EN FAIT
Les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
1. Le requérant, ressortissant autrichien, né en 1928 à Z., est représenté Par Me A., avocat à Graz. Le requérant exploite à Z. une briqueterie qui comprend, outre un grand nombre d'autres terrains, la parcelle 453/1 du registre foncier de la commune de Y. située dans le ressort du tribunal de district (Bezirksgericht) de Klagenfurt.
2. Par décision (Bescheid) du Ministère fédéral des transports et de l'électricité en date du .. mars 1963, il fut interdit de pratiquer sur cette parcelle toute nouvelle fouille ayant pour but l'extraction de l'argile, et ce afin d'éviter que cette extraction ne constitue un danger et ne menace l'exploitation de la ligne de chemin de fer située à proximité de ladite parcelle.
Par une nouvelle décision du Ministère susmentionné, en date du .. juin 1963, le requérant fut autorisé à poursuivre, dans le périmètre de sécurité de la voie ferrée, l'extraction de l'argile en se conformant aux dispositions de l'article 39 par. 3 de la loi de 1957 sur les chemins de fer et en remplissant les conditions stipulées dans la décision en question.
3. Selon les conclusions d'un expert consulté par le requérant, les restrictions imposées par les deux décisions susmentionnées ont causé au requérant un dommage de 4.500.000 schillings environ. Le requérant intenta une action auprès du tribunal régional (Landesgericht) de Klagenfurt. Il a fait valoir qu'il avait subi un dommage de 4.500.000 schillings et il réclamait le versement d'un montant partiel de 500.000 schillings. Le tribunal régional estima qu'en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'un cas d'expropriation, mais d'une limitation de la propriété conformément aux dispositions de la loi de 1957 sur les chemins de fer. Dans ce cas, une indemnisation n'est pas prévue. D'ailleurs, selon la jurisprudence, une expropriation sans indemnisation est licite. A plus forte raison, une limitation de la propriété est autorisée sans indemnisation. Le tribunal régional débouta, par conséquent, le requérant. L'appel et le pourvoi ultérieur du requérant furent rejetés par la Cour d'Appel de Graz et la Cour suprême respectivement. Le jugement de la Cour suprême date du .. juin 1966.
4. Le requérant demanda alors au tribunal de district de Z. de fixer une indemnité de 4.500.000 schillings pour le dommage subi. Estimant que la procédure non contentieuse n'était pas applicable en l'espèce, le tribunal de Z. rejeta cette demande par décision (Beschluss) du .. septembre 1967. Par ailleurs, le tribunal renvoya aux décisions antérieures selon lesquelles il ne s'agissait pas d'un cas d'expropriation, mais d'une servitude légale au sens de l'article 39 de la loi de 1957 précitée. Le tribunal releva qu'il ne s'est pas contenté - comme la loi de 1954 sur l'expropriation pour la construction et l'exploitation de chemins de fer (Eisenbahnenteignungsgesetz) l'y aurait autorisé - de repousser a limine la demande du requérant et d'inviter celui-ci à produire un décision prise par le chef du gouvernement provincial (Landeshauptmann) et tendant à l'expropriation de la propriété du requérant. Bien au contraire, le tribunal examina le fond de l'affaire afin de donner aux parties l'occasion de plaider leur cause. Enfin, le tribunal estima qu'un partisan de la libre propriété, tout en admettant des restrictions dans l'intérêt général, doit regretter que le requérant subisse un dommage énorme pour lequel il ne peut réclamer des dommages-intérêts. Ceci est d'autant plus regrettable que la partie défenderesse (la République d'Autriche) n'a pas opté pour la voie qui lui était offerte selon la loi d'expropriation susmentionnée de 1954 et qui aurait eu comme résultat l'obligation d'indemniser l'intéressé.
Le requérant introduisit un recours (Rekurs) auprès du tribunal régional de Klagenfurt, mais en vain. Le tribunal rejeta ce recours par décision du .. novembre 1967.
Le requérant forma un recours ultérieur (Revisionsrekurs) auprès de la Cour suprême. Le recours fut rejeté comme irrecevable par décision datée du .. juillet 1968 et notifiée au conseil du requérant le .. août 1968.
La Cour suprême rappela qu'une décision rendue en deuxième instance et confirmant la décision de l'instance inférieure ne peut être attaquée devant la Cour suprême que dans les cas définis à l'article 16 de la loi de 1854 sur la procédure gracieuse. Parmi les motifs de recours limitativement énumérés dans cette disposition, le requérant invoqua celui de "l'illégalité manifeste" (offenbare Gesetzwidrigkeit) du fait que le tribunal régional n'a pas fait application de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention. Le requérant allégua que les principes généraux du droit international (article 1er, Allemagne 1er du Protocole additionnel) exigent le versement d'une indemnité pour toute privation de la propriété. En outre, selon le requérant, les restrictions litigieuses ne furent pas imposées conformément à l'intérêt général (Article 1er, Allemagne 2 du Protocole additionnel) , mais dans l'intérêt exclusif de la ligne de chemins de fer en question. Sur ce point, la Cour suprême conclut que le fait que le tribunal régional ne fit pas application de l'article 1er du Protocole additionnel, ne constitue pas une "illégalité manifeste" au sens de la disposition susmentionnée. En effet, la loi ne règle pas clairement la question de savoir si la servitude légale visée à l'article 39 de la loi de 1957 sur les chemins de fer équivaut à une privation de propriété. D'autre part, on ne saurait répondre clairement par la négative à la question de savoir si pareille restriction est conforme à l'intérêt général.
5. Dans sa requête devant la Commission, le requérant déclare que la conception juridique des tribunaux selon laquelle la restriction litigieuse ne constitue pas une expropriation, mais une simple limitation de propriété, est erronée et contraire à l'ordre juridique autrichien. En effet, la notion d'expropriation englobe aussi en principe les mesures assimilables à une expropriation (enteignungsgleiche Massnahmen) qui exigent d'un nombre limité de personnes un sacrifice que celles-ci ne sont pas tenues de consentir. Les considérations sur lesquelles se fonde la loi de 1954 sur l'expropriation pour la construction et l'exploitation de chemins de fer (Eisenbahnenteignungsgesetz), de même que la jurisprudence des tribunaux autrichiens, ne laissent subsister aucun doute quant au fait qu'une limitation de propriété aussi sévère à la notion d'expropriation et justifie donc l'octroi d'une indemnité appropriée. Le requérant se réserve d'exposer, le cas échéant, plus en détail, les problèmes que soulève, sur le plan juridique, la distinction entre expropriation et limitation de propriété. Selon le requérant, l'interdiction d'extraire de l'argile sur son terrain ne constitue pas seulement une mesure visant à "réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général" au sens de l'article 1er, par. 2, du premier Protocole additionnel, mais un véritable expropriation. C'est donc à tort que le droit du requérant à une indemnisation du fait de cette expropriation n'a pas été reconnu.
Le requérant demande que la République d'Autriche lui verse une indemnité de 4.500.000 schillings.
EN DROIT
Le requérant invoque les dispositions de l'article 1er du premier Protocole additionnel (P1-1). Il se plaint des mesures prises par les autorités lui interdisant d'extraire de l'argile sur son terrain. Aux yeux du requérant, cette interdiction constitue une véritable expropriation qui lui donnerait droit á une indemnisation (cf. par. 5 de la partie EN FAIT).
Toutefois, l'article 26 in fine (art. 26) de la Convention prévoit que la Commission ne peut être saisie que "dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive".
Or, selon la jurisprudence constante de la Commission "il existe une étroite corrélation entre les deux règles qu'énonce ledit article 26 (art. 26), à savoir celle de l'épuisement des voies de recours internes et celle du délai de six mois ...; par décision interne définitive, l'article 26 (art. 26) désigne donc exclusivement la décision définitive rendue dans le cadre normal de l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de la Commission sur la recevabilité des requêtes No 214/56, De Becker contre la Belgique, alinéa 2, pp. 215, 243 et No 343/57, Nielsen contre le Danemark, alinéa 2, pp. 413, 437).
La Commission a également constaté dans de nombreuses décisions que "les recours dont il y a lieu de tenir compte pour l'application des règles générales de droit international sur l'épuisement des voies de recours internes sont ceux qui peuvent fournir un moyen efficace et suffisant de redresser les griefs qui font l'objet d'une action internationale" (cf. par exemple la décision de la Commission sur la recevabilité de la requête No 654/59, alinéa 4, pp. 277, 283).
En l'espèce, la Cour suprême a statué le .. juin 1966 sur le fond de l'affaire. Dans cette procédure les tribunaux ont estimé que les mesures incriminées par le requérant ne constituent pas une expropriation, mais une limitation de la propriété conformément aux dispositions de la loi de 1957 sur les chemins de fer.
La procédure non contentieuse que le requérant a intentée après l'arrêt du .. juin 1966 (cf. par. 4 de la partie EN FAIT), n'était pas pertinente en l'espèce étant donné que dans la procédure antérieure les tribunaux avaient constaté que les mesures dont se plaint le requérant ne constituaient pas une expropriation. Ceci a été d'ailleurs confirmé par le tribunal de district de Z. devant lequel le requérant intenta la procédure en question . Cette procédure n'était donc pas nécessaire pour satisfaire à la condition de l'épuisement des voies de recours internes. Il s'ensuit que les décisions rendues dans cette procédure ne peuvent être prises en considération pour la détermination du point de départ du délai de six mois prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention.
La décision interne définitive est donc l'arrêt rendu le .. juin 1966 par la Cour suprême, alors que la présente requête fut soumise à la Commission le 10 février 1969, c'est-à-dire plus de six mois après la date de cet arrêt. En outre, l'examen de l'affaire ne permet de discerner aucune circonstance particulière qui ait pu interrompre ou suspendre ledit délai.
Il en résulte que la requête est tardive et doit être rejetée, conformément à l'article 27, par. 3, (art. 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.