EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer comme suit:
Le requérant, ouvrier chauffeur, est né à Auvelais le ... 1921. Il est domicilié à Tubize mais est actuellement détenu à la prison de Louvain. Il est représenté devant la Commission par Maître Y, avocat près la Cour d'appel, à Bruxelles, selon procuration délivrée sous seing privé le 12 avril 1968.
Le .. juin 1967, la Cour d'assises de la Province de Brabant a condamné X, pour homicide intentionnel, à vingt ans de travaux forcés et á l'interdiction perpétuelle des droits énumérés à l'article 31 du Code pénal belge. Le lendemain, ... juin, la Cour d'assises, statuant sur les suites civiles, le condamna à payer aux parties civiles la somme totale de 145.000 FB.
Le requérant s'est pourvu en cassation contre ces deux arrêts. La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi le .. octobre 1967.
Les griefs du requérant, dirigés contre les arrêts des .. et .. juin 1967, sont les suivants:
1. Au cours des débats, le président de la Cour d'assises, appliquant l'article 319 du Code d'instruction criminelle, a fait défense aux conseils de l'accusé de questionner directement les témoins sans passer par son organe, alors que cette faculté était laissée au représentant du ministère public.
Cet article 319 est ainsi conçu: "Après chaque déposition, le président demandera au témoin si c'est de l'accusé présent qu'il a entendu parler; il demandera ensuite à l'accusé s'il veut répondre à ce qui vient d'être dit contre lui. "Le témoin ne pourra être interrompu: l'accusé ou son conseil pourront le questionner par l'organe du président, après sa déposition, et dire, tant contre lui que contre son témoignage, tout ce qui pourra être utile à la défense de l'accusé.
Le président pourra également demander au témoin et à l'accusé tous les éclaircissements qu'il croira nécessaire à la manifestation de la vérité. "Les juges, le procureur général et les jurés auront la même faculté, en demandant la parole au président. La partie civile ne pourra faire de question, soit au témoin soit à l'accusé que par l'organe du président."
Dans la mesure où cette disposition oblige la défense à passer par l'organe du président pour poser des questions au témoins, alors que le procureur général, après avoir demandé la parole, peut les questionner lui-même, elle est, de l'avis du requérant, incompatible avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention, et notamment avec le principe de l'"égalité des armes", tel qu'il est défini dans la jurisprudence de la Commission. Il estime qu'elle est de nature à influer sur l'esprit des jurés, qui constatent que le ministère public et l'accusé ne sont pas traités de la même manière. Il ajoute qu'on peut obtenir plus facilement des réponses spontanées - et dès lors sincères - en interrogeant un témoin sans intermédiaire plutôt que si, la question ayant été préalablement énoncée, elle est ensuite posée par le président.
Le requérant a d'ailleurs fait valoir ce moyen devant la Cour de Cassation, qui l'a jugé mal fondé en droit: la Cour a estimé que la disposition incriminée n'était pas de nature à entacher la loyauté des débats ni à entraver l'exercice des droits de la défense et que "loin de rompre l'égalité au détriment de l'accusé, ledit article 319 renforce les droits de la défense en conférant à l'accusé non seulement le droit de faire interpeller le témoin, mais encore de dire, tant contre le témoin que contre son témoignage, tout ce qui est utile à sa défense".
2. Le Dr. A, expert désigné par la défense, fut entendu sans avoir prêté le serment d'expert, tandis que le Dr. B, désigné par le juge d'instruction, déposa après avoir prêté ce serment.
Le requérant estime que, de ce fait, "l'égalité des armes" n'a pas été respectée et que l'article 6 de la Convention a été violé.
La Cour de Cassation a rejeté ce moyen, au motif que seules ont qualité d'expert, au sens du Code d'instruction criminelle, les personnes auxquelles la juridiction qui les entend a confié la mission de faire oeuvre d'expert, mais non l'homme de l'art appelé par la défense ou désigné par la partie poursuivante.
3. Au cours des débats, l'un des conseils du requérant, plaidant en dernier lieu, aurait été interrompu par le président, qui lui aurait fait défense de critiquer la manière dont l'instruction avait été conduite. Ledit conseil aurait été en train de relever que les lunettes de l'accusé n'avaient pas été examinées, alors que ce dernier avait prétendu qu'elles avaient été déformées à la suite d'un coup porté par la victime (circonstance pouvant déterminer s'il y avait eu provocation) et qu'il n'y avait eu ni apposition de scellés ni inventaire de la maison de la victime bien que cette dernière eût révélé à un témoin qu'elle détenait du vitriol pour s'en servir contre l'accusé.
Le requérant estime que l'interdiction faite par le président au conseil de l'accusé pouvait faire apparaître que ce magistrat donnait son avis sur le caractère plus ou moins complet de l'instruction et prenait parti pour l'accusation, violant ainsi le principe de l'"égalité des armes" consacré à l'article 6 de la Convention.
La Cour de Cassation a estimé le moyen mal fondé en fait, comme ne s'appuyant sur aucune des pièces de la procédure auxquelles elle pouvait avoir égard.
En conclusion, le requérant demande à la Commission de constater que les arrêts rendus tant par la cour d'assises du Brabant que par la Cour de Cassation sont contraires à la Convention, notamment à son Article 6, et de dire qu'il y a lieu de lui accorder une satisfaction convenable.
EN DROIT
Considérant, dans la mesure où le requérant allègue que certaines dispositions de l'article 319 du code d'instruction criminelle belge sont contraires au principe de l'égalité des armes et, par conséquent, incompatibles avec l'article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, en ce qu'elles obligent la défense à passer par l'organe du président d'audience pour poser des questions aux témoins, alors que le procureur général, après avoir demandé la parole, peut les questionner lui-même, et dans la mesure où le requérant se plaint de l'application de ces dispositions qui a été faite à lui-même, respectivement à ses conseils, que les prescriptions incriminées ont trait aux compétences du président de la Cour d'assises en matière de police de l'audience et ont pour but d'assurer une bonne administration de la justice; qu'envisagées dans leur ensemble, les dispositions dudit article 319 ne paraissent pas, en elles-mêmes, de nature à placer la défense dans une position d'infériorité par rapport à l'accusation; que, d'un autre côté, le requérant n'a nullement démontré comment l'application dudit article 319 au cours de son procès devant la Cour d'assises de la Province de Brabant aurait pu entraîner une infraction au principe de l'égalité des armes; qu'en conséquence, la Commission ne discerne en l'espèce aucune apparence de violation des dispositions de la Convention et en particulier de son Article 6, paragraphe 1 (art. 6-1);
Considérant, dans la mesure où le requérant se plaint que le Docteur A, expert désigné par la défense, ait été entendu par la Cour d'assises de la Province de Brabant sans avoir prêté le serment d'expert, tandis que le Docteur B, expert commis par le juge d'instruction, fut entendu après avoir prêté ce serment, que l'article 6, paragraphe 3, lettre d) (art. 6-3-d) de la Convention stipule que tout accusé a droit à interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge; qu'aux termes de la jurisprudence de la Commission (Requête No 1167/62, Annuaire VI, p. 204; requête No 1476/62, Recueil de décisions de la Commission, vol. 11, p. 31), cette disposition vise non seulement les témoins, au sens strict, mais également des experts entendus par le tribunal; que le Docteur A a été effectivement entendu par la Cour d'assises; que, s'il est vrai que ce dernier avait été nommé par la défense, il ressort du dossier que le Docteur B, entendu après avoir prêté le serment d'expert, n'avait pas été nommé par l'accusation, mais commis par le juge d'instruction; qu'il n'apparaît donc pas en quoi la différence entre les formalités qui ont précédé l'audition du Docteur A et celles qui ont précédé l'audition du Docteur B pourrait révéler une violation de l'article 6, paragraphe 3, lettre d) (art. 6-3-d) de la Convention; que si l'on envisage le grief du requérant sous l'angle de l'article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention, et notamment du principe de l'égalité des armes, qui y est contenu, les mêmes remarques permettent également d'exclure toute apparence de violation de cette dernière disposition;
Considérant enfin, dans la mesure où le requérant allègue qu'au cours des débats devant la Cour d'assises de la Province de Brabant, l'un des conseils du requérant, plaidant en dernier lieu, aurait été interrompu par le président, qui lui aurait fait défense de critiquer la manière dont l'instruction avait été conduite, que le requérant n'a apporté aucun commencement de preuve de ses allégations et que l'examen du dossier ne permet de dégager, en l'état et même d'office, aucune apparence de violation des dispositions de la Convention et notamment de son Article 6 (art. 6), invoqué par le requérant;
Considérant en conséquence qu'il échet de rejeter l'ensemble de la requête en application de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention, pour défaut manifeste de fondement;
Par ces motifs, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.