EN FAIT
Les faits de la cause, tels qu'ils furent présentés par le requérant, peuvent se résumer ainsi:
1. Le requérant, ressortissant autrichien né le 29 janvier 1935, est domicilié à Steyr (Haute-Autriche) où il exerce le métier de maître-couvreur. Il est représenté par Me A., avocat à Steyr.
2. Le 18 juillet 1967, X. eut sur le terrain de l'entreprise lui appartenant une altercation avec un agent de police. Celui-ci pénétra sur le terrain en prétendant que X. avait commis une infraction au code de la route.
Une procédure fut engagée contre X., comformément aux dispositions pertinentes du droit pénal administratif. Toutefois, l'office du Gouvernement de Haute-Autriche (Amt der o.ö. Landesregierung) rendit le .. mars 1968 une décision de non-lieu, conformément à l'article 45 par. 1 a) de la loi pénale administrative, au motif que l'infraction reprochée au requérant n'a pu être prouvée.
3. En raison des termes employés et des gestes faits par le requérant lors de l'incident du 18 juillet 1967, le requérant fut accusé de voies de fait et menaces dangereuses envers une personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions (gewaltsame Handanlegung und gefährliche Drohung gegen obrigkeitliche Personen in Amtssachen - article 81 du Code pénal), ainsi que d'offense à fonctionnaires (Beleidigung öffentlicher Beamter - article 312).
Le tribunal régional de Steyr acquitta le requérant du crime visé à l'article 81 du Code pénal, mais le condamna à une amende de 2.400 schillings pour la contravention visée à l'article 312. Ce jugement, daté du .. décembre 1967, est passé en force de chose jugée.
4. Pour le même incident, le requérant fut condamné par décision du commissariat de police de Steyr en date du .. juillet 1967 à vingt-huit jours de prison pour atteinte à l'ordre public et tapage public, conformément à l'article VIII, par. 1 a) de la loi introductive aux lois de procédure administrative (Einführungsgesetz zu den Verwaltungsverfahrensgesetzen - EGVG).
Le requérant interjeta appel auprès de la direction supérieure de la police (Sicherheitsdirektion) pour la Haute-Autriche. Par décision du .. février 1968 cette autorité ramena à sept jours la peine qui avait été infligée pour atteinte à l'ordre public et décida un non-lieu quant au surplus. La direction supérieure de la police rappela notamment que la privation de liberté était en l'espèce autorisée eu égard à la réserve faite par l'Autriche quant à l'article 5 de la Convention. Elle constata qu'aux termes de l'article 51, par. 1 de la loi pénale administrative (VStG), cette décision ne pouvait faire l'objet d'un recours "ordinaire".
Le requérant introduisit un recours auprès de la Cour administrative. En revanche, il n'a pas saisi la Cour constitutionnelle estimant qu'une violation d'un droit garanti par la constitution ne pouvait être démontrée. Par arrêt du .. septembre 1968, notifié au requérant le 12 octobre 1968, la Cour administrative a rejeté le recours comme mal fondé.
Les griefs du requérant peuvent se résumer ainsi:
5. Le requérant estime qu'il y a violation de l'article 8 de la Convention du fait qu'un agent de police, prétendant que X. avait commis une infraction au code de la route, a pénétré sur le terrain privé du requérant (cf. par. 2 ci-dessus).
Le requérant ne formule aucun grief en ce qui concerne sa condamnation par le tribunal régional de Steyr (cf. par. 3 ci-dessus).
6. Le grief principal du requérant a trait à sa condamnation par les autorités administratives (cf. par. 4 ci-dessus). Il allègue ce que suit: Les décision rendues par ces autorités violent l'article 5, par. 1 a) de la Convention. Il est vrai que l'Autriche a ratifié l'article 5 en formulant une réserve. Toutefois, le contrôle postérieure par les deux Cours de droit public (Cour administrative et Cour constitutionnelle) dont il est question dans cette réserve, ne constitue pas un véritable contrôle de l'administration.
En effet, devant la Cour administrative on peut faire valoir une illégalité en raison du contenu d'une décision administrative et on peut aussi alléguer la violation des règles de procédure; mais cette Cour ne peut pas contrôler l'administration des preuves et l'établissement des faits des autorités administratives, pour autant qu'on ne peut pas démontrer des violations des règles de procédure. Cette Cour ne peut pas non plus contrôler la condamnation à une peine, pour autant que le taux de celle-ci n'excède pas le taux légal.
D'autre part, la Cour constitutionnelle n'examine les décisions administratives que pour autant que l'intéressé peut alléguer une violation d'un droit garanti par une disposition de la constitution.
La double condamnation du requérant - par le tribunal et par l'autorité administrative - est contraire au principe "ne bis in idem".
X. reproche au commissariat de police qu'il a prononcé une condamnation privative de liberté alors qu'il n'est pas une autorité indépendante et impartiale. Les agents sont obligés de s'en tenir aux instructions (weisungsgebunden) et appartiennent tous au même service, liés entre eux par une même esprit de corps.
Le requérant affirme en outre qu'il n'a pas bénéficié d'une audience publique, qu'il n'a pas disposé des facilités nécessaires pour préparer sa défense, qu'il n'a pu poser des questions aux témoins et que les témoins à décharge n'ont pas été interrogés.
Il est vrai qu'un appel est prévu en l'espèce contre la décision du commissariat de police. Toutefois, la direction supérieure de la police est également composée d'agents soumis aux instructions et appartenant au même service.
Enfin, le requérant relève la grande différence entre le jugement du tribunal (2.400 schillings d'amende) et la condamnation par l'autorité administrative qui infligea vingt-huit jours, c'est-à-dire deux fois la peine maximum de deux semaines prévue par la loi.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'une violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention, du fait qu'un agent de police, prétendant que le requérant avait commis une infraction au code de la route, pénétra sur le terrain privé de celui-ci (cf. par. 2 et 5 de la partie EN FAIT). Toutefois, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tels qu'il est entendu selon les principes droit international généralement reconnus".
En l'espèce, le requérant a omis de former un recours constitutionnel. En effet, l'acte incriminé peut être considéré comme un acte administratif de fait (faktische Amtshandlung) contre lequel le requérant aurait pu former un recours conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. A ce sujet, la Commission rappelle que la Convention a rang constitutionnel en Autriche. En outre, le droit au respect de son domicile est garanti par l'article 9 de la loi fondamentale de 1867 - loi ayant également rang constitutionnel.
Il résulte de ce qui précède que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit autrichien. De plus, l'examen de l'affaire, y compris un examen d'office auquel la Commission a procédé, n'a décelé aucune circonstance particulière qui eût pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes. Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée sur ce point, conformément à l'article 27, par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint de sa condamnation à une peine privative de liberté par les autorités administratives (cf. par. 3, 4 et 6 de la partie EN FAIT) et allègue une violation de l'article 5 (art. 5) de la Convention.
Or en ratifiant la Convention, l'Autriche a formulé au sujet de l'article 5 (art. 5) une réserve, aux termes de laquelle "les dispositions de l'article 5 de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl No 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévue par la constitution fédérale autrichienne".
Le requérant a été condamné à une peine privative de liberté, conformément à l'article VIII, par. 1 a), de la loi introductive aux lois de procédure administrative (Einführungsgesetz zu den Verwaltungsverfahrensgesetzen - EGVG). Ladite loi fait partie des "lois de procédure administrative" mentionnées dans la réserve autrichienne et promulguées dans le journal officiel No 172 de 1950. La condamnation litigieuse se fonde donc sur une disposition expressément prévue par les lois de procédure administrative en question (cf. mutatis mutandis, les décisions sur la recevabilité des requêtes No 1047/61, Annuaire v, p. 357, et No 1452/62, Annuaire 6, p. 269).
La réserve formulée par le Gouvernement autrichien au sujet de l'article 5 (art. 5) de la Convention s'applique, par conséquent, au cas du requérant. Cette partie de la requête est donc incompatible avec les dispositions de la Convention, telles qu'elles sont applicables à l'égard de l'Autriche et doit être rejetée conformément à l'article 27 art. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Le requérant se plaint également de la procédure suivie devant les autorités administratives (cf. par. 6, 6ème alinéa de la partie EN FAIT). Sans mentionner expressément l'article 6 (art. 6) de la Convention, les griefs du requérant visent diverses dispositions de cet article.
Il y a lieu de souligner que les allégations du requérant ont trait à la procédure devant les instances administratives dont les décisions tombent sous le coup de la réserve susmentionnée. Il est vrai que cette réserve ne fait aucune référence expresse à l'article 6 (art. 6) de la Convention. Toutefois, selon la Commission, la procédure dont se plaint le requérant et qui a abouti à sa condamnation, doit être envisagée comme un tout et ne peut être considérée comme comprenant différentes étapes, dont certaines relèveraient des dispositions de la Convention, alors que pour certaines autres l'application de la Convention serait exclue par la réserve formulée.
Il ne fait aucune doute que l'intention du Gouvernement défendeur était de soustraire aux effets de la Convention le système de procédure établi conformément aux lois de procédure administrative. La Commission, en interprétant les termes de la réserve, a pris en considération l'intention évidente du Gouvernement. La Commission se réfère à cet égard à sa décision sur la recevabilité de la requête No 473/59 (Annuaire 2, pp. 401, 405) qui soulève un problème d'interprétation de la réserve autrichienne relative à l'article 1er du premier Protocole additionnel (P1-1) et où la Commission a fait une constatation semblable quant à l'intention du Gouvernement en formulant la réserve.
Il résulte de ce qui précède que la réserve en question doit être considérée comme couvrant non seulement "les mesures privatives de liberté" mais aussi la procédure au terme de laquelle ces mesures sont prises. A cet égard, la Commission se réfère à sa jurisprudence (cf. notamment les décisions sur la recevabilité des requêtes No 1452/62, alinéa 6, pp. 269, 277 et No 2432/65, Recueil de décisions de la Commission, vol. 22, pp. 124, 128).
En conséquence, la réserve ne s'applique pas seulement à la privation de liberté du requérant, mais aussi à la procédure antérieure suivie devant les autorités administratives. La requête est donc, sous ce rapport également, incompatible avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2).
Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.