE
44. Dans ses mémoires de février et de juin 1970, le Gouvernement avait demandé à la Cour, en ordre principal,
"de dire que les requêtes introduites contre la Belgique par Jacques De Wilde le 17 juin 1966, par Franz Ooms le 20 mai 1966, et par Edgard Versyp le 16 août 1966, n’étaient pas recevables, les requérants n’ayant pas épuisé les voies de recours internes, et que la Commission (...) aurait donc dû les rejeter en vertu des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, art. 27-3) de la Convention."
De son côté, la Commission avait prié la Cour, dans son mémoire d’avril 1970,
"1) en ordre principal:
- de déclarer irrecevable la demande, formulée par le Gouvernement belge, de dire que la Commission aurait dû rejeter les trois requêtes en vertu des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, art. 27-3) de la Convention, pour le motif que la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur les décisions de la Commission relatives à la recevabilité des requêtes;
2) en ordre subsidiaire:
- de déclarer irrecevable ladite demande, pour le motif que le Gouvernement belge est forclos de présenter une telle demande devant la Cour, n’ayant pas soulevé l’objection de non-épuisement des voies de recours internes devant la Commission au stade de la recevabilité des requêtes;
3) en ordre plus subsidiaire:
- de déclarer mal fondée ladite demande, étant donné qu’au moment où la Commission a été saisie des trois requêtes aucun recours efficace n’existait en droit belge contre les décisions des juges de paix en matière de vagabondage."
45. Lors des débats oraux, l’agent du Gouvernement a conclu à ce qu’il plaise à la Cour:
- "de décider qu’elle est pleinement compétente pour statuer sur la recevabilité des requêtes et, en particulier, pour vérifier si les requérants ont ou n’ont pas épuisé les voies de recours internes";
- "de constater l’irrecevabilité des requêtes (...), les intéressés n’ayant pas observé les dispositions de l’article 26 (art. 26) de la Convention".
L’inobservation de l’article 26 (art. 26) aurait consisté non seulement dans le non-épuisement des voies de recours internes, mais aussi, pour Edgard Versyp, dans le dépassement du délai de six mois.
Pour leur part, les délégués de la Commission ont maintenu sans changement, à cet égard, les conclusions de leur mémoire d’avril 1970.
46. La Cour se trouve ainsi appelée à rechercher, avant tout examen du fond:
(1) si elle a ou non compétence pour examiner les moyens tirés par le Gouvernement de la prétendue inobservation de l’article 26 (art. 26) de la Convention, soit en ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, soit en ce qui concerne le délai de six mois;
(2) si, dans l’affirmative, le Gouvernement ne doit pas être déclaré forclos à opposer l’irrecevabilité des requêtes, soit pour non-épuisement des voies de recours internes, soit, subsidiairement, dans le cas de Versyp, pour tardiveté;
(3) au cas où le Gouvernement ne serait pas déclaré forclos, si les moyens d’irrecevabilité invoqués par lui sont fondés.
A. Sur la compétence de la cour pour connaître des moyens de non-épuisement des voies de recours internes et de tardiveté opposés par le gouvernement aux requêtes retenues par la commission
47. Pour apprécier si elle a compétence pour connaître des moyens opposés par le Gouvernement aux présentes requêtes, la Cour se reporte au texte de la Convention, et spécialement à l’article 45 (art. 45) qui détermine sa compétence ratione materiae. Cet article précise que "la compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la (...) Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront, dans les conditions prévues par l’article 48 (art. 48)". Suivant cette disposition, ainsi que la Cour l’a déclaré dans son arrêt du 9 février 1967 (affaire "linguistique", série A, p. 18), "la base de la compétence ratione materiae de la Cour est établie lorsque l’affaire dont il s’agit a trait à une question d’interprétation ou d’application de la Convention".
48. Le membre de phrase "affaires concernant l’interprétation et l’application de la (...) Convention", qui figure à l’article 45 (art. 45), est remarquable par son ampleur. La portée tout à fait générale qu’il faut lui attribuer se trouve confirmée par la version anglaise du paragraphe 1 de l’article 46 (art. 46-1), laquelle s’exprime en termes encore plus larges ("all matters") que l’article 45 (art. 45) ("all cases").
49. À la vérité, il ressort de l’article 45 (art. 45) que la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à l’égard des affaires dont elle est régulièrement saisie et son contrôle doit nécessairement porter d’abord sur le respect des conditions définies aux articles 47 et 48 (art. 47, art. 48). Une fois régulièrement saisie, la Cour jouit pourtant de la plénitude de juridiction et peut donc connaître de toutes les questions de fait et de droit qui se poseront au cours de l’examen de l’affaire.
50. On ne voit pas, dès lors, comment les questions d’interprétation et d’application de l’article 26 (art. 26) soulevées devant la Cour pendant l’examen d’une affaire, échapperaient à sa juridiction. La chose se conçoit d’autant moins que la règle de l’épuisement des voies de recours internes délimite le domaine dans lequel les États contractants ont consenti à répondre des manquements qui leur sont reprochés devant les organes de la Convention, et que la Cour doit assurer l’observation des dispositions y relatives aussi bien que le respect des droits et libertés individuels garantis par la Convention et les Protocoles.
La règle de l’épuisement des voies de recours, qui dispense les États de répondre de leurs actes devant un organe international avant d’avoir eu l’occasion d’y remédier dans leur ordre juridique interne, compte d’ailleurs parmi les principes de droit international généralement reconnus, auxquels l’article 26 (art. 26) renvoie expressément.
Quant au délai de six mois, il découle d’une clause spéciale de la Convention et constitue un facteur de sécurité juridique.
51. Cette conclusion n’est aucunement infirmée par les pouvoirs que l’article 27 (art. 27) de la Convention attribue à la Commission en ce qui concerne la recevabilité des requêtes. La tâche que cet article (art. 27) assigne à la Commission est une tâche de filtrage: la Commission retient les requêtes ou ne les retient pas. Ses décisions de rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable sont sans recours, comme le sont du reste aussi celles par lesquelles elle retient une requête; elles sont prises en toute indépendance (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Lawless du 14 novembre 1960, série A, p. 11). La décision de retenir une affaire a pour effet d’amener la Commission à s’acquitter des fonctions définies aux articles 28 à 31 (art. 28, art. 29, art. 30, art. 31) de la Convention et de permettre la saisine éventuelle de la Cour, mais elle ne lie pas la Cour, pas plus que ne la lie l’avis formulé par la Commission, dans son rapport final, "sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention" (article 31) (art. 31).
52. Par ces motifs, la Cour s’estime compétente pour connaître des questions de non-épuisement et de tardiveté soulevées en l’espèce.
B. Sur la forclusion
53. La compétence de la Cour pour statuer sur les moyens opposés par un gouvernement défendeur, sur la base de l’article 26 (art. 26), aux demandes dirigées contre lui, n’implique aucunement que la Cour doive se désintéresser de l’attitude adoptée à cet égard par ce gouvernement au cours de la procédure devant la Commission.
54. Il est en effet de pratique courante, devant les juridictions internationale et internes, que les exceptions d’irrecevabilité doivent en règle générale être opposées in limine litis. C’est là sinon toujours un impératif, du moins un desideratum d’une bonne administration de la justice et une exigence de la sécurité juridique. La Cour elle-même a prescrit, à l’article 46 par. 1 de son Règlement, que "toute exception préliminaire doit être présentée au plus tard avant l’expiration du délai fixé pour la première pièce de la procédure écrite à déposer par la Partie soulevant l’exception".
Certes, il ne s’agit pas devant la Cour de la même procédure que celle qui s’est poursuivie devant la Commission, et d’ordinaire il n’y a même pas identité de parties, mais il s’agit de la même affaire et il résulte de l’économie générale de la Convention que les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité doivent en principe être soulevées d’abord devant la Commission dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtent (comp. l’arrêt Stögmüller du 10 novembre 1969, série A, pp. 41-42, par. 8, et l’arrêt Matznetter du même jour, série A, p. 32, par. 6).
55. En outre, rien n’empêche les Etats de renoncer au bénéfice de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, qui a pour but essentiel de protéger leur ordre juridique national. Il existe à ce sujet une longue pratique internationale à laquelle la Convention n’a sûrement pas entendu déroger car elle se réfère, en son article 26 (art. 26), aux principes de droit international généralement reconnus. Si pareille renonciation intervient devant la Commission (cf. p. ex. Annuaire de la Convention, volume 7, pp. 259-261), on n’imagine guère que le gouvernement intéressé puisse la rétracter à sa guise après la saisine de la Cour.
56. Examinant la procédure qui s’est déroulée devant la Commission, la Cour constate que le Gouvernement avait, dans ses premières observations relatives à la recevabilité des requêtes, opposé à l’un des griefs de Franz Ooms la fin de non-recevoir tirée du non-épuisement des voies de recours internes. La Commission ayant considéré ledit grief comme manifestement mal fondé, jugea superflu de se prononcer sur l’exception. La décision partielle rendue à ce sujet dans l’affaire Ooms porte la date du 11 février 1967.
Au cours des débats oraux qui suivirent cette décision partielle et celles du même jour concernant les deux affaires connexes, un membre de la Commission prit l’initiative, le 6 avril 1967, d’interroger l’agent du Gouvernement sur la possibilité d’attaquer devant le Conseil d’État les décisions des juges de paix en matière de vagabondage (articles 13 et 16 de la loi de 1891) et les décisions du ministre de la justice refusant d’élargir un vagabond détenu (articles 15 et 18 de la même loi). L’agent du Gouvernement répondit que la haute juridiction administrative s’estimait incompétente pour connaître d’un recours dirigé contre l’ordonnance d’un juge de paix (arrêt Vleminckx du 21 décembre 1951; cf. le paragraphe 37 ci-dessus). Il souligna toutefois "qu’au moins une procédure" - l’affaire Du Bois - "était en cours devant le Conseil d’État dans laquelle le problème de l’existence d’un recours contre la décision du juge de paix (était) à nouveau posé"; il exprima aussi l’avis personnel que "la décision de rejet", par le ministre, d’une demande de libération pourrait sans doute être annulée, le cas échéant, par le Conseil d’État "pour tel ou tel motif de pure légalité". Il n’en tira cependant pas argument pour inviter la Commission soit à repousser les requêtes pour non-épuisement, soit à surseoir à statuer sur leur recevabilité.
Aussi la Commission crut-elle pouvoir conclure à l’inexistence de voies de recours internes et dès lors constater dans sa décision du 7 avril 1967, par laquelle elle déclarait les requêtes recevables, "que les requérants (avaient) respecté les conditions de l’article 26 (art. 26) de la Convention".
57. Deux mois plus tard cependant, le 7 juin 1967, le Conseil d’État rendait un arrêt renversant sa jurisprudence antérieure et déclarant recevable et justifié le recours en annulation introduit par le sieur Du Bois contre l’ordonnance d’un juge de paix (cf. le paragraphe 37 ci-dessus). Le Gouvernement en a informé la Commission par un mémoire du 31 juillet 1967 et il a formellement demandé le rejet des trois requêtes comme irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes. Le conseil des requérants a émis l’avis que le Gouvernement défendeur n’était "pas recevable à discuter la recevabilité des requêtes, celle-ci ayant été définitivement constatée par la décision de la Commission du 7 avril 1967" (paragraphe 59 du rapport). L’agent du Gouvernement a réitéré sa demande dans sa plaidoirie devant la Commission, le 8 février 1968 (paragraphes 124 et 125 du rapport): il a invité la Commission à rendre "une seconde décision sur la recevabilité pour constater que des termes mêmes de l’arrêt du Conseil d’État de Belgique, il (résultait) clairement que (les) requérants avaient à leur disposition une voie de recours dont ils ne (s’étaient) pas servis alors qu’ils auraient pu le faire".
Enfin, la Commission a repoussé cette demande dans le rapport qu’elle a adopté le 19 juillet 1969 (paragraphe 177). Elle a rappelé que "d’après les principes de droit international, auxquels renvoie l’article 26 (art. 26) de la Convention, un requérant est dispensé d’épuiser une voie de recours interne si, en vertu d’une jurisprudence constante des instances nationales, cette voie n’offre aucune chance raisonnable d’aboutir"; elle a relevé qu’avant l’arrêt Du Bois du 7 juin 1967, tel était le cas des recours contre les décisions d’un juge de paix en matière de vagabondage, et a conclu que c’était à juste titre qu’elle avait déclaré recevables les trois requêtes et que l’arrêt susvisé ne constituait pas "un élément nouveau de nature à justifier un réexamen de la décision sur la recevabilité des requêtes".
Dans ces conditions, la Cour ne peut considérer que le Gouvernement belge soit forclos à se prévaloir devant elle de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les ordonnances des juges de paix de Charleroi, de Namur et de Bruxelles.
58. Il n’en va pas de même du moyen de tardiveté que le Gouvernement oppose à titre subsidiaire au requérant Versyp.
Ce dernier a saisi la Commission le 16 août 1966, soit plus de six mois après la décision du Tribunal de police de Bruxelles ordonnant, le 4 novembre 1965, son internement pour vagabondage (cf. les paragraphes 29 et 31 ci-dessus). Le Gouvernement en déduit que si la Cour considérait ladite décision comme non susceptible à l’époque de recours, la requête de Versyp à la Commission devrait être jugée irrecevable pour inobservation du délai prescrit par l’article 26 (art. 26) in fine de la Convention.
La Cour relève que ce moyen n’a jamais été invoqué devant la Commission, ni même pendant la procédure écrite devant la Cour: l’agent du Gouvernement l’a présenté pour la première fois dans sa plaidoirie du 16 novembre 1970, soit plus de trois ans après la décision de la Commission sur la recevabilité et plus d’un an après la saisine de la Cour.
Dans ces conditions, la Cour déclare le Gouvernement forclos à se prévaloir de la tardiveté de la requête de Versyp.
59. La même constatation vaut pour le moyen de non-épuisement dont le Gouvernement a saisi la Cour quant aux décisions du ministre de la justice rejetant les demandes d’élargissement des trois requérants.
Ceux-ci ont plaidé que le maintien de leur internement par le ministre avait enfreint l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention. Le Gouvernement fait valoir qu’il leur eût été loisible d’attaquer lesdites décisions auprès du Conseil d’État en alléguant la violation de l’article 5 (art. 5), directement applicable en droit belge, et qu’ils ont négligé d’exercer pareil recours. Devant la Commission, toutefois, le Gouvernement n’a jamais invoqué l’article 26 (art. 26) de la Convention sur le point dont il s’agit (cf. les paragraphes 56 et 57 ci-dessus); pour les raisons déjà indiquées, il ne saurait le faire pour la première fois devant la Cour.
C. Quant au bien-fondé du moyen de non-épuisement des voies de recours internes
60. La Cour rappelle que selon le droit international, auquel l’article 26 (art. 26) renvoie expressément, la règle de l’épuisement n’impose l’exercice des recours que pour autant qu’il en existe qui soient accessibles aux intéressés et adéquats, c’est-à-dire de nature à porter remède à leurs griefs (arrêt Stögmüller du 10 novembre 1969, série A, p. 42, par. 11).
Il est également admis qu’il incombe au gouvernement qui soulève l’exception d’indiquer les moyens qui, à son avis, étaient à la disposition des intéressés et auraient dû être utilisés par eux jusqu’à épuisement.
Les indications fournies à cet égard par le Gouvernement belge ont trait les unes aux décisions d’internement, les autres à l’internement subséquent des requérants. La Cour ayant déclaré le Gouvernement forclos à se prévaloir du moyen fondé sur les secondes (cf. le paragraphe 59 ci-dessus), seules les premières entrent désormais en ligne de compte sur le terrain de l’article 26 (art. 26) de la Convention. La thèse du Gouvernement a subi à leur sujet une nette évolution au cours des procédures.
61. Il n’a jamais été contesté que les décisions prises par les juges de paix à l’égard de Jacques De Wilde, de Franz Ooms et d’Edgard Versyp revêtaient un caractère administratif et, partant, n’étaient susceptibles ni d’appel ni de recours en cassation (cf. le paragraphe 37 ci-dessus).
L’agent du Gouvernement, se fondant semble-t-il sur l’arrêt Vleminckx du 21 décembre 1951, a également admis dans les premiers débats devant la Commission que le Conseil d’État n’aurait pas non plus accueilli de recours contre lesdites ordonnances d’internement.
Après l’arrêt Du Bois du 7 juin 1967, l’agent du Gouvernement a reconnu que la jurisprudence ancienne était "un peu irréelle en ce sens que, de toute manière, après le jugement du juge de paix, il n’y a jamais eu de nouvelle décision de l’administration" (paragraphe 120 du rapport de la Commission). Il a, devant la Cour, exprimé le même avis, constatant que la prétendue décision ministérielle visée par l’arrêt Vleminckx se ramenait à un simple "acte administratif d’exécution" de l’ordonnance du juge de paix, voire à "une opération purement matérielle". Cette opinion paraît fondée: l’examen des dossiers des procédures suivies devant les juges de paix révèle que, de fait, les officiers compétents du ministère public ont été chargés par les juges de paix de Charleroi, de Namur et de Bruxelles, de l’exécution de leurs ordonnances et qu’ils ont, dans ce but, "requis" les directeurs des colonies de Wortel et de Merxplas de "recevoir" De Wilde, Ooms et Versyp "dans leur établissement" sans qu’il y ait eu de "décision" nouvelle prise à ce sujet (cf. les paragraphes 17, 24 et 29 ci-dessus). Sans doute le ministre peut-il intervenir sur la base de la loi de 1891 pour s’opposer à ce qu’il soit donné suite aux ordonnances d’internement. Dans la pratique, toutefois, il n’use généralement pas de cette faculté et il n’en a pas usé dans les présentes affaires.
L’agent du Gouvernement a pourtant tiré argument devant la Commission, puis devant la Cour, du fait qu’il résultait du même arrêt Du Bois que les ordonnances prises par les juges de paix en matière d’internement pour vagabondage étaient bien susceptibles de recours devant le Conseil d’État. Il a ajouté que l’affaire Du Bois était déjà pendante devant la juridiction administrative au moment où l’internement des requérants fut ordonné, qu’il existait donc à ce moment une possibilité de renversement de la jurisprudence Vleminckx et que, dès lors, les requérants ne pouvaient se dispenser de tenter semblable recours.
62. La Cour ne peut se rallier à cette manière de voir. Elle constate - sans qu’il soit même besoin d’examiner à cet endroit si un recours au Conseil d’État eût été de nature à parer aux griefs – que suivant l’opinio communis existant en Belgique jusqu’au 7 juin 1967, un recours au Conseil d’État contre les ordonnances du juge de paix passait pour irrecevable.
Telle fut la thèse défendue devant le Conseil d’État, dans l’affaire Du Bois, par le Gouvernement lui-même. On ne peut reprocher aux requérants d’avoir adopté, en 1965 et 1966, une conduite conforme à l’opinion que l’agent du Gouvernement exprimait encore au début de 1967 dans les débats devant la Commission sur la recevabilité et qui prévalait à l’époque en Belgique.
En outre, une fois connu l’arrêt Du Bois du 7 juin 1967, les requérants n’ont pas eu l’occasion de profiter de la possibilité de recours qu’il semblait ouvrir, car bien avant son prononcé le délai de soixante jours prévu à l’article 4 de l’arrêté du Régent du 23 août 1948, déterminant la procédure devant la section d’administration du Conseil d’État, était arrivé à expiration.
La Cour estime en conséquence qu’en ce qui concerne les griefs relatifs aux ordonnances d’internement, le moyen tiré par le Gouvernement d’une inobservation de la règle de l’épuisement des voies de recours internes n’est pas fondé.
II. SUR LE FOND
63. Sur le fond des présentes affaires, Gouvernement et Commission ont repris en substance, à l’occasion des débats oraux, les conclusions qui figuraient dans leurs mémoires respectifs.
Le Gouvernement a demandé à la Cour:
"de dire que les décisions et mesures faisant l’objet des requêtes introduites contre la Belgique par Jacques De Wilde le 17 juin 1966, par Franz Ooms le 20 mai 1966 et par Edgard Versyp le 16 août 1966, ne sont pas en opposition avec les obligations résultant pour la Belgique de la Convention européenne des Droits de l’Homme."
De son côté, la Commission a prié la Cour "de décider:
1) si la compétence exercée par le juge de paix, en décidant de mettre les requérants à la disposition du gouvernement du chef de vagabondage, est de nature ou non à remplir les conditions prévues dans la Convention et notamment en son article 5 par. 4 (art. 5-4);
2) si la Convention et notamment l’article 5 par. 4 (art. 5-4) ont été violés ou non par le fait que les requérants n’ont pas eu à leur disposition un recours devant un tribunal qui, à des intervalles raisonnables, après la décision initiale sur la détention, aurait pu examiner si les conditions de légalité de la détention étaient toujours réunies et ordonner la libération du détenu si tel n’était plus le cas;
3) si la Convention et notamment l’article 7, ainsi que l’article 6 paras. 1 et 3 b) et c) (art. 7, art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c), ont été violés ou non par le fait que les mesures de correction prises à l’égard des vagabonds en vertu de la législation belge revêtiraient, en fait, un caractère pénal;
4) si la Convention et notamment l’article 4 (art. 4) ont été violés ou non par le fait que les requérants ont été astreints à du travail forcé pendant une détention qui ne satisferait pas aux conditions prévues à l’article 5 (art. 5);
5) si la Convention et notamment l’article 8 (art. 8) ont été violés ou non par le fait que la correspondance des requérants a été soumise à la censure pendant leur détention."
Il ressort du dossier que des questions de fond se posent aussi en l’espèce sur le terrain des paragraphes 1 et 3 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-3), de l’article 3 et de l’article 13 (art. 3, art. 13).
A. Sur l’"observation générale et préliminaire" du gouvernement
64. Dans ses mémoires et plaidoiries, le Gouvernement a rappelé que la Cour a pour tâche de statuer sur trois cas concrets d’application de la législation litigieuse, et non sur un problème abstrait touchant à la compatibilité de cette législation avec la Convention; il s’est appuyé, à cet égard, sur l’arrêt De Becker du 27 mars 1962 (série A, p. 26 in fine). Partant de là, il a souligné que les requérants s’étaient présentés de leur plein gré à la police et que leur admission à Wortel et Merxplas avait "résulté d’une demande explicite ou implicite de leur part, explicite pour Versyp et pour Ooms, implicite pour De Wilde". Selon lui, pareille "constitution volontaire" ne peut guère passer pour une "privation de liberté", au sens de l’article 5 (art. 5). Il en a conclu que la Cour devait écarter d’emblée l’hypothèse d’un manquement aux exigences de la Convention, tant "pour l’internement lui-même" que "pour les conditions de celui-ci".
65. Cette argumentation ne convainc pas la Cour.
Le fait de se présenter à la police en vue d’un internement peut être inspiré par la détresse ou une misère passagère. Il n’implique pas nécessairement que le solliciteur se trouve en état de vagabondage, moins encore qu’il soit un mendiant professionnel ou que son état de vagabondage résulte de l’une des circonstances - fainéantise, ivrognerie ou dérèglement de moeurs - qui, suivant l’article 13 de la loi de 1891, peuvent entraîner une mesure d’internement plus sévère.
Dans la mesure où elle a joué un rôle, la volonté des intéressés ne saurait d’ailleurs effacer ni masquer le caractère impératif, et non "contractuel", des décisions incriminées, qui ressort sans ambiguïté des textes légaux (articles 8, 13, 15, 16 et 18 de la loi de 1891) et des pièces du dossier.
Enfin et surtout, le droit à la liberté revêt une trop grande importance dans une "société démocratique", au sens de la Convention, pour qu’une personne perde le bénéfice de la protection de celle-ci du seul fait qu’elle se constitue prisonnière. Une détention pourrait enfreindre l’article 5 (art. 5) quand bien même l’individu dont il s’agit l’aurait acceptée. Dans une matière qui relève de l’ordre public au sein du Conseil de l’Europe, un contrôle scrupuleux, de la part des organes de la Convention, de toute mesure pouvant porter atteinte aux droits et libertés garantis, est commandé dans tous les cas. L’article 12 de la loi de 1891 reconnaît du reste la nécessité d’un tel contrôle à l’échelle nationale: il oblige la justice de paix à vérifier "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de quiconque est traduit devant elle "du chef de vagabondage". La "constitution volontaire" des requérants ne dispense pas davantage la Cour de rechercher s’il y a eu ou non violation de la Convention.
B. Sur la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1)
66. Il ressort du dossier que les requérants ont invoqué, entre autres, le premier paragraphe de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention; le Gouvernement a combattu leur thèse que la Commission a rejetée dans son rapport.
Pour autant qu’il s’applique en l’espèce, l’article 5 par. 1 (art. 5-1) est ainsi libellé:
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
e) s’il s’agit de la détention régulière (...) d’un vagabond;
67. Les requérants ont été privés de leur liberté à titre provisoire par le commissaire de police auquel ils s’étaient présentés, puis traduits par lui dans les vingt-quatre heures, conformément à l’article 3 de la loi du 1er mai 1849, devant le juge de paix qui les a mis à la disposition du gouvernement (cf. les paragraphes 16, 17, 23, 24, 28 et 29 ci-dessus).
La régularité des actes des commissaires de police n’a pas été contestée; les intéressés se présentant spontanément et faisant état de leur qualité de vagabond, il était normal qu’ils fussent déférés au juge de paix pour qu’il statuât. Ces actes au surplus revêtaient un caractère purement préparatoire.
C’est en vertu des ordonnances des juges de paix que l’internement a eu lieu. C’est donc en fonction desdites ordonnances qu’il faut apprécier la régularité de la détention des trois requérants.
68. La Convention ne contient pas de définition du terme "vagabond". La définition qui figure à l’article 347 du Code pénal belge est ainsi libellée: "Les vagabonds sont ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier ni profession". Si ces trois circonstances se trouvent réunies, elles peuvent conduire les autorités compétentes à mettre les intéressés à la disposition du gouvernement à titre de vagabonds. La définition précitée ne paraît nullement inconciliable avec l’acception usuelle du mot "vagabond", et la Cour estime qu’une personne qui est un vagabond au sens de l’article 347 du Code tombe, en principe, sous le coup de l’exception prévue à l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention.
Or, en l’espèce, l’absence de domicile certain et de moyens de subsistance résultait non seulement de l’initiative des intéressés, qui s’étaient présentés à la police, mais des déclarations faites par eux à l’époque: ils affirmèrent tous les trois être sans emploi (cf. les paragraphes 16, 23 et 28 ci-dessus). Quant au caractère habituel de cette inactivité, les juges de paix de Charleroi, Namur et Bruxelles ont pu le déduire des renseignements dont chacun d’eux disposait au sujet du requérant traduit devant lui. En outre, ledit caractère semble confirmé par la circonstance que les trois intéressés, bien que se disant travailleurs, paraissent n’avoir pu justifier du minimum de journées de travail, fournies au cours d’une période déterminée, qui d’après l’arrêté royal du 20 décembre 1963 (articles 118 et suivants) leur eût permis de prétendre au bénéfice d’allocations de chômage.
69. Ayant ainsi la qualité de "vagabond", les requérants pouvaient, selon l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention, faire l’objet d’une détention pourvu qu’elle fût ordonnée par les autorités compétentes et conformément à la procédure légale belge.
La Cour constate à cet égard que les intéressés n’ont pas subi le même sort: De Wilde a été mis à la disposition du gouvernement le 19 avril 1966 pour deux ans, mais relaxé le 16 novembre 1966; Ooms a été mis à la disposition du gouvernement le 21 décembre 1965 pour une durée indéterminée et a recouvré sa liberté après un an, soit à l’expiration du terme légal; Versyp a été mis à la disposition du gouvernement le 4 novembre 1965 pour deux ans, puis élargi le 10 août 1967 après un an, neuf mois et six jours (cf. les paragraphes 17, 20, 24, 26, 29 et 31 ci-dessus).
Ainsi que la Cour l’a déjà noté, la mise à la disposition du gouvernement pour une durée déterminée ne se distingue pas seulement de celle pour une durée indéterminée par le fait que la première doit être prononcée pour un minimum de deux ans (article 13 de la loi de 1891) alors que la seconde ne peut se prolonger au-delà d’un an (articles 16 et 18): la première est aussi plus rigoureuse en ce qu’elle s’inscrit au casier judiciaire (cf. le paragraphe 36 ci-dessus), ainsi qu’en ce qui concerne les incapacités électorales (cf. le paragraphe 158 du rapport de la Commission).
En l’espèce, les ordonnances relatives à De Wilde et Versyp n’indiquent pas laquelle des quatre circonstances mentionnées à l’article 13 aurait amené les juges à appliquer cet article plutôt que l’article 16, mais elles se réfèrent au dossier administratif des intéressés. Or, celui de Jacques De Wilde contenait un bulletin de renseignements daté du 19 avril 1966, jour de la comparution devant le juge de paix de Charleroi, et qui énumérait diverses condamnations et mises à la disposition du gouvernement prononcées contre le requérant (cf. le paragraphe 16 ci-dessus). En outre, le Tribunal de police de Bruxelles avait connaissance, au moment où Versyp a été traduit devant lui, d’un document de l’office de réadaptation sociale attribuant son état de vagabondage à sa fainéantise et à son penchant pour la boisson (cf. le paragraphe 28 ci-dessus).
70. La Cour ne constate donc ni illégalité ni arbitraire dans le cas de la mise des trois requérants à la disposition du gouvernement, et elle n’a aucune raison de considérer comme incompatible avec l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention la détention qui en est résultée.
C. Sur la violation alléguée du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3)
71. Devant la Commission, les requérants ont également allégué la violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3), aux termes duquel:
"Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) (...), doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure (...)."
Le paragraphe 1 c) de l’article 5 (art. 5-1-c), auquel se réfère le texte précité, concerne uniquement un individu "arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci". Le vagabondage simple ne constituant pas une infraction en droit belge (cf. le paragraphe 34 ci-dessus), les requérants n’ont pas été arrêtés et détenus en vertu de l’alinéa c) du premier paragraphe de l’article 5 (art. 5-1-c) – ni d’ailleurs de l’alinéa a) (art. 5-1-a) ("après condamnation par un tribunal compétent") -, mais bien de l’alinéa e) (art. 5-1-e). Il faut en conclure, avec la Commission, que le paragraphe 3 (art. 5-3) ne leur était pas applicable.
D. Sur la violation alléguée du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4)
72. Accueillant dans une certaine mesure la thèse des requérants, la Commission a exprimé l’avis que le système litigieux méconnaît l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
Selon le paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4), qui vaut entre autres pour les vagabonds détenus en vertu de l’alinéa e) du paragraphe 1 (art. 5-1-e), "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale".
73. Bien que la Cour n’ait relevé en l’espèce aucune incompatibilité avec le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) (cf. les paragraphes 67 à 70 ci-dessus), cette constatation ne la dispense pas de rechercher à présent s’il y a eu infraction au paragraphe 4 (art. 5-4). Il s’agit en effet de dispositions distinctes, et l’observation de la seconde ne découle pas eo ipso du respect de la première: "toute personne privée de sa liberté", régulièrement ou non, a droit à un contrôle de légalité exercé par un tribunal; une violation peut donc résulter soit d’une détention incompatible avec le paragraphe 1 (art. 5-1), soit de l’absence d’un recours conforme au paragraphe 4 (art. 5-4), soit encore des deux à la fois.
1. Quant aux décisions d’internement
74. La Cour a commencé par rechercher si les conditions dans lesquelles De Wilde, Ooms et Versyp ont comparu devant la justice de paix leur ont assuré le droit d’introduire un recours devant un tribunal pour contester la légalité de leur privation de liberté.
75. C’est en exécution des ordonnances des juges de paix que les requérants ont été internés: leur arrestation par la police constituait un simple acte provisoire et aucun autre organe n’est intervenu dans les trois affaires (cf. le paragraphe 67 ci-dessus).
Une première question surgit par conséquent. L’article 5 par. 4 (art. 5-4) exige-t-il que deux autorités s’occupent des cas régis par lui, à savoir celle qui ordonne la privation de liberté et une seconde qui, ayant le caractère d’un tribunal, examine la légalité de cette mesure à l’initiative de l’intéressé? Suffit-il, au contraire, que la détention soit décidée par un organe qui réunisse les éléments inhérents à la notion de "tribunal", au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4)?
76. De prime abord, le libellé de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) pourrait donner à penser qu’il reconnaît au détenu le droit de faire toujours contrôler par un tribunal la légalité d’une décision antérieure qui l’a privé de sa liberté. Les deux textes officiels ne s’expriment cependant pas dans les mêmes termes, le texte anglais parlant de "proceedings" et non d’"appeal", de "recourse" ou de "remedy" (comp. les articles 13 et 26) (art. 13, art. 26). D’ailleurs, il est clair que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) a pour but d’assurer aux individus arrêtés ou détenus le droit à une vérification juridictionnelle de la légalité de la mesure ainsi prise à leur égard; le mot "tribunal" ("court") y figure au singulier et non au pluriel. Si la décision privative de liberté émane d’un organe administratif, l’article 5 par. 4 (art. 5-4) astreint sans nul doute les États à ouvrir au détenu un recours auprès d’un tribunal, mais rien n’indique qu’il en aille de même quand elle est rendue par un tribunal statuant à l’issue d’une procédure judiciaire. Dans cette dernière hypothèse, le contrôle voulu par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision; tel est le cas, par exemple, d’une "condamnation" à l’emprisonnement prononcée "par un tribunal compétent" (article 5 par. 1 a) de la Convention) (art. 5-1-a). On peut en conclure que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) est respecté si l’arrestation ou la détention d’un vagabond, visées au paragraphe 1 e) (art. 5-1-e), sont ordonnées par un "tribunal" au sens du paragraphe 4 (art. 5-4).
Il ressort cependant du but et de l’objet de l’article 5 (art. 5), ainsi que des propres termes du paragraphe 4 (art. 5-4) ("recours", "proceedings"), que pour constituer un tel "tribunal" un organe doit offrir les garanties fondamentales de procédure appliquées en matière de privation de liberté. Si la procédure de l’organe compétent ne les fournit pas, on ne saurait dispenser l’État de mettre à la disposition de l’intéressé une seconde autorité qui s’entoure, elle, de toutes les garanties d’une procédure judiciaire.
En définitive, la Cour estime que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se contente de l’intervention d’un organe unique, mais à condition que la procédure suivie ait un caractère judiciaire et donne à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit.
77. Dès lors, la Cour a recherché si dans les présentes affaires le juge de paix avait le caractère d’un "tribunal" au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), et notamment si les requérants ont bénéficié auprès de lui des garanties indiquées plus haut.
Du point de vue organique, le juge de paix est sans nul doute un "tribunal"; la Commission l’a relevé du reste. Indépendant du pouvoir exécutif comme des parties en cause, il jouit des garanties que les articles 99 et 100 de la Constitution belge accordent aux juges.
Quant à la tâche dont il s’acquitte dans le domaine considéré, elle consiste à dire pour droit si les conditions légales de la "mise à la disposition du gouvernement" se trouvent réunies dans le chef de la personne amenée devant lui. Par là même, le tribunal de police "statue" nécessairement "sur la légalité" de la détention que le ministère public l’invite à autoriser.
La Commission a souligné toutefois qu’en matière de vagabondage, le juge de paix accomplit une "fonction administrative" et n’exerce donc pas le "contrôle judiciaire" prescrit par l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Cette opinion se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État (cf. le paragraphe 37 ci-dessus). La Commission en a déduit que l’ouverture d’un recours judiciaire s’imposait.
78. A la vérité, la Convention emploie le mot "tribunal" dans plusieurs de ses articles. Elle s’en sert pour désigner l’un des éléments constitutifs de la garantie accordée à l’individu par la disposition en cause (cf., outre l’article 5 par. 4, les articles 2 par. 1, 5 par. 1, alinéas a) et b), et 6 par. 1) (art. 5-4, art. 2-1, art. 5-1-a, art. 5-1-b, art. 6-1). Il s’agit toujours, dans ces cas divers, d’organes présentant non seulement des traits fondamentaux communs, au premier rang desquels se place l’indépendance par rapport à l’exécutif et aux parties (cf. l’arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A, p. 44, par. 24), mais encore les garanties d’une procédure judiciaire. Les modalités de la procédure voulue par la Convention ne doivent cependant pas nécessairement être identiques dans chacun des cas où celle-ci requiert l’intervention d’un tribunal. Pour trancher la question de savoir si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule. Ainsi, la Cour a estimé dans l’affaire Neumeister que les juridictions compétentes demeuraient des "tribunaux" malgré l’absence d’"égalité des armes" entre le ministère public et une personne qui réclamait sa mise en liberté provisoire (ibidem); il pourrait, néanmoins, ne pas en aller de même dans un contexte différent, et par exemple dans une autre hypothèse régie elle aussi par l’article 5 par. 4 (art. 5-4).
79. Il incombe donc à la Cour de déterminer si la procédure suivie devant les Tribunaux de police de Charleroi, de Namur et de Bruxelles répondait aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), telles qu’elles se dégagent de l’interprétation adoptée ci-dessus. La privation de liberté dont se plaignent De Wilde, Ooms et Versyp ressemble à celle infligée par une juridiction pénale. Partant, la procédure applicable ne devait pas leur fournir des garanties sensiblement inférieures à celles qui existent en matière pénale dans les États membres du Conseil de l’Europe.
D’après la législation belge, tout individu trouvé en état de vagabondage est arrêté puis traduit - en principe dans les vingt-quatre heures - devant le tribunal de police (article 8 de la loi de 1891 et article 3 de la loi du ler mai 1849). En ce qui concerne l’interrogatoire de pareil individu, la loi de 1891 se borne à préciser en son article 12 que le juge de paix vérifie l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie de la personne amenée devant lui. Quant aux droits de la défense, la seule disposition pertinente figure à l’article 3 de la loi du 1er mai 1849, d’après lequel un délai de trois jours est accordé à l’intéressé s’il le demande. Selon les renseignements fournis par le Gouvernement, le Code d’instruction criminelle ne s’applique pas à l’internement des vagabonds.
La procédure dont il s’agit se ressent du caractère administratif de la décision à rendre. Elle n’assure pas des garanties comparables à celles qui valent pour les détentions en matière pénale, alors pourtant que l’internement des vagabonds se rapproche d’une telle détention par bien des côtés. On comprend mal que les personnes arrêtées pour vagabondage simple doivent se contenter d’une procédure aussi sommaire: les individus passibles de peines plus courtes que la mesure prévue à l’article 13, et même à l’article 16, de la loi de 1891 - y compris ceux qui sont poursuivis pour infraction aux articles 342 à 344 du Code pénal (vagabondage qualifié) - bénéficient, eux, des larges garanties du Code d’instruction criminelle. Sans doute ladite procédure présente-t-elle certains aspects judiciaires, comme la publicité de l’interrogatoire et du prononcé, mais ils ne suffisent pas à donner au juge de paix le caractère d’un "tribunal", au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), si l’on tient dûment compte de la gravité de l’enjeu, à savoir une longue privation de liberté assortie de diverses conséquences déshonorantes. Partant, elle ne répond point par elle-même aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), et c’est à bon droit que la Commission a estimé qu’une voie de recours aurait dû s’ouvrir aux requérants. Or, la Cour a déjà relevé que De Wilde, Ooms et Versyp n’ont eu accès ni à une juridiction judiciaire supérieure ni, au moins en pratique, au Conseil d’Etat (cf. les paragraphes 37 et 62 ci-dessus).
80. La Cour arrive donc à la conclusion qu’il y a eu, sur le point dont il s’agit ici, violation du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4) en ce que les trois requérants n’ont pas bénéficié des garanties prescrites par ce paragraphe.
2. Quant au rejet des demandes de libération adressées par les requérants aux autorités administratives
81. Selon les requérants, il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en raison non seulement des conditions dans lesquelles le juge de paix a ordonné leur internement, mais aussi du rejet de leurs demandes de mise en liberté.
82. La Cour relève que les requérants auraient pu sans conteste saisir le Conseil d’État, et que ce recours eût été adéquat, si le ministre de la justice avait méconnu la loi de 1891 en repoussant leurs demandes d’élargissement. Aucun d’entre eux ne prétend cependant s’être trouvé dans l’un des cas où ladite loi exige que l’internement prenne fin. De fait, De Wilde et Versyp ont recouvré leur liberté avant l’échéance du terme de deux ans fixé par le juge de paix (article 13 de la loi de 1891; paragraphes 17, 20, 29, 31 in fine et 40 ci-dessus), Ooms à l’expiration du délai légal d’un an et sans avoir constitué antérieurement sa masse de sortie (articles 16, 17 et 18, premier alinéa, de la loi de 1891; paragraphes 24, 26 in fine et 40 ci-dessus).
Les requérants auraient pu aussi soutenir devant le Conseil d’État - comme ils l’ont fait, du reste sans grande précision, devant la Commission (cf. le paragraphe 48 du rapport) - que leur détention avait en tout cas enfreint l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention, notamment parce qu’ils auraient perdu la qualité de vagabond par suite de circonstances nouvelles: l’article 5 (art. 5) est directement applicable en droit belge, en sorte que sa violation aurait pu être dénoncée au Conseil d’État, et rien ne permet d’affirmer a priori que celui-ci n’aurait pas statué à bref délai.
83. En tant, par contre, que les demandes tendaient à voir le ministre de la justice user du pouvoir que la loi de 1891 (articles 15 et 18) lui reconnaît de décider discrétionnairement, à la lumière des circonstances signalées par l’intéressé ou des autres informations recueillies à son sujet, s’il y a lieu d’élargir un vagabond avant le terme fixé par la loi ou par le juge de paix, la suite qui y fut donnée sort entièrement du champ d’application de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Ce dernier texte n’exige en effet qu’un contrôle de la légalité de la mise ou du maintien en détention.
84. La Cour ne constate donc aucune violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) sur le point considéré.
E. Sur la violation alléguée des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7)
85. Commission et Gouvernement concluent à l’inapplicabilité des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7), invoqués par les requérants.
86. La Cour est arrivée à la conclusion que les requérants n’ont pas bénéficié, lors de leur comparution devant la justice de paix, d’un traitement conforme aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (cf. les paragraphes 74 à 80 ci-dessus). Cette conclusion rend superflu l’examen du point de savoir si l’article 6 (art. 6) s’appliquait en l’espèce et, dans l’affirmative, s’il a été respecté.
87. Quant à l’article 7 (art. 7), il n’entre manifestement pas en ligne de compte. Le vagabondage simple ne constitue pas une "infraction" en droit belge et la justice de paix n’a "condamné" les requérants à aucune "peine" (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A, p. 54, par. 19).
F. Sur la violation alléguée de l’article 4 (art. 4)
88. Aux termes de l’article 4 (art. 4) de la Convention,
"1. (...)
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.
3. N’est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire au sens du présent article:
a) tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 (art. 5) (...);
Selon la Commission, le travail auquel les requérants ont été astreints ne se justifiait pas au regard de l’article 4 (art. 4) puisqu’il y a eu, d’après elle, infraction au paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4).
89. La Cour a elle aussi relevé en l’espèce une atteinte aux droits garantis par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (cf. les paragraphes 74 à 80 ci-dessus), mais elle ne croit pas devoir en déduire une méconnaissance de l’article 4 (art. 4). Elle considère en effet que le paragraphe 3 a) de l’article 4 (art. 4-3-a) autorise le travail requis normalement des personnes privées de leur liberté en vertu de l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e). Or, elle a constaté, sur la base des éléments en sa possession, que nulle violation de ce dernier texte n’a été établie en ce qui concerne De Wilde, Ooms et Versyp (cf. les paragraphes 67 à 70 ci-dessus).
90. En outre, l’obligation de travailler imposée aux trois intéressés n’a pas excédé les limites de la "normale", au sens de l’article 4 par. 3 a) (art. 4-3-a) de la Convention, car elle tendait à leur reclassement et se fondait sur un texte général, l’article 6 de la loi de 1891, dont plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe possèdent l’équivalent (cf. le paragraphe 38 ci-dessus et les annexes IV et V du rapport de la Commission).
Les autorités belges n’ont donc pas manqué aux exigences de l’article 4 (art. 4).
G. Sur la violation alléguée de l’article 8 (art. 8)
91. Durant leur internement, les requérants ont subi un certain contrôle de leur correspondance. La Commission l’estime contraire à l’article 8 (art. 8): d’une part, la violation de ce texte découlerait de l’inobservation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4); d’autre part, même en l’absence de pareille inobservation le simple internement pour vagabondage n’aurait pu entraîner les restrictions à la liberté de correspondance admissibles en matière pénale.
92. Quant au premier argument, la Cour rappelle, mutatis mutandis, le raisonnement figurant au paragraphe 89 ci-dessus, relatif au travail obligatoire.
93. Quant au deuxième argument, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 8 (art. 8) de la Convention,
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."
La Cour constate que le contrôle litigieux, qui s’analysait indéniablement en une "ingérence d’une autorité publique dans l’exercice (du) droit" consacré par le paragraphe 1 de l’article 8 (art. 8-1), était au sens du paragraphe 2 (art. 8-2) "prévu par la loi", à savoir les articles 20 à 23 de l’arrêté royal du 21 mai 1965, combinés avec l’article 95. Elle relève ensuite, à la lumière des renseignements recueillis, que les autorités belges compétentes n’ont pas transgressé en l’espèce les limites du pouvoir d’appréciation que l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention laisse aux États contractants: même dans le cas d’individus internés pour vagabondage, elles ont pu avoir des raisons plausibles de croire à la "nécessité" de restrictions destinées notamment à défendre l’ordre, à prévenir les infractions pénales, à protéger la santé ou la morale et à préserver les droits et libertés d’autrui. Ces restrictions ne jouaient du reste pas dans une longue série de cas énumérés à l’article 24 de l’arrêté royal du 21 mai 1965, ni pour la correspondance des intéressés avec la Commission (cf. le paragraphe 39 ci-dessus). Enfin, rien n’indique qu’il y ait eu discrimination ou détournement de pouvoir au détriment des requérants (articles 14 et 18 de la Convention) (art. 14, art. 18).
H. Sur la violation alléguée de l’article 3 (art. 3)
94. De Wilde et Versyp se sont plaints de sanctions disciplinaires que leur refus de travailler leur avait attirées, mais la Commission ne les a pas estimées contraires à l’article 3 (art. 3).
Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour n’aperçoit non plus, même d’office, aucune trace de violation de ce texte.
I. Sur la violation alléguée de l’article 13 (art. 13)
95. Les requérants ont invoqué l’article 13 (art. 13) de la Convention: ils n’auraient pas disposé "d’un recours effectif devant une instance nationale" pour obtenir la protection des droits garantis par les articles 5, 3, 4, 6, 7 et 8 (art. 5, art. 3, art. 4, art. 6, art. 7, art. 8).
La Cour a déjà jugé que les requérants n’ont pas bénéficié d’un traitement conforme aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (cf. les paragraphes 74 à 80 ci-dessus); dans cette mesure, elle ne croit pas devoir rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13).
Quant aux autres griefs des intéressés, la Cour se borne à relever que les articles 3 à 8 (art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8) de la Convention sont directement applicables en droit belge. Si donc les requérants considéraient que les décisions administratives litigieuses portaient atteinte aux droits consacrés par ces articles, ils auraient pu les déférer au Conseil d’État.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
I. SUR LES QUESTIONS DE COMPÉTENCE ET DE RECEVABILITÉ SOULEVÉES EN L’ESPÈCE
1. Dit, par douze voix contre quatre, qu’elle a compétence pour connaître des questions de non-épuisement des voies de recours internes et de tardiveté soulevées en l’espèce;
2. Dit, à l’unanimité, que le Gouvernement n’est pas forclos à se prévaloir de la règle de l’épuisement des voies de recours internes quant aux ordonnances des juges de paix de Charleroi, de Namur et de Bruxelles;
3. Dit, à l’unanimité, que le Gouvernement est forclos à se prévaloir de la tardiveté de la requête d’Edgard Versyp;
4. Dit, à l’unanimité, que le Gouvernement est forclos à se prévaloir de la règle de l’épuisement des voies de recours internes quant aux décisions du ministre de la justice rejetant les demandes d’élargissement des trois requérants;
5. Déclare non fondé, à l’unanimité, le moyen de non-épuisement des voies de recours internes opposé par le Gouvernement aux griefs relatifs aux ordonnances d’internement;
6. Constate en conséquence, à l’unanimité, qu’elle a compétence pour se prononcer sur le fond des présentes affaires;
II. SUR LE FOND
1. Dit, à l’unanimité, que la "constitution volontaire" des requérants ne suffit pas à établir l’absence de violation de la Convention;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1);
3. Dit, à l’unanimité, que l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne s’applique pas en l’espèce;
4. Dit, par neuf voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en ce que les requérants n’ont pas disposé d’un recours auprès d’un tribunal contre les décisions ordonnant leur internement;
5. Dit, par quinze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) quant au rejet des demandes de libération adressées par les requérants aux autorités administratives;
6. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la violation alléguée de l’article 6 (art. 6);
7. Dit, à l’unanimité, que l’article 7 (art. 7) ne s’applique pas en l’espèce;
8. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 (art. 4);
9. Dit, par quinze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8);
10. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3);
11. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la violation alléguée de l’article 13 (art. 13) en ce qui concerne le point visé sous II-4 ci-dessus;
12. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) quant aux autres griefs des requérants;
13. Réserve le droit éventuel, pour les intéressés, de demander une satisfaction équitable sur le point visé sous II-4 ci-dessus.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le dix-huit juin mil neuf cent soixante et onze.
Sir Humphrey WALDOCK
Président
M.-A. EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément à l’article 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et à l’article 50 par. 2 du Règlement de la Cour, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion de MM. les Juges Ross et Sigurjónsson;
- opinion de M. le Juge Bilge;
- opinion de M. le Juge Wold;
- opinion de M. le Juge Zekia;
- opinion de MM. les Juges Balladore Pallieri et Verdross;
- opinion de MM. les Juges Holmbäck, Rodenbourg, Ross, Favre et Bilge.
H.W.
M.-A.E.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES ROSS ET SIGURJÓNSSON
D’après l’article 26 (art. 26) de la Convention, la Commission ne peut être saisie de la requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (article 25) (art. 25) qu’après l’épuisement des voies de recours internes.
D’après l’article 27 par. 3 (art. 27-3), la Commission rejette toute requête qu’elle considère comme irrecevable par application de l’article 26 (art. 26).
D’après l’article 28 (art. 28), dans le cas où la Commission retient la requête, elle procède à un examen contradictoire de la requête afin d’établir les faits et se met à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspire du respect des Droits de l’Homme.
D’après l’article 31 (art. 31), si une solution n’a pu intervenir, la Commission rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention et transmet ce rapport au Comité des Ministres.
D’après l’article 32 (art. 32), si dans un délai de trois mois à dater de la transmission au Comité des Ministres du rapport de la Commission, l’affaire n’est pas déférée à la Cour par application de l’article 48 (art. 48), le Comité des Ministres, par un vote à la majorité des deux tiers, prend une décision sur la questions de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention.
D’après l’article 45 (art. 45), "La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la présente Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront dans les conditions prévues par l’article 48 (art. 48)."
Le terme "affaire" signifie les faits constatés par la Commission dans son rapport. Une "affaire" n’existe pas avant que le rapport de la Commission soit transmis au Comité des Ministres. La Commission, dans son rapport qui est transmis au Comité des Ministres, constate les faits et formule un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention. Le Comité des Ministres, si l’affaire n’est pas déférée à la Cour par application de l’article 48 (art. 48), prend une décision sur la question de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention.
Si "l’affaire" est déférée à la Cour, sa compétence consiste à interpréter et à appliquer la Convention à toutes les "affaires", c’est-à-dire à tous les faits constatés par la Commission dans son rapport, et à rendre un arrêt définitif (article 52) (art. 52) sur le point (sur la question) de savoir si ces faits révèlent une violation, de la part de l’État intéressé, des obligations (engagements: article 19) (art. 19) qui lui incombent aux termes de la Convention. Un arrêt définitif ne se conçoit que s’il porte sur le fond de "l’affaire", c’est-à-dire sur les faits constatés par la Commission s’ils révèlent une violation de la Convention.
La recevabilité ou irrecevabilité de la requête est une question préliminaire (procédurale) qui est confiée à la "compétence" de la Commission (article 25 par. 4) (art. 25-4). Au contraire, la question de savoir si les faits constatés dans le rapport de la Commission révèlent une violation, de la part d’un État intéressé, des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention, appartient à la compétence de la Cour, et si l’affaire n’est pas déférée à la Cour elle appartient à la compétence du Comité des Ministres.
La question de la recevabilité ou de l’irrecevabilité de la requête au point de vue de la pure logique est une et indivisible. La Commission est compétente ou elle n’est pas compétente. Il serait illogique qu’elle soit exclusivement compétente quand elle rejette la requête mais pas exclusivement compétente quand elle retient la requête, en sorte que la compétence de la Cour (éventuellement du Comité des Ministres si l’affaire n’est pas déférée à la Cour) s’étend aussi à la question préliminaire (procédurale) de savoir si la Commission, en retenant la requête, a correctement ou faussement interprété et appliqué l’article 27 (art. 27) de la Convention.
En vertu du Protocole no 3 à la Convention (P3), l’article 29 (art. 29) de la Convention est supprimé et dans la Convention a été insérée la disposition suivante:
"Après avoir retenu une requête introduite par application de l’article 25 (art. 25), la Commission peut néanmoins décider à l’unanimité de la rejeter si, en cours d’examen, elle constate l’existence d’un des motifs de non-recevabilité prévus à l’article 27 (art. 27).
En pareil cas, la décision est communiquée aux parties."
En vertu de cette disposition, la Commission peut à tout moment revenir sur la question préliminaire (procédurale) de la recevabilité ou non de la requête retenue, et rejeter la requête, par une décision unanime, si la Commission constate l’existence d’un des motifs de non-recevabilité prévus à l’article 27 (art. 27).
Le pouvoir de la Commission de reprendre à tout moment l’examen de la recevabilité prouve que sa compétence sur ce point est exclusive et que, s’il n’existe pas une décision unanime de rejeter une requête retenue, la Cour n’a aucune compétence d’entrer dans l’examen de cette question préliminaire. Ainsi se réalise une économie de temps et en même temps reste intact le prestige de la Cour, débarassée des questions qui ne portent pas sur les faits constatés au rapport de la Commission.
Les Parties contractantes ont inséré l’article 26 (art. 26) pour faire déclarer solennellement que la Convention ne s’éloigne pas du principe généralement reconnu qu’une instance internationale n’est accessible qu’après l’épuisement des voies de recours internes.
On s’attendrait à ce que la sanction soit mise au même article 26 (art. 26). On s’attendrait même à ne voir rien dire. Au contraire, la sanction a été mise à l’article 27 (art. 27) comme une cause, parmi les autres, d’irrecevabilité. La formule "la Commission rejette" a le même sens que la formule "la Commission estime, la Commission considère".
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE BILGE
Je ne partage pas l’opinion exprimée dans l’arrêt en ce qui concerne la compétence de la Cour pour connaître des moyens de non-épuisement des voies de recours internes. Dans ses paragraphes 47 à 49, l’arrêt, se reportant à l’article 45 (art. 45), donne à la compétence de la Cour une ampleur qui ne correspond ni aux textes, ni au but et à l’objet de la Convention.
Il est vrai que d’après l’article 45 (art. 45), "la compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la présente Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront, dans les conditions prévues par l’article 48 (art. 48)", mais la Cour a interprété ce texte extensivement. Un des trois éléments de la base de la compétence de la Cour prévus dans cet article est le mot "affaires". S’appuyant sur la version anglaise du paragraphe 1 de l’article 46 (art. 46-1), la Cour interprète ce mot dans le sens de "all matters". Or en interprétant un texte authentifié en deux langues, on ne peut, à mon avis, donner la préférence à une langue: on doit rechercher le sens qui concilie le mieux les deux textes, compte tenu du but et de l’objet de la Convention. Dans les différents articles de la Convention, la version française utilise constamment le mot "affaire" tandis que la version anglaise exprime la même notion par les mots "question", "cases" et "matters". La version anglaise n’est pas, de ce point de vue, un texte ayant une expression constante sur laquelle on puisse se baser. Le texte de l’article 45 (art. 45) ne fournit pas d’indices sûrs pour éclairer le sens du mot "affaires". Pour concilier les mots cités et trouver un sens commun, il faut donc aller à la source de la compétence de la Cour. D’après les articles 31 et 32 (art. 31, art. 32), ce qui est déféré comme affaire, par la Commission, au Comité des Ministres ou à la Cour, est la question de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention. Le mot "affaire" doit donc être interprété dans ce sens.
Ce sens du mot "affaire" est confirmé aussi par l’économie de la Convention. Par son article 19 (art. 19), la Convention a institué deux organes, la Commission et la Cour, afin d’assurer le respect des Droits de l’Homme. Dans ce but, la Commission et la Cour ont des compétences délimitées. La compétence de retenir une requête et d’en vérifier la recevabilité est du domaine de la Commission. La compétence d’établir s’il y a une violation de la Convention est du domaine de la Cour. C’est dans ce domaine que la Cour jouit de la plénitude de juridiction.
Le but de la Convention est d’assurer le respect des Droits de l’Homme. Pour atteindre ce but, la Cour doit statuer le plus vite possible sans laisser traîner déraisonnablement l’affaire. Par une interprétation extensive de l’article 45 (art. 45), l’arrêt a institué le contrôle de la Cour sur les décisions de recevabilité de la Commission. Dans les affaires où la Cour constaterait, généralement quatre ou cinq ans après la recevabilité des requêtes, l’inobservation de l’article 26 (art. 26), il en résulterait une énorme perte de temps et d’efforts. S’il y a une compétence de contrôle sur les décisions de recevabilité, elle doit être exercée au premier stade de l’affaire. Un tel contrôle n’est pas prévu par la Convention, parce qu’il est laissé à la compétence de la Commission.
Je suis d’accord avec l’arrêt quand il affirme, au paragraphe 50, que "la règle de l’épuisement des voies de recours, qui dispense les États de répondre de leurs actes devant un organe international avant d’avoir eu l’occasion d’y remédier dans leur ordre juridique interne, compte d’ailleurs parmi les principes de droit international généralement reconnus, auxquels l’article 26 (art. 26) renvoie expressément". Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’arrêt pour en déduire une compétence de contrôle pour la Cour. En effet, la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’occupe pas de l’organisation interne d’une juridiction internationale donnée. Comme il est dit plus haut, la Convention a établi deux organes pour assurer le respect des Droits de l’Homme. Le but visé par la règle en question est atteint si elle est observée par un de ces organes et surtout par l’organe chargé de vérifier le respect des conditions de recevabilité. Il en est d’autant plus ainsi que d’après le paragraphe 3 de l’article 27 (art. 27-3), la condition de l’épuisement des voies de recours internes est une question préliminaire concernant essentiellement la recevabilité de la requête. Il appartient à la Commission de décider si cette condition se trouve remplie. Si la question de l’épuisement des voies de recours internes est soulevée devant la Commission et que celle-ci ait statué sur la question, l’exigence de la règle en question est tout à fait satisfaite du point de vue du droit international.
En outre, l’arrêt affirme au paragraphe 51 que "La tâche que cet article (27) (art. 27) assigne à la Commission est une tâche de filtrage: la Commission retient les requêtes ou ne les retient pas. Ses décisions de rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable sont sans recours, comme le sont du reste aussi celles par lesquelles elle retient une requête; elles sont prises en toute indépendance". L’arrêt ajoute cependant que la décision de la Commission de retenir une affaire "ne lie pas la Cour, pas plus que ne la lie l’avis formulé par la Commission". Je ne puis suivre ce raisonnement. Tout d’abord, la décision de recevabilité rendue par la Commission et l’avis formulé par celle-ci sur le fond sont de nature différente. Un avis, de par sa nature même, ne lie personne. On n’a pas besoin de le citer avec la décision de recevabilité pour en tirer argument contre celle-ci.
D’après les articles 25 et 27 (art. 25, art. 27), la décision sur la recevabilité d’une requête est une compétence attribuée à la Commission. En exerçant cette compétence, la Commission vérifie le respect des conditions de recevabilité. Dans cette vérification, elle prend en considération la condition prescrite par l’article 26 (art. 26). Cet article s’adresse, comme son texte même en témoigne, à la Commission et non à la Cour. Il relève du domaine de la Commission. D’autre part, il n’est pas raisonnable de déclarer que la décision de rejet lie la Cour, tandis que celle de recevabilité ne la lie pas, car on ne peut séparer deux aspects de la même compétence. En adoptant une autre solution, l’arrêt a ouvert une voie qui, à mon sens, n’est pas conforme aux principes de la bonne administration de la justice.
Par les motifs indiqués ci-dessus, je pense que la Cour n’a pas compétence pour connaître des moyens de non-épuisement des voies de recours internes.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE WOLD
(Traduction)
Sur la compétence
Je suis arrivé à la conclusion que la Cour n’a pas compétence en matière de recevabilité. En ce qui concerne les requêtes individuelles, la Commission accomplit une tâche de criblage et de filtrage. On redoutait un afflux excessif de requêtes dépourvues de fondement. Il était nécessaire de procéder tôt à un tri des requêtes dont les organes européens de contrôle auraient à connaître. Les travaux préparatoires montrent que les diverses conditions de recevabilité - épuisement des voies de recours internes, compatibilité avec les dispositions de la Convention et absence de défaut manifeste de fondement - répondent à un même souci: empêcher un flot de requêtes. En matière de recevabilité, et notamment d’épuisement des voies de recours internes, on a confié à la Commission une responsabilité exclusive. Les États membres semblaient pleinement convaincus que cette fonction devait incomber à la Commission et à elle seule.
La Cour n’est pas une juridiction d’appel par rapport à la Commission. Aux termes de l’article 19 (art. 19), cette dernière assure le respect des engagements des États contractants. La Cour a la même obligation, mais la tâche se trouve répartie entre les deux organes. D’après la majorité de la Cour, "la Commission retient les requêtes ou ne les retient pas. Ses décisions de rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable sont sans recours, comme le sont du reste aussi celles par lesquelles elle retient une requête; elles sont prises en toute indépendance." Mais alors, comment la Cour peut-elle, au moyen d’une "interprétation ou application" de l’article 26 (art. 26), casser la décision définitive de la Commission d’après laquelle les voies de recours internes sont épuisées? La majorité affirme que comme la compétence de la Cour s’étend, selon l’article 45 (art. 45), "à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la (...) Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront", "on ne voit pas (...) comment les questions d’interprétation et d’application de l’article 26 (art. 26) (...) échapperaient à sa juridiction". La compétence de la Cour ne porte cependant que sur les affaires dont la saisissent la Commission et les États. Or, la question de l’épuisement des voies de recours internes ne forme point partie de l’affaire, car elle a déjà été définitivement tranchée par la Commission dans l’exercice d’une fonction judiciaire et sans possibilité de recours. L’interprétation et l’application de l’article 26 (art. 26) ne relèvent donc pas de la compétence de la Cour.
La Cour a compétence pour statuer sur sa propre compétence mais non sur celle de la Commission.
Une décision d’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes est une décision judiciaire définitive. La requête de l’individu ne peut aller plus avant. A cet égard, la Commission jouit d’une compétence absolue dont la Cour n’a pas à se mêler, bien que la décision dépende toujours d’une interprétation et d’une application de l’article 26 (art. 26). Or, il en va exactement de même quand la Commission estime une requête recevable par le motif que les voies de recours internes ont été épuisées: là aussi, il s’agit d’une décision judiciaire définitive.
Les États contractants doivent accepter les décisions négatives de la Commission; pourquoi auraient-ils le droit d’en contester les décisions positives? Dans les deux cas, la Commission exerce la même compétence. L’individu doit s’incliner devant une décision d’irrecevabilité. La décision contraire lui permet de compter que les organes européens s’occuperont de ses griefs. Si néanmoins la Cour exerce sa propre compétence en matière de recevabilité et se prononce dans un sens opposé à la décision de la Commission, l’inégalité régnant entre le requérant et l’État dans la procédure de la Cour en sera aggravée, ce qui ne peut que nuire à la cause des Droits de l’Homme. Les dispositions des articles 28 à 31 (art. 28, art. 29, art. 30, art. 31) montrent clairement que, dans l’esprit de la Convention, les États contractants doivent aussi se conformer aux décisions de recevabilité. La Commission donne une suite immédiate à sa décision déclarant que la requête est recevable en tout ou en partie. Il n’existe aucun moyen de soumettre à la censure ou au contrôle d’un autre organe la décision constatant l’épuisement des voies de recours internes. Par conséquent, l’examen ultérieur de la requête par la Commission cadre pleinement avec la Convention: quand la Commission retient une requête (article 28) (art. 28), elle l’examine et, s’il y a lieu, procède à une enquête, afin d’établir les faits; elle essaie d’aboutir à un règlement amiable et, en cas d’échec, rédige un rapport constatant les faits et formulant un avis "sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention". La Commission accomplit un travail consciencieux, astreignant et très considérable, et nous nous trouvons en présence d’un rapport préparé dans des conditions entièrement compatibles avec la Convention. Dès lors la Commission, de même que les États, a d’après l’article 44 (art. 44) "qualité pour se présenter devant la Cour". Quand elle ou un État décident d’user de leur droit de porter une affaire devant la Cour, cette dernière ne peut refuser d’en connaître, ni décider qu’elle n’examinera pas le fond de l’affaire.
Concernant en particulier l’épuisement des voies de recours internes, il faut noter que la recevabilité, sans laquelle on ne peut saisir valablement la Cour, donne lieu à des discussions fréquentes, répétées et approfondies au sein de la Commission. Un État peut aisément renoncer à toute exception relative à l’épuisement. En outre, il lui sera pleinement loisible de remédier à une décision pendant que la Commission examine la requête et que la question de l’épuisement est longuement discutée. Telle est d’ordinaire la situation dans toute affaire dont connaît la Commission. Dès lors, il semblerait déraisonnable qu’un État ait le droit de pousser plus avant ladite question et de la soulever devant la Cour. A cet égard, il ne sert vraiment à rien de dire que la règle de l’épuisement "délimite le domaine dans lequel les États contractants ont consenti à répondre des manquements qui leur sont reprochés devant les organes de la Convention", et que "la Cour doit (en) assurer l’observation (...) aussi bien que le respect des droits et libertés individuels (...)". En matière d’épuisement des voies de recours internes, l’État lui-même a en effet toute latitude pour défendre ses intérêts devant la Commission qui les protège aussi.
L’article 45 (art. 45) et, dans leur texte anglais, les articles 44 et 48 (art. 44, art. 48), parlent des "affaires" ("a case", "cases") déférées à la Cour par la Commission ou par un État. Ainsi que je l’ai relevé plus haut, l’article 45 (art. 45) définit la compétence de la Cour comme s’étendant à toutes les affaires dont la Commission - ou un État - ont saisi la Cour. On peut se demander ce que la Convention entend par affaire. La réponse est simple: l’affaire consiste dans le rapport constatant les faits et dans l’avis de la Commission "sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention" (article 31) (art. 31). C’est à propos de ce rapport que la Cour a compétence pour interpréter et appliquer la Convention. Autrement dit, c’est le fond qu’elle doit apprécier, ni plus ni moins.
Le rapport est transmis au Comité des Ministres (article 31 par. 2) (art. 31-2), lequel statue si l’affaire n’est pas soumise à la Cour. Le Comité des Ministres a compétence pour prendre "une décision sur le point de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention" (article 32 par. 1) (art. 32-1), la Cour pour connaître des "affaires concernant l’interprétation et l’application de la (...) Convention" (article 45) (art. 45). Il n’existe cependant aucune différence réelle entre la compétence du Comité des Ministres et celle de la Cour. On admet en général que le Comité ne s’occupe pas de la recevabilité, mais se borne à trancher la question de savoir s’il y a eu violation. Or, n’est-ce point là précisément la compétence même qu’exerce la Cour? Bien entendu, le Comité doit comme la Cour "interpréter et appliquer" la Convention. Le fait qu’il ne s’occupe pas de la recevabilité corrobore la thèse d’après laquelle la Cour n’a pas non plus cette compétence. Le Comité et la Cour se complètent l’un l’autre. Il n’existe aucune raison de penser que leurs compétences respectives ne soient pas identiques quant à l’épuisement des voies de recours internes.
Enfin, si la Cour assume une compétence en matière de recevabilité, il pourra s’ensuivre que le rapport de la Commission ne sera examiné par aucun organe responsable et qu’il n’y aura pas de décision définitive sur l’existence ou l’absence de violation, alors pourtant que le rapport peut fort bien consigner un avis mûrement réfléchi des membres de la Commission constatant de graves violations de la Convention. Pareil résultat dessert vraiment la cause des Droits de l’Homme et ne semble pas conforme au simple bon sens.
Sur la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1)
A cet égard, je souscris aux conclusions de la Cour. Il me paraît cependant suffisant de marquer mon plein accord avec l’avis formulé par la Commission au sujet du paragraphe 1 e) de l’article 5 (art. 5-1-e) (paragraphe 186 du rapport de la Commission). Il n’appartient ni à la Cour ni à la Commission de décider si une loi nationale a été correctement appliquée: il suffit que la procédure prescrite par le droit interne l’ait été.
Sur la violation alléguée du paragraphe 4 de l’article 5 (art. 5-4)
Je souscris ici à la conclusion de la Cour, mais ne puis me rallier aux motifs concernant le point de savoir si l’article 5 par. 4 (art. 5-4) exige que deux autorités s’occupent d’une affaire. Sur ce point qui a trait à la question de savoir si une personne privée de sa liberté a le droit d’exercer, même ultérieurement, un recours auprès d’un tribunal, j’estime insuffisants le raisonnement de la Cour quant au texte de la Convention et sa déclaration d’après laquelle le contrôle requis par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision du juge de paix. La Commission a été divisée. A mes yeux, la Cour européenne n’a cependant pas besoin de trancher cette question. Sous cette réserve, je souscris à la conclusion de la Cour.
Sur la violation alléguée de l’article 4 (art. 4)
Ici encore, je souscris aux conclusions de la Cour, mais à mon avis le travail imposé aux vagabonds De Wilde, Ooms et Versyp constituait une conséquence inhérente à l’ordonnance d’internement rendue par le juge de paix et ne saurait passer pour une infraction indépendante et distincte à la Convention. C’est par ces motifs que je vote pour la conclusion d’après laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 4 (art. 4).
Sur la violation alléguée de l’article 8 (art. 8)
A cet égard, j’exprime une opinion dissidente. Je ne vois pas en quoi il était nécessaire, pour les autorités publiques, de s’ingérer dans la correspondance des vagabonds détenus. Elles n’avaient aucune raison de croire qu’il leur fallût la censurer afin de défendre l’ordre, de prévenir les infractions pénales, de protéger la santé ou la morale ou de préserver les droits et libertés d’autrui. Les vagabonds n’avaient commis aucune infraction et même si les autorités, en s’ingérant dans leur correspondance privée, ont agi dans le cadre de la compétence que leur attribue le droit interne belge, elles ont à coup sûr transgressé l’article 8 (art. 8) de la Convention.
En ce qui concerne l’article 8 (art. 8) de la Convention, j’estime donc qu’il y a eu violation.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE ZEKIA
(Traduction)
Les principaux problèmes qui se posent en l’espèce peuvent se résumer ainsi:
1. Notre Cour a-t-elle compétence pour examiner, après que la Commission s’est prononcée en faveur de la recevabilité des requêtes, des moyens relatifs
a) au non-épuisement des voies de recours internes et b) à l’inobservation du délai de six mois, au sens de l’article 26 (art. 26) de la Convention?
2. Dans l’affirmative, la Cour doit décider:
a) si les voies de recours internes ont été épuisées et
b) si le délai de six mois a été observé aux fins et au sens de l’article 26 (art. 26).
3. l’État belge a-t-il manqué aux obligations découlant pour lui de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, faute d’instituer le mécanisme judiciaire exigé par ce texte au bénéfice et pour la protection des personnes qui se trouvent détenues en vertu de la loi belge de 1891 sur le vagabondage, combinée avec l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) de la Convention?
4. L’État belge a-t-il violé, par suite de la méconnaissance alléguée de ladite obligation ou pour d’autres raisons, les articles 3, 4 paras. 2 et 3, 5 par. 1, 6 paras. 1 et 3 b) et c), 7 et 13 (art. 3, art. 4-2, art. 4-3, art. 5-1, art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 7, art. 13) de la Convention?
Bien que j’approuve la décision de la majorité et les conclusions de celle-ci quant aux problèmes les plus importants, ma manière de raisonner diffère dans une certaine mesure de la sienne sur une série de points; aussi ai-je estimé convenable d’exprimer une très brève opinion concordante.
Je laisse de côté les faits de la cause. A cet égard, je me borne à me référer à la partie pertinente de l’arrêt.
Quant au problème no 1
Je réponds par l’affirmative aux questions relevant du problème no 1. La Cour a compétence pour rechercher a) si les voies de recours internes ont été épuisées et b) si le délai de six mois a été observé. Il s’agit de deux conditions auxquelles les articles 26 et 27 (art. 26, art. 27) subordonnent l’exercice de la compétence de la Commission, et comme elles font partie intégrante de la Convention elles entrent dans le cadre de l’article 45 (art. 45), aux termes duquel "La compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires concernant l’interprétation et l’application de la présente Convention que les Hautes Parties Contractantes ou la Commission lui soumettront, dans les conditions prévues par l’article 48 (art. 48)". Au surplus, l’article 49 (art. 49) laisse à la Cour le soin de statuer en dernier ressort sur sa propre compétence.
Je ne pense cependant pas que cette opinion conduise en aucune manière à empiéter sur les attributions de la Commission qui, je le reconnais, constitue un organe indépendant à l’intérieur du système de la Convention européenne. Une décision de la Commission déclarant une requête irrecevable est définitive à tous égards, avec toutes les conséquences qui en dérivent. En revanche, une décision de recevabilité ne va point et ne saurait aller jusqu’à signifier que chacune des questions touchant aux conditions de recevabilité d’une requête ait été tranchée une fois pour toutes et ne puisse être discutée par aucune autorité, y compris le Comité des Ministres et la Cour. S’il en eût été ainsi, la Cour aurait été entravée dans l’exercice de sa compétence et empêchée d’aboutir à des conclusions pouvant sembler incompatibles avec la manière dont la Commission a traité une ou plusieurs des conditions auxquelles les articles 26 et 27 (art. 26, art. 27) subordonnent la recevabilité d’une requête.
Telle ne saurait avoir été l’intention des Parties à la Convention. En outre, la nécessité d’épuiser les voies de recours internes, avant d’avoir le droit de saisir une juridiction internationale, est une condition préalable fondamentale consacrée par le droit international, et les gouvernements se montrent d’ordinaire particulièrement attentifs au respect de semblables conditions.
La décision de la Commission déclarant une requête recevable n’est pas, à proprement parler, en cause devant la Cour. Pareille décision positive a été rendue en l’espèce; elle a eu pour résultat d’amener la Commission à examiner les griefs des requérants, conformément aux articles 28 et 29 (art. 28, art. 29), et d’établir le rapport prévu à l’article 31 (art. 31). En d’autres termes, ladite décision a joué le rôle qui lui était dévolu.
Quant au problème no 2
J’approuve la décision de la Commission, d’après laquelle dans les circonstances de la cause les voies de recours internes ont été épuisées. Il en va de même du point de savoir si la requête de Versyp a été formée en temps utile. J’estime que tout au long de la période à considérer, les requérants ne pouvaient raisonnablement imaginer une voie de recours qui leur permît d’introduire un recours avant l’arrêt Du Bois.
Quant au problème no 3, concernant la violation alléguée de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention
Le Gouvernement belge a plaidé avec force qu’il avait été satisfait aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) puisque la détention des requérants dans un dépôt de mendicité ou une maison de refuge avait été ordonnée par un juge de paix. L’article 5 par. 4 (art. 5-4) est ainsi libellé: "Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale".
Ce texte présuppose qu’une personne, mise en détention par une autorité quelconque, conteste la légalité de cette détention et désire saisir un tribunal pour obtenir une décision judiciaire sur la légalité de ladite détention et pour recouvrer sa liberté en cas de succès de son recours.
Le juge de paix a pour tâche première d’appliquer la loi de 1891, de vérifier en exécution de cette loi "l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie" de l’intéressé et d’envoyer la personne soupçonnée de vagabondage dans un dépôt de mendicité ou une maison de refuge, en vertu des articles 13 et 16 de la loi, si telle est sa conviction. Ces fonctions répondent ou correspondent-elles à celles d’un tribunal dont la tâche première consisterait, d’après l’article 5 par. 4 (art. 5-4), à établir si le vagabond dont il s’agit se trouve ou non légalement détenu?
Même si l’on admet que le juge de paix constitue un tribunal appelé à décider de la légalité de la détention, l’affaire dont il connaît n’a pas trait à une détention dont la légalité est contestée. C’est de sa propre décision que naît la détention. Il ne saurait être juge de ses propres actes. Il n’a pas davantage à décider de la légalité de l’arrestation et de la détention opérées par la police qui a traduit l’intéressé devant lui afin qu’il recherche s’il existe un état de vagabondage et, dans l’affirmative, détermine laquelle des mesures prévues aux articles 13 et 16 de la loi de 1891 il y a lieu de prendre.
Ce ne sont pas les requérants qui ont saisi le juge de paix. Mises à part l’inadéquation et l’insuffisance des règles de procédure, si le juge de paix pouvait passer pour un tribunal au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), on devrait s’attendre à ce que sa décision revête un caractère judiciaire, c’est-à-dire dise pour droit que la détention des requérants est légale ou illégale. Or par un arrêt faisant jurisprudence, le Conseil d’État a constaté dans l’affaire Du Bois, au sujet de la nature de l’ordonnance du juge de paix, que la mise d’un vagabond à la disposition du gouvernement ne résulte pas d’une infraction pénale, mais s’analyse en une mesure de sécurité d’ordre purement administratif.
De ce qui précède, il ressort à l’évidence qu’en appliquant les articles 13 et 16 de la loi de 1891, le juge de paix exerçait des fonctions administratives, et non des fonctions judiciaires comme celles dont on s’attendrait à voir un tribunal s’acquitter en vertu de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
Même si l’on admet, pour les besoins de la discussion, que le juge de paix constitue un tribunal de police compétent pour statuer à bref délai sur la légalité de la détention aux fins de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), peut-on dire qu’un détenu a la faculté, durant sa détention, de s’adresser derechef au juge de paix pour qu’il en apprécie la légalité? Une ordonnance de détention peut avoir été régulière à l’origine, mais on ne saurait dire qu’elle le demeure tout au long de l’internement quelle que soit l’évolution des circonstances.
Peut-on dire que depuis l’arrêt rendu par le Conseil d’État dans l’affaire Du Bois, une voie de recours s’ouvre largement aux vagabonds détenus et que dès lors, si le système judiciaire belge présentait une lacune au regard de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), il n’en est plus ainsi? J’éprouve des doutes à ce sujet. Dans tous les pays, les hautes juridictions judiciaires et administratives ne sont en général pas à même de prononcer à bref délai les décisions que prévoit l’article en question. La décision sur la légalité d’une détention peut dépendre non seulement des aspects juridiques de l’espèce, mais aussi des faits de la cause. Or les hautes juridictions, administratives ou non, sont d’ordinaire peu enclines à examiner de près les faits de la cause.
Il s’agit cependant d’un point à réserver pour l’avenir. Si son statut et son règlement, ainsi que le temps dont il dispose, permettent au Conseil d’Etat de s’occuper à bref délai des recours émanant des personnes internées dans des dépôts de mendicité ou des maisons de refuge, tant mieux pour cette catégorie de détenus.
J’estime donc que pendant la période à considérer, l’État belge a manqué aux obligations découlant pour lui de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
Quant aux problèmes no 4
A mes yeux, une violation des articles 3 à 6 (art. 3, art. 4, art. 5, art. 6) de la Convention ne résulte pas nécessairement du fait que l’État belge n’a pas offert aux requérants détenus la possibilité de saisir un tribunal en vue d’une décision sur la légalité de leur détention. Ces articles ne dépendent pas de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), malgré les liens qui les unissent à lui. De ce que les requérants n’ont pas disposé d’un tribunal compétent pour décider du bien-fondé de leur détention, il ne suit pas nécessairement que celle-ci ait été illégale. Les moyens de preuve et les autres éléments en notre possession ne me permettent pas de conclure à l’irrégularité de la détention subie par les requérants en vertu de la législation belge applicable. La méconnaissance alléguée d’autres articles de la Convention, indépendamment de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), n’a pas été établie. A cet égard, je me rallie aux opinions exprimées dans l’arrêt.
Quant à la manière de redresser la violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), il appartient à une instance nationale d’en décider, ainsi qu’il ressort de l’article 13 (art. 13) aux termes duquel:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
J’ai cependant à exprimer certaines réserves. Appelée à statuer sur des allégations de méconnaissance de certains articles de la Convention, notre Cour doit prononcer un arrêt sur la base des éléments dont elle dispose. Ce faisant, on ne saurait toutefois oublier que l’organe qualifié pour décider de la légalité de la détention au regard de l’article 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) est le tribunal national auquel les requérants pourraient avoir accès et auquel ils pourraient soumettre les moyens de preuve en leur possession. Les requérants ne sont pas à proprement parler des parties devant notre Cour.
J’éprouve donc des doutes sur la mesure dans laquelle notre Cour peut prononcer des arrêts définitifs et obligatoires sur des questions relevant, pour l’essentiel, de la compétence des juridictions nationales dont la saisine serait rendue possible à l’avenir.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES BALLADORE PALLIERI ET VERDROSS
Nous regrettons de ne pas être d’accord avec l’arrêt sur plusieurs points.
En premier lieu, nous ne saurions aller aussi loin que l’arrêt lorsqu’il déclare au paragraphe 69: "Ayant ainsi la qualité de vagabond, les requérants pouvaient ... faire l’objet d’une détention". D’abord la Cour n’a pas, à notre avis, le pouvoir de déclarer qu’une personne est un vagabond, pas plus qu’elle n’a celui de déclarer qu’une personne est un criminel ou un aliéné. Elle peut seulement constater que telle ou telle qualité a été établie en droit interne suivant une procédure régulière et conforme aux prescriptions de la Convention, d’une manière qui rend légitimes certaines mesures prises par l’État. A part cela, puisque selon l’avis de la Cour les requérants n’étaient pas en mesure d’obtenir un contrôle de légalité, au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, sur leur prétendue qualité de vagabond, il fallait conclure qu’il y avait peut-être de très fortes raisons de retenir qu’il s’agissait de vagabonds et qu’on était autorisé à entreprendre et à poursuivre la procédure appropriée, mais que l’état de vagabondage ne pouvait pas encore être considéré comme existant d’après la Convention. On doit appliquer ici le même principe que celui de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention ("Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie"). Au dire de la Cour, l’état de vagabondage n’avait pas été légalement établi à cause de la violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention; on devait donc encore présumer qu’il ne s’agissait pas de vagabonds.
L’arrêt statue au contraire que l’on pouvait considérer l’état de vagabondage comme établi (conclusion dont en outre il fait état aux paragraphes 89 et 92), et il reconnaît que le Gouvernement belge a pris les mesures admises par la Convention contre les vagabonds. Dans ces conditions, il apparaît assez difficile de comprendre qu’on soit arrivé à conclure à la violation de la Convention de la part de l’État belge.
D’autre part si, tout en admettant qu’il s’agissait réellement en l’espèce de vagabonds pour lesquels les mesures (privation de liberté) prévues par la Convention étaient admises, on ajoute toutefois que la loi belge, à cause de ses indéniables imperfections, n’offre pas des garanties suffisantes pour assurer le respect de la Convention dans tous les cas, il est facile d’objecter que la Cour n’a point à juger dans l’abstrait de la valeur de la loi d’un État contractant. La compétence de la Cour est conditionnée par la présence d’une victime (articles 5 par. 5 et 48 alinéa b) de la Convention) (art. 5-5, art. 48-b) et la Cour a pour tâche de redresser le tort souffert par l’intéressé. Sans victime, point de condamnation possible d’un État de la part de la Cour.
Pour ce qui concerne plus particulièrement le recours dont parle l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, il y a plusieurs points sur lesquels nous sommes d’accord avec la Cour. Celle-ci dit d’abord, à juste titre selon nous, que la Convention exige seulement le contrôle par un organe judiciaire des mesures prises par la police, sans qu’il importe de savoir si ce contrôle se produit d’office ou à la demande de la partie intéressée. Nous sommes aussi d’accord avec la Cour lorsqu’elle reconnaît que le juge de paix belge, compétent pour statuer en matière de vagabondage, est un tribunal indépendant du pouvoir exécutif et jouissant des garanties que les articles 99 et 100 de la Constitution belge accordent aux juges. Il en va de même lorsqu’elle reconnaît que le juge de paix statue nécessairement sur la légalité de la détention que le ministère public l’invite à autoriser. Il en va de même enfin lorsqu’elle reconnaît que la procédure devant ledit juge admet certains droits de la défense et présente certains aspects judiciaires, comme la publicité de l’interrogatoire et du prononcé. Pourtant, la Cour finit par statuer que tout cela n’est pas suffisant.
De l’avis de la Cour, les modalités de la procédure ne doivent pas nécessairement être identiques dans chacune des circonstances où la Convention exige l’intervention d’un tribunal. Encore une fois, nous sommes d’accord avec la Cour: on ne saurait par exemple juger satisfaisante la procédure d’internement d’un aliéné sans qu’elle comprenne des examens médicaux donnant pleine garantie d’objectivité et de compétence. Mais, en l’espèce, la Cour dit que la privation de liberté dont se plaignent les requérants ressemble d’assez près à celle infligée à l’issue d’une instruction criminelle et que, partant, la procédure à suivre ne devait pas offrir des garanties sensiblement inférieures à celles qui existent en matière pénale dans les États membres du Conseil de l’Europe. Ce rapprochement ne nous semble guère exact. Être hébergé dans une maison de refuge ou dans un dépôt de mendicité n’est pas tout à fait identique à être enfermé en prison; les conséquences ne sont pas déshonorantes au même degré; l’élargissement peut toujours être demandé et obtenu, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de l’expiation d’une peine. D’autre part, il faut aussi souligner que la décision du juge en matière de vagabondage porte simplement sur l’existence de certaines conditions de fait assez faciles à établir et n’exigeant ni une longue instruction ni de longs débats. Une procédure assez simplifiée suffit donc normalement.
En conclusion, l’internement pour cause de vagabondage est une mesure particulière de sûreté, parfois demandée par les intéressés eux-mêmes, et bien différente de la détention pénale. Il en va peut-être autrement dans le seul cas où la mise à disposition du gouvernement n’a pas un caractère temporaire et transitoire, mais est décidée pour toute une période déterminée, d’une durée qui peut aller selon la loi belge jusqu’à sept ans. On peut alors raisonnablement se demander s’il ne s’agit pas d’une espèce de condamnation et d’une peine déguisée et même assez grave, à laquelle les garanties pénales ordinaires devraient s’appliquer. Mais la Cour n’a pas isolé ce cas, qui concernait seulement certains des requérants; en outre, De Wilde et Versyp, mis tous deux à la disposition du gouvernement pour deux ans, ont été relaxés avant, et l’un d’eux bien avant, l’expiration de ce terme, lequel partant ne semble pas avoir la rigueur du terme d’une condamnation pénale. Toute réserve fait sur la compatibilité en général de la loi belge avec la Convention, nous ne croyons pas, en l’espèce, qu’il y ait des éléments suffisants pour conclure de ce chef à la violation, de la part du Gouvernement belge, du droit des requérants sanctionné par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
Sur un autre point encore, nous ne saurions suivre la Cour. Même si la décision du juge de paix ne constitue pas le résultat du recours à un tribunal, au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, la Cour n’a pas apprécié comme elle l’aurait dû la possibilité du recours au Conseil d’État. Il est vrai que la Cour, malgré l’omission du recours au Conseil d’État de la part des requérants, a déclaré à l’unanimité non fondé le moyen de non-épuisement des voies de recours internes, étant donné qu’on ne peut reprocher aux requérants de ne pas avoir tenté un recours qui passait alors pour irrecevable d’après la jurisprudence établie. Mais cela ne signifie pas qu’un tel recours n’aurait pas été possible. Dans l’affaire Du Bois, déjà pendante au moment de l’internement des requérants, la jurisprudence ancienne fut renversée et le Conseil d’État statua que les ordonnances prises par les juges de paix en matière de vagabondage étaient susceptibles de recours à sa juridiction. Un recours des requérants, qui aurait vraisemblablement fait l’objet d’une décision du Conseil d’État postérieure à l’arrêt Du Bois, aurait eu le même sort et aurait été admis et jugé. De la situation incertaine existant à l’époque, alors que malgré la jurisprudence contraire antérieure, une nouvelle tentative de saisir le Conseil d’Etat avait déjà été faite et avait fini par être couronnée de succès, on ne peut tirer argument ni pour nier que selon la communis opinio il y avait alors eu épuisement des voies de recours, ni pour nier que, malgré cela, la possibilité réelle d’un recours existait. Les requérants peuvent demander d’être excusés de ne pas avoir introduit un recours qui semblait alors non fondé, mais ne peuvent sérieusement se plaindre de l’inexistence d’un recours qui en fait existait.
On doit encore ajouter que la Cour a reconnu (paragraphe 82) que la Convention est directement applicable en Belgique et que partant toute violation alléguée à la Convention aurait pu être portée à l’examen de la haute juridiction administrative, une fois que celle-ci, comme elle le fit dans l’affaire Du Bois, se fut déclarée compétente pour examiner les ordonnances du juge de paix. La Cour enfin ne manque pas de souligner que rien ne permet d’affirmer a priori que le Conseil d’État n’aurait pas statué à bref délai.
Même si le juge de paix ne constitue pas le tribunal dont parle l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, le recours au Conseil d’État, admissible à l’époque litigieuse, suffit à empêcher de déclarer qu’il y a eu de la part du Gouvernement belge violation de cette disposition de la Convention.
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES HOLMBÄCK, RODENBOURG, ROSS, FAVRE ET BILGE
La Cour a pris à la majorité de neuf voix contre sept une décision disant qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en ce que les requérants n’ont pas disposé d’un recours auprès d’un tribunal contre les décisions ordonnant leur internement.
A notre avis cette décision n’est pas fondée. Voici les motifs de notre opposition à cette partie de l’arrêt.
1. Le système de protection des Droits de l’Homme institué par la Convention comporte deux sortes de requêtes:
a) les requêtes interétatiques, soit celles par lesquelles un État saisit la Commission de tout manquement par un autre État aux dispositions de la Convention (article 24 de la Convention) (art. 24); et
b) les requêtes individuelles, soit de particuliers qui se prétendent victimes de la violation par un État des droits reconnus par la Convention (article 25 de la Convention) (art. 25).
La différence de nature des deux sortes de requêtes a été particulièrement mise en lumière par la décision de la Commission sur la recevabilité des requêtes du Danemark, de la Norvège, de la Suède et des Pays-Bas contre la Grèce, du 31 mai 1968. La Commission a observé
"qu’en vertu de l’article 24 (art. 24) de la Convention toute Haute Partie Contractante peut saisir la Commission de ‘tout manquement aux dispositions de la présente Convention qu’elle croira pouvoir être imputé à une autre Partie Contractante’; qu’en vertu de l’article 25 (art. 25), il est vrai, que seules peuvent saisir la Commission les personnes qui se prétendent ‘victimes’ d’une violation de la Convention; que toutefois l’état de la ‘victime’ n’est pas mentionné à l’article 24 (art. 24); que par conséquent une Haute Partie Contractante, en alléguant une violation de la Convention en vertu de l’article 24 (art. 24), n’est pas tenue de démontrer l’existence d’une victime de cette violation soit dans un incident particulier ou, par exemple, dans le cadre d’une pratique administrative". (Annuaire 1968, p. 777)
D’autre part la jurisprudence de la Commission est bien définie dans la décision du 8 janvier 1960, X contre l’Irlande, dans laquelle la Commission a considéré
"qu’il ressort clairement de l’article 25 par. 1 (art. 25-1) de la Convention que la Commission ne peut être saisie d’une requête par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers que si cette personne physique (...) se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la Convention; (...) qu’il s’ensuit que la Commission ne peut examiner la conformité d’une loi nationale avec la Convention que pour autant que cette loi est applicable à une personne physique (...) et seulement dans la mesure où son application aurait entraîné une violation de la Convention au préjudice de cette personne physique (...); que par conséquent, lorsqu’il s’agit d’une requête introduite par un individu en vertu de l’article 25 (art. 25), la Commission n’est pas compétente pour examiner in abstracto si une loi est conforme aux dispositions de la Convention". (Annuaire 3, pp. 219-221)
En exacte harmonie avec la Commission, la Cour a jugé, dans l’affaire De Becker (arrêt du 27 mars 1962, p. 26), que
"la Cour n’est point appelée, en vertu des articles 19 et 25 (art. 19, art. 25) de la Convention, à statuer sur un problème abstrait touchant la compatibilité de (la loi nationale) avec les dispositions de la Convention, mais sur le cas concret de l’application d’une telle loi à l’égard du requérant et dans la mesure où celui-ci se trouverait, de ce fait, lésé dans l’exercice des droits garantis par la Convention". (Cf. en outre Digest of Case Law, no 299; "Les Droits de l’Homme", colloque européen de 1965: Ganshof van der Meersch, pp. 208 ss, Scheuner, p. 363; Vasak: La Convention européenne, no 190; Monconduit: la Commission européenne, p. 188)
Ainsi la Cour devait examiner non si la législation belge, analysée d’une manière abstraite, correspond aux exigences de la Convention, mais uniquement si, dans les circonstances où les requérants se sont trouvés et en considération de leurs comportement, actes et omissions, ils ont été "victimes" d’une violation des normes de la Convention consacrant leurs droits. Il ne peut y avoir, en de telles affaires, de violation de la Convention que s’il est prouvé que les droits des requérants ont été lésés, non pas virtuellement, mais d’une manière concrète par une décision ou une mesure de l’autorité administrative ou judiciaire.
2. La conception à la base de l’arrêt est que la procédure instituée par la législation belge est trop sommaire, partant qu’elle ne garantit pas aux vagabonds une protection suffisante de leurs droits et dès lors qu’elle ne répond pas aux exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.
La conséquence que la Convention tire de la violation de l’article 5 (art. 5) est que la personne victime d’une détention illicite a droit à une réparation (article 5 par. 5) (art. 5-5). Il appartient à l’État d’effacer, si possible, les conséquences de la décision ou de la mesure incriminée; encore faut-il que l’arrêt le renseigne sur la nature et l’étendue de la lésion. Et si le droit interne ne permet qu’imparfaitement la restitutio, "la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable" (article 50 de la Convention) (art. 50).
Cependant l’arrêt, qui s’en est tenu à une critique abstraite du régime légal belge, ne dit pas quels effets juridiques s’attacheraient à la détention illicite des requérants.
3. L’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention dispose que "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal ...". La Convention précise bien: un recours, devant un tribunal. Il n’est pas douteux que c’est le juge de paix qui ordonne l’internement. Aussi bien il n’y avait pas, dans le système du droit belge tel qu’il était appliqué jusqu’à l’arrêt Du Bois du 7 juin 1967 - arrêt postérieur à la ratification de la Convention -, un recours proprement dit au tribunal. Mais il est manifeste que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention a été conçu selon l’idée que la détention est ordonnée par l’autorité de police et que cette mesure doit être soumise à un contrôle judiciaire (rapport, paragraphe 176). Comme, en droit belge, la détention est prononcée par le juge, le contrôle judiciaire de la légalité de la détention est incorporé à la décision d’internement et il est opéré d’office.
Les débats ont apporté de la clarté sur ce point. Le rapport de la Commission relève (paragraphe 176) que, de l’avis de MM. Sørensen et Castberg, membres de la Commission, les exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) sont satisfaites du moment que la légalité de la privation de liberté est examinée par un tribunal dans l’exercice de sa compétence judiciaire, même s’il n’y a pas une décision non judiciaire antérieure; dans une telle hypothèse, le mot "recours" n’aurait pas une signification indépendante. A l’audience des débats du 18 novembre 1970, le président de la délégation de la Commission, M. Sørensen, a expliqué que la majorité de la Commission ne s’était pas rangée à son avis parce que la loi belge ne prévoyait pas un contrôle ultérieur de la légalité du maintien en détention. Cependant, la loi de 1891 dispose en ses articles 15 et 18 que le ministre de la justice fera mettre en liberté les individus internés dont il jugera inutile de maintenir l’internement. La Commission n’a pas observé que les requérants avaient eu le droit, durant leur détention, de solliciter leur élargissement en alléguant que leur internement n’était plus justifié, et de se plaindre du caractère devenu à leur avis illégal de leur détention, ainsi d’ailleurs que d’une violation quelconque de leurs droits par les autorités administratives, en s’adressant au ministre de la justice et, par recours contre une décision négative de cette autorité, au Conseil d’État. Si les requérants ont adressé mainte demande au ministre de la justice, aucun d’eux n’a recouru au Conseil d’État qui n’a ainsi pas eu à se prononcer sur la légalité de leur maintien en détention.
Il s’impose de relever enfin que selon l’article 60 (art. 60) de la Convention, les dispositions de la Convention ne peuvent pas être interprétées de façon à limiter les droits reconnus en conformité de la législation nationale. Dès lors, puisque la loi belge va plus loin que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) en ce qu’elle institue un contrôle obligatoire des exigences légales de la détention - alors que la Convention prescrit seulement la possibilité d’un recours - elle prime sur ce point le texte de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) et cela précisément en vertu de l’article 60 (art. 60) de la Convention.
4. Tout en reconnaissant que le juge de paix est un organe judiciaire (rapport, paragraphes 89-90), la Commission a estimé que le droit belge ne respectait pas l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention parce que la décision que prend le juge de paix est de nature administrative. Et l’arrêt (paragraphe 79) dit que la procédure dont il s’agit se ressent du caractère administratif de la décision à prendre.
Cependant la Convention ne distingue pas ici entre une décision de l’ordre administratif et une décision de l’ordre judiciaire. Au reste une délimitation des deux fonctions ne peut pas être faite selon des critères précis. Bien des actes administratifs comportent une fonction juridictionnelle (cf. Carré de Malberg, Théorie générale de l’État, I. 762). Beaucoup d’actes judiciaires renferment un élément de caractère administratif: lorsque le juge pénal rend un jugement de condamnation, il remplit une fonction juridictionnelle, qui consiste à vérifier si le comportement du prévenu tombe sous les dispositions de la loi et à apprécier le degré de sa culpabilité; de plus, il applique la peine par une décision qui participe de la fonction administrative.
Le législateur de 1891 a expressément considéré le juge de paix comme une autorité judiciaire (article 2). En fait la fonction du juge de paix dans les affaires de vagabondage comporte une décision d’ordre administratif, qui est précédée d’une activité juridictionnelle consistant dans l’examen des conditions légales qui justifient l’internement et dans le jugement qui clôt cet examen.
5. Le reproche que l’arrêt fait à la législation belge est de n’avoir pas institué des garanties satisfaisantes de défense des droits des vagabonds. Il y a lieu d’examiner si les requérants ont eu, eux, la faculté de se défendre et si les décisions prises à leur égard son entachées d’arbitraire.
La décision que le juge de paix est appelé à prendre est l’internement, c’est-à-dire une mesure de privation de liberté. Contrairement à l’idée exprimée dans l’arrêt Neumeister (p. 44, no 24), selon laquelle le terme de tribunal "ne se rapporte aucunement à la procédure à suivre", il faut admettre que dans le cas où l’autorité peut ordonner une privation de liberté, une procédure doit être ouverte qui donne à l’intéressé pleine possibilité de se défendre.
Or, "dans les cas de l’espèce, la procédure devant le juge de paix se déroule en audience publique et (...) elle a un caractère contradictoire. Le juge doit entendre le comparant en ses moyens de défense; le comparant a le droit de se faire assister d’un avocat; il peut demander au juge d’ordonner des mesures d’instruction et notamment l’audition de témoins; lorsque le juge fait droit à une telle demande, les témoins sont entendus en présence du comparant auquel il est loisible de discuter les témoignages recueillis. Le juge doit motiver sa décision." (rapport, paragraphe 190, opinion individuelle de M. Welter, membre de la Commission)
L’arrêt dit (paragraphe 79) que la seule disposition pertinente quant aux droits de la défense figure à l’article 3 de la loi du 1er mai 1849, d’après lequel un délai de trois jours est accordé à l’intéressé s’il le demande. Il faut cependant ajouter qu’en vertu de l’article 11 de la loi de 1891 le ministère public a le pouvoir de mettre la personne arrêtée en liberté provisoire en attendant sa comparution (rapport, note 1 ad paragraphe 164), ce qui est propre à favoriser une préparation de la défense.
Il est bien vrai que la procédure légale est sommaire. Cependant, s’il n’y avait aucune règle nationale de procédure applicable, il n’en résulterait pas nécessairement que la décision d’internement serait illicite. Ce qui est essentiel, c’est que les principes de droit qui sont à la base des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention soient respectés et notamment que les vagabonds soient amenés à se prononcer sur toutes les circonstances en rapport avec leur état, qu’ils puissent faire valoir tous leurs moyens de défense et au besoin bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Or ces principes sont incorporés au droit national belge; ils s’accordent parfaitement à la législation belge. Entendu en audience de la Commission le 6 avril 1967, Me Magnée, agent des requérants, a expressément reconnu que si le vagabond demande, dans le délai de trois jours, l’assistance d’un avocat, elle lui est accordée.
Or il est clairement établi que les trois requérants ont renoncé à faire usage des droits qui leur sont reconnus pour leur défense. On verra ci-après sous 6 qu’il est fort compréhensible qu’ils se soient comportés de la sorte.
L’article 12 de la loi de 1891 dit que "les juges de paix vérifient l’identité, l’âge, l’état physique, l’état mental et le genre de vie des individus traduits devant le tribunal." Rien ne permet de présumer que l’un quelconque des juges qui se sont occupés de ces affaires n’aurait pas agi en toute conscience, respectueux de tous les droits des intéressés.
6. Il n’est pas contesté que les trois requérants étaient, au jour de l’ordonnance d’internement, des vagabonds. Le juge devait dès lors ordonner leur détention. Il avait à prononcer si le vagabond devait être envoyé dans une maison de refuge (article 16 de la loi de 1891) ou dans un dépôt de mendicité (article 13). La détention dans une maison de refuge est ordonnée pour un an au maximum. L’internement dans un dépôt de mendicité l’est pour deux ans au minimum. Ooms a été interné dans une maison de refuge, De Wilde et Versyp dans un dépôt de mendicité.
Le cas de Ooms est simple. Ooms, qui avait été condamné maintes fois par le juge pénal et interné quatre fois comme vagabond, s’est présenté au commissariat pour être placé comme vagabond, à moins qu’un service social ne lui trouvât une occupation. Il a été fait droit à sa demande; il fut placé dans la maison de refuge.
L’application dans les cas De Wilde et Versyp de l’article 13 de la loi de 1891, plutôt que de l’article 16, constitue-t-elle indirectement une violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention qui sous-entend que le jugement doit être rendu dans les conditions garantissant une bonne justice?
La Commission a dit, à propos de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention (rapport, paragraphe 186): "Il n’appartient pas à la Commission d’apprécier si la législation nationale a été appliquée correctement dans les cas d’espèce par les autorités compétentes, à condition toutefois que l’examen des procédures ne révèle pas l’existence d’une mesure arbitraire." Il en va de même à propos de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) et du rôle de la Cour.
L’article 13 de la loi de 1891 prescrit l’envoi dans un dépôt de mendicité des "individus valides qui, au lieu de demander au travail leurs moyens de subsistance, exploitent la charité, comme mendiants de profession, les individus qui, par fainéantise, ivrognerie ou dérèglement de moeurs vivent en état de vagabondage".
L’internement des vagabonds est une mesure de sûreté qui a pour but tout en éduquant l’individu au travail, et éventuellement en réprimant son penchant à l’alcool, de prévenir les dangers qu’il représente pour la société.
Le juge de paix de Bruxelles, devant qui était traduit Versyp – lequel demandait avec insistance son renvoi aux colonies de bienfaisance, car il avait séjourné auparavant à Merxplas - était en possession, au moment de l’interrogatoire, d’un rapport de l’office de réadaptation sociale de Bruxelles, du 4 novembre 1965, disant notamment: "Tous nos efforts pour reclasser cet homme ont échoué en raison de son apathie, sa fainéantise et son penchant à la boisson". D’autre part, son casier judiciaire révèle 24 condamnations pour vol et tentative de vol, attentat à la pudeur, ivresse, voyage sans billet, coups et recel; et de plus trois internements antérieurs pour vagabondage. L’ordonnance du juge de paix se réfère expressément à l’interrogatoire et au dossier du comparant, qui contient entre autres le rapport précité de l’office de réadaptation sociale. Le bulletin d’internement (du 4 novembre 1965) indique les motifs de l’internement: "apathie, fainéantise, penchant pour la boisson".
Lorsque De Wilde se présenta au commissariat de police de Charleroi après avoir passé des nuits à la gare de Charleroi, il déclara qu’il n’avait jamais été placé comme vagabond. Le juge de paix a requis un bulletin de renseignements (il est daté du 19 avril 1966) qui révèle 13 condamnations pour contraventions ou délits, dont six condamnations à la prison pour vol et, de plus, cinq détentions antérieures pour vagabondage. L’ordonnance du juge se réfère à l’interrogatoire et au dossier, qui comprend le bulletin de renseignements précité. Il est digne de remarque que De Wilde, libéré le 16 novembre 1966, a été interné à nouveau, au cours de la procédure, pour vagabondage, du 11 janvier 1967 au 15 mai 1967.
Peut-on considérer que la mesure prise par les deux juges de Bruxelles et de Charleroi a été arbitraire? Il y a arbitraire lorsque l’acte viole d’une manière grave et manifeste une norme juridique ou aussi lorsqu’il est dépourvu de toute justification sérieuse. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas prouvé que les juges de Bruxelles et de Charleroi aient violé manifestement l’article 13 de la loi de 1891 en prenant en considération, pour renvoyer Versyp et De Wilde dans un dépôt de mendicité, le désordre moral et social qui caractérisait le comportement de ces deux vagabonds.
Aussi bien l’agent des requérants, qui avait affirmé "très subsidiairement" que Versyp contestait l’application à son égard de l’article 13 de la loi de 1891, n’a pas repris ce grief dans la suite, dit la Commission (rapport, paragraphe 51, note 1), ni lors de l’audience de la Commission du 8 février 1968, ni dans les dernières conclusions présentées à l’occasion de ladite audience. De plus la Commission ne l’a pas retenu dans son rapport à la Cour, ni l’agent des requérants dans son mémoire joint à celui de la Commission.
7. En conclusion : Les trois requérants étaient des vagabonds. Ils ont été internés pour vagabondage. L’ordonnance d’internement a été rendue par un tribunal et dans les formes d’une procédure contradictoire et publique au cours et à la suite de laquelle les comparants avaient eu la faculté de faire valoir tous les moyens de défense. Ils n’ont pas fait usage de cette faculté. Les faits clairement établis manifestent que les mesures prises à leur égard n’étaient pas arbitraires et qu’il est douteux que d’autres juges ou aussi un tribunal d’appel aient pu prendre des décisions sensiblement différentes de celles qui ont été prononcées.
Il est impossible de dégager des faits que les requérants auraient été victimes d’une violation par les autorités belges des droits que leur garantit la Convention.
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES ROSS ET SIGURJÓNSSON
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES ROSS ET SIGURJONSSON
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE BILGE
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE BILGE
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE WOLD
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE WOLD
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE ZEKIA
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE ZEKIA
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES BALLADORE PALLIERI ET VERDROSS
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES BALLADORE PALLIERI ET VERDROSS
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES HOLMBÄCK, RODENBOURG, ROSS, FAVRE ET BILGE
ARRÊT DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
c. BELGIQUE (AU PRINCIPAL)
OPINION SEPAREE COMMUNE À MM. LES JUGES HOLMBÄCK, RODENBOURG, ROSS, FAVRE ET BILGE


Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Exception préliminaire partiellement retenue (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'Art. 5-4 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Non-violation de l'art. 4 ; Non-violation de l'art. 3 ; Non-violation de l'art. 8 ; Non-violation de l'art. 13 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 4-2) TRAVAIL FORCE, (Art. 5-1) LIBERTE PHYSIQUE, (Art. 5-1-e) VAGABOND, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 5-4) ORDONNER LA LIBERATION, (Art. 7-1) RETROACTIVITE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE


Parties
Demandeurs : AFFAIRES DE WILDE, OOMS ET VERSYP ("VAGABONDAGE")
Défendeurs : BELGIQUE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (plénière)
Date de la décision : 18/06/1971
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 2832/66;2835/66;2899/66
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1971-06-18;2832.66 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award