EN FAIT
Considérant que les faits de la cause, étayés d'un volumineux dossier, peuvent se résumer ainsi:
La requérante, Mme X., veuve de M. Y., agissant en son nom personnel et comme mère, tutrice et administratrice des biens de ses deux enfants mineurs, est domiciliée à Liège (Belgique). Elle est représentée par Maître Z., avocat à la Cour d'Appel de Liège.
En date du .. janvier, 1961, alors que depuis le 23 décembre, 1960, la grève paralysait la région liégeoise, le mari de la requérante se trouvait dans la foule, rue du Plan incliné, au moment où un escadron de gendarmerie s'apprêtait à intervenir en raison des événements qui venaient de se dérouler à la gare des Guillemins; Y. n'aurait porté ni arme, ni le moindre objet attestant une attitude agressive ou même équivoque, attitude qui ne lui aurait d'ailleurs pas été reprochée.
La requérante affirme qu'il n'existait aucun arrêté ou règlement interdisant les rassemblements ou le stationnement dans la ville de Liège, que par ailleurs, les autorités responsables du maintien de l'ordre n'avaient à aucun moment estimé devoir donner l'ordre de tirer et que même le simple ordre d'armer les fusils n'aurait pas été donné.
La requérante prétend, en outre, que son mari s'était réfugié sur un trottoir et tourné dans la direction opposée à celle des forces de l'ordre lorsqu'il fut frappé par une balle de sûreté tirée par un gendarme avec un fusil de guerre à courte distance. Il devait succomber deux jours plus tard, à la suite de ses blessures, après d'horribles souffrances.
A la suite de ces événements, la requérante, bénéficiant de l'assistance judiciaire par décision du .. novembre 1961, assigna en date du .. septembre 1962 l'Etat belge en réparation du préjudice moral et matériel subi par elle et ses enfants mineurs.
Il semble qu'il y ait eu, de la part de l'Etat belge, des propositions d'indemnisation dont la partie demanderesse, à savoir la requérante, n'aurait fait état que quelques instants avant la clôture des débats lors d'une audience devant le Tribunal de première instance de Liège (la date n'est pas indiquée avec précision).
La partie défenderesse demanda la réouverture des débats, ce qui fut décidé par jugement préparatoire du .. mars 1964 du même tribunal. En date du .. juin 1964, le tribunal civil de Liège rend un jugement en vertu duquel la requérante est déboutée au motif que l'action n'est pas fondée.
La requérante fait appel en invoquant des faits nouveaux qui n'avaient pas été portés à la connaissance du juge d'instruction lors de l'instruction pénale.
Mais pour la Cour d'Appel de Liège, estimant l'action comme non fondée, confirme la sentence des premiers juges en rejetant par arrêt du .. juin 1965, la demande d'indemnisation se chiffrant à la somme de 2.906.488 FB en principal majorée des intérêts depuis le .. janvier 1961 et des dépens.
Alors qu'en premier et en second ressort, l'assistance judiciaire avait été accordée à la requérante, elle lui fut refusée par la Cour de cassation. En effet, en date du .. septembre, 1965, la requérante était informée de ce qu'après examen du fond de l'affaire, la Cour de cassation estimait que sa demande d'indemnisation n'était pas fondée en droit. Son ultime recours auprès du Ministre de l'Intérieur du .. janvier 1966 fut rejeté le .. mars 1966 au motif que la demande ne paraissait pas fondée en droit.
la requérante invoque l'article 2 de la Convention. Elle allègue, en outre, la violation de la loi belge sur deux points: - d'une part, la Cour d'Appel ne tient pas compte des conclusions de la requérante démontrant que l'attroupement avait été dispersé sans nécessité d'emploi d'armes à feu et que, dès lors, un membre de la gendarmerie n'a pu légitimement en user, violant ainsi la Loi du 2 décembre 1957 sur la gendarmerie; - d'autre part, l'arrêt ne tient nullement compte des conclusions de la requérante fondées sur la Loi du 13 mai 1955 ratifiant la Convention, ledit arrêt n'établissant pas que le recours à la force avait été rendu absolument nécessaire et que la répression fut conforme à la loi.
La requérante prie la Commission de constater que la mort a été infligée à son mari en violation de l'article 2 de la Convention. Elle demande la condamnation de l'Etat belge au paiement de la somme de 2.906.488 FB plus intérêts et frais à compter du .. janvier 1961.
HISTORIQUE DE LA PROCEDURE
Considérant que la procédure suivie devant la Commission peut se résumer comme suit:
La présente requête a été introduite le 9 mars 1966 et enregistrée le 11 mars 1966. La principale allégation de la requérante portait sur le fait que la mort infligée à son époux constitue une violation de l'article 2 de la Convention.
Le 30 septembre 1968, la Commission décida de communiquer la requête au Gouvernement belge aux termes de l'article 45, par. 3 du Règlement intérieur, considérant qu'en l'état actuel du dossier la requête ne semblait pas irrecevable.
Considérant que l'argumentation des parties est la suivante:
1. Quant aux faits et antécédents judiciaires Le Gouvernement fait observer que la requérante donne des circonstances de l'accident une version inconciliable avec les données de l'instruction, que par ailleurs il n'est point établi que la balle qui frappa Y. fut tirée par un gendarme.
En ce qui concerne le jugement rendu le .. juin 1964 par le tribunal civil de Liège, le Gouvernement relève que ce jugement, déboutant la requérante de sa demande, se fonde essentiellement sur la considération que l'auteur de l'homicide involontaire est inconnu. Pour ce qui est de l'arrêt du .. juin 1965 de la Cour d'Appel de Liège, le Gouvernement défendeur fait remarquer que cet arrêt, confirmant la décision de l'instance inférieure, est basé sur la considération qu'à supposer même que la balle ait été tirée par un gendarme, celui-ci devrait être considéré comme s'étant trouvé en état de légitime défense.
Le Gouvernement relève, enfin, que la requérante ne s'est pas pourvue en cassation, le bureau d'assistance judiciaire ayant rejeté le .. septembre 1965 sa demande en vue d'obtenir la procédure gratuite au motif "que la demande ne paraît pas actuellement juste".
L'avocat de la requérante objecte que l'instruction pénale faite par le parquet de Liège établit qu'aucun civil n'a tiré et que Y. a été blessé à bout portant, ce qui exclut toute possibilité de blessure par "balle perdue".
En ce qui concerne le jugement rendu le .. juin 1964 par le tribunal civil de Liège, l'avocat de la requérante relève que ce jugement énonce tout d'abord la possibilité que ces blessures et la mort aient été causée par le coup de feu d'un gendarme, mais qu'il y a doute sur la détermination dudit gendarme; le jugement constate ensuite que la balle tirée est bien une balle provenant d'une cartouche fabriquée uniquement à l'usage de cette gendarmerie. Quant à l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Liège le .. juin 1965, l'avocat conteste l'argumentation suivant laquelle, même s'il s'était agi d'un gendarme pouvant être identifié avec certitude (c'est-à-dire le gendarme A.), celui-ci s'était trouvé en état de légitime défense, sa vie étant menacée par un manifestant porteur d'un bâton, autre que l'époux de la requérante.
Enfin, pour ce qui est la demande de procédure gratuite en vue d'un pourvoi en cassation, l'avocat fait observer qu'elle était parfaitement fondée.
2. Sur l'épuisement des voies de recours internes et l'observation du délai de six mois (Article 26 de la Convention)
Le Gouvernement belge soutient que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées et qu'au surplus la requête est tardive. Il en arrive à cette conclusion après avoir pris en considération les différentes hypothèses suivantes: - la requérante ne s'est pas pourvue en cassation et la décision du bureau d'assistance judiciaire ne liait pas la Cour de Cassation, de même qu'elle n'empêchait pas la requérante d'introduire un pourvoi à ses frais: il y donc non-épuisement des voies de recours internes; - si l'on devait considérer comme fondé le fait de l'impossibilité matérielle d'introduire un pourvoi en cassation (vu l'indigence de la requérante), l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège du .. juin 1965 devrait être considéré comme étant la décision interne définitive : il y a donc tardiveté; - à supposer que la requérante soutienne que la décision interne définitive est celle du bureau d'assistance judiciaire du .. septembre 1965, il y aurait encore tardiveté; - à supposer, enfin, que l'on doive voir dans la lettre du .. janvier 1966 adressée au Ministre de l'Intérieur, une demande d'indemnité relative à la réparation d'un dommage exceptionnel résultant d'une mesure prise ou ordonnée par l'Etat introduite conformément à l'article 27 de la Loi du 23 décembre 1946: il y a encore non-épuisement des voies de recours internes.
L'avocat de la requérante répond aux fins de non-recevoir basées sur l'article 26 de la Convention par l'argumentation suivante:
L'avocat démontre, en premier lieu, que les conditions d'application de cet article ont été respectées, à savoir:
1. Tous les recours accessibles au requérant doivent être épuisés: La requérante a saisi le tribunal de première instance de Liège, a interjeté appel du jugement rendu par ce tribunal et a demandé au bureau d'assistance judiciaire de la Cour de Cassation la gratuité de la procédure pour former le pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège. Après examen au fond du pourvoi que la requérante voulait former, le bureau lui refusa la gratuité, ce qui équivalait à un rejet de pourvoi, puisque ce n'est pas l'indigence qui est contestée.
Le refus de gratuité notifiée à la requérante marque donc pour elle l'épuisement des recours judiciaires internes prévus par l'article 26 de la Convention.
Il ne restait à la requérante que la possibilité d'un ultime recours transactionnel auprès du Ministre de l'Intérieur. Ce recours fut formé le .. janvier 1966, mais fit l'objet de la part du Ministre d'un rejet le .. mars 1966.
Le recours devant le Conseil d'Etat sur base de l'article 7, par. 1 de la Loi du 23 décembre 1946 n'était pas accessible à la requérante. Le législateur belge n'a donné au Conseil d'Etat, en matière de contentieux de l'indemnité, qu'une compétence résiduaire. La haute juridiction administrative ne peut être saisie d'une demande d'avis pour préjudice exceptionnel que si la réparation du préjudice dont les requérants font état ne peut être poursuivie devant les tribunaux civils.
La compétence d'avis du Conseil d'Etat commence là où se termine celle des tribunaux. Dès que le dommage trouve son origine dans un droit civil, la haute juridiction administrative se déclare incompétente. Or, le droit à l'intégrité physique est un droit civil qui est de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.
2. Les recours doivent être adéquats à l'objet de la requête: Le jugement rendu par le tribunal de première instance de Liège ne pouvait être attaqué que par la voie de l'appel. L'arrêt de la Cour d'Appel ne pouvait l'être que par l'introduction d'un pourvoi devant la Cour de Cassation.
Les autres recours, tels que le recours en indemnité devant le Conseil d'Etat après le refus de la proposition transactionnelle par le Ministre de l'Intérieur, étaient inadéquats. La Loi du 23 décembre 1946 constitutive du Conseil d'Etat, en son article 7, par. 1, accorde un recours contre les décisions de l'Etat ayant entraîné un dommage exceptionnel, mais le Conseil d'Etat a en cette matière une compétence résiduaire. Comme les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient compétents pour connaître de ce litige, la haute juridiction administrative ne pouvait en connaître. Donc, le recours aurait été inadéquat.
3. Les recours doivent être efficaces: Etant donné que le rejet de la demande de gratuité de la procédure devant la Cour de Cassation de Belgique n'est prononcé qu'après examen de l'affaire au fonde, il aurait été tout à fait inutile d'entreprendre une procédure inefficace et vouée à l'échec certain.
Le recours devant le Conseil d'Etat contre la décision de rejet de la proposition transactionnelle par le Ministre de l'Intérieur aurait été inefficace en raison de l'incompétence de cette juridiction.
4. Les recours doivent être exercés dans les conditions prévues par la loi: La requérante a exercé les recours que le système judiciaire belge mettait à sa disposition: tribunal de première instance, Cour d'Appel, Cour de Cassation.
Le rejet de la demande de gratuité de la procédure par le bureau d'assistance judiciaire de la Cour de Cassation vaut rejet du pourvoi, puisque le bureau examine l'affaire au fond.
L'avocat explique, ensuite que le délai de six mois fut respecté; en effet, ce délai ne pouvait courir qu'à partir du rejet de la demande de gratuité de la procédure par le bureau d'assistance judiciaire de la Cour de Cassation, puisque la requérante devait formuler une telle demande. Le délai de six mois a donc couru du 9 septembre 1965 au 9 mars 1966, date introductive de la requête et date reconnue comme telle par lettre du Secrétaire de la Commission européenne des Droits de l'Homme du 23 mars 1966 où il est stipulé "la requête sera considérée comme introduite le 9 mars 1966".
3. Sur la question de savoir si la requête est manifestement mal fondée (Article 27, par. 2 de la Convention)
Le Gouvernement, dans l'examen de la requête sous l'angle de l'article 27, par. 2, aboutit à la conclusion qu'elle est manifestement mal fondée tant en ce qui concerne l'article par. 1 qu'en ce qui concerne l'article 6 de la Convention et l'article 7 de la Loi du 23 décembre 1946 relative à la demande transactionnelle auprès du Ministre de l'Intérieur.
a) En effet, du texte de l'article 2 de la Convention il ressort qu'une requête ne peut se fonder sur cet article que dans la mesure où elle invoquerait le fait que la mort a été donnée intentionnellement à la victime, et ce, au mépris des dispositions dudit article 2.
Or, la requérante ne soutient pas et ne pourrait d'ailleurs soutenir qu'en l'espèce c'est intentionnellement qu'un gendarme aurait donné la mort à Y.
La requête est donc manifestement mal fondée, comme manifestement étrangère à la matière de la Convention. A suivre la requérante, la Convention aurait pour effet de soumettre aux juridictions européennes tous les litiges où un homicide involontaire serait reproché à un agent de l'Etat.
b) La requérante reproche à l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège de ne pas avoir pris en considération ses conclusions, où elle invoquait une violation de la Loi du 2 décembre 1957 sur la gendarmerie ainsi que la violation de la Convention.
Ici encore la requête est manifestement mal fondée et ce pour deux raisons.
La requérante se plaint d'un vice de forme qui entacherait l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège, à savoir un manque de réponse à ses conclusions. L'obligation de répondre aux conclusions des parties est imposée aux juges par l'article 27 de la Constitution belge. Mais l'article 6 de la Convention qui définit les droits que la Convention garantit en matière judiciaire n'impose pas une pareille obligation. Le grief formulé ainsi par la requérante est donc manifestement étranger à la matière de la Convention, et est dès lors manifestement mal fondé.
Qui plus est, le grief est manifestement mal fondé en fait. La motivation de l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège contient une analyse minutieuse des éléments de la cause qui peut être résumée comme suit: - il n'est pas établi que le gendarme A aurait tiré le coup fatal et - à supposer que cela soit établi, il conviendrait de considérer que le gendarme se trouvait en état de légitime défense. L'arrêt en déduit alors en termes exprès qu'il n'y a eu violation ni de la Loi du 2 décembre 1957 sur la gendarmerie ni de la Convention.
c) Dans la mesure où l'on devrait considérer que la lettre du Ministre du .. mars 1966 constitue le rejet d'une demande introduite conformément à l'article 7, par. 1 de la Loi du 23 décembre 1946 et que la requête est dirigée contre ce rejet, la requête serait manifestement mal fondée.
Il s'agirait, dans cette hypothèse, du rejet d'une demande tendant à obtenir en équité une indemnité pour un dommage exceptionnel causé par une mesure prise et ordonnée par l'Etat et qui aurait été exécutée normalement, sans que l'on puisse reprocher une faute quelconque à un organe de l'Etat.
La Loi du 23 décembre 1946 permet aux pouvoirs publics d'accorder de pareilles indemnités, mais ne les y oblige pas, et ne consacre donc pas un droit dans le chef de celui qui subit un dommage exceptionnel.
Il est clair que la Convention ne consacre pas davantage un tel droit.
L'avocat de la requérante réfute les arguments présentés par le Gouvernement belge sous l'angle de l'article 27 par. 2 de la Convention de la manière suivante:
a) L'article 2 de la Convention stipule: "1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ... 2. La mort n'est pas considérée infligée en violation de cet article dans le cas où elle résulterait d'un recours à force rendu absolument nécessaire .. c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.
Le bris de quelques vitres d'une gare ne constitue pas une émeute, à fortiori, une insurrection.
La législation belge en la matière est précise: décret du 26 juillet et du 3 août 1791, loi communale du 39 mars 1836 et décret du 10 Vendémiaire An IV.
En vertu de ces textes, l'usage d'armes à feu doit être précédé de sommations par le bourgmestre (ou un commissaire de police).
Même s'il y avait eu émeute (ce qui n'est pas le cas) et même si la législation belge en la matière avait été respectée (ce qui ne fut pas le cas non plus), l'Etat belge doit en outre prouver en vertu de l'article 2, par. 2 de la Convention que l'usage des armes était "absolument nécessaire".
L'Etat belge avoue (par son organe, l'officier de gendarmerie B.) que l'attroupement de la Place des Guillemins fut très rapidement dispersé par le lancement de quelques pots fumigènes.
Par conséquent, le tir s'est effectué dans des conditions illégales et inutiles en fait.
Le défendeur se prévaut de la légitime défense.
Le gendarme A. prétend avoir tiré un coup de feu parce qu'il se sentait menacé (au milieu de son escadron appuyé par des autos blindées) par un porteur de bâton. Il ne s'agit pas d'un cas de légitime défense. La menace d'un coup de bâton appelait tout au plus la menace d'une riposte d'un coup de crosse. Au surplus, le gendarme A. reconnaît que l'homme qui l'a prétendument menacé d'un bâton n'était pas Y., ce qui est confirmé par la photo de la police judiciaire.
Même si la riposte par un coup de feu à la simple menace d'un bâton constituait une légitime défense appropriée à l'attaque (ce qui n'est pas le cas), l'obligation de l'Etat d'indemniser la requérante n'en subsisterait pas moins, puisque la victime n'était pas le porteur du bâton que A. a voulu intimider.
L'époux de la requérante a été la victime d'une balle tirée volontairement et illégalement par un gendarme dans le but d'intimider les manifestants.
La requête est donc bien fondée, puisqu'elle remplit les conditions prescrites par l'article 2 de la Convention.
b) L'article 6 de la Convention prescrit que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable".
L'article 97 de la Constitution belge impose la motivation des jugements et arrêts, ce qui oblige les tribunaux et les cours de prendre en considération les arguments se trouvant dans les conclusions des parties en cause.
Le défendeur dans son mémoire en réponse prétende que la requête est mal fondée en ce sens que l'article 6 de la Convention ne requiert pas que l'arrêt de la Cour d'Appel prenne en considération les conclusions des parties en sa motivation.
Or, l'article 6 de la Convention définit le droit à ce que toute cause soit entendue équitablement. La Cour d'Appel de Liège, en ne répondant pas aux conclusions de la requérante, a violé l'article 97 de la Constitution belge et a agi en sorte que la requérante n'a pu voir sa cause traitée équitablement.
Si la texte de la Convention ne stipule pas expressément qu'un jugement ou un arrêt doit tenir compte des conclusions des parties, il énonce clairement le caractère équitable que doit avoir la procédure d'une cause.
Qui plus est, le grief est fondé en fait, car la motivation de l'arrêt de la Cour d'Appel de Liège procède par affirmation et son analyse des éléments de la cause ne répond pas aux arguments avancés par la requérante.
La requérante affirmait dans ses conclusions que Monsieur Y avait été blessé par une balle provenant d'une cartouche tirée par un fusil de la gendarmerie (cela en raison de l'analyse de la balle retrouvée dans le corps du blessé). En constatant qu'il n'est pas établi que le gendarme A. avait tiré le coup fatal, la Cour ne répond pas aux conclusions de la requérante.
De plus, l'état de légitime défense n'est pas prouvé, ainsi qu'il a été démontré plus haut et la loi du 2 décembre 1957 sur la gendarmerie n'a pas été respectée, puisque les sommations requises par l'article 19, alinéa 2 de cette loi n'ont pas été faites.
c) La lettre du Ministre de l'Intérieur du .. mars 1966 ne constitue pas le rejet d'une demande introduite conformément à l'article 7 par. 1 de la Loi du 23 décembre 1946.
Cette demande était purement transactionnelle.
De plus, la Loi de 1946 ne pouvait jouer en raison du caractère résiduaire de l'article 7, par. 1 de cette loi. Le Conseil d'Etat est compétent à défaut de toutes autres juridictions administratives ou judiciaires. Comme les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient compétents, la proposition transactionnelle présentée par la requérante au Ministre de l'Intérieur ne pouvait constituer une demande de réparation d'un préjudice exceptionnel sur base de cet article.
EN DROIT
Considérant que la requérante se plaint des décisions rendues par les juridictions belges dans le cadre de l'action en dommages-intérêts qu'elle avait engagée à l'encontre de l'Etat belge à la suite du décès de son époux survenu dans les circonstances exceptionnelles mentionnées ci-dessus; qu'à cet égard elle allègue, en particulier, la violation de l'article 2 (art. 2) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, estimant que la mort avait été infligée à son époux en violation dudit article;
Que, dans son arrêt du .. juin 1965, la Cour d'Appel de Liège a constaté que l'auteur du coup de feu n'avait pu être identifié avec certitude, bien qu'il parût "vraisemblable" qu'il s'agissait du gendarme A.; qu'à supposer qu'il en fût ainsi, le gendarme n'avait pas observé la loi du 2 décembre 1957 sur la gendarmerie, laquelle dispose, en son article 19, alinéa 2: ".. lorsque, dans l'exercice de leurs fonctions les membres de la gendarmerie sont chargés de disperser des attroupements ou réprimer des émeutes, ils peuvent, en cas d'absolue nécessité, faire usage des armes blanches sans réquisition préalable, mais ils ne peuvent faire usage des armes à feu que sur réquisition préalable de l'autorité civile légalement responsable du maintien de l'ordre ..."; que, toutefois, il aurait été impossible au gendarme d'observer cette disposition et que celui-ci, notamment en raison des circonstances énumérées et notamment l'état d'émeute, devait être considéré comme se trouvant en état de légitime défense;
Que la Commission, après examen du dossier, n'est pas amenée à s'écarter de l'opinion exprimée par la Cour d'Appel de Liège; qu'en outre, à supposer que le coup de feu mortel soit parti de l'arme d'un gendarme, l'ensemble des circonstances, telles qu'elles ressortent tant du dossier que des exposés de la requérante elle-même, ne permet nullement de penser que le gendarme aurait eu l'intention de donner la mort, en d'autres termes, que la mort aurait été infligée intentionnellement, au sens de l'article 2, par. 1 (art. 2-1) de la Convention; qu'en conséquence, la Commission ne discerne aucune apparence de violation de l'article 2 de la Convention (art. 2), de sorte qu'il échet de rejeter la requête, en vertu de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention pour défaut manifeste de fondement;
Par ces motifs, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.