EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
1. Le requérant, de nationalité belge, né en 1918, est domicilié à Uccle-lez-Bruxelles. Architecte de profession depuis 1940, il s'est fait inscrire au tableau de l'Ordre des Architectes en 1963, conformément à la Loi du 26 juin 1963 statuant que nul ne peut exercer en Belgique la profession d'architecte s'il n'est inscrit à l'un des tableaux de l'Ordre. En vertu de la même loi, les architectes inscrits sont tenus d'observer le règlement déontologique propre à la profession d'architecte. Le règlement en question fut établi par décisions des 17 mars et 16 juin 1967 du Conseil national de l'Ordre des Architectes et a acquis force obligatoire par l'Arrêté royal du 5 juillet 1967 à compter du 1er septembre 1967.
2. Le Conseil de l'Ordre des Architectes du Brabant, organe chargé d'assurer l'application des règles déontologiques a, par décision du .. juin 1967, radié le requérant du tableau de l'Ordre pour violation de ces règles, notamment pour avoir fait de la publicité et perçu des commissions en sus de ses honoraires d'architecte. Le requérant, qui n'a pas nié les faits qui lui étaient reprochés, a formé appel contre le bien-fondé de cette décision auprès du Conseil, d'appel de l'Ordre des Architectes. Par arrêt du .. mai 1968, le Conseil d'appel a annulé pour vice de forme la sentence du Conseil de Brabant; quant au fond, il a infligé au requérant une suspension de sa profession pendant deux ans. Le .. mai 1968 le requérant s'est pourvu en cassation contre l'arrêt du Conseil d'appel. Le .. septembre 1968 il formula une demande d'assistance judiciaire, laquelle fut rejetée le .. octobre 1968 par le Bureau d'Assistance Judiciaire de la Cour de Cassation au motif que le requérant n'avait plus aucun intérêt, les délais pour déposer son mémoire étant expirés depuis le 16 juin 1968.
3. Le .. janvier 1969, la Cour de Cassation rejeta le pourvoi en cassation.
Sur le premier moyen invoqué par le requérant, en ce que les faits à lui reprochés s'étendaient sur une période allant de 1961 à 1966, tandis que la loi appliquée n'entra en vigueur qu'en 1963 et que le règlement déontologique n'acquît force obligatoire qu'à partir du 1er septembre 1967, la Cour statua que les règles déontologiques de toute profession libérale existent "praeter legem", que le pouvoir d'appréciation de l'Ordre des Architectes n'est donc pas limité aux seuls manquements au règlement déontologique de 1967, et que la peine disciplinaire est justifiée par les divers manquements commis par le requérant après l'entrée en vigueur de la loi du 26 juin 1963.
Dans son deuxième moyen, le requérant s'est plaint d'une violation du droit de sa défense devant le Conseil d'appel étant donné que le Conseil aurait refusé de prendre en considération les conclusions d'un expert commis par le requérant. La Cour de Cassation a trouvé ce moyen manquant en fait puisqu'à l'audience du Conseil d'appel du .. mars 1968 le requérant n'était pas effectivement accompagné de l'architecte-expert auquel il se référait. La Cour de Cassation a également rejeté le troisième moyen, tiré de la violation par le Conseil d'appel de certaines règles procédurales, et le quatrième moyen, en ce que devant le Conseil d'appel le requérant n'aurait pas pu consulter des notes ou le rapport rédigé par son expert. La Cour de Cassation n'avait trouvé aucune confirmation de cette prétendue violation dans le procès-verbal d'audience.
4. Simultanément à la poursuite disciplinaire engagée par l'Ordre des architectes, une poursuite pénale concernant les mêmes faits a eu lieu. Le .. novembre 1969, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Malines. Le jugement fut confirmé en appel le .. juin et par la Cour de Cassation le .. décembre 1970.
5. Dans sa requête à la Commission le requérant allègue la violation des articles 1, 6 par. 1, 2, 3b, 3c et 3d, et 7 de la Convention.
6. En ce qui concerne la poursuite disciplinaire, son grief principal se dirige contre le rejet par la Cour de Cassation de son premier moyen tiré de la violation de l'article 7 de la Convention, étant donné que l'article 9 de la Constitution du Royaume de Belgique et l'article 2 par. 1 du Code pénal belge consacrent le principe de "nullum crimen, nulla poena sine praevia lege penali".
Le requérant soutient que les faits qui lui sont reprochés ont été transformés rétroactivement en délit, par l'application du règlement déontologique approuvé par arrêté royal du 5 juillet 1967. Il trouve inacceptable l'opinion de la Cour de Cassation que ces règles existent en l'absence d'un texte formel et il cite á titre d'argument le commentaire du Président du Conseil de l'Ordre des architectes reproduit dans l'introduction à la publication par l'Ordre de l'arrêté royal du 5 juillet 1967 disant que: "Néanmoins faute d'avoir jamais vu leur respect assuré par des juridictions, la connaissance et l'interprétation des règles déontologiques propres aux architectes se sont toujours révélées fort délicates ...". "Aussi, ... existe-t-il de nombreuses règles dont les nuances et le contenu font l'objet de vives contre verses."
En outre, il souligne que la Cour de Cassation a statué dans une autre affaire par arrêt du 23 juin 1970 que l'arrêté royal du 5 juillet 1967 donna force obligatoire au règlement de déontologie a été pris sous une forme illégale. Or, le requérant estime qu'il a subi un préjudice du fait que ce même règlement fut appliqué dans son propre cas. Même si ledit règlement n'est pas annulé en lui-même, le requérant en trouve une affirmation du mal-fondé des décisions de l'Ordre des architectes.
Le requérant attaque également l'application de la peine disciplinaire basée sur la loi du 26 juin 1963, étant une peine plus forte que celle applicable au moment où l'infraction a été commise. La requête n'indique pas quelle serait, dans l'opinion du requérant, la peine moins forte.
Le requérant se plaint que le Conseil d'appel n'a convoqué aucun témoin à charge ou à décharge, notamment l'expert commis par lui, et qu'il aurait été empêché de se servir des notes ou du rapport préparé par ledit expert. Il conclut que de cette façon l'article 6, par.par. 3b et 3d a été violé.
Le requérant déclare également qu'il considère la décision du bureau d'assistance judiciaire de la Cour de Cassation lui refusant le bénéfice de l'assistance judiciaire comme une violation du principe de l'équité consacré par l'article 6 par. 1 de la Convention, ainsi que de son droit à la défense (par. 3c).
Le requérant se plaint, en outre, que le Conseil d'appel a violé le principe consacré par l'article 6, par. 2a) de la Convention, parce que la convocation du .. décembre 1966 sur laquelle la procédure en appel était basée commençait par ces termes: "Il vous est notamment reproché ..." et laissait sous-entendre que le requérant aurait commis encore d'autres fautes que celles précisées par la citation.
D'ailleurs, le requérant estime que le Conseil d'appel, en sa qualité d'organe de l'Ordre des architectes ayant porté plainte contre lui, ne peut pas être considéré comme un "tribunal indépendant et impartial" au sens de l'article 6 par. 1.
Le requérant allègue que le principe de la présomption de son innocence, consacré par l'article 6 par. 2, a été violé par une lettre qui lui était adressée, le .. juin 1968, par l'Ordre des architectes considérant exécutoire immédiatement la peine de suspension de deux ans prononcée contre lui par le Conseil d'appel, avant même que la Cour de Cassation ait statué sur son pourvoi en cassation. Il est á noter que le dossier soumis par le requérant contient une lettre datée du .. juin 1968 par laquelle l'Ordre des architectes considère comme nulle et non avenue la lettre du .. juin 1968.
7. En ce qui concerne la poursuite pénale, le requérant allègue qu'en raison des deux procédures simultanées, il n'a pas pu préparer convenablement sa défense et qu'il y avait "collusion" entre l'Ordre des architectes et le Procureur du Roi près le tribunal en question.
8. Le requérant demande à la Commission de vérifier si, indépendamment des articles invoqués ci-dessus, il y a apparence de violation d'autres articles. Il ajoute que sa requête a pour objet que la Belgique accepte, soit invitée ou contrainte de respecter les obligations découlant de la Convention et d'accorder au requérant une satisfaction équitable et chiffrée.
EN DROIT
Considérant que le requérant allègue que plusieurs violations des droits et garanties stipulés aux articles 6 et 7 (art. 6, 7) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ont entaché la procédure disciplinaire engagée contre lui par l'Ordre des architectes; qu'il y a lieu de faire observer à ce propos que l'article 6 (art. 6) dispose en son paragraphe 1er que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle", que les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 (art. 6) s'appliquent exclusivement aux personnes accusées d'une infraction pénale, et que l'article 7 en son paragraphe 1er (art. 7-1) consacre le principe que "nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise";
Que dans le cas du requérant il s'agit d'une procédure disciplinaire dirigée contre lui par les organes statutaires de la profession d'architecte en Belgique, en raison de violation de certaines règles propres à cette profession; que bien que le système de surveillance de la profession d'architecte soit assorti de certaines sanctions disciplinaires, y compris l'interdiction d'exercer la profession d'architecte en Belgique, la poursuite disciplinaire dont se plaint le requérant ne peut être considérée comme faisant partie du droit pénal, et dans ces conditions, le requérant ne peut pas être qualifié comme une personne accusée d'une "infraction" au sens des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 (6-2, 6-3), et qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une "infraction d'après le droit national ou international", ou de la punition de celle-ci, au sens de l'article 7 (art. 7);
Qu'au surplus, la procédure disciplinaire dont se plaint le requérant ne peut pas être considérée comme ayant pour objet la détermination d'un droit ou d'une obligation de caractère civil au sens du paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6);
Qu'à ce propos la Commission se réfère à sa jurisprudence constante (cf. les décisions sur la recevabilité des requêtes No 734/60, in Recueil 6, p. 29, No 2793/66, in Recueil 23, p. 125 et No 4121/69, in Recueil 33, p. 23);
Qu'il s'ensuit que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2);
Par ces motifs, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.